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04/06/2015 | CEDH | N°001-155205

CEDH | CEDH, AFFAIRE J.K. ET AUTRES c. SUÈDE, 2015, 001-155205


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE J.K. ET AUTRES c. SUÈDE

(Requête no 59166/12)

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2015

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 23/08/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire J.K. et autres c. Suède,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, Président,

Angelika Nußberger,

Boštjan M. Zupančič,

Vincent A. De Gaetano,

André Potocki,

Helena Jäderblom,

Aleš Pejchal, juges,

et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avri...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE J.K. ET AUTRES c. SUÈDE

(Requête no 59166/12)

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2015

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 23/08/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire J.K. et autres c. Suède,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, Président,

Angelika Nußberger,

Boštjan M. Zupančič,

Vincent A. De Gaetano,

André Potocki,

Helena Jäderblom,

Aleš Pejchal, juges,

et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59166/12) dirigée contre le Royaume de Suède et dont trois ressortissants irakiens ont saisi la Cour le 13 septembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non‑divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).

2. Les requérants ont été représentés par Me Canela Skyfacos, avocat à Limhamn. Le gouvernement suédois (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Gunilla Isaksson, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants alléguaient que leur expulsion vers l’Irak emporterait violation de l’article 3 de la Convention.

4. Le 18 septembre 2012, le président de l’ancienne troisième section décida d’appliquer l’article 39 du règlement de la Cour, indiquant au Gouvernement que les requérants ne devaient pas être expulsés vers l’Irak pendant la procédure devant la Cour.

5. À la même date, la requête fut communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants, un couple marié et leur fils, sont nés respectivement en 1964, 1965 et 2000. Leur appartenance religieuse est inconnue.

7. Le 14 décembre 2010, le requérant demanda l’asile et un permis de séjour en Suède. Le 11 juillet 2011, sa demande fut rejetée au motif qu’il avait été enregistré comme ayant quitté le pays.

8. Le 25 août 2011, il demanda de nouveau l’asile et un permis de séjour en Suède, ce que firent également les autres requérants le 19 septembre 2011.

9. Tous les requérants furent entendus le 26 septembre 2011, lors d’un entretien introductif devant le bureau des migrations (Migrationsverket). Les adultes furent ensuite à nouveau entendus le 11 octobre 2011, lors d’un entretien plus long qui dura près de trois heures et demie. Le fils des requérants fut interrogé brièvement une deuxième fois et le mari fut interrogé une troisième fois. Les requérants furent assistés par un avocat commis d’office.

10. Les requérants déclarèrent qu’ils courraient le risque d’être persécutés par Al-Qaïda s’ils étaient renvoyés en Irak et que le mari figurait sur la liste des personnes à abattre par cette organisation. Les requérants auraient été élevés à Bagdad. À partir des années 1990, le mari aurait dirigé sa propre entreprise, qui aurait travaillé exclusivement avec des clients américains et aurait eu son bureau à la base américaine « Victoria Camp ». Plusieurs de ses employés auraient été mis en garde à plusieurs reprises contre le risque de coopérer avec les Américains.

11. Le 26 octobre 2004, le mari aurait été la cible d’une tentative de meurtre organisée par Al-Qaïda. Il aurait dû rester trois mois à l’hôpital. Des inconnus l’y auraient cherché et il aurait de ce fait dû être traité dans trois hôpitaux différents.

12. En 2005, son frère aurait été enlevé par des membres d’Al-Qaïda qui auraient affirmé qu’ils allaient le tuer en raison de la collaboration du requérant avec les Américains. Son frère aurait été libéré quelques jours plus tard, après le versement d’une rançon, et il aurait immédiatement fui l’Irak. Les requérants auraient fui vers la Jordanie et y seraient restés jusqu’en décembre 2006, avant de retourner en Irak.

13. Peu de temps après, des membres d’Al-Qaïda auraient placé une bombe près de leur maison. Celle-ci aurait été détectée par la femme du requérant, et l’auteur de l’attentat aurait été arrêté par les Américains. Au cours des interrogatoires, l’auteur aurait confessé avoir été payé par Al‑Qaïda pour tuer le requérant et aurait révélé le nom de 16 personnes désignées pour surveiller les requérants. Ces derniers auraient alors déménagé en Syrie, le mari continuant toutefois ses affaires en Irak. Pendant ce temps, Al-Qaïda aurait incendié leur domicile et leur entrepôt commercial.

14. En janvier 2008, les requérants seraient retournés à Bagdad. Au mois d’octobre de la même année, le requérant et sa fille se seraient fait tirer dessus alors qu’ils se trouvaient dans leur voiture. La fille aurait été transportée à l’hôpital, où elle serait décédée. Le mari aurait alors arrêté de travailler et la famille aurait commencé à se déplacer dans Bagdad. L’entrepôt commercial aurait été attaqué quatre ou cinq fois par des membres d’Al-Qaïda, qui auraient menacé les gardiens. Le requérant déclara qu’il n’avait pas reçu de menaces depuis 2008, époque à laquelle la famille avait commencé à se déplacer. Le fils aurait passé la majeure partie de son temps à l’intérieur par peur des attaques, et il ne se serait rendu à l’école que pour les examens finaux. Ils n’auraient pas demandé de protection aux autorités nationales, qu’ils jugeaient incapables de protéger la famille et par peur de révéler leur adresse, sachant qu’Al-Qaïda collaborait avec les autorités. Le requérant aurait encore une plaie ouverte et infectée au ventre après s’être fait tirer dessus en 2004. Son épouse aurait des kystes au foie et à l’utérus. Ils présentèrent différents documents, dont des papiers d’identité, un certificat de décès de leur fille et un certificat médical attestant la blessure du mari.

15. Le 22 novembre 2011, le bureau des migrations rejeta la demande. Il constata que tous les requérants avaient prouvé leur identité et que leur récit était crédible. Toutefois, le bureau observa que le mari avait mis fin à sa collaboration avec les Américains en 2008 et que, par la suite, il était resté à Bagdad pendant deux ans sans être victime d’attaques, hormis les menaces continues contre son entrepôt commercial. Il nota par ailleurs que le couple demandeur avait trois filles qui vivaient encore à Bagdad et qui n’étaient pas harcelées. Le bureau reconnut que les requérants avaient été victimes d’actes graves de violence et de harcèlement, mais observa qu’ils n’avaient pas demandé de protection aux autorités nationales à Bagdad. Il ajouta que s’il était vrai qu’Al-Qaïda avait infiltré les autorités nationales, ce phénomène avait sensiblement diminué. Le bureau conclut dès lors que les requérants n’avaient pas suffisamment établi l’impossibilité pour eux de demander la protection des autorités nationales. Il considéra par ailleurs que l’état de santé des requérants n’était pas assez mauvais pour qu’il fallût leur accorder l’asile. Il conclut qu’il n’y avait aucun motif de leur accorder l’asile ou un permis de séjour en Suède.

16. Les requérants interjetèrent appel devant le tribunal des migrations (Migrationsdomstolen) et réaffirmèrent que les autorités irakiennes avaient été et seraient incapables de les protéger. Ils expliquèrent qu’ils avaient averti la police après l’incendie de leur maison et de leur entrepôt commercial en 2006 et 2008 et l’assassinat de leur fille en 2008, mais que, craignant de révéler leur lieu de résidence, ils n’avaient plus osé prendre contact avec les autorités par la suite. À leur mémoire se trouvait joint, en version traduite, un témoignage qu’ils disaient avoir été livré par un de leurs voisins à Bagdad. L’intéressé y déclarait qu’un groupe de terroristes masqués était venu pour chercher le requérant le 10 septembre 2011 à 22 heures et qu’il leur avait dit que les requérants avaient déménagé dans un lieu inconnu. Il y précisait que, juste après, il avait reçu un appel du requérant et lui avait parlé de l’incident. Les requérants présentèrent également un certificat de résidence et un rapport de police traduits attestant que leur domicile avait été incendié par un groupe terroriste le 12 novembre 2011. En outre, les requérants présentèrent un enregistrement d’un débat public à la télévision concernant la corruption et l’infiltration de membres d’Al‑Qaïda au sein de l’administration irakienne. Les requérants mentionnèrent à cet égard que le mari avait participé au débat public diffusé sur la chaîne Alhurra en Irak le 12 février 2008, soit quatre ans plus tôt. Enfin, présentant divers certificats médicaux, les requérants affirmèrent que l’état de santé du mari s’était détérioré et qu’il ne pourrait pas obtenir les soins hospitaliers adéquats en Irak. Le bureau des migrations fut entendu par le tribunal des migrations. Il affirma, entre autres, que les documents présentés concernant les incidents allégués du 10 septembre et du 12 novembre 2011 avaient un caractère sommaire et une faible valeur probante.

