La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2017 | CEDH | N°001-170366

CEDH | CEDH, AFFAIRE IVAN TODOROV c. BULGARIE, 2017, 001-170366


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE IVAN TODOROV c. BULGARIE

(Requête no 71545/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2017

DÉFINITIF

29/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ivan Todorov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Yonko Gro

zev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décem...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE IVAN TODOROV c. BULGARIE

(Requête no 71545/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2017

DÉFINITIF

29/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ivan Todorov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 71545/11) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Ivan Aleksandrov Todorov (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 novembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me L. Popov, avocat à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Y. Stoyanova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que sa détention, effectuée en exécution d’un jugement le condamnant à une peine d’emprisonnement, était illégale, qu’il n’a pas eu accès à un recours judiciaire pour en contester la légalité et que le droit interne ne prévoit pas de droit à indemnisation pour ces violations.

4. Le 7 juillet 2014, ces griefs ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1946 et réside à Sofia.

6. Par un jugement du tribunal militaire de Varna du 8 avril 1987, le requérant fut reconnu coupable de complicité d’abus de biens publics et condamné à vingt ans d’emprisonnement, à une interdiction d’exercer certaines professions et à la confiscation d’une partie de ses biens. La condamnation portait sur le détournement, effectué de manière continue entre octobre 1982 et mai 1986, d’essence et d’autres biens appartenant au régiment militaire dans lequel le requérant, militaire de carrière, servait. Sur recours du requérant, le 22 juin 1987, la Cour suprême confirma le jugement ainsi que les peines imposées. L’arrêt ainsi rendu était considéré comme définitif et exécutoire selon le droit interne. Le requérant avait été incarcéré à partir du 11 juin 1986, d’abord au titre de la détention provisoire puis, à partir du 22 juin 1987, en exécution de sa peine.

7. En janvier 1991, le requérant introduisit un recours en révision devant la Cour suprême (молба за преглед по реда на надзора). Le 9 janvier 1991, le président de la Cour suprême ordonna la suspension de l’exécution de la peine en raison de l’état de santé du requérant et l’intéressé fut remis en liberté le 28 janvier 1991. Par un arrêt du 3 décembre 1992, la Cour suprême rejeta le recours en révision du requérant et confirma sa condamnation. Les autorités ne purent retrouver le requérant et, le 31 mai 1993, un mandat de recherche national fut émis à son encontre. Dans l’intervalle, le 3 janvier 1993, le requérant avait quitté la Bulgarie et s’était rendu aux États-Unis. Il y acquit par la suite un droit de séjour et la nationalité américaine.

8. En 2005, le requérant adressa une demande de grâce au Président de la République bulgare. Par une lettre du 16 novembre 2007, la commission des grâces l’informa qu’il n’y avait pas lieu d’examiner sa demande dans la mesure où le délai de prescription de l’exécution des peines prononcées avait expiré.

9. Le requérant décida alors de se rendre en Bulgarie. Le 27 janvier 2008, à son arrivée à l’aéroport de Sofia, il fut arrêté par la police en exécution du mandat d’arrêt délivré à son encontre. Le jour suivant, il fut incarcéré à la prison de Sofia en exécution de la peine de vingt ans d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en 1987.

10. Le requérant saisit le parquet d’un recours, soutenant que le délai de prescription pour l’exécution de la peine d’emprisonnement était expiré et demandant sa remise en liberté. Par une ordonnance du 13 février 2008, le procureur militaire de Varna considéra que le requérant devait purger le restant de sa peine et que le délai de prescription n’avait pas expiré. Sur recours du requérant, cette décision fut confirmée le 26 août 2008 par le parquet militaire d’appel, qui considéra que le cours du délai de prescription de quinze ans avait été interrompu par l’émission du mandat de recherche contre le requérant le 31 mai 1993. Un nouveau délai avait couru à partir de cette date et devait expirer le 31 mai 2008, soit après l’arrestation du requérant. Le requérant introduisit un nouveau recours auprès du parquet de la Cour suprême de cassation, qui fut rejeté par une ordonnance du 4 septembre 2008. Le parquet de cassation constata que l’exécution de la peine avait été interrompue en 1991 et devait reprendre après le rejet du recours en révision du requérant le 3 décembre 1992. Le délai de prescription de 15 ans pour le restant de la peine avait couru à compter de cette date. Le cours du délai avait été interrompu à plusieurs reprises par les différentes mesures engagées pour rechercher le requérant et la prescription n’avait donc pas expiré. Quant au délai de prescription absolue, qui était en l’occurrence de vingt-deux ans et demi, il n’avait pas non plus expiré.

