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20/09/2016 | CEDH | N°001-166742

CEDH | CEDH, AFFAIRE HERNANDEZ ROYO c. ESPAGNE, 2016, 001-166742


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HERNÁNDEZ ROYO c. ESPAGNE

(Requête no 16033/12)

ARRÊT

STRASBOURG

20 septembre 2016

DÉFINITIF

06/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hernández Royo c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Branko Lubarda,
Pe

re Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chamb...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HERNÁNDEZ ROYO c. ESPAGNE

(Requête no 16033/12)

ARRÊT

STRASBOURG

20 septembre 2016

DÉFINITIF

06/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hernández Royo c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 août 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16033/12) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont deux ressortissants de cet État, MM. José Javier Hernández Royo (« le premier requérant ») et Leonardo David Hernández Royo (« le deuxième requérant »), ont saisi la Cour le 6 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me E. Trebolle Lafuente, avocat à Saragosse. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, R.-A. León Cavero, avocat de l’’État et chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.

3. Le 18 novembre 2014, les griefs concernant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour (« le règlement »).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1981 et en 1976 et résident à Cascante.

5. Par un jugement rendu le 25 juin 2008 après la tenue d’une audience publique, le juge pénal no 7 de Saragosse acquitta les requérants des chefs d’escroquerie et de faux en document privé, dont ils étaient accusés dans le cadre de la vente d’un véhicule. Par le même jugement, le juge acquitta les sociétés K.S.L. et H.R.M.S.L., qui étaient la propriété des requérants et qui avaient été attraites en justice au titre de leur responsabilité civile subsidiaire. Au cours de l’audience, les accusés avaient été entendus et le juge avait examiné comme autres éléments de preuve des témoignages et des rapports d’expertise.

Dans sa décision, le juge concluait à l’absence de volonté d’escroquer, après avoir retenu ce qui suit :

« (...) il n’a pas été prouvé que les accusés ont fait preuve d’un comportement trompeur avec l’intention d’obtenir un bénéfice patrimonial aux dépens de l’acheteur (...). L’acheteur a signé le document de vente après avoir pris connaissance de l’état et des caractéristiques du véhicule ».

6. Le ministère public et la partie lésée, qui s’était constituée partie accusatrice privée (acusación particular), firent appel.

7. Le 10 novembre 2008, l’Audiencia provincial de Saragosse accepta la demande d’administration de preuves présentée par la partie accusatrice privée, tendant au recueil de deux nouveaux témoignages, et elle rejeta celle formulée par les requérants. Elle fixa en outre la date de la tenue d’une audience publique au 15 décembre 2008 et notifia cette décision au représentant des requérants, conformément à l’article 791 § 2 du code de procédure pénale. Elle décida par ailleurs l’assignation personnelle de chacun des requérants. Bien que seule celle du premier requérant figure dans le dossier, il ressort du procès-verbal de l’audience que c’est le deuxième requérant qui était présent, accompagné de son représentant. La question de l’absence du premier requérant fut soulevée par l’Audiencia provincial, mais les parties ne fournirent aucune explication à ce sujet.

8. Au cours de l’audience du 15 décembre 2008, les deux témoins proposés par la partie accusatrice privée furent entendus, mais pas le deuxième requérant. À l’issue de cette audience, l’Audiencia provincial modifia partiellement les faits considérés comme établis en première instance et parvint à une conclusion opposée à celle du juge a quo concernant la signature du document de vente ainsi que la connaissance par les accusés des anomalies présentées par le véhicule.

9. Par un arrêt rendu le 14 janvier 2009, l’Audiencia provincial de Saragosse accueillit partiellement le recours formé par le ministère public et par la partie accusatrice privée et condamna les requérants, comme auteurs d’un délit d’escroquerie, à neuf mois d’emprisonnement et au paiement d’une indemnité. Elle confirma par ailleurs l’acquittement des requérants en ce qui concernait le délit de faux en document privé. En outre, elle déclara les sociétés K.S.L. et H.R.M.S.L. responsables civiles subsidiaires.

