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13/10/2015 | CEDH | N°001-157793

CEDH | CEDH, AFFAIRE RIZA ET AUTRES c. BULGARIE, 2015, 001-157793


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

(Requêtes no 48555/10 et 48377/10)

ARRÊT

STRASBOURG

13 octobre 2015

DÉFINITIF

13/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Riza et autres c. Bulgarie,

en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,

Nona Tsotsoria,

Zdravka Kalaydjieva
Krzysztof Wojtyczek, jug

es,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à c...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

(Requêtes no 48555/10 et 48377/10)

ARRÊT

STRASBOURG

13 octobre 2015

DÉFINITIF

13/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Riza et autres c. Bulgarie,

en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,

Nona Tsotsoria,

Zdravka Kalaydjieva
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes dirigées contre la République de Bulgarie : la première, no 48555/10, introduite par un citoyen bulgare, M. Rushen Mehmed Riza, et un parti politique bulgare, Dvizhenie za Prava i Svobodi (Mouvement pour les droits et libertés – « le DPS ») et la seconde, no 48377/10, introduite par 101 autres ressortissants bulgares, dont les noms, dates de naissance et lieux de résidence figurent en annexe. La Cour a été saisie de ces deux requêtes le 14 août 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Tous les requérants ont été représentés par Me S.O. Solakova, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agentes, Mmes N. Nikolova et A. Panova, du ministère de la Justice.

3. M. Riza et le DPS, d’une part, et les 101 autres requérants, d’autre part, alléguaient en particulier que la décision de la Cour constitutionnelle bulgare d’annuler les résultats électoraux dans 23 bureaux de vote ouverts à l’étranger lors des élections législatives bulgares de 2009 avait porté une atteinte injustifiée respectivement à leur droit de se porter candidat et à leur droit de voter, droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.

4. Le 4 avril 2011, la requête no 48555/10, introduite par M. Riza et le DPS, a été communiquée au Gouvernement. Le 8 juillet 2014, la requête no 48377/10, introduite par 101 ressortissants bulgares, a également été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond des requêtes.

5. Le 10 février 2015, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes, comme le lui permet l’article 42 § 1 du règlement de la Cour et d’inviter la juge élue au titre de la Bulgarie, Z. Kalaydjieva, de participer à l’examen ultérieur de l’affaire en vertu de l’article 26 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Le contexte général de l’affaire

6. Les 101 requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants bulgares d’origine turque ou/et de confession musulmane qui résident ou ont résidé en Turquie. Ils ont tous exercé leur droit de vote lors des élections législatives bulgares de 2009 dans 17 des bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, pour lesquels les résultats électoraux ont par la suite été contestés par le parti politique RZS et annulés par la Cour constitutionnelle bulgare.

7. Selon les données officielles du dernier recensement de la population effectué en Bulgarie en 2011, 588 318 personnes ont déclaré appartenir à l’ethnie turque, soit 8,8 % des personnes ayant répondu à cette question, et 577 139 personnes ont déclaré être de confession musulmane. Depuis la fin des années 1980, les membres de ces communautés ont été impliqués dans d’importants mouvements migratoires à la suite desquels plusieurs d’entre eux se sont installés en Turquie. La Cour ne dispose pas d’informations provenant de sources officielles sur le nombre exact des citoyens bulgares d’origine turque ou de confession musulmane résidant, de manière temporaire ou permanente, en Turquie. Les estimations de ce nombre varient considérablement et se situent, en général, entre 300 000 et 500 000 personnes, toutes classes d’âge confondues.

8. Le DPS fut fondé en 1990. Ses statuts le définissent comme un parti politique libéral qui a pour but de contribuer à l’unité de tous les citoyens bulgares et à la protection des droits et libertés des minorités en Bulgarie tels que garantis par la Constitution et les lois nationales ainsi que par les instruments internationaux ratifiés par la République bulgare.

9. Dès sa création, le DPS participa à toutes les élections législatives et municipales en Bulgarie. Il fit élire des députés au Parlement national à toutes les élections législatives organisées depuis 1990. Entre 2001 et 2009, il participa à deux gouvernements de coalition successifs. Plusieurs de ses dirigeants et adhérents appartiennent aux minorités turque et musulmane de Bulgarie.

10. M. Riza est né en 1968 et réside à Sofia. Membre du DPS, il en est également l’un des vice-présidents et il est membre du bureau exécutif central du parti. Il est actuellement député à l’Assemblée nationale, élu sur la liste de son parti.

11. Ces deux requérants affirment que la majorité des citoyens bulgares qui résident actuellement en Turquie ont voté pour le DPS aux élections législatives organisées au cours des vingt dernières années.

B. Les élections législatives bulgares du 5 juillet 2009

12. Par un décret du 28 avril 2009, le président bulgare fixa au 5 juillet 2009 la date des élections de la 41e Assemblée nationale. La loi électorale introduisit pour la première fois un système électoral mixte : 31 députés devaient être désignés au scrutin majoritaire dans des circonscriptions uninominales et 209 à la proportionnelle au niveau national dans 31 circonscriptions plurinominales.

13. Les citoyens bulgares résidant à l’étranger avaient le droit de voter aux élections législatives, mais uniquement pour les partis et coalitions, et leurs voix étaient prises en compte dans la répartition proportionnelle des mandats entre les formations politiques au niveau national (paragraphe 64 ci-dessous). Après avoir reçu l’accord des autorités compétentes des pays concernés, les représentations diplomatiques bulgares ouvrirent 274 bureaux de vote dans 59 pays, dont 123 en Turquie.

14. Le 20 mai 2009, la commission électorale centrale enregistra le DPS comme participant aux élections législatives. Le DPS présenta des listes de candidats dans plusieurs circonscriptions plurinominales et uninominales. Il fut également inclus dans le bulletin conçu pour le vote des citoyens bulgares résidant à l’étranger. M. Riza fut placé en deuxième position sur la liste des candidats de son parti pour la 8e circonscription plurinominale (Dobrich).

15. Parmi les 101 requérants (voir la liste en annexe), 13 requérants (nos1, 13, 17, 21, 26, 30, 39, 51, 59, 74, 75, 89 et 94) soutiennent qu’ils avaient tous remis en personne des déclarations préalables d’intention de vote dans les représentations diplomatiques bulgares en Turquie. Les diplomates bulgares leur auraient demandé de participer à des commissions électorales locales à Istanbul, Bursa, Çerkezköy, Çorlu et İzmir en tant que présidents, secrétaires ou membres ordinaires, ce qu’ils auraient accepté. Ils auraient été convoqués le 4 juillet 2009 dans les locaux des représentations diplomatiques et consulaires bulgares, où des diplomates bulgares les auraient renseignés sur les formalités à respecter au cours de la journée électorale, notamment sur la manière de remplir les listes électorales. Certains requérants affirment qu’ils n’ont reçu à ce sujet qu’une seule instruction, qui serait la suivante : les personnes se présentant le jour du scrutin sans être préinscrites devaient être inscrites sur les pages additionnelles de la liste des électeurs et le dernier nom ajouté le jour du scrutin devait être suivi d’un « Z ».

16. Ces 13 requérants soutiennent que leur nom ne figurait pas sur la liste du bureau de vote où ils devaient officier en tant que membre d’une commission électorale. Ils indiquent tous avoir voté dans leurs bureaux de vote respectifs en se faisant inscrire le jour du scrutin et en apposant leur signature en face de leurs nom et prénom. Ils assurent en outre avoir soigneusement marqué leur choix sur leur bulletin de vote sans y apposer d’autres signes et avoir glissé celui-ci dans l’urne.

17. Les 13 requérants exposent par ailleurs que la journée électorale s’est déroulée sans problème particulier. Ils indiquent que leurs commissions respectives étaient composées de ressortissants bulgares habitant leurs villes respectives et de représentants du ministère bulgare des Affaires étrangères. Selon ces requérants, certains bureaux de vote ont reçu la visite de l’ambassadeur et du consul général bulgare, d’autres ont fait l’objet de reportages réalisés par des équipes de la télévision et de la radio publiques bulgares, et aucune irrégularité n’a été constatée. À la fin de la journée électorale, les commissions locales auraient procédé au dépouillement, rempli les procès-verbaux nécessaires et remis les papiers électoraux aux représentants diplomatiques bulgares.

18. Les 88 autres requérants affirment qu’à l’époque des faits ils résidaient en Turquie. Quelques-uns d’entre eux auraient envoyé des déclarations préalables d’intention de vote aux représentations diplomatiques bulgares, mais on ne leur aurait pas indiqué en retour dans quel bureau de vote ils pouvaient voter. Le jour du scrutin, tous ces requérants se seraient ainsi présentés dans le bureau de vote le plus proche dans leurs villes respectives. Leur nom aurait été ajouté de façon manuscrite aux listes d’électeurs et, après avoir exercé leur droit de vote, ils auraient apposé leur signature à côté de leur nom.

19. D’après les informations disponibles sur le site de la commission électorale centrale ([http://pi2009.cik.bg](http://pi2009.cik.bg)), à l’issue des élections du 5 juillet 2009, six partis et coalitions politiques ont dépassé le seuil de 4 % des votes exprimés et ont été intégrés dans la répartition proportionnelle des mandats à l’Assemblée nationale : le parti GERB, la Coalition pour la Bulgarie, le parti DPS, le parti Ataka, la Coalition bleue et le parti RZS.

20. Le DPS totalisa 610 521 voix, soit 14,45 % des suffrages valides, ce qui lui conféra la position de troisième parti politique du pays. Il obtint 61,18 % des votes à l’étranger, soit 93 926 voix, dont 88 238 dans les bureaux ouverts sur le territoire turc. Il emporta largement les élections dans les 17 bureaux de vote – à Istanbul, Bursa, Çerkezköy, Çorlu et İzmir – où les 101 requérants avaient voté. Par une décision du 7 juillet 2009, la commission électorale centrale attribua au DPS 33 mandats au Parlement en application du système proportionnel de représentation, auxquels s’ajoutèrent cinq mandats remportés dans les circonscriptions uninominales au scrutin majoritaire.

21. À la suite de la répartition des mandats obtenus par le DPS au niveau national dans les 31 circonscriptions plurinominales, le parti fit élire un seul député dans la 8e circonscription. Toutefois, à la suite d’un recours introduit devant la Cour constitutionnelle par une autre formation politique, la Coalition bleue, et d’un recomptage des voix dans un bureau de vote de la 19e circonscription, la commission électorale centrale procéda à une nouvelle répartition entre les 31 circonscriptions plurinominales des mandats obtenus par les partis politiques au niveau national. Le DPS obtint alors un deuxième mandat dans la 8e circonscription, où M. Riza figurait en deuxième position sur sa liste de candidats, et perdit un des deux mandats initialement remportés dans la 19e circonscription plurinominale. Le 12 octobre 2009, M. Riza fut déclaré élu à l’Assemblée nationale. Il prêta serment en tant que député et devint membre du groupe parlementaire de son parti. Le 20 janvier 2010, il fut élu membre de la commission parlementaire d’éthique et de lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts.

C. La procédure de contestation des résultats électoraux devant la Cour constitutionnelle

1. L’introduction du recours par le parti RZS

22. Le 21 juillet 2009, le président et trois membres du parti politique RZS (Red, Zakonnost, Spravedlivost – « le Parti de l’ordre, de la légalité et de la justice »), tendance droite conservatrice, demandèrent au procureur général d’introduire devant la Cour constitutionnelle le recours prévu par l’article 112 de la loi électorale en vue de faire annuler l’élection de sept députés du DPS, en raison de plusieurs irrégularités qui auraient eu lieu dans les 123 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. Les quatre demandeurs dénonçaient plusieurs violations de la législation électorale en relation avec la constitution desdits bureaux de vote et le déroulement du scrutin dans ceux-ci : la règle imposant l’ouverture d’un bureau de vote pour chaque centaine de déclarations préalables d’intention de vote n’aurait pas été respectée sur le territoire turc ; certains électeurs auraient exercé leur droit de vote une fois sur le territoire national et une deuxième fois dans un bureau de vote ouvert sur le territoire turc ; des données inexactes auraient été consignées dans les procès-verbaux rédigés par les commissions électorales concernant le nombre des votants dans les bureaux de vote en question ; 23 de ces bureaux auraient accueilli plus de 1 000 électeurs, ce qui aurait été impossible dans la pratique, compte tenu de la durée de la journée électorale et du temps nécessaire pour l’accomplissement des formalités nécessaires pour chaque électeur ; et les commissions électorales de ces bureaux de vote auraient dans certains cas admis dans l’isoloir des personnes sans pièce d’identité bulgare valide. Les demandeurs invitaient la Cour constitutionnelle à vérifier l’authenticité des demandes préalables de vote émises sur le territoire turc, à effectuer des vérifications des listes électorales établies sur le territoire bulgare où les personnes désirant voter en Turquie avaient leur adresse permanente et à constater la nullité des procès-verbaux rédigés par les commissions électorales responsables des bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. D’après les demandeurs, le grand nombre d’irrégularités commises dans le processus électoral dans les 123 bureaux de vote en question imposait l’annulation des voix obtenues dans ceux-ci, annulation qui aurait entraîné la modification des résultats électoraux et le retrait des mandats à sept députés du DPS.

23. Le 22 juillet 2009, le procureur général transmit la demande du dirigeant et des membres du parti RZS à la Cour constitutionnelle.

2. La phase initiale de la procédure devant la Cour constitutionnelle

24. Le 11 août 2009, la Cour constitutionnelle déclara ce recours recevable et désigna comme parties à la procédure l’Assemblée nationale, le Conseil des Ministres, le ministère des Affaires étrangères, la commission électorale centrale, la direction nationale responsable des données concernant l’état civil des citoyens et deux organisations non gouvernementales. Elle adressa des copies de la demande et des documents pertinents aux parties à la procédure et leur accorda vingt jours pour présenter leurs observations sur le fond de l’affaire. Elle demanda à la direction nationale responsable des données concernant l’état civil des citoyens d’établir combien d’électeurs avaient voté une fois sur le territoire national et une deuxième fois sur le territoire turc, et l’invita à présenter des copies certifiées des listes des votants et des procès-verbaux de vote des bureaux ouverts sur le territoire turc. Le président de la Cour constitutionnelle, R.Y., et le juge B.P. signèrent la décision de recevabilité, tout en exprimant une opinion séparée. Ils soutinrent que le procureur général aurait dû saisir la juridiction constitutionnelle d’une demande motivée et non pas simplement transmettre la demande d’annulation formée par le parti politique RZS.

3. Les premières observations écrites du groupe parlementaire du DPS

25. Le 18 septembre 2009, le groupe parlementaire du DPS à l’Assemblée nationale présenta ses observations écrites sur l’affaire. En premier lieu, il contestait la recevabilité du recours formé par les quatre demandeurs. Selon eux : le procureur général avait omis de procéder à une appréciation préalable du bien-fondé de ladite demande et l’avait simplement transmise à la Cour constitutionnelle ; le recours avait été introduit tardivement, après la prestation de serment des députés visés ; les sept députés du DPS mentionnés dans la demande avaient été désignés de manière aléatoire puisque les votes à l’étranger auraient compté uniquement pour la répartition proportionnelle des mandats entre les différents partis au niveau national et non pour telle ou telle liste de candidats. En second lieu, le groupe parlementaire du DPS soutenait que la demande était mal fondée pour les raisons suivantes : les conditions légales pour la constitution des 123 bureaux de vote en cause auraient été remplies ; les cas de double vote auraient été très peu nombreux et, en raison du secret du scrutin, il aurait été impossible de déterminer pour quel parti exactement ces personnes avaient voté ; le nombre de personnes figurant sur les listes électorales additionnelles établies le jour même du scrutin aurait été supérieur à celui des électeurs préinscrits au motif que le nombre de personnes désirant exercer leur droit de vote aurait largement dépassé le nombre d’électeurs ayant manifesté préalablement leur intention de voter à l’étranger ; dans plusieurs des bureaux de vote ouverts à l’étranger, le nombre de votants aurait dépassé le millier de personnes et cela n’aurait pas été le cas uniquement dans les bureaux de vote ouverts en Turquie.

4. Les rapports d’expertise recueillis par la Cour constitutionnelle

26. Le 6 octobre 2009, à la demande de RZS, la Cour constitutionnelle ordonna une triple expertise qui devait permettre de répondre aux questions suivantes : i) quel était le nombre de déclarations préalables d’intention de vote soumises pour le territoire turc, de quelles villes provenaient-elles et leur nombre correspondait-il au nombre des bureaux de vote constitués ? ii) les pièces d’identité des électeurs ayant voté dans les 123 bureaux de vote en question étaient-elles en cours de validité ? iii) les nombres de votants consignés dans les procès-verbaux rédigés le jour des élections correspondaient-ils au nombre total des électeurs préinscrits et des personnes inscrites sur les listes le jour du vote, et y avait-il des bureaux de vote où aucune des personnes préinscrites n’avait exercé son droit de vote ? iv) quel était le nombre maximum de personnes qui pouvaient voter dans un bureau de vote pendant la journée électorale ? Les trois experts furent autorisés à consulter tous les documents relatifs aux élections sur le territoire turc qui avaient été remis à la commission électorale centrale par le service diplomatique du ministère des Affaires étrangères.

27. Le rapport initial d’expertise fut soumis à la Cour constitutionnelle quelque temps après. Les experts y indiquaient qu’il y avait eu au total 27 235 déclarations préalables d’intention de vote pour le territoire turc : 5 127 de ces déclarations avaient été reçues à l’ambassade de Bulgarie à Ankara, 15 556 au consulat général à Istanbul et 6 552 au consulat général à Edirne. Les services diplomatiques bulgares avaient ouvert 28 bureaux de vote dans la région d’Ankara, 72 dans la région d’Istanbul et 23 dans la région d’Edirne. Les experts constataient que certains bureaux de vote avaient été ouverts sans que le nombre minimum de 100 déclarations d’intention de vote eût été atteint.

28. Les experts ne furent pas en mesure de répondre à la deuxième question, relative à la validité des pièces d’identité bulgares des votants en Turquie. Ils indiquèrent que l’accomplissement de ces vérifications aurait pris un temps considérable et aurait nécessité un accès à la base de données de la population administrée par le ministère de l’Intérieur. Ils observèrent de surcroît que, dans plusieurs cas, les commissions électorales locales avaient simplement mentionné le type de document présenté, carte d’identité ou passeport, sans en consigner le numéro.

29. Concernant la troisième question, les experts répondirent qu’il y avait de très légères différences – entre une et cinq personnes – entre les nombres de votants consignés dans les procès-verbaux de vote et les nombres de votants inscrits sur les listes électorales. D’après les experts, il pouvait s’agir d’omissions par inadvertance. Par ailleurs, toujours selon eux, dans 116 bureaux de vote, les listes électorales additionnelles, dressées le jour même du scrutin et contenant les données des personnes qui s’étaient présentées ce jour-là sans avoir été préinscrites, ne portaient pas les signatures du président et du secrétaire de la commission électorale locale. Les experts notaient que les données personnelles des électeurs figurant sur ces listes avaient été écrites à la main et apparemment sans précipitation, ce qui aurait nécessité un temps considérable. Ils indiquent en outre que, dans un certain nombre de bureaux de vote, aucune des personnes préinscrites n’avait voté. Concernant quelques autres bureaux de vote, il n’y aurait pas eu de procès-verbal archivé ou la première page de celui-ci aurait manqué.

