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15/09/2015 | CEDH | N°001-157341

CEDH | CEDH, AFFAIRE SHISHANOV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2015, 001-157341


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SHISHANOV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 11353/06)

ARRÊT

STRASBOURG

15 septembre 2015

DÉFINITIF

15/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Shishanov c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Jo

hannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en a...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SHISHANOV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 11353/06)

ARRÊT

STRASBOURG

15 septembre 2015

DÉFINITIF

15/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Shishanov c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 août 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11353/06) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant russe, M. Valeriy Shishanov (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 janvier 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par O. Shishanova. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol. Par une lettre du 12 juillet 2011, le gouvernement russe a fait savoir qu’il n’entendait pas exercer son droit d’intervenir dans la procédure.

3. Le requérant allègue en particulier que les conditions de sa détention en République de Moldova étaient contraires à l’article 3 de la Convention et que sa correspondance en détention a été censurée en violation de l’article 8 de la Convention.

4. Le 6 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1952. Il est actuellement détenu en Fédération de Russie.

6. À une date non spécifiée en 1992, il se vit amputer une jambe et porte, depuis lors, une prothèse.

A. Le procès pénal à l’encontre du requérant

7. Le 7 août 1996, les autorités moldaves arrêtèrent le requérant et le placèrent en garde à vue. Il était accusé d’évasion des lieux de sa détention, de procuration, fabrication et garde de munitions et de substances explosibles, de vol de munitions et d’explosifs, de chantage associé à des menaces de mort et de kidnapping, et de tentative de meurtre.

8. Durant l’instruction de son affaire pénale, le requérant fut placé en détention provisoire.

9. Le 27 mai 1997, le tribunal de Chişinău jugea le requérant coupable de tous les chefs d’accusation et le condamna à une peine cumulative de vingt-cinq ans d’emprisonnement. Ce jugement fut confirmé par l’arrêt du 4 décembre 1997 de la cour d’appel de la République de Moldova et par la décision définitive du 5 septembre 2000 de la Cour suprême de justice.

B. Lieux et conditions de détention du requérant

10. Le requérant connut divers lieux de détention.

1. L’établissement pénitentiaire no 6 de Soroca

11. Dans ses formulaires de requête envoyés à la Cour les 17 mars et 14 avril 2006, le requérant décrivit les conditions de détentions dans l’établissement pénitentiaire (E.P.) no 6 de Soroca. L’enveloppe du courrier du 14 avril 2006 comporte le cachet de l’office postal de Soroca.

12. Les parties ne sont pas d’accord quant aux dates et aux conditions de détention dans cette prison.

a) Version du requérant

13. Le requérant affirme avoir été détenu dans l’E.P. no 6 de Soroca durant les périodes suivantes :

. du 18 avril 1998 à une date non spécifiée en février 1999 ;

. du 10 avril 1999 au 16 août 2001 ;

. du 15 septembre au 10 octobre 2001 ;

. du 5 mars 2003 au 9 juin 2004 ;

. du 15 juin 2004 au 8 mai 2005, et

. du 15 août 2005 au 15 avril 2006.

14. Aux dires du requérant, le secteur no 12, dans lequel il était placé à chaque fois, représentait un espace semi enterré du bâtiment de la prison. Cet espace, qui hébergeait soixante détenus, était composé d’un dortoir, des WC et d’un coin lavabo. Le dortoir avait une superficie de quatre‑vingt‑dix‑huit mètres carrés. La lumière naturelle et celle électrique étaient faibles. Il n’y avait pas de ventilation. Les sols étaient en béton. Une seule poêle servait à chauffer l’intégralité du dortoir. Les draps n’étaient pas fournis. Il y avait des poux, des punaises de lit et des cafards. Le lavabo était muni seulement de quatre robinets.

15. Selon l’intéressé, il y avait de l’eau pendant un quart d’heure, trois fois par jour. Les WC n’étaient pas propres à cause du manque d’eau et une odeur désagréable se répandait jusque dans le dortoir. L’intéressé avait accès aux douches une fois par semaine pour une durée de 3 à 4 minutes, ce qui aurait été insuffisant pour lui en raison de son handicap. D’après le requérant, les personnes atteintes de tuberculose et de maladies vénériennes n’étaient pas séparés des autres détenus.

16. La nourriture servie à la cantine de la prison était impropre à la consommation, d’une faible valeur nutritive et quantitativement en dessous des normes établies par le Gouvernement. À l’instar des autres détenus, le requérant devait utiliser sa propre vaisselle qu’il avait du mal à laver à cause du manque d’eau. La nourriture était servie dans des bidons d’une teneur de cinq à dix litres, prévus pour dix personnes. Le requérant n’avait pas accès à l’eau potable selon ses besoins et il n’avait pas la possibilité d’en stocker.

17. L’administration de la prison ne mettait pas à la disposition des détenus des vêtements de saison. Il n’y avait pas de postes de radio ou de télévision, ni de journaux.

b) Version du Gouvernement

18. Selon le Gouvernement, le requérant fut détenu dans l’E.P. no 6 de Soroca entre le 10 avril 1999 et le 16 août 2001, entre le 15 septembre 2001 et le 9 juin 2004 et entre le 15 juin 2004 et le 8 mai 2005.

19. Le Gouvernement indique que le requérant fut à chaque fois placé dans le secteur no 12 de cette prison, situé au rez-de-chaussée. Dans ce secteur seraient notamment détenues les personnes ayant un handicap physique, en particulier celles atteintes de troubles musculo-squelettiques, et les personnes âgées. Le Gouvernement affirme que les toilettes et les douches du secteur no 12 sont adaptées aux besoins des personnes handicapées. Il ajoute que, pour le nettoyage des toilettes, des postes rémunérés ont été créés et que l’administration de la prison supervisait cette tâche.

20. Selon le Gouvernement, les détenus avaient librement accès aux douches, au moins une fois par semaine. S’agissant des draps et de la vaisselle, il indique que les détenus préféraient avoir les leurs, mais que l’administration de la prison en fournissait sur demande.

21. Le Gouvernement affirme enfin que la nourriture servie aux détenus correspondait aux standards établis par les dispositions internes.

2. L’E.P. no 5 de Cahul

22. Dans une lettre envoyée à la Cour le 20 décembre 2006, le requérant décrivit les conditions de sa détention dans l’E.P. no 5 de Cahul. Cette lettre est cosignée par trois codétenus.

23. Les parties ne sont pas d’accord non plus quant aux dates et aux conditions de détention dans cet établissement.

a) Version du requérant

24. Le requérant affirme avoir été détenu dans l’E.P. no 5 de Cahul, entre autres, du 11 octobre au 20 décembre 2006.

25. Selon l’intéressé, il fut placé durant cette période dans la cellule no 3 avec trois autres détenus. La cellule mesurait 3,4 m sur 2,2 m et elle était froide, sombre et humide. Elle était pourvue d’une seule fenêtre dont les dimensions étaient de 0,72 m sur 0,33 m. L’éclairage naturel était insuffisant pour lire.

26. Le sol était en béton. Les murs de la cellule étaient humides, sales et moisis. Le WC était insalubre. Il n’y avait pas de lavabo. Le requérant n’avait pas d’accès en permanence à un robinet avec de l’eau potable. Il n’y avait pas de chaises, de cintres, de miroir ou de poubelle.

27. Le requérant devait dormir sans draps sur un matelas sale et humide. Il n’avait droit qu’à une seule promenade d’une heure par jour.

28. La nourriture était servie directement dans les cellules, une fois par jour et dans la vaisselle personnelle des détenus. N’ayant pas sa propre vaisselle, le requérant devait manger en utilisant celle de ses codétenus. Il n’y avait pas de postes de radio ou de télévision ni de journaux, ce qui contribuait, selon le requérant, à sa dégradation spirituelle.

b) Version du Gouvernement

29. Selon le Gouvernement, le requérant fut détenu dans l’E.P. no 5 de Cahul du 8 mai 2005 au 21 avril 2006, puis une vingtaine de jours en 2009 et une quinzaine de jours en 2011.

30. Le Gouvernement affirme que les conditions dans l’E.P. no 5 de Cahul étaient appropriées. À titre d’exemple, il indique que, entre le 8 mai et le 8 juin 2005, le requérant fut placé dans une cellule de 12,75 mètres carrés, prévue pour six détenus. Cette cellule était équipée d’un lavabo et d’un WC séparé par un mur.

31. D’après le Gouvernement, le Département des établissements pénitentiaires du ministère de la Justice mena, entre le 18 et le 20 octobre 2006, une inspection dans l’E.P. no 5 de Cahul. La Département en question aurait constaté que les détenus recevaient trois repas chauds par jour, que la qualité de la nourriture était bonne et qu’elle était vérifiée par l’administration de la prison, et qu’il n’y avait pas de plainte de la part des détenus à ce sujet. Le Département aurait en outre consigné que les détenus avait accès aux douches une fois par semaine, qu’on leur distribuait du savon une fois par mois, que les cellules et les bâtiments étaient en général propres, et que l’administration de la prison fournissait des draps aux détenus.

3. L’E.P. no 1 de Taraclia

32. Le 3 juin 2008, le requérant envoya une lettre à la Cour dans laquelle il décrivit pour la première fois les conditions de détention dans l’E.P. no 1 de Taraclia. L’enveloppe de cette lettre comporte le cachet de l’office postal de Taraclia.

a) Conditions de détention dans l’E.P. no 1 de Taraclia

33. Les parties divergent sur les conditions de détention dans cet établissement.

i. Version du requérant

34. Le requérant affirme avoir été transféré dans l’E.P. no 1 de Taraclia en avril 2006.

35. Selon l’intéressé, la nourriture administrée dans cette prison était de très mauvaise qualité. Il n’aurait pas reçu une alimentation adaptée à son état de santé.