Dans sa décision, l’Audiencia provincial relevait en particulier que :

« (...) la question doit être examinée conformément à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel (...), selon laquelle, en règle générale, il n’est pas possible de conclure à une condamnation en appel sur la base des déclarations des accusés et témoignages intervenus lors de l’audience publique tenue devant le tribunal de première instance. Les preuves dont l’appréciation nécessite [de respecter] l’immédiateté et l’oralité (...) ne pourront pas être prises en compte lorsqu’elles n’ont pas été administrées devant le tribunal chargé de prononcer la condamnation. Celle-ci [la condamnation] sera possible quand la question à débattre est de nature juridique, [ou] quand il existe d’autres preuves à charge (...) dont l’examen ne nécessite pas un débat contradictoire ou [encore] quand de nouvelles preuves auront été administrées en appel.

Cela dit, cette jurisprudence (...) a été nuancée à certains égards. (...)[D’une part], (...) l’expertise (...) peut être (...) appréciée (...) sans (...) reproduction intégrale du débat (...) lorsque l’Audiencia [provincial l’] apprécie exclusivement sur la base de documents. (...) D’autre part, il n’est pas nécessaire de reproduire le débat oral en appel (...) lorsqu’il s’agit simplement d’effectuer une déduction conforme aux règles de la logique et de l’expérience et que le contact direct avec les intervenants au procès n’apporte aucune garantie supplémentaire.

(...) ».

10. Dans son arrêt, l’Audiencia provincial se référait aux rapports d’expertise examinés par le juge pénal et notait que les conclusions auxquelles celui-ci était parvenu manquaient de fondement et d’exhaustivité. S’agissant des faits qui avaient été considérés comme établis en première instance, elle observait que certains indices ressortaient des documents versés, lesquels mettaient en évidence l’état défectueux du véhicule, et elle mentionnait à cet égard la déposition effectuée par un des témoins devant elle.

11. À la lumière de ces arguments, l’Audiencia provincial concluait que :

« la logique rationnelle porte à penser, à la différence [de ce qui a été retenu dans le] jugement contesté, que (...) [l’état réel] du véhicule n’était pas connu par l’acheteur, (...) l’expérience montr[ant] qu’un véhicule d’occasion ne s’achète pas seulement [en fonction de] son apparence extérieure (...). Il convient de considérer que la signature sur le document de vente n’appartient pas à l’acheteur. [Cette signature] a été apposée a posteriori.

(...)

(...) Les accusés ont dissimulé l’état [réel] du véhicule à l’acheteur. À cet égard, le jugement contesté ne nie pas qu’ils aient été au courant de [cet] état mais considère qu’il n’est pas avéré que cet état a été dissimulé à l’acheteur. Cette chambre [de l’Audiencia provincial] estime que la dissimulation a bel et bien existé, car [les accusés] ont trompé l’acheteur pendant la négociation pour l’achat du véhicule et l’ont induit en erreur afin qu’il achète un bien qu’il n’aurait pas acquis [s’il avait connu son véritable état]. Cela constitue un délit [d’escroquerie] prévu aux articles 248 et 249 du code pénal.

12. Par ailleurs, en ce qui concernait le délit de faux, l’Audiencia provincial confirmait l’acquittement au motif que, pour déterminer lequel des deux accusés avait commis les faits reprochés, il lui aurait été nécessaire d’apprécier à nouveau les rapports d’expertise administrés par le juge a quo, et par conséquent d’aborder des questions qui échappaient à ses compétences.

13. Un des magistrats formula une opinion dissidente. Il contestait, d’une part, l’appréciation des expertises effectuée par l’Audiencia provincial et déplorait, d’autre part, une absence, en droit espagnol, de moyens de recours contre les arrêts des Audiencias provinciales rendus à la suite d’une interjection d’appel.