30. Quant à la quatrième question posée par la Cour constitutionnelle, les experts conclurent, sur la base d’une reconstitution des formalités nécessaires pour accueillir un électeur et recueillir son bulletin, que le temps minimum nécessaire pour voter était de l’ordre de cinquante secondes. Compte tenu de la durée totale de la journée électorale, à savoir treize heures, les experts estimaient qu’un bureau de vote pouvait accueillir au maximum 936 électeurs. Le nombre maximum de votants ainsi établi avait été dépassé dans 30 des bureaux de vote ouverts en Turquie.

31. La direction nationale responsable des données concernant l’état civil des citoyens soumit à la Cour constitutionnelle les résultats de son enquête sur les cas de double vote. Elle indiqua que 174 personnes avaient voté plusieurs fois et que 79 doubles votes avaient été constatés sur le territoire turc.

32. Le 27 janvier 2010, la Cour constitutionnelle décida d’interroger les trois experts sur un point supplémentaire : elle leur demanda de recalculer les résultats électoraux en supprimant la totalité des voix obtenues dans 23 bureaux de vote et une partie de celles recueillies dans un autre bureau, tous sur le territoire turc. Il s’agissait notamment de : i) toutes les voix de 18 bureaux de vote où aucun des votants préinscrits n’avait voté et où les listes additionnelles des votants ne portaient pas les signatures des membres des commissions électorales locales et, de ce fait, n’avaient pas la force probante de documents officiels ; ii) toutes les voix d’un bureau où il manquait le procès-verbal de vote ; iii) toutes les voix de deux autres bureaux de vote où la première page des procès-verbaux était manquante ; iv) toutes les voix d’un bureau où il manquait la liste des électeurs préinscrits ; v) 86 voix pour le DPS de personnes figurant sur la liste additionnelle non signée d’un autre bureau où ce parti avait recueilli toutes les voix et où 124 personnes préinscrites avaient voté ; vi) toutes les voix d’un autre bureau de vote où la liste des électeurs préinscrits n’avait pas été archivée et où la liste électorale additionnelle n’avait pas été signée par les membres de la commission électorale locale.

33. Le 2 février 2010, les experts présentèrent leurs conclusions supplémentaires à la Cour constitutionnelle. Dans la partie introductive du rapport, ils précisaient qu’ils étaient appelés à soustraire du résultat électoral les voix obtenues dans les bureaux où : i) aucun des électeurs préinscrits n’avait voté et la liste électorale additionnelle ne portait pas les signatures des membres de la commission électorale locale ; ii) le procès-verbal de vote n’avait pas été archivé ; iii) il manquait la première page du procès‑verbal de vote. Le rapport présentait les estimations concernant les voix recueillies dans 23 bureaux de vote : i) dans 18 de ces bureaux, aucun des électeurs préinscrits n’avait voté et la liste additionnelle des électeurs n’était pas signée ; ii) pour un autre bureau de vote, il n’y avait pas de procès-verbal archivé et la liste additionnelle des électeurs n’était pas signée ; iii) pour trois autres bureaux, il manquait la première page du procès-verbal et la liste additionnelle des électeurs n’était pas signée ; iv) le procès-verbal d’un autre bureau de vote ne mentionnait pas sur sa première page le nombre de personnes qui avaient voté et aucun des électeurs préinscrits n’avait voté. Les experts estimèrent qu’il fallait exclure des résultats électoraux un total de 18 351 voix, dont 18 140 pour le DPS. La commission électorale centrale procéda à la nouvelle répartition provisoire des mandats entre les partis politiques sur la base du rapport d’expertise.

5. Les autres observations et demandes écrites adressées à la Cour constitutionnelle

34. Le 9 février 2010, le groupe parlementaire du DPS déposa des observations supplémentaires dans lesquelles il contestait le choix des critères définis par la Cour constitutionnelle pour exclure du comptage des voix les votes des bureaux susmentionnés. Les députés du DPS indiquaient que le résultat du vote était déterminé sur la base des données figurant dans les procès-verbaux de vote et non sur celle des listes électorales. Ils ajoutaient que la législation électorale n’imposait pas au président et au secrétaire des commissions électorales locales constituées à l’étranger d’apposer leur signature au bas des listes additionnelles des votants dressées le jour du scrutin. En tout état de cause, d’après eux, les omissions des membres de l’administration électorale ne pouvaient pas entraîner l’annulation des votes des électeurs.

35. Le 15 février 2010, la commission électorale centrale présenta ses conclusions à la juridiction constitutionnelle. Elle y précisait que, selon les projections mathématiques, l’annulation des voix recueillies dans les 23 bureaux de vote visés dans les conclusions supplémentaires des experts entraînerait pour le DPS la perte d’un mandat qui serait attribué au parti politique GERB et que, dans la 8e circonscription plurinominale, le candidat du DPS placé en deuxième position sur la liste du parti, M. Riza, perdrait son mandat de député.

36. La commission électorale centrale adressa à la Cour constitutionnelle les observations formulées par cinq de ses 25 membres sur le fond de l’affaire. Ces cinq membres y émettaient l’avis que les arguments mis en avant par les demandeurs et les conclusions des experts ne pouvaient pas justifier une éventuelle annulation des suffrages recueillis dans les bureaux de vote en cause. Ils exposaient en particulier que les listes de votants pour les bureaux ouverts à l’étranger avaient été dressées par les représentants diplomatiques bulgares accrédités sur la base des déclarations préalables d’intention de vote qu’ils auraient obtenues. Ils indiquaient que, cependant, aucune information préalable n’avait été donnée quant à la répartition des électeurs en question dans les bureaux de vote, les intéressés pouvant se rendre dans tout bureau de vote ou choisir de ne pas voter du tout, ce qui expliquait à leurs yeux pourquoi dans certains bureaux aucun électeur de la liste principale n’avait voté. Les membres de la commission électorale estimaient que cela ne devait pas entraîner l’invalidation des bulletins des autres électeurs qui avaient voté dans le même bureau. Ils précisaient que, selon la législation interne, les documents électoraux devaient être empaquetés et scellés par les commissions électorales locales puis envoyés à la commission électorale centrale. Toutefois, à la réception des documents électoraux venant de Turquie, il aurait été constaté que les emballages contenant les documents avaient déjà été ouverts puis scellés une deuxième fois par les services diplomatiques du ministère des Affaires étrangères. En tout état de cause, l’absence, par la faute des services diplomatiques bulgares ou des membres des commissions électorales locales, de documents électoraux provenant de l’étranger n’aurait pas été de nature à justifier l’annulation des voix recueillies dans ces bureaux, étant donné que les résultats électoraux venant de l’étranger se seraient basés sur les données transmises par des télégrammes diplomatiques envoyés à la commission électorale centrale. Enfin, les membres de la commission électorale, se référant à la législation interne, estimaient que l’absence de la signature d’un membre de la commission électorale sur un procès-verbal de vote ou sur les documents l’accompagnant n’invalidait pas celui-ci et ne constituait pas un motif d’annulation des votes du bureau concerné. D’après eux, le nouveau calcul des résultats électoraux était fondé sur des arguments qui n’avaient pas été invoqués dans la demande adressée à la Cour constitutionnelle.

37. Le 15 février 2010, le DPS et six de ses députés demandèrent à la Cour constitutionnelle l’autorisation de se constituer partie à la procédure en cause. Dans cette demande, le DPS indiquait endosser entièrement les observations soumises par son groupe parlementaire le 18 septembre 2009 et le 9 février 2010. Le 16 février 2010, M. Riza demanda l’autorisation de se constituer partie à la procédure. Pour démontrer qu’il avait un intérêt à participer à la procédure en cause, il se référait expressément à l’expertise supplémentaire ordonnée par la haute juridiction et à la nouvelle répartition des mandats effectuée par la commission électorale centrale sur la base des conclusions des experts. Toutes ces demandes restèrent sans réponse.

6. L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010

38. Le 16 février 2010, la Cour constitutionnelle, siégeant en chambre du conseil, adopta sa décision dans l’affaire en cause. Elle prononça son arrêt le même jour.

39. La Cour constitutionnelle rejeta les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le groupe parlementaire du DPS dans ses observations du 18 septembre 2009 (paragraphe 25 ci-dessus). Elle estimait en premier lieu que la procédure de saisine avait été respectée. Elle observait ensuite qu’il s’agissait d’un litige relatif à la contestation de résultats électoraux et non de l’éligibilité d’un candidat, ce qui lui permettait d’examiner l’affaire même si les députés concernés avaient prêté serment et exerçaient déjà leurs fonctions. Elle joignit au fond de l’affaire la troisième exception d’irrecevabilité tirée de l’absence de lien direct entre le vote à l’étranger et l’élection des sept députés du DPS désignés dans la demande initiale. Les juges R.N. et B.P. exprimèrent des opinions séparées quant à la recevabilité de la demande d’annulation des résultats électoraux. Ils estimaient que le procureur général s’était borné à transmettre la demande du parti RZS au lieu de formuler lui-même une demande motivée d’annulation des élections.

40. Jugeant opportun de clarifier d’emblée la portée de l’affaire, la Cour constitutionnelle précisa qu’elle était invitée à constater l’illégalité de l’élection d’un certain nombre de députés du DPS en raison de plusieurs irrégularités qui auraient été commises dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. Selon elle, eu égard à la spécificité du système électoral bulgare, où les voix des citoyens bulgares résidant à l’étranger étaient prises en compte uniquement pour la répartition proportionnelle des mandats entre les partis politiques au niveau national, il n’était pas possible de déterminer par avance quels seraient les députés concernés par l’invalidation d’une partie ou de la totalité des voix sur le territoire turc. Ainsi, dans le cadre de cette affaire, la Cour constitutionnelle estima qu’elle était appelée à déterminer s’il y avait eu des irrégularités sérieuses du processus électoral dans les 123 bureaux de vote ouverts en Turquie. D’après elle, le constat de telles irrégularités pouvait entraîner une modification des résultats électoraux, une nouvelle répartition des mandats entre les partis politiques et l’annulation du mandat des députés qui n’étaient pas expressément visés par la demande initiale introduite par le dirigeant et quelques candidats du parti RZS aux élections législatives.

41. La Cour constitutionnelle rejeta tous les arguments exposés dans la demande introductive d’instance. Elle constata d’abord que l’article 41, alinéa 8, point 3, de la loi électorale donnait carte blanche aux représentants diplomatiques bulgares à l’étranger pour ouvrir autant de bureaux de vote qu’ils le jugeaient nécessaire pour le bon déroulement des élections.

42. Elle estima de surcroît que le point de savoir si tel ou tel électeur avait voté sans pièce d’identité bulgare en cours de validité était dépourvu de pertinence pour l’issue de la procédure, le secret du vote ne permettant pas d’établir pour quel parti exactement la personne concernée avait voté.

43. La Cour constitutionnelle indiqua que les experts avaient constaté que dans certains bureaux de vote aucune personne de la liste électorale principale n’avait voté, alors que dans d’autres bureaux seulement quelques personnes de cette liste avaient voté. Elle précisa que, selon les experts, les noms ajoutés le jour du scrutin étaient écrits lisiblement, apparemment sans précipitation, ce qui semblait quelque peu douteux compte tenu de leur grand nombre et de la pression à laquelle auraient été soumis les membres des commissions électorales ce jour-là. Pour la Cour constitutionnelle, il s’agissait cependant de simples soupçons qui n’auraient pas démontré de manière catégorique que les résultats dans lesdits bureaux de vote avaient été truqués.

44. La Cour constitutionnelle releva aussi que les experts étaient arrivés à la conclusion que le nombre maximal de votants pour un bureau de vote était de 936. Elle estima cependant que, en l’absence d’indications concrètes sur des irrégularités qui auraient été commises lors du processus électoral dans les bureaux où il y avait eu plus de 1 000 électeurs, ce n’était pas une raison pour invalider les résultats électoraux. En tout état de cause, selon elle, le secret du vote ne permettait pas de déterminer pour qui les personnes inscrites après le numéro 936 sur la liste des électeurs avaient voté.

45. Pour ces motifs, la Cour constitutionnelle rejeta la demande d’annulation des mandats des sept députés expressément visés dans la demande initiale du dirigeant et des candidats du parti RZS.

46. Elle décida cependant de soustraire des résultats obtenus respectivement par chacun des partis politiques tous les votes recueillis dans 23 bureaux ouverts en Turquie, soit un total de 18 358 voix, dont 18 140 pour le DPS. Elle indiqua que, dans ces bureaux de vote, aucun électeur préinscrit sur les listes électorales principales n’avait voté, ou qu’il manquait le procès-verbal de vote ou la première page de celui-ci, qui certifiait que les personnes préinscrites avaient voté. Elle précisa que, dans les 23 bureaux en question, les listes additionnelles d’électeurs établies le jour du scrutin ne portaient pas la signature du président et du secrétaire de la commission électorale locale, ce qui ne leur aurait pas conféré la force probante d’un document officiel. Ainsi, pour la Cour constitutionnelle, elles ne pouvaient pas servir de preuve démontrant que les personnes inscrites avaient voté. Cette approche aurait également permis de déterminer combien de voix devaient être soustraites du résultat électoral de chaque parti ou coalition et de procéder à une redistribution des mandats des députés à l’Assemblée nationale.

47. La Cour constitutionnelle rejeta les objections supplémentaires soulevées par le groupe parlementaire du DPS le 9 février 2010 (paragraphe 34 ci-dessus). Elle estima que les irrégularités relevées dans les listes électorales des différents bureaux de vote affectaient également la régularité du procès-verbal rédigé par la commission électorale à l’issue du scrutin puisque ce procès-verbal contenait les données relatives au nombre exact des personnes qui avaient voté dans le bureau en question et que c’était sur la base de ce document que les résultats électoraux avaient été déterminés. S’il était vrai que la législation interne n’obligeait pas de manière expresse les membres des commissions électorales locales constituées à l’étranger à signer les listes électorales additionnelles, le modèle de liste électorale additionnelle approuvé par le président de la République en application de la loi électorale prévoyait ces signatures. Pour la Cour constitutionnelle, il s’agissait donc d’une condition légale de validité de ces documents officiels. En tout état de cause, la signature constituait l’un des éléments essentiels et évidents de tout document officiel. Ainsi, l’absence de ces signatures sur les listes électorales additionnelles établies dans les 23 bureaux de vote privait ces documents de leur caractère de preuve officielle de l’exercice du droit de vote des personnes inscrites.

48. La Cour constitutionnelle déclara que les votes en question étaient valides au regard de la législation interne, mais qu’ils devaient être soustraits des résultats électoraux en raison de l’irrégularité des listes électorales et des procès-verbaux de vote. Elle estima qu’il fallait procéder à une nouvelle répartition des sièges à l’Assemblée nationale. Pour ces motifs, et après avoir pris en compte les calculs préalables présentés par la commission électorale centrale, la Cour constitutionnelle révoqua les mandats de trois députés au Parlement national, dont celui de M. Riza. Elle enjoignit à la commission électorale centrale de procéder à une nouvelle répartition des sièges à l’Assemblée nationale en soustrayant des résultats électoraux les 18 358 votes émis dans les 23 bureaux de vote en question.

49. En exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, par une décision du 19 février 2010, la commission électorale centrale déclara trois autres candidats élus. En conséquence de cette nouvelle répartition des sièges, le DPS fut le seul parti à perdre un siège de député et le parti GERB, qui avait gagné les élections législatives, obtint un mandat supplémentaire.

D. Les recours introduits par M. Riza et le DPS

50. Le 4 mars 2010, le DPS et trois de ses députés à l’Assemblée nationale introduisirent à leur tour le recours prévu par l’article 112 de la loi électorale et contestèrent la légalité de l’élection des trois députés que la commission électorale centrale avait déclarés élus par sa décision du 19 février 2010. M. Riza introduisit le même recours en son nom.

51. Les 31 mars et 27 avril 2010, la Cour constitutionnelle jugea les deux recours irrecevables au motif que le litige en cause avait déjà fait l’objet d’une procédure devant elle, qui avait abouti à son arrêt du 16 février 2010.

E. Autres circonstances pertinentes

52. La 41e Assemblée nationale, constituée après les élections législatives du 5 juillet 2009, exerça ses fonctions jusqu’au 15 mars 2013, date à laquelle elle fut dissoute par décret présidentiel.

53. Le 12 mai 2013 eurent lieu les élections pour la 42e Assemblée nationale. Lors de ces élections, le DPS obtint 400 460 voix, soit 11,31 % des suffrages valablement exprimés. Il obtint 51 784 voix sur le territoire de la Turquie. Il fit élire 36 députés à l’Assemblée nationale et constitua le troisième groupe parlementaire. M. Riza fut élu député de la 8e circonscription plurinominale, où il était tête de liste de son parti.

54. La légalité de ces élections législatives, concernant en particulier les bureaux de vote ouverts sur le territoire de la Turquie, fut contestée devant la Cour constitutionnelle par un groupe de 48 députés du parti GERB. Ces députés demandèrent l’annulation des élections dans les 86 bureaux de vote ouverts en Turquie en raison de plusieurs irrégularités alléguées du processus électoral : selon eux, les bureaux de vote avaient été constitués sur la base de déclarations préalables d’intention de vote qui auraient été falsifiées ; ils avaient ouvert leurs portes en l’absence du nombre minimum requis des membres des commissions électorales ; des personnes non identifiées avaient sillonné les quartiers peuplés de citoyens bulgares en Turquie, avaient obtenu les cartes d’identité bulgares de plusieurs électeurs et les leur avaient restituées la veille des élections en leur disant qu’ils avaient voté ; plusieurs électeurs n’avaient pas présenté de pièce d’identité bulgare valide ; le nombre de votants dans un certain nombre de bureaux avait dépassé 936, ce qui aurait été irréaliste compte tenu du temps nécessaire pour l’accomplissement des formalités liées au processus électoral ; il y avait eu plusieurs cas de double vote ; les listes des électeurs inscrits le jour du scrutin n’avaient pas été correctement remplies et n’avaient pas été signées par le président et les autres membres de la commission électorale. La demande en cause se référait expressément à la motivation de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010.

55. Par un arrêt du 28 novembre 2013, la Cour constitutionnelle rejeta le recours des 48 députés du parti GERB. Elle examina et rejeta, sur la base des preuves recueillies, toutes les allégations de violation de la législation électorale soulevées par les demandeurs. Elle constata, entre autres, que les membres compétents de toutes les commissions électorales constituées sur le territoire de la Turquie avaient apposé leur signature à la fin des listes des électeurs ajoutés le jour du scrutin, ce qui conférait à ces documents la force probante de documents officiels.

56. Au cours de la 42e législature, le DPS participa à la création d’un gouvernement de coalition qui démissionna en juillet 2014. À la suite de ces événements, la 42e Assemblée nationale fut dissoute le 6 août 2014 par décret présidentiel.

57. Les élections pour la 43e Assemblée nationale eurent lieu le 5 octobre 2014. Le DPS obtint 487 134 voix, soit 14,84 % des votes valablement exprimés, et fit élire 38 députés au Parlement. Aucun recours recevable ne fut intenté devant la Cour constitutionnelle pour contester ces résultats électoraux. Le DPS est actuellement le troisième parti politique du pays et le deuxième parti d’opposition.

58. M. Riza fut élu député à la 8e circonscription où il était tête de liste du DPS.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La loi électorale de 2001

59. À l’époque des faits, l’élection des députés au Parlement national était régie par la loi électorale de 2001, qui fut modifiée à plusieurs reprises.

60. L’article 5 de la loi autorisait le président à fixer la date des élections législatives et à approuver les modèles des différents documents électoraux.