36. Les 7 et 15 février 2008, le requérant se serait plaint en vain à l’administration pénitentiaire de la qualité de la nourriture. À la suite de cela, sa ration alimentaire aurait été diminuée.

37. D’après le requérant, il y avait des coupures quotidiennes d’eau entre 22 heures et 6 heures, et la nuit il n’avait aucun accès à l’eau potable. Il recevait les repas dans la cellule et il devait laver la vaisselle avec de l’eau froide dans le lavabo installé à côté des toilettes.

38. Selon le requérant, les toilettes et les douches n’étaient pas adaptées à ses besoins. Les toilettes ne comportaient pas de cuvette et, même après l’adoption de la décision du juge d’instruction du tribunal de Taraclia du 18 juillet 2011 (paragraphe 42 ci-dessous), la cuvette ne fut pas installée. D’après l’intéressé, il reçut, à une date non spécifiée, un tabouret afin qu’il pût prendre la douche dans des conditions convenables. Cependant, il allègue que, en raison de son handicap, le temps alloué pour la douche, à savoir quinze minutes par détenu, ne lui suffisait pas, même avec un tabouret.

ii. Version du Gouvernement

39. Selon le Gouvernement, le requérant fut détenu dans l’E.P. no 1 de Taraclia entre le 21 avril 2006 et le 19 mai 2007, entre le 22 octobre et le 9 décembre 2009, entre le 20 janvier et le 23 mai 2011 et à partir du 7 juin 2011 jusqu’à une date non spécifiée.

40. D’après le Gouvernement, les conditions de détention dans cette prison étaient plus que satisfaisantes sous tous les aspects.

b) Plainte du requérant contre l’E.P. no1 de Taraclia

41. Le 10 février 2011, le requérant saisit un juge d’instruction alléguant, entre autres, que les conditions de détention dans l’E.P. no 1 de Taraclia étaient inhumaines et dégradantes. Il se plaignait en particulier des coupures d’eau potable, de l’absence dans les toilettes et les douches d’équipements adaptés aux besoins des handicapés, et de la quantité insuffisante de la nourriture.

42. Par une décision du 18 juillet 2011, un juge d’instruction du tribunal de Taraclia accueillit en partie la plainte du requérant. Les passages de cette décision pertinents en l’espèce se lisent comme suit :

« [Le requérant] souffre d’un trouble musculo-squelettique – il a une jambe amputée et utilise une prothèse. Il est capable de se déplacer mais il lui est impossible de s’accroupir et de rester longtemps dans cette position.

L’E.P. no 1 de Taraclia est équipé de toilettes turques, sans cuvettes, et, en raison de cela, [le requérant] n’est pas en mesure de satisfaire ses besoins physiologiques dans des conditions non dégradantes. Il a été également établi que dans les douches il n’y pas de chaises ou de support, ce qui empêche [le requérant] de les utiliser dans des conditions normales.

(...)

Entre 2007 et 2009, l’eau dans l’E.P. no 1 de Taraclia était livrée selon des horaires établis et dans les bâtiments il y avait des tonneaux remplis d’eau potable auxquels les détenus avaient accès librement. Actuellement, l’eau est livrée sans interruption.

(...)

Il n’a pas été non plus établi que les normes minimales relatives à l’alimentation n’avaient pas été observées à l’égard du requérant. (...) »

Le juge conclut à la violation des dispositions légales aux termes desquelles les autorités étaient obligées d’assurer aux détenus la possibilité de satisfaire leur besoins dans des conditions décentes.

C. Censure alléguée de la correspondance

43. Le 11 octobre 2010, le requérant rédigea une lettre à l’attention de la Cour. Il était détenu à ce moment-là dans l’E.P. no 12 de Bender.

44. Selon le requérant, il avait mis sa lettre dans une enveloppe fermée sur laquelle il avait indiqué l’adresse de la Cour.

45. Selon le Gouvernement, le requérant avait remis sa lettre sans enveloppe à l’administration de l’E.P. no 12 de Bender, laquelle aurait indiqué par erreur comme destinataire le Centre pour les droits de l’homme de la République de Moldova.

46. À une date non connue, la lettre en question arriva au Centre pour les droits de l’homme qui la renvoya à l’E.P. no 12.

47. Le 17 novembre 2010, le directeur général du Département des établissements pénitentiaires du ministère de la Justice envoya à la Cour la lettre du requérant du 11 octobre 2010 sans enveloppe.

48. Par la suite, le directeur général du Département des établissements pénitentiaires rappela, par une lettre du 26 novembre 2010 à l’attention des directeurs de prison, que les détenus pouvaient, selon les normes en vigueur, soit poster eux-mêmes leurs lettres, soit les transmettre dans des enveloppes fermées à l’administration de la prison. Il insistait sur l’observation à l’avenir de ces normes.

49. Le 28 février 2014, le requérant fut transféré dans un lieu de détention en Fédération de Russie.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

50. Les passages pertinents de la Constitution de la République de Moldova sont ainsi rédigés :

« Article 4. Les droits et libertés de l’homme

1. Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés de l’homme sont interprétées et s’appliquent à la lumière de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des pactes et des autres traités auxquels la République de Moldova est partie.

2. Lorsqu’il existe des contradictions entre les pactes et les traités relatifs aux droits fondamentaux de l’homme auxquels la République de Moldova est partie et ses lois internes, les réglementations internationales ont priorité.

(...)

Article 24. Le droit à la vie et à l’intégrité physique et psychique

1. L’État garanti à chaque personne le droit à la vie et à l’intégrité physique et psychique.

2. Personne ne peut être soumis à la torture et aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

(...) »

51. Les passages pertinents du code civil du 6 juin 2002 se lisent comme suit :

« Article 1404. La responsabilité pour le préjudice causé par une autorité publique ou par une personne dépositaire de l’autorité publique

1. Le préjudice causé par un acte administratif illégal ou par la non-résolution dans le délai légal d’une demande par une autorité publique ou par une personne dépositaire de l’autorité publique, est réparé intégralement par l’autorité publique. La personne dépositaire de l’autorité publique sera tenu solidairement responsable en cas d’intention ou de culpabilité grave.

2. Les personnes physiques ont le droit de demander la réparation du préjudice moral causé par les actions indiquées au paragraphe 1. (...) »

52. Les passages pertinents du code de procédure pénale du 14 mars 2003 sont ainsi libellés :

« Article 385. Questions à résoudre par le tribunal lors de l’adoption du jugement

(...)

4. Lorsqu’il est constaté, lors de l’enquête pénale ou de la phase judiciaire de l’affaire, qu’il y a eu violation des droits de l’accusé, et qu’il est établi à qui en incombe la faute, le tribunal examine la possibilité de réduire la peine de l’accusé en guise de compensation pour la violation commise.

(...)

Article 473. Les plaintes contre les actes de l’autorité ou de l’établissement qui exécute le jugement de condamnation

1. Le condamné, ainsi que les autres personnes dont les droits et les intérêts légitimes ont été méconnus par l’autorité ou l’établissement qui exécute le jugement de condamnation, peuvent porter plainte devant le juge d’instruction contre les actes de l’autorité ou de l’établissement en cause (...). »

53. L’article 225 § 4 du code d’exécution du 24 décembre 2004 se lit ainsi :

« La norme d’espace de vie établie pour un condamné ne peut pas être inférieure à 4 m 2 »

54. Les passages pertinents du statut de l’exécution de la peine par les condamnés, approuvé par la décision du Gouvernement du 26 mai 2006, sont ainsi rédigés :

« 328. L’envoi et/ou la réexpédition du courrier sont supportés intégralement par les détenus et les déductions sont effectuées sur leur compte de pécule. (...) En l’absence d’argent sur le compte de pécule du détenu, les lettres ne sont pas expédiées, ce qui est porté à la connaissance du détenu.

(...)

344. Les lettres sont postées dans des boîtes à lettres ou sont transmises aux représentants de l’administration dans des enveloppes fermées. »

55. Le rapport de 2010 (page 142 et suivantes, chapitre « Conditions de détention ») du Centre pour les droits de l’homme (« CDH »), qui représente l’institution de l’ombudsman en République de Moldova, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« L’observation de la norme établie en matière d’espace de vie (quatre mètres carrés) (...) s’est transformée en une déficience systémique dans les pénitentiaires de tout le pays. (...)

La surpopulation est un domaine qui relève directement du mandat de l’ombudsman dans le cadre du Mécanisme national de prévention de la torture, qui a constaté à plusieurs reprises que les établissements pénitentiaires étaient surpeuplés. (...)

(...) le Département des établissements pénitentiaires a informé l’ombudsman que la viande et les poissons étaient servies [aux détenus] dans la mesure du possible. (...) À ce titre, le ministère de la Justice a fourni des détails au sujet des frais encourus en 2010 [pour l’alimentation des détenus]. Ces frais se sont élevés à 24 050 000 lei moldaves (MDL), alors que le montant requis pour cette période dans le projet de loi de finances, présenté au ministère des Finances, était de 29 050 000 MDL. Pour l’alimentation d’un détenu en 2010, il a été dépensé 10,24 MDL par jour, alors que le financement estimé nécessaire était de 12,35 MDL. Ce fait a souvent été invoqué par les autorités pénitentiaires pour justifier leur impossibilité de servir aux détenus de la viande et des poissons. (...)

Pour ce qui est des conditions sanitaires, de l’illumination et de la ventilation, des problèmes persistent dans la majorité des pièces habitables des prisons de la République de Moldova, sauf dans les établissements pénitentiaires no 1 de Taraclia et no 7 de Rusca.

