Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la Ville de Paris de le prendre en charge dans un dispositif adapté jusqu'à l'audience du juge des enfants, saisi le 29 décembre 2022 conformément à l'article 375 du code civil, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 2304940 du 15 mars 2023, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, admis les interventions de l'association Utopia 56, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), de l'association Infomie, de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et de l'Association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM) et, d'autre part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, enfin rejeté la demande de M. B....
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 17 et 21 avril et 2 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) à titre principal, d'enjoindre à la Ville de Paris de le prendre en charge dans un dispositif adapté jusqu'à la date de l'audience du juge des enfants, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de le prendre en charge dans un hébergement d'urgence jusqu'à l'audience devant le juge des enfants, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la Ville de Paris et de l'Etat la somme de 3 500 euros, à verser à son avocat, la SCP Sevaux, Mathonnet, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il se trouve dans une situation de grande précarité, isolé, sans ressources et sans hébergement, et que sa situation d'errance présente un risque immédiat pour sa sécurité et sa santé ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au respect de la dignité de la personne humaine, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi qu'au droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale ;
- le refus de la Ville de Paris de reconnaître sa qualité de mineur et le refus des services de l'Etat de le prendre en charge au titre de l'hébergement d'urgence sont dépourvus de base légale dès lors qu'ils ont été pris en application des articles L. 223-2 et L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles et 375-5 du code civil, qui sont contraires à la Constitution ;
- les articles L. 223-2 et L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles et 375-5 du code civil sont contraires aux articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3, 20 et 37 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les pièces du dossier attestent qu'il est manifestement mineur ;
- l'absence de prise en charge par l'Etat, au titre de son obligation de mise en œuvre du droit à l'hébergement d'urgence, le place dans une situation de détresse, psychique et sociale et le met en danger, qui caractérise une carence de sa part.
Par un mémoire distinct, enregistré le 21 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 221-2-4 et L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles et de l'article 375-5 du code civil. Il soutient que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question présente un caractère nouveau et revêt un caractère sérieux dès lors que ces dispositions sont entachées d'une incompétence négative emportant, par elle-même, une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au respect du principe constitutionnel de la sauvegarde de la dignité humaine et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2023, la Ville de Paris conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct en défense, enregistré le 27 avril 2023, la Ville de Paris conclut à ce que le juge des référés ne renvoie pas la question soulevée au Conseil constitutionnel. Elle soutient que les dispositions contestées ne sont pas applicables au litige et que la question ne présente ni un caractère sérieux ni un caractère de nouveauté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut à ce que le juge des référés ne renvoie pas la question soulevée au Conseil constitutionnel. Il soutient que les dispositions contestées ne sont pas applicables au litige et que les moyens soulevés sont soit inopérants, soit non fondés.
Par une intervention, enregistrée le 27 avril 2023, l'association Utopia 56 demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête de M. B.... Elle soutient que son intervention est recevable et que les moyens soulevés par la requête sont fondés.
Par une intervention, enregistrée le 28 avril 2023, le GISTI et les associations ADDE et AADJAM demandent que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et que les moyens soulevés sont fondés.
Par une intervention, enregistrée le 2 mai 2023, la LDH demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête. Elle soutient que son intervention est recevable et que les moyens soulevés sont fondés.
La requête a été communiquée à la Première ministre qui n'a pas produit de mémoire.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., l'association Utopia 56, la LDH, le GISTI et les associations ADDE et AADJAM et, d'autre part, la Ville de Paris, la Première ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 2 mai 2023, à 14 heures 30 :
- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ville de Paris ;
- le représentant de la Ville de Paris ;
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
- les représentantes de l'association Utopia 56 ;
- le représentant du GISTI et des associations ADDE et AADJAM.
Les parties ont été informées, en application des articles R. 522-9 et R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision du juge des référés du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur des moyens d'ordre public relevés d'office et tirés, d'une part, de l'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité en tant qu'elle a déjà été soulevée, dans les mêmes termes, devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris, qui a refusé de la transmettre au Conseil d'Etat et, d'autre part, de l'irrecevabilité des conclusions de la requête en tant qu'elles tendent à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre en charge M. B... dans un hébergement d'urgence jusqu'à l'audience du juge des enfants.