14. Les requérants sollicitèrent la nullité de la procédure, alléguant que le principe d’immédiateté n’avait pas été respecté.

15. Par une décision du 31 mars 2009, l’Audiencia provincial de Saragosse rejeta la demande des requérants et considéra que l’arrêt contesté avait respecté les exigences constitutionnelles relatives à la possibilité de révision en appel des jugements d’acquittement prononcés en première instance. Elle indiquait que les moyens de preuve qui avaient été pris en compte par l’arrêt contesté ne concernaient que ceux administrés dans le respect du principe d’immédiateté ou encore ceux dont l’appréciation n’exigeait pas le respect de ce principe en raison de leur nature documentaire intrinsèque.

16. Les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. À l’appui de leur recours, ils invoquaient l’article 24 § 2 de la Constitution (droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence).

17. Par un arrêt notifié le 25 octobre 2011, la haute juridiction rejeta le recours d’amparo. Elle notait d’abord que, pour parvenir à sa conclusion, l’Audiencia provincial avait pris en compte des éléments de preuve documentaires, ainsi que les rapports d’expertise et les deux nouveaux témoignages recueillis lors de l’audience en appel. Elle considérait que l’ensemble de ces éléments avait permis à l’Audiencia provincial de conclure à l’existence du délit d’escroquerie.

18. À cet égard, la haute juridiction constatait, d’une part, qu’il ne ressortait pas du dossier que le représentant des requérants avait sollicité l’interrogatoire de ses clients devant l’Audiencia provincial et, d’autre part, que ceux-ci ne pouvaient pas se retrancher derrière les limitations de l’article 790 § 3 du code de procédure pénale. Le Tribunal constitutionnel rappelait ainsi sa propre jurisprudence selon laquelle il avait interprété favorablement l’administration, devant la juridiction d’appel, de preuves de nature personnelle – tels les témoignages – déjà administrées devant le tribunal a quo, lorsqu’il était question de contestation de faits établis (entre autres, STC 120/2009 du 18 mai 2009, F.J. 2 d)).

19. Pour ce qui était de la nécessité d’entendre personnellement les accusés, le Tribunal constitutionnel soulignait que l’Audiencia provincial avait effectué une nouvelle appréciation des faits établis par le juge pénal et les avait modifiés en dehors de considérations strictement juridiques. Il estimait qu’il incombait à l’Audiencia provincial d’entendre les intéressés.

20. Le Tribunal constitutionnel relevait que, afin de remplir cette exigence constitutionnelle, l’Audiencia provincial ne s’était pas limitée à notifier, conformément à l’article 791 § 2 du code de procédure pénale, la décision rendue le 10 novembre 2008 au représentant des requérants. Il notait en effet que cette juridiction avait décidé d’office l’assignation personnelle des requérants, alors que celle-ci n’était pas prévue par la loi et qu’elle n’avait pas été sollicitée par le représentant des accusés, et que seul le deuxième requérant avait comparu à l’audience. À cet égard, il observait que l’Audiencia provincial avait soulevé ce point devant les parties lors de l’audience publique sans toutefois obtenir de réaction de leur part.

21. Pour le Tribunal constitutionnel, le droit des requérants à se défendre avait été suffisamment garanti devant l’Audiencia provincial par le biais de l’assignation à comparaître, laquelle avait ainsi permis aux intéressés d’être entendus lors de l’audience publique quand bien même cette possibilité n’avait pas été mise à profit par eux.

