La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/07/2018 | CEDH | N°001-185070

CEDH | CEDH, AFFAIRE VLASE c. ROUMANIE, 2018, 001-185070


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE VLASE c. ROUMANIE

(Requête no 80784/13)

ARRÊT

STRASBOURG

24 juillet 2018

DÉFINITIF

24/10/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Vlase c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Faris Vehabović,
Iulia Motoc,
Carlo Ranzoni,

Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2018,

R...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE VLASE c. ROUMANIE

(Requête no 80784/13)

ARRÊT

STRASBOURG

24 juillet 2018

DÉFINITIF

24/10/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Vlase c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Faris Vehabović,
Iulia Motoc,
Carlo Ranzoni,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 80784/13) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes Elena Vlase et Ioana Ortensia Vlase (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 14 décembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes ont été représentées par Me M.T. Simon, avocate à Braşov. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérantes alléguaient que les autorités n’avaient pas mené d’enquête prompte et effective au sujet du décès de leur mari et père, N.V., dans un hôpital public. Elles invoquaient en particulier les articles 2, 6 et 13 de la Convention.

4. Le 18 novembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérantes sont nées respectivement en 1952 et 1974 et résident à Braşov. Le 13 janvier 2012, N.V. décéda à l’hôpital militaire de Braşov (« l’hôpital militaire »).

A. Le traitement de N.V. à l’hôpital militaire de Braşov

6. Le 7 décembre 2011, N.V. fut admis à l’hôpital militaire ou il effectua un bilan de santé. Lors d’une endoscopie digestive, on lui diagnostiqua un ulcère gastroduodénal dû à une infection par la bactérie Helicobacter pylori.

7. À cette occasion, N.V. fut dirigé vers C.B., médecin spécialiste qui recommanda une intervention chirurgicale. Cette intervention eut lieu le 12 décembre 2011 et fut pratiquée par une équipe médicale composée du médecin C.B. et de l’anesthésiste R.A.

8. À la suite de complications postopératoires, deux autres interventions chirurgicales eurent lieu les 16 et 21 décembre 2011. Elles furent pratiquées par la même équipe médicale. Il ressort des éléments du dossier que l’intervention du 21 décembre 2011 visait à traiter une pancréatite. Le 3 janvier 2012, une quatrième intervention chirurgicale consistant en une jéjunostomie[1] fut pratiquée.

9. Le 6 janvier 2012, à la suite d’une analyse bactériologique, le médecin R.G. identifia chez N.V. la bactérie Klebsiella pneumoniae, sensible à un traitement antibiotique à base de colistine.

10. Le 9 janvier 2012, l’état de N.V. se détériora en raison d’une hémorragie. Deux jours plus tard, l’intéressé fut intubé. Peu de temps après, on lui diagnostiqua un ictère mécanique et une angiocholite. Le 12 janvier 2012, une nouvelle analyse bactériologique confirma la présence de la bactérie Klebsiella pneumoniae. Le 13 janvier 2012, N.V. décéda.

11. Dans le cadre du contrôle visant à prévenir les infections nosocomiales, une société privée chargea le médecin épidémiologiste L.D.H. d’effectuer des contrôles hebdomadaires à l’hôpital militaire de Braşov. Après les contrôles de décembre 2011 et de janvier 2012, deux procès-verbaux furent dressés par le médecin L.D.H, respectivement les 5 janvier et 3 février 2012. Ces procès-verbaux furent notifiés au directeur en chef de l’hôpital. Leurs parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

Procès-verbal concernant l’activité de surveillance et de contrôle des infections nosocomiales exercée en décembre 2011

« (...) À signaler, du désordre dans la chambre de stérilisation du bloc opératoire de la section de chirurgie, les patères étaient utilisées pour accrocher des vêtements d’extérieur et sur la table il y avait toujours de la nourriture et des tasses à café, tout cela représentant un risque de contamination des instruments et des chambres annexes (...)

En décembre aucun cas d’infection nosocomiale n’a été signalé (...) ».

Procès-verbal concernant l’activité de surveillance et de contrôle des infections nosocomiales exercée en janvier 2012

« (...) L’état de la propreté est bon mais le graphique concernant le nettoyage général n’est pas respecté, les meubles difficiles à déplacer cachent de la poussière et d’autres impuretés.

(...) l’intervalle de désinfection des chambres n’est respecté, malgré le fort besoin en ce sens dans les sections de chirurgie et ATI. (...)

Ce mois-ci, des échantillons visant à déterminer la flore microbienne dans l’air et la salubrité n’ont pas été prélevés, faute pour le laboratoire de détenir les milieux de culture nécessaires pour l’identification des germes. (...)

En général, les normes concernant la manipulation et la gestion des déchets sont respectées mais, parfois, dans certains récipients on ne trouve pas exclusivement les déchets pour lesquels ils sont destinés, ceux prévus pour les déchets ménagers sont utilisés pour des déchets à risque biologique, ce qui expose l’hôpital à des sanctions de la part de l’Inspection pour l’environnement.

Ce mois-ci, aucun cas d’infection nosocomiale n’a été rapporté. »

B. La procédure pénale concernant le décès de N.V.

1. La procédure pénale suivant le dépôt de plainte par les requérantes

12. Le 13 janvier 2012, les requérantes saisirent le parquet près le tribunal de première instance de Braşov d’une plainte pour homicide involontaire visant la direction de l’hôpital militaire et les médecins C.B. et R.A. Devant le parquet, les requérantes dénonçaient une erreur médicale et sollicitaient une enquête afin de déterminer l’éventuelle responsabilité des médecins impliqués dans le traitement de N.V.