17. Le 23 avril 2012, le tribunal des migrations confirma la décision du bureau des migrations. Il déclara que les actes criminels d’Al-Qaïda avaient été commis plusieurs années auparavant et que le requérant ne coopérait plus avec les Américains. Le tribunal jugea probable qu’en cas de menace persistante contre les requérants, les autorités irakiennes auraient la volonté et la capacité de les protéger. Enfin, se référant à l’état de santé des requérants, le tribunal considéra qu’il ne pouvait y voir une circonstance particulièrement difficile. Au vu de ces éléments, il conclut qu’il n’y avait aucun motif d’accorder aux requérants l’asile ou un permis de séjour en Suède.

18. Les requérants interjetèrent appel devant la cour d’appel des migrations (Migrationsöverdomstolen), qui leur refusa l’autorisation de la saisir le 9 août 2012.

19. Le 29 août 2012, les requérants présentèrent une demande de réexamen de leur affaire au bureau des migrations. Ils affirmèrent que le requérant était menacé par Al-Qaïda en raison de ses activités politiques. Ils joignirent à leur demande une vidéo montrant le mari interviewé en anglais, une autre montrant une manifestation et une troisième montrant un débat télévisé. La demande des requérants fut rejetée le 26 septembre 2012. Les requérants n’interjetèrent pas appel contre cette décision devant le tribunal des migrations.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

20. Les dispositions de base régissant l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire suédois qui sont applicables en l’espèce se trouvent contenues dans la loi sur les étrangers (Utlänningslagen, 2005:716).

21. D’après le chapitre 5, article 1, de cette loi, un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ou ayant besoin de protection à un autre titre a le droit, sauf exception, de se voir délivrer un permis de séjour en Suède. Le chapitre 4, article 1, de la loi dispose que le terme « réfugié » s’entend d’un étranger se trouvant hors du pays dont il a la nationalité parce qu’il a des motifs sérieux de craindre d’être persécuté à cause de sa race, de sa nationalité, de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques, de son sexe, de son orientation sexuelle ou d’une appartenance à un groupe social quelconque, et qu’il ne peut ou ne veut, du fait de ces craintes, se prévaloir de la protection de ce pays. Les considérations précédentes s’appliquent tant dans le cas où la persécution est le fait des autorités du pays en question que dans celui où l’on ne peut s’attendre à ce qu’elles offrent une protection contre la commission d’actes de persécution par des particuliers. Selon le chapitre 4, article 2, de la loi, est un « étranger ayant besoin de protection à un autre titre » notamment celui qui a quitté le pays dont il a la nationalité en raison de craintes légitimes d’être condamné à la peine capitale ou à des châtiments corporels ou d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

22. Par ailleurs, si une autorisation de séjour ne peut pas être accordée à un étranger sur le fondement des motifs susmentionnés, elle peut néanmoins lui être octroyée si l’évaluation globale de sa situation fait apparaître l’existence de circonstances particulièrement difficiles (synnerligen ömmande omständigheter) justifiant qu’on l’autorise à séjourner sur le territoire suédois (chapitre 5, article 6, de la loi sur les étrangers). Lors de cette appréciation, il y a lieu d’accorder une attention particulière, entre autres, à l’état de santé de l’étranger. Selon les travaux préparatoires (projet de loi 2004/05 :170, pp. 190-191), toute maladie physique ou mentale mettant en danger la vie de l’individu et pour laquelle aucun traitement n’est disponible dans le pays d’origine pourrait constituer une raison d’octroyer un permis de séjour.

23. Concernant l’exécution d’une mesure de refoulement ou d’expulsion d’un étranger, il convient de tenir compte du risque que pareille mesure ferait courir à l’intéressé d’être exposé à la peine capitale, à la torture ou à d’autres formes de traitements inhumains ou dégradants. Les empêchements légaux à l’exécution d’une mesure d’éloignement sont énumérés dans une disposition particulière de la loi, l’article 1 du chapitre 12, en vertu de laquelle un étranger ne peut être expulsé vers un pays où il y a raisonnablement lieu de croire qu’il serait exposé à la peine capitale, à des châtiments corporels, à la torture ou à d’autres formes de traitements inhumains ou dégradants. En outre, un étranger ne peut, en principe, pas être expulsé vers un pays où il risque d’être persécuté (article 2 du chapitre 12).

24. Sous certaines conditions, un permis de séjour peut être octroyé à l’étranger même si une mesure d’éloignement ou d’expulsion exécutoire a été prononcée à son encontre. Tel est le cas si de nouvelles circonstances indiquent qu’il y a raisonnablement lieu de croire, entre autres, que l’exécution d’une telle mesure le mettrait en danger de se voir infliger la peine capitale, des châtiments corporels, la torture ou d’autres formes de traitements inhumains ou dégradants ou s’il existe d’autres raisons médicales ou particulières de ne pas l’exécuter (article 18 du chapitre 12). Si un permis de séjour ne peut être octroyé sur la base de ces critères, le bureau des migrations peut décider de réexaminer l’affaire. Un tel réexamen peut être effectué si les circonstances nouvelles invoquées par l’étranger justifient des empêchements durables à l’exécution de la mesure d’expulsion de la nature de ceux mentionnés aux articles 1 et 2 du chapitre 12 et que ces circonstances n’auraient pu être invoquées auparavant ou si l’étranger démontre qu’il a une excuse valable pour ne pas l’avoir fait. Si ces conditions ne sont pas réunies, le bureau des migrations n’accorde pas le réexamen (article 19 du chapitre 12).

25. Les questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire suédois sont de la compétence de trois instances : le bureau des migrations, le tribunal des migrations et la cour d’appel des migrations.

26. Une mesure d’éloignement ou d’expulsion ne peut être exécutée que lorsqu’elle est devenue exécutoire, sauf dans quelques cas exceptionnels non pertinents en l’espèce. Ainsi, le recours introduit devant le tribunal contre la décision du bureau des migrations dans le cadre d’une procédure ordinaire statuant sur le droit d’asile et le droit à un permis de séjour a un effet suspensif automatique. Si l’étranger, à la suite de la procédure ordinaire passée en force de chose jugée, dépose une demande au titre des articles 18 ou 19 du chapitre 12, il appartient au bureau de décider s’il est opportun de suspendre l’exécution sur la base des circonstances nouvelles invoquées. Une telle demande n’a donc pas d’effet suspensif automatique. Il en va de même d’un recours devant les tribunaux contre une décision prise par le bureau au titre de l’article 19 (il n’existe aucun recours contre une décision prise au titre de l’article 18).

III. INFORMATIONS PERTINENTES CONCERNANT L’IRAK

27. Des informations détaillées sur la situation générale des droits de l’homme en Irak et la possibilité de réinstallation interne dans la région du Kurdistan peuvent être trouvées, entre autres, dans les arrêts M.Y.H. et autres c. Suède, no 50859/10, §§ 20-36, 27 juin 2013, et A.A.M. c. Suède, no68519/10, §§ 29-39, 3 avril 2014.

Les informations mentionnées ci-dessous concernent les événements et développements intervenus après le dernier arrêt du 3 avril 2014.

28. Après les affrontements qui ont commencé en décembre 2013, l’État islamique en Irak et au Levant (ISIS) et les forces alliées ont engagé mi-juin 2014, dans le nord de l’Irak, une offensive majeure contre le gouvernement irakien au cours de laquelle ils se sont emparés de Samarra, Mossoul et Tikrit.

29. Un rapport d’Amnesty International publié le 14 juillet 2014 et intitulé « Civils dans la ligne de mire » exposait :

« La reprise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, et d’autres villes et villages dans le nord-ouest de l’Irak début juin par l’État islamique en Irak et al-Sham (ISIS) a entraîné une résurgence dramatique des tensions religieuses et le déplacement massif de communautés craignant des attaques et des représailles pour des motifs religieux. Pratiquement toute la population non sunnite de Mossoul, Tall Afar et des régions avoisinantes sous contrôle de l’ISIS a fui à la suite de meurtres, d’enlèvements, de menaces et d’attaques contre leurs biens et leurs lieux de culte.

Il est difficile d’établir la véritable ampleur des massacres et des enlèvements que l’ISIS a commis. Amnesty International a recueilli des témoignages sur de nombreux cas. À ce jour, l’ISIS ne semble pas avoir engagé de campagnes massives contre les civils, mais le choix de ses cibles - des musulmans chiites et des sanctuaires chiites - a provoqué la peur et la panique parmi la communauté chiite, qui constitue la majorité de la population de l’Irak mais est une minorité dans la région. Le résultat a été un exode massif de musulmans chiites ainsi que des membres d’autres minorités, comme les chrétiens et les yézidis. Les musulmans sunnites soupçonnés d’être opposés à l’ISIS, les membres des forces de sécurité, les fonctionnaires et ceux qui ont déjà travaillé avec les forces américaines ont également fui, certains après qu’eux-mêmes ou leurs proches avaient été ciblés par l’ISIS.

L’ISIS a appelé les anciens membres des forces de sécurité et ceux considérés comme ayant été impliqués dans la répression du gouvernement à se « repentir », et a promis de ne pas faire de mal à ceux qui le feront. Le processus implique une déclaration publique de repentir (towba), qui entraîne de fait un serment d’allégeance et d’obéissance à l’ISIS, dans les mosquées spécialement désignées à cet effet. Beaucoup de ceux qui sont restés dans les zones contrôlées par l’ISIS acceptent l’invitation et se repentissent publiquement. La pratique n’est, cependant, pas sans risques, car elle permet à l’ISIS de recueillir les noms, adresses, numéros d’identification et autres données d’identification de milliers d’hommes qui pourraient devenir une cible plus tard.

