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23/05/2024 | FRANCE | N°493922

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 23 mai 2024, 493922


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de la décision du 13 mars 2024 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins l'a suspendu de son droit d'exercer la médecine générale pour une durée de trois mois ;



2°) de me

ttre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 500 euros au titre...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 13 mars 2024 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins l'a suspendu de son droit d'exercer la médecine générale pour une durée de trois mois ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, lui et son épouse se voient privés de tous revenus, en deuxième lieu, la décision du Conseil national de l'ordre des médecins affecte sa réputation et, en dernier lieu, elle porte atteinte à l'intérêt de ses patients privés de prise en charge continue, dans une zone du département de la Loire-Atlantique où les praticiens sont peu nombreux ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière en ce que, d'une part, elle n'a pas été adoptée dans un délai raisonnable dès lors qu'elle se base sur une saisine datant de 2018 et, d'autre part, elle n'est pas fondée sur une expertise ou un procès-verbal de carence réguliers ;

- elle méconnaît l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique en ce que, d'une part, elle confond une mesure d'expertise complémentaire et une mesure de suspension et, d'autre part, elle ne justifie pas d'une insuffisance professionnelle à la date de la décision attaquée et que la mesure prise est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2024, le Conseil national de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., et d'autre part, le Conseil national de l'ordre des médecins ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 mai 2024, à 11 heures :

- Me Bardoul, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- M. B... ;

- Me Matuchansky, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique : " I. - En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional ou interrégional est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. / II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional dans les conditions suivantes : / 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. Ce dernier est choisi parmi les personnels enseignants et hospitaliers titulaires de la spécialité. Pour la médecine générale, le troisième expert est choisi parmi les personnels enseignants titulaires ou les professeurs associés ou maîtres de conférences associés des universités (...) / /III. En cas de carence de l'intéressé lors de la désignation du premier expert ou de désaccord des deux experts lors de la désignation du troisième, la désignation est faite à la demande du conseil par ordonnance du président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se trouve la résidence professionnelle de l'intéressé. Cette demande est dispensée de ministère d'avocat. / IV. - Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique (...) / V. - Si l'intéressé ne se présente pas à la convocation fixée par les experts, une seconde convocation lui est adressée. En cas d'absence de l'intéressé aux deux convocations, les experts établissent un rapport de carence à l'intention du conseil régional ou interrégional, qui peut alors suspendre le praticien pour présomption d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession (...) / VI. - Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une plainte que lui a adressée l'Assurance maladie visant le docteur B..., médecin qualifié en médecine général, au motif qu'il prescrirait avec une grande fréquence des antibiotiques et des analyses biologiques et poserait des diagnostics " lourds " sans élément de preuve, le conseil départemental de la Loire-Atlantique de l'ordre des médecins a le 8 novembre 2018, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, saisi le conseil régional des Pays de la Loire de cet ordre d'une demande de suspension du droit d'exercice de M. B.... Le Conseil national de l'ordre des médecins, auquel le dossier avait été transmis le 25 mars 2019 par le conseil régional en application des dispositions du VI de l'article R. 4123-4-5 du code de la santé publique citées ci-dessus, a déclaré le 16 avril 2019 une première expertise irrégulière et décidé la réalisation d'une nouvelle expertise. L'expert désigné par M. B... n'ayant pu assurer sa mission, l'expertise prévue au mois de juillet 2019 a été annulée. Au mois d'août 2021, le président du tribunal judiciaire a désigné un expert pour M. B..., expert qui s'est désisté au mois de septembre 2023. Un nouvel expert ayant été désigné par le président du tribunal judiciaire, M. B... a successivement été convoqué à deux réunions d'expertise le 28 novembre 2023 et le 9 janvier 2024, auxquelles il a justifié ne pouvoir se rendre, la première pour un motif médical, la seconde en raison de l'assistance qu'il portait à sa sœur décédée quelques jours plus tard. Au vu du procès-verbal de carence de l'expertise établi le 15 janvier 2024 par les experts, le Conseil national de l'ordre des médecins statuant en formation restreinte a, par une décision du 13 mars 2024 dont M. B... demande au juge des référés d'ordonner la suspension, suspendu ce dernier du droit d'exercer la médecine pour présomption d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession jusqu'à la constatation de son aptitude par une expertise effectuée dans les conditions prévues à l'article R. 4124-3-5 cité ci-dessus.

4. En premier lieu, d'une part, M. B... établit que l'exécution de la décision litigieuse, qui lui interdit d'exercer son activité professionnelle pour une durée de trois mois mais subordonne la reprise de son activité " aux résultats d'une expertise qui sera réalisée par des experts, dans les conditions fixées à l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique ", condition qui aura pour effet de prolonger la durée de la suspension au-delà du délai de trois mois, préjudicie de manière grave à ses intérêts en le privant pendant une durée indéterminée de la seule source de revenus dont lui et son épouse, qui est également employée de son cabinet, disposent. D'autre part, si le Conseil national de l'ordre des médecins soutient que la poursuite de l'exercice de sa profession par M. B... risque de porter atteinte à l'intérêt général qui s'attache au respect des exigences de la santé publique et de la sécurité des patients, il ressort tant des pièces du dossier que des débats à l'audience que les seuls faits qui justifient la présomption d'insuffisance professionnelle sont ceux figurant dans la saisine du conseil départemental de l'ordre des médecins, qui datent de 2014-2015 et que le docteur B..., qui n'a jamais cessé d'exercer la médecine générale dans les mêmes conditions et qui affirme sans être contredit avoir suivi de nombreuses formations, n'a fait l'objet d'aucune plainte de patients ni d'aucun signalement de l'Assurance maladie au cours des presque dix années qui se sont écoulées depuis ces faits. Dans ces conditions, le Conseil national de l'ordre, qui n'apporte aucun élément postérieur à ces faits de nature à établir l'insuffisance professionnelle du docteur B... et ne fournit aucune explication sur son absence de diligence, entre 2019 et 2023, à instruire la demande de suspension dont il avait été saisi en organisant une expertise, ne peut sérieusement soutenir que la poursuite de l'activité de M. B... présenterait un danger pour la santé de ses patients. La condition d'urgence doit, par suite, être regardée comme remplie.

5. En second lieu, le moyen tiré de ce que le Conseil national de l'ordre des médecins a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2 en prononçant la suspension de M. B... pour présomption d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession alors, d'une part, que son absence aux deux convocations qui lui ont été adressées était justifiée par des motifs légitimes, d'autre part, que l'ancienneté des faits qui lui sont reprochés et l'absence de tout autre élément propre à caractériser une insuffisance professionnelle au cours des presque dix années s'étant écoulées depuis ces faits est de nature à infirmer la présomption d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse.

6. Il résulte de tout ce qui précède que doit être suspendue l'exécution de la décision du 13 mars 2024 du Conseil national de l'ordre des médecins suspendant M. B... du droit d'exercer la médecine générale pour une durée de trois mois et subordonnant la reprise de son activité aux résultats d'une expertise.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision du Conseil national de l'ordre des médecins du 13 mars 2024 suspendant M. B... du droit d'exercer la médecine générale est suspendue.

Article 2 : Le Conseil national des médecins versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.

Fait à Paris, le 23 mai 2024

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 493922
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 mai. 2024, n° 493922
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX ; BARDOUL

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493922.20240523
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