Durant l'audience, M. B... a indiqué que son mémoire distinct n'avait pas pour objet de soulever une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité mais de contester le refus de transmission du juge des référés de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en première instance. Il a en outre abandonné le moyen tiré de l'inconventionnalité des dispositions législatives mentionnées ci-dessus et l'a redirigé à l'encontre des dispositions de la seconde phrase du V de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles.
A l'issue de l'audience, la juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 4 mai 2023 à 10 heures, puis à 18 heures.
Par un mémoire, enregistré le 2 mai 2023 après l'audience, M. B... maintient les conclusions de sa requête et confirme la requalification du moyen d'inconventionnalité. Il soutient, en outre, que sa situation caractérise, en l'espèce, la méconnaissance des exigences découlant des engagements internationaux précités.
Par deux mémoires enregistrés le 4 mai 2023 après l'audience, l'association Utopia 56 persiste en ses demandes.
Par un mémoire, enregistré le 4 mai 2023 après l'audience, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut à la conformité aux engagements internationaux de la France des dispositions réglementaires désormais contestées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que M. B..., ressortissant malien qui indique être né le 1er novembre 2006, s'est présenté le 23 décembre 2022 à l'accueil des mineurs non accompagnés de la Ville de Paris, afin de solliciter sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Par une décision du 28 décembre suivant, la Ville de Paris a estimé que sa minorité ne pouvait être retenue et que, dès lors, sa situation ne justifiait pas la saisine de l'autorité judiciaire ; elle a, en outre, mis fin à son hébergement. L'intéressé a saisi le lendemain le juge des enfants près le tribunal judiciaire de Paris. Le 8 mars 2023, M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la Ville de Paris de le prendre en charge dans un dispositif adapté jusqu'à la date de l'audience du juge des enfants. Il a également présenté une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 221-2-4 et L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles et de l'article 375-5 du code civil. Il relève appel de l'ordonnance du 15 mars 2023 par laquelle le juge des référés a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité et rejeté sa demande et présente, en outre, des conclusions par lesquelles il demande qu'il soit enjoint à l'Etat de le prendre en charge dans un hébergement d'urgence jusqu'à l'audience du juge des enfants. Il a présenté, par ailleurs, un mémoire distinct par lequel il doit être regardé comme contestant le refus de transmission, par l'ordonnance contestée, de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris.
Sur les interventions :
3. Eu égard à leur objet statutaire et à la nature du litige, l'association Utopia 56, la Ligue des droits de l'homme, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et l'Association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM) justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Leur intervention en demande est, par suite, recevable.
Sur les dispositions du code de l'action sociale et des familles et du code civil régissant l'accueil, par le service d'aide sociale à l'enfance du département, des mineurs et des personnes se déclarant mineures et isolées :
4. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 de ce code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. (...) ".
5. L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code dispose que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-2 de ce code dispose que : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil ".
6. Aux termes de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles : " I.-Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence. / II.-En vue d'évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / L'évaluation est réalisée par les services du département. Dans le cas où le président du conseil départemental délègue la mission d'évaluation à un organisme public ou à une association, les services du département assurent un contrôle régulier des conditions d'évaluation par la structure délégataire. / (...) / Il statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne, en s'appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l'éclairer. / (...) / V.-Les modalités d'application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I et au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées par décret en Conseil d'Etat". L'article R. 221-11 du même code dispose que : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ". L'article R. 223-2 du même code dispose que les décisions de refus de prise en charge sont motivées et mentionnent les voies et délais de recours.
Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à M. B... :
7. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé ". L'article 23-2 de la même ordonnance dispose que : " (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Selon l'article 23-5 de cette ordonnance : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé (...) ". Aux termes de l'article R. 771-16 du code de justice administrative : " Lorsque l'une des parties entend contester devant le Conseil d'Etat, à l'appui d'un appel ou d'un pourvoi en cassation formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité précédemment opposé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai de recours dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission. / La contestation du refus de transmission par la voie du recours incident doit, de même, faire l'objet d'un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission ".
8. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le juge des référés d'un tribunal administratif, statuant au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion de l'appel formé contre l'ordonnance qui se prononce sur sa demande, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé.