Pendant ce temps, Amnesty International a recueilli des preuves démontrant un ensemble d’exécutions extrajudiciaires de détenus par les forces gouvernementales irakiennes et les milices chiites dans les villes de Tall Afar, Mossoul et Bakouba. Les frappes aériennes lancées par les forces gouvernementales irakiennes contre les zones contrôlées par l’ISIS ont également tué et blessé des dizaines de civils, dont certains dans des attaques indiscriminées.

Ce rapport est fondé sur une enquête de deux semaines dans le nord de l’Irak, au cours de laquelle Amnesty International a visité les villes de Mossoul, Kirkouk, Dohouk et Erbil et les villes et villages avoisinants, ainsi que les camps pour personnes déplacées à Al-Khazer/Kalak et Garmawa. Amnesty International a également rencontré des survivants et des proches des victimes des attaques perpétrées par l’ISIS et par les forces gouvernementales et les milices alliées, des civils déplacés par le conflit, des membres et représentants des minorités, des personnalités religieuses, des organisations locales de la société civile, des organisations internationales qui aident les personnes déplacées et des commandants militaires peshmergas. Tous les entretiens mentionnés dans le document ont été réalisés au cours de cette visite.

...

L’évaluation d’Amnesty International est que toutes les parties au conflit ont commis des violations du droit international humanitaire, y compris des crimes de guerre et des violations flagrantes des droits de l’homme. Qui plus est, leurs attaques sont à l’origine des déplacements massifs de civils.

Lorsque les acteurs armés opèrent dans des zones résidentielles peuplées, les parties au conflit doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils. Elles doivent prendre des précautions pour protéger les civils et les biens civils sous leur contrôle contre les effets des attaques de l’adversaire, y compris en évitant - dans la mesure du possible – de placer des objectifs militaires à l’intérieur ou à proximité de zones densément peuplées. Le droit international humanitaire interdit expressément des tactiques comme l’utilisation de « boucliers humains » pour empêcher les attaques contre des cibles militaires. Cependant, l’échec d’une des parties de séparer les combattants des civils et des biens civils ne dispense pas l’adversaire de son obligation de ne diriger ses attaques que contre des combattants et des objectifs militaires, conformément au droit international humanitaire, et de prendre toutes les précautions nécessaires dans les attaques pour épargner les civils et les biens civils. Le droit international humanitaire interdit les attaques intentionnelles contre des civils qui ne participent pas aux hostilités, les attaques indiscriminées (qui ne font pas de distinction entre les cibles civiles et militaires), et les attaques disproportionnées (dont on peut s’attendre à ce qu’elles causent des dommages fortuits à des civils qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu). De telles attaques constituent des crimes de guerre. Ces règles valent pour toutes les parties aux conflits armés en tout temps, sans exception.

Le conflit dans le nord de l’Irak a déplacé des centaines de milliers de civils, qui ont fui vers les zones kurdes voisines administrées par le KRG. La plupart d’entre eux vivent dans des conditions désastreuses, dont certains dans les camps de personnes déplacées internes (PDI) et d’autres ayant trouvé refuge dans des écoles, des mosquées, des églises et des communautés d’accueil. Dans un premier temps, les civils qui ont fui après que l’ISIS se fut emparé de vastes zones du nord-ouest de l’Irak ont été autorisés à entrer dans la région du Kurdistan irakien (KRI), mais au cours des dernières semaines, l’accès aux Irakiens non kurdes a été strictement réglementé par le KRG. Certains de ceux qui ont fui cherchent refuge dans le KRI tandis que d’autres, principalement des chiites turkmènes et shabak, cherchent à voyager vers le sud de la capitale et au-delà, où la majorité de la population est chiite et où ils pensent être plus en sécurité.

Alors que le gouvernement central irakien reste en proie à des divisions politiques et confessionnelles, et que le KRG semble de plus en plus vouloir annexer plus de territoire dans les zones qu’il contrôle, les civils irakiens pris dans le conflit trouvent qu’il est de plus en plus difficile de trouver protection et assistance.

Amnesty International appelle toutes les parties au conflit à mettre immédiatement fin à l’assassinat de prisonniers et aux enlèvements de civils ; à traiter les détenus avec humanité en toutes circonstances ; à ne pas mener d’attaques indiscriminées, y compris par l’utilisation de tirs d’artillerie et de bombardements aériens non guidés dans les zones à forte concentration de civils. Amnesty International réitère également son appel au KRG de permettre aux civils qui fuient les combats - quelle que soit leur religion ou leur origine ethnique - de chercher refuge et un passage sûr à travers des zones qu’il contrôle.

30. La position du HCR sur les retours en Irak, publiée en octobre 2014, énonçait entre autres :

« Introduction

1. Depuis la publication en 2012 des lignes directrices du HCR relatives à l’admissibilité de la protection internationale pour l’Irak et l’aide-mémoire relatif aux réfugiés palestiniens en Irak, l’Irak a connu une nouvelle flambée de violence entre les forces de sécurité irakiennes (FSI) et les forces kurdes (peshmergas) d’une part et le groupe « État islamique d’Irak et Al-Sham » (ci-après l’ISIS), qui opère à la fois en Irak et en Syrie, et les groupes armés alliés d’autre part. Des civils sont tués ou blessés chaque jour dans le cadre de cette vague de violence, y compris dans des attentats-suicides et des voitures piégées, des bombardements, des frappes aériennes et des exécutions. En raison des progrès de l’ISIS, le gouvernement irakien aurait perdu le contrôle total ou partiel sur des parties importantes de son territoire, notamment Al-Anbar, Ninive, Salah Al-Din, Kirkouk et la province de Diyala. Bien que les forces FSI et kurdes, appuyées par les frappes aériennes américaines, aient récemment repris le contrôle de certaines localités, principalement le long des frontières internes avec la région du Kurdistan, dans l’ensemble les lignes de front restent changeantes. Le conflit, qui a connu une nouvelle intensification dans la province d’Al-Anbar en janvier 2014 puis dans d’autres provinces, a été qualifié de conflit armé non international. Les pertes en 2014 sont à ce jour les plus importantes depuis le conflit entre groupes religieux de 2006-2007.

Position du HCR sur les retours

27. Dans la mesure où la situation en Irak reste très changeante et versatile et que toutes les régions du pays auraient été touchées, directement ou indirectement, par la crise actuelle, le HCR demande instamment aux États de ne pas renvoyer de force des personnes originaires de l’Irak jusqu’à ce que la situation en termes de sécurité et de droits de l’homme ne se soit améliorée de manière tangible. Dans les circonstances actuelles, de nombreuses personnes fuyant l’Irak sont susceptibles de répondre aux critères de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Lorsque, lors de l’examen d’un cas individuel d’une personne originaire d’Irak, les critères de la Convention de 1951 ne peuvent pas s’appliquer, des critères plus larges énoncés dans les instruments régionaux pertinents ou des formes complémentaires de protection sont susceptibles de s’appliquer. Dans les circonstances actuelles, compte tenu des nouveaux déplacements internes massifs couplés à une crise humanitaire de grande ampleur, de la montée des tensions religieuses et des restrictions d’accès, en particulier dans la région du Kurdistan irakien, le HCR considère en principe que les États ne devraient pas refuser la protection internationale aux personnes en provenance d’Irak sur la base de l’applicabilité d’une possibilité de fuite ou de réinstallation interne. Il peut être nécessaire d’examiner les causes d’exclusion en fonction de chaque cas individuel. »

31. Dans un document du 24 décembre 2014 intitulé « Conseils par pays, Irak : réinstallation interne (et obstacles techniques) », le ministère de l’Intérieur britannique exposait ce qui suit sous le titre « Résumé de la politique » :

« Dispositions relatives au retour depuis le Royaume-Uni

1.4.1 Les dispositions actuelles relatives au retour vers l’Irak depuis le Royaume‑Uni par Erbil ou Bagdad ne violent pas l’article 3 de la Convention européenne.

L’obtention de documents d’état civil dans un nouveau lieu de résidence

1.4.2 Le document d’identité portant état civil et le certificat de nationalité sont deux des plus importants documents d’état civil, car ils donnent accès, directement ou indirectement, à divers droits économiques et sociaux.

1.4.3 Une personne renvoyée en Irak sans document d’identité portant état civil ou certificat de nationalité pourrait être confrontée à d’importantes difficultés pour accéder à des services et moyens de subsistance et se trouver dans une situation de misère susceptible d’atteindre le seuil de l’article 3.

1.4.4 Cependant, les personnes provenant de zones non contestées d’Irak qui sont renvoyés à Erbil ou Bagdad devraient en général être en mesure de renouveler leur document d’identité portant état civil, certificat de nationalité et tout autre document d’état civil soit en retournant dans leur lieu d’origine soit en s’adressant aux organismes gouvernementaux et non gouvernementaux compétents dans les zones non contestées.

