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14/03/2017 | FRANCE | N°408334

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 mars 2017, 408334


Vu la procédure suivante :

M. F...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 janvier 2017 supprimant son indemnité spécifique de service et, d'autre part, d'enjoindre au maire de Cluny de faire cesser le harcèlement moral dont il s'estime victime et de prendre les mesures nécessaires afin qu'il retrouve la plénitude de ses fonctions. Par une ordonnance n° 1700315 du 8 février 2017, le juge des réfÃ

©rés du tribunal administratif de Dijon a enjoint à la commune de Clun...

Vu la procédure suivante :

M. F...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 janvier 2017 supprimant son indemnité spécifique de service et, d'autre part, d'enjoindre au maire de Cluny de faire cesser le harcèlement moral dont il s'estime victime et de prendre les mesures nécessaires afin qu'il retrouve la plénitude de ses fonctions. Par une ordonnance n° 1700315 du 8 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a enjoint à la commune de Cluny de mettre en oeuvre, dans un délai de quarante-huit heures, tous les moyens humains et matériels afin de permettre à M. F... d'exercer ses fonctions d'ingénieur territorial correspondant à son cadre d'emplois, mis à la charge de la commune la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 et 24 février 2017 et le 7 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Cluny demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions correspondantes présentées en première instance par M. F... ;

3°) de mettre à la charge de M. F...la somme de 3 000 euros au titre de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée a été rendue en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 5 du code de justice administrative dès lors que, d'une part, la notification par courrier recommandé de la requête présentée le 6 février 2017 par M. F...n'a été effectuée que le 8 février, alors que l'audience avait déjà commencé, l'envoi de cette requête par télécopie le 7 février n'ayant jamais été reçu, et, d'autre part, le délai imparti pour répondre était, en tout état de cause, manifestement insuffisant au regard du principe du contradictoire ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en ce qu'elle conclut que M. F...s'est trouvé dans une situation de harcèlement moral alors que les changements de l'organisation des services qui ont pu l'affecter ne sont que la conséquence de sa manière de servir et de son comportement d'opposition permanente, critiqués depuis longtemps par ses employeurs successifs, que les erreurs qu'il a commises en matière de commande publique sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'autorité territoriale, qu'il est affecté à un emploi correspondant à son grade, qu'il dispose de conditions matérielles nécessaires à l'exercice de ses fonctions et que la diminution de sa prime découle de la réforme du régime indemnitaire de tous les agents communaux décidée par le conseil municipal du 16 décembre 2016, qui a conduit à ce que son indemnité spécifique de service soit remplacée par une prime de service et de rendement qui tient compte de sa manière de servir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2017, M. F...conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Cluny au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Cluny, d'autre part, M.F... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 8 mars 2017 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Hourdeaux, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la commune de Cluny ;

- le maire de la commune de Cluny ;

- Me Odent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. F... ;

- la représentante de M. F...;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un agent une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

3. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 15 décembre 1994, M. F... a été recruté par la commune de Cluny en qualité de technicien territorial. Alors qu'il était devenu responsable des services techniques de la commune, et chargé à ce titre de l'encadrement d'une vingtaine d'agents, M. F...a été promu au grade d'ingénieur par un arrêté du 1er avril 2009. Après un avis favorable rendu le 15 décembre 2010 à l'unanimité du comité technique paritaire, les services techniques de la commune ont été réorganisés en deux pôles : un pôle " grands projets ", chargé des travaux neufs et de la réhabilitation, à la tête duquel M. F...a été nommé à compter du 1er janvier 2011, et un pôle " centre technique municipal ", chargé des travaux de maintenance, tous deux rattachés à la direction générale des services, sans qu'aucun n'ait d'autorité sur l'autre. A l'issue de cette réorganisation, M. F..., s'il pouvait toujours, pour mener à bien sa mission, faire appel en tant que de besoin aux services de la commune, en particulier le service marchés publics et le service comptabilité, avait perdu toute autorité sur les équipes techniques, seule une secrétaire à temps partiel lui étant affectée. Le 27 décembre 2010, M. F...a demandé au maire, M. D..., de revenir sur cette réorganisation des services techniques. Saisi par M. F...d'un recours contre le refus du maire de faire droit à cette demande, le tribunal administratif de Dijon a, par un jugement du 2 avril 2013, d'une part, annulé ce refus, en jugeant qu'eu égard à l'importante modification de la situation de l'intéressé, son changement d'affectation ne pouvait intervenir sans que la commission administrative paritaire ait été appelée à donner son avis, d'autre part, enjoint à la commune de réexaminer la situation de M. F...dans un délai de deux mois. Par une délibération du 24 avril 2013, le conseil municipal a confirmé que la réorganisation des services techniques avait en réalité conduit à la création de deux services distincts. Réunie le 11 juin 2013, la commission administrative paritaire a émis, à l'unanimité moins une abstention, un avis favorable à la modification, à compter du 1er juillet 2013, de la situation individuelle de M. F...découlant de cette réorganisation. A la suite des élections municipales de mars 2014, le nouveau maire, M.A..., a soumis au comité technique paritaire réuni le 1er juillet 2014 un projet de réorganisation des services techniques, autour d'un service chargé des grands projets, comprenant la voirie et les bâtiments, et un service chargé des espaces verts et de l'événementiel. Il ressort des pièces du dossier et des explications fournies au cours de l'audience que M.A..., maire de la commune, qui avait dans un premier temps eu pour intention d'accéder à la demande de M. F...d'être placé à la tête du premier de ces deux services, s'est ravisé devant l'opposition unanime du comité technique paritaire, les agents ayant déjà travaillé sous l'autorité de l'ingénieur, ayant, au cours de la séance, dénoncé son " mépris " et son " manque de respect de la hiérarchie ". Par une lettre adressée le 28 juillet 2014 à M. F..., le maire lui a confirmé qu'il ne pouvait réserver une suite favorable à son souhait de revenir à la tête du service " Bâtiments et voiries " du centre technique municipal, et qu'il ne pouvait pas non plus faire droit à sa demande de nomination au grade d'ingénieur principal, la commune n'ayant pas les moyens financiers de supporter le coût qu'une telle promotion implique. Le comité technique paritaire du 1er décembre 2014 a rendu un avis favorable à une réorganisation des services techniques municipaux, dirigés par M.G..., en deux pôles : un pôle voirie, espaces verts, propreté et équipements urbains, placé sous la responsabilité de M. C..., et un pôle bâtiments et événementiels, placé sous la responsabilité de M. H.... Le comité a également entériné le nouvel intitulé du poste de M.F..., " direction études et travaux ". La fiche de poste précisait que le directeur, placé sous l'autorité du directeur général des services, était chargé de la mise en oeuvre des actions décidées par les élus, en termes de projets et travaux neufs et de réhabilitation, de la réalisation des études de faisabilité, de l'analyse des besoins et de la rédaction des cahiers des charges, enfin de la maîtrise d'oeuvre dans les cadres juridiques adaptés. Le 17 octobre 2015, l'avocat de M. F...a appelé l'attention du maire de la commune de Cluny sur la situation professionnelle de l'intéressé, en demandant qu'il lui soit confié des missions en rapport avec son grade. Le compte-rendu de l'entretien professionnel annuel qui s'est déroulé le 25 novembre 2015 fait état d'une adaptation difficile de M. F...avec la nouvelle équipe municipale, de son implication insuffisante dans le travail et de ses qualités relationnelles " délicates ". Ce document souligne la nécessité pour l'intéressé de se " remotiver dans une fonction essentielle pour la commune ", comprenant notamment la constitution des dossiers de préparation de l'agenda d'accessibilité programmée concernant tous les bâtiments publics de la commune. Le 5 février 2016, l'avocat de M. F... a sollicité pour son client le bénéfice de la protection fonctionnelle puis, le 9 février 2016, une indemnisation de 10 000 euros au titre du préjudice moral. Le 1er mars 2016, la nouvelle directrice générale des services, MmeB..., a rencontré M.F..., le jour même de sa prise de poste, pour discuter avec lui du contour de ses missions. Elle lui a rappelé par écrit, à la suite de cet entretien, qu'il était notamment chargé de la préparation des dossiers relatifs à l'agenda d'accessibilité programmée. Un rapport adressé au maire le 20 mai 2016 par le responsable des services techniques a mis en lumière une carence majeure de M. F...dans la supervision des travaux d'assainissement qui avaient été réalisés dans la commune en 2012. Le 23 mai 2016, la directrice générale des services a adressé au maire de la commune un rapport relatif aux difficultés découlant du refus de M. F...d'exercer les missions qui lui étaient confiées ainsi qu'à des manquements professionnels récurrents. Il était notamment souligné, d'une part, que l'ingénieur ne respectait pas les règles de la commande publique, dans des conditions exposant l'autorité territoriale à un risque de responsabilité pénale, et, d'autre part, que l'étude qui avait été réalisée par M. F...sur la réhabilitation de l'ancienne école abbatiale comportait des erreurs majeures ayant entraîné des surcoûts de travaux importants, dans le cadre d'avenants au contrat initial sur la régularité desquels le préfet avait appelé l'attention du maire. Mme B...concluait que M. F...n'affichait pas les compétences requises pour un ingénieur de catégorie A, manquant de rigueur, d'implication et de sérieux. Dans ces conditions, le maire a, d'une part, engagé à l'encontre de M. F...une procédure disciplinaire pour manquements professionnels et comportement inadapté, qui a conduit au prononcé d'un blâme le 30 septembre 2016, et, d'autre part, décidé de muter l'intéressé dans l'intérêt du service, à compter du 5 septembre 2016, sous la responsabilité du directeur des services techniques de la commune, M.G....