13. Le jour du dépôt de la plainte par les requérantes, une enquête fut déclenchée sur instruction des procureurs près le tribunal de première instance de Braşov.

14. Le même jour, le parquet sollicita la réalisation d’une autopsie afin d’établir la cause du décès et l’éventuel lien de causalité entre les interventions chirurgicales pratiquées en décembre 2011 et en janvier 2012 et le décès de N.V. Le lendemain, une recherche sur les lieux fut effectuée par les organes de police.

15. Le 16 janvier 2012, les requérantes se virent refuser l’accès aux documents médicaux et la participation à l’autopsie d’un expert de leur choix.

16. Le 6 mars 2012, un rapport d’autopsie fut établi par les médecins légistes de l’hôpital départemental de Braşov. Une copie de ce rapport fut remise aux requérantes le 3 avril 2012. Les conclusions de ce rapport se lisent comme suit, dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« (...) le décès a été causé par une insuffisance chronique de plusieurs organes, après l’évolution d’un choc septique, à la suite d’un ulcère duodénal chronique ayant pénétré le pancréas opéré et compliqué par une pancréatite nécrohémorragique avec abcès.

Les complications postopératoires (...) ont eu une évolution progressive et aggravante et n’ont pas régressé après les interventions chirurgicales ultérieures et le traitement complexe de thérapie intensive.

Entre le diagnostic d’ulcère duodénal chronique ayant pénétré le pancréas et le décès existe un lien indirect de causalité ([du fait des] complications postopératoires (...)).

(...) la seule possibilité thérapeutique curative était la cure chirurgicale de la sténose du pylore, constatée par endoscopie, car elle représente un obstacle mécanique pour l’évacuation gastrique et sa correction se fait exclusivement par voie chirurgicale ».

17. Le 29 mai 2012, le parquet près le tribunal de première instance de Braşov demanda à l’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » (« l’IML ») de réaliser une expertise afin d’établir la cause du décès et l’éventuel lien de causalité entre les interventions chirurgicales pratiquées et le décès et de déterminer si les protocoles médicaux avaient été respectés lors des interventions chirurgicales, si l’intervention pratiquée le 12 décembre 2011 était opportune, s’il y avait eu ou non une erreur de diagnostic, s’il aurait été possible de prévenir les complications postopératoires et si le traitement de ces complications avait été efficace.

18. Le 26 mars 2013, l’IML réalisa le rapport d’expertise médicolégale sollicité par le parquet. Ce rapport fut validé le même jour par une commission de contrôle de l’IML et, le 16 octobre 2013, par la commission médicolégale supérieure. Les conclusions du rapport médicolégal se lisent comme suit, dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« (...) 2. Les interventions chirurgicales pratiquées à partir du 12 décembre 2011 dans un but curatif, ainsi que les suivantes, tendant à traiter chirurgicalement les complications graves, ont été nécessaires ; à défaut, la maladie aurait causé le décès, dans un délai plus court encore.

(...) 4. L’intervention du 12 décembre 2011, effectuée en raison de l’ulcère duodénal chronique sténosant (sténose du pylore) et pénétrant dans le pancréas était le seul traitement indiqué et nécessaire. Le traitement alternatif, éventuellement médicamenteux, était dépassé, compte tenu des complications constatées lors de l’hospitalisation même – sténose du pylore avec dilatation gastrique, vomissements et reflux gastrique, perte de poids – ce qui indique une perturbation grave de la fonction digestive.

(...) 6. Tel que nous l’avons précisé au point 4), l’intervention du 12 décembre 2011 était absolument nécessaire compte tenu du diagnostic établi et correctement pratiqué compte tenu de la description dans le protocole opératoire.

7. La complication postopératoire « pancréatite chronique nécrohémorragique » représente une complication due à des facteurs généraux et locaux (une ischémie dans la région splanchnique, des lésions pénétrantes préexistantes avant l’intervention) – il est probable que tel soit le cas en l’espèce – et [que la complication ne soit pas due] aux manœuvres chirurgicales.

8. La complication a été traitée par de la chirurgie et un traitement complexe de thérapie intensive – [ces deux procédures] étant recommandées et correctement mises en place. »

19. Le 26 avril 2013, l’expert désigné par les requérantes, le médecin légiste D.G., réalisa son rapport d’expertise visant à identifier les causes du décès de N.V. Les conclusions du rapport se lisent ainsi dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Le décès de N.V. a été violent. Il est dû à une péritonite aiguë traumatique causé par des manœuvres chirurgicales inadéquates, lors de l’intervention chirurgicale pour [traiter l’]ulcère duodénal en date du 12 décembre 2011. Ultérieurement survinrent une nécrose et un abcès du pancréas, une fistule anastomotique, une angiocholite et un choc septique.

2. Puisque l’étiologie de la pancréatite chronique est un traumatisme intraopératoire causé par des manœuvres chirurgicales brutales sur le pancréas, il existe, entre l’intervention du 12 décembre 2011 et le décès, un lien direct de causalité inconditionnel.

