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17/12/2018 | FRANCE | N°425622

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 décembre 2018, 425622


Vu la procédure suivante :

La SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe et au maire de Sainte-Rose d'assurer, au terme d'un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, le maintien de l'ordre et la prévention des infractions conformément à leurs missions de police en déployant les forces de l'ordre nécessaires pendant une du

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Vu la procédure suivante :

La SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe et au maire de Sainte-Rose d'assurer, au terme d'un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, le maintien de l'ordre et la prévention des infractions conformément à leurs missions de police en déployant les forces de l'ordre nécessaires pendant une durée de quarante-huit heures, à l'entrée et à la périphérie des parcelles situées à Sainte-Rose, cadastrées section AB, n° 513, n° 514, n° 516, n° 517, n° 659, n° 848, n° 689 et n° 690, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe et au maire de Sainte-Rose de prendre toute mesure utile de nature à assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité des biens et des personnes aux abords desdites parcelles, et ce, pendant une durée de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance, d'assortir cette injonction d'une astreinte d'un montant de 1 000 euros par jour de retard et d'enjoindre à l'Etat et au maire de Sainte-Rose de communiquer au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe la copie des actes justifiant l'exécution de l'injonction prononcée dans un délai maximum de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 1801060 du 23 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre et 7 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance et d'enjoindre à l'Etat d'accorder le concours de la force publique afin d'assurer l'exécution de l'ordonnance du 12 octobre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a autorisé la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac à retirer ou faire retirer tout ouvrage présent et non autorisé par elle sur les parcelles sises commune de Sainte-Rose, lieudit " Daubin-Beauvallon ", cadastrées section AB n° 513, 514, 516, 517, 659, 689, 690 et 848 et a ordonné en tant que de besoin l'expulsion immédiate de toute personne qui pénétrerait sur ces parcelles sans y avoir été expressément autorisée par la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Sainte-Rose la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance du 23 novembre 2018 est entachée d'irrégularité dès lors que, d'une part, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe n'aurait pas dû communiquer les pièces du dossier à l'avocat du syndicat de défense du patrimoine agricole des îles de la Guadeloupe sans avoir vérifié son mandat et qu'au surplus, ce syndicat n'avait aucun titre à être mis en cause dans l'instance, d'autre part, la requérante ne s'est pas vu communiquer le mémoire en intervention produit par le syndicat de défense du patrimoine agricole des îles de la Guadeloupe et, enfin, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a attendu la production de ce mémoire en intervention pour statuer alors que l'affaire était en l'état, rendant ainsi son ordonnance au terme d'un délai de deux semaines alors qu'il devait statuer en principe en quarante-huit heures ;

- l'urgence est caractérisée, dès lors, d'une part, que les représentants ou les mandataires de la société Compagnie agricole du comté de Lohéac ne peuvent pénétrer sur les terrains appartenant à celle-ci sans craindre pour leur sécurité physique et l'intégrité de leurs biens, ce qui l'empêche d'user de son droit de propriété, d'autre part, la non exploitation de ces parcelles a aggravé les problèmes économiques et financiers que connait la société et, enfin, celle-ci a besoin de pouvoir ensemencer ces parcelles dans les plus brefs délais pour pouvoir procéder à une récolte en 2019-2020 ;

- la carence de l'autorité investie du pouvoir de police générale à assurer ses missions porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, à la liberté de commerce et d'industrie, à la liberté d'aller et venir et à la liberté personnelle des représentants de la société requérante ;

- l'échec des différentes tentatives précédentes de récupérer et nettoyer le terrain ainsi que le besoin économique et financier de la requérante justifient que les forces de l'ordre demeurent.quarante-huit heures aux abords du terrain afin de prévenir tous troubles

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité des conclusions présentées par la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac devant le juge des référés, au motif qu'il ne peut être demandé à celui-ci, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de déterminer les conditions dans lesquelles l'Etat doit maintenir l'ordre public et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête. Il fait valoir que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2018, le syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac, d'autre part, le ministre de l'intérieur, la commune de Sainte-Rose et le syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 7 décembre 2018 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac ;