La République de Moldova a hérité de vielles prisons de type goulag, conformes aux standards soviétiques, avec des bâtiments délabrés. Ce type de prison ne correspond pas aux exigences des instruments nationaux et internationaux en la matière, et les ressources financières limitées de l’État ne permettent pas leur reconstruction ou leur rénovation.

Dans les établissements pénitentiaires [de la République de Moldova], sauf dans le pénitentiaire no 1 de Taraclia, les détenus sont placés dans des dortoirs de grande capacité insuffisamment équipés pour subvenir aux besoins quotidiens des détenus (...). Les détenus se trouvent dans des espaces extrêmement étroits, sombres, humides, sans ventilation et remplis de fumée de cigarette. Dans certaines prisons, les lits superposés à deux niveaux empêchent d’une manière significative l’accès de la lumière naturelle dans l’espace de vie.

Dans certains établissements visités, notamment dans les pénitentiaires no 6 de Soroca, no 3 de Leova et no 18 de Brăneşti, les détenus étaient placés dans des dortoirs de grande capacité qui regroupaient tous ou presque tous les équipements utilisés quotidiennement par les détenus, à savoir l’espace pour dormir, l’espace de jour et les installations sanitaires. L’ombudsman a constamment formulé des objections par rapport à ces modalités d’hébergement dans les prisons. (...) Le risque d’intimidation et de violences y est accru. Ces modalités facilitent le développement des sous-cultures [carcérales]. (...) »

56. La décision explicative de l’Assemblée plénière de la Cour suprême de justice du 24 décembre 2012 relative à l’examen des litiges portant sur la réparation des préjudices moral et matériel causés aux personnes détenues à la suite des violations des articles 3, 5 et 8 de la Convention, dans ses passages pertinents, est ainsi rédigée :

« 7. Conformément à l’article 5 du code de procédure civile, personne ne peut se voir refuser la défense judiciaire [de ses droits] au motif de l’inexistence, de l’imperfection, de collision ou d’obscurité de la législation. (...) lorsqu’une action en réparation des préjudices causés par la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention [est introduite] (...), les juges doivent examiner l’affaire en appliquant directement les dispositions de la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne [des droits de l’homme].

8. Lors de l’examen de l’action relative à la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention, il conviendra d’établir si une violation de la Convention a eu lieu et, dans l’affirmative, une compensation devra être allouée en fonction des circonstances de l’espèce. Cette compensation [doit] être « équitable », ne doit pas être manifestement disproportionnée par rapport à la gravité des violations constatées et son montant doit être proche de la somme que la Cour européenne [des droits de l’homme] aurait accordé si elle devait se prononcer dans l’affaire.

(...)

10. (...) les principaux points de repère dans l’évaluation des conditions de détention sont :

. le dépassement du seuil minimal de gravité pour l’applicabilité de l’article 3 de la Convention (...) ;

. l’effet cumulatif de toutes les conditions [de détention] (...) ;

. la durée de la détention (...).

(...)

12. Pour répondre à la question de savoir si le détenu a reçu les soins médicaux nécessaires, il conviendra de vérifier si celui-ci devait recevoir des soins ou un traitement médical, si ce traitement a été recommandé par un spécialiste, si les autorités connaissaient ou devaient connaitre ce fait, et si le détenu a promptement bénéficié d’un traitement. Ces questions seront examinées en tenant compte de la documentation médicale existante au moment de l’absence alléguée de soins médicaux.

(...)

18. Conformément à l’article 385 § 4 du code de procédure pénale, lorsqu’il est constaté, pendant l’enquête pénale ou la phase judiciaire de l’affaire, que les droits de l’inculpé avaient été méconnus, et qu’il est établi à qui en incombe la faute, le tribunal peut réduire la peine afin de réparer ces violations. Lorsque dans le cadre du procès pénal il a été établi que l’inculpé (...) avait été détenu dans des mauvaises conditions ou qu’il n’avait pas reçu des soins médicaux (...) et que la peine a été réduite, il conviendra d’examiner, au cas par cas et conformément à la jurisprudence de la Cour européenne [des droits de l’homme], dans quelle mesure la remise de peine représente une réparation suffisante de la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention. (...) Une éventuelle réduction de peine (...) représente une des formes de redressement des violations alléguées qui, par voie de conséquence, [est à même] soit de réduire le quantum des dédommagements moraux soit de servir de base pour les rejeter en totalité.

19. À la suite de la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention, il conviendra de réparer les préjudices moral et matériel, ainsi que rembourser les frais et dépens. Ceux-ci devront être réparés seulement s’il est établi qu’il y a eu violation de la Convention, qu’il y a eu un préjudice et qu’il y a un lien de causalité entre la violation et le préjudice allégué. (...)

20. (...) La Cour européenne [des droits de l’homme] a établi certains critères pour vérifier l’efficacité d’un recours compensatoire :

. l’action doit être examinée dans un délai raisonnable (Scordino c. Italie) ;

. les dédommagements doivent être payés promptement et, en règle générale, dans un délai de six mois à partir du moment où l’arrêt devient exécutoire (Gaglione et autres c. Italie) ;

. la procédure doit être conforme au principe de l’équité garanti par l’article 6 de la Convention (Simaldone c. Italie) ;

. les règles relatives au frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les requérants dont les actions sont fondées ;

. le quantum des dédommagements doit être comparable aux sommes accordées par la Cour dans des affaires similaires (...).

(...)

22. (...) Le montant du préjudice moral doit être proportionné aux sommes allouées par la Cour européenne [des droits de l’homme] dans des affaires similaires, à savoir dans des affaires ayant trait à des violations similaires de la Convention et dirigées contre la République de Moldova ou contre des pays ayant un niveau de développement économique comparable à celui de la République de Moldova. La charge de la preuve du montant du préjudice moral incombe au requérant et s’apprécie individuellement pour chaque affaire, prenant en compte les arguments des deux parties et la jurisprudence de la Cour européenne [des droits de l’homme].

Selon la jurisprudence de la Cour européenne [des droits de l’homme], les tribunaux nationaux pourront allouer au titre du préjudice moral, pour la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention, les compensations suivantes, à convertir en lei moldaves :

. violation de l’article 3 de la Convention – 3 000-5 000 euros ; en fonction des circonstances de l’affaire, cette somme pourra être augmentée ;

(...) »

III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

57. Les passages pertinents du rapport relatif à la visite effectuée en République de Moldova par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») du 10 au 22 juin 2001 se lisent comme suit :

« 69. Les établissements pénitentiaires visités étaient gravement affectés par la conjoncture économique du pays. Le plafond du budget des dépenses de l’administration pénitentiaire a été fixé par la loi de finances 2001 à 48,7 millions de lei (environ 4,2 millions d’euros), soit 38,9 % du financement estimé nécessaire pour l’année. En conséquence, ils étaient, à tous points de vue, en situation de pénurie sévère. Ainsi, le budget alloué pour l’alimentation journalière d’un détenu était de 2,16 Lei, soit 38,8% seulement de la norme établie par la législation en vigueur. Les établissements pénitentiaires subissaient en outre des coupures d’électricité, d’eau et de chauffage, sans compter le manque de possibilités de s’approvisionner en médicaments appropriés indispensables au traitement des détenus malades.

(...)

Le CPT reconnaît pleinement les efforts méritoires consentis par l’administration pénitentiaire moldave qui sont à saluer et à soutenir. Toutefois, le Comité a déjà rappelé à plusieurs reprises qu’il est des exigences fondamentales de la vie qui doivent, en toutes circonstances, y compris dans une conjoncture économique grave, être assurées par l’État aux personnes à sa charge. Rien ne saurait jamais exonérer l’État de cette responsabilité.

(...)

70. Dans certains établissements, surtout ceux ayant vocation de maison d’arrêt, cette situation était exacerbée par le surpeuplement, parfois grave (comme à la Prison no 3 de Chişinău, qui comptait 1892 détenus pour une capacité, en 2001, de 1480 places). Les autres établissements, qui fonctionnaient à leur capacité officielle, ou juste au-dessus, se sont révélés aussi très engorgés (en effet, ces capacités étaient calculées sur la base - très inadéquate - de 2 m² par détenu). Depuis 1998 (...), les autorités moldaves avaient fait part de leur intention, par voie de réforme législative, de s’engager dans la lutte contre le surpeuplement. Cependant, trois ans plus tard, aucun progrès n’a été enregistré; les seules mesures prises ont consisté dans une modeste extension du parc pénitentiaire.

(...) le CPT en appelle aux autorités moldaves pour qu’elles élaborent sans plus attendre une politique globale et cohérente de lutte contre le surpeuplement dans le système pénitentiaire, en tenant dûment compte des principes et mesures énoncés dans la Recommandation no R (99) 22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale.

De plus, le CPT rappelle sa recommandation de porter dès que possible la norme d’espace de vie à au moins 4 m² par détenu. (...) »

58. Les passages pertinents du rapport relatif à la visite effectuée en République de Moldova par le CPT du 20 au 30 septembre 2004 sont ainsi rédigés :

« 55. La situation dans la plupart des établissements pénitentiaires visités, éprouvés par la conjoncture économique du pays, restait difficile et l’on retrouvait nombre des problèmes déjà identifiés lors des visites de 1998 et 2001 en termes de conditions matérielles et régimes de détention.