3. Le déclenchement de la pancréatite chronique (...) représente une erreur chirurgicale.

4. Lors de son hospitalisation, le 7 décembre 2011, [N.V.] souffrait d’un ulcère duodénal chronique avec sténose, lequel aurait pu bénéficier aussi d’un traitement médicamenteux, surtout quand plusieurs médicaments antiulcéreux étaient disponibles et pouvaient retarder l’intervention chirurgicale, surtout dans les conditions d’un diagnostic incomplet lors de l’hospitalisation (...). »

2. La plainte visant à dénoncer la durée excessive de l’enquête pénale

20. Le 25 août 2014, les requérantes dénoncèrent, devant le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Braşov, la lenteur de la procédure ainsi que l’absence de réponse à leurs demandes d’ordre procédural. À titre d’exemple, les requérantes mentionnèrent une demande tendant à faire valider une nouvelle fois le rapport d’expertise médicolégale de l’IML car, d’après elles, des soupçons d’impartialité subsistaient quant à un médecin légiste ayant réalisé le rapport d’expertise à l’IML.

21. Par une ordonnance du 17 septembre 2014, le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Braşov accueillit la demande formulée par les requérantes et confirma que la durée de l’enquête pénale avait été excessive. Il constata qu’aucun acte d’investigation n’avait été effectué après octobre 2013 et ordonna au procureur chargé de l’affaire de finaliser l’enquête avant le 20 octobre 2014.

3. La procédure pénale suivant l’ouverture des poursuites judiciaires du chef d’homicide involontaire

22. Le 22 septembre 2014, le parquet près le tribunal départemental de Braşov engagea des poursuites pénales in rem du chef d’homicide involontaire.

23. Entre le 8 octobre 2014 et le 2 mars 2015, le parquet entendit six témoins, dont le médecin légiste ayant effectué l’autopsie. Celui-ci émit à cette occasion la thèse selon laquelle N.V. avait contracté une infection nosocomiale.

24. Les 9 octobre et 4 novembre 2014, le parquet demanda à l’hôpital militaire des informations supplémentaires et des documents relatifs aux mesures de prévention et de contrôle des infections nosocomiales, après avoir pris connaissance des résultats des analyses bactériologiques effectuées les 6 et 12 janvier 2012.

25. Le 13 novembre 2014, le parquet sollicita un complément d’expertise à réaliser par l’IML afin d’identifier les causes de la septicémie de N.V., le traitement apporté à cette affection ainsi que les liens de causalité entre la septicémie et le décès. À cette occasion, deux des onze questions proposées par les requérantes furent communiquées à l’IML.

26. Le 19 novembre 2014, le parquet rejeta une contestation formulée par les requérantes sollicitant l’ajout de questions supplémentaires pour la nouvelle expertise à réaliser par l’IML.

27. Le 5 décembre 2014, le médecin épidémiologiste L.D.H. fut auditionné. Il fit référence, entre autres, aux deux procès-verbaux dressés les 5 janvier et 3 février 2012 lors des contrôles effectués à l’hôpital militaire de Braşov (paragraphe 11 ci-dessus).

28. Le 8 janvier 2015, la première requérante fut entendue par le parquet et se constitua partie civile.

29. Entre le 13 janvier et le 2 mars 2015, un employé du laboratoire de l’hôpital et les médecins C.B. et G.B. furent entendus.

30. Le 18 mars 2015, l’IML réalisa le complément d’expertise sollicité par le parquet. Les conclusions de cette expertise se lisent comme suit dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« (...) 1. Toute septicémie a pour origine un germe bactérien à évolution locale, lequel, ultérieurement, se généralise, comme c’est le cas en l’espèce pour Klebsiella pneumoniae. Dans le compte-rendu d’analyse microbiologique du liquide pancréatique prélevé le 6 janvier 2012 et réalisé (avec antibiogramme) le 11 janvier 2012 à l’hôpital militaire d’urgence de Braşov, il est mentionné que le germe ainsi identifié, Klebsiella pneumoniae, est sensible à la colistine.

2. Klebsiella pneumoniae est une entérobactérie (...) qui se retrouve habituellement dans le tractus digestif (bouche, estomac, intestins) qui est un milieu septique. Lors des chirurgies de l’abdomen, qui impliquent l’ouverture du segment du tractus digestif, a lieu une contamination locale ou à distance (par le flux sanguin) inévitable du milieu interne stérile par des germes de l’intestin (le dit « délai opérateur septique »).

3. La colistine – antibiotique à action bactéricide sur les bactéries Gram (-) de type Klebsiella pneumoniae (...) est efficace et recommandée dans le traitement des infections à Klebsiella pneumoniae, indépendamment de la situation tissulaire locale (...).

5. L’organisme humain détient une variété et variabilité impressionnante de réactions de défense face aux lésions, variabilité qui est influencée par une multitude de facteurs endogènes et exogènes [et qui est difficile], voire impossible à anticiper, raison pour laquelle nous ne sommes pas en mesure d’apprécier ce qui se serait passé ni comment l’évolution physique se serait déroulée si la septicémie n’était pas survenue.

6. (...) On ne saurait pas exclure en totalité l’influence, sur le pancréas, de la réaction inflammatoire de proximité de l’ulcère duodénal chronique, préexistant, d’autant plus s’agissant d’un type d’ulcère pénétrant le pancréas (...).