61. Par un décret du 7 mai 2009, paru au Journal officiel le lendemain, le président bulgare a approuvé les modèles des différents documents électoraux.

1. Le système électoral bulgare

62. Ladite loi, telle que modifiée en 2009, prévoyait la mise en place d’un système électoral mixte : 31 députés étaient élus au scrutin majoritaire dans des circonscriptions uninominales et 209 au scrutin proportionnel dans 31 circonscriptions plurinominales en fonction des votes obtenus par les listes des candidats des partis politiques participant aux élections (article 6, alinéas 1-3, de la loi).

63. Les 209 sièges obtenus selon le système proportionnel étaient répartis d’après la méthode de Hare-Niemeyer (article 6, alinéa 5, de la loi) en trois étapes successives : 1) répartition des sièges entre les partis politiques au niveau national ; 2) répartition des sièges obtenus par chaque parti dans les 31 circonscriptions plurinominales ; 3) répartition des sièges entre les partis politiques dans chaque circonscription plurinominale.

64. Les calculs mathématiques de la première étape répartissaient les 209 mandats entre les partis politiques qui avaient dépassé le seuil de 4 % de tous les votes valides. La somme de tous les votes valides obtenus sur le territoire du pays et à l’étranger par les partis qualifiés était ensuite divisée par 209 afin d’obtenir le quotient électoral nécessaire pour l’attribution d’un siège au Parlement. Ensuite, les votes obtenus par chaque parti étaient divisés par le quotient électoral ainsi obtenu afin de déterminer le nombre de sièges attribués à chacun d’entre eux. Les quelques sièges non attribués à l’issue de ces opérations étaient répartis suivant la méthode du plus fort reste.

65. Les calculs de la deuxième étape répartissaient les mandats obtenus par chaque parti à l’issue de la première étape parmi les 31 circonscriptions électorales. À cette étape, les votes obtenus uniquement sur le territoire du pays par chaque parti étaient divisés par le nombre de sièges attribués à ce parti pour obtenir le quotient électoral nécessaire à l’attribution d’un siège dans les circonscriptions. Ensuite, les votes obtenus par chaque parti dans chaque circonscription étaient divisés par le quotient électoral du parti afin de déterminer le nombre de sièges attribués à ce parti dans chaque circonscription. Les quelques sièges non répartis à l’issue de ces opérations étaient répartis suivant la méthode du plus fort reste. À l’issue de cette deuxième étape, le nombre de mandats préalablement calculés pour les circonscriptions en fonction de la population de celles-ci pouvait soit correspondre au nombre de mandats attribués, soit le dépasser, soit être inférieur. En cas de correspondance des deux nombres, la répartition des mandats dans la circonscription en cause était définitive. L’étape suivante concernait uniquement les circonscriptions où le nombre des mandats répartis ne correspondait pas au nombre des mandats prédéterminés.

66. La troisième étape des calculs permettait d’ajuster le nombre des mandats attribués dans chaque circonscription en fonction de la pondération électorale des sièges obtenus par chaque parti, l’avantage revenant aux sièges ayant le plus grand poids électoral. L’ajustement s’opérait dans les limites du nombre des mandats attribués pour chaque parti au niveau national et du nombre prédéterminé des mandats pour chaque circonscription plurinominale. À l’issue de cette dernière étape de calculs et d’ajustement, les 209 sièges au Parlement étaient répartis dans leur totalité entre les partis politiques et dans les 31 circonscriptions plurinominales du pays.

2. L’administration des élections

67. La loi prévoyait la mise en place d’une administration électorale spécialisée à trois niveaux hiérarchiques : une commission électorale centrale ; 31 commissions électorales régionales (районни избирателни комисии) et des commissions électorales locales pour chaque bureau de vote (секционни избирателни комисии). Les commissions locales comprenaient un président, un vice-président, un secrétaire et des membres ordinaires (article 14 de la loi). Elles étaient composées de représentants de différents partis politiques et la loi interdisait qu’un parti politique fût majoritaire dans la composition d’une commission locale (article 20, alinéa 4, de la loi). Le président et le secrétaire de la commission locale devaient représenter les intérêts des différents partis politiques (ibidem).

68. Les commissions locales étaient chargées de superviser le scrutin dans leurs bureaux de vote respectifs, de procéder au comptage des voix, de dresser un procès-verbal de vote, d’envoyer celui-ci aux commissions régionales et de remettre les bulletins de vote et les autres documents électoraux à l’administration municipale (article 25 de la loi).

3. Les listes électorales et les procès-verbaux de vote

69. Les listes électorales pour chaque bureau de vote ouvert sur le territoire national étaient générées d’office par l’administration municipale en fonction de l’adresse permanente de l’électeur et portaient les signatures du maire et du secrétaire de mairie (article 26, alinéa 1, de la loi électorale). La commission électorale locale était chargée de vérifier si les personnes qui se présentaient pour voter étaient inscrites sur les listes électorales. En vertu du décret présidentiel du 7 mai 2009 approuvant les modèles des documents électoraux, l’administration municipale était obligée de tracer une ligne après le dernier nom porté sur la liste des électeurs préinscrits. Le jour du scrutin, la commission électorale locale avait le droit d’ajouter sous cette ligne le nom de tout électeur qui aurait dû figurer sur la liste électorale en question mais qui avait été omis par l’administration municipale. La liste des électeurs ajoutés « sous ligne » devait être signée par le président et le secrétaire de la commission électorale locale.

70. L’article 36, alinéa 9, de la loi prévoyait également une « liste électorale additionnelle » sur laquelle les commissions électorales locales inscrivaient, le jour du scrutin, tout votant qui ne figurait pas sur la liste des préinscrits et qui était muni d’une autorisation de voter dans un lieu où il n’avait pas son adresse permanente. Cette liste additionnelle devait être signée par le président et le secrétaire de la commission électorale locale (article 36, alinéa 9, de la loi). Le modèle de liste électorale additionnelle, approuvé par le président, prévoyait également la signature du président et du secrétaire de la commission électorale locale.

71. En vertu des articles 92 et 94 de la loi électorale, les commissions locales devaient consigner les résultats du vote de leurs bureaux respectifs dans un procès-verbal de vote établi en trois exemplaires. Celui-ci devait être signé par tous les membres de la commission locale, mais le refus d’un de ses membres de le signer n’en entraînait pas la nullité (article 95, alinéas 1 et 5, de la loi). Avant d’ouvrir l’urne, les membres de la commission locale devaient inscrire dans le procès-verbal les données identifiant le bureau de vote, les heures d’ouverture et de fermeture de celui‑ci, le nombre de votants de la liste des électeurs préinscrits, le nombre de personnes inscrites sur la liste additionnelle établie le jour du scrutin, le nombre total des votants selon les listes, le nombre d’autorisations de vote en dehors du lieu habituel de résidence (article 96 de la loi). Selon le modèle de procès‑verbal de vote approuvé par le président de la République, ces données figuraient sur la première page du document. Le modèle de formulaire prévoyait une case pour le nombre des votants de la « liste principale », c’est-à-dire la liste des préinscrits, une autre case pour le nombre des votants inscrits le jour du scrutin sur la feuille supplémentaire de la « liste principale », c’est-à-dire sur la liste « sous ligne » (paragraphe 69 ci-dessus, in fine) et une case pour la liste électorale additionnelle, c’est‑à-dire le nombre des votants qui avaient au préalable été autorisés à voter dans un lieu autre que celui où ils avaient leur adresse permanente (paragraphe 70 ci‑dessus). Cette première page du procès‑verbal devait être signée par tous les membres de la commission électorale locale.

72. Après le comptage des voix, la commission électorale locale devait consigner les données suivantes dans le procès-verbal de vote : le nombre de bulletins présents dans l’urne ; le nombre de bulletins nuls ; le nombre de bulletins valables ; le nombre de voix pour chaque liste de parti ou candidat ; le nombre de plaintes déposées et de décisions prises sur ces plaintes (article 100 de la loi). Ces données figuraient sur la deuxième page du modèle de procès-verbal approuvé par le président de la République. Cette page devait également porter les signatures des membres de la commission électorale locale.

73. Le président, le secrétaire et un membre de la commission électorale locale devaient remettre ensemble deux exemplaires du procès-verbal ainsi rédigé et signé à la commission électorale régionale. Tous les autres documents électoraux – listes électorales, bulletins, autorisations de vote – devaient être remis à l’administration municipale (article 101 de la loi électorale).

4. Les élections législatives en dehors du territoire national

74. Les citoyens bulgares résidant à l’étranger ne perdent pas leur droit de voter aux élections législatives et ils peuvent exercer leur droit sur le territoire national ou dans les bureaux de vote ouverts à l’étranger.

75. L’article 41, alinéa 8, de la loi électorale autorisait les représentants diplomatiques bulgares à l’étranger à ouvrir des bureaux de vote dans les villes où se trouvaient les missions diplomatiques bulgares, dans les villes pour lesquelles ils avaient reçu au moins cent déclarations préalables d’intention de vote, ainsi que dans toute autre ville à leur discrétion. Ils étaient également responsables de l’établissement des listes électorales sur la base des déclarations préalables d’intention de vote soumises par les citoyens bulgares résidant sur le territoire du pays concerné (article 37, alinéa 1, de la loi). Le second alinéa de l’article 37 permettait aux citoyens bulgares résidant à l’étranger de se faire inscrire sur les listes électorales par les commissions électorales locales le jour du scrutin.

76. Dans un arrêté (решение) du 10 mai 2009, la commission électorale centrale précisa les modalités d’organisation et de déroulement des scrutins à l’étranger. Pour les bureaux de vote ouverts à l’étranger, les commissions électorales locales étaient formées par décision du représentant diplomatique bulgare compétent. Celui-ci était tenu de respecter les règles de composition des commissions électorales prévues par la loi électorale. Néanmoins, ces commissions électorales pouvaient inclure des fonctionnaires de la représentation diplomatique bulgare et des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères.

77. À la fin de la journée électorale, les commissions locales procédaient au comptage des voix et dressaient un procès-verbal qu’elles remettaient avec tous les autres documents électoraux aux services diplomatiques bulgares du pays concerné. Les résultats de chaque bureau de vote ouvert à l’étranger étaient envoyés à la commission électorale centrale par un télégramme diplomatique. Les procès-verbaux de vote ainsi que les autres documents électoraux étaient adressés par les services diplomatiques bulgares à la commission électorale centrale.

B. La contestation des résultats électoraux devant la Cour constitutionnelle

78. En vertu de l’article 149, alinéa 1, point 7, de la Constitution, la Cour constitutionnelle était habilitée à examiner les litiges portant sur la légalité de l’élection des députés à l’Assemblée nationale. L’article 112 de la loi électorale permettait aux candidats aux élections législatives et aux partis politiques ayant participé au scrutin de contester devant la Cour constitutionnelle l’élection d’un ou de plusieurs députés à l’Assemblée nationale dans un délai de quatorze jours à compter de la date de proclamation des résultats électoraux. Ce recours devait être introduit par l’intermédiaire d’un des organes qui avaient le droit de saisir la Cour constitutionnelle : le président, le Conseil des ministres, la Cour suprême de cassation, la Cour suprême administrative, le procureur général ou un cinquième des députés de l’Assemblée nationale.

79. La procédure suivie devant la Cour constitutionnelle est décrite dans la loi sur la Cour constitutionnelle (« la loi ») et dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle (« le règlement »). Les deux textes ont été publiés au Journal officiel.

80. La Cour constitutionnelle dispose du pouvoir discrétionnaire de constituer les parties à la procédure et elle informe celles-ci de l’introduction d’un tel recours (article 21, alinéa 1, du règlement). Elle accorde aux parties un délai pour la présentation des observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 18, alinéa 2, de la loi).

81. La Cour constitutionnelle siège en formation de chambre en l’absence des parties à la procédure, à moins qu’elle ne décide de tenir une audience publique (article 21, alinéa 1, de la loi, et article 27, alinéas 1 et 2, du règlement).

82. Elle peut demander la présentation de tout document ou élément de preuve nécessaire à l’examen de l’affaire et peut ordonner des expertises (article 20 de la loi et article 29, alinéas 2 et 3, du règlement). Les parties à la procédure ont le droit de consulter les preuves recueillies par la Cour constitutionnelle (article 29, alinéa 4, du règlement).

83. La procédure devant la Cour constitutionnelle se déroule en deux phases : la première, consacrée à la recevabilité du recours, et la seconde, concernant le fond de la demande (article 25, alinéa 1, du règlement). Cependant, les questions portant sur la recevabilité du recours peuvent être soulevées et débattues à tout moment de la procédure (alinéa 2 du même article).

84. Les décisions d’irrecevabilité et les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs (article 14, alinéa 5, de la loi, et article 33, alinéa 4, du règlement). Quand la Cour constitutionnelle s’est déjà prononcée par une décision ou par un arrêt sur un litige particulier, elle ne peut plus être saisie d’un recours ayant le même objet (article 21, alinéa 5, de la loi, et article 35, alinéa 2, du règlement).

85. La loi électorale de 2001 ne prévoyait pas la tenue de nouvelles élections en cas d’annulation, par arrêt de la Cour constitutionnelle, du scrutin dans un ou plusieurs bureaux de vote. Le code électoral de 2011, qui a abrogé la loi électorale de 2001, prévoyait, dans son article 264, alinéa 5, la tenue de nouvelles élections parlementaires uniquement en cas d’annulation des résultats électoraux dans leur totalité. En cas d’annulation partielle des résultats électoraux en raison d’une contestation réussie de l’élection de députés individuels, la commission électorale centrale procédait à une nouvelle répartition des sièges au Parlement sans la tenue de nouvelles élections (article 264, alinéa 6, du même code). Cette dernière approche a également été adoptée par le nouveau code électoral de 2014, dans son article 306, alinéas 4 et 5.

C. La contestation des décisions de la commission électorale centrale

86. En vertu de l’article 23, alinéa 1, point 17, de la loi électorale, la commission électorale centrale proclamait les résultats du scrutin et délivrait les certificats nécessaires aux candidats élus à l’Assemblée nationale. Les alinéas 3 et 4 du même article de la loi électorale énuméraient les décisions de cette commission qui pouvaient être contestées devant la Cour administrative suprême ; la décision de proclamation des résultats électoraux n’en faisait pas partie.

87. Le 21 juillet 2009, la Cour administrative suprême fut saisie par un candidat aux élections législatives d’un recours contre une décision de la commission électorale centrale qui avait refusé de rectifier une erreur manifeste de comptage des voix dans sa base de données électronique. Dans un arrêt rendu le 23 juillet 2009 (Решение № 9976 от 23.07.2009г. по адм. д. № 9830/09 на ВАС IV о.), la quatrième section de la haute juridiction administrative observa que les décisions de la commission électorale centrale concernant la rectification d’erreurs manifestes dans sa base de données électronique ne figuraient pas parmi les décisions qui étaient expressément soumises au contrôle de la Cour administrative suprême en vertu de l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi électorale. Cependant, elle se déclara compétente pour examiner l’affaire en question au motif que les alinéas 3 et 4 de l’article 23 de la loi électorale ne créaient pas une exception au principe établi à l’article 120 de la Constitution, selon lequel les citoyens et les personnes morales ont le droit de contester les actes et actions de l’administration qui les concernent. La Cour administrative suprême se prononça ensuite en faveur du plaignant et renvoya le dossier à la commission électorale centrale pour réexamen. Elle observa par ailleurs que si la rectification subséquente du nombre des voix s’avérait décisive pour le résultat final des élections, les personnes concernées pourraient introduire devant la Cour constitutionnelle le recours prévu par l’article 112 de la loi électorale (paragraphe 78 ci-dessus).

D. La subvention de l’État accordée aux partis politiques

88. La loi de 2005 sur les partis politiques prévoit une subvention étatique annuelle pour le fonctionnement des partis politiques qui sont représentés au Parlement, ou qui ont obtenu au moins 1 % des voix aux élections législatives précédentes (articles 25 et 26 de la loi).

89. En vertu de l’article 27, alinéa 1, de la loi, tel qu’il était en vigueur en 2009, la subvention était calculée sur la base de 5 % du salaire minimum brut pour chaque voix valable obtenue aux élections législatives précédentes. À la date du 1er janvier 2010, le salaire minimum s’élevait à 240 levs bulgares (soit environ 122 euros (EUR)).

90. L’article 27, alinéa 1, de cette loi fut modifié le 1er janvier 2012 : la subvention de l’État est toujours proportionnelle au nombre de voix valables obtenues par le parti aux élections précédentes, mais la somme unitaire par voix est désormais fixée annuellement dans le budget de l’État.

III. LES TRAVAUX PERTINENTS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT

91. À ses 51e et 52e sessions des 5 et 6 juillet et 18 et 19 octobre 2002, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission de Venise) a adopté ses lignes directrices en matière électorale et un rapport explicatif précisant celles-ci. Les deux documents susmentionnés constituent ensemble le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, qui a été approuvé en 2003 par l’Assemblée parlementaire et par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

92. Les parties pertinentes de ce code se lisent ainsi :

Lignes directrices

« 2. Le suffrage égal

Le suffrage égal comprend : (...) l’égalité de décompte (...) ; (...) l’égalité de la force électorale (...) ; l’égalité des chances (...).

3.3. L’existence d’un système de recours efficace

a. L’instance de recours en matière électorale doit être soit une commission électorale, soit un tribunal. Un recours devant le Parlement peut être prévu en première instance en ce qui concerne les élections du Parlement. Dans tous les cas, un recours devant un tribunal doit être possible en dernière instance.

b. La procédure doit être simple et dénuée de formalisme, en particulier en ce qui concerne la recevabilité des recours.

c. Les dispositions en matière de recours, et notamment de compétences et de responsabilités des diverses instances, doivent être clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours.

d. L’instance de recours doit être compétente notamment en ce qui concerne le droit de vote – y compris les listes électorales – et l’éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et le résultat du scrutin.

e. L’instance de recours doit pouvoir annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat. L’annulation doit être possible aussi bien pour l’ensemble de l’élection qu’au niveau d’une circonscription ou au niveau d’un bureau de vote. En cas d’annulation, un nouveau scrutin a lieu sur le territoire où l’élection a été annulée.

f. Tout candidat et tout électeur de la circonscription ont qualité pour recourir. Un quorum raisonnable peut être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.

g. Les délais de recours et les délais pour prendre une décision sur recours doivent être courts (trois à cinq jours en première instance).

h. Le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.

i. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions inférieures. »

Rapport explicatif

« 2. Le suffrage égal

10. L’égalité en matière électorale comprend divers aspects. Certains relèvent de l’égalité de suffrage, valeur commune au continent, d’autres vont plus loin et ne peuvent pas être considérés comme la traduction d’une norme générale. Les principes qui doivent être respectés dans tous les cas sont l’égalité de décompte, l’égalité de la force électorale et l’égalité des chances. Par contre, l’égalité des résultats, par la représentation proportionnelle des partis ou des sexes, par exemple, ne peut être imposée. (...)

3.3. L’existence d’un système de recours efficace

92. Afin que les règles du droit électoral ne restent pas lettre morte, leur non-respect doit pouvoir être contesté devant un organe de recours. Cela vaut en particulier du résultat de l’élection, dont la contestation permet d’invoquer les irrégularités dans la procédure de vote ; cela vaut aussi d’actes pris avant l’élection, en particulier en ce qui concerne le droit de vote, les listes électorales et l’éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et l’accès aux médias ou le financement des partis.

93. Deux solutions sont envisageables.

– Les recours sont traités par des tribunaux – ordinaires, spéciaux ou constitutionnels.