11. Le 13 juillet 2010, le requérant s’adressa de nouveau au parquet de cassation par l’intermédiaire d’un avocat pour demander sa remise en liberté. Par une lettre du 14 juillet 2010, le parquet estima qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer la question tranchée par l’ordonnance du 4 septembre 2008.

12. Le 5 mai 2011, le nouvel avocat du requérant adressa au parquet de cassation une demande de libération, dans laquelle il soutenait de nouveau que le délai de prescription pour l’exécution de la peine était expiré. Par une lettre du 10 mai 2011, le parquet lui répondit que le délai d’exécution de la peine n’était pas expiré au moment de l’arrestation du requérant, le 27 janvier 2008. Il réitéra que le délai de prescription de quinze ans concernant l’exécution du restant de la peine avait couru à compter du rejet du recours en révision du requérant, le 3 décembre 1992. Ce délai avait été interrompu par l’émission du mandat de recherche le 31 mai 1993 et, à partir de cette date, un nouveau délai avait couru, qui n’avait pas expiré au moment de l’arrestation du requérant, le 27 janvier 2008. Le délai de prescription absolue de vingt-deux ans et demi, qui avait couru à compter de la date de la condamnation, le 22 juin 1987, devait quant à lui expirer le 22 décembre 2009, également après l’arrestation du requérant. Le parquet indiqua que cette situation n’empêchait pas le requérant de déposer une demande de grâce auprès du Président de la République.

13. Le 7 juillet 2011, le requérant demanda une nouvelle fois la grâce présidentielle. Cette demande fut rejetée le 30 novembre 2011.

14. En mai 2013, le requérant saisit le tribunal militaire de Varna pour demander la reconstitution de son dossier judiciaire, détruit en 1998, l’ouverture d’une procédure pour constater la prescription de la peine et la délivrance d’un certificat. Le président du tribunal militaire refusa de faire droit à ces demandes. Le requérant introduisit un recours contre ce refus devant les juridictions administratives mais ces dernières se considérèrent incompétentes et transmirent le dossier à la cour militaire d’appel. Par une ordonnance du 21 octobre 2013, la cour militaire d’appel rejeta le recours du requérant au motif que les décisions du président du tribunal militaire n’étaient pas susceptibles d’un recours en appel.

15. Dans l’intervalle, le requérant avait déposé auprès de différentes autorités des demandes visant à constater que le délai de prescription absolue de l’exécution de sa peine avait expiré. Par une lettre du 29 juillet 2013, le parquet militaire de Varna lui avait confirmé que le délai de prescription n’était pas écoulé au moment de son arrestation. Le 9 août 2013, le parquet de cassation lui avait indiqué que la procédure dont il demandait l’ouverture n’était pas prévue par le droit bulgare.

16. Le requérant fut remis en liberté le 27 mai 2014. Les parties n’ont pas précisé s’il avait purgé sa peine ou s’il a été libéré pour un autre motif.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. L’exécution et la prescription des peines

17. Le parquet est l’autorité responsable de l’exécution des décisions de condamnation (article 412 du code de procédure pénale) et de l’application des peines (article 146 de la loi sur le pouvoir judiciaire). Dans l’exercice de cette compétence, le procureur peut requérir des services du ministère de l’Intérieur des informations concernant l’adresse ou les déplacements d’une personne condamnée et leur ordonner de procéder à la recherche ou à l’arrestation de celle-ci. Avant d’ordonner l’exécution d’une peine d’emprisonnement, le procureur vérifie si l’exécution n’en n’est pas prescrite, si la peine doit être cumulée avec une autre peine, ou si elle a été partiellement exécutée ou couverte par la période de détention provisoire.

18. Les ordonnances rendues par le procureur dans ce domaine sont susceptibles d’un recours auprès du procureur supérieur mais non devant les tribunaux.

19. La prescription des peines est régie par l’article 82 du code pénal, qui dispose en ses parties pertinentes :

« (1) La peine imposée n’est pas exécutée après l’écoulement de :

(...)

2. quinze ans pour les peines d’emprisonnement de plus de dix ans ;

(...)

(2) Le délai de prescription commence à courir à partir de la date à laquelle le jugement de condamnation est devenu définitif (...).

(3) Le délai de prescription est interrompu par tout acte des autorités compétentes entrepris à l’égard de la personne condamnée pour l’exécution de la peine. Après la réalisation de l’acte interrompant le délai de prescription, un nouveau délai court.

(4) Indépendamment de la suspension et de l’interruption du cours de la prescription, la peine infligée n’est pas exécutée lorsqu’un délai correspondant à une fois et demi le délai prévu au premier alinéa s’est écoulé. »

La prescription visée à l’alinéa 4 de l’article 82 est appelée prescription « absolue ».