9. M. B... doit être regardé comme contestant, par son mémoire distinct et motivé, présenté, dans le délai de recours contentieux, à l'appui de sa requête d'appel, le refus du juge des référés du tribunal administratif de Paris de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée devant lui, dirigée contre les articles L. 221-2-4 et L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles et l'article 375-5 du code civil, respectivement cités aux points 6, 5 et 4, et tirée de ce que le législateur y a méconnu sa compétence dans des conditions de nature à affecter les droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier le principe constitutionnel de la sauvegarde de la dignité humaine et l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, faute d'avoir prévu que le département maintient l'accueil provisoire d'urgence d'une personne se déclarant mineure et isolée lorsqu'au terme de l'évaluation conduite, il estime qu'elle n'a pas la qualité de mineur, que sa décision est contestée devant le juge des enfants et que ce dernier n'a pas encore convoqué l'intéressé à une audience.
10. L'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, cité au point 5, prévoit qu'en cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service d'aide sociale à l'enfance qui en avise immédiatement le procureur de la République et si l'enfant ne peut être remis à sa famille, dans un délai de cinq jours, le service saisit l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil. L'article L. 222-5 du même code, cité également au point 5, dispose que le service d'aide sociale à l'enfance du département prend en charge les mineurs qui lui sont confiés en application, notamment, de l'article 375-5 du code civil, par l'autorité judiciaire. Enfin, s'agissant de l'évaluation par le département de la situation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, les dispositions du I de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles, citées au point 6, prévoient que le président du conseil départemental du lieu où se trouve une telle personne met en place un accueil provisoire d'urgence, afin de procéder, après un temps de répit, à l'évaluation de la situation de cette personne et notamment de sa minorité. Le V de ce même article renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin d'édicter ses modalités d'application, notamment s'agissant de la durée de l'accueil provisoire d'urgence.
11. En outre, en vertu de l'article 375 du code civil, cité au point 4, si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par le juge des enfants, sur simple requête, notamment du service à qui l'enfant a été confié, du mineur lui-même ou du ministère public. L'article 375-3, cité également au point 4, prévoit que si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier un tiers, en particulier à l'aide sociale à l'enfance. Enfin, l'article 375-5, dont les dispositions sont reproduites au point 4, dispose qu'à titre provisoire, le juge peut notamment prendre l'une des mesures prévues à l'article 375-3 et qu'en cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge pour lui de saisir dans les huit jours le juge des enfants, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure.
12. Il en découle que lorsque le département, à l'issue de l'évaluation de la situation d'une personne se déclarant mineure et isolée, laquelle se déroule pendant sa mise à l'abri, lui indique qu'il n'estime pas qu'elle a la qualité de mineur, cette personne peut, en application de l'article 375 du code civil, contester cette décision en saisissant le juge des enfants, lequel, comme d'ailleurs le procureur de la République, peut décider, sans délai, en application de l'article 375-5 de ce code, de la confier à titre provisoire à l'aide sociale à l'enfance. Par ailleurs, lorsque tel n'est pas le cas, l'intéressé peut saisir le juge du référé, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin que, s'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, il enjoigne au département de poursuivre son accueil provisoire. Enfin, en tout état de cause, il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des articles L. 345-2, L. 345-2-2, L. 345-2-3 et L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission pouvant faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée.
13. Il découle de ce qui a été dit aux points 10 à 12 que si les dispositions critiquées au titre de la question prioritaire de constitutionnalité ne prévoient pas que le département maintient l'accueil provisoire d'urgence d'une personne se déclarant mineure et isolée lorsqu'au terme de l'évaluation conduite, il estime qu'elle n'a pas la qualité de mineur, que sa décision est contestée devant le juge des enfants et que ce dernier ne l'a pas encore convoquée à une audience, il n'en résulte, à supposer, d'ailleurs, que les garanties dont il est allégué qu'elles auraient dû figurer dans la loi relèvent du domaine réservé par la Constitution à la loi, aucune atteinte au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du refus de transmission de sa question prioritaire de constitutionnalité opposé par le juge des référés du tribunal administratif de Paris.
Sur l'exception d'inconventionnalité des dispositions de la seconde phrase du V de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles :
15. M. B... fait valoir, par la voie de l'exception, que les dispositions de la seconde phrase du V de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, qui prévoient que lorsque le département estime que la personne se déclarant mineure et isolée est majeure, son accueil provisoire d'urgence prend fin, alors même qu'elle a saisi le juge des enfants et qu'il ne l'a pas encore convoquée à une audience, sont contraires, d'une part, à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants et à son article 8, qui garantit le droit de toute personne au respect de sa vie privée, ce dont découle, pour les Etats, l'obligation d'édicter des garanties procédurales particulières au bénéfice des personnes se déclarant mineures isolées durant la procédure d'évaluation de leur minorité, d'autre part, aux articles 3, 20 et 37 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant qui stipulent respectivement que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants, que " tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'Etat " et que " Les Etats parties veillent à ce que (...) nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ".
16. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 10 à 13 -qui sont également relatifs à la fin de l'accueil provisoire d'urgence d'une personne se déclarant mineure et isolée lorsqu'au terme de l'évaluation conduite, le département estime qu'elle n'a pas la qualité de mineur, que sa décision est contestée devant le juge des enfants et que ce dernier ne l'a pas encore convoquée à une audience - le moyen, soulevé par la voie de l'exception, tiré de la méconnaissance, par les dispositions réglementaires prévoyant qu'il est mis fin à cet accueil provisoire d'urgence lorsque le département ne retient pas la minorité de la personne, des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3, 20 et 37 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, n'est, en tout état de cause, pas fondé.
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Ville de Paris de procéder à nouveau à l'accueil provisoire d'urgence de M. B... :
17. Il résulte de l'instruction qu'après avoir été mis à l'abri le 23 décembre 2022, M. B... a fait l'objet le 27 décembre suivant d'une évaluation de sa situation et de son âge par l'association France terre d'asile, mandatée par la Ville de Paris, en présence d'un interprète en langue soninké. Sur la base de son rapport, qui est circonstancié et conclut que les éléments recueillis lors de l'évaluation ne permettent pas, pris ensemble, de retenir la minorité de l'intéressé, la Ville de Paris a, par décision du 28 décembre, indiqué à M. B... qu'elle estimait qu'il n'avait pas la qualité de mineur, ses propos relatifs à sa famille, sa scolarité, sa vie quotidienne au Mali étant insuffisamment précis, et non situés dans le temps, son parcours migratoire n'étant pas compatible avec l'âge allégué et aucune preuve de sa prise en charge en Italie comme mineur n'ayant été produite. Devant le juge des référés, en première instance comme en appel, M. B..., que l'association Utopia 56 justifie voir régulièrement, n'a apporté aucun nouvel élément tangible permettant d'apprécier sa minorité, en particulier, en éclairant le déroulement de sa vie au Mali. S'il a produit, comme il l'avait fait lors de l'évaluation de sa situation, un extrait d'acte de naissance obtenu avant de quitter son pays, revêtu d'un timbre humide, aucun élément ne permet de le relier à ce document. Il résulte ainsi de l'instruction, tant des éléments recueillis lors de l'évaluation, en particulier sur la vie menée par M. B... au Mali avant qu'il ne quitte son pays, que des écritures des parties, de leurs pièces et des observations faites à l'audience, que l'appréciation portée par le département sur son absence de qualité de mineur n'est, eu égard à l'office particulier du juge administratif des référés statuant sur une demande de poursuite d'un accueil provisoire dans l'attente de la décision du juge des enfants, pas manifestement erronée et ne révèle, à la date de la présente ordonnance, au vu de la situation de l'intéressé ainsi exposée, pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, en méconnaissance des exigences de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et, en tout état de cause, de son article 8, de même que des stipulations d'effet direct de la convention internationale relative aux droits de l'enfant qui sont invoquées. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la Ville de Paris de l'héberger provisoirement dans l'attente que le juge des enfants le convoque à une audience.
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre toutes mesures afin d'assurer son hébergement d'urgence :
18. Les conclusions de M. B... présentées, à titre subsidiaire, devant le juge des référés du Conseil d'Etat, tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre toutes mesures afin d'assurer son hébergement d'urgence jusqu'à l'audience devant le juge des enfants, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir, ont été présentées pour la première fois en appel et sont, par suites, irrecevables. Elles ne peuvent donc qu'être rejetées.
19. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter l'appel de M. B..., y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Les interventions de l'association Utopia 56, de la Ligue des droits de l'homme, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et de l'Association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM) sont admises.
Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., à l'association Utopia 56, à la Ligue des droits de l'homme, au Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), à l'Association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (ADJAAM), à la Ville de Paris, à la Première ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.
Fait à Paris, le 17 mai 2023
Signé : Maud Vialettes