– Les instances compétences sont des commissions électorales. Ce système présente de réels avantages du fait que ces commissions sont très spécialisées et, donc, plus au fait des questions électorales que les tribunaux. Il est néanmoins souhaitable, à titre de précaution, de mettre en place une forme de contrôle juridictionnel. Dès lors, le premier degré de recours sera la commission électorale supérieure, et le deuxième le tribunal compétent.

94. Le recours devant le Parlement, comme juge de sa propre élection, est parfois prévu, mais risque d’entraîner des décisions politiques. Il est admissible en première instance là où il est connu de longue date, mais un recours judiciaire doit alors être possible.

95. La procédure de recours devrait être la plus brève possible, en tout cas en ce qui concerne les décisions à prendre avant l’élection. Sur ce point, il faut éviter deux écueils : d’une part, que la procédure de recours retarde le processus électoral ; d’autre part, que, faute d’effet suspensif, les décisions sur recours qui pouvaient être prises avant ne soient prises après les élections. En outre, les décisions relatives aux résultats de l’élection ne doivent pas tarder, surtout si le climat politique est tendu. Cela implique à la fois des délais de recours très courts et que l’instance de recours soit tenue de statuer aussitôt que possible. Les délais doivent cependant être assez longs pour permettre un recours, pour garantir l’exercice des droits de la défense et une décision réfléchie. Un délai de trois à cinq jours en première instance (aussi bien pour recourir que pour statuer) paraît raisonnable pour les décisions à prendre avant les élections. Il est toutefois admissible que les instances supérieures (Cours suprêmes, Cours constitutionnelles) se voient accorder un peu plus de temps pour statuer.

96. Par ailleurs, la procédure doit être simple. La mise à la disposition des électeurs désirant former un recours de formulaires spéciaux contribue à la simplification de la procédure. Il est nécessaire d’écarter tout formalisme, afin d’éviter des décisions d’irrecevabilité, notamment dans les affaires politiquement délicates.

97. En outre, il faut absolument que les dispositions en matière de recours, et notamment de compétence et de responsabilités des diverses instances, soient clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours. Le risque de déni de justice est en effet accru s’il est possible de recourir alternativement auprès des tribunaux et des commissions électorales ou en l’absence de délimitation claire des compétences entre plusieurs tribunaux – par exemple les tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle. (...)

98. Les litiges liés aux listes électorales, qui relèvent par exemple de la compétence de l’administration locale agissant sous contrôle des commissions électorales ou en collaboration avec elles, peuvent être traités par des tribunaux de première instance.

99. La qualité pour recourir doit être reconnue très largement. Le recours doit être ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans celle-ci. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.

100. La procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.

101. Les pouvoirs de l’instance de recours sont également importants. Il doit lui être possible d’annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat, c’est-à-dire modifier la répartition des sièges. Ce principe général doit être affiné, en ce sens que le contentieux de l’annulation ne doit pas forcément porter sur l’ensemble du territoire, voire l’ensemble de la circonscription ; au contraire, l’annulation doit être possible par bureau de vote. Cela permettra à la fois d’éviter deux situations extrêmes : l’annulation de la totalité d’un scrutin alors que les irrégularités sont limitées géographiquement ; le refus d’annuler le scrutin si l’étendue géographique des irrégularités est insuffisante. L’annulation du scrutin doit entraîner la répétition de l’élection sur le territoire où l’élection a été annulée.

102. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions électorales supérieures. »

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

93. M. Riza et le DPS allèguent que l’annulation des résultats électoraux dans 23 bureaux de vote a porté une atteinte injustifiée à leur droit de se présenter aux élections garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention. Sous l’angle du même article, les 101 autres requérants (dont les noms figurent en annexe) allèguent que l’annulation de leurs votes a constitué une violation de leur droit électoral actif. Invoquant en outre l’article 13 de la Convention, M. Riza et le DPS soutiennent que le droit interne ne leur offrait aucune voie de recours susceptible de remédier à la violation alléguée de leurs droits.

94. La Cour observe d’emblée qu’il y a lieu de distinguer la présente espèce de l’affaire Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, §§ 55-56, CEDH 2010), dans laquelle le litige postélectoral impliquant le requérant n’avait jamais fait l’objet d’un examen par une instance judiciaire. Dans cette affaire, la Cour s’est livrée à un examen séparé du grief tiré de l’article 13. En revanche, dans des affaires concernant des litiges postélectoraux où le droit national confiait l’examen de ces litiges aux juridictions judiciaires, la Cour a choisi d’aborder la question uniquement sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1 (Kerimova c. Azerbaïdjan, no 20799/06, §§ 31-32, 30 septembre 2010, et Kerimli et Alibeyli c. Azerbaïdjan, nos 18475/06 et 22444/06, §§ 29 et 30, 10 janvier 2012).

95. Dans la présente affaire, l’examen du litige électoral a été confié à la juridiction constitutionnelle, qui s’est prononcée par un arrêt définitif. À la lumière des faits spécifiques de l’espèce, et à l’instar de sa position dans les arrêts Kerimova et Kerimli et Alibeyli (précités), la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 13 de la Convention. Elle prendra cependant en compte les spécificités de la procédure suivie devant la Cour constitutionnelle bulgare aux fins de son analyse des griefs tirés de l’article 3 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’épuisement des voies de recours internes

a) Arguments des parties

96. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que M. Riza et le DPS auraient pu introduire un recours fondé sur l’article 112 de la loi électorale pour contester les nouveaux résultats électoraux obtenus après l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui avait annulé le vote dans 23 bureaux ouverts en dehors du territoire national.

97. Le Gouvernement est d’avis qu’il existait par ailleurs un autre recours interne effectif que ces requérants auraient pu exercer : selon lui, ils auraient pu contester devant la Cour administrative suprême la décision de la commission électorale centrale proclamant les nouveaux résultats des élections législatives. Il renvoie à cet égard à un arrêt de la Cour administrative suprême du 23 juillet 2009 (paragraphe 87 ci-dessus).

98. Ces deux requérants répondent qu’ils ont bien utilisé la première voie de recours suggérée par le Gouvernement dès lors qu’ils auraient saisi à leur tour la Cour constitutionnelle d’une demande de contestation des nouveaux résultats électoraux découlant de la décision d’annuler le vote dans 23 bureaux de vote ouverts en Turquie. Ils indiquent que la Cour constitutionnelle a refusé de reconsidérer son précédent arrêt et qu’elle a rejeté leurs recours comme irrecevables.

99. Quant au second recours évoqué par le Gouvernement, à savoir une plainte devant la Cour administrative suprême, les deux requérants estiment qu’il n’aurait pas été suffisamment effectif et disponible dans leur cas. Ils exposent que le principe général d’un contrôle judiciaire des actes de l’administration par les juridictions administratives, auquel le Gouvernement se serait référé, trouve à s’appliquer seulement dans la mesure où la législation interne ne prévoit pas une voie de recours spéciale pour tel ou tel litige lié à un acte de l’administration. Or l’article 112 de la loi électorale de 2001 aurait prévu un recours spécial pour contester la légalité des résultats électoraux, à savoir le recours devant la Cour constitutionnelle. Les intéressés concluent que les tribunaux administratifs auraient déclaré irrecevable tout recours qu’ils auraient pu former contre la décision de la commission électorale centrale.

100. Les deux requérants indiquent ensuite que la décision de la commission électorale centrale du 19 février 2010 a été prise en exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010. D’après eux, le second recours suggéré par le Gouvernement aurait donc donné à la Cour administrative suprême la possibilité d’invalider l’arrêt de la Cour constitutionnelle, ce qui, à leurs yeux, aurait été difficilement conciliable avec le principe fondamental de la prééminence du droit. Par ailleurs, les intéressés indiquent que le Gouvernement n’a invoqué aucun arrêt de la Cour administrative suprême qui eût été prononcé dans le cadre d’une procédure de contestation d’une décision de la commission électorale centrale rendue en application d’un arrêt de la Cour constitutionnelle. Selon eux, le Gouvernement a ainsi failli à son obligation de démontrer l’effectivité et la disponibilité de ce recours.

b) Appréciation de la Cour

101. La Cour rappelle que la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants l’obligation d’utiliser en premier lieu les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne de leur pays pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Lesdits recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 81, CEDH 2000‑VII, et İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 58, CEDH 2000‑VII).

102. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours qu’il suggère était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a bien été employé ou que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV). De surcroît, un requérant qui a utilisé une voie de recours interne apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III).

103. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que les deux requérants ont introduit le premier recours invoqué par le Gouvernement, à savoir celui prévu par l’article 112 de la loi électorale : en mars 2010, le DPS et M. Riza ont contesté devant la Cour constitutionnelle l’élection des trois députés visés par la décision de la commission électorale centrale du 19 février 2010 (paragraphe 50 ci-dessus). La juridiction constitutionnelle a déclaré leurs plaintes irrecevables au motif qu’elles avaient le même objet que l’affaire qui avait donné lieu à son arrêt du 16 février 2010 (paragraphe 51 ci-dessus). La Cour relève que la loi sur la Cour constitutionnelle et le règlement relatif au fonctionnement de celle-ci énoncent sans ambiguïté que la haute juridiction constitutionnelle ne peut pas examiner un litige ayant le même objet qu’un autre litige déjà résolu par elle (paragraphe 84 ci-dessus). Les plaintes des deux requérants étaient donc d’emblée vouées à l’échec.

104. Dans ces circonstances, la Cour estime que le recours prévu à l’article 112 de la loi électorale manquait de l’effectivité requise au regard de l’article 35 § 1 de la Convention. Elle doit dès lors examiner la question de savoir si l’autre recours invoqué par le Gouvernement, à savoir celui devant la Cour administrative suprême, que les deux requérants n’ont pas exercé, pouvait passer pour suffisamment établi et accessible au regard de ce même article de la Convention.

105. Le Gouvernement suggère notamment que les requérants auraient pu contester la décision de la commission électorale centrale du 19 février 2010 devant la Cour administrative suprême et obtenir ainsi le réexamen des résultats électoraux. La Cour observe que la loi électorale énumérait en son article 23, alinéas 3 et 4, les décisions de la commission électorale centrale qui pouvaient être contestées devant la Cour administrative suprême et que les décisions de proclamation de résultats électoraux n’en faisaient pas partie (paragraphe 86 in fine ci-dessus).

106. Le Gouvernement se réfère à un arrêt de la Cour administrative suprême du 23 juillet 2009 dans lequel la haute juridiction administrative a cependant accepté d’examiner un litige qui portait sur une décision de la commission électorale centrale qui n’était pas incluse dans la liste figurant à l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi, au motif que ces dispositions législatives ne créaient pas une exception à la règle constitutionnelle selon laquelle les actes de l’administration pouvaient être contestés devant les juridictions administratives. Il semble donc affirmer que ce recours était suffisamment établi et accessible pour constituer une voie interne effective que les requérants devaient utiliser, nonobstant le libellé de l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi électorale.

107. La Cour observe quant à elle que le litige qui avait donné lieu à l’arrêt de la Cour administrative suprême du 23 juillet 2009 avait pour objet une allégation relative à une erreur manifeste dans la base de données électronique de la commission électorale centrale (paragraphe 87 ci-dessus) tandis que le litige concernant les requérants en l’espèce portait sur la question de savoir si les voix de 23 bureaux de vote devaient être soustraites du score électoral final en raison de certaines irrégularités commises le jour du scrutin. S’il est vrai que le raisonnement de la Cour administrative suprême dans cet arrêt semble suggérer que la liste des décisions de l’administration électorale susceptibles de recours devant elle n’était pas exhaustive, le Gouvernement n’a présenté aucun autre arrêt permettant à la Cour de conclure que la Cour administrative suprême aurait accepté d’examiner un éventuel recours introduit par les deux requérants contre la décision du 19 février 2010 par laquelle la commission électorale centrale avait proclamé les nouveaux résultats des élections législatives. La Cour note par ailleurs que les motifs de ce même arrêt du 23 juillet 2009 semblent suggérer le contraire : la Cour administrative suprême a affirmé que le recours le plus approprié pour contester les résultats des élections législatives était celui prévu à l’article 112 de la loi électorale, à introduire devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 87 ci-dessus, in fine). Dès lors, la Cour estime qu’il n’a pas été prouvé que le recours devant la Cour administrative suprême fût accessible et suffisamment établi en droit et en pratique pour remédier aux violations de l’article 3 du Protocole no 1 alléguées par M. Riza et le DPS.

108. Au vu des motifs exposés ci-dessus, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement en ce qui concerne M. Riza et le DPS.

2. Sur le respect des autres conditions de recevabilité

109. Le Gouvernement conteste la qualité de victime de M. Riza, du DPS et des 101 autres requérants.

110. Il indique en particulier que M. Riza a participé aux élections législatives de 2009 en tant que candidat de son parti dans une circonscription plurinominale constituée sur le territoire bulgare où les sièges auraient été répartis suivant le système proportionnel. Selon le Gouvernement, les électeurs bulgares résidant à l’étranger, notamment en Turquie, ont voté non pas pour les listes de candidats proposés par les partis, mais pour les partis politiques eux-mêmes. Ainsi, les électeurs ayant voté pour le DPS dans les bureaux en question n’auraient pas donné leurs voix expressément à M. Riza. De ce fait, ce dernier n’aurait pas pu prétendre valablement que la décision ayant abouti à l’invalidation des voix obtenues par son parti dans 23 bureaux de vote ouverts en Turquie avait eu un impact négatif direct sur son droit de participer aux élections législatives en tant que candidat.

111. Le Gouvernement soutient que le DPS ne peut pas non plus se prétendre victime d’une violation de son droit de se porter candidat aux élections, au motif qu’il aurait participé au scrutin dans les mêmes conditions que tous les autres partis et coalitions. En participant activement à la vie politique du pays et aux élections, le parti aurait implicitement accepté d’obéir aux règles de répartition des sièges et de ne pas tirer profit d’éventuelles irrégularités commises dans le processus électoral. L’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle aurait constaté de telles irrégularités et y aurait remédié, et cette décision aurait abouti à l’annulation de l’élection de candidats d’autres partis politiques. Ainsi, la mesure contestée n’aurait pas visé exclusivement le DPS et n’aurait pas été appliquée de manière disproportionnée et tendancieuse.

112. Pour ce qui est des 101 autres requérants ayant voté dans des bureaux de vote pour lesquels les résultats ont été annulés par la Cour constitutionnelle, le Gouvernement soutient que leur droit de vote n’a nullement été atteint. Il indique en particulier que l’État avait mis sur pied l’organisation nécessaire et qu’il a permis aux intéressés d’exercer leur droit de vote dans leur pays de résidence. D’après le Gouvernement, les votes de ces requérants n’ont pas été déclarés nuls par l’arrêt de la Cour constitutionnelle : cet arrêt, adopté dans le cadre d’une procédure qui aurait offert toutes les garanties contre l’arbitraire, aurait simplement fait soustraire du résultat final des élections tous les votes exprimés dans les bureaux où les 101 requérants auraient voté en raison du non-respect de l’exigence légale imposant aux responsables de la commission électorale d’apposer leur signature sur les listes additionnelles des électeurs. Dès lors, l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’aurait pas porté atteinte de manière directe et suffisamment sérieuse au droit électoral actif de ces requérants.

113. Invoquant les mêmes arguments, le Gouvernement soutient, à titre subsidiaire, que la requête des 101 électeurs doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae, pour défaut manifeste de fondement, voire, en application de l’article 35 § 3 b) de la Convention, pour absence de préjudice important.

114. La Cour constate que toutes ces exceptions se fondent en une seule, à savoir la contestation de la qualité de victime des requérants. Elle considère que cette question est étroitement liée à la substance même des griefs soulevés par les intéressés sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1. Elle estime donc qu’il y lieu de joindre cette exception à l’examen du fond des griefs de M. Riza, du DPS et des 101 autres requérants.

115. Constatant que les griefs des requérants tirés de l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Les requérants

116. Les requérants allèguent que l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010 a donné lieu à une atteinte injustifiée à leurs droits garantis par l’article 3 du Protocole no1.

117. M. Riza aurait pris part au scrutin législatif de 2009 en tant que candidat inscrit sur la liste du DPS dans la 8e circonscription plurinominale, à Dobrich. À l’issue de ces élections, il aurait été déclaré élu à l’Assemblée nationale et son parti, le DPS, aurait été représenté par 38 députés au Parlement national, dont 33 en vertu de la répartition proportionnelle des sièges. L’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle aurait par la suite modifié les résultats électoraux : le DPS aurait vu son score électoral diminuer de 18 140 voix, ce qui aurait abouti à la perte d’un de ses sièges au Parlement national, à savoir celui de M. Riza. Pour M. Riza et le DPS, cette situation s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit de participer aux élections législatives en tant que candidats.

118. Les 101 autres requérants auraient exercé leur droit de vote aux élections législatives bulgares. Ils auraient choisi de voter dans 17 des bureaux de vote ouverts sur le territoire de la Turquie. Or, par son arrêt du 16 février 2010, la Cour constitutionnelle bulgare aurait invalidé les élections dans 23 des bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, dont ceux où les intéressés avaient voté. Leurs votes auraient ainsi été annulés. Les 101 requérants considèrent que cette situation s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit de participer aux élections législatives en tant qu’électeurs.

119. Les requérants soutiennent que le processus décisionnel qui a abouti à la modification du résultat des élections n’était pas entouré de garanties suffisantes contre l’arbitraire. La procédure suivie en l’espèce par la Cour constitutionnelle aurait été conçue pour l’examen de la constitutionnalité de la législation adoptée par le Parlement : elle aurait été totalement inadaptée à l’examen d’un litige électoral et, de surcroît, elle aurait été insuffisamment réglementée. Dans le cas d’espèce, l’objet exact du litige n’aurait pas été déterminé dès le début de la procédure, mais il l’aurait été seulement au moment du prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Le fait que la Cour constitutionnelle a rejeté un à un tous les arguments invoqués par les demandeurs, mais qu’elle a décidé d’annuler les élections dans 23 bureaux de vote pour des vices de forme mentionnés pour la première fois au cours de la procédure dans un rapport d’expertise, et ce à l’initiative des experts, démontrerait une absence de clarté et de prévisibilité à cet égard. Ainsi, les demandeurs auraient été exemptés de l’obligation d’apporter la preuve des irrégularités prétendument commises dans lesdits bureaux de vote. La Cour constitutionnelle se serait approprié le pouvoir d’enquêter et de se prononcer d’office sur le respect de toutes les conditions de régularité du scrutin dans tous les bureaux de vote dans lesquels les citoyens bulgares résidant en Turquie avaient voté.

120. La procédure devant la juridiction constitutionnelle n’aurait pas un caractère contradictoire. Ni le DPS ni M. Riza n’auraient été parties à la procédure en dépit de leurs demandes expresses et malgré le fait que, selon eux, le litige les concernait directement. Le seul document du dossier auquel ils auraient eu accès aurait été la demande introductive d’instance qui leur avait été transmise par les députés du DPS à l’Assemblée nationale. Ces requérants n’auraient pas pu prendre connaissance des autres pièces versées au dossier, des arguments additionnels exposés par les demandeurs, des preuves recueillies au cours de la procédure et des questions factuelles et juridiques s’étant posées devant la Cour constitutionnelle. Ils auraient été privés de toute possibilité de défendre leurs droits et intérêts légitimes dans le cadre de la procédure. De surcroît, le droit interne n’aurait prévu aucun recours contre l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle.