1.4.5 Les personnes provenant de zones contestées d’Irak qui sont renvoyées à Bagdad devraient en général être en mesure de renouveler leur document d’identité portant état civil, certificat de nationalité et tout autre document d’état civil en s’adressant aux organismes compétents à Bagdad et Najaf.

1.4.6 Le personnes au Royaume-Uni qui cherchent à renouveler leur document d’identité portant état civil et certificat de nationalité devraient pouvoir demander de l’aide à l’ambassade d’Irak à Londres, à condition d’être en mesure de prouver leur identité. Ce sera généralement possible pour les personnes renvoyées par la contrainte à Bagdad, dans la mesure où elles devraient être en possession d’un laissez-passer valable ou périmé.

1.4.7 Toute personne qui n’est pas en mesure de prouver son identité à l’ambassade d’Irak pourrait renouveler ses documents par l’intermédiaire d’un mandataire en Irak, par exemple, un parent ou un avocat muni d’une procuration.

Réinstallation dans la région du Kurdistan irakien (KRI)

1.4.8 Les personnes originaires du KRI devraient en général pouvoir se réinstaller dans toute autre zone de la région.

1.4.9 Les personnes d’origine kurde qui proviennent d’une zone extérieure au KRI et qui sont renvoyées à Bagdad devraient en général pouvoir se réinstaller dans le KRI, à condition d’avoir pu régulariser au préalable leurs documents à Bagdad (ou ailleurs).

1.4.10 Pour les personnes non kurdes ayant leur famille ou toute autre relation établie au KRI (par exemple lien tribal ou emploi précédent), la réinstallation interne sera généralement une possibilité raisonnable.

1.4.11 Pour toute personne d’origine arabe ou turkmène, la réinstallation interne au KRI sera difficile. La réinstallation interne a Bagdad ou dans le sud semble plus raisonnable. Si les circonstances particulières du cas rendent cette possibilité peu raisonnable, il pourrait être opportun d’accorder une protection.

Réinstallation à Bagdad ou dans le sud

1.4.12 De manière générale, les Arabes sunnites, les Kurdes et les Chiites seront en mesure de se réinstaller à Bagdad, dans la mesure où il y a une population déplacée importante d’Arabes sunnites.

1.4.13 Les musulmans chiites qui cherchent à se réinstaller à l’intérieur du pays pourront en général le faire dans les provinces du sud. Les musulmans sunnites pourraient également se réinstaller au sud.

1.4.14 De manière générale, il n’existe actuellement aucun obstacle insurmontable empêchant les ressortissants irakiens de se réinstaller à Bagdad ou dans les provinces du sud, même si chaque cas doit faire l’objet d’une décision fondée sur les faits individuels. »

32. Dans son rapport mondial 2015 publié le 29 janvier 2015, Human Rights Watch observait entre autres sur l’Irak :

« Exactions commises par les forces de sécurité et les milices soutenues par le gouvernement

En mars, l’ancien Premier ministre Al-Maliki a déclaré aux conseillers supérieurs de la sécurité qu’il allait former une nouvelle force de sécurité composée de trois milices : Asa’ib, Kita’ib Hezbollah, les Brigades Badr. Ces milices ont enlevé et assassiné des civils sunnites à travers Bagdad, Diyala, et les provinces de Hilla, à un moment où le conflit armé entre les forces gouvernementales et les insurgés sunnites s’intensifiait.

Selon des témoins et des sources médicales et gouvernementales, les milices pro-gouvernementales ont été responsables de la mort de 61 hommes sunnites entre le 1er juin et le 9 juillet 2014, et de la mort d’au moins 48 hommes sunnites en mars et avril dans les villages et villes d’une zone connue comme la « ceinture de Bagdad ». Des dizaines d’habitants de cinq villes de la ceinture de Bagdad ont déclaré que les forces de sécurité, aux côtés des milices soutenues par le gouvernement, ont attaqué leurs villes, enlevé et tué des habitants et incendié leurs maisons, leur bétail et leurs cultures.

Un survivant d’une attaque contre une mosquée sunnite dans la province orientale de Diyala en août a déclaré que des membres d’Asa’ib Ahl al-Haqq sont entrés dans la mosquée pendant la prière du vendredi, ont tiré sur l’imam et l’ont tué, puis ils ont ouvert le feu sur les autres hommes dans la mosquée, tuant au moins 70 personnes. Trois autres habitants de Diyala ont rapporté qu’Asa’ib Ahl al-Haqq avait enlevé et tué leurs proches.

Les forces et les milices de sécurité irakiennes alliées au gouvernement sont responsables de l’exécution illégale d’au moins 255 prisonniers dans six villes irakiennes en juin. La grande majorité des forces de sécurité et milices sont chiites, tandis que les prisonniers assassinés étaient sunnites. Au moins huit personnes tuées étaient des garçons de moins de 18 ans. »

33. Dans une note d’information du 9 février 2015, le bureau fédéral des migrations et des réfugiés allemand a affirmé, par exemple :

Irak...

Situation en matière de sécurité

Des rapports quotidiens font état d’affrontements armés et d’attentats-suicides qui se poursuivent sans relâche. Un attentat-suicide mené à Bagdad le 9 février 2015 a tué au moins 12 personnes. Plus de 40 personnes ont été blessées. L’attaque a été menée dans le district de Kadhimiya où la population chiite est importante. Cet attentat n’a pas été revendiqué à ce jour. Le 7 février 2015, plus de 30 personnes ont été tuées et plus de 70 blessées dans des attentats-suicide à Bagdad. La majorité des victimes étaient des musulmans chiites et des agents de sécurité.

Le couvre-feu nocturne a été levé à Bagdad le 7 février à 2015.

L’État islamique (IS) aurait tué 48 personnes sur son territoire en Irak depuis le début de l’année, la grande majorité dans la ville de Mossoul (province de Ninive) et dans les banlieues entourant Mossoul.

34. Le 9 mars 2015, Iraqi News (IraqiNews.com) a rapporté que le chef d’état major de l’armée américaine, Martin Dempsey, avait déclaré lors d’une conférence de presse avec le ministre de la Défense irakien que « protéger Bagdad, le barrage de Mossoul et le district d’Haditha [était] l’une des principales priorités de la coalition internationale ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

35. Les requérants allèguent que leur renvoi vers l’Irak emporterait violation de l’article 3 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

36. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

37. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle estime qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité et qu’il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les thèses des parties

a) Les requérants

38. Les requérants présentent essentiellement les mêmes demandes et invoquent les mêmes circonstances que celles exposées devant les autorités suédoises. Ils soulignent qu’Al-Qaïda a cherché le mari non seulement entre 2004 et 2008, mais aussi le 10 septembre 2011 à leur domicile à Bagdad. En outre, le 12 novembre 2011 leur maison a été incendiée par des terroristes.

39. Dans leurs observations du 9 janvier 2013, les requérants ont ajouté, concernant l’enregistrement d’un débat public télévisé auquel le requérant aurait participé en février 2010 et qui a été soumis aux autorités nationales et à la Cour, que le mari risque désormais d’être également persécuté par les autorités irakiennes pour avoir critiqué publiquement le gouvernement irakien lors dudit débat, ou, au mieux, que les autorités risquent de ne pas être disposées à le protéger.

40. Les requérants contestent les informations relatives à leur pays qui ont été prises en compte par les autorités suédoises au cours de la procédure interne et par le Gouvernement dans les observations qu’il a adressées à la Cour. Selon les requérants, le Gouvernement a tort d’affirmer que l’Irak est un pays plus sûr qu’en 2011. Au contraire, le nombre d’attaques aurait augmenté.

41. Enfin, les requérants soutiennent qu’aucune possibilité de fuite interne n’est adaptée à leur situation. Ils ne parleraient pas le kurde, ils n’auraient pas de famille ou de réseau social dans le nord de l’Irak et ils n’auraient pas les moyens de subvenir à leurs besoins.

b) Le Gouvernement

42. Sans vouloir sous-estimer les préoccupations qui pourraient être légitimement exprimées à propos de la situation actuelle des droits de l’homme en Irak, le Gouvernement affirme que cela ne suffit pas en soi à établir que l’expulsion forcée des requérants vers ce pays, y compris Bagdad, violerait l’article 3 de la Convention.

43. Le Gouvernement affirme tout d’abord que le bureau des migrations et les juridictions ont examiné la cause du requérant de manière approfondie. Ceux-ci ont eu de nombreuses occasions de présenter leurs arguments au cours de la procédure. Le bureau des migrations les a entendus à plusieurs reprises en présence de leur avocat. Ils ont été invités à soumettre des observations écrites sur ces entretiens. En outre, compte tenu de l’expertise des organismes en charge des questions de migration, le Gouvernement soutient qu’un poids significatif devrait être donné à leurs conclusions.