22. Se penchant finalement sur le grief tiré de la présomption d’innocence, la haute juridiction constatait que la condamnation des requérants était intervenue après l’administration d’un ensemble de preuves conformément aux principes du contradictoire, de l’immédiateté et de la publicité de la procédure. Pour le Tribunal constitutionnel, aucun indice d’arbitraire ne pouvait être décelé dans la conclusion à laquelle l’Audiencia provincial était parvenue.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure pénale, tel qu’en vigueur à l’époque du procès des requérants, étaient ainsi libellés :

Article 790 § 3

« Dans le mémoire introductif [d’appel], le requérant pourra demander l’administration des moyens de preuve qu’il n’a pas pu proposer devant la [juridiction de] première instance, de ceux proposés mais indûment rejetés, (... ) et de ceux déclarés recevables mais non administrés pour des raisons qui ne lui sont pas imputables. »

Article 791

« 1. Si le mémoire introductif [d’appel] ou [le mémoire contenant l’exposé des griefs] comportent une demande d’administration de preuves, l’Audiencia provincial se prononcera dans un délai de trois jours sur la recevabilité de la demande et, par la même occasion, elle fixera un jour pour l’audience. Il sera aussi possible de tenir une audience lorsque, d’office ou à la demande d’une des parties, le tribunal l’estime nécessaire pour l’établissement d’une conviction fondée.

2. L’audience sera fixée dans les quinze jours suivants et toutes les parties y seront assignées (...).

L’audience débutera, le cas échéant, par l’administration des preuves. Ensuite, les parties résumeront oralement le résultat de celle-ci et le fondement de leurs prétentions. »

24. L’arrêt du Tribunal constitutionnel no 170/2005 du 20 juin 2005 résume l’approche suivie par les juridictions nationales relativement à la nécessité de tenir une audience publique en appel. Les passages pertinents en l’espèce de cette décision sont ainsi rédigés :

« (...) En effet, tant l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 167/2002 que les arrêts postérieurs ayant conclu à la violation du droit à un procès et à toutes ses garanties (article 24 § 2 de la Constitution), rendus en application de cette jurisprudence et ayant nuancé celle-ci, ont trait à des cas où un jugement pénal d’acquittement en première instance est infirmé en appel et remplacé par un arrêt de condamnation, après qu’une appréciation différente de la crédibilité des [personnes entendues] (déclarations des accusés ou des témoins) eut été faite. [Cette nouvelle appréciation] constitue le fondement de la modification des faits [établis] et de la conclusion condamnatoire. Étant donné leur nature personnelle, ces moyens de preuve ne pouvaient à nouveau être appréciés [en faisant fi des principes] d’immédiateté, du contradictoire et de publicité, c’est-à-dire sans l’audition directe et personnelle des accusés ou témoins, dans le cadre d’un débat public et dans le respect [du principe du contradictoire] (...).

Cependant, [le Tribunal constitutionnel] a également expressément affirmé qu’il exist[ait] d’autres preuves, concrètement celles documentaires, dont l’appréciation [était] possible en deuxième instance sans qu’[il fut nécessaire de les reproduire] lors d’un débat (...), puisque, en raison de leur nature, elles ne requièrent pas [de respecter le principe d’]immédiateté (arrêt no 198/2002 du 28 octobre 2002, fondement juridique 5, arrêt no 230/2002 du 9 décembre 2002, fondement juridique 8, arrêt no 119/2005 du 9 mai 2005, fondement juridique 2, décision no 220/1999 du 20 septembre 1999, fondement juridique 3, et décision no 80/2003 du 10 mars 2003, fondement juridique 1).

Et depuis l’arrêt no 170/2002 du 30 septembre 2002, fondement juridique 15, nous soutenons que la solution retenue dans l’arrêt no 167/2002 n’est pas applicable aux cas où la divergence entre [la sentence] absolutoire et [celle condamnatoire] constitue une question strictement juridique (sur la base de faits que le jugement de première instance considérait également comme établis), dont la résolution ne nécessite pas d’entendre l’accusé lors d’un procès oral, même si le tribunal peut en décider autrement sur la base du dossier. Nous rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Jan-Åke Andersson c. Suède du 29 octobre 1991 et arrêt Fejde c. Suède) a précisé sa jurisprudence établie dans l’arrêt Ekbatani c. Suède du 26 mai 1988 et a établi qu’il n’y avait pas de violation du droit à un procès équitable en cas d’absence de débat public en appel lorsqu’il « n’y a[vait] pas de question de fait ou de droit qui ne [pouvait] être résolue pertinemment sur la base du dossier ». Cette jurisprudence a été ultérieurement appliquée dans les arrêts du Tribunal constitutionnel no 113/2005 du 9 mai 2005, fondements juridiques 3, 4 et 5, et no 119/2005 du 9 mai 2005, fondement juridique 3 ».