À cela s’ajoute le problème du surpeuplement qui reste toujours grave. En effet, même si les établissements visités ne fonctionnaient pas au maximum de leur capacité opérationnelle, (...), ils continuaient d’être extrêmement engorgés. En effet, les capacités d’accueil se fondaient toujours sur la base très critiquable d’un espace de vie de 2 m² par détenu ; lequel, en pratique, était souvent encore plus restreint. »

59. Les passages pertinents du rapport relatif à la visite effectuée en République de Moldova par le CPT du 14 au 24 septembre 2007 se lisent ainsi :

« 46. En septembre 2007, le Directeur du Département des Institutions Pénitentiaires au Ministère de la Justice a fourni à la délégation des informations détaillées concernant les mesures déjà prises ou envisagées pour réformer le système pénitentiaire moldave et mettre en œuvre les recommandations du CPT. L’une de ces mesures, qui mérite d’être saluée, réside dans la réduction de la population carcérale du pays. Au moment de la visite de 2007, le nombre total de détenus était de 8 033 (dont 1 290 en détention provisoire), alors qu’il était de 10 591 en 2004. Cette tendance positive peut être attribuée aux réformes législatives intervenues ces dernières années, notamment l’entrée en vigueur d’un nouveau Code d’exécution des peines en juillet 2005 et l’adoption de modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale. Il y a eu en conséquence une augmentation du nombre des libérations anticipées conditionnelles, ainsi qu’un recours plus large aux peines de substitution à l’emprisonnement et une application plus sélective de la détention provisoire par les tribunaux.

En outre, la mise en œuvre du « Concept de réforme du système pénitentiaire pour la période 2004-2013 » a été facilitée par une augmentation de la dotation budgétaire (de 75,8 millions de lei en 2004 à 166,1 millions de lei en 2007), ainsi que par un apport croissant d’aide étrangère. Cela a permis, entre autres, d’améliorer l’alimentation des détenus et les soins de santé ainsi que de procéder à des travaux de rénovation dans plusieurs établissements pénitentiaires (par exemple, le no1 de Taraclia, le no 7 de Rusca et le no17 de Rezina).

Enfin et surtout, il y a eu un important changement de mentalité grâce à l’amélioration des procédures de recrutement et de formation du personnel. La délégation a été informée qu’il y avait eu des changements de directeurs dans de nombreux établissements pénitentiaires dans l’année précédant la visite, à la suite d’un concours et d’une période d’essai. En outre, de nouveaux programmes de formation, qui mettent particulièrement l’accent sur les questions de droits de l’homme, ont été conçus pour le personnel (voir aussi paragraphe 100).

47. Le CPT ne peut que se féliciter des mesures susmentionnées prises par les autorités moldaves. Néanmoins, les informations recueillies par la délégation du Comité pendant la visite de 2007 montrent qu’il reste beaucoup à faire. En particulier, le surpeuplement continue d’être un problème ; malgré le fait que tous les établissements visités fonctionnaient bien au-dessous de leur capacité officielle, il n’y avait en moyenne que 2 m² d’espace de vie par détenu au lieu de la norme de 4 m² prévue par la législation moldave.

Le CPT est convaincu que l’adoption de politiques destinées à limiter ou moduler le nombre de personnes envoyées en prison constitue un moyen des plus efficaces pour venir à bout du surpeuplement et d’atteindre durablement la norme d’au moins 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives. À cet égard, le Comité se doit de souligner la nécessité d’une stratégie concernant à la fois le placement en détention et la remise en liberté pour avoir la certitude que l’emprisonnement est réellement l’ultime recours. Cela suppose, en premier lieu, de mettre l’accent sur les mesures non privatives de liberté pendant la période préalable au prononcé d’une peine et, en second lieu, d’adopter des mesures qui facilitent la réinsertion sociale des personnes qui ont été privées de liberté.

Le CPT espère vivement que les autorités moldaves poursuivront leurs efforts visant à lutter contre le surpeuplement carcéral et, ce faisant, s’inspireront de la Recommandation Rec(99)22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, ainsi que de la Recommandation Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle. »

60. Les passages pertinents du rapport relatif à la visite effectuée en République de Moldova par le CPT du 1er au 11 juin 2011 sont ainsi rédigés :

« 32. La délégation a été informée de la poursuite de la mise en œuvre d’un programme national de rénovation des « isolateurs » de détention provisoire (IDP) de la police. Au moment de la visite, 39 IDP étaient en activité et huit IDP avaient été mis hors service en raison des conditions de détention jugées inadaptées. 134 sur 287 cellules avaient été rénovées ou mises hors service.

(...)

55. En début de visite, la délégation a été informée des résultats obtenus en matière de réduction de la population carcérale générale en Moldova. Au total, 6 501 personnes faisaient l’objet d’une incarcération au moment de la visite de 2011 (pour une capacité officielle de 8 580 places), contre 8 033 lors de la visite de 2007. Cette baisse vaut pour les prévenus, même si elle est moins marquée : la population carcérale comprenait 1 190 personnes placées en détention avant jugement au moment de la visite, contre 1 290 lors de la visite de 2007. D’après les autorités moldaves, les progrès enregistrés jusqu’à présent étaient le fruit de plusieurs types d’action, tels que les modifications législatives visant à élargir le recours aux mesures alternatives à l’incarcération38.

56. En dépit de ces résultats encourageants, dans le cadre des observations préliminaires présentées en fin de visite, la délégation a souligné que la norme nationale d’au moins 4 m² d’espace de vie par détenu était loin d’être respectée dans les établissements pénitentiaires visités (...).

(...)

73. En ce qui concerne les taux d’occupation dans les cellules des établissements pénitentiaires visités, la délégation a constaté que les détenus étaient le plus souvent hébergés dans des conditions de promiscuité totalement inacceptables. L’espace de vie par détenu dans les cellules, toilettes intégrées compris, était généralement inférieur à 3,5 m² et pouvait se réduire à 1,5 m² (par exemple, 18 détenus dans une cellule d’environ 28 m² à Bălţi et quatre détenus dans une cellule de 11 m², comptant six lits, à Rezina).

74. La vétusté des locaux au sein de ces établissements constituait un véritable défi. À quelques exceptions près, les conditions matérielles dans les cellules étaient très modestes (...). »

B. Décisions adoptées par le Comité des Ministres lors de la 1186e réunion (3-5 décembre 2013)

61. Lors de la 1186e réunion (3-5 décembre 2013), le Comité des Ministres a adopté des décisions relatives à l’exécution d’un groupe d’affaires à l’encontre de la République de Moldova ayant trait aux conditions de détention. Les passages pertinents des décisions en question sont ainsi rédigés :

« Les Délégués

1. rappellent que ce groupe d’affaires concerne plus particulièrement le problème des mauvaises conditions de détention en République de Moldova, l’absence d’accès aux soins médicaux en détention ainsi que l’absence de recours internes effectifs ;

2. relèvent avec satisfaction la coopération technique qui s’est établie entre les autorités moldaves, des experts internationaux et le Service de l’Exécution des arrêts de la Cour européenne en vue d’identifier les réponses adéquates à apporter aux problèmes susvisés, (...) ;

(...)

4. relèvent les efforts entrepris par les autorités moldaves en vue d’améliorer les conditions de détention tant dans les établissements placés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur que ceux sous l’autorité du ministère de la Justice et encouragent vivement les autorités à poursuivre leurs efforts et initiatives en ce domaine ;

5. invitent, à cet égard, les autorités moldaves à clarifier la manière dont elles veillent au strict respect dans la pratique des dispositions législatives et réglementaires prohibant le placement d’une personne privée de liberté dans un établissement du ministère de l’Intérieur au-delà du délai légal de 72 heures, et dont les transgressions sont sanctionnées ;

6. soulignent, en outre, qu’il importe que la stratégie d’amélioration des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires se fonde sur des priorités à mettre en œuvre, définies à partir d’une évaluation des besoins résultant d’un état des lieux précis du parc pénitentiaire et de son utilisation, assorties d’un calendrier de mise en œuvre des mesures en réponse à ses besoins ;

7. encouragent, de plus, les autorités moldaves à intensifier leurs efforts de lutte contre le surpeuplement, notamment s’agissant des mesures alternatives à la détention ;

8. encouragent, plus généralement, les autorités moldaves à tenir dûment compte des recommandations du CPT comme de toute recommandation pertinente du Comité des Ministres ;

9. notent avec intérêt la décision explicative de l’Assemblée plénière de la Cour suprême de justice du 24 décembre 2012 en matière de recours compensatoire et encouragent vivement les autorités à progresser rapidement dans leur réflexion concernant la mise en place de recours préventifs, (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

62. Le requérant allègue que les conditions de sa détention étaient contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception tirée du non-respect du délai de six mois

63. Le Gouvernement oppose au requérant la non-observation du délai de six mois relativement à la période de détention dans l’E.P. no 6 de Soroca antérieure au 16 août 2001.

64. Le requérant estime que son grief visant les conditions de détention dans cette prison n’est pas tardif.

65. La Cour rappelle avoir estimé, dans des affaires similaires à la présente espèce, qu’un grief visant les conditions de détention doit, sauf lorsqu’il se rapporte à une « situation continue », être introduit devant la Cour dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la période correspondante de détention a pris fin (voir, par exemple, Koval c. Ukraine (déc.), no 65550/01, 30 mars 2004 , I.D. c. Moldova, no 47203/06, §§ 27-30, 30 novembre 2010 , Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, §§ 129-130, 22 mai 2012, et Segheti c. République de Moldova, no 39584/07, § 25, 15 octobre 2013).

66. En l’espèce, la Cour note que les parties ne sont pas d’accord quant à la date à laquelle la dernière période de détention du requérant dans l’E.P. no 6 de Soroca a pris fin. Selon le requérant, il y a été détenu, avec des interruptions, jusqu’au 15 avril 2006 (paragraphe 13 ci-dessus). Selon le Gouvernement, la dernière période de détention du requérant dans l’E.P. no 6 a pris fin le 8 mai 2005 (paragraphe 18 ci-dessus).

