LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
DECLARE non admis le pourvoi ;
Condamne la société Allianz aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Allianz ; la condamne à payer à la société Eurial poitouraine et à la société Huguet ingénierie la somme de 2 500 euros à chaque société ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils, pour la société Allianz
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement homologuant le rapport de l'expert judiciaire et, statuant à nouveau, d'avoir condamné la compagnie Allianz, anciennement dénommée AGF, à garantir la société Huguet, sous déduction de la franchise contractuelle de 10%, de sa condamnation au paiement de la somme de 472.793 € au profit de la société Eurial, outre intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2005 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le contrat prévoyait une mise en service de l'installation avant le 28 juin 2002 permettant un transfert total de la fabrication même si la réception définitive, permettant de constater la réalisation définitive des objectifs du cahier des charges, était prévue en septembre ; que dès cette mise en service, la société Huguet devait fournir à son client une installation fonctionnant sans générer les importantes pertes de produits qui ont été constatées ; que si la période antérieure à la réception définitive pouvait donner lieu à des mises au point, en réalité les troubles et vices de l'installation étaient tels qu'ils ont entraîné un dommage qui n'est pas de même nature que le manque de rendement lié au délai nécessaire pour une montée en puissance d'un équipement jusqu'à l'obtention des objectifs fixés contractuellement ; que la société Huguet ne peut donc prétendre exclure du préjudice indemnisable les dommages survenus pendant le mois d'août, qu'elle qualifie de période de mise au point ; qu'il s'ensuit que la cour confirmera le jugement qui a adopté les conclusions de l'expert pour évaluer comme il a fait le préjudice que la société Huguet est tenue de réparer (arrêt p.5) ; que dénier sa garantie, les AGF font valoir qu'en l'espèce ne sont intervenues ni livraison ni réception des travaux, de sorte qu'elles sont fondées à opposer l'exclusion de garantie de la police prévue «pour les dommages survenus avant livraison des produits et/ou réception de travaux» ; que toutefois, la police définit la livraison par l'assuré comme étant «la remise effective à autrui de produits, à titre définitif ou provisoire et même en cas de réserve de propriété, dès lors que cette remise donne au nouveau détenteur le pouvoir d'user desdits produits hors de toute intervention de votre part ou de celle de vos préposés» ; qu'en l'espèce, dès le 5 août 2002, l'installation fournie par la société Huguet était à la libre disposition de la société Eurial qui l'a mise en production ; qu'il n'est pas allégué que son usage était soumis à l'intervention de préposés du fournisseur, alors que des tests avaient été réalisés les jours précédents ; que la livraison au sens de la police était donc intervenue ; qu'il s'ensuit que le moyen soutenu par les AGF qui manque en fait n'est pas fondé ; que cet assureur fait encore valoir qu'après livraison sont exclus les dommages immatériels non consécutifs à des dommages corporels ou matériels sauf s'ils sont la conséquence d'un vice caché ou d'une erreur de livraison d'un produit livré ou d'un travail exécuté apparus après constatation de leur conformité à la commande, fonctionnement adéquat ou obtention des performances requises ; que toutefois s'il est exact que la réception définitive constatant la réalisation des objectifs du cahier des charges, c'est-à-dire la conformité à la commande, n'était pas intervenue, de sorte que les désordres sont apparus avant ce constat, l'exclusion de garantie ne vise que les dommages immatériels non consécutifs à des dommages matériels ; que la police définit les dommages matériels comme «toute destruction, détérioration ou disparition d'une chose ou substance» et «la non-conformité ou l'impropriété à usage des biens : fabriqués ou travaillés par (ou avec) les produits que vous avez livrés» ; qu'en l'espèce, la société Eurial a subi la perte du lait et des fromages travaillés ou fabriqués par l'installation livrée par la société Huguet ; que dès lors, si un préjudice immatériel s'est ajouté à ce préjudice matériel, ce qui n'est pas distingué par l'assureur, il est consécutif à un dommage matériel et ouvre droit à garantie ; qu'enfin les AGF invoquent l'exclusion de garantie prévue au 15° de la police ; que toutefois cette exclusion ne vise pas le dommage causé par l'installation livrée, dont la réparation est demandée en l'espèce, mais le «remboursement du prix ou travaux défectueux» ainsi que «le coût de leur remplacement, réparation, mise au point», qui ne sont pas compris dans le préjudice indemnisé par le premier juge ; que les AGF sont fondées à opposer à la société Eurial la franchise contractuelle de 10% du montant de l'indemnité prévue à la police, mais ne justifient pas de leur prétention de voir appliquer le plafond d'indemnité prévu pour les dommages immatériels non consécutifs, puisqu'en l'espèce, ceux-ci sont consécutifs à des dommages matériels (arrêt p.6).