121. Le DPS, M. Riza et les 101 autres requérants allèguent que les irrégularités du processus électoral constatées dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle étaient minimes et qu’elles ne pouvaient entraîner l’invalidation ni des suffrages exprimés dans les bureaux de vote concernés ni du processus électoral lui-même. Or la Cour constitutionnelle n’aurait pas examiné la question de savoir si l’impact des irrégularités constatées était suffisamment sérieux pour imposer l’invalidation des élections dans les 23 bureaux de vote en question.

122. Les requérants estiment qu’aucune de ces irrégularités n’était indicative d’une fraude électorale. La loi électorale n’obligerait pas le président et le secrétaire de la commission électorale locale responsable d’un bureau de vote ouvert à l’étranger à apposer leur signature au bas de la liste des électeurs inscrits le jour même du scrutin. Une telle exigence existerait pour les « listes additionnelles » qui étaient dressées uniquement dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire national. Ce serait pour cette raison que presque toutes les listes électorales constituées le jour du scrutin dans les bureaux de vote en Turquie n’auraient pas porté ces signatures. Par ailleurs, cette même exigence n’aurait pas été respectée dans des bureaux de vote sur le territoire national, et ce, d’après eux, sans que la validité du processus électoral dans ceux-ci en fût affectée. Dans ces circonstances, l’affirmation de la Cour constitutionnelle selon laquelle les signatures en cause étaient un élément essentiel et évident pour la validité des listes électorales aurait été tout à fait arbitraire.

123. Les requérants soutiennent que les documents électoraux essentiels pour le calcul des résultats électoraux à l’étranger étaient le procès-verbal de vote signé par les membres de la commission électorale locale et le télégramme diplomatique envoyé par les représentations bulgares dans le pays concerné. Ils précisent que les deux documents contenaient les informations sur le nombre de votants, le nombre de bulletins nuls et le nombre de voix recueillies par chaque parti. Associés à la liste des électeurs contenant les données d’identification et la signature de chaque votant, ainsi qu’aux bulletins déposés dans l’urne, ces documents auraient été suffisants pour détecter toute fraude électorale, quelle qu’elle fût. Tous ces documents auraient été disponibles pour les 23 bureaux de vote et aucune fraude électorale n’aurait été mise en évidence.

124. Les requérants ajoutent que la Cour constitutionnelle a retenu deux autres irrégularités : l’absence de procès-verbal ou de sa première page. Or, ce serait non pas la première mais la deuxième page du procès-verbal qui contiendrait les informations essentielles pour le calcul des résultats, à savoir le nombre de votants, celui des bulletins valides et celui des bulletins nuls, et la répartition des suffrages entre les partis politiques. Dans les cas où aucune des deux pages du procès-verbal n’aurait été archivée, il y aurait toujours eu le télégramme diplomatique qui reproduisait ces mêmes données. Ces documents auraient bien été conservés pour les 23 bureaux de vote en question.

125. La Cour constitutionnelle elle-même aurait reconnu que les suffrages recueillis dans les 23 bureaux de vote étaient valides, mais elle aurait décidé de les soustraire du résultat électoral en raison d’omissions qui n’auraient été imputables ni aux électeurs, dont les 101 requérants de la présente affaire, ni à M. Riza ni au DPS. Par ailleurs, les médias auraient rapporté de nombreux cas d’omissions similaires, comme la destruction par inadvertance par le personnel d’entretien de l’ambassade de Bulgarie à Washington de tous les documents électoraux des bureaux de vote ouverts sur le territoire des États-Unis. Or la régularité du processus électoral sur le territoire américain n’aurait jamais été remise en cause et les voix obtenues dans ces bureaux de vote auraient été prises en compte pour la répartition des sièges à l’Assemblée nationale.

126. Pour ces motifs, les requérants invitent la Cour à constater que l’ingérence litigieuse dans l’exercice de leurs droits respectifs de participer aux élections législatives en tant que candidats/en tant qu’électeurs ne poursuivait aucun but légitime et qu’elle était totalement injustifiée au regard de l’article 3 du Protocole no 1.

b) Le Gouvernement

127. Le Gouvernement conteste en premier lieu l’existence d’une ingérence dans l’exercice par les requérants des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1.

128. Il indique que le DPS a participé aux élections législatives de 2009 en présentant de nombreux candidats dans les circonscriptions uninominales et plurinominales, et que M. Riza figurait sur la liste des candidats de ce parti dans la 8e circonscription plurinominale. Il nie l’existence d’un lien direct entre l’invalidation du scrutin dans les 23 bureaux de vote sur le territoire turc et l’annulation du mandat de député de M. Riza. Il estime que cette décision n’a aucunement altéré le poids politique du DPS qui, précise-t-il, est resté le troisième parti politique bulgare par le nombre de députés élus à l’Assemblée nationale.

129. En ce qui concerne les 101 autres requérants, le Gouvernement est d’avis qu’ils ont exercé leur droit de voter et que leurs votes n’ont pas été déclarés nuls par la Cour constitutionnelle. Au contraire, selon le Gouvernement, la juridiction constitutionnelle a expressément souligné qu’il s’agissait de votes valides qui n’auraient toutefois pas pu être comptabilisés en raison de manquements graves commis par les membres des commissions électorales responsables des bureaux dans lesquels les intéressés avaient voté.

130. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que, même si l’on admet l’existence d’une ingérence dans le droit électoral passif de M. Riza et du DPS et dans le droit électoral actif des autres requérants, celle-ci était justifiée eu égard aux arguments exposés ci-après.

131. Ainsi, le Gouvernement expose que le droit de voter et le droit de se présenter aux élections sont garantis par la Constitution bulgare et que, à l’époque des faits, le processus électoral était réglementé par la loi électorale de 2001. La répartition des sièges à l’Assemblée nationale aurait été effectuée sur la base de l’ensemble des suffrages valides. Dès lors, il aurait été essentiel pour la régularité du scrutin de ne prendre en compte que les votes valides pour la détermination des résultats électoraux. Pour le Gouvernement, cela garantissait la protection tant du droit de voter que de celui de se porter candidat dans la mesure où cela aurait permis d’assurer que les députés au Parlement national fussent élus grâce au soutien véritable des électeurs.

132. Le Gouvernement ajoute que la législation électorale bulgare avait été appliquée de manière claire et prévisible par les juridictions internes. D’après lui, l’arrêt de la Cour constitutionnelle contesté par les requérants avait pour but d’assurer à la fois le respect de la législation électorale et celui de la légalité du scrutin.

133. Le Gouvernement indique en outre que, d’après la loi électorale, la Cour constitutionnelle était l’organe compétent pour examiner la légalité de l’élection des députés. Dans le cadre de ses prérogatives et poursuivant les buts légitimes susmentionnés, la juridiction constitutionnelle se serait livrée à un examen minutieux des conditions de régularité du scrutin dans les bureaux ouverts sur le territoire turc. Elle aurait ordonné deux expertises et en aurait recueilli les résultats, et elle aurait reçu et pris en compte les observations de tous les intéressés. Sur la base de toutes les preuves rassemblées, elle aurait relevé des omissions graves dans les documents électoraux, notamment dans les listes électorales et dans les procès-verbaux de vote, qui, selon elle, avaient affecté la régularité du processus électoral et imposaient l’exclusion des voix obtenues dans 23 bureaux de vote, dont les 17 bureaux où les 101 requérants en la présente affaire avaient voté. La modification du résultat électoral aurait abouti à une nouvelle répartition proportionnelle des sièges et à l’annulation des mandats de trois députés appartenant à des formations politiques différentes, à savoir le DPS, le parti RZS et la Coalition bleue. Ainsi, le poids de la modification des résultats électoraux aurait été réparti entre plusieurs participants aux élections législatives, et ni le DPS ni M. Riza ne pourraient prétendre valablement que l’arrêt litigieux avait pour conséquence de porter atteinte exclusivement à leurs droits et intérêts légitimes.

134. D’après le Gouvernement, il n’y a aucun indice d’arbitraire dans la manière dont l’arrêt en question a été adopté et motivé. La Cour constitutionnelle n’aurait fait qu’appliquer la législation électorale interne. L’ingérence alléguée dans l’exercice des droits de se porter candidat et de voter n’aurait pas porté atteinte à l’essence même de ces droits ; elle aurait poursuivi un but légitime et aurait respecté une juste mesure de proportionnalité entre l’intérêt commun et les droits des requérants.

135. Le Gouvernement ajoute que les autorités bulgares sont déterminées à combattre les pratiques électorales qui seraient incompatibles avec un régime démocratique et qui seraient poursuivies pénalement, telles que l’achat de votes ou encore le « tourisme électoral », consistant à organiser le déplacement à l’étranger d’un nombre considérable d’électeurs pour altérer les résultats du scrutin.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour

136. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113 ; Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 103, CEDH 2006‑IV). Le rôle de l’État en tant qu’ultime garant du pluralisme implique l’adoption de mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).

137. L’article 3 du Protocole no 1 n’engendre aucune obligation d’introduire un système électoral déterminé tel que la proportionnelle ou le vote majoritaire à un ou à deux tours. Les États contractants disposent d’une large marge d’appréciation en la matière. Les systèmes électoraux cherchent à répondre à des objectifs parfois peu compatibles entre eux : d’un côté, refléter de manière à peu près fidèle les opinions du peuple, de l’autre canaliser les courants de pensée pour favoriser la formation d’une volonté politique d’une cohérence et d’une clarté suffisantes. Dès lors, la phrase « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » implique pour l’essentiel le principe de l’égalité de traitement de tous les citoyens dans l’exercice de leur droit de vote et de leur droit de se présenter aux élections. Il ne s’ensuit pourtant pas que tous les bulletins doivent avoir un poids égal quant au résultat, ni tout candidat des chances égales de l’emporter. Ainsi, aucun système ne saurait éviter le phénomène des « voix perdues » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).

138. En vertu de la jurisprudence de la Cour, les mots « libre expression de l’opinion du peuple » signifient que les élections ne sauraient comporter une quelconque pression sur le choix d’un ou de plusieurs candidats et que, dans ce choix, l’électeur ne doit pas être indûment incité à voter pour un parti ou pour un autre. Le mot « choix » implique qu’il faut assurer aux différents partis politiques des possibilités raisonnables de présenter leurs candidats aux élections (Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, § 108, CEDH 2008). La Cour a jugé également que, une fois le choix du peuple librement et démocratiquement exprimé, aucune modification ultérieure dans l’organisation des élections ne saurait remettre en cause ce choix, sauf en présence de motifs impérieux pour l’ordre démocratique (Lykourezos c. Grèce, no 33554/03, § 52, CEDH 2006‑VIII).

139. L’article 3 du Protocole no 1 implique également des droits subjectifs, dont le droit de voter et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, §§ 46-51).

140. Le droit de voter, c’est-à-dire l’aspect « actif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1, ne constitue pas un privilège. Au XXIe siècle, dans un État démocratique, la présomption doit jouer en faveur de l’octroi de ce droit au plus grand nombre (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 59, CEDH 2005‑IX). Certes, l’article 3 du Protocole no 1 ne prévoit pas la mise en œuvre par les États contractants de mesures favorisant l’exercice de ce droit par les expatriés depuis leur lieu de résidence. Cependant, puisque dans un État démocratique la présomption doit jouer en faveur de l’octroi du droit de vote au plus grand nombre, de telles mesures cadrent avec cette disposition (Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, § 71, CEDH 2012).

141. Quant au droit électoral passif, celui-ci ne se limite pas à la simple possibilité de participer aux élections en tant que candidat. Une fois élue, la personne concernée a également le droit d’exercer son mandat (Sadak et autres c. Turquie (no 2), nos 25144/94, 26149/95 à 26154/95, 27100/95 et 27101/95, § 33, CEDH 2002‑IV ; Lykourezos, précité, § 50, in fine). De surcroît, la Cour a admis que, lorsque la législation électorale ou les mesures prises par les autorités nationales restreignent le droit des candidats pris individuellement de se présenter à une élection sur la liste d’un parti, le parti concerné peut, en cette qualité, se prétendre victime d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1, indépendamment de ses candidats (Parti travailliste géorgien c. Géorgie, no 9103/04, §§ 72-74, CEDH 2008).

142. La Cour rappelle ensuite que les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites », et les États contractants disposent d’une ample marge d’appréciation en la matière (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52, Ždanoka, précité, § 103, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II). Il appartient cependant à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés le droit de voter ou le droit de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52, Ždanoka, précité, § 104).

143. La Cour doit veiller à ce que le processus décisionnel concernant l’inéligibilité ou la contestation de résultats électoraux soit entouré d’un minimum de garanties contre l’arbitraire. En particulier, les décisions en cause doivent être prises par un organe présentant un minimum de garanties d’impartialité. De même, le pouvoir autonome d’appréciation de cet organe ne doit pas être excessif ; il doit être, à un niveau suffisant de précision, circonscrit par les dispositions du droit interne. Enfin, la procédure doit être de nature à garantir une décision équitable, objective et suffisamment motivée, et à éviter tout abus de pouvoir de la part de l’autorité compétente (Podkolzina, précité, § 35 ; Kovatch c. Ukraine, no 39424/02, §§ 54-55, CEDH 2008 ; Kerimova, précité, §§ 44-45). La Cour rappelle également qu’en vertu du principe de subsidiarité il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation des faits ou dans l’interprétation du droit interne. Dans le contexte particulier des litiges électoraux, elle n’est pas appelée à déterminer si les irrégularités du processus électoral alléguées par les parties représentent des violations de la législation interne pertinente (Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, no 18705/06, § 77, 8 avril 2010). Son rôle pour déterminer s’il y a eu une ingérence injustifiée dans « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » se limite à établir si la décision rendue par l’organe interne avait un caractère arbitraire ou manifestement déraisonnable (Babenko c. Ukraine (déc.), no 43476/98, 4 mai 1999, Partija « Jaunie Demokrati » et Partija « Musu Zeme » c. Lettonie (déc.), nos 10547/07 et 34049/07, 29 novembre 2007, et Kerimli et Alibeyli, précité, §§ 38-42).

b) Application de ces principes à la présente espèce

i. Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1

144. La Cour estime qu’il y lieu de répondre d’abord à la question de savoir si la situation dont se plaignent les requérants s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leurs droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1.

. En ce qui concerne le droit électoral actif

145. La Cour observe que les 101 requérants, dont les noms figurent en annexe, résidaient à l’époque des faits en Turquie. Ils ont voté aux élections législatives du 5 juillet 2009 dans 17 des bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. Leurs votes ont été initialement pris en compte pour le calcul du seuil électoral de 4 %. Les suffrages de ceux d’entre eux qui avaient voté pour les six partis qualifiés ont ensuite été pris en compte dans la répartition des mandats entre ces partis politiques au niveau national (paragraphe 64 ci‑dessus).

146. Par son arrêt du 16 février 2010, qui fait l’objet de la présente affaire, la Cour constitutionnelle bulgare a décidé d’annuler les élections dans 23 bureaux de vote ouverts par les représentations diplomatiques bulgares sur le territoire turc et de soustraire des résultats électoraux les suffrages obtenus dans ces bureaux, soit au total 18 358 voix. Parmi ces votes se trouvaient ceux des 101 requérants dont la liste figure en annexe, les 17 bureaux de vote où ils avaient voté faisant partie des 23 bureaux où les élections ont été annulées.

147. Le Gouvernement soutient que la situation en cause ne s’analyse pas en une ingérence dans l’exercice du droit de voter garanti à ces 101 requérants : il argue que ceux-ci ont exercé leur droit de vote, mais que leurs voix n’ont pas comptés dans la répartition des sièges à l’Assemblée nationale au motif que le processus électoral dans leurs bureaux de vote aurait été entaché de graves irrégularités. La Cour ne partage pas cet avis.

148. En effet, le droit électoral actif, tel qu’il est garanti par l’article 3 du Protocole no 1, ne se limite pas uniquement aux actes consistant à choisir ses candidats favoris dans le secret de l’isoloir et à glisser son bulletin de vote dans l’urne. Il implique également la possibilité pour chaque votant de voir son vote influer sur la composition du corps législatif, sous réserve du respect des règles établies par la législation électorale. Admettre le contraire reviendrait à vider de leur substance le droit de voter, le processus électoral et, en fin de compte, l’ordre démocratique lui-même.

149. À partir de ces constats, la Cour relève que l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle a eu un impact direct sur le droit de voter des 101 requérants en question. Leurs votes ont été exclus des résultats électoraux : ils n’ont pas été comptabilisés pour le calcul du seuil électoral de 4 %, et celles des 101 voix qui avaient été en faveur des six premiers partis aux élections n’ont pas été prises en compte pour la répartition des mandats entre ces partis politiques au niveau national (paragraphe 64 ci-dessus).

. En ce qui concerne le droit électoral passif

150. La Cour observe que M. Riza et le DPS ont participé aux élections législatives bulgares du 5 juillet 2009 : le DPS a été enregistré par la commission électorale centrale en tant que parti prenant part au scrutin, il a présenté plusieurs candidats dans les circonscriptions plurinominales et uninominales constituées sur le territoire bulgare et il a été inclus dans le bulletin de vote spécialement conçu pour le scrutin devant se dérouler en dehors du territoire national ; M. Riza figurait en deuxième position sur la liste des candidats de son parti dans la 8e circonscription plurinominale à Dobrich (paragraphe 14 ci-dessus). Après la proclamation initiale des résultats électoraux et une première répartition des sièges, le 7 juillet 2009, le DPS a obtenu 33 sièges à l’Assemblée nationale en vertu du système proportionnel et 5 autres en vertu du système majoritaire (paragraphe 20 ci‑dessus). M. Riza n’a pas été élu au Parlement (paragraphe 21 ci‑dessus). Toutefois, à la suite d’un recours devant la Cour constitutionnelle introduit par le candidat d’un autre parti politique et qui a finalement été couronné de succès, une nouvelle répartition proportionnelle des sièges a eu lieu : le DPS a perdu un de ses deux sièges dans la 19e circonscription plurinominale, mais il a obtenu un deuxième mandat dans la 8e circonscription plurinominale, qui est revenu à M. Riza en tant que numéro deux de la liste des candidats de son parti dans cette dernière circonscription (ibidem). Ainsi, à la date du 12 octobre 2009, le score électoral du DPS était de 610 521 voix, le parti comptait 38 députés au Parlement national, dont M. Riza. Il a par la suite été élu membre d’une des commissions permanentes de l’Assemblée nationale.

151. L’arrêt de la Cour constitutionnelle a affecté la situation de ces deux requérants qui ont participé en tant que candidats aux élections en question. Le DPS a vu son score électoral diminuer de 18 140 voix. La nouvelle répartition des sièges qui s’en est suivie a entraîné des changements dans la composition du Parlement national : le DPS a perdu un siège au Parlement pourvu selon le système proportionnel au profit du parti politique qui avait gagné les élections et M. Riza s’est vu retirer son mandat de député (paragraphes 48 et 49 ci-dessus). Ainsi, le score électoral réalisé par le parti requérant selon le système proportionnel a chuté d’environ 3 % ; son groupe au Parlement est passé de 38 députés à 37 et M. Riza a été déchu de ses fonctions de représentant à l’Assemblée nationale.

. Conclusion de la Cour

152. Au vu des circonstances susmentionnées, la Cour estime que la situation dénoncée par les requérants s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leurs droits respectifs de voter et de se porter candidat aux élections législatives garantis par l’article 3 du Protocole no 1. Elle considère également que ces mêmes arguments lui imposent de rejeter l’exception tirée par le Gouvernement du défaut de qualité de victime des requérants (paragraphe 114 ci-dessus).

ii. Sur la justification de l’ingérence en cause

153. La Cour doit donc s’assurer que ladite ingérence n’a pas réduit les droits électoraux actif et passif des requérants au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elle poursuivait un but légitime et que les moyens employés ne se sont pas révélés disproportionnés au but poursuivi.