67. Cela étant, la Cour observe, d’une part, que le Gouvernement n’a fourni aucune preuve étayant sa version des faits et, d’autre part, que l’enveloppe contenant la requête du requérant du 14 avril 2006 comporte le cachet de l’office postal de Soroca et non de celui de Cahul où, selon le Gouvernement, le requérant se serait trouvé à cette date (paragraphe 29 ci‑dessus). Elle accorde dès lors du crédit à la version du requérant selon laquelle celui-ci était détenu dans l’E.P. no 6 de Soroca au moment où il a envoyé sa requête du 14 avril 2006 dans laquelle il dénonçait les conditions de détention dans cette prison.

68. De plus, la Cour remarque que, selon le requérant, la dernière période de détention de celui-ci dans l’E.P. no 6 de Soroca s’est étalée du 15 août 2005 au 15 avril 2006. Elle note également que les parties s’accordent à dire que la précédente période de détention du requérant dans cette prison avait pris fin le 8 mai 2005. Elle constate donc, au vu des éléments en sa possession, qu’il y a eu une interruption de plus de trois mois entre la dernière période de détention du requérant dans l’E.P. no 6 de Soroca et la précédente. Étant donné l’important laps de temps écoulé entre les périodes en question, la Cour ne saurait les considérer comme se rapportant à une « situation continue » (voir, par exemple, Haritonov c. Moldova, no 15868/07, § 26, 5 juillet 2011, Idalov, précité, ibidem, et Olszewski c. Pologne, no 21880/03, § 85, 2 avril 2013). Il s’ensuit que le délai de six mois doit courir pour chacune des périodes susvisées, prises séparément.

69. Dans ces conditions, la Cour constate que le présent grief n’est pas tardif pour autant qu’il concerne la dernière période de détention du requérant dans l’E.P. no 6 de Soroca, allant du 15 août 2005 au 15 avril 2006.

S’agissant des périodes de détention antérieures au 8 mai 2005, elle juge que cette partie du grief est tardive et qu’elle doit être rejetée comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes

70. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il arguë que le requérant aurait dû engager, soit sur le fondement des dispositions de la Constitution et du code civil, soit en invoquant directement l’article 3 de la Convention, une action civile afin d’obtenir une réparation pour les mauvaises conditions de détention alléguées. Il ajoute que le requérant a également omis d’engager une action civile en réparation contre l’État sur la base de la décision du juge d’instruction du 18 juillet 2011 (paragraphe 42 ci-dessus). Il estime que les circonstances de la présente affaire sont différentes de celles des affaires moldaves dans lesquelles la Cour avait conclu à l’absence d’un recours interne effectif pour dénoncer les mauvaises conditions de détention.

71. Le requérant affirme s’être plaint devant plusieurs autorités internes des conditions de sa détention.

72. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II , Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999‑V, et Vučković et autres c. Serbie, no 17153/11 et 29 autres requêtes, § 68, 28 août 2012). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI).

73. Cependant, l’obligation découlant de l’article 35 se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles (voir, parmi beaucoup d’autres, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 45, CEDH 2006‑II). En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011 (extraits)). Il incombe à l’État défendeur, s’il plaide le non-épuisement, de démontrer que ces conditions se trouvaient réunies à l’époque des faits (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV, Selmouni, précité, § 75, et Vučković et autres, précité, § 69).

74. En particulier, la Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer que dans l’appréciation de l’effectivité des remèdes concernant des allégations de mauvaises conditions de détention, la question décisive est de savoir si la personne intéressée peut obtenir des juridictions internes un redressement direct et approprié, et pas simplement une protection indirecte de ses droits garantis par l’article 3 de la Convention (voir, entre autres, Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 107, 20 octobre 2011). Ainsi, un recours exclusivement en réparation ne saurait être considéré comme suffisant s’agissant des allégations de conditions d’internement ou de détention prétendument contraires à l’article 3, dans la mesure où il n’a pas un effet « préventif » en ce sens qu’il n’est pas à même d’empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d’obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention (Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 116, 22 octobre 2009 , Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 38, 13 mars 2012, et Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 50, 8 janvier 2013). En ce sens, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012).

75. La Cour rappelle s’être penchée à de multiples reprises sur la question de savoir si les voies de recours internes garantissaient une réparation effective des violations de la Convention résultant des mauvaises conditions de détention en République de Moldova (Sarban c. Moldova, no 3456/05, §§ 57-62, 4 octobre 2005, Holomiov c. Moldova, no 30649/05, §§ 101-107, 7 novembre 2006, Istratii et autres c. Moldova, nos 8721/05, 8705/05 et 8742/05, § 38, 27 mars 2007 , Modarca c. Moldova, no 14437/05, § 47, 10 mai 2007, Stepuleac c. Moldova, no 8207/06, § 46, 6 novembre 2007, Mitrofan c. République de Moldova, no 50054/07, §§ 32 et 33, 15 janvier 2013 , et Segheti, précité, § 22). À chaque occasion, elle a jugé que les recours suggérés par le Gouvernement étaient ineffectifs à l’égard des personnes placées en détention et n’ayant pas encore retrouvé leur liberté. Dans l’affaire Ipati c. République de Moldova, (no 55408/07, § 60, 5 février 2013), la Cour a également estimé que le requérant ne disposait pas d’un recours effectif même après avoir été libéré. Dans les affaires Malai c. Moldova, (no 7101/06, §§ 42-46, 13 novembre 2008), Mitrofan (précitée, § 61), et Segheti (précitée, § 38), elle a enfin conclu à la violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence d’un recours interne effectif au travers duquel les requérants pouvaient se plaindre des conditions inhumaines et dégradantes de détention.

76. En l’espèce, la Cour note que, au moment de l’introduction de ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention, le requérant était détenu dans les conditions qu’il dénonce maintenant devant elle. Elle observe ensuite que la voie de recours suggérée par le Gouvernement, à savoir une action civile en réparation contre l’État, est un recours purement compensatoire et qu’elle n’était pas susceptible d’améliorer les conditions de détention du requérant. La Cour note avec intérêt la décision explicative de l’Assemblée plénière de la Cour suprême de justice du 24 décembre 2012 (paragraphe 56 ci-dessus). Cependant, elle remarque que cette décision a été adoptée après la communication de la présente requête. Elle estime que le Gouvernement n’a pas prouvé que la jurisprudence interne consistant à condamner l’administration à payer une indemnisation pécuniaire en raison des mauvaises conditions de détention constituait, à l’époque des faits, une pratique établie, constante et, donc, prévisible des juridictions civiles (Ipati, précité, § 60). Dès lors, elle n’est pas convaincue que la voie d’une action civile en réparation, bien qu’accessible, était effective en pratique.

77. Cela étant, il reste à élucider si le requérant disposait d’un recours préventif effectif. La Cour observe que l’intéressé a saisi le juge d’instruction afin de dénoncer les conditions de détention dans l’E.P. no 1 de Taraclia (paragraphes 41 et 42 ci-dessus). Elle remarque que le juge en question a apprécié la légalité des omissions alléguées de l’administration de la prison à la lumière des dispositions internes spécifiques, et qu’il ne semble pas avoir, d’une part, pris en compte l’effet cumulatif des conditions de détention et, d’autre part, accordé du poids, comme tel, au principe général de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. La Cour rappelle qu’un recours est considéré effectif lorsque l’autorité interne compétente examine les actes ou les omissions allégués être contraires à l’article 3 de la Convention à travers le prisme des principes et standards dégagés par la Cour dans sa jurisprudence (voir, mutatis mutandis, Ivan Vassilev c. Bulgarie, no 48130/99, § 75 in fine, 12 avril 2007). Tel n’apparait pas être le cas en l’espèce. De plus, la Cour note que, après avoir constaté le non-respect dans l’E.P. no 1 de Taraclia des dispositions internes relatives à l’hygiène des détenus, le juge d’instruction n’a ordonné aucune mesure concrète à l’autorité concernée. Il apparait également que les manquements constatés par le juge d’instruction n’ont été réparés que partiellement par l’administration de la prison (paragraphes 96 et 98 ci‑dessous). Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le recours devant le juge d’instruction n’était pas effectif en pratique.

De plus, elle relève que, selon le Gouvernement, le requérant aurait dû engager une action civile en réparation contre l’État sur le fondement de la décision du juge d’instruction. Elle observe cependant que, à supposer même que cette voie de recours était effective à l’époque des faits, ce qui n’a pas été prouvé par le Gouvernement (paragraphe 76 ci-dessus), on ne saurait prétendre qu’un détenu ayant obtenu une décision favorable multiplie les recours afin d’obtenir la reconnaissance de ses droits fondamentaux (Torreggiani et autres, précité, § 53).

78. Au vu de ces circonstances, la Cour considère qu’il n’a pas été démontré que le requérant disposait de recours effectifs au travers desquels il pouvait se plaindre des conditions de sa détention et obtenir un redressement adéquat. Par implication, elle estime qu’il n’y pas lieu de s’écarter de sa jurisprudence relative à la République de Moldova citée au paragraphe 75 ci-dessus.

79. Partant, la Cour juge que cette partie de la requête ne peut pas être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. En conséquence, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

3. Conclusion

80. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

81. S’agissant de l’E.P. no 6 de Soroca, le requérant se plaint de l’exigüité de son espace vital, des mauvaises conditions matérielles et hygiéniques, du manque d’eau potable, de l’accès limité aux douches, de la qualité et de la quantité de la nourriture et des conditions dans lesquelles celle-ci était servie.

Quant à l’E.P. no 5 de Cahul, le requérant dénonce les conditions de la cellule no 3 dans laquelle il allègue avoir été détenu du 11 octobre au 20 décembre 2006. Il se plaint en particulier de la surpopulation de la cellule en question, des conditions matérielles et hygiéniques inadéquates, du manque d’eau potable et d’activité physique, de l’insuffisance de la nourriture et des conditions dans lesquelles celle-ci était servie.

