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03/02/2025 | FRANCE | N°500007

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 03 février 2025, 500007


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 décembre 2024 et le 28 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Valobat demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) à titre principal, de suspendre l'exécution, d'une part, du second alinéa de l'article 2 de l'arrêté du 3 juillet 2024 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires modifiant

les cahiers des charges des éco-organismes et des organismes coordinateurs de la fil...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 décembre 2024 et le 28 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Valobat demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution, d'une part, du second alinéa de l'article 2 de l'arrêté du 3 juillet 2024 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires modifiant les cahiers des charges des éco-organismes et des organismes coordinateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment annexé à l'arrêté ministériel du 10 juin 2022 et, d'autre part, de la décision implicite de rejet de son recours gracieux dirigé contre cette disposition ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'arrêté dans toutes ses dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'article 2 de l'arrêté porte une atteinte grave et immédiate au fonctionnement de la filière de responsabilité élargie du producteur des produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) en mutualisant la charge de l'abattement obligatoire des éco-contributions qu'il institue, et en particulier à sa situation financière, en ce que la mise à jour des formules d'équilibrage à cette fin la conduirait à la cessation de paiements à partir de juin 2025 ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du second alinéa de l'article 2 de l'arrêté ;

- l'arrêté litigieux a été adopté au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédé par la consultation de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-2 du code de commerce, alors qu'il se situe dans son champ d'application en ce que, d'une part, il institue un régime nouveau et, d'autre part, il a pour effet d'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ;

- il est entaché d'incompétence négative et, à tout le moins, d'une erreur de droit, en ce qu'il prescrit à l'organisme coordonnateur agréé pour la filière bâtiment (OCAB) de procéder à une refonte complète des formules d'équilibrage, alors que la définition des règles d'équilibrage relève du pouvoir réglementaire ;

- il est entaché d'une erreur de droit comme apportant une restriction dépourvue de fondement légal et disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie en ce que, en premier lieu, les éco-organismes seront contraints, pour fixer leur barème pour les produits et matériaux concernés, par les choix des autres éco-organismes s'agissant du niveau de l'abattement pratiqué ; en deuxième lieu, le mécanisme d'équilibrage gommera les bénéfices de la concurrence entre éco-organismes ce qui portera atteinte à la liberté des producteurs adhérents de contracter avec l'organisme le plus efficace ; en troisième lieu, aucune disposition du code de l'environnement ne prévoit de restriction à la liberté d'entreprendre des éco-organismes et de leurs adhérents par le biais d'un mécanisme d'équilibrage des recettes étendu à l'ensemble de la filière ; en quatrième lieu, l'objectif poursuivi par ce mécanisme n'est justifié ni par l'intérêt général, ni par des exigences constitutionnelles puisqu'il vient uniquement pallier les stratégies commerciales défaillantes des éco-organismes les moins diversifiés ; en dernier lieu, la mise en place de ce mécanisme d'équilibrage est disproportionnée au regard de l'objectif qu'elle poursuit puisque l'abattement est suffisant pour soutenir, ainsi qu'il est légitime de le faire, les produits dont les taux de valorisation des déchets sont supérieurs au taux moyen ;

- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il porte atteinte au principe de libre concurrence en imposant un nouveau mécanisme d'équilibrage de nature à affecter durablement le fonctionnement économique de la filière, d'une part, entre éco-organismes puisque, en premier lieu, le mécanisme d'équilibrage augmentera de manière indue les coûts supportés par les éco-organismes financeurs qui devront compenser les stratégies commerciales défaillantes de leurs concurrents ; en deuxième lieu, ce mécanisme porte atteinte à la libre fixation des prix en décorrélant la politique tarifaire des éco-organismes de leurs coûts de gestion des déchets pour s'adapter à la stratégie de leurs concurrents ; en troisième lieu, le mécanisme instauré est contraire aux dispositions du code de l'environnement qui prévoit que chaque éco-organisme doit assurer le respect de ses obligations grâce aux seules écocontributions de ses adhérents ; en dernier lieu, les organismes adhérents n'auront plus la liberté de choisir leur éco-organisme et devront financer, par leurs écocontributions, la réduction d'écocontribution de leurs concurrents au sein d'autres éco-organismes ;

- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il favorise les ententes illégales entre éco-organismes dès lors que, d'une part, il instaure un système de péréquation entre éco-organismes concurrents qui gommera les avantages comparatifs des organismes plus efficaces et, d'autre part, sa mise en œuvre impliquera nécessairement un échange d'informations anticoncurrentiel entre éco-organismes concurrents, notamment eu égard à la nécessité pour l'OCAB de définir des formules d'équilibrage qui appellent une vision globale des budgets, charges et coûts de la filière ;

- le ministre a méconnu le principe de sécurité juridique en prévoyant la mise à jour des formules d'équilibrage par l'OCAB dans un délai de deux mois suivant la publication de l'arrêté sans mesures transitoires suffisantes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2025, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 28 janvier 2025, la société Ecomaison conclut au rejet de la requête. Elle soutient que son intervention est recevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;

- le décret n° 2021-1941 du 31 décembre 2021 ;