154. La Cour constate que les parties sont en désaccord quant à la finalité des mesures contestées. Les requérants estiment que l’annulation de l’élection dans 23 bureaux de vote ouverts à l’étranger ne poursuivait aucun but légitime, tandis que le Gouvernement soutient que le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle tendait à assurer le respect de la législation électorale.

155. La Cour observe pour sa part que la procédure devant la Cour constitutionnelle, qui a abouti à l’arrêt contesté par les requérants, était fondée sur l’article 149, alinéa 1, point 7, de la Constitution et sur l’article 112 de la loi électorale de 2001. Ces dispositions permettaient à tout candidat aux élections législatives de contester la légalité de l’élection des députés à l’Assemblée nationale (paragraphe 78 ci-dessus). Concrètement, ce type de litige porte souvent sur le respect des règles entourant le vote et son dépouillement dans un ou plusieurs bureaux de vote, et peut aboutir à l’invalidation d’une partie du scrutin et à une modification du score électoral de chaque candidat individuel ou parti politique. Or, dans les systèmes électoraux proportionnels, la modification du score électoral des formations politiques, parfois même dans un seul bureau de vote, peut aboutir à une nouvelle répartition des sièges à la législature et avoir pour résultat une augmentation ou une diminution du nombre des sièges attribués aux différents partis ou coalitions. C’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce. La procédure litigieuse a été déclenchée par le président du parti politique RZS et trois de ses candidats qui cherchaient à contester la légalité de l’élection de sept députés du DPS au scrutin proportionnel dans le cadre du système électoral bulgare. Les demandeurs ont dénoncé plusieurs irrégularités du processus électoral commises dans les 123 bureaux de vote où les citoyens bulgares résidant en Turquie avaient exercé leur droit électoral (paragraphe 22 ci-dessus). Dès lors, la Cour accepte que la procédure devant la Cour constitutionnelle avait pour but légitime d’assurer le respect de la législation électorale et donc la régularité du scrutin et des résultats des élections.

156. La Cour estime qu’il y a lieu d’établir ensuite si la procédure décisionnelle a été entourée de suffisamment de garanties contre l’arbitraire. Pour ce faire, elle doit établir si elle a satisfait aux exigences posées dans sa jurisprudence constante (paragraphe 143 ci-dessus).

157. Les requérants soutiennent que la procédure suivie devant la Cour constitutionnelle n’était pas adaptée à l’examen des litiges postélectoraux. L’application des règles procédurales prévues par la loi sur la Cour constitutionnelle et par son règlement a abouti, selon eux, à une procédure sans objet clairement déterminé, qui serait restée inaccessible au DPS et à M. Riza et qui aurait été insusceptible d’appel (paragraphes 119 et 120 ci‑dessus). Le Gouvernement estime que ces deux requérants ont été associés à la procédure dans la mesure nécessaire à la défense de leurs intérêts dès lors que la Cour constitutionnelle aurait pris en compte leurs observations et y aurait répondu dans son arrêt du 16 février 2010 (paragraphe 133 ci-dessus).

158. La Cour observe d’emblée que la partie requérante ne conteste ni l’indépendance ni l’impartialité de la Cour constitutionnelle bulgare saisie du litige postélectoral en cause. Elle n’aperçoit quant à elle aucune raison de parvenir à une conclusion différente à cet égard.

159. La Cour constate ensuite que la loi sur la Cour constitutionnelle bulgare et le règlement de celle-ci ne prévoient qu’un seul type de procédure pour tous les litiges soumis à cette juridiction. Ainsi, les mêmes règles procédurales trouvent à s’appliquer aux affaires portant sur la compatibilité des dispositions législatives internes avec la Constitution et aux contestations de la régularité d’élections législatives et de résultats électoraux. La Cour n’est pas appelée dans la présente affaire à se prononcer in abstracto sur la compatibilité de ce choix du législateur avec la Convention ou ses Protocoles. Elle se bornera uniquement à examiner si, en l’espèce, la procédure en cause a permis aux requérants de défendre de manière effective leurs intérêts légitimes en tant que participants aux élections législatives.

160. Dans la plainte initiale à l’origine de la procédure litigieuse, le dirigeant du parti politique RZS et trois de ses membres ont contesté la régularité de l’élection de sept députés du DPS, dénonçant des violations graves de la législation électorale dans tous les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc (paragraphe 22 ci-dessus). La procédure s’est soldée par l’annulation des élections dans 23 des 123 bureaux de vote visés et par le retrait de son mandat à M. Riza, qui n’était pas concerné par la plainte initiale. La Cour observe que cela résulte de l’effet cumulatif de trois éléments spécifiques du système électoral bulgare : la répartition à la proportionnelle au niveau national de 209 sièges de députés entre les partis politiques ; la prise en compte des voix obtenues à l’étranger uniquement dans cette répartition des sièges au niveau national ; la répartition ultérieure des sièges obtenus par chaque parti dans les 31 circonscriptions plurinominales constituées sur le territoire bulgare. Compte tenu de ces particularités du système électoral bulgare, la décision de savoir s’il y avait lieu d’annuler un ou plusieurs mandats de députés et précisément lesquels dépendait du nombre de suffrages invalidés et de leur répartition entre les différents partis. La Cour constitutionnelle devait donc établir d’abord si le processus électoral avait été entaché de défauts suffisamment graves pour entraîner l’annulation des résultats du scrutin. La juridiction constitutionnelle a choisi de limiter la portée territoriale de son examen sur l’observation de la législation électorale uniquement aux bureaux ouverts sur le territoire turc parce que ces bureaux étaient expressément visés dans la plainte initiale dont elle avait été saisie. La Cour ne saurait remettre en question ce choix de la juridiction interne.

161. L’ensemble des observations des parties et tous les rapports d’expertise présentés devant la Cour constitutionnelle concernaient la question de savoir s’il y avait eu des irrégularités du processus électoral dans les bureaux de vote ouverts en Turquie et, le cas échéant, si elles étaient suffisamment graves pour justifier l’annulation des résultats (paragraphes 22, 25-37 ci-dessus). Le raisonnement suivi par la Cour constitutionnelle bulgare dans son arrêt du 16 février 2010 était axé sur ces mêmes questions (paragraphes 38-48 ci-dessus). La Cour estime que ce sont autant d’éléments qui démontrent que l’objet du litige devant la Cour constitutionnelle, à savoir l’irrégularité alléguée du processus électoral dans tous les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, était connu de tous les participants à la procédure dès le début de celle-ci.

162. Le libellé de l’article 112 de la loi électorale de 2001 donnait à penser qu’un litige portant sur l’irrégularité alléguée de l’élection d’un député opposerait nécessairement ce dernier aux personnes physiques ou morales contestant son élection (paragraphe 78 ci-dessus). La partie requérante tire argument de cette disposition et semble affirmer que le DPS et M. Riza auraient dû être parties à la procédure dès le début de celle-ci et, en tout état de cause, après qu’ils en avaient expressément fait la demande le 15 et le 16 février 2010. Force est de constater cependant que l’article 21, alinéa 1, du règlement de la Cour constitutionnelle donne à la haute juridiction le pouvoir discrétionnaire de déterminer les parties à la procédure devant elle (paragraphe 80 ci-dessus). C’est dans l’exercice de ce pouvoir que la juridiction constitutionnelle a désigné un certain nombre d’institutions et d’organes étatiques et deux organisations non gouvernementales comme parties à la procédure (paragraphe 24 ci-dessus).

163. Il est vrai que la Cour constitutionnelle n’a pas répondu à la demande formulée par le DPS et par M. Riza d’être parties à la procédure. En revanche, l’Assemblée nationale a été constituée partie à la procédure dès le 11 août 2009 (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour ne saurait remettre en question ce choix de la haute juridiction constitutionnelle. En raison des particularités du système électoral bulgare (paragraphes 62-66 ci-dessus), il n’était pas possible d’établir par avance quel parti ou quel candidat individuel serait affecté par la décision finale. Dans ce contexte, la désignation de l’Assemblée nationale comme partie à la procédure devant la Cour constitutionnelle paraissait une démarche logique puisque tous les députés étaient potentiellement concernés par le futur arrêt de cette juridiction et que tous les partis politiques qui avaient participé à la répartition des sièges à la proportionnelle y étaient représentés.

164. À la date de la désignation formelle du Parlement comme partie à la procédure, le DPS disposait d’un groupe parlementaire de 38 députés. M. Riza, qui est vice-président du parti, a rejoint les rangs de son groupe parlementaire en octobre 2009 (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Les deux requérants reconnaissent que c’est par l’intermédiaire du groupe parlementaire que les organes du parti et M. Riza ont obtenu copie de la plainte introductive d’instance (paragraphe 120 ci-dessus). La Cour constate que le groupe parlementaire du DPS a joué un rôle beaucoup plus actif dans la procédure litigieuse devant la Cour constitutionnelle que ne l’admettent les requérants. Par le biais du Parlement national, le groupe parlementaire de ce parti a soumis des observations tant sur la recevabilité que sur le fond de l’affaire, dans lesquelles il combattait les arguments exposés dans la plainte des demandeurs (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour constitutionnelle a répondu à ces observations dans son arrêt du 16 février 2010 (paragraphes 39-48 ci-dessus). Le groupe parlementaire du DPS a également pris position sur l’expertise complémentaire ordonnée par la Cour constitutionnelle le 27 janvier 2010 en contestant les critères retenus pour exclure des résultats électoraux les suffrages recueillis dans 23 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc (paragraphe 34 ci-dessus). Ces critères se sont par la suite révélés décisifs pour l’issue du litige (paragraphes 46-48 ci-dessus).

165. À la lumière de ces éléments, la Cour relève qu’au cours de la procédure devant la Cour constitutionnelle, le groupe parlementaire du DPS a activement défendu les intérêts du parti politique qu’il représentait et de M. Riza, qui en était membre. Qui plus est, il apparaît qu’au travers du Parlement national, qui avait officiellement la qualité de partie à la procédure, le groupe parlementaire et donc les deux requérants ont eu accès à tous les documents versés au dossier et ont été régulièrement informés de l’état de la procédure (voir en particulier le contenu de leurs demandes individuelles d’autorisation de se constituer parties à la procédure, paragraphe 37 ci-dessus). Au vu des circonstances de l’espèce, et nonobstant le fait que les deux requérants n’ont pas été formellement partie à la procédure litigieuse, la Cour estime qu’ils ont effectivement participé à celle-ci par l’intermédiaire du groupe parlementaire du DPS et qu’ils ont eu la possibilité d’exposer leurs arguments contre l’annulation des résultats électoraux dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc et de contester de manière effective les arguments exposés par les demandeurs.

166. Le DPS et M. Riza se plaignent également que l’arrêt de la Cour constitutionnelle était insusceptible de recours. La Cour observe à cet égard qu’aucune disposition de la Convention ou de ses Protocoles n’oblige les États contractants à mettre en place un double degré de juridiction pour les litiges électoraux, et encore moins de prévoir un recours contre les arrêts des juridictions constitutionnelles lorsqu’ils choisissent de confier à celles-ci l’examen des litiges postélectoraux. Il y a lieu de préciser également que, dans son code de bonne conduite en matière électorale, la Commission de Venise préconise la mise en place d’une possibilité d’appel devant un tribunal uniquement lorsque les décisions en première instance sont rendues par des organes spécialisés tels que les commissions électorales (paragraphe 92 ci-dessus).

167. Tous les requérants contestent les raisons retenues par la Cour constitutionnelle pour annuler le scrutin dans 23 bureaux de vote. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions nationales dans l’appréciation des faits ou dans l’application du droit interne, en l’occurrence le droit électoral bulgare. Elle doit cependant s’assurer que la décision rendue par l’organe interne n’avait pas un caractère arbitraire ou manifestement déraisonnable (paragraphe 143 ci-dessus).

168. La Cour observe que la juridiction constitutionnelle bulgare a relevé les irrégularités suivantes dans les documents électoraux pour justifier l’annulation du scrutin dans les 23 bureaux de vote en question : l’absence de procès-verbal de vote archivé pour un bureau ; l’absence de la première page du procès-verbal de vote ou l’absence d’information sur cette même page concernant le nombre des votants ; l’absence des signatures du président et du secrétaire de la commission électorale locale au bas de la liste des électeurs inscrits le jour du scrutin (paragraphe 46 ci-dessus). La Cour constitutionnelle bulgare a admis que le procès-verbal de vote représentait le document essentiel pour l’établissement de la réalité du vote dans tel ou tel bureau électoral et que l’absence de la première page de ce document et des signatures au bas de la liste électorale additionnelle affectait la force probante de ce document quant à la réalité du vote dans le bureau en question (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).

169. La Cour constate que le procès-verbal de vote, tel qu’il est conçu par la législation bulgare, joue un rôle double dans le processus électoral : il contient sur sa deuxième page les résultats du vote et c’est sur la base de ces données que la commission électorale centrale détermine le résultat électoral (paragraphe 72 ci-dessus) ; il consigne aussi, sur sa première page, le nombre de personnes inscrites sur la liste électorale et le nombre de personnes qui ont réellement voté le jour du scrutin (paragraphe 71 ci‑dessus), et sert ainsi de base de comparaison avec les listes électorales pour l’établissement de divers types de fraude électorale, par exemple le bourrage d’urne ou encore l’ajout d’électeurs fictifs sur les listes des votants. En l’occurrence, le procès-verbal archivé manquait pour un seul bureau de vote sur le territoire turc ; pour trois autres bureaux, la première page des procès-verbaux n’avait pas été conservée ; pour un autre bureau de vote, le procès-verbal ne consignait pas le nombre de personnes qui avaient voté le jour du scrutin (paragraphe 33 ci-dessus).

170. La Cour observe que c’est uniquement dans le dernier de ces cinq bureaux de vote que l’irrégularité concernant le procès-verbal a, selon toute probabilité, été commise le jour du scrutin par les membres de la commission électorale locale et qu’elle peut dès lors être considérée comme un indice de fraude électorale. Étant donné que les documents électoraux provenant de l’étranger étaient d’abord remis aux représentants diplomatiques bulgares à la fin de la journée électorale et seulement ensuite envoyés à la commission électorale centrale en Bulgarie (paragraphe 77 ci‑dessus), il n’est pas exclu que le procès-verbal du premier de ces bureaux de vote et la première page des procès-verbaux des trois autres bureaux aient été égarés à ce stade. Or la Cour constitutionnelle n’a pas exploré cette éventualité, et ce malgré les informations fournies par quelques-uns des membres de la commission électorale centrale qui avaient affirmé que les documents électoraux provenant de Turquie avaient été préalablement ouverts puis de nouveau scellés avant d’être envoyés à la commission (paragraphe 36 ci-dessus).

171. Sans chercher à établir si les procès-verbaux de ces quatre bureaux de vote avaient effectivement été complétés, signés et remis dans leur intégralité aux services diplomatiques bulgares en Turquie par les commissions électorales locales respectives, la Cour constitutionnelle s’est contentée de constater leur absence, totale ou partielle, dans les archives des organes étatiques compétents, ce qui a automatiquement entraîné l’annulation des résultats dans ces quatre bureaux de vote. La haute juridiction constitutionnelle a ainsi fondé cette partie de sa décision sur un constat factuel qui ne démontrait pas à lui seul que le processus électoral dans ces quatre bureaux avait été entaché d’une quelconque irrégularité.

172. La Cour constitutionnelle a décidé d’annuler les élections dans 18 autres bureaux de vote au motif que les listes des électeurs inscrits le jour même du scrutin ne portaient ni la signature du président ni celle du secrétaire de la commission électorale locale. Dans son arrêt, elle a reconnu que la loi électorale ne l’imposait pas expressément. Elle a cependant considéré que la signature était un élément essentiel et évident de tout document officiel et que le modèle de « liste électorale additionnelle » approuvé par un décret présidentiel prévoyait ces signatures (paragraphe 47 ci-dessus). La juridiction constitutionnelle a ainsi appliqué par analogie les dispositions relatives aux « listes électorales additionnelles » et « aux listes sous ligne » dressées dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire national (paragraphes 69 et 70 ci-dessus) au cas particulier des listes d’électeurs non préinscrits établies le jour du scrutin dans les bureaux de vote ouverts à l’étranger. Elle a annulé les élections dans les 18 bureaux de vote au motif que les irrégularités constatées dans les listes électorales avaient irrémédiablement affecté la force probante des procès-verbaux du scrutin.

173. Il ressort des pièces du dossier que tous les documents électoraux provenant de ces 18 bureaux de vote (bulletins, procès-verbaux, listes électorales) avaient été conservés et mis à la disposition des experts et des membres de la Cour constitutionnelle. La Cour observe que l’absence des deux signatures est la seule irrégularité relevée dans ces documents électoraux. Qui plus est, la Cour constitutionnelle a reconnu dans son arrêt que l’absence des signatures des responsables de la commission électorale locale mettait uniquement en cause la force probante des listes électorales et, par conséquent, la véracité des données incluses dans les procès-verbaux de vote, et non la validité des suffrages.

174. Certes, l’inobservation des exigences de forme concernant les listes électorales peut indiquer une fraude touchant la composition du corps électoral. La Cour considère cependant que tel n’était pas nécessairement le cas dans le contexte spécifique de la présente affaire. Force est de constater qu’à l’époque des faits, la législation électorale bulgare comportait des lacunes quant aux formalités à respecter lorsque les commissions électorales locales constituées à l’étranger inscrivaient des électeurs sur les listes électorales le jour même du scrutin. La Cour constitutionnelle a été confrontée à ce problème dans la présente affaire et elle a eu recours à une application par analogie de la loi électorale pour combler le vide juridique laissé par le législateur (paragraphes 47, 69 et 70 ci-dessus). Or les 18 listes électorales en cause n’étaient pas les seules où il manquait les deux signatures en question. Il s’agissait en effet d’une omission de forme récurrente puisque les listes électorales additionnelles dressées dans 116 des 123 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc n’avaient pas été signées par les présidents et les secrétaires des commissions électorales (paragraphe 29 ci-dessus), ce qui représentait environ 42 % de tous les bureaux de vote ouverts à l’étranger (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour considère que ces données ne font que corroborer son constat selon lequel la législation interne n’était pas suffisamment claire sur ce point particulier. Dans ces circonstances, elle estime que cette omission, qui est de nature purement technique, ne démontre pas à elle seule que le processus électoral dans ces 18 bureaux de vote était entaché d’irrégularités qui justifiaient l’annulation des résultats électoraux.

175. La Cour constitutionnelle a retenu un critère additionnel pour annuler les résultats électoraux dans ces 18 bureaux, à savoir le fait qu’aucun électeur préinscrit n’y avait exercé son droit de vote. La Cour observe cependant que la législation interne n’oblige pas les citoyens bulgares à voter le jour du scrutin, même s’ils avaient préalablement exprimé leur intention d’exercer leur droit de vote. Il s’agissait donc d’un critère supplémentaire qui en soi ne permettait pas de déceler une irrégularité particulière du processus électoral. La Cour constitutionnelle l’a utilisé pour éliminer les seuls votes des électeurs figurant sur les listes additionnelles non signées.

176. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le processus décisionnel suivi par la Cour constitutionnelle bulgare n’était pas conforme aux standards élaborés dans la jurisprudence de la Cour (paragraphe 143 ci‑dessus). En particulier, la juridiction constitutionnelle a exposé des motifs purement formels pour annuler l’élection dans 22 bureaux de vote. De plus, les éléments retenus par cette juridiction pour motiver cette partie de sa décision ne figuraient pas, de manière suffisamment claire et prévisible, dans le droit interne et il n’a pas été démontré qu’ils eussent altéré le choix des électeurs et faussé le résultat électoral.

177. En ce qui concerne le dernier bureau de vote, où les résultats ont été annulés pour absence de mention du nombre des votants sur la première page du procès-verbal (voir paragraphes 169 et 170 ci-dessus), la Cour observe que la loi électorale bulgare en vigueur à l’époque des faits, faisant abstraction des recommandations du Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise (paragraphe 92 ci-dessus), ne prévoyait pas la possibilité d’organiser de nouvelles élections en cas d’annulation du scrutin (paragraphe 85 ci-dessus). Une telle possibilité n’a été introduite dans la législation interne qu’en 2011 et la règle ne trouvait à s’appliquer que dans le cas où les résultats électoraux avaient été annulés dans leur totalité (ibidem). Force est de constater que l’impossibilité d’organiser de nouvelles élections n’a nullement été prise en considération par la Cour constitutionnelle pour déterminer si l’annulation des résultats électoraux, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, serait une mesure proportionnelle au regard de l’article 3 du Protocole no 1 dont le but est d’assurer la libre expression de la volonté des électeurs.

178. La Cour ne perd pas de vue que l’organisation de nouvelles élections sur le territoire d’un autre pays souverain, fût-ce dans un nombre limité de bureaux de vote, est susceptible de se heurter à des obstacles diplomatiques ou opérationnels importants et d’entraîner des coûts supplémentaires. Elle estime cependant que la tenue de nouvelles élections dans ce dernier bureau de vote, où il y avait de sérieux indices d’irrégularités dans le processus électoral commises par la commission électorale le jour du scrutin (voir paragraphe 170 ci-dessus), aurait permis de concilier le but légitime de l’annulation des résultats électoraux, à savoir la préservation de la légalité du processus électoral, avec les droits subjectifs des électeurs et des candidats aux élections parlementaires. La Cour observe que cet élément, non plus, n’a été pris en compte dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle bulgare.

179. Pour ces motifs, la Cour considère que l’annulation des résultats électoraux dans les bureaux de vote en question par la Cour constitutionnelle bulgare, le retrait à M. Riza de son mandat de député et la perte pour le DPS d’un siège au Parlement attribué à la proportionnelle ont constitué une ingérence dans l’exercice par les 101 requérants de leur droit électoral actif et par M. Riza et le DPS de leur droit électoral passif. Compte tenu des carences constatées du droit interne, et de l’absence de toute possibilité d’organiser de nouvelles élections, l’arrêt litigieux, qui reposait sur des arguments purement formels, a causé une atteinte injustifiée aux droits des 101 requérants et de M. Riza et du DPS de participer aux élections législatives respectivement en tant qu’électeurs et en tant que candidats. Il y a donc eu deux violations distinctes de l’article 3 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

180. Le DPS allègue que la modification du résultat électoral lui a fait perdre une partie de la subvention de l’État qui lui revenait en tant que parti représenté au Parlement national. Étant donné qu’il n’a pas pu se constituer partie à la procédure devant la Cour constitutionnelle et que le droit interne ne prévoyait aucun autre recours judiciaire pour contester la réduction de cette subvention, le DPS se plaint de n’avoir pas eu accès à un tribunal pour défendre ce droit qu’il qualifie de « civil ». Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...).».

181. Le Gouvernement combat cette thèse et conteste en particulier l’applicabilité de l’article 6 de la Convention en l’espèce. Il soutient que le droit des partis politiques d’obtenir ladite subvention n’est pas un « droit civil » au regard de l’article 6, mais un droit de caractère politique. Par ailleurs, la réduction alléguée de la subvention due au DPS serait résultée de la modification apportée au résultat électoral du parti à la suite des irrégularités constatées dans le processus de vote. Aussi s’agissait-il clairement, pour le Gouvernement, d’un litige électoral et non d’un litige portant sur un droit de caractère civil.

182. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention trouve à s’appliquer seulement s’il y a « une contestation sur des droits et obligations de caractère civil » ou « une accusation en matière pénale ». Dans la présente affaire, le parti politique requérant, le DPS, se plaint de n’avoir pas pu porter le litige qui aurait été déterminant pour le montant de sa subvention de l’État devant un tribunal offrant toutes les garanties procédurales consacrées à l’article 6.

183. La Cour observe que la subvention étatique en question était versée aux partis politiques en fonction de leurs résultats électoraux aux élections législatives précédentes et que son montant était proportionnel au nombre de suffrages valides obtenus par les partis (paragraphes 88 et 89 ci-dessus). En l’espèce, la réduction alléguée de la subvention étatique allouée au DPS était la conséquence directe de l’annulation, pour des raisons d’irrégularités constatées dans le processus électoral, des 18 140 voix obtenues par le parti dans 23 bureaux de vote. Il s’agissait donc d’un litige électoral, dont l’issue aurait produit des effets sur le patrimoine du requérant.

184. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les litiges électoraux, même s’ils ont un enjeu patrimonial pour les requérants, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention parce qu’ils n’ont trait ni à une « contestation sur un droit de caractère civil » ni à « une accusation en matière pénale » (Pierre-Bloch c. France, 21 octobre 1997, §§ 51 et 53-59, Recueil 1997‑VI ; Cheminade c. France (déc.), no 31599/96, CEDH 1999‑II). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

185. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. ».

A. Dommage

186. Le premier requérant, M. Riza, réclame 60 155 EUR pour préjudice matériel, précisant que ce montant est l’équivalent du salaire de député au Parlement national qu’il aurait perçu pendant quatre ans. Il demande également 15 000 EUR pour préjudice moral.

187. Pour dommage matériel, le deuxième requérant, le DPS, demande une somme égale au montant qu’il aurait perçu au titre de la subvention de l’État pendant quatre ans si les 18 140 voix recueillies par le parti dans les 23 bureaux de vote en question n’avaient pas été exclues de son score électoral. Il présente deux estimations de cette somme effectuées selon deux méthodes de calcul différentes qui sont, à ses dires, fonction des changements de la législation interne en matière de calcul et de paiement de la subvention étatique versée aux partis politiques (paragraphes 88-90 ci‑dessus) : 395 507 EUR, selon la première méthode ; 335 740 EUR, selon la seconde.

188. Les 101 autres requérants estiment que le constat d’une violation de leur droit garanti par l’article 3 du Protocole no 1 constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

189. Le Gouvernement s’oppose aux prétentions de M. Riza et du DPS. Il invite la Cour à déclarer que le constat d’une violation fournirait une satisfaction équitable suffisante. À titre subsidiaire, il soutient que les revendications des deux premiers requérants sont excessives et non étayées.

190. Pour ce qui est du préjudice matériel, la Cour observe que M. Riza et le DPS ont réclamé à ce titre des sommes représentant, selon eux, le manque à gagner découlant de l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle bulgare pour une période de quatre ans, soit la totalité du mandat de la 41e législature. La Cour estime que ces prétentions ne sont pas suffisamment étayées en raison notamment des circonstances suivantes.

191. Elle observe, en premier lieu, que ces deux requérants ont fondé leurs estimations sur la présomption que la 41e Assemblée nationale fonctionnerait jusqu’à la fin de son mandat de quatre ans. Or cette assemblée a été dissoute par décret présidentiel avant le terme de son mandat (paragraphe 52 ci-dessus). Elle observe, en deuxième lieu, que M. Riza, comme tout autre député au Parlement national, n’était pas assuré d’aller au terme de son mandat de quatre ans et qu’il n’a pas précisé quel était le montant de ses revenus substitutifs pendant la période comprise entre le retrait de son mandat et la fin de la 41e législature. En troisième lieu, la Cour note que le constat de violation dans la présente affaire découle non seulement de l’annulation des élections dans les bureaux de vote en question, mais également de l’absence de toute possibilité d’organiser de nouvelles élections (paragraphes 176-178 ci-dessus). Ainsi, la Cour n’est pas en mesure de calculer le manque à gagner du DPS en se fondant sur la différence entre les votes annulés et les votes dont le parti aurait bénéficié à l’issue d’éventuelles nouvelles élections.

192. La Cour estime, dès lors, qu’il y lieu de rejeter les prétentions de ces deux requérants concernant le dédommagement d’un préjudice matériel.

193. En ce qui concerne le dédommagement du préjudice moral allégué, compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime que le constat de violation du droit de voter des 101 requérants figurant en annexe et le constat de violation du droit de M. Riza de participer aux élections en tant que candidat constituent une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par eux.

B. Frais et dépens

194. Le DPS sollicite encore 5 300 EUR pour frais et dépens, somme qui correspondrait aux honoraires de l’avocat engagé pour la procédure devant la Cour. Les 101 autres requérants réclament 3 400 EUR pour frais et dépens, somme correspondant, selon eux, aux honoraires de l’avocat engagé pour la procédure devant la Cour.

195. Le Gouvernement est d’avis que les sommes demandées à ce titre par les requérants sont excessives et non étayées.

196. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

197. En l’espèce, la Cour observe que tous les requérants ont été représentés par le même avocat et que les arguments soulevés par ces derniers sont, pour la plupart, identiques. Compte tenu de ces circonstances, des documents présentés et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 6 000 EUR et l’accorde conjointement au DPS et aux 101 autres requérants.

C. Intérêts moratoires

198. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement concernant la qualité de victime des requérants au regard des griefs tirés de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et la rejette ;

2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 en ce qui concerne le droit de voter des 101 requérants dont les noms figurent en annexe de l’arrêt ;

4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 en ce qui concerne le droit de se présenter aux élections de M. Riza et du DPS ;

5. Dit à l’unanimité,

a) que le constat de violation constitue une satisfaction équitable suffisante pour la violation du droit de voter des 101 requérants dont les noms figurent en annexe et pour la violation du droit de se présenter aux élections de M. Riza ;

b) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros), conjointement au DPS et aux 101 requérants dont les noms figurent en annexe, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour frais et dépens, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement ;

c) que, à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Wojtyczek ;

– opinion en partie dissidente de la juge Kalaydjieva.

G.R.A.
F.E.P.


ANNEXE

Liste des requérants en l’affaire no 48377/10

1. Emrula Fikret HASAN né en 1988, résidant à Kanyak
2. Fahrie Hasanova ABILOVA née en 1956, résidant à Cherkovna
3. Mehmed Mehmed ADEM né en 1970, résidant à Dropla
4. Ahmed Mustafa AHMED né en 1953, résidant à Osenovets
5. Beyzat Myustedzheb AHMED né en 1963, résidant à Golyam Porovets
6. Fatme Ismail AHMED née en 1938, résidant à Dzhebel
7. Hasan Sali AHMED né en 1936, résidant à Dzhebel
8. Niyazi Mehmedov AHMEDOV né en 1952, résidant à Gorna Hubavka
9. Ikbale Yumerova AHMEDOVA née en 1961, résidant à Pristoe
10. Fikri Mehmed ALI né en 1968, résidant à Guliyka
11. Esat Mustafa ALIOSMAN né en 1965, résidant à Balabanovo
12. Reshad Ferad ALIOSMAN né en 1956, résidant à Duhovets
13. Stefka Yulianova ANGELOVA née en 1978, résidant à Yakim Gruevo
14. Kalin Asenov ASENOV né en 1959, résidant à Yablanovo
15. Marin Asenov ASENOV né en 1954, résidant à Podayva
16. Velyo Zafirov AVRAMOV né en 1952, résidant à Kliment
17. Shaban Sali BALABAN né en 1961, résidant à Balabanovo
18. Mahir Muharem BILYAL né en 1961, résidant à Sredoseltsi
19. Emil Semov BONEV né en 1951, résidant à Vazovo
20. Mehmet BOYADZHA né en 1991, résidant à Zarnevo
21. Yakim Angelov DAMYANOV né en 1963, résidant à Duhovets
22. David Borisov DAVIDOV né en 1948, résidant à Todorovo
23. Remzi Ibryam DERVISH né en 1971, résidant à Bagriltsi
24. Ilyaz Myumyun DURMUSH né en 1937, résidant à Ptichar
25. Syuleyman Hyusein DZHELIL né en 1949, résidant à Duhovets
26. Nevin Yusnyu DZHINDZHI GERDZHIK née en 1977, résidant à Dulovo
27. Shevked Myumyun EMURLA né en 1955, résidant à Kardzhali
28. Zahari Minkov FIDANOV né en 1951, résidant à Duhovets
29. Yuliyan Zamfirov GAYGYOV né en 1956, résidant à Ratlina
30. Imren Sabri GORAL née en 1984, résidant à Semerdzhievo
31. Myumin GYULER né en 1990, résidant à Chernooki
32. Dincher Remzi HADZHIMEHMED né en 1974, résidant à Dzhebel
33. Myumyun Ahmed HADZHIMEHMED né en 1952, résidant à Balabanovo
34. Ismail Mehmed HALIM né en 1949, résidant à Pchelina
35. Shevked Ahmedov HALIMOV né en 1954, résidant à Izgrev
36. Ahmed Hyusein HAMZA né en 1950, résidant à Ratlina
37. Martin Martinov HARIZANOV né en 1947, résidant à Mortagonovo
38. Sami Shakirov HASANOV né en 1942, résidant à Yasenovets
39. Hikmet Kasim IBRYAM né en 1952, résidant à Kubrat
40. Ibryam Raim IBRYAM né en 1946, résidant à Bezmer
41. Mehmed Myumyun IBRYAM né en 1957, résidant à Chernooki
42. Filip Ivanov IGNATOV né en 1955, résidant à Orlyak
43. Iliya Mirchev ILIEV né en 1942, résidant à Sredkovets
44. Rumen Ananiev ILIEV né en 1954, résidant à s. Kliment
45. Ali Mustafa ISA né en 1954, résidant à Yablanovo
46. Ayshe Hamza ISA née en 1954, résidant à Yablanovo
47. Maya Martinova ISAYEVA née en 1952, résidant à Shumen
48. Ismail Adem ISMAIL né en 1946, résidant à Isperih
49. Emine Hyusein KARAMOLLA née en 1979, résidant à Benkovski
50. Nedko Filipov KARDZHIEV né en 1958, résidant à Venets
51. Aynur Ismail KASIM née en 1981, résidant à Zarnevo
52. Ahmed Shaban KUPLEDIN né en 1938, résidant à Mortagonovo
53. Emil Yordanov KYOSEV né en 1944, résidant à Provadiya
54. Mustafa Kyazamov KYUCHUKHASANOV né en 1949, résidant à Yablanovo
55. Elif Ibryamova KYUCHYUKHASANOVA née en 1952, résidant à Yablanovo
56. Emil Milkov MANOV né en 1953, résidant à Sredkovets
57. Beyram Kerim MEHMED né en 1955, résidant à Kitanchevo
58. Hyuray Mehmed MEHMED né en 1989, résidant à Dropla
59. Lyutfi Zakir MEHMEDEMIN né en 1951, résidant à Mortagonovo
60. Ahmed Karani MEHMEDOV né en 1963, résidant à Hitrino
61. Sali Ibryamov MEHMEDOV né en 1938, résidant à Veselina
62. Aygyul Mehmed MESRUR née en 1967, résidant à Boil
63. Genadiy Asenov METEV né en 1961, résidant à Beli Lom
64. Nikolay Marinov MIHAILOV né en 1961, résidant à Sokolartsi
65. Boyan Evgeniev MIHAYLOV né en 1957, résidant à Bistra
66. Snezhina Milanova MITEVA née en 1953, résidant à Ratlina
67. Stiliyan Mladenov MLADENOV né en 1947, résidant à Beli Lom
68. Redzheb Akif MUHAREM né en 1954, résidant à Kapinovtsi
69. Ema Asenova MURATOGLU née en 1970, résidant à Zarnevo
70. Sali Ahmedov MUSOV né en 1944, résidant à Ratlina
71. Ahmed Ibryam MUSTAFA né en 1950, résidant à Kardzhali
72. Efraim Dzhemail MUSTAFA né en 1939, résidant à Kliment
73. Mustafa Esat MUSTAFA né en 1989, résidant à Balabanovo
74. Mustafa Fikret MUSTAFA né en 1981, résidant à Targovishte
75. Ahmed Durmush MYUMYUN né en 1954, résidant à Kardzhali
76. Bayryam Beysim MYUMYUN né en 1963, résidant à s. Izgrev
77. Ismet Myumyunov MYUMYUNOV né en 1970, résidant à Spoluka
78. Lefter Marinov OGNYANOV né en 1952, résidant à Yablanovo
79. Mladen Slavov OGNYANOV né en 1951, résidant à Haskovo
80. Syuleyman Mustafa OSMAN né en 1956, résidant à Chernooki
81. Vadet Nazif OSMAN né en 1952, résidant à Duhovets
82. Miroslav Sabev PRESIYANOV né en 1951, résidant à Konop
83. Svetlin Naydenov RADEV né en 1957, résidant à Todorovo
84. Hyusein Hyusein REDZHEB né en 1949, résidant à s. Duhovets
85. Redzheb Shakir REDZHEB né en 1933, résidant à Takach
86. Nevise Hasan RUFAD née en 1971, résidant à Dzhebel
87. Ivaylo Nikiforov SABEV né en 1959, résidant à Nozharovo
88. Syuleyman Mehmed SADAK né en 1948, résidant à Kardzhali
89. Byulent Ahmed SADETIN né en 1985, résidant à Kitnitsa
90. Yakub Shaban SALI né en 1950, résidant à Isperih
91. Sali Salimehmed SALISH né en 1954, résidant à Aytos
92. Marko Minchev SEVDALINOV né en 1962, résidant à Ludogortsi
93. Ibryam Arifov SHAKIROV né en 1949, résidant à Ardino
94. Fari Redzheb SHEVKED né en 1960, résidant à Rani list
95. Mitko Andreev TODOROV né en 1933, résidant à Cherencha
96. Anton Asenov TSENKOV né en 1934, résidant à Kliment
97. Shamsidin Salim VELI né en 1951, résidant à Duhovets
98. Shefkie Shefket VELI née en 1965, résidant à Shumen
99. Nadzhi Samiev YAHOV né en 1954, résidant à Isperih
100. Mincho Adriyanov YOSIFOV né en 1960, résidant à Duhovets
101. Alben Varadinov YURUKOV né en 1955, résidant à Ratlina

OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK

1. Dans la présente affaire, j’ai voté pour constater une violation de l’article 3 du Protocole no 1, toutefois je ne suis pas convaincu par le raisonnement développé par la majorité.

2. La majorité suit le schéma de raisonnement suivant : constatation de l’existence d’une ingérence dans le droit protégé, puis examen de la question de savoir si l’ingérence est justifiée. Cette façon de procéder suscite en l’espèce un certain nombre d’interrogations.

Premièrement, la constatation d’une ingérence dans un droit présuppose une définition précise du contenu du droit concerné et de son champ d’application. En effet, le schéma fondé sur l’analyse de l’ingérence comprend habituellement trois éléments : définition du contenu du droit en question et de son champ d’application (en allemand : Schutzbereich), établissement de l’existence d’une ingérence (Grundrechtseingriff) et vérification de la légitimité de l’ingérence (Rechtfertigung). Or, dans la présente affaire, le premier élément (définition du contenu du droit et du champ d’application) fait partiellement défaut.