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE pour évaluer le préjudice en fonction des responsabilités encourues, il a été relevé que parmi 96 dysfonctionnements dont la société Huguet est responsable, 63 ont généré une perte au détriment de la société Eurial, et parmi les 46 imputables à la société Eurial, 34 ont généré une perte restant à la charge de cette dernière ; que le préjudice a été calculé non pas par dysfonctionnement, mais par nature de pertes, en effet, le sapiteur expert comptable que s'était adjoint l'expert judiciaire a indiqué que la comptabilité analytique de l'usine de Luçon ne permettait pas d'apprécier le préjudice par dysfonctionnement ; que les natures des pertes sont les suivantes : déclassements fromages, surconsommation d'énergie, surconsommation de produits chimiques, matière non traitée sur le site, perte de valorisation du sérum, surcoût transport matière, achat raclette, perte de marge sur produits non livrés, pénalités clients ; que certains de ces postes ont fait l'objet d'un traitement particulier ainsi : le surcoût transport, s'agissant du réacheminement du lait collecté par l'usine vers d'autres sites, l'achat de raclette prêt à vendre sur le marché en septembre et octobre 2002, en raison d'une production insuffisante en août et du délai d'affinage de 6 semaines environ, mais aussi la perte de marge sur produits non livrés, s'agissant d'achats effectués par la société Eurial afin de pallier à l'insuffisance de la production pour honorer les commandes reçues et enfin les pénalités clients ; que l'expert a réparti la charge de ces postes au prorata des dysfonctionnements journaliers selon leur imputabilité considérant à juste titre que la société Huguet n'était pas responsable de la totalité des dysfonctionnements ; qu'il a également distingué dans son analyse les dysfonctionnements journaliers selon qu'ils se sont produits pendant la période de mise au point ou hors période constatant le désaccord des parties sur la notion et la durée de «période de mise au point» ; que c'est ainsi qu'il est parvenu à un préjudice évalué à la somme de 309.993 € pour la société Eurial au titre des pertes hors période de mise au point et celle de 162.800 € pendant la période de mise au point, sans tenir compte des pertes enregistrées par la société Eurial relevant de sa propre responsabilité, ressortant à 154.489 € et a évalué à 35.392,50 € le préjudice subi par la société Huguet du fait des dysfonctionnements imputables à la société Eurial ; qu'en comparant ces chiffres avec les écarts de marge (période d'août à décembre 2002 et la période correspondante de 2001) ressortant de la comptabilité analytique de l'usine de Luçon, il a observé que son chiffrage était inférieur à l'écart de marge, soit un écart en défaveur de la société Eurial qui n'élève pourtant aucune critique ; qu'en ce qui concerne la période de mise au point, il est établi que la semaine 31 a été neutralisée puisque réservée à la mise en place du système, et qu'à compter du 5 août 2002, l'installation a été mise en service, impliquant le transfert total des fabrications de l'atelier sur le nouvel outil, et ce, sans que la société Huguet n'élève la moindre contestation ; que si la société Eurial a effectivement adressé sa mise en demeure le 13 août 2002, la société Huguet ne peut sérieusement demander que la semaine 32 soit également neutralisée, en effet, si à cette date la société Eurial a adressé cette mise en demeure à son fournisseur, c'est bien parce qu'elle avait constaté antérieurement des dysfonctionnements, c'est-à-dire pendant la semaine 32 ; que la société Huguet ne peut soutenir que la période de mise en service devait se dérouler sur le mois d'août en entier, d'une part, une telle montée en puissance n'a pas été convenue et, d'autre part, elle est incompatible avec l'activité de la société Eurial qui est une fromagerie industrielle possédant ses propres caves avec hall d'emballage et d'expédition, ce que la société Huguet ne peut ignorer, et qu'il y a bien eu transfert total des fabrications dès le 5 août 2002 sans observations de sa part ; que dans ces conditions, il convient d'homologuer le rapport de l'expert, de fixer le préjudice de la société Eurial à la somme de 472.793 € avec intérêts de droit à compter de l'assignation, de donner acte à la société Eurial de ce qu'elle a déjà perçu la somme de 309.993 € de la société Huguet et de condamner en conséquence la société Huguet à payer la somme de 162.800 € HT restant due à la société Eurial ; que la compagnie AGF considère que le sinistre s'est produit avant livraison soutenant que la