Pour ce qui est enfin de l’E.P. no 1 de Taraclia, le requérant se plaint de la qualité de la nourriture, du manque d’eau potable et de l’absence d’aménagements pour handicapés dans les douches et les toilettes.

82. En renvoyant à sa version des faits, le Gouvernement considère que les conditions de détention du requérant n’ont pas atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Il ajoute que les conditions d’hygiène durant la détention du requérant ont été respectées, que ce dernier n’a pas étayé son grief relatif à la mauvaise qualité de la nourriture et que la quantité des repas servis était conforme aux standards établis par la réglementation nationale en la matière. Il fait remarquer que la nourriture alléguée mauvaise et insuffisante par le requérant ne semble pas avoir affecté l’état de santé de ce dernier.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

83. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que toute personne détenue le soit dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, qui ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être de la personne détenue sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92‑94). Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001‑II).

84. L’État est donc tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Soukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008 , et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007).

85. La Cour rappelle également que l’exigüité extrême dans les prisons est un aspect particulièrement important qui doit être pris en compte afin d’établir si les conditions de détention litigieuses étaient conformes à l’article 3 de la Convention (Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 36, 7 avril 2005 , Ananyev et autres, précité, § 143 , et Géorgie c. Russie (I) [GC], no 13255/07, § 200, 3 juillet 2014). Elle relève que lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007 , et Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 78-82, 21 décembre 2010).

b) Application des principes susmentionnés à la présente espèce

86. En l’espèce, la Cour analysera la situation dans chacune des trois prisons dont les conditions de détention sont dénoncées par le requérant.

i. L’E.P. no 6 de Soroca

87. La Cour observe qu’il ne prête pas à controverse entre les parties le fait que le requérant a été détenu dans le secteur no 12 de l’E.P. no 6 de Soroca (paragraphes 13, 14, 18 et 19 ci-dessus). Elle remarque cependant que le Gouvernement, qui avait à sa disposition toute l’information nécessaire, n’a nullement combattu l’affirmation du requérant selon laquelle soixante détenus étaient placés dans le dortoir de quatre-vingt-dix-huit mètres carrés du secteur no 12. La Cour rappelle à cet égard qu’il est impossible d’appliquer rigoureusement le principe affirmanti, non neganti, incumbit probatio dans toutes les affaires portées devant elle car, dans certains cas, il arrive que l’État défendeur soit le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou de réfuter les allégations d’un requérant : l’omission du gouvernement défendeur de fournir ces informations, sans motif valable, peut donner lieu à certaines déductions quant à la crédibilité des allégations du requérant en question (Fadeïeva c. Russie, no 55723/00, § 79, CEDH 2005‑IV, et Manulin c. Russie, no 26676/06, § 40, 11 avril 2013).

88. Dans la présente affaire, la Cour tient également compte des constats opérés dans le rapport de 2010 du CDH faisant état de la nature systémique du problème de la surpopulation carcérale dans ce pays (paragraphe 55 ci‑dessus). Dans ces conditions, elle considère comme véridique l’affirmation du requérant relative à la taille du dortoir du secteur no 12 et au nombre de personnes y détenues. Il s’ensuit que le requérant n’a disposé que de 1,63 mètres carrés d’espace personnel. Cette surpopulation flagrante soulève en soi un problème grave sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Nieciecki c. Grèce, no 11677/11, §§ 49-51, 4 décembre 2012, Ipati, précité, § 65, Logothetis et autres c. Grèce, no 740/13, §§ 44-47, 25 septembre 2014).

89. La Cour estime à titre surabondant que les allégations du requérant relatives aux conditions d’hygiène, à l’illumination et à la ventilation du dortoir ou à la qualité et à la quantité de la nourriture sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par le CDH dans son rapport de 2010, ainsi que par le CPT dans les différents rapports établis à la suite de ses visites dans les prisons moldaves (paragraphes 55, 57-60 ci-dessus).

90. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les conditions de détentions subies par le requérant dans l’E.P. no 6 de Soroca ont dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

ii. L’E.P. no 5 de Cahul

91. La Cour note que le requérant dénonce les conditions de détention dans cette prison pour ce qui est de la période allant du 11 octobre au 20 décembre 2006. Elle constate en même temps que, selon le Gouvernement, le requérant était détenu à ce moment-là dans l’E.P. no 1 de Taraclia. Cependant, elle relève que le Gouvernement ne fournit aucune preuve étayant son affirmation, bien qu’il soit le seul à détenir toute l’information nécessaire. Au vu de cela, elle accepte l’assertion du requérant selon laquelle ce dernier était détenu entre les dates susmentionnées dans l’E.P. no 5 de Cahul.

92. La Cour relève ensuite que le requérant a décrit d’une manière détaillée les conditions dans lesquelles il a été détenu dans la cellule no 3 de la prison de Cahul (paragraphes 25-28 ci-dessus) et que les allégations de celui-ci sont confirmées par trois de ses codétenus (paragraphe 22 ci‑dessus). Elle souligne en outre que, dans sa version des faits (paragraphe 30 ci-dessus), le Gouvernement ne conteste pas explicitement la description de la cellule no 3 faite par le requérant. Il importe également de noter que le Gouvernement ne fournit copie d’aucun document relatif à l’inspection que le Département des établissements pénitentiaires aurait effectué dans cette prison (paragraphe 31 ci-dessus). En tout état de cause, la Cour relève que les constats que ce Département aurait opérés ne réfutent pas les allégations du requérant, relatives au manque d’espace personnel et d’activité physique.

93. Au vu de ce qui précède, la Cour accepte une fois de plus comme authentique la description donnée par le requérant relativement aux conditions de détention dans l’E.P. no 5 de Cahul entre le 11 octobre et le 20 décembre 2006. Elle considère notamment comme établi le fait que, dans la cellule no 3 de cette prison, le requérant disposait d’un espace individuel réduit, à savoir 1,87 mètres carrés, où il était confiné vingt-trois heures par jour. Il apparait donc que le requérant a vécu, durant la période évoquée, dans une grande promiscuité. La Cour rappelle que cet élément soulève à lui seul un problème grave sous l’angle de l’article 3 de la Convention (voir les références citées au paragraphe 88 in fine ci-dessus).

94. La Cour remarque de plus que les allégations du requérant visant la surpopulation carcérale dans l’E.P. no 5 de Cahul sont confortées par les constats concernant l’ensemble du système pénitentiaire moldave, opérés par le CPT et par le CDH dans leurs rapports respectifs (paragraphes 55, 57‑60 ci-dessus).

95. Les éléments exposés ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que les conditions de détentions subies par le requérant dans l’E.P. no 5 de Cahul entre le 11 octobre et le 20 décembre 2006, indépendamment de la durée relativement courte de cette détention, n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Tadevossian c. Arménie, no 41698/04, § 55, 2 décembre 2008).

iii. L’E.P. no 1 de Taraclia

96. La Cour note que le requérant porte une prothèse à la jambe. Elle rappelle que lorsque les autorités nationales décident de placer ou de maintenir en détention une personne invalide, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques de son infirmité (Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 25, CEDH 2001‑VII, Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 56, 2 décembre 2004, et Zarzycki c. Pologne, no 15351/03, § 102, 12 mars 2013). L’accès aux installations sanitaires soulève un problème particulier sous l’angle de l’article 3 de la Convention (D.G. c. Pologne, no 45705/07, §§ 147 et 150, 12 février 2013, et Semikhvostov c. Russie, no 2689/12, § 81, 6 février 2014).

97. En l’espèce, la Cour prend acte de la décision du juge d’instruction du tribunal de Taraclia du 18 juillet 2011 (paragraphe 42 ci-dessus) qui a estimé que l’absence de cuvette dans les toilettes de la prison de Taraclia empêchait le requérant, compte tenu du fait que celui-ci ne pouvait pas s’accroupir, de satisfaire ses besoins dans des conditions non dégradantes. Le juge en question a également relevé que le requérant ne pouvait pas se laver dans des conditions convenables en raison de l’absence de chaise ou d’un autre support dans les douches de cette prison.

98. La Cour note ensuite que, d’après le requérant, celui-ci a reçu un tabouret pour prendre la douche, mais qu’en revanche la cuvette dans les toilettes n’a jamais été installée (paragraphe 38 ci-dessus). Elle observe que le Gouvernement n’a pas contesté cette dernière affirmation du requérant et qu’il n’a pas non plus apporté la preuve qu’une telle cuvette a jamais été mise en place.

99. Force est donc de constater que le requérant a dû utiliser des toilettes turques tout au long de son séjour dans l’E.P. no 1 de Taraclia. Bien que les parties ne soient pas d’accord au sujet des dates exactes de détention du requérant dans les différentes prisons, il apparait que ce dernier a passé, en tout état de cause, plusieurs mois dans l’E.P. no 1 de Taraclia. À l’instar du juge d’instruction du tribunal de Taraclia, la Cour estime que le handicap du requérant l’empêchait de toute évidence d’utiliser les toilettes en question d’une manière qui ne le soumettait pas à une épreuve humiliante ou avilissante. Elle constate également que les autorités n’ont rien entrepris pour remédier à cela.

100. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les conditions de détentions subies par le requérant dans l’E.P. no 1 de Taraclia ont dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Semikhvostov, précité, § 81).

iv. Conclusion

101. Après avoir examiné tous les éléments dont elle dispose et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour juge qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef du requérant.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

102. Le requérant dénonce la censure de sa correspondance par les autorités pénitentiaires. Il invoque l’article 8 de la Convention qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

103. Le Gouvernement arguë que le requérant a perdu sa qualité de victime. Il affirme que l’envoi par le Département des établissements pénitentiaires de la lettre du requérant du 11 octobre 2010 à la Cour équivaut à la reconnaissance de la violation commise par l’E.P. no 12 de Bender. Il allègue que l’administration de l’E.P. no 12 de Bender avait accepté à titre exceptionnel d’envoyer la lettre du requérant au motif que ce dernier n’avait pas suffisamment d’argent sur son compte de pécule, et souligne que, malgré les irrégularités commises, la lettre du requérant est arrivée à la Cour. Il indique qu’une série de mesures ont été entreprises par les autorités internes afin que ce genre de situation ne se reproduise plus. Il ajoute que, depuis 2008, les détenus ont librement accès à des boîtes à lettres installées dans les prisons et qu’ils peuvent poster personnellement leurs lettres dans des enveloppes scellées. Il estime enfin qu’en l’espèce les autorités internes ont réparé la violation alléguée.

104. Le requérant conteste cette thèse.

105. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996‑III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000‑IV).

106. Elle réaffirme en outre que la perte de la qualité de victime dépend, notamment, de la nature du droit dont la violation est alléguée, de la motivation de la décision (Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001‑X) et de la persistance des conséquences désavantageuses pour l’intéressé après cette décision (Freimanis et Līdums c. Lettonie, nos 73443/01 et 74860/01, § 68, 9 février 2006). Le statut de victime d’un requérant peut donc dépendre de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour. Le caractère approprié et suffisant du redressement offert au requérant dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010).

107. En l’espèce, la Cour note que, bien que la lettre du requérant ait finalement arrivée au greffe de la Cour, les autorités internes n’ont à aucun moment reconnu, explicitement ou en substance, la violation du droit du requérant au respect de sa correspondance. Elle constate également l’absence de toute compensation de la part des autorités. Dans ces conditions, elle ne saurait accueillir l’exception du Gouvernement et la rejette.

108. Constatant par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

109. Le requérant affirme avoir envoyé la lettre du 11 octobre 2010 dans une enveloppe fermée sur laquelle il avait indiqué l’adresse de la Cour, comme il le faisait à son habitude. Le fait que sa lettre ait arrivé dans un premier temps au Centre pour les droits de l’homme en République de Moldova prouverait que sa correspondance était censurée.

110. Compte tenu de ses commentaires visant la perte de la qualité de victime du requérant, le Gouvernement n’estime pas nécessaire de formuler des observations sur le fond de ce grief.

111. La Cour note que la lettre du requérant du 11 octobre 2010 a été envoyée à la Cour par les autorités internes et que celles-ci auraient pu sans difficulté la lire. Dans ces circonstances, elle estime que le requérant peut se prétendre victime d’une ingérence dans son droit au respect de sa correspondance, au sens de l’article 8 de la Convention (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, § 33, série A no 233, et Petrov c. Bulgarie, no 15197/02, § 39, 22 mai 2008).

112. La Cour rappelle que pareille ingérence méconnaît l’article 8 de la Convention sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de cet article et, de plus, est « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre (Campbell, précité, § 34).

113. La Cour observe que, selon les dispositions internes applicables en l’espèce (paragraphe 54 ci-dessus), le requérant devait soit déposer lui‑même sa lettre dans une boîte à lettre de la prison, soit la transmettre à l’administration de l’E.P. no 12 de Bender dans une enveloppe fermée. Toujours selon ces dispositions, en l’absence d’argent sur le compte de pécule du requérant, l’administration ne devait pas envoyer la lettre au destinataire. Force est donc de constater que l’administration du pénitentiaire n’a pas respecté les dispositions en question. La Cour ajoute que le non-respect des dispositions applicables en l’espèce est confirmé par la lettre du 26 octobre 2010 du directeur général du Département des établissements pénitentiaires (paragraphe 48 ci-dessus). De plus, elle relève que le Gouvernement admet que des irrégularités ont été commise lors de l’envoi de la lettre du requérant.

114. À titre surabondant, la Cour note que, selon le Gouvernement, le requérant ne disposait pas d’argent sur son compte de pécule et l’administration de l’E.P. no 12 de Bender a fait une exception en acceptant de supporter les frais d’envoi de la lettre en cause. Cependant, elle constate que le Gouvernement n’explique nullement pourquoi l’administration du pénitentiaire n’a pas également fourni une enveloppe au requérant dans le but de respecter les dispositions internes et de garantir à l’intéressé le secret de sa correspondance.

115. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa correspondance n’était pas prévue par la loi (voir, mutatis mutandis, Di Cecco c. Italie, no 28169/06, §§ 24, 25 et 27, 15 février 2011). Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. Cette conclusion rend superflu l’examen du respect des autres exigences de la même disposition (voir, par exemple, Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 144, CEDH 2009).

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

116. Invoquant l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été gardé en détention sans motif raisonnable du 7 août 1996 au 5 septembre 2000.

117. Sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, il conteste la légalité de sa condamnation à l’issue de son procès pénal terminé par l’arrêt définitif de la Cour suprême de justice du 5 septembre 2000.

118. Invoquant l’article 6 § 3 d) de la Convention, le requérant se plaint du fait que, dans le cadre de la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation, les tribunaux internes n’ont pas entendu des témoins à décharge.

119. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, il estime que sa détention provisoire s’analyse en une violation de la présomption d’innocence.

120. Sur le terrain de l’article 13 Convention, il dénonce l’absence d’un recours effectif pour annuler sa condamnation, qu’il estime illégale.

121. Invoquant l’article 1 du Protocole no12, le requérant allègue avoir été victime d’une discrimination fondée sur la nationalité et la langue de la part des tribunaux internes qui ont statué sur sa culpabilité pénale.

122. La Cour observe que tous ces griefs se rapportent à la détention provisoire du requérant ou à la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation par l’arrêt définitif de la Cour suprême de justice du 5 septembre 2000. Elle constate dès lors qu’ils sont tous tardifs. Partant, elle les rejette pour non-observation du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

123. La Cour estime opportun d’examiner la présente affaire sous l’angle de l’article 46 de la Convention dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

(...) »

A. Principes généraux pertinents

124. La Cour rappelle que l’article 46 de la Convention interprété à la lumière de l’article 1 impose à l’État défendeur l’obligation légale de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles appropriées pour garantir le droit du requérant dont la Cour a constaté la violation. L’État doit également appliquer ces mesures à l’égard des autres personnes se trouvant dans la même situation que le requérant, l’objectif pour lui devant être de résoudre les problèmes qui ont conduit la Cour à son constat de violation (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, § 94, CEDH 2005‑X, Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 194, 24 juillet 2012, et Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 142, CEDH 2014). Le Comité des Ministres ne cesse de souligner cette obligation lors du contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour (ResDH(97)336, IntResDH(99)434, IntResDH(2001)65 et ResDH(2006)1).

125. La Cour rappelle également qu’il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta, précité, § 249, et Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I). Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée (voir, parmi beaucoup d’autres, Driza c. Albanie, no 33771/02, § 125, CEDH 2007‑V (extraits)).

B. Application en l’espèce des principes susmentionnés

1. Situation actuelle dans les prisons moldaves

126. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison de la surpopulation carcérale, des conditions de vie et d’hygiène inappropriées, ainsi que de la quantité et de la qualité insuffisantes de la nourriture dans les prisons où le requérant avait été détenu.

127. Elle rappelle que le premier constat de violation de l’article 3 de la Convention par la République de Moldova du fait des mauvaises conditions de détention dans ses prisons a été opéré dans l’arrêt Ostrovar (Ostrovar c. Moldova, no 35207/03, §§ 80-90, 13 septembre 2005) et que, depuis lors, elle a régulièrement conclu à la même violation dans plus de trente affaires moldaves. Elle a pu ainsi observer une série de problèmes récurrents au sujet des prisons de ce pays, dont la surpopulation, le manque d’hygiène et de conditions matérielles appropriées, la mauvaise qualité et la quantité insuffisante de la nourriture, et l’absence de soins médicaux adéquats (voir, parmi d’autres, Becciev c. Moldova, no 9190/03, §§ 41-48, 4 octobre 2005, Holomiov, précité, §§ 113-122, Istratii, précité, §§ 48-59 et 68-72, Modarca, précité, §§ 63-69, Ciorap c. Moldova, no 12066/02, §§ 65-71, 19 juin 2007, Popovici c. Moldova, nos 289/04 et 41194/04, §§ 56-57, 27 novembre 2007, Ţurcan c. Moldova, no 10809/06, §§ 35-39, 27 novembre 2007, Malai c. Moldova, no 7101/06, §§ 33-35, 13 novembre 2008, Valeriu et Nicolae Roşca c. Moldova, no 41704/02, §§ 78-79, 20 octobre 2009, Gavrilovici c. Moldova, no 25464/05, §§ 42-44, 15 décembre 2009, I.D., précité, §§ 44-46, Oprea c. Moldova, no 38055/06, §§ 39-42, 21 décembre 2010, Rotaru c. Moldova, no 51216/06, §§ 33-42, 15 février 2011, Feraru c. Moldova, no 55792/08, §§ 41-46, 24 janvier 2012, Hadji c. Moldova, nos 32844/07 et 41378/07, §§ 19-20, 14 février 2012, Constantin Modarca c. République de Moldova, no 37829/08, §§ 25‑27, 13 novembre 2012, Ciorap c. République de Moldova (no 3), no 32896/07, §§ 35-37, 4 décembre 2012, Mitrofan, précité, §§ 37-41, Ipati, précité, §§ 64-65 ; et Segheti, §§ 30-33). Les constats de la Cour concernent les locaux de détention provisoire relevant du ministère des Affaires intérieures, dispersés sur l’ensemble du territoire, ainsi que les établissements pénitentiaires no 13 de Chișinău, no 6 de Soroca et no 15 de Cricova. Par ailleurs, le caractère récurrent des problèmes identifiés dans la présente affaire est confirmé par le fait que plus de soixante-dix requêtes dirigées contre la République de Moldova ayant trait à des conditions de détention dans différents lieux de détention et soulevant, au premier abord, un problème de compatibilité avec l’article 3 de la Convention sont actuellement pendantes devant elle.