44. En ce qui concerne les risques personnels encourus par les requérants, le Gouvernement reconnaît que le mari a coopéré avec les Américains et que les requérants ont par conséquent subi de graves menaces et violences de la part d’Al-Qaïda de 2004 à 2008. Cependant, considérant que le mari a cessé de travailler avec des entreprises américaines en 2008 et que la famille du requérant est restée à Bagdad respectivement jusqu’en décembre 2010 et jusqu’en septembre 2011 sans subir d’autres menaces directes, le Gouvernement estime qu’il est peu probable que les menaces contre les requérants soient encore si présentes et concrètes que leur renvoi vers l’Irak puisse emporter violation de l’article 3 de la Convention.

45. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle Al-Qaïda a cherché le requérant le 10 septembre 2011 à son domicile à Bagdad, le Gouvernement souligne que le requérant n’en avait rien dit lors de ses entretiens avec le bureau des migrations, qui se sont déroulés quelques semaines après la prétendue menace, à savoir le 26 septembre et le 11 octobre 2011. Il a, au contraire, confirmé n’avoir reçu aucune menace personnelle depuis 2008.

46. De même, quant au prétendu incendie du domicile des requérants par un groupe terroriste le 12 novembre 2011, le Gouvernement observe que le document produit à l’appui de cette affirmation revêt un caractère sommaire et qu’il a été considéré comme ayant une faible valeur probante par le bureau des migrations.

47. Le Gouvernement ne discute pas le fait que le requérant a participé à un débat diffusé sur la chaîne Alburra le 12 février 2008. Cependant, il observe que le requérant n’a mentionné sa participation à ce débat que dans un mémoire écrit adressé au bureau des migrations le 1er février 2012. Lors de son appel devant la cour d’appel des migrations et sa demande de réexamen devant le bureau des migrations, il a modifié sa déclaration, affirmant que le débat avait eu lieu en février 2010. Le Gouvernement attire l’attention sur le fait que, lors de l’ouverture du DVD sur un ordinateur, on peut lire que le fichier a été modifié pour la dernière fois le 4 mars 2008. Dans ce contexte, le Gouvernement estime qu’il y a des raisons de douter de la crédibilité des requérants sur ce point. En outre, les intéressés n’ont soutenu que le mari risquait désormais d’être également persécuté par les autorités irakiennes pour avoir critiqué publiquement le gouvernement irakien au cours du débat que dans leurs observations adressées le 13 janvier 2013 à la Cour. Cet argument n’a jamais été avancé devant les autorités suédoises et les requérants ont omis de soumettre tout document ou preuve à l’appui de leur allégation selon laquelle les autorités irakiennes sont à la recherche du requérant ou qu’une procédure judiciaire aurait été engagée contre lui en raison de ses critiques envers le gouvernement irakien.

48. Enfin, pour le cas où la Cour jugerait que les requérants seraient en danger à Bagdad du fait d’Al-Qaïda, le Gouvernement estime qu’ils disposent d’une possibilité de fuite interne en ce qu’ils pourraient se réinstaller dans la région du Kurdistan. Il indique qu’il n’est pas nécessaire pour pareille réinstallation que les intéressés aient une personne de référence, et il ajoute que les personnes déplacées dans la région du Kurdistan ont les mêmes droits que les autres habitants, y compris l’accès aux soins de santé, à l’éducation et au marché du travail.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

49. La Cour rappelle que les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, par exemple, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94, Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI, et Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006‑XII). Cependant, l’expulsion d’un non-national par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, entre autres, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008).

50. L’appréciation des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant court un tel risque requiert inévitablement que la Cour apprécie la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 67, CEDH 2005‑I). Pour tomber sous le coup de l’article 3, le mauvais traitement que le requérant affirme risquer de subir s’il est expulsé doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause (Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99, § 60, CEDH 2001‑II). En raison du caractère absolu du droit garanti, la Cour n’exclut pas que l’article 3 trouve aussi à s’appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Encore faut-il démontrer que le risque existe réellement et que les autorités de l’État de destination ne sont pas en mesure d’y obvier par une protection appropriée (H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 40, Recueil 1997‑III).

51. La Cour se doit d’appliquer des critères rigoureux en vue d’apprécier l’existence d’un risque réel de mauvais traitements (Chahal c. Royaume‑Uni, 15 novembre 1996, § 96, Recueil 1996‑V, et Saadi, précité, § 128). Il incombe en principe au requérant d’apporter la preuve qu’il existe des motifs sérieux de croire que, si la mesure en cause était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de mauvais traitements contraires à l’article 3. À cet égard, la Cour reconnaît que, compte tenu de la situation particulière dans laquelle les demandeurs d’asile se trouvent souvent, il est fréquemment nécessaire de leur accorder le bénéfice du doute lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité de leurs déclarations et des documents produits à l’appui de celles-ci. Cependant, lorsque l’information présentée donne de sérieuses raisons de douter de la véracité des déclarations d’un demandeur d’asile, l’intéressé doit fournir une explication satisfaisante sur les contradictions alléguées (voir, entre autres, Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007, et Hakizimana c. Suède (déc.), no 37913/05, 27 mars 2008).

52. Dans les cas concernant l’expulsion de demandeurs d’asile, la Cour n’examine pas elle-même les demandes d’asile, ni ne vérifie la manière dont les États honorent leurs obligations au titre de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Il doit cependant être établi que l’appréciation des autorités de l’État contractant est adéquate et suffisamment étayée par des documents internes ou provenant d’autres sources fiables et objectives telles que, par exemple, d’autres États contractants ou non contractants, des organismes des Nations Unies et des organisations non gouvernementales de bonne réputation (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 119, 17 juillet 2008).

b) La situation générale en Irak

53. La Cour observe qu’une situation générale de violence n’est pas à elle seule de nature à entraîner, en cas d’expulsion, une violation de l’article 3 (H.L.R. c. France, précité, § 41). Cependant, la Cour n’a jamais écarté la possibilité qu’une situation générale de violence dans un pays de destination puisse atteindre un niveau de gravité tel que toute expulsion vers ce pays violerait nécessairement l’article 3 de la Convention. Néanmoins, la Cour n’adopterait une telle interprétation que dans les cas extrêmes de violence généralisée, lorsque le risque réel de mauvais traitement existe du simple fait que l’individu serait exposé à cette violence en cas d’expulsion (NA. c. Royaume-Uni, précité, § 115).

54. Au cours des cinq dernières années, dans de nombreux cas concernant l’expulsion vers l’Irak, la Cour a conclu que la situation générale en Irak n’était pas si grave qu’elle puisse entraîner, en elle-même, une violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour d’une personne dans ce pays (voir, entre autres, F.H. c. Suède, no 32621/06, § 93, 20 janvier 2009, M.Y.H. et autres, précité, § 57, et A.A.M. c. Suède, précité, § 63).

55. La Cour observe que la situation a considérablement empiré depuis juin 2014, lorsque l’ISIS et ses alliés ont engagé une offensive majeure dans le nord de l’Irak contre le gouvernement irakien, au cours de laquelle ils se sont emparés de Samarra, Mossoul et Tikrit (paragraphes 28-30 ci-dessus). Elle note également la prise de position du HCR en octobre 2014 sur les retours vers l’Iraq, dans laquelle ce dernier prie instamment les États de ne pas renvoyer de force des personnes originaires de l’Irak jusqu’à ce que la situation en termes de sécurité et de droits de l’homme ne se soit améliorée de manière tangible (paragraphes 28-30 ci-dessus). Néanmoins, jusqu’à présent, aucun rapport international sur l’Irak ne pourrait amener la Cour à conclure que la situation générale en Irak est maintenant si grave qu’elle entraîne, en elle-même, une violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour d’une personne dans ce pays (paragraphes 31 à 34).

56. En outre, les requérants ne prétendent pas que les circonstances générales en Irak pourraient en elles-mêmes empêcher leur retour en Irak. Ils affirment plutôt que la situation générale et les menaces qu’ils ont reçues de la part d’Al-Qaïda en Irak les exposeraient à un risque réel d’être soumis à des traitements prohibés par l’article 3

c) La situation particulière des requérants

57. La Cour observe tout d’abord que la femme et le fils ont été entendus deux fois par le bureau des migrations et que le mari a été entendu trois fois. Leurs demandes ont été soigneusement examinées par le bureau et le tribunal des migrations qui ont adopté des décisions motivées. Ces deux organismes ont reconnu que le requérant avait coopéré avec les Américains et que les requérants avaient en conséquence subi de sérieuses menaces et violences de la part d’Al-Qaïda de 2004 à 2008. Cependant, dans la mesure où le mari avait cessé de travailler avec des entreprises américaines en 2008, ils ont estimé peu vraisemblables que les menaces contre les requérants fussent encore présentes et concrètes au point de justifier l’octroi de l’asile aux intéressés.