4. Il ressort de tous ces éléments que depuis la réorganisation des services techniques de la commune, décidée en décembre 2010 sous l'ancienne équipe municipale, en raison notamment des difficultés relationnelles persistantes de M. F...avec les agents qu'il encadrait, l'intéressé n'exerce plus d'autorité sur aucun agent municipal, à l'exception d'une secrétaire à mi-temps. Néanmoins, les directeurs généraux des services successifs ont, avec l'accord du maire M. D...puis de son successeur M.A..., confié à M.F..., qui leur était directement rattaché, des fonctions en rapport avec son grade d'ingénieur territorial. C'est le manque de diligence de l'intéressé dans l'exercice de ses fonctions et la découverte, au mois de mai 2016, de graves manquements professionnels ayant justifié une sanction disciplinaire qui ont conduit M.A..., tout en continuant de confier à M. F...des missions en rapport avec son grade, à le placer sous l'autorité hiérarchique du directeur des services techniques, agent de catégorie B qui lui a demandé, comme à tous les agents placés sous sa responsabilité, de lui rendre compte avec précision de la nature de ses activités. Si M. F... se plaint de s'être vu attribuer à cette occasion un bureau de 12 m² donnant directement sur un réfectoire, il ressort des pièces du dossier que ce bureau, spécialement aménagé pour lui, qui donne sur une salle de réunion et dont l'intéressé a pu choisir le mobilier et le matériel, est d'une taille supérieure à celle des bureaux du maire, de la directrice générale des services et des chefs de services du centre technique municipal, le directeur des services techniques partageant lui-même un bureau de 24 m² avec deux autres personnes. Enfin, la diminution de 1 000 euros de la prime versée à M. F...résulte directement de la réforme du régime indemnitaire de tous les agents de la commune de Cluny, décidée le 16 décembre 2016 par le conseil municipal, qui a conduit au remplacement de son indemnité spécifique de service par une prime de service et de rendement, laquelle tient compte de sa manière de servir. Ces éléments, considérés individuellement ou ensemble, ne sont pas de nature à caractériser un harcèlement moral dont M. F...serait victime de la part du maire et des services de la commune de Cluny, ni, par suite, l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégal au droit de l'intéressé de ne pas être soumis à un harcèlement moral.

5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la commune de Cluny est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er et 2 de l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon lui a enjoint de mettre en oeuvre, dans un délai de quarante-huit heures, tous les moyens humains et matériels afin de permettre à M. F... d'exercer ses fonctions d'ingénieur territorial correspondant à son cadre d'emplois et l'a condamnée à verser à l'intéressé une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Cluny, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F...une somme de 1 000 euros à verser à la commune de Cluny en application de ces dispositions.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'ordonnance du 8 février 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Dijon sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. F...devant le juge des référés du tribunal administratif de Dijon et ses conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : M. F...versera à la commune de Cluny la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Cluny et à M. E...F....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 408334
Date de la décision : 14/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 mar. 2017, n° 408334
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUTET-HOURDEAUX ; SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:408334.20170314
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