Deuxièmement, l’approche décrite, développée par la jurisprudence et la science des droits fondamentaux allemandes, est très utile pour les droits qui admettent des limitations. Un tel droit, tel que défini par la Convention, est un droit prima facie qui protège son titulaire contre les ingérences illégitimes, et dont le contenu définitif dépend en réalité de l’étendue des limitations pouvant être imposées en conformité avec la Convention. Le contenu spécifique de certains droits peut rendre le schéma exposé ci-dessus inapplicable. Il en est ainsi en particulier dans le cas des droits pour lesquels les limitations ne sont pas permises : pour ce type de droits, la constatation d’une ingérence équivaut à une constatation de la violation du droit en question sans qu’il y ait à s’interroger sur la légitimité de l’ingérence.

L’article 3 du Protocole no 1 tel qu’il est libellé met l’accent sur les garanties objectives des élections libres plus que sur les droits subjectifs des citoyens. Il permet néanmoins d’inférer de ces garanties objectives l’existence de garanties des droits individuels de voter et de se porter candidat aux élections parlementaires. Toutefois, le contenu exact de ces droits subjectifs doit être établi à la lumière de la garantie objective d’élections libres. Ainsi, le droit électoral actif est le droit de voter dans le cadre d’élections libres et d’influer par le vote sur la composition du parlement. Le droit électoral passif est le droit de concourir pour un siège au parlement dans une élection libre. La notion même d’élections libres présuppose un certain nombre d’éléments, parmi lesquels on peut citer à titre d’exemple l’égalité des chances entre les candidats et les partis et une procédure électorale qui aboutit à ce que le résultat officiel des élections reflète fidèlement le vote des électeurs. Il découle aussi de l’article 3 que le suffrage universel et les limitations du champ personnel des droits électoraux actif et passif peuvent s’analyser selon le schéma exposé ci‑dessus (champ d’application, ingérence, justification). Par contre, ce schéma tripartite ne semble pas adéquat pour appréhender les irrégularités de la procédure électorale qui remettent en cause la sincérité du scrutin.

Par ailleurs, il faut souligner que l’élection du corps législatif est une procédure longue et compliquée qui démarre avec la convocation d’élections et qui se termine avec les décisions de justice définitives statuant sur les contestations éventuelles de l’issue du scrutin. Tant que le juge électoral n’a pas statué, la procédure électorale n’est pas achevée. Les résultats proclamés par une commission électorale et contestés devant un juge électoral ne peuvent pas constituer le point de référence pour apprécier les ingérences portées dans les droits protégés par l’article 3 du Protocole no 1.

Si l’argumentation de la majorité ne commence pas avec la définition du droit électoral actif, une telle définition est néanmoins formulée dans l’arrêt avec une précision suffisante pour les besoins de l’examen de la présente affaire : le droit électoral actif est le droit de voter et d’influer sur la composition du corps législatif (paragraphe 148). Le fait que certains votes émis de façon valide par les électeurs n’aient pas été comptabilisés peut s’analyser en une ingérence dans l’exercice par ces personnes du droit électoral actif.

Par contre, la motivation de l’arrêt ne propose pas de définition du droit électoral passif et de ce fait la conceptualisation de l’ingérence à ce droit semble défaillante. Pour la majorité, le fait que le score électoral du Mouvement pour les droits et libertés ait été diminué et que M. Riza ait perdu son siège par suite de la décision de la Cour constitutionnelle constitue en soi une ingérence dans l’exercice par ces deux requérants de leur droit électoral passif. Il est difficile de suivre cette partie du raisonnement. La décision du juge de réviser les résultats d’un scrutin proclamés par une commission nationale est un élément important de la procédure électorale qui conduit à établir le résultat définitif des élections. Le fait qu’un candidat perde son mandat ou qu’un parti perde des voix et des sièges par rapport à une première proclamation officielle des résultats à la suite de la décision d’une juridiction électorale ne constitue pas en soi une ingérence dans l’exercice du droit électoral passif. Dans la présente affaire, l’ingérence dans le droit électoral passif du Mouvement pour les droits et libertés et de M. Riza ne consiste pas en une diminution d’un score électoral par le juge par rapport au résultat officiel proclamé auparavant mais résulte d’un certain nombre d’irrégularités commises au cours des élections, qui débouchent sur une situation dans laquelle les résultats définitifs officiels ne reflètent pas fidèlement la réalité du scrutin.

3. L’élection parlementaire tenue en 2009 en Bulgarie a été évaluée par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (Republic of Bulgaria Parliamentary Elections, 5 July 2009, OSCE/ODIHR, Limited Election Observation Mission Final Report, Warsaw 30 September 2009) et par le Conseil de l’Europe (Observation des élections législatives en Bulgarie (5 juillet 2009), Commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée, 16 septembre 2009, Doc. 12008). Selon les conclusions générales de ces rapports, elle a respecté les principales normes internationales, toutefois un certain nombre de difficultés ont été constatées. Le rapport de l’OSCE indique notamment ceci : « According to the law, there is no obligation to register to vote and therefore no formal voter list for voters abroad is compiled. Thus, any citizen may vote at a PEC [Precinct Election Commission] abroad upon presenting a Bulgarian passport or military identification. This was perceived by some interlocutors as a possible mechanism for multiple voting. Some 57,346 individuals pre-registered at embassies and were then deleted from the domestic voter lists ». On y trouve la recommandation suivante : « Out-of-country procedures should be further regulated to include safeguards against possible multiple voting ». Le Comité ad hoc du Bureau de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe estime quant à lui dans son rapport que « l’utilisation de bulletins de vote par correspondance et le vote à l’étranger ont été largement considérés comme des mécanismes possibles de vote multiple » (§ 28).

4. La présente affaire fait apparaître toute une série d’irrégularités liées au vote à l’étranger qui ont abouti à un litige portant sur la validité et la comptabilisation de 18 358 votes dans 23 bureaux électoraux de Turquie : absence de procès-verbal, absence de première page du procès-verbal ou absence de signature sur certains documents, au bas de la liste des électeurs inscrits. La majorité relève aussi, à très juste titre, un certain nombre des déficiences de la législation électorale en vigueur en 2009, notamment le manque de précision de la loi électorale sur un certain nombre de points ainsi que le fait que le juge électoral ne pouvait pas décider la tenue de nouvelles élections.

Toutefois, la motivation de l’arrêt de la Cour repose sur l’idée que les irrégularités du processus électoral avaient un caractère mineur et ne justifiaient pas la décision de ne pas prendre en considération les 18 358 bulletins de votes en question. Selon la majorité, la Cour constitutionnelle aurait dû décider de comptabiliser ces bulletins sauf pour un bureau de vote, où il aurait été nécessaire d’organiser de nouvelles élections. Si l’on suit ce raisonnement, la violation de l’article 3 du Protocole no 1 par la Bulgarie résulte de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle.

À mon avis, les problèmes du point de vue de l’article 3 du Protocole no 1 ne commencent pas au stade du contrôle juridictionnel des élections mais bien en amont. À la lumière des rapports de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, il faut se garder de sous-estimer le poids des irrégularités commises pendant le vote et lors du décompte des voix dans les bureaux électoraux en question. Ces irrégularités ont pu avoir un certain impact sur le résultat des élections. Il est difficile de déterminer avec certitude quel était le nombre exact de suffrages obtenus réellement par les différentes listes en compétition dans les bureaux de vote concernés et si les 18 358 bulletins provenant de ces bureaux correspondent à des votes valides et reflètent fidèlement les résultats du scrutin. Il serait en tout cas plus prudent de parler dans ce cas de « bulletins de vote » que de « votes ».

La Cour constitutionnelle bulgare, saisie par un parti politique, s’est sentie dans l’obligation de réagir face aux irrégularités révélées. Il faut souligner en même temps que, dans le contexte des différentes imperfections de la loi électorale bulgare, la marge de manœuvre de la haute juridiction était limitée. Elle se trouvait confrontée au choix suivant : admettre la validité des bulletins des votes dans les bureaux en question, annuler les élections dans ces bureaux, ou admettre la validité des bulletins des votes dans certains de ces bureaux et annuler les élections dans d’autres. Aucune de ces trois solutions ne semble pleinement satisfaisante, et de ce fait le contrôle juridictionnel ne pouvait pas réparer les irrégularités commises à des stades antérieurs de la procédure électorale.

Dans les conditions décrites ci-dessus, la violation de l’article 3 du Protocole no 1 résulte des imperfections de la loi et des irrégularités qui ont été commises lors des différentes étapes de la procédure électorale et qui n’ont pas pu être réparées de façon satisfaisante au stade du contrôle juridictionnel de l’élection. Ce n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle considéré isolément mais le processus électoral dans son ensemble qui ne répond pas complètement aux normes découlant de l’article 3 du Protocole no 1 et qui justifie un constat de violation de cette disposition.

5. Le code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise préconise la possibilité d’annuler en partie ou en totalité une élection et de décider la tenue de nouvelles élections. Toutefois, cette solution n’est pas exempte, elle non plus, d’un certain nombre d’inconvénients. Une nouvelle élection présente nécessairement de nouveaux enjeux et de nouveaux thèmes de campagne et elle induit des comportements électoraux différents. Ces différences sont particulièrement aiguës si les suffrages exprimés à des dates différentes sont comptabilisés ensemble au niveau national dans le but de répartir des sièges entre les listes de candidats. De plus, en cas de nouvelles élections organisées à l’étranger, il faut tenir compte, outre les difficultés signalées à très juste titre au paragraphe 178 de la motivation de l’arrêt, d’autres problèmes. La composition du corps électoral à l’étranger peut varier rapidement en fonction des déplacements des électeurs. Il faut prévoir aussi des mécanismes efficaces qui empêchent les électeurs ayant déjà voté une première fois sur le territoire national ou à l’étranger, dans des bureaux de vote où l’élection n’a pas été annulée, de voter une deuxième fois.

Dans ces conditions, il est essentiel de mettre en place une législation claire et précise, prévoyant des garanties efficaces de la régularité de toutes les étapes de la procédure électorale, de manière à réduire autant que possible le risque qu’il soit nécessaire de contester les résultats des élections devant le juge.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE KALAYDJIEVA

(Traduction)

Je suis d’accord avec la majorité pour dire que l’examen fait par la Cour constitutionnelle bulgare de la régularité du scrutin constitue une ingérence dans l’exercice par les requérants du droit à des élections démocratiques garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention. Dans la mesure que cette ingérence concernait un stade achevé du processus électoral, j’estime que, par définition, elle était justifiée aux fins d’assurer que le processus électoral respecte dûment toutes les procédures qui sont au cœur de l’autorité dont les électeurs investissent les élus. La majorité n’a exprimé ni doutes ni préoccupations à cet égard.

Toutefois, le fait même qu’il y ait eu « ingérence » dans, ou restriction des droits individuels, ne suffit pas en lui-même à conclure qu’il y a nécessairement eu violation de ces droits. Avant de parvenir à une telle conclusion, il faut normalement vérifier la légalité de la mesure et son caractère proportionné ou non au regard de l’objectif légitime poursuivi. À cet égard, je ne suis toujours pas convaincue que l’exercice par une Cour constitutionnelle de la compétence en question et/ou les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 se prêtent à pareille analyse, à laquelle, en fait, la majorité n’a pas procédé.

Au lieu de cela, elle a estimé opportun (paragraphes 153 à 179), tout en réaffirmant formellement le principe établi selon lequel les exigences de l’article 6 ne sont pas applicables aux décisions des juridictions constitutionnelles, d’apprécier au regard des critères inapplicables de cette disposition la manière dont la Cour constitutionnelle avait exercé sa compétence. Cette analyse qui s’arrête juste un pas avant de déclarer la décision litigieuse arbitraire, commence par mettre en doute la nécessité initiale d’accepter la demande d’examen de la régularité du processus électoral, examine la portée de cet examen et le caractère suffisant ou non du raisonnement de la Cour constitutionnelle, critique la procédure appliquée par cette cour, et atteint son point culminant en rejetant l’interprétation du droit interne faite par les juges nationaux, avant de parvenir à la conclusion globale que cette « ingérence a emporté violation » à l’égard de tous les requérants du droit à des élections démocratiques.

À mon avis, et si l’on suit la jurisprudence de notre Cour, chacune de ces questions relève exclusivement de la compétence de la Cour constitutionnelle et ne devrait pas y être soustraite. Je trouve d’une certaine ironie le fait d’être obligée pour la première fois dans ma dernière opinion dissidente de rappeler que la CEDH ne peut se substituer aux juridictions nationales compétentes si elle veut demeurer fidèle au principe selon lequel son propre rôle est subsidiaire. Pourtant, s’il y a jamais eu lieu de le faire, c’est bien aujourd’hui.

Comme mon éminent collègue le juge Wojtyczek, je considère que la présente affaire ne concerne ni un « dysfonctionnement flagrant » de la Cour constitutionnelle dans l’exercice qu’elle a fait de sa compétence pour garantir le respect des règles électorales, ni une conclusion arbitraire ou erronée portée par elle dans l’affaire dont elle était saisie. À cet égard, je suis totalement d’accord avec la conclusion du juge Wojtyczek selon laquelle « [c]e n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle (Решение № 2 от 16.02.2010 г. на КС по к. д. № 10/2009 г.) qui ne répond pas complètement aux standards découlant de l’article 3 du Protocole nº 1 ». Pour moi, les aspects problématiques en ce qui concerne l’exercice des droits des requérants garantis par l’article 3 du Protocole no 1 trouvent leur racine et leur limite dans l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’en l’espèce, la majorité serait parvenue à des conclusions différentes s’il avait été possible pour les requérants de participer à un nouveau scrutin organisé pour corriger les vices de procédure constatés par la Cour constitutionnelle.

L’article 3 du Protocole no 1 prévoit d’abord et avant tout une « obligation positive » pour les États d’« organiser des élections libres » dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif », ce qui implique les droits subjectifs de voter et de se porter candidat aux élections.

À mon regret, je ne peux suivre mes éminents collègues dans leur conclusions en l’absence d’analyse appropriée de la portée de l’obligation positive d’« organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » et de la mesure dans laquelle cette obligation a été respectée en l’espèce, des distinctions devant être opérées dans la portée et la nature des droits individuels garantis par cette disposition et de l’effet potentiel de la décision de la Cour constitutionnelle prise seule ou combinée avec l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin pour la mettre en œuvre.

J’ai voté en faveur du constat de violation des droits des 101 requérants de la requête nº 48377/10 pour des raisons reposant sur l’humble tentative de procéder à cette analyse différente. Le dispositif de la décision de la Cour constitutionnelle indique expressément (paragraphe 48 de l’arrêt) que « les votes en question étaient valides au regard de la législation interne, mais qu’ils devaient être soustraits des résultats électoraux en raison de l’irrégularité des listes électorales et des procès-verbaux de vote ». La manière dont je comprends cette décision au regard de la Convention est que même si les votes étaient valides en eux-mêmes, ils n’avaient pas été exprimés « dans les conditions qui assurent [et permettent la vérification de] la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif », et il fallait donc que l’intégralité du processus défectueux soit écartée. Or, en l’absence de possibilité de procéder à une nouvelle élection à même de redresser ces vices, il n’a pas été envisagé de restaurer la possibilité pour les 101 requérants d’exercer effectivement leur droit d’influer sur le choix du corps législatif. Ainsi, n’ayant pas répondu à l’obligation positive d’« organiser [un nouveau tour d’]élections libres » dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion [des requérants et de plus de 18 000 autres électeurs] sur le choix du corps législatif », la mise en œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle a eu pour effet définitif et direct d’ignorer totalement l’exercice du droit des requérants de voter.

L’article 3 du Protocole no 1 protège aussi le droit de M. Riza et du parti DPS de se porter candidats aux élections, un droit qui diffère, de par sa nature et sa portée, du droit électoral actif. Pour autant, cette disposition ne garantit pas le droit d’obtenir un siège au Parlement comme ces deux requérants semblent le prétendre. Il est à noter avant tout que l’on ne peut pas dire dans les circonstances de l’espèce, où le scrutin était proportionnel, que l’élection initialement annoncée de M. Riza et de son siège de candidat du parti requérant aient été le résultat direct du scrutin dans les circonscriptions concernées, annulé par la suite. La situation aurait peut-être été différente si M. Riza avait gagné un siège pour le parti requérant dans la circonscription concernée dans le cadre d’un scrutin majoritaire.

Or la majorité semble baser son constat de violation des droits de ces deux requérants sur la prémisse qu’en annulant le résultat qui était en leur faveur, la Cour constitutionnelle a pris une décision qui a nui de manière directe et injustifiée à leur droit de se porter candidats à des élections. Je ne peux suivre mes collègues dans cette conclusion, car je ne vois pas pareil lien de causalité entre la décision de la Cour constitutionnelle et le préjudice subi par les requérants. M. Riza et son parti ne se trouvent pas dans la même situation que les 101 requérants de la requête no 48377/10, dont le droit de vote a été directement touché : l’article 3 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à être élu, et la majorité n’a pas expliqué en quoi la décision de la Cour constitutionnelle avait porté atteinte au droit d’être candidat à des élections ou limité ce droit de telle sorte qu’elle aurait été contraire aux exigences de l’article 3 du Protocole no 1. Pour les raisons exposées ci‑dessus, je ne peux me ranger à l’avis de la majorité à l’égard de cette décision, et je partage au contraire celui du juge Wojtyczek, selon lequel « [c]e n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle (...) qui ne répond pas complètement aux standards découlant de l’article 3 du Protocole no 1 ».

S’il est vrai que le résultat de cette élection, qui avait été remportée par les requérants, a été annulé, cette décision reposait sur des vices de procédure établis et ne portait nullement atteinte au droit des deux requérants de se porter candidats à des élections au niveau national ou local : par exemple, la validité de l’inscription du parti requérant et la place de M. Riza sur la liste correspondante n’ont pas été remises en cause.

L’examen de la situation de ces deux requérants aurait dû à mon avis porter, comme dans les requêtes des 101 électeurs, sur l’effet de la mise en œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle sur le droit des intéressés à des élections libres, en l’occurrence le droit de se porter candidats dans les mêmes conditions que les autres, et non sur leur situation d’anciens gagnants ou de gagnants potentiels de l’élection. Alors que le respect de l’engagement d’organiser des élections (ou de nouvelles élections) libres aurait été apte à remédier à la situation des 101 électeurs en restaurant directement leur possibilité effective de voter, on voit mal comment un nouveau scrutin aurait eu pour résultat certain la réélection de M. Riza et l’obtention par son parti du même nombre de sièges au parlement que lors du premier scrutin. La Cour ne peut spéculer sur l’issue potentielle d’une nouvelle élection dans les circonstances intrinsèquement aléatoires qui sont celles d’un système électoral de scrutin proportionnel tel que celui en cause en l’espèce. Les deux requérants candidats ne se plaignent pas d’avoir été privés de la possibilité de se porter candidats aux élections dans le cadre d’un deuxième tour, et la mesure dans laquelle leurs chances de remporter un nouveau scrutin relèvent de la portée de l’article 3 du Protocole no 1 est discutable.

En l’espèce, l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin pour corriger les défaillances établies du premier scrutin a clairement porté aux droits des 101 requérants électeurs une atteinte touchant l’essence même de ces droits et les privant de toute effectivité. En revanche, il n’en va pas nécessairement de même du droit des requérants Riza et DPS de se porter candidats à une élection au scrutin proportionnel : l’article 3 du Protocole no 1 garantit un droit individuel de se porter candidat aux élections, mais non un droit à les remporter.


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