58. Devant le bureau des migrations, le requérant a confirmé qu’il n’avait plus reçu de menaces personnelles de la part d’Al-Qaïda depuis 2008. Cependant, après le refus de l’asile par le bureau des migrations le 22 novembre 2011, les requérants ont modifié leurs déclarations et affirmé qu’Al-Qaïda s’était rendu à leur domicile le 10 septembre 2011 pour chercher le mari et avaient incendié leur domicile le 12 novembre 2011. La Cour observe que, dans ses observations adressées au tribunal des migrations, le bureau des migrations a estimé que les requérants et les documents présentés sur ces points n’étaient pas crédibles. La Cour estime qu’il est intéressant de noter que le requérant n’a pas mentionné le premier incident devant que le bureau des migrations, alors qu’il a été entendu par cette instance à trois reprises. En outre, elle observe que les documents, qui ont également été produits devant la Cour, à savoir le témoignage traduit d’un voisin, un certificat de résidence traduit et un rapport de police traduit attestant qu’Al-Qaïda aurait cherché le mari le 10 septembre 2011 et incendié le domicile des requérants le 12 novembre 2011, sont d’un caractère très sommaire, ce qui pourrait jeter un doute sur leur authenticité. En conséquence, elle ne voit aucune raison d’être en désaccord avec le bureau des migrations en ce que les requérants n’ont pas suffisamment étayé leur allégation selon laquelle ils ont été menacés et persécutés par Al-Qaïda après 2008.

59. De même, la crédibilité de l’allégation des requérants selon laquelle le mari aurait participé en février 2010 à un débat public télévisé dans lequel il aurait critiqué le gouvernement irakien et que, par conséquent, il serait désormais également menacé par les autorités irakiennes, peut être mise en doute. La Cour relève que les requérants n’ont absolument pas mentionné l’enregistrement devant le bureau des migrations, alors qu’ils ont été entendus par lui à plusieurs reprises. Le requérant a produit l’enregistrement pour la première fois avec son mémoire adressé au tribunal des migrations le 1er février 2012. Cependant, il a simplement mentionné que l’enregistrement était du 12 février 2008. Il n’a pas concrètement démontré en quoi cet enregistrement appuyait la demande d’asile de sa famille. Ce n’est que lors de son recours devant la cour d’appel des migrations et sa demande de réexamen au bureau des migrations qu’il a modifié son explication et déclaré que le débat avait eu lieu en février 2010. Et ce n’est que dans ses observations du 13 janvier de 2013 adressées à la Cour qu’il a soutenu que, en raison de ce débat, il risquait désormais d’être également persécuté par les autorités irakiennes. Lorsque cette question fut soulevée devant les autorités suédoises, celles-ci se dirent non convaincues que l’enregistrement fût de février 2010 et que les requérants ne pourraient obtenir la protection des autorités irakiennes en raison des critiques que leur aurait adressées publiquement le mari au cours du débat. En outre, le Gouvernement a souligné devant la Cour que lors de l’ouverture du DVD sur un ordinateur, on peut lire que le fichier a été modifié pour la dernière fois le 4 mars 2008. Le DVD a également été produit devant la Cour, et dans la mesure où les requérants ont épuisé les recours internes concernant cet argument, la Cour ne peut qu’être d’accord avec les autorités suédoises sur le fait que les requérants n’ont pas réussi à prouver que l’enregistrement avait été réalisé après le 4 mars 2008 et notamment que le requérant risquait désormais d’être également persécuté par les autorités irakiennes pour cette raison.

d) Conclusions

60. Au vu de ce qui vient d’être exposé, et après avoir rappelé que le requérant a cessé ses affaires avec les Américains en 2008, que l’attaque violente d’Al-Qaïda la plus récente contre les requérants remonte à octobre 2008, il y a près de six ans et demi, que la famille du requérant est restée à Bagdad respectivement jusqu’à décembre 2010 et jusqu’à septembre 2011 et que les requérants n’ont pas apporté la preuve d’autres menaces directes à leur encontre, la Cour souscrit à l’appréciation des autorités suédoises selon lesquelles il n’y a pas de preuve suffisante pour conclure que les requérants courraient un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention à leur retour en Irak.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

61. Les requérants allèguent aussi que leur droit à un procès équitable, au sens de l’article 6 de la Convention, a été violé. La Cour relève que cette disposition ne s’applique pas à la procédure de demande d’asile en ce qu’elle n’emporte pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil du requérant ni n’ont trait au bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre lui (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 40, CEDH 2000‑X). Il en découle que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§3 (a) et 4 de la Convention.

62. Les requérants allèguent en outre que leur cause n’a pas été examinée de manière aussi approfondie que les autres causes devant les juridictions suédoises et qu’ils ont donc fait l’objet d’une discrimination au sens de l’article 14 en tant que ressortissants étrangers. La Cour n’a pas relevé d’éléments qui pourraient indiquer que les requérants ont été victimes de discrimination sur la base de leur nationalité. Il en résulte que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être déclarée irrecevable conformément à l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

63. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt ne deviendra définitif que a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demandent pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre aura rejeté la demande de renvoi formulée en application de l’article 43 de la Convention.

64. Elle estime que l’indication donnée au Gouvernement au titre de l’article 39 du règlement de la Cour (paragraphe 4) doit rester en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit rendue à cet égard (voir le dispositif).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, à l’unanimité, le grief relatif à l’article 3 recevable et le reste de la requête irrecevable ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, que la mise à exécution de la mesure d’expulsion contre les requérants n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Décide, à l’unanimité, de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, que les requérants ne soient pas expulsés avant que le présent arrêt devienne définitif ou qu’une nouvelle décision soit rendue à cet égard ;

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 4 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoMark Villiger
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion partiellement dissidente du juge Zupančič ;

– déclaration de désaccord du juge De Gaetano.

M.V.
M.B.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DU JUGE ZUPANČIČ

Je regrette de ne pas pouvoir me joindre à la majorité lorsqu’elle conclut qu’il n’y a pas eu de violation en l’espèce.

L’arrêt est plein de détails concernant la situation générale en Irak ainsi que les particularités de la situation individuelle du requérant. Cependant, comme je l’ai souligné dans mes autres opinions séparées, le droit est mal équipé pour faire face à des événements futurs, puisque dans la grande majorité des cas, il traite des événements historiques passés. Les exceptions à cette règle sont rares. On peut citer les prédictions en matière de détention provisoire quant à la probabilité que l’accusé prenne la fuite, réitère son infraction ou interfère avec les éléments de preuve et les prédictions quant à ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant pour le futur dans les cas de garde. Dans la plupart des autres cas, nous traitons des événements qui ont déjà eu lieu et sont en quelque sorte figés dans le passé.

Une sous-catégorie particulière d’études juridiques traite de la « prédiction et la prévention des comportements préjudiciables », et il est clairement établi que de telles prédictions sont spéculatives. Les célèbres Gluecks’ Prediction Tables[1] concernant les mineurs délinquants étaient fondées sur des données statistiques approfondies et sur le long terme, qui ne sont pas disponibles dans des cas individuels. En d’autres termes, lorsque des données statistiquement confirmées sur un échantillon suffisamment grand sont disponibles, la prédiction de ce qui va arriver peut avoir un certain sens. Dans des cas individuels, il s’agit d’une pure conjecture.

Par exemple, dans R v. Adams [1996] 2 Cr App R 467, [1996] Crim LR 898, CA and R v. Adams [1998] 1 Cr App R 377, le théorème bien connu de Bayes a été appliqué pour évaluer la probabilité rétrospective d’un événement passé. Le théorème de Bayes est une formule mathématique permettant la régression d’une probabilité abstraite à une probabilité de plus en plus concrète. L’utilisation de ce dispositif dans le droit de la preuve est sujette à controverse, mais il s’agit pourtant de la seule méthode mathématiquement rationnelle pour évaluer la probabilité d’un événement futur. Des données statistiques approfondies sont utilisées dans les tables actuarielles en matière d’assurance afin d’évaluer la probabilité plus spécifique, par exemple, qu’un conducteur privé soit impliqué dans un possible accident de la circulation.

De toute évidence, une telle possibilité rationnelle n’existe pas dans l’établissement de la probabilité que des demandeurs d’asile soient soumis à la torture s’ils sont renvoyés dans leur pays d’origine. En outre, si ces risques devaient se matérialiser, il est peu probable que la Cour ne l’apprenne. C’est un fait que la Cour ne sait tout simplement pas combien de faux négatifs concernant la torture en cas de refoulement vers le pays d’origine elle a jugé dans le passé. Il s’agit de personnes dont nous n’entendons plus parler.

Voilà une autre différence importante entre une affaire judiciaire ordinaire concernant un événement historique passé, d’une part, et un jugement pronostic concernant ce qui se produira ou non à l’avenir, de l’autre.

Dans les cas concernant un événement historique, à de rares exceptions près conduisant à un nouveau procès et découlant le plus souvent, au cours de la période récente, de l’utilisation de l’ADN comme moyen de preuve, le jugement de toute juridiction demeure imperturbable. Il se présente comme inconditionnellement définitif : res judicata pro veritate habetur. Ainsi, les systèmes juridiques, à de rares exceptions près, ne sont pas adaptés à la rétroaction négative de la réalité. Quoi qu’il en soit, compte tenu de ce manque de contact avec la réalité, le droit n’est pas une science ; ses jugements sur les événements historiques ne sont catégoriquement pas falsifiables, comme Karl Popper l’aurait dit.