- l'arrêté du 10 juin 2022 portant cahier des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Valobat, et d'autre part, la ministre de la transition écologique de la biodiversité de la forêt de la mer et de la pêche et la société Ecomaison ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 janvier 2025, à 11 heures :

- Me Mégret, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Valobat ;

- les représentants de la société Valobat ;

- les représentants de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ;

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Ecomaison ;

- les représentants de la société Ecomaison ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de la société Ecomaison :

1. La société Ecomaison a intérêt au maintien de l'arrêté contesté et est intervenue en défense dans l'instance au fond introduite par la société Valobat pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la requête en référé :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. " La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 541-10 du code de l'environnement qu'" en application du principe de responsabilité élargie du producteur, il peut être fait obligation à toute personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication, dite producteur (...), de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent ". Le I du même article prévoit la possibilité pour les producteurs de mettre en place des structures collectives, dites " éco-organismes ", dont ils assurent la gouvernance et auxquelles " ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière ". Dans ce cadre, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a prévu la mise en place d'une filière de responsabilité élargie du producteur pour les produits et les matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) à compter de 2022. Aux termes de l'article R. 543-290-12 du code de l'environnement : " Lorsque plusieurs éco-organismes sont agréés pour les produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment, y compris pour des catégories différentes de produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment, ces éco-organismes mettent en place un organisme coordonnateur (...) ". Les cahiers des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des PMCB ont été fixés par un arrêté du 10 juin 2022. Ainsi qu'il résulte du chapitre 4 de l'annexe III de cet arrêté, l'organisme coordonnateur est notamment chargé de répartir les obligations de collecte des déchets de PMCB dans le cadre du service public de gestion des déchets soit en recourant à un équilibrage financier, soit par une répartition des zones géographiques du territoire national sur lesquelles chacun des éco-organismes est tenu d'assurer la prise en charge des coûts de collecte des déchets de PMCB supportés par les collectivités ainsi que la reprise des déchets de PMCB ainsi collectés assortie en tant que de besoin d'un équilibrage financier. Aux termes du chapitre 5 de l'annexe III du même arrêté, l'organisme coordonnateur met également en place un équilibrage financier en vue d'assurer la répartition entre les éco-organismes des obligations de gestion des déchets issus de PMCB collectés hors du service public de gestion des déchets.

4. Par l'arrêté contesté du 3 juillet 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a, d'une part, prévu qu'à compter du 1er janvier 2025, les éco-organismes appliquent aux contributions financières relatives aux PMCB relevant du 2° du II de l'article R. 543-289 du code de l'environnement, c'est-à-dire, en substance, les produits et matériaux composés majoritairement de matériaux autres que minéraux et dont les produits en fin de vie génèrent principalement des déchets non dangereux, dont les taux de valorisation des déchets pour l'année N-2 sont supérieurs au taux moyen de valorisation de l'ensemble des déchets de PMCB de la catégorie pour cette même année, un abattement en année N au moins égal à 50%. D'autre part, le deuxième alinéa de l'article 2 de l'arrêté dispose que : " L'organisme coordonnateur agréé pour répondre aux exigences de l'annexe III de l'arrêté ministériel du 10 juin 2022 met à jour les formules d'équilibrage prévues aux chapitres 4 et 5 de cette annexe dans un délai de deux mois à compter de la publication du présent arrêté, afin de tenir compte des dispositions du présent arrêté relatives au mécanisme de répartition des charges selon la contribution des produits et matériaux à l'atteinte des objectifs fixés à l'annexe I de l'arrêté ministériel du 10 juin 2022 telle qu'elle résulte du présent arrêté. " La société Valobat, éco-organisme agréé pour les PMCB, demande la suspension de l'exécution de cet alinéa, qui est divisible des autres dispositions de l'arrêté, sur le fondement des dispositions rappelées au point 2 de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

5. Il résulte de l'instruction et des éléments apportés lors de l'audience publique que la société OCAB, seul organisme coordonnateur agréé pour la filière de responsabilité élargie des déchets de PMCB, a vu son agrément, qui expirait au 31 décembre 2024, ne pas être renouvelé conformément à une décision de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique du 23 janvier 2025, et que, eu égard, notamment, aux divergences de vues entre les organismes du secteur, il n'existe aucune perspective réaliste qu'un organisme coordonnateur puisse être agréé dans les mois qui viennent. Dès lors, les dispositions contestées ne sont pas susceptibles de recevoir application dans un avenir proche si bien que, quelles que soient par ailleurs les difficultés financières auxquelles la société requérante fait face, elle n'est pas fondée à soutenir que l'exécution de la décision litigieuse est de nature à préjudicier de manière suffisamment grave et immédiate à ses intérêts pour que soit constituée une situation d'urgence au sens des dispositions citées au point 2. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées, la requête de la société Valobat doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention en défense de la société Ecomaison est admise.

Article 2 : La requête de la société Valobat est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Valobat et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie pour information en sera adressée à la société Ecomaison.

Fait à Paris, le 3 février 2025

Signé : Alain Seban


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 500007
Date de la décision : 03/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 fév. 2025, n° 500007
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL GURY & MAITRE ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500007.20250203
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