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 2 DE LA CONVENTION

25. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit à être entendus et dénoncent la législation interne en vigueur à l’époque – à savoir le code de procédure pénale – en ce qu’elle n’aurait pas prévu la possibilité pour les accusés d’être entendus en appel. Par ailleurs, les requérants indiquent que l’Audiencia provincial a modifié les faits considérés comme établis en première instance et, à cet égard, ils considèrent que toutes les preuves administrées devant le juge pénal auraient dû l’être à nouveau devant la juridiction d’appel. Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, ils estiment enfin que leur condamnation a également porté atteinte au droit à la présomption d’innocence.

26. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Gatt c. Malte, no [28221/08](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B), § 19, CEDH 2010, et Jusic c. Suisse, no [4691/06](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B), § 99, 2 décembre 2010), la Cour estime plus approprié d’examiner les griefs des requérants sous le seul angle de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

A. Sur la recevabilité

27. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

28. Le Gouvernement exprime d’abord sa position sur la façon dont l’Audiencia provincial a abouti à la conclusion de culpabilité des requérants. À cet égard, il considère que la juridiction d’appel s’est limitée à rectifier la décision du juge pénal sur la base de moyens de preuve qui soit n’auraient pas exigé le respect du principe d’immédiateté (à savoir les preuves documentaires), soit auraient été administrés au cours de l’audience publique tenue devant la juridiction d’appel elle-même (en l’occurrence les deux témoignages). Il estime que, après avoir examiné ces éléments, l’Audiencia provincial est parvenue à une conclusion raisonnable, motivée et dénuée d’arbitraire. Se référant au principe de subsidiarité et à la marge d’appréciation dont jouissent les États, le Gouvernement invite la Cour à respecter cette conclusion.

29. Le Gouvernement aborde ensuite la question de savoir si le changement de conclusion litigieux nécessitait que les requérants fussent entendus. À cet égard, il se réfère aux développements faits par le Tribunal constitutionnel dans son arrêt, et il avance que le représentant des requérants n’a pas sollicité l’interrogatoire de ses clients devant l’Audiencia provincial, et ce ni au moment de l’audience publique ni après les déclarations des témoins alors qu’il lui aurait été possible de réfuter celles-ci par ce biais. Le Gouvernement indique par ailleurs que l’Audiencia provincial ne s’est pas limitée à notifier la décision fixant la tenue d’une audience publique au représentant des requérants : il affirme qu’elle a décidé d’office l’assignation personnelle des requérants alors même que la loi n’aurait pas prévu cette possibilité. Il indique aussi que seul le deuxième requérant était présent à l’audience, que l’Audiencia provincial a abordé la question de la comparution des accusés devant les parties, mais que celles-ci n’ont fourni aucune explication à ce sujet. Le Gouvernement considère que, en agissant de la sorte, l’Audiencia provincial a garanti le droit des requérants à être présents à l’audience publique et à voir ainsi leurs intérêts protégés, dans le respect de la Convention, et qu’elle a par conséquent respecté tant les exigences constitutionnelles que celles découlant de la jurisprudence de la Cour.