Cependant, lorsqu’il s’agit de prédire ce qui se passera en cas de refoulement vers le pays d’origine, cela n’est plus vrai. De tels jugements sont falsifiables. La personne ainsi expulsée, extradée ou renvoyée subira ou ne subira pas dans la réalité les conséquences sur lesquelles cette Cour a spéculé. La question reste de savoir si cette Cour en sera jamais informée (probablement pas). Ici, contrairement à la plupart des autres affaires judiciaires, la rétroaction négative ne serait disponible que si un instrument juridique permettait à la Cour de vérifier les conséquences de sa conjecture concernant les événements futurs.

De son côté, la Convention des Nations Unies sur la torture (UN CAT) interdit, dans son Art. 3 (1)[2], le refoulement si le demandeur serait en danger d’être soumis à la torture. Le paragraphe (2) prévoit que les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques, flagrantes ou massives des droits de l’homme.

De toute évidence, ce dernier critère a à voir avec la probabilité abstraite qui doit être prise en compte, alors que « toutes les considérations pertinentes » se réfèrent à notre arrêt Chahal[3], selon lequel le danger doit être « réel et personnel », c’est-à-dire concret et spécifique. Ceci est tout à fait logique, mais la question reste de savoir quels sont ces risques réels d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention dans le pays de destination. Les expériences passées malheureuses des requérants dans cette affaire devraient être perçues comme une base concrète pour conclure que quelque chose de comparable est susceptible de leur arriver s’ils étaient expulsés vers l’Irak. Toutefois, l’évaluation des probabilités est inéluctablement subjective et spéculative[4].

En des termes purement épistémologiques, le fait que le droit en action doive faire face à la pénurie de preuves n’est pas nouveau. En droit romain, par exemple, le praetor était tenu d’émettre un jugement - il était la plupart du temps empêché de recourir à la décision de non-liquet – même si la preuve n’était pas concluante voire faible. La solution évidente à ce problème est de recourir à des présomptions, c’est-à-dire la charge de la preuve, d’une part, et l’assomption du risque de non-persuasion d’autre part. Dans certains cas, le droit a même recours à des fictions, qui sont très proches des présomptions irréfragables.

Le droit peut, par exemple, adopter une règle prévoyant que le juge doit spéculer sur la probabilité de l’accusé de prendre la fuite : en cas de doute, il doit appliquer la présomption selon laquelle c’est effectivement ce qui se produira, ce qui signifie qu’il devra se prononcer en faveur de la détention provisoire. Plus généralement, dans les cas de garde d’enfant, le tribunal est tenu de suivre ce qu’il considère être dans l’intérêt supérieur de l’enfant. En cas de doute, il doit suivre cette recommandation.

Pour ce qui est des affaires de refoulement, la solution évidente découle de la célèbre formule de Blackstone: « Toutes les preuves d’un crime présumé devraient être admises avec prudence ; car pour le droit, il vaut mieux dix coupables en liberté qu’un innocent en prison »[5]. Est-ce trop demander que d’appliquer le même principe aux innocents qui sont expulsés ou renvoyés dans leur pays d’origine ? Avec Blackstone, la probabilité présomptive est de un à dix en faveur de l’acquittement, à savoir une personne pour laquelle il existait un certain degré de probabilité qu’elle ait commis un crime.

A fortiori, une telle présomption en faveur de personnes complètement innocentes devrait être plus élevée que cela : argumentum de maiore ad minus.

II

Venons-en maintenant aux détails particuliers de cette cause. Le requérant est âgé de 51 ans, sa femme a 50 ans et leur fils 15 ans.

Les requérants soutiennent que s’ils retournent en Irak, ils risquent d’être persécutés par Al-Qaïda. Le mari a déjà été sur la liste des personnes à abattre par Al-Qaïda, et il y est peut-être encore. Le 26 octobre 2004, il fut victime d’une tentative de meurtre organisée par Al-Qaïda. Il dut ensuite être hospitalisé pendant trois mois. En 2005, le frère du requérant fut enlevé par Al-Qaïda en raison de la prétendue collaboration du requérant avec les Américains. Les requérants décidèrent alors de fuir en Jordanie où ils restèrent jusqu’en décembre 2006. Quelque temps après, une bombe fut posée à côté de leur domicile (elle n’explosa pas car elle fut détectée à temps) et l’auteur de l’attentat confessa avoir été payé par Al-Qaïda pour tuer le requérant. En janvier 2008, les requérants rentrèrent néanmoins à Bagdad. En octobre 2008, le requérant et sa fille se firent tirer dessus alors qu’ils se trouvaient dans leur voiture. La fille fut tuée dans cette attaque. La famille commença à se déplacer dans Bagdad pour éviter de se faire tuer. Un groupe de terroristes masqués serait venu chercher le requérant le 10 septembre 2011 à 22 heures (§ 16 de l’arrêt). Les requérants produisirent également un certificat de résidence et un rapport de police traduits attestant que leur domicile aurait été incendié par un groupe de terroristes le 12 novembre 2011 (ibid.).

Après avoir reconnu que les requérants avaient prouvé leur identité, que leur récit était crédible (§ 15) et qu’ils avaient été victimes d’« actes graves de violence et de harcèlement », le bureau des migrations suédois rejeta cependant leur demande d’asile, au motif principalement qu’ils n’avaient pas suffisamment démontré qu’ils ne pourraient pas obtenir la protection des autorités nationales s’ils rentraient en Irak. Dans le cadre du recours formé par les requérants devant le tribunal des migrations, le bureau des migrations affirma que la preuve documentaire produite en appel (concernant les incidents de septembre et novembre 2011) étaient « de nature simple et avaient une faible valeur probante ». Dans sa décision confirmant celle du bureau des migrations, le tribunal des migrations estima que les autorités irakiennes seraient « probablement » en mesure et disposées à protéger le requérant et sa famille (§ 17). Le tribunal des migrations rejeta les allégations du requérant quant à son mauvais état de santé pour lequel il ne pourrait pas obtenir les soins hospitaliers adéquats en Irak. Dans son paragraphe 16, l’arrêt n’explique pas ce que les certificats médicaux produits par le requérant certifient effectivement. Dans le paragraphe 19 de l’arrêt, nous trouvons une référence à la menace continue d’Al-Qaïda relative à l’activité politique du requérant depuis qu’il a été interviewé en anglais lors d’un débat télévisé.

Le 26 septembre 2012, le bureau des migrations rejeta une demande de réexamen au vu de nouveaux éléments de preuve (§ 19).

Comme toujours, les motifs de la décision des autorités suédoises étaient fondés sur des preuves et sur la crédibilité estimée des allégations des requérants, d’une part, et la capacité perçue des autorités irakiennes à assurer la protection, d’autre part. Certes, l’appréciation de la crédibilité basée sur les preuves faite par les autorités suédoises est plus précise que celle que pourrait effectuer la Cour sur la base du seul dossier.

Cependant, au moins deux faits indiscutables, sur lesquels il ne peut y avoir aucun doute, concernent l’attaque directe d’Al-Qaïda contre le requérant, d’une part, et la mort par balle de sa fille à Bagdad, d’autre part. Ces deux faits sont liés à la situation générale à Bagdad et en Irak, c’est-à-dire à la présence plus ou moins continue de cette organisation terroriste et à la menace qu’elle constitue. Le fait qu’une personne ait déjà été victime d’une attaque directe de ce type devrait, en principe, conduire la Cour à examiner très attentivement (même si elle se base sur une induction imparfaite) le danger constant pour les requérants.

Encore une fois, quel que soit la prétendue faiblesse de la valeur probante de certaines des preuves présentées aux autorités suédoises, il est irrationnel de soutenir que la charge de la preuve et le risque de non-persuasion devraient peser exclusivement sur les requérants. Les attaques contre le requérant, d’une part, et la mort de sa fille des mains d’Al-Qaïda, de l’autre, sont plus que suffisants pour créer une présomption en faveur de la demande d’asile des requérants. Cela signifie que la charge de la preuve et le risque de non-persuasion devraient peser sur l’État, en particulier devant la Cour européenne des droits de l’homme. La charge de la preuve devrait donc incomber à l’État défendeur qui devra prouver que le requérant (ou les requérants en l’espèce) ne sera pas soumis à des conditions ou situations contraires à l’article 3 lors de son retour en Irak.

III

Comme dans tant d’autres causes concernant la Suède, nous sommes ici confrontés à l’approche bizarre de l’appréciation de la preuve devant les autorités suédoises en charge de l’immigration, comme si le manque de crédibilité des requérants sur certaines questions réduisait à néant la valeur probante d’autres faits attestés.