10. (...) En l’espèce, la pancréatite nécrohémorragique peut être déterminée par l’absence de drainage des canaux pancréatiques à la suite d’une réaction inflammatoire de proximité, créée par l’ulcère duodénal chronique ; la réaction inflammatoire à œdème non spécifique a conduit à un arrêt des enzymes dans les acini glandulaires, à leur nécrose et à la formation de la pancréatite nécrohémorragique avec les conséquences secondaires qui en découlent. »

31. Le 20 avril 2015, le médecin légiste D.G. réalisa une nouvelle expertise médicale dans laquelle il formulait des observations sur les questions proposées par le parquet à l’IML. Les conclusions de cette expertise se lisent ainsi dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« (...) Par conséquent, le germe Klebsiella pneumoniae aurait pu exister dans le tube digestif du patient, en tant que germe saprophyte, [et devenir] pathogène après l’intervention chirurgicale du 16 décembre 2011 (...). Il s’agit d’un germe multirésistant, contracté lors de l’intervention chirurgicale inopportune du 16 décembre 2011, soit en raison des instruments, soit en raison des tubes de drainage, constituant ainsi une infection nosocomiale (...).

Il n’y a pas d’éléments qui confirment le diagnostic préopératoire de pancréatite chronique nécrohémorragique. L’examen CT n’a pas été effectué afin de confirmer l’existence d’un abcès sous-phrénique et d’une pancréatite (...).

La pancréatite (...) causée par des manœuvres chirurgicales inadéquates s’est surinfectée à la suite de l’intervention chirurgicale du 16 décembre 2011, générant des complications locales et générales, culminant avec le choc toxico-septique ayant entraîné le décès (...).

Selon l’examen clinique de laboratoire et d’imagerie au moment de l’hospitalisation du patient, celui-ci ne présentait aucun symptôme spécifique de pancréatite chronique nécrohémorragique. (...). Le patient présentait seulement les symptômes et les caractéristiques biologiques et d’imagerie spécifiques à l’ulcère [ayant entraîné une] sténose du pylore. En conclusion, au moment de l’intervention chirurgicale du 12 décembre 2012, le patient ne souffrait pas d’une pancréatite chronique nécrohémorragique, cette affection étant postopératoire (...). »

32. Le 3 juin 2015, le parquet près le tribunal départemental de Braşov ordonna le classement sans suite de l’affaire, les procureurs ne décelant aucune faute pénale imputable aux médecins ayant soigné N.V. Le 19 juin 2015, les requérantes contestèrent cette ordonnance.

33. Par une ordonnance du 4 août 2015, le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Braşov rejeta la contestation formulée par les requérantes. Celles-ci formèrent une contestation devant le tribunal de première instance de Braşov contre cette ordonnance. Le 13 novembre 2015, cette contestation fut renvoyée au parquet près de la cour d’appel de Braşov.

34. Le 2 décembre 2015, le parquet près la cour d’appel de Braşov accueillit la contestation formulée par les requérantes et ordonna la réouverture des poursuites par le tribunal de première instance de Braşov. Par la même ordonnance, il décida que le parquet militaire près le tribunal de Cluj était compétent ratione materiae. Pour arriver à cette conclusion, il estima tout d’abord que le représentant de la partie civilement responsable, soit le directeur en chef de l’hôpital militaire, était militaire et que, de ce fait, seul un parquet militaire était compétent pour connaître de l’affaire. Le parquet observa ensuite qu’il existait des indices selon lesquels N.V. avait contracté une infection nosocomiale en milieu hospitalier. Enfin, il critiqua l’omission par les organes de poursuite de recueillir le témoignage du médecin radiologue ayant examiné N.V. la veille de l’intervention chirurgicale du 16 décembre 2011.

35. Le 5 janvier 2016, un juge de chambre préliminaire du tribunal de première instance de Braşov confirma la réouverture des poursuites. Peu de temps après, les médecins visés par la plainte pénale des requérantes furent entendus par les procureurs du parquet militaire.

36. Le 15 avril 2016, le parquet entendit la première requérante qui précisa que sa plainte pénale visait aussi l’infection nosocomiale. À cette occasion, elle étendit sa plainte pénale à l’encontre du médecin G.B.

4. Le classement sans suite de l’affaire concernant la direction de l’hôpital militaire de Braşov

37. Par une ordonnance du 27 avril 2016, le parquet militaire près le tribunal départemental de Cluj ordonna le classement sans suite de l’affaire concernant la direction de l’hôpital militaire et la disjonction de cette procédure de celle visant C.B. et R.A., qui devait être transférée au parquet près le tribunal de première instance de Braşov. Le parquet ordonna également le déclenchement de poursuites du chef d’abus à l’encontre du médecin G.B. par le parquet près le tribunal de première instance de Braşov. Les requérantes contestèrent cette ordonnance.

38. Le 2 juin 2016, le procureur en chef du parquet militaire confirma l’ordonnance de classement sans suite. Les requérantes introduisirent un recours devant le tribunal départemental de Braşov contre cette dernière ordonnance.

39. Le 29 juillet 2016, le tribunal départemental de Braşov renvoya l’affaire devant le tribunal militaire de Cluj, lequel, à son tour, la renvoya devant le tribunal départemental de Braşov. Le conflit négatif de compétence fut résolu le 29 septembre 2016 par la Haute Cour de cassation et de justice, qui décida que le tribunal militaire de Cluj était compétent ratione materiae.