128. La Cour prend acte des mesures prises par l’État défendeur afin d’améliorer les conditions de détention et note que, selon les rapports du CDH du 2010 et du CPT des 2007 et 2011 (paragraphes 55, 59 et 60 ci‑dessus), des progrès ont été réalisés dans ce domaine. Elle se félicite des démarches accomplies par les autorités nationales et ne peut qu’encourager l’État défendeur à poursuivre son action.

129. La Cour est consciente que des efforts conséquents et soutenus sur le long terme sont nécessaires pour résoudre le problème récurrent en cause. Cependant, elle rappelle qu’au vu du caractère intangible du droit protégé par l’article 3 de la Convention, l’État est tenu d’organiser son système pénitentiaire de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée (Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 63, 1er juin 2006, et Torreggiani et autres, précité, § 93).

2. Mesures à caractère général

130. Au vu des principes évoqués ci-dessus, la Cour considère que l’État défendeur doit mettre à la disposition des justiciables un mécanisme adéquat et effectif, permettant à l’autorité interne compétente d’examiner le fond des griefs relatifs aux mauvaises conditions de détention et d’accorder un redressement approprié et suffisant (Iacov Stanciu, précité, § 197).

131. En ce qui concerne la ou les voies de recours internes à adopter pour faire face au problème identifié dans la présente affaire, la Cour rappelle qu’en matière de conditions de détention, les remèdes « préventifs » et ceux de nature « compensatoire » doivent coexister de manière complémentaire. Ainsi, lorsqu’un requérant est détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention, le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. De plus, toute personne ayant subi une détention portant atteinte à sa dignité doit pouvoir obtenir une réparation pour la violation subie (Iliev et autres c. Bulgarie, nos 4473/02 et 34138/04, § 55, 10 février 2011, Ananyev et autres, précité, §§ 97-98 et 210-240, et Torreggiani et autres, précité, § 96).

a) Recours préventifs

132. La Cour rappelle que la meilleure option serait la mise en place d’une autorité spéciale chargée de superviser les lieux de détention ; en effet, une telle autorité est plus à même de fournir des résultats rapides (Ananyev et autres, précité, § 215). Pour que le recours devant cette autorité soit effectif, l’autorité en question devrait (a) être indépendante des autorités en charge du système pénitentiaire, (b) garantir une participation effective des détenus lors de l’examen de leurs plaintes, (c) examiner les plaintes des détenus d’une manière rapide et diligente, (d) disposer d’un large arsenal d’outils légaux permettant d’éradiquer les problèmes à l’origine de ces plaintes, et (e) être en mesure de rendre des décisions obligatoires et exécutoires (Ananyev et autres, précité, §§ 214-216). Ce recours devrait également autoriser de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (Torreggiani et autres, précité, § 97).

133. La Cour indique qu’un autre choix possible serait l’institution d’un recours préventif auprès d’une autorité judiciaire. L’État défendeur peut soit créer un nouveau dispositif, soit adapter le recours existant devant le juge d’instruction (paragraphes 41, 42 et 52 ci-dessus). Dans la présente affaire, la Cour rappelle avoir estimé que le recours devant le juge d’instruction était ineffectif en pratique en raison principalement, d’une part, de l’absence de toute mesure concrète ordonnée par le juge à l’administration de l’E.P. no 1 de Taraclia et, d’autre part, de la réparation partielle par cette administration des manquements constatés par le juge (paragraphe 77 ci-dessus). Au vu de cela, la Cour estime que, en tout état de cause, l’éventuelle instance judiciaire compétente devrait avoir le pouvoir d’ordonner aux autorités pénitentiaires des actions de redressement concrètes susceptibles d’améliorer non seulement la situation du plaignant mais également celle des autres détenus. De plus, l’État devrait définir la modalité exacte d’exécution des mesures ordonnées par les juges (Ananyev et autres, précité, §§ 219-220).

b) Recours compensatoires

134. Pour ce qui des recours compensatoires en matière de mauvaises conditions de détention, la Cour rappelle que la charge de la preuve imposée aux justiciables ne doit pas être excessive. Les détenus peuvent être amenés à montrer qu’il y a au moins une apparence de violation de l’article 3 de la Convention, et à fournir des preuves facilement accessibles, par exemple la description détaillée des faits dont ils se plaignent, les déclarations des codétenus, ou les plaintes adressées aux autorités pénitentiaires ou aux autorités de supervision et leurs réponses respectives. Il incombera dès lors aux autorités internes de combattre ces allégations. En ce qui concerne les garanties procédurales, la Cour rappelle que l’action du détenu doit être tranchée dans un délai raisonnable et que les règles régissant cette action doivent être conformes au principe d’équité tel qu’énoncé à l’article 6 § 1 de la Convention. Les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée. De plus, l’octroi de la compensation ne doit pas être conditionné par la capacité des demandeurs à prouver que la conduite des responsables ou des autorités spécifiques a été illégale. La Cour rappelle à ce sujet que les mauvaises conditions de détention ne sont pas nécessairement le résultat des omissions de certains responsables en particulier, mais ont le plus souvent à leur origine des facteurs plus complexes. Enfin, le montant des indemnisations allouées pour le préjudice moral ne doit pas être déraisonnable par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires (Ananyev et autres, précité, §§ 228-230).

135. La Cour relève avoir estimé que le recours compensatoire indiqué par le Gouvernement dans la présente affaire, à savoir une action civile en réparation contre l’État, n’était pas effectif en pratique ; il n’a pas été notamment démontré que, à l’époque des faits, la jurisprudence interne consistant à condamner l’administration à payer une indemnisation pécuniaire constituait une pratique établie et constante des juridictions civiles (paragraphe 76 ci-dessus). La Cour note avec satisfaction que la décision explicative de l’Assemblée plénière de la Cour suprême de justice du 24 décembre 2012 (paragraphe 56 ci-dessus) prend en compte la plupart des principes développés par la Cour dans sa jurisprudence relative aux recours compensatoires. Cependant, elle constate que, aux termes du paragraphe 22 de cette décision, la Cour suprême de justice fait peser sur le requérant la charge de la preuve du préjudice moral. À ce titre, elle souligne que le constat d’incompatibilité des conditions de détention avec les exigences de l’article 3 de la Convention crée, à lui seul, une forte présomption selon laquelle le détenu concerné a subi un dommage moral (Ananyev et autres, précité, § 229).

136. La Cour relève enfin que, pour les personnes qui sont encore en détention, un autre type de réparation est envisageable, à savoir la réduction de peine au prorata du nombre des jours de détention incompatible avec la Convention. S’agissant du droit moldave, elle remarque que, à l’heure actuelle, les tribunaux pénaux peuvent réduire la peine d’un accusé lorsqu’ils constatent que celui-ci a été détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (paragraphes 52 et 56 ci-dessus). Cependant, elle note que, en l’état actuel des choses, la remise de peine ne peut pas s’opérer après la condamnation d’une personne et que, de ce fait, un large nombre de détenus est exclu de ce dispositif. Elle constate également qu’aucune méthode concrète de calcul de la remise de peine n’est prévue par la législation et que les tribunaux ne sont pas tenus de réduire la peine proportionnellement au nombre des jours de détention contraire à l’article 3 de la Convention.

137. La Cour rappelle que la remise de peine peut constituer un redressement adéquat en cas de mauvaises conditions matérielles de détention à condition que, d’une part, elle soit explicitement octroyée pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et que, d’autre part, son impact sur le quantum de la peine de la personne intéressée soit mesurable (Stella et autres c. Italie (déc.), nos 49169/09 et autres, §§ 59-60, 16 septembre 2014).

c) Conclusion

138. La Cour n’a pas à préciser quelle serait la meilleure manière d’instaurer les voies de recours internes nécessaires. L’État peut soit modifier les recours existants soit en créer de nouveaux de sorte que les violations des droits tirés de la Convention puissent être redressées de manière réellement effective (voir, pour comparaison, Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, §§ 80-81 et 87, 12 octobre 2010, Łomiński c. Pologne (déc.), no 33502/09, § 71-72 et 78, 13 octobre 2010, et Stella et autres, précité, §§ 46-63). Il lui incombe également, sous le contrôle du Comité des Ministres, de garantir que le recours ou les recours nouvellement mis en place respectent, tant en théorie qu’en pratique, les exigences de la Convention (Torreggiani et autres, précité, § 98).

139. La Cour en conclut que les autorités nationales doivent sans retard mettre en place un recours ou une combinaison de recours ayant des effets préventifs et compensatoires et garantissant réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant des conditions de détention inappropriées en République de Moldova. Ce ou ces recours devront être conformes aux principes de la Convention, tels que rappelés notamment dans le présent arrêt (voir, entre autres, les paragraphes 74 et 131-136 ci-dessus).

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

140. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

141. Le requérant réclame 120 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait supporté du fait de l’absence de salaire depuis son placement en détention. Il demande également 100 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

142. Le Gouvernement estime ces sommes excessives et non fondées.

143. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir. Il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour admet que le requérant a subi un tort moral certain à raison des défaillances constatées dans l’attitude des autorités compétentes. Statuant en équité, elle lui accorde 10 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

144. Le requérant ne réclame aucune somme au titre des frais et dépens. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu d’allouer une somme de ce chef.

C. Intérêts moratoires

145. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena TsirliJosep Casadevall
Greffière adjointePrésident


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