LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 25 juin 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, présidente
Arrêt n° 456 FS-B
Pourvoi n° S 24-10.875
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 JUIN 2025
M. [H] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 24-10.875 contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 10), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société RM auto, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Mega boîte automatique, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseillère référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [V], de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société RM auto, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Mega boîte automatique, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocate générale, après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, Mme Kass-Danno, conseillère référendaire rapporteure, Mme Duval-Arnould, conseillère doyenne, MM. Jessel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus, Dumas, conseillères référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocate générale, et Mme Ben Belkacem, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 novembre 2023), M. [V] a acquis auprès de la société RM auto (le vendeur) un véhicule d'occasion, commandé le 31 décembre 2014, révisé par la société Mega boîte automatique (le garagiste) et livré le 13 janvier 2015.
2. Le 9 mars 2015, à la suite d'une anomalie, le véhicule a été confié au garagiste aux fins de réparation et celui-ci a proposé le remplacement de plusieurs pièces et commandé à cet effet un joint d'échangeur d'huile.
3. Le 13 mars 2015, le véhicule, récupéré à la demande de M. [V], en l'absence de réception à cette date du joint commandé, après un renforcement du joint défaillant au moyen de l'application d'une pâte, a subi une panne consécutive au défaut d'étanchéité du joint.
4. Le 19 janvier 2016, après avoir fait réaliser une expertise amiable et obtenu une expertise en référé, M. [V] a assigné en responsabilité et indemnisation le garagiste ainsi que le vendeur sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
1. M. [V] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre le vendeur, alors :
« 1°/ que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ; que la cour d'appel, reprenant les constats de l'expert judiciaire, a relevé que le véhicule de M. [V] « était affecté de désordres « relatifs à une étanchéité défaillante entre le bloc moteur et le radiateur d'huile » » et que « ce défaut d'étanchéité « était en germe au moment de la vente du 13 janvier 2015 au kilométrage 261 986 » », sans être décelable par l'acquéreur ; qu'en écartant néanmoins l'existence d'un vice caché, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1641 du code civil ;
2°/ que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ; qu'en relevant que l'expert judiciaire s'était placé au jour de son expertise et non de la vente ou de l'apparition du désordre pour retenir que le véhicule était impropre à l'usage auquel il était destiné, sans rechercher si, préalablement à l'intervention du garagiste, et alors que le véhicule avait déjà dû être immobilisé en raison de son état nécessitant une réparation, les défauts ne rendaient pas le véhicule impropre à l'usage auquel on le destinait ou ne diminuaient pas tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du code civil. »
Réponse de la Cour
2. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et après avoir retenu que, si le désordre consécutif à une étanchéité défaillante entre le bloc moteur et le radiateur d'huile était en germe au moment de la vente, l'expert n'avait pu préciser s'il était décelable et avait relevé que l'usure du joint n'était pas anormale au regard de l'ancienneté du véhicule, mis en circulation à la fin de l'année 2007 et comptant 261 960 kilomètres au compteur, et que l'intéressé avait pu parcourir plus de 1 000 kilomètres après son achat, que la cour d'appel a estimé que M. [V] n'établissait pas l'existence d'un vice caché, antérieur à la vente, rendant le véhicule impropre à sa destination.
3. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [V] fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation du garagiste à lui payer certaines sommes au titre de ses frais de réparation, de son préjudice matériel et de son préjudice de jouissance, sur le fondement d'un manquement à son devoir d'information et de conseil , alors « que la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées est engagée en cas de faute ; que dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l'existence d'une faute et celle d'un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le comportement de M. [V], qui avait demandé à récupérer sa voiture avant qu'une réparation complète ait pu être effectuée, était de nature à exonérer le garagiste, seul le manquement de ce dernier à son obligation d'information et de conseil empêchant que cette exonération soit totale ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle avait retenu que le garagiste avait procédé à une réparation temporaire non conforme aux règles de l'art, ce dont il résultait qu'il avait commis une faute, en lien avec les désordres, engageant sa responsabilité au titre de la réalisation fautive de sa prestation de réparation et pas seulement au titre de son obligation d'information et de conseil, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Il résulte de ce texte, d'une part, que la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées est engagée en cas de faute, d'autre part, que caractérise une faute l'exécution par le garagiste d'une réparation non conforme aux règles de l'art, même à la demande de son client.
6. Pour limiter la condamnation du garagiste à certaines sommes au titre d'un manquement à son obligation d'information et de conseil et écarter l'existence d'une faute du garagiste ayant procédé au renforcement du joint, l'arrêt retient qu'en exigeant la restitution de son véhicule alors qu'il avait été informé que le joint n'avait pu être remplacé, M. [V] avait empêché le garagiste d'exécuter sa pleine prestation et l'avait contraint à faire une réparation temporaire non conforme aux règles de l'art, contribuant ainsi à son propre dommage.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
8. M. [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que ne commet pas de faute le client qui demande à récupérer temporairement sa voiture après une réparation provisoire, dans l'attente de la réparation définitive, dès lors qu'il n'a pas été informé du caractère inefficace de cette réparation provisoire et des risques pouvant en résulter ; qu'en l'espèce, pour exonérer partiellement le garagiste de sa responsabilité, la cour d'appel a retenu que M. [V] avait, par son insistance à vouloir récupérer son véhicule avant le week-end, "empêché le garagiste ¿ qui avait posé le bon diagnostic et prévu à bon escient le remplacement de quatre joints ¿ d'exécuter sa pleine prestation et l'a[vait] contraint à effectuer une réparation temporaire non conforme aux règles de l'art, contribuant ainsi à son propre dommage" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait que "si M. [V] avait connaissance du caractère temporaire de la réparation par pâte à joint effectuée, il n'a[vait] pas été informé de son caractère inefficace et de ses risques", circonstance exclusive de toute faute de sa part, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. Il résulte de ce texte, que, si une faute du client peut exonérer partiellement le garagiste de sa responsabilité, ne saurait caractériser une telle faute le fait pour le client de solliciter une réparation provisoire qui ne serait pas conforme aux règles de l'art.
10. Pour limiter la condamnation du garagiste à certaines sommes au titre d'un manquement à son obligation d'information et de conseil et retenir l'existence d'une faute de M. [V], l'arrêt retient qu'en exigeant la restitution de son véhicule alors qu'il avait été informé que le joint n'avait pu être remplacé, M. [V] avait empêché le garagiste d'exécuter sa pleine prestation et l'avait contraint à faire une réparation temporaire non conforme aux règles de l'art, contribuant ainsi à son propre dommage.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur les deuxième et troisième moyens, pris en leur seconde branche, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
12. Par son deuxième moyen, M. [V] fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation du garagiste au titre de la réparation de son préjudice matériel, alors « que, pour limiter l'indemnisation des préjudices matériels liés à l'immobilisation du véhicule à une période de quatre mois et demi prenant fin le 29 juillet 2015, date du dépôt d'un rapport d'expertise amiable, la cour d'appel a estimé qu'à compter de cette date, les travaux de réparation pouvaient être entrepris ; qu'en statuant ainsi cependant que devaient être prises en compte, au titre du préjudice, les périodes d'immobilisation du véhicule liées à la durée d'une part de l'expertise judiciaire, laquelle nécessitait l'examen du véhicule par l'expert, et d'autre part des procédures judiciaires, la question de l'indemnisation du préjudice, permettant la réparation du véhicule, n'étant pas encore tranchée, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale du préjudice. »
13. Par son troisième moyen, M. [V] fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation du garagiste au titre de la réparation de son préjudice de jouissance, alors « que, pour limiter l'indemnisation du préjudice de jouissance à une période de quatre mois et demi prenant fin le 29 juillet 2015, date du dépôt d'un rapport d'expertise amiable, la cour d'appel a estimé qu'à compter de cette date, les travaux de réparation pouvaient être entrepris ; qu'en statuant ainsi cependant que devaient être prises en compte, au titre du préjudice, les périodes d'immobilisation du véhicule liées à la durée d'une part de l'expertise judiciaire, laquelle nécessitait l'examen du véhicule par l'expert, et d'autre part des procédures judiciaires, la question de l'indemnisation du préjudice, permettant la réparation du véhicule, n'étant pas encore tranchée, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale du préjudice. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe d'une réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime :
14. Il résulte de ce texte et de ce principe que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable.
15. Pour limiter la condamnation du garagiste au titre des préjudices matériels et de jouissance imputables à ses manquements sur une période de quatre mois et demi, du 13 janvier 2015 au 29 juillet 2015, date du dépôt d'un rapport d'expertise amiable, l'arrêt retient que M. [V] ne peut imputer au garagiste l'immobilisation de son véhicule au-delà de cette date à laquelle les travaux de reprise avaient été évalués et pouvaient être entrepris, alors qu'il a attendu plus de six mois pour saisir le juge des référés d'une demande d'expertise judiciaire et plus d'un an, après le dépôt du rapport, pour saisir le tribunal au fond.
16. En statuant ainsi, sans prendre en compte les périodes d'immobilisation du véhicule liées à la durée de l'expertise judiciaire et de la procédure judiciaire pour qu'il soit statué sur les responsabilités et l'indemnisation, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [V] de ses demandes présentées contre la société RM auto et en ce qu'il fait droit à sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Mega boîte automatique et RM auto aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Mega boîte automatique et RM auto et condamne la société Mega boîte automatique à payer à M. [V] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.