40. Le 15 février 2017, un juge de la chambre préliminaire du tribunal militaire de Cluj accueillit la contestation des requérantes, annula l’ordonnance du 27 avril 2016 et renvoya l’affaire devant le parquet près le tribunal militaire de Cluj afin de continuer les poursuites. Des suspicions de partialité furent retenues à l’égard d’un médecin légiste ayant réalisé le rapport d’expertise médicolégale à l’IML (paragraphe 20 ci-dessus). Le juge d’instruction critiqua également le fait que les procureurs n’avaient pas analysé les conclusions de l’expert D.G., désigné par les requérantes, ni le témoignage d’un spécialiste d’épidémiologie, et de ne pas avoir établi,
au-delà de tout doute raisonnable, si l’infection de N.V. était survenue pendant son hospitalisation. Le juge constata la nécessité de réaliser une nouvelle expertise médicolégale, l’audition de tous les témoins et des médecins en cause et, le cas échéant, la confrontation des requérantes avec ceux-ci.

41. Le 18 mai 2017, le parquet près le tribunal militaire de Cluj ordonna le classement sans suite de la plainte pénale pour homicide involontaire visant la direction de l’hôpital militaire de Braşov. D’après les procureurs du parquet militaire, il n’y avait aucune preuve confirmant que N.V. avait contracté une infection en raison d’un manque d’hygiène à l’hôpital militaire de Braşov. Selon les mêmes procureurs, il s’agissait d’un cas isolé car aucune autre infection de ce type n’avait été identifiée avant ou après le décès de N.V., raison pour laquelle l’infection en l’espèce n’avait pas été déclarée comme étant nosocomiale. Quant à l’incompatibilité dénoncée par les requérantes, les procureurs estimèrent que les soupçons de partialité visant l’un des médecins légistes de l’IML exprimés antérieurement ne se confirmaient pas et qu’aucun autre motif d’incompatibilité ne subsistait.

42. Par une ordonnance du 13 juillet 2017, le procureur en chef du parquet près le tribunal militaire de Cluj rejeta la contestation formulée par les requérantes au motif que les preuves recueillies justifiaient le classement sans suite de l’affaire dirigée à l’encontre de la direction de l’hôpital militaire. Quant aux poursuites visant les autres médecins, il estima que la disjonction des affaires était justifiée par l’absence de tout rapport entre les actions des médecins militaires, notamment les directeurs de l’hôpital militaire, et celles des médecins civils C.B., R.A. et G.B.

5. La procédure pénale visant les médecins ayant soigné N.V.

43. Par une ordonnance rendue le 22 mai 2017, le parquet près le tribunal militaire de Cluj renvoya l’affaire concernant les poursuites du chef d’homicide involontaire visant les médecins C.B., et R.A. et G.B et du chef d’abus visant le médecin G.B. devant le parquet près le tribunal de première instance de Braşov. Cette procédure est toujours pendante.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

44. Les dispositions internes pertinentes concernant les rapports d’expertise médicolégale ainsi que la responsabilité civile du personnel médical sont décrites dans l’affaire Eugenia Lazăr c. Roumanie (no 32146/05, §§ 41-46 et 52-54, 16 février 2010). Les dispositions internes concernant l’homicide involontaire ainsi que la possibilité d’engager des procédures civiles lors des procédures pénales ou séparément, telles qu’elles étaient en vigueur au moment des faits, sont décrites dans l’affaire Ioniță c. Roumanie, no 81270/12, § 57, 10 janvier 2017).

45. Le Gouvernement fournit des exemples de décisions prononcées par différentes juridictions internes statuant sur des actions en responsabilité civile délictuelle pour négligence médicale, engagées par des patients ou leurs familles à l’encontre de médecins ou établissements médicaux. Il fournit également des exemples de décisions internes prononcées par différentes juridictions de contentieux administratif dans des litiges disciplinaires visant différents médecins.

III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

46. Les documents pertinents des Nations unies (le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que les textes pertinents de l’Organisation mondiale de la santé), du Conseil de l’Europe (La Charte sociale européenne, la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, et la Recommandation Rec(84)20 sur la prévention des infections hospitalières) et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (les dispositions pertinentes la Convention américaine relative aux droits de l’homme et la jurisprudence en la matière) sont résumés dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal ([GC], no 56080/13, §§ 110-118, CEDH 2017).

47. Les documents pertinents de l’Union européenne (les dispositions pertinentes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Recommandation du Conseil relative à la sécurité des patients, y compris la prévention des infections associées aux soins et la lutte contre celles-ci) sont également décrits dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes précitée (§§ 119-121).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

48. Les requérantes dénoncent une absence d’enquête effective à la suite de leur plainte pénale concernant le décès de N.V. Elles invoquent à cet égard les articles 2, 6 et 13 de la Convention.

49. La Cour estime qu’il convient d’examiner les griefs des requérantes sous l’angle du seul article 2 de la Convention (Ioniță c. Roumanie, no 81270/12, § 59, 10 janvier 2017).