En tout état de cause, il s’agit d’une spéculation répétée quant à ce qui se produira ou pas lors de l’expulsion des requérants dans leur pays d’origine, comme si la crédibilité des requérants sur certaines des questions soumises au bureau suédois des migrations prouvait que le reste de leurs allégations sont également dépourvues de valeur probante. Par exemple, il est soutenu (par le bureau des migrations) que l’incendie de la maison des requérants n’a pas été suffisamment prouvé et que ce défaut de preuve jette une mauvaise lumière sur d’autres éléments de preuve présentés par les requérants. Cet effet de contagion est une constante dans les causes concernant la Suède. Le bureau des migrations en particulier, est prêt à oublier des faits graves dès lors qu’il perçoit un manque de crédibilité des requérants sur d’autres faits allégués. Mais la question n’est pas l’honnêteté (ou malhonnêteté) des immigrants, qui vont bien évidemment essayer par tous les moyens possibles d’éviter d’être expulsés.

Il ne faut pas surestimer en l’espèce, et dans d’autres causes similaires, le fait que la charge de la preuve et le risque de non-persuasion, une fois la présomption établie en faveur des requérants, pèse sur le gouvernement.

La Cour européenne des Droits de l’Homme est une juridiction de dernier recours où cela devrait se produire.

DÉCLARATION DE DÉSACCORD DU JUGE DE GAETANO

Je ne suis pas d’accord avec la conclusion selon laquelle l’exécution de la mesure d’expulsion contre les requérants n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention, et ce, essentiellement, pour les mêmes raisons que celles invoquées par le juge Zupančič dans les parties II et III de son opinion séparée.

* * *

[1]. Voir, par exemple, Kurt Weiss, The Glueck Social Prediction Table--An Unfulfilled Promise, 65 (3) (6) Journal of Criminal Law and Criminology 397 (1975) at [http://scholarlycommons.law.northwestern.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=5907&context=jclc](http://scholarlycommons.law.northwestern.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=5907&context=jclc) [Updated 22 April 2015]

[2]. UN CAT, article 3 :

1. Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

[3]. Affaire Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 74, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V : « Cependant, d’après la jurisprudence constante de la Cour, l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3 (art. 3), donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 (art. 3). Dans ce cas, l’article 3 (art. 3) implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 35, paras. 90-91, arrêt Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A n° 201, p. 28, paras. 69-70, et arrêt Vilvarajah et autres précité, p. 34, par. 103). » (c’est nous qui soulignons)

[4]. En tant qu’ancien membre du Comité de l’ONU contre la torture (1995-1998), je peux affirmer que devant le Comité, la demande d'une mesure provisoire dans ce cas aurait facilement été jugée recevable au titre de l'art. 22 de la Convention des Nations Unies contre la torture, tout au moins à cette époque.

Article 22

1. Tout État partie à la présente Convention peut, en vertu du présent article, déclarer à tout moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par un État partie, des dispositions de la Convention. Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration.

2. Le Comité déclare irrecevable toute communication soumise en vertu du présent article qui est anonyme ou qu’il considère être un abus du droit de soumettre de telles communications, ou être incompatible avec les dispositions de la présente Convention.

3. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2, le Comité porte toute communication qui lui est soumise en vertu du présent article à l'attention de l'État partie à la présente Convention qui a fait une déclaration en vertu du paragraphe 1 et a prétendument violé l'une quelconque des dispositions de la Convention. Dans les six mois qui suivent, ledit État soumet par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant le cas échéant, les mesures qu'il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

4. Le Comité examine les communications reçues en vertu du présent article en tenant compte de toutes les informations qui lui sont soumises par ou pour le compte du particulier et par l'État partie intéressé.

5. Le Comité n'examinera aucune communication d'un particulier conformément au présent article sans s'être assuré que:

a) La même question n'a pas été et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement ;

b) Le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s'il est peu probable qu'elles donneraient satisfaction au particulier qui est la victime d'une violation de la présente Convention.

6. Le Comité tient ses séances à huis clos lorsqu'il examine les communications prévues dans le présent article.

7. Le Comité fait part de ses constatations à l'État partie intéressé et au particulier.

8. Les dispositions du présent article entreront en vigueur lorsque cinq États parties à la présente Convention auront fait la déclaration prévue au paragraphe 1 du présent article. Ladite déclaration est déposée par l'État partie auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, qui en communique copie aux autres États parties. Une déclaration peut être retirée à tout moment au moyen d'une notification adressée au Secrétaire général. Ce retrait est sans préjudice de l'examen de toute question qui fait l'objet d'une communication déjà transmise en vertu du présent article; aucune autre communication soumise par ou pour le compte d'un particulier ne sera reçue en vertu du présent article après que le Secrétaire général aura reçu notification du retrait de la déclaration, à moins que l'État partie intéressé ait fait une nouvelle déclaration.

Le Comité, le groupe de travail du rapporteur dans cette affaire, aurait transmis au gouvernement une demande afin qu'il prenne les mesures provisoires que le Comité jugeait nécessaires pour éviter des dommages irréparables à la victime ou aux victimes de violations alléguées. Il convient de noter que le Comité de l'ONU prend au départ de telles décisions sur la base des informations unilatérales présentées par le plaignant.

En outre, la Convention de l’ONU contre la torture est une convention couvrant 66 États à travers le monde, et on pourrait attendre d'une Cour régionale européenne que ses standards soient plus élevés que du monde entier.

Le 14 août 2014, la Suède avait 13 affaires relatives à des mesures provisoires pendantes devant le Comité des Nations Unies au titre de l'article 22 de la Convention des Nations Unies contre la torture. Dans 20 cas, la mesure provisoire a été approuvée, dans 41 cas elle a été refusée. Après la Suisse (155 cas), la Suède, avec ses 123 cas devant le Comité des Nations Unies, est à la deuxième place concernant les demandes de mesures provisoires par le Comité de l'ONU. Voir l'état des communications traitées par le Comité de l'ONU en vertu de l'article 22 de la Convention des Nations Unies contre la torture : http://www.ohchr.org/fr/hrbodies/cat/pages/catindex.aspx, Enquête statistique sur les plaintes individuelles.

Voir aussi UN CAT/C/3/Rev.6 http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G14/152/79/PDF/G1415279.pdf?OpenElement, article 113 p. 34:

Article 113 Conditions de recevabilité des requêtes

Afin de se prononcer sur la recevabilité d’une requête, le Comité, son groupe de travail ou un rapporteur désigné conformément à l’article 104 ou au paragraphe 3 de l’article 112 s’assure :

a) Que le requérant déclare être victime d’une violation par l’État partie intéressé des dispositions de la Convention. La requête doit être présentée par le plaignant lui-même ou par des parents ou des représentants désignés ou par d’autres personnes au nom d’une victime présumée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter personnellement la requête et lorsque l’autorisation requise est remise au Comité ;

b) Que la requête ne constitue pas un abus de la procédure devant le Comité ou n’est pas manifestement dénuée de fondement ;

c) Que la requête n’est pas incompatible avec les dispositions de la Convention ;

d) Que la même question n’est pas déjà en cours d’examen ou n’a pas déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ;

e) Que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Toutefois, cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles constituent un recours utile pour la personne victime de la violation de la Convention ;

f) Que le délai écoulé depuis l’épuisement des recours internes n’est pas déraisonnablement long, au point que l’examen de la plainte par le Comité ou l’État partie en est rendu anormalement difficile.

Article 114 Mesures provisoires

1. Le Comité, un groupe de travail ou le(s) Rapporteur(s) chargé(s) des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection peut (peuvent), à tout moment après avoir reçu une requête, adresser à l’État partie intéressé une demande pressante afin qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation alléguée.

2. Lorsque le Comité, le groupe de travail ou un (des) rapporteur(s) demande(nt) que des mesures provisoires soient prises en application du présent article, cette demande ne préjuge pas de la décision qui sera prise en définitive sur la recevabilité ou sur le fond de la requête. L’État partie en est informé quand la demande lui est faite.

3. La décision de demander des mesures provisoires de protection peut être prise sur la base des informations figurant dans la lettre du requérant. Elle peut être réexaminée, à l’initiative de l’État partie, à la lumière de renseignements reçus en temps voulu de cet État partie montrant que la requête n’est pas justifiée et que le requérant ne court pas le risque de subir un préjudice irréparable, ainsi que d’éventuels commentaires ultérieurs du requérant.

4. Lorsqu’une demande de mesures provisoires est faite par le groupe de travail ou un (des) rapporteur(s) conformément au présent article, le groupe de travail ou le(s) rapporteurs(s) fait (font) connaître aux membres du Comité la nature de la demande et la requête à laquelle elle se rapporte à la session ordinaire suivante du Comité.

5. Le Secrétaire général tient une liste des demandes de mesures provisoires.

6. Le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection s’assure aussi qu’il est accédé aux demandes de mesures provisoires du Comité.

7. L’État partie peut faire savoir au Comité que les raisons qui ont motivé la demande de mesures provisoires ont cessé d’exister ou avancer des arguments pour expliquer que la demande devrait être retirée.

8. Le Rapporteur, le Comité ou le groupe de travail peut retirer la demande de mesures provisoires. (c’est nous qui soulignons)

[5]. William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, 1897, p. 713.


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-155205
Date de la décision : 04/06/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Expulsion) (Conditionnel) (Iraq)

Parties
Demandeurs : J.K. ET AUTRES
Défendeurs : SUÈDE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SKYFAROS C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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