- Me Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé de reporter la clôture de l'instruction au 10 décembre à 19 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 décembre 2018, par lequel le syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 décembre 2018, par lequel la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac conclut au mêmes fins que sa requête et à ce que l'intervention du syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe ne soit pas admise ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un jugement du 4 juin 2015, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a autorisé la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac à procéder à l'enlèvement des clôtures, pancartes et balustrades édifiées sur des parcelles lui appartenant par des exploitants agricoles se réclamant du " Collectif de l'Ouest de Sainte-Rose " et a interdit aux membres de cette association de pénétrer sur ces parcelles ; que, le 8 septembre 2015, la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac a sollicité le concours de la force publique en vue de procéder à l'exécution de ce jugement ; que, du silence gardé par l'administration pendant deux mois sur cette demande, est née une décision implicite de rejet ; que les diverses tentatives de la société pour assurer elle-même l'exécution du jugement se sont traduites par des incidents parfois violents opposant ses représentants à des personnes se réclamant de l'association " Collectif de l'Ouest de Sainte-Rose ", puis du syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe ; que, par une ordonnance du 12 juillet 2017, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au préfet de la Guadeloupe d'accorder le concours des forces de l'ordre à la société dans un délai de huit jours, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ; que, par une ordonnance du 26 juin 2018, le président du tribunal administratif de la Guadeloupe a, d'une part, condamné l'Etat à verser à la société une somme de 102 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 12 juillet 2017 pour la période du 21 juillet 2017 au 26 juin 2018 et, d'autre part, porté à 1 000 euros par jour de retard le taux de l'astreinte à compter du 31 juillet 2018 ; que le concours des forces de l'ordre a été accordé le 17 août 2018 ; que, toutefois, si cette intervention a permis de retirer les clôtures qui interdisaient l'accès aux parcelles de la société, ainsi, plus généralement, que les éléments mentionnés dans l'ordonnance du 8 septembre 2015, elle n'a pas permis de procéder à la démolition des constructions réalisées depuis cette date et non visées par l'ordonnance ; que, de nouveau saisi par la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, par une ordonnance du 12 octobre 2018 a, d'une part, autorisé la société à retirer ou à faire retirer tout ouvrage non expressément autorisé par elle, et, d'autre part, ordonné l'expulsion immédiate des personnes pénétrant sans autorisation sur ces terrains, si besoin avec le concours des forces de l'ordre ; que la société a demandé au préfet, le 17 octobre 2018, le concours de la force publique pour l'exécution de cette ordonnance et, en tout état de cause, d'assurer le maintien de l'ordre et la prévention des infractions ; que, sans attendre l'intervention d'une décision explicite ou implicite de rejet, elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guadeloupe et au maire de Sainte-Rose d'assurer le maintien de l'ordre et la prévention des infractions conformément à leurs missions de police en déployant, pendant une durée de quarante-huit heures, à l'entrée et à la périphérie des parcelles, les forces de l'ordre nécessaires afin que la société puisse procéder à la démolition des ouvrages édifiés irrégulièrement sur ses parcelles ; que, par une ordonnance du 23 novembre 2018 dont la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté cette demande ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de la Guadeloupe a communiqué la requête de la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac à l'avocat du syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe, lequel a produit un mémoire concluant au rejet de la requête ; que ce mémoire a été visé et analysé par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe comme un mémoire en défense ; que, pour rejeter la requête de la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac, le juge des référés s'est fondé sur des éléments de droit et de fait qui n'étaient invoqués que dans le mémoire du syndicat, lequel n'a pas été communiqué à la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac ; qu'ainsi, celle-ci est fondée à soutenir que l'ordonnance a été rendue au terme d'une procédure irrégulière ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac devant le tribunal administratif de la Guadeloupe ;

5. Considérant que la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac fait valoir que le syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe ne justifie pas d'un intérêt suffisant au rejet de ses conclusions et que son intervention n'est, par suite, pas recevable ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, le syndicat s'est vu communiquer la requête de la société et n'a donc pas la qualité d'intervenant ;

6. Considérant que, pour justifier de la condition d'urgence, la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac soutient que l'impossibilité dans laquelle elle se trouve d'exploiter les parcelles concernées, soit environ 30 hectares sur les 280 hectares qu'elle possède, lui cause un préjudice annuel de l'ordre de 90 000 euros, qu'elle doit ensemencer ses terres sans délai si elle veut assurer une récolte en 2019-2020 et que ses représentants sont exposés à des menaces physiques et matérielles à chaque fois qu'ils se déplacent sur les lieux ; que, toutefois, le préjudice subi par la société du fait du refus de concours de la force publique est susceptible d'être réparé tant sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'Etat que, le cas échéant, sur celui de la responsabilité pour faute si ce refus se révélait illégal ; qu'il résulte de ses propres écritures que la période utile pour l'ensemencement des terres en vue d'une récolte en 2019 est achevée et qu'elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses affirmations selon lesquelles il serait urgent de replanter les terres en vue de la récolte de 2020 ; qu'ainsi, aucune circonstance n'impose, à très brève échéance, la présence sur place des représentants de la société ; qu'il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société, qui tend à ce que les forces de l'ordre soient mobilisées durant le temps nécessaire à la complète destruction des ouvrages édifiés sur les parcelles en cause, ne satisfait pas à la condition d'urgence particulière imposée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que sa requête ne peut, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le fin de non recevoir soulevée par le ministre de l'intérieur, qu'être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du même code ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 23 novembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL Compagnie agricole du comté de Lohéac, au ministre de l'intérieur et au syndicat de défense du patrimoine agricole des Iles de la Guadeloupe.

Copie en sera adressée à la commune de Sainte-Rose.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 425622
Date de la décision : 17/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2018, n° 425622
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:425622.20181217
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