Dans sa partie pertinente en l’espèce, cette disposition se lit ainsi :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

A. Sur la recevabilité

50. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il allègue que les requérantes n’ont fait usage que d’une plainte pénale avec constitution de partie civile, alors que d’autres voies de recours leur étaient disponibles. Il cite à cet égard la plainte disciplinaire et renvoie à un rapport d’activité de la Commission supérieure de discipline de l’Ordre national des médecins contenant de nombreux exemples de sanctions prononcées à l’encontre de certains médecins. Une autre voie à épuiser en l’espèce serait, selon le Gouvernement, l’action en responsabilité civile délictuelle dirigée à l’encontre des médecins ou institutions éventuellement responsables du décès de N.V. (paragraphe 45 ci-dessus).

51. Les requérantes rappellent s’être constituées parties civiles dans le cadre du procès pénal et avoir choisi la voie pénale car celle-ci aurait été la plus efficace pour enquêter sur le décès de N.V. Selon elles, le traitement d’une action civile séparée aurait pu être ajourné avant la fin de la procédure pénale, conformément à l’article 413, premier paragraphe, du nouveau CPC et, en tout état de cause, il s’agissait d’une faute de nature pénale et non d’un acte illicite. Elles expriment de forts doutes quant à l’efficacité de la voie disciplinaire évoquée par le Gouvernement.

52. La Cour relève que les arguments avancés par le Gouvernement à l’appui de son exception sont étroitement liés à la substance du grief tiré de l’article 2 de la Convention. Elle décide donc de joindre cette objection au fond.

53. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

54. Les requérantes considèrent que l’enquête menée par les autorités afin d’élucider les causes du décès de N.V. n’a pas été effective.

55. Le Gouvernement soutient que l’enquête menée en l’espèce par les autorités a été prompte et effective. Il renvoie à cet égard à la réalisation de l’autopsie, à l’investigation sur les lieux ainsi qu’à la demande de communication de documents médicaux. Il indique que plusieurs expertises ont été ordonnées afin d’élucider les causes du décès de N.V. et ajoute que les requérantes ont également été impliquées dans l’enquête au motif que divers documents leur ont été communiqués, qu’elles ont été interrogées et qu’elles ont participé aux expertises médicolégales. Selon lui, l’IML, une institution qui fait d’ailleurs face à un très grand volume de travail, a collaboré avec les organes d’enquête et a accepté de répondre à des questions supplémentaires (voir, a contrario, Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32145/05, §§ 76-80, 16 février 2010, et Baldovin c. Roumanie, no 11385/05, §§ 23-26, 7 juin 2011). Quant à la durée de la procédure, le Gouvernement renvoie à d’autres affaires similaires dans lesquelles des procédures pénales allant de quatre à sept ans avaient été jugées conformes aux exigences de célérité imposées par l’article 2 de la Convention (Desjardins c. France (déc.), no 50533/07, 15 juin 2010, Stihi-Boos c. Roumanie (déc.) no 7823/06, § 57, 11 octobre 2011, Motocu c. Roumanie (déc.), no 49794/10, § 38, 13 janvier 2015, et Istratoiu c. Roumanie (déc.), no 56556/10, § 77, 27 janvier 2015). Le Gouvernement ajoute que les autorités internes ont pris des mesures pour accélérer la procédure dès lors que des périodes d’inactivité ont été décelées en l’espèce.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

56. Les principes généraux développés par la Cour en matière d’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention dans le domaine de la santé, notamment en cas de décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, ont été récemment résumés dans l’affaire

Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal ([GC], no 56080/13, §§ 214-221, CEDH 2017) et se lisent comme suit dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« 214. La Cour a interprété l’obligation procédurale découlant de l’article 2 dans le domaine de la santé comme imposant aux États l’instauration d’un système judiciaire effectif et indépendant apte, (...) à établir la cause du décès et à obliger les responsables éventuels à répondre de leurs actes (voir, entre autres, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 192, 9 avril 2009, et les affaires qui y sont citées).

215. Si, dans certains cas exceptionnels où la faute attribuable aux prestataires de santé est allée au-delà d’une simple erreur ou négligence médicale, la Cour a considéré que, pour que l’obligation procédurale soit respectée, il fallait qu’il existe un mécanisme de répression pénale (voir, par exemple, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, §§ 104-105, et Asiye Genç, § 73, tous deux précités), dans toutes les autres affaires où l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité de la personne n’avait pas été causée intentionnellement, elle a dit que l’obligation procédurale (...) n’imposait pas nécessairement un recours de nature pénale (paragraphe 137 ci-dessus, voir aussi Cevrioğlu c. Turquie, no 69546/12, § 54, 4 octobre 2016).

216. La Cour rappelle que le choix des mesures destinées à assurer le respect des obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. (...) il faut que les mécanismes de protection prévus en droit interne non seulement existent en théorie, mais aussi fonctionnent effectivement en pratique (voir, par exemple, Byrzykowski, précité, § 105, et Spyra et Kranczkowski c. Pologne, no 19764/07, § 88, 25 septembre 2012).

217. Dans ce contexte, il est implicite que le système mis en place au niveau national pour déterminer la cause du décès d’individus se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé doit être indépendant (...). Cette exigence est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de recueillir des expertises médicales (Karpisiewicz c. Pologne (déc.), no 14730/09, 11 décembre 2012), car il est très probable que les rapports des médecins experts pèsent d’un poids déterminant dans l’appréciation que fera le tribunal de questions hautement complexes de négligence médicale, ce qui leur confère un rôle particulièrement important dans la procédure (Bajić, précité, § 95).