réception ne serait caractérisée que dès lors que le client dispose d'une installation conforme à la commande ; que cependant, le contrat d'assurance lui-même définit la réception «comme l'acte par lequel le maître de l'ouvrage accepte avec ou sans réserves, les travaux…ou à défaut le fait qui en tient lieu tel que la prise de possession» ; qu'il est en effet parfaitement établi que la société Eurial a débuté la production industrielle avec son nouvel outil dès le 5 août 2002, ce qui vaut prise de possession, et que ce n'est qu'à compter de cette date qu'il a été constaté des dysfonctionnements, en effet, aucune remarque ou observation n'a été faite pendant la période des tests à l'eau valant réception provisoire ; que la garantie de la compagnie AGF est bien acquise puisque le contrat précise qu'il garantit tous les dommages résultant de la «non-conformité ou l'impropriété à usage de biens» ; que la compagnie AGF ne peut tirer argument de l'absence d'une analyse fonctionnelle et de la prévisibilité des dommages, puisque l'expert a bien relevé que celui-ci avait été réalisé, en cours de chantier certes, mais il en avait résulté une perte de temps (350 heures) restée à la charge de la société Huguet ; que dans ces conditions, il convient de condamner la compagnie AGF à relever la société Huguet ; qu'il convient de dire que la compagnie AGF est également tenue à relever indemne la société Huguet des chefs de condamnations relatifs aux frais d'expertise et aux frais relevant de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que des dépens ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties telles que fixées par leurs conclusions ; que dénature les conclusions écrites d'une partie et méconnaît les termes du litige le juge qui attribue à des écritures un autre contenu que le leur ; qu'en affirmant qu'il «n'est pas allégué que (l')usage de l'installation était encore soumis à l'intervention des préposés» de la société Huguet à partir du 5 août 2002, tandis que la compagnie Allianz avait fait valoir qu'il n'y avait pas eu de réception et/ou de livraison à cette date, car «Eurial n'a pas été mise en mesure d'user du matériel hors l'intervention de la société Huguet»
(conclusions signifiées le 6 mai 2009, p. 5 à 7), compte tenu des dysfonctionnements qui avaient conduit la société Huguet à procéder à des modifications jusqu'au 19 septembre 2002, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que pour retenir que la livraison de l'installation était intervenue au sens de la police d'assurance souscrite par la société Huguet, la cour d'appel a affirmé que cette installation avait été à la libre disposition de la société Eurial le 5 août 2002, car son usage n'avait ensuite plus été soumis à l'intervention de la société Huguet ; qu'en statuant ainsi après avoir confirmé le jugement homologuant le rapport d'expertise dont il résultait que des «dysfonctionnements tout à fait majeurs» étaient apparus dès le début de la mise en service de l'installation le 5 août 2002, bien avant la réception provisoire qui n'avait eu lieu que le 10 octobre 2002 avec des réserves, de sorte que la société Huguet était continuellement intervenue entre ces deux dates, ce qui excluait que la société Eurial ait eu la libre disposition de l'installation, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, le juge doit préciser les éléments de preuve sur lesquels il fonde sa décision ; qu'en affirmant que le préjudice immatériel invoqué était consécutif au préjudice matériel constitué par la perte du lait et des fromages travaillés ou fabriqués par l'installation livrée par la société Huguet, sans préciser sur quels éléments du dossier elle entendait se fonder pour retenir que ces pertes des matières premières étaient caractérisées alors même que l'expert, suivi en cela par le tribunal, avait considéré que ces demandes concernaient un surcoût dans la production du lait et du fromage, la Cour a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, la cour d'appel a affirmé qu'il n'y avait pas lieu de retenir l'exclusion de garantie prévue par la convention spéciale d'assurance, titre III, 15°, au motif que cette exclusion qui portait notamment sur le coût de la mise au point de l'installation ne concernait pas le préjudice indemnisé ; qu'en statuant ainsi tandis qu'elle a retenu un préjudice de la société Eurial s'élevant à 162.800 € au titre la période de mise au point, de sorte que ce préjudice relevait de l'exclusion de garantie relative au coût occasionné au client par la mise au point de l'installation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du Code civil.