30. De leur côté, les requérants indiquent que l’Audiencia provincial a partiellement modifié les faits établis par le juge pénal et, à cet égard, ils sont d’avis que le changement de conclusion ainsi opéré par la juridiction d’appel va au-delà d’une simple rectification de la conclusion retenue par le tribunal de première instance – à la différence de ce qui aurait été allégué par le Gouvernement. Ils affirment que la réappréciation n’a pas concerné des éléments exclusivement juridiques, puisque la juridiction d’appel se serait prononcée sur des questions purement factuelles. Ils estiment que, par conséquent, les moyens de preuve déjà administrés auraient dû à nouveau l’être devant l’Audiencia provincial et que, en tous les cas, cette juridiction aurait dû les interroger afin de respecter le principe d’immédiateté.

31. S’agissant de l’argument du Gouvernement relatif à l’absence de demande de leur part à être entendus devant l’Audiencia provincial, les requérants indiquent que la loi espagnole ne prévoit pas une telle possibilité. Ils considèrent qu’il ne peut donc pas leur être reproché de ne pas avoir utilisé une voie qui ne leur était pas ouverte par la loi.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

32. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste (Lala c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 33, série A no 297-A, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A no 277 A, et De Lorenzo c. Italie (déc.), no [69264/01](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2269264/01%22%5D%7D), 12 février 2004), l’obligation de garantir à l’accusé le droit d’être présent dans la salle d’audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d’un nouveau procès – étant l’un des éléments essentiels de l’article 6 de la Convention (Stoichkov c. Bulgarie, no [9808/02](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%229808/02%22%5D%7D), § 56, 24 mars 2005).

33. La comparution personnelle du prévenu ne revêt pourtant pas la même importance décisive en appel qu’en première instance (Kamasinski c Autriche, 19 décembre 1989, § 106, série A no 168, § 106). Ainsi, devant une cour d’appel jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 de la Convention ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (voir, mutatis mutandis, Golubev c. Russie, déc., no [26260/02](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2226260/02%22%5D%7D), 9 novembre 2006, et Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 33, série A no 212‑C).

34. Cependant, la Cour a également déclaré que, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, un tel réexamen devrait conduire à une nouvelle audition intégrale des parties intéressées (Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134).

35. La Cour a déjà eu l’occasion d’appliquer ces principes dans des affaires espagnoles et a considéré que, afin de déterminer s’il y avait eu violation de l’article 6 de la Convention, il convenait de se pencher sur le rôle de l’Audiencia provincial et sur la nature des questions dont cette juridiction avait à connaître. En effet, dans les causes concernant cette problématique portées devant elle, la Cour a considéré qu’une audience s’avérait nécessaire lorsque la juridiction d’appel effectuait une nouvelle appréciation des faits estimés établis en première instance et réétudiait ceux‑ci, se situant ainsi en dehors de considérations strictement juridiques (voir, entre autres, Valbuena Redondo c. Espagne, no 21460/08, 13 décembre 2011, et Pérez Martínez c. Espagne, no 26023/10, 23 février 2016). Dans pareil cas, le réexamen de la culpabilité de l’accusé doit conduire à une nouvelle audition intégrale des parties intéressées : ainsi, une audience en présence de l’accusé s’impose avant qu’un jugement sur la culpabilité de ce dernier ne soit rendu (Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 38, 22 novembre 2011, et Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 36, 10 mars 2009).

b) Application de ces principes en l’espèce

36. La Cour constate que la cause portée devant elle présente certaines particularités par rapport aux affaires susmentionnées. En effet, il n’est pas contesté qu’une audience a eu lieu devant l’Audiencia provincial de Saragosse, à laquelle était présent le deuxième requérant. La Cour observe également que le premier requérant avait été personnellement assigné à comparaître, qu’il n’était pas présent le jour de l’audience et que le représentant des requérants, présent quant à lui devant l’Audiencia provincial, n’a pas fourni d’explication sur cette non-comparution. Elle note aussi que, au cours de l’audience, les deux témoins proposés par la partie accusatrice privée ont été entendus.