218. De même, l’obligation procédurale imposée par l’article 2 en matière de soins impose notamment que la procédure soit menée à terme dans un délai raisonnable (Šilih, précité, § 196). À cet égard, la Cour souligne que, outre la question du respect des droits découlant de l’article 2 dans une affaire donnée, des considérations plus générales appellent également un prompt examen des affaires concernant une négligence médicale survenue en milieu hospitalier. La connaissance des faits et des erreurs éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre aux établissements concernés et au personnel médical de remédier aux défaillances potentielles et de prévenir des erreurs similaires. Le prompt examen de telles affaires est donc important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé (Oyal, précité, § 76).

219. C’est pourquoi la Cour a dit, (...), que la lenteur de la procédure était un indice solide de la présence d’une défaillance constitutive d’une violation par l’État défendeur de ses obligations positives au titre de la Convention, à moins que l’État n’ait fourni des justifications très convaincantes et plausibles pour expliquer cette lenteur (voir, par exemple, Bilbija et Blažević c. Croatie, no 62870/13, § 107, 12 janvier 2016).

220. (...) dans les affaires de négligence médicale, où la mort a été causée de manière non intentionnelle, c’est lorsque les proches du défunt engagent une procédure que l’obligation procédurale de l’État peut entrer en jeu (Šilih, précité, § 156).

221. Enfin, la Cour souligne que cette obligation procédurale est une obligation non de résultat mais de moyens (ibidem, § 193) (...) ».

b) Application de ces principes en l’espèce

57. La Cour note que, lors d’un bilan de santé de routine à l’hôpital militaire de Braşov, un ulcère gastrique a été diagnostiqué à N.V., et que ce dernier a été hospitalisé et soumis à plusieurs interventions chirurgicales avant de décéder (paragraphes 6-10 ci-dessus). Elle considère que cette situation a conduit les requérantes à légitimement soupçonner qu’une négligence médicale était la principale cause du décès de leur proche. Dans ces conditions, elle estime que l’État devait s’assurer que l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention était respectée en l’espèce (paragraphe 56 ci-dessus).

58. La Cour peut convenir avec le Gouvernement que, en cas de négligence médicale, l’ordre juridique roumain prévoit différentes voies de recours qui, en théorie, satisfont aux exigences procédurales découlant de l’article 2 de la Convention. Ainsi, outre la possibilité d’obtenir l’ouverture d’une procédure pénale, il est loisible aux intéressés de saisir les tribunaux d’une action en responsabilité civile délictuelle ou de formuler une action disciplinaire contre les médecins et/ou les hôpitaux (paragraphe 45
ci-dessus).

59. En l’espèce, eu égard aux informations fournies par les parties, la Cour relève que les requérantes ont fait usage d’un recours interne de nature pénale pour se plaindre des manquements des médecins chargés de soigner leur proche (paragraphe 12 ci-dessus) et que la première requérante a exercé en même temps l’action civile en se constituant partie civile lors de la procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus).

60. La Cour examinera donc si la voie de recours exercée par les requérantes répond aux exigences de promptitude, d’effectivité et de diligence raisonnable découlant du volet procédural de l’article 2 de la Convention (paragraphe 56 ci-dessus).

61. À cet égard, elle relève d’abord que la procédure suivant le dépôt de plainte par les requérantes a duré plus de deux ans avant que le parquet près le tribunal départemental de Braşov, saisi d’une plainte pour durée excessive de l’enquête, ne déclenche des poursuites pénales pour homicide involontaire. Bien que certaines démarches aient été entamées par le parquet afin d’identifier l’éventuel lien de causalité entre les interventions chirurgicales et le décès de N.V. (paragraphes 13-19 ci-dessus), le procureur en chef du tribunal départemental de Braşov a critiqué la durée excessive de l’enquête et a ordonné sa finalisation (paragraphe 21 ci-dessus).

62. La Cour note ensuite que, après le déclenchement des poursuites, la procédure visant les médecins C.B., R.A. et G.B. est toujours pendante. Les renvois successifs de l’affaire entre les différents parquets ou tribunaux, civils et militaires, pour des raisons de compétence d’attribution (paragraphes 34, 37, 39 et 43 ci-dessus), ont allongé la procédure et entraîné des retards déraisonnables compte tenu des circonstances. Ces éléments fournissent des indices forts que cette procédure ne répond pas aux exigences de promptitude et diligence (paragraphe 56 ci-dessus).

63. De surcroît, la Cour rappelle que, s’agissant des allégations à première vue défendables d’une négligence médicale qui aurait contribué à un décès, les autorités auraient dû analyser la question de manière approfondie (paragraphe 56 ci-dessus). À ce titre, elle observe que la procédure pénale suivant le déclenchement des poursuites a aussi concerné des soupçons selon lesquels N.V. avait contracté une infection nosocomiale avant son décès (paragraphe 24 ci-dessus). Les expertises médicolégales auraient donc dû avoir un poids significatif car, dans ce contexte, elles peuvent peser sur la manière dont une juridiction appréciera l’affaire.