20. Lorsqu’une partie de la peine a déjà été exécutée, le délai de prescription pour le restant de la peine court à compter de la même date que pour l’ensemble de la peine, à savoir la date à laquelle la condamnation est devenue définitive (реш. № 82 от 8.02.2006 г. по н. д. № 545/2005, ВКС, Бюл., кн. 6 от 2005 г.).

21. La jurisprudence des tribunaux ne traite généralement pas de la prescription des peines, sauf dans certains cas particuliers tels que la conversion d’une peine de probation en peine d’emprisonnement ou l’exécution du restant de la peine en cas de révocation d’une libération conditionnelle. Selon la pratique des parquets et la doctrine, les actes susceptibles d’interrompre le cours de la prescription, visés à l’alinéa 3 de l’article 82 du code pénal, sont les actes de procédure émanant des autorités compétentes pour assurer l’exécution de la peine, tels que le tribunal ou le procureur. En ce qui concerne l’exécution d’une peine privative de liberté, de tels actes sont, par exemple, une demande de renseignements auprès des autorités du ministère de l’Intérieur concernant le domicile de la personne condamnée ou le mandat donné à ces autorités de procéder à la recherche et à l’arrestation de celle-ci. Les actes d’autres autorités publiques ou de simples citoyens qui contribuent à l’exécution de la peine en effectuant par exemple l’arrestation de la personne condamnée, ou bien des actes techniques ou d’administration n’interrompent pas la prescription (voir А. Гиргинов, Давността в наказателното право, БАН 1992, стр. 169 et П. Минев, Привеждане на присъдите в изпълнение, Фенея 2012, стр. 25).

B. La responsabilité de l’État en cas de détention irrégulière

22. L’article 2, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommages, dans sa nouvelle rédaction entrée en vigueur le 15 décembre 2012, dispose en ses parties pertinentes :

« 1. L’État est responsable des dommages causés aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux du fait :

(1) d’une détention (...) lorsque celle-ci a été annulée (...) ainsi que dans tous les autres cas de privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 de la Convention (...) ;

(2) d’une violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2 à 4 de la Convention ;

(...) »

Selon l’article 7 de la loi, l’action en responsabilité doit être dirigée contre l’autorité publique responsable du dommage allégué.

23. Le contexte et les motifs de l’adoption de la réforme de la loi sur la responsabilité de l’État ont été exposés dans le détail dans l’arrêt Toni Kostadinov c. Bulgarie (no 37124/10, § 49, 27 janvier 2015). Les motifs de la loi précisent en particulier que les modifications se sont avérées nécessaires pour prévoir un droit à indemnisation pour tous les cas de méconnaissance des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention et se conformer ainsi aux exigences de l’article 5 § 5, à la suite de nombreux arrêts de la Cour qui ont constaté une violation de cette disposition.

24. Dans son ancienne rédaction, en vigueur jusqu’au 15 décembre 2012, l’article 2 prévoyait un droit à réparation uniquement dans les cas où la détention « a[vait] été annulée pour absence de motif légal » ou lorsque la personne concernée avait bénéficié d’une relaxe ou d’un non-lieu au motif qu’elle n’avait pas commis d’infraction pénale, circonstance qui, selon la jurisprudence, avait pour effet de rendre irrégulière la détention effectuée à titre provisoire ou en exécution de la peine (pour plus de détails sur la jurisprudence en application de l’ancienne rédaction du texte, voir Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008).

25. La jurisprudence rendue postérieurement à la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1, concerne en majorité des cas où la personne détenue a bénéficié d’une relaxe ou d’un non-lieu et aurait eu droit à une indemnisation même en application de l’ancienne rédaction du texte. La nouvelle rédaction du texte a été par exemple appliquée dans une affaire qui concernait le maintien en détention d’une personne sur ordre d’un procureur au-delà du délai légal de soixante-douze heures, le défaut de traduire « aussitôt » l’intéressé devant un juge et l’impossibilité qui en découlait pour lui d’introduire un recours contre cette détention. Les juridictions internes, dans une procédure en trois instances, ont reconnu que la personne concernée avait subi une violation de ses droits protégés par l’article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention et lui ont octroyé une indemnisation pour le dommage moral subi (опр. № 1365 от 1.12.2015 г. по гр. д. № 3256/2012 г., ВКС, IV г.о., confirmant реш. № 233 от 17.04.2015 г. по гр. д. № 113/2015 г., ОС Пазарджик et реш. № 958 от 13.12.2014 г. по гр. д. № 1437/2014 г., РС Пазарджик). Il ressort par ailleurs de la jurisprudence que l’article 2 dans sa nouvelle rédaction s’applique aux actions introduites après l’entrée en vigueur de celle-ci le 15 décembre 2012 (ibidem). Pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article 2 de la sur la responsabilité de l’État, les juridictions ont parfois accordé une indemnisation sur le fondement de la responsabilité délictuelle générale en appliquant directement l’article 5 de la Convention (реш. № 299 от 28.01.2016 г. по гр. д. № 1814/2013 г., ВКС, IV г.о., et реш. от 2.10.2014 г. по гр. д. № 112/2014 г., ОС Монтана).