37. À ce propos, la Cour relève que, dans son arrêt notifié le 25 octobre 2011, le Tribunal constitutionnel a reproché aux requérants de ne pas avoir fait usage des possibilités dont ils disposaient pour demander à être entendus devant l’Audiencia provincial. La Cour souscrit à cette approche, et elle estime que les requérants auraient en effet pu, dans un premier temps, demander à être entendus au moment où la juridiction d’appel les a informés de l’existence d’un recours à l’encontre du jugement du 25 juin 2008. Elle rejette sur ce point l’argument des requérants, qui se sont retranchés derrière les limitations du code de procédure pénale. Comme rappelé par la haute juridiction, il est suffisamment avéré que la jurisprudence constitutionnelle permet de réadministrer les preuves de nature personnelle (tels les témoignages) déjà administrées devant la juridiction de première instance en cas de contestation de faits établis (paragraphe 18 ci‑dessus).

38. Par ailleurs, la Cour note, à l’instar de la haute juridiction, que, après l’audition des témoins devant l’Audiencia provincial, le représentant des requérants a omis de proposer l’interrogatoire de ses clients, alors que celui‑ci lui aurait permis de contester les déclarations desdits témoins.

39. La Cour revient ensuite sur la question de savoir si, en l’espèce, l’audience des accusés en appel constituait une exigence dérivée des droits de la défense. À cet égard, il convient de se référer au raisonnement du Tribunal constitutionnel, qui, après avoir cité exhaustivement la jurisprudence de la Cour, a considéré que la juridiction d’appel avait effectué une nouvelle appréciation des faits établis par le juge pénal et qu’il était par conséquent nécessaire d’entendre les requérants. Après avoir analysé de manière très détaillée les démarches entreprises par l’Audiencia provincial, le Tribunal constitutionnel a estimé, au moyen d’arguments qui ne peuvent être considérés comme arbitraires ou déraisonnables, que l’assignation personnelle des requérants, décidée d’office par la juridiction d’appel, avait permis à ces derniers d’être entendus et avait par conséquent garanti le droit des intéressés à se défendre. La Cour souscrit à cette conclusion et est d’avis qu’aucun manque de diligence ne peut être reproché à l’Audiencia provincial quant au droit des requérants à ce que leur cause soit entendue équitablement. En effet, eu égard à la nature des questions soulevées en appel (lesquelles incluaient l’administration de nouvelles preuves), l’Audiencia, à sa propre initiative, a procédé à convoquer personnellement les requérants à l’audience publique, ce qui leur aurait permis d’intervenir, si tel avait été leur souhait. Le premier requérant ne s’est pas présenté à l’audience, sans que son représentant ait justifié l’absence (paragraphe 7 ci-dessus). Quant au deuxième requérant, il était présent à l’audience avec son représentant, mais n’a pas souhaité intervenir. La Cour prend note de ces éléments et considère que ce sont les requérants eux-mêmes qui ont renoncé à l’exercice de cette possibilité offerte par l’Audiencia provincial (voir, mutatis mutandis, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 45-46 et 51, 26 avril 2016).

40. La Cour estime enfin nécessaire d’examiner le grief des requérants portant sur la nécessité d’administrer à nouveau la totalité des preuves déjà administrées devant le juge pénal. Elle rappelle que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, et Heglas c. République tchèque, no 5935/02, § 84, 1er mars 2007). En effet, la tâche de la Cour consiste à examiner si la procédure, y compris le mode d’obtention des preuves, a été équitable dans son ensemble.

41. À la lumière des arguments qui précèdent, la Cour n’aperçoit pas de raisons valables de s’écarter des conclusions auxquelles sont parvenues les juridictions internes, et, en particulier, le Tribunal constitutionnel. En effet, les requérants avaient la possibilité d’être présents à l’audience et de s’exprimer à cette occasion sur la nouvelle appréciation des faits, mais ils n’en ont pas fait usage. Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 septembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş AracıHelena Jäderblom
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-166742
Date de la décision : 20/09/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : HERNANDEZ ROYO
Défendeurs : ESPAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TREBOLLE LAFUENTE E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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