64. Or, les conclusions du complément d’expertise de l’IML furent d’ailleurs contredites par le rapport d’expertise réalisé par le médecin légiste désigné par les requérantes, renforçant la thèse d’une infection nosocomiale contractée en milieu hospitalier, ainsi que celle d’une pancréatite due à des manœuvres chirurgicales inadéquates (paragraphe 31 ci-dessus). D’ailleurs, les procureurs de la cour d’appel de Braşov n’ont pas été convaincus par les conclusions du complément d’expertise de l’IML et ont réitéré la thèse visant une infection nosocomiale en milieu hospitalier (paragraphe 34 ci‑dessus). En tout état de cause, il semble que cette thèse, confortée par des éléments de preuve recueillis après le déclenchement des poursuites (paragraphes 11, 23-24 ci-dessus), a constitué une difficulté dans la progression de l’enquête.

65. Bien qu’il n’appartienne pas à la Cour de remettre en cause les conclusions des expertises en se livrant à des conjectures à partir des renseignements médicaux dont elle dispose, elle note que le supplément d’expertise sollicité par le parquet n’éclaircit pas la question de l’origine de l’infection nosocomiale, ni les éventuelles conséquences de celle-ci eu égard au décès de N.V., et que, plus de six ans après le décès du proche des requérantes, des zones d’ombre persistent toujours concernant l’application des normes de prévention des infections (paragraphes 30 ci-dessus).

66. À ce sujet, la Cour rappelle que, outre la question du respect des droits découlant de l’article 2 de la Convention dans une affaire donnée, des considérations plus générales appellent également un prompt examen des affaires concernant une négligence médicale survenue en milieu hospitalier. La connaissance des faits et des erreurs éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre aux établissements concernés et au personnel médical de remédier aux défaillances potentielles et de prévenir des erreurs similaires. Le prompt examen de telles affaires est donc important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé (paragraphe 56 ci-dessus).

67. Or, en l’espèce, plus de six ans après le début de la procédure pénale engagée par les requérantes, les autorités internes n’ont pas traité la plainte des requérantes liée au décès de leur proche avec le niveau de diligence requis par l’article 2 de la Convention (voir, a contrario, E.M. c. Roumanie, (déc.), no 20192/07, §§ 53 et 56, 3 juin 2014, Motocu, décision précitée, § 38, et Istratoiu, décision précitée, § 77) et le Gouvernement défendeur n’a pas fourni d’explications convaincantes et plausibles pour expliquer cette carence (Bilbija et Blažević c. Croatie, no 62870/13, § 107, 12 janvier 2016).

68. Enfin, pour ce qui est du choix de la première requérante d’exercer l’action civile lors de la procédure pénale pour homicide involontaire, la Cour observe que cette voie de recours aurait dû permettre un examen conjoint des responsabilités pénales et civiles résultant du même fait dommageable. De plus, compte tenu des circonstances de l’espèce, ce choix était à privilégier car les autorités d’investigation avaient l’obligation de recueillir des preuves qui pouvaient servir aux requérantes afin d’engager une éventuelle action civile. Or la procédure pénale est toujours pendante devant les juridictions internes. Dans ce contexte, la Cour ne saurait reprocher aux requérantes de ne pas avoir engagé d’action civile ni d’action disciplinaire distinctes (Elena Cojocaru c. Roumanie, no 74114/12, §§ 122‑123, 22 mars 2016).

69. En conclusion, la Cour estime que, en l’espèce, le système judiciaire national n’a pas apporté de réponse adéquate et suffisamment prompte au grief défendable visant le décès de N.V. en milieu hospitalier, conformément à l’obligation que l’article 2 de la Convention faisait peser sur l’État. Ces éléments lui suffisent pour rejeter l’exception de
non-épuisement soulevée par le Gouvernement et pour conclure à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

70. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

71. Les requérantes réclament 5 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elles estiment avoir subi en raison de la durée excessive de l’enquête visant le décès de leur proche. Elles sollicitent également le remboursement de 10 416 EUR pour préjudice matériel.

72. Le Gouvernement considère que le montant sollicité par les requérantes pour dommage moral est excessif et renvoie à des affaires similaires ou la Cour a octroyé des sommes comprises entre 5 000 EUR et 12 000 EUR. Quant au montant sollicité par les requérantes pour dommage matériel, le Gouvernement estime qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la violation constatée et l’éventuel préjudice matériel subi par les intéressées.

73. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérantes 12 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

74. Les requérantes demandent 1 927 EUR pour les frais de représentation d’avocat qu’elles disent avoir engagés. Elles sollicitent également le remboursement de 3 075 EUR correspondant au coût de l’expertise médicolégale réalisée par le médecin légiste D.G. Elles demandent 17 EUR pour les frais de correspondance avec la Cour et 19 EUR pour les frais de traduction. Elles produisent des justificatifs pour tous ces frais.

75. Le Gouvernement demande à la Cour d’analyser le caractère raisonnable des frais dont les requérantes sollicitent le remboursement, notamment des honoraires d’avocat et d’expertise médicolégale, dans la mesure où les justificatifs fournis ne font aucune mention du récapitulatif des heures de travail facturées.

76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour, estime raisonnable la somme de 5 038 EUR tous frais confondus et l’accorde conjointement aux requérantes.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 5 038 EUR (cinq mille trente-huit euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juillet 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliGanna Yudkivska
GreffièrePrésidente

* * *

[1]. La mise en place d’une sonde d’alimentation


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-185070
Date de la décision : 24/07/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2 - Obligations positives;Article 2-1 - Enquête effective) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : VLASE
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SIMON M.T.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award