26. La loi sur la responsabilité de l’État dispose par ailleurs en son article 1, alinéa 1 :

« L’État et les communes sont responsables des dommages causés aux particuliers ou aux personnes morales du fait des actes, actions ou inactions illégaux de leurs autorités ou agents dans le cadre ou à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) »

27. La jurisprudence considère que l’Assemblée nationale ne peut être tenue pour responsable en application de cette disposition pour l’adoption ou le défaut d’adoption d’une norme législative (опр. № 3837 от 16.03.2012 г. по адм. д. № 3256/2012 г., ВАС, III о.; опр. № 1900 от 11.02.2014 г. по адм. д. № 1038/2014 г., ВАС, I о.).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

28. Le requérant soutient que sa détention a été effectuée de manière illégale, compte tenu de l’écoulement du délai de prescription pour l’exécution de sa peine. Elle serait donc constitutive d’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont libellées comme suit :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...) »

A. Arguments des parties

29. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes qu’il avait à sa disposition, dans la mesure où il n’a pas introduit une action en indemnisation pour sa détention qu’il estime illégale sur le fondement de l’article 2, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État.

30. Le Gouvernement soutient par ailleurs que l’arrestation et le placement en détention du requérant en exécution d’une décision de justice régulière, définitive et exécutoire étaient conformes au droit interne et à l’article 5 § 1 de la Convention. Il affirme que le délai de prescription de l’exécution du restant de la peine du requérant, qui s’élevait à treize ans, huit mois et vingt jours, a été interrompu par le mandat de recherche émis le 31 mai 1993, qu’un nouveau délai de quinze ans a couru à compter de cette date et que ce délai n’était pas arrivé à son terme au moment de l’arrestation de l’intéressé, le 27 janvier 2008. De même, selon le Gouvernement, le délai de la prescription absolue de vingt-deux ans et demi, qui a couru à compter de la date à laquelle la condamnation du requérant est devenue exécutoire, le 22 juin 1987, n’était pas écoulé à cette date.

31. Le requérant réplique que l’action en indemnisation invoquée par le Gouvernement ne constitue pas une voie de recours effective en l’espèce dans la mesure où la possibilité d’introduire une telle action était déjà prescrite au moment où le Gouvernement l’a évoquée dans ses observations. Sur le fond du grief, il maintient que le délai de prescription de quinze ans avait déjà expiré au moment de son arrestation, le 27 janvier 2008, et que sa détention était dès lors illégale selon le droit interne. Il soutient en particulier que le mandat de recherche émis en 1993 n’a pas interrompu le cours de la prescription. Il considère qu’en tout état de cause le délai de prescription absolue de vingt-deux ans et demi est également arrivé à son terme le 22 décembre 2009 et a rendu la poursuite de l’exécution de la peine après cette date illégale. Le requérant soutient par ailleurs que la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation était inéquitable et entachée d’irrégularités.

B. Appréciation de la Cour

32. La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’exception de non‑épuisement soulevée par le Gouvernement concernant ce grief étant donné que celui-ci est, en tout état de cause, irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.

33. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 5 § 1 de la Convention, toute privation de liberté doit être « régulière », ce qui implique qu’elle doit être effectuée selon les « voies légales ». Sur ce point, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et énonce l’obligation d’en respecter les dispositions de fond et de procédure (voir, parmi d’autres, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 79, CEDH 2010). La détention doit en outre être conforme au but de l’article 5 § 1, à savoir protéger l’individu de toute privation de liberté arbitraire. De surcroît, la Cour doit s’assurer que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle, notamment le principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 56, CEDH 2000-IX, Svetoslav Dimitrov c. Bulgarie, no 55861/00, § 51, 7 février 2008), Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000-III, et Medvedyev et autres, précité, § 80).

34. Il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Toutefois, s’agissant d’affaires dans lesquelles, au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne emporte violation de la Convention, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (Baranowski, précité, § 50).

35. En ce qui concerne la présente espèce, la Cour observe que le requérant a été arrêté le 27 janvier 2008 et placé en détention en exécution de sa condamnation à une peine d’emprisonnement par une décision de justice. Rien en l’espèce n’indique que cette condamnation n’aurait pas été prononcée selon les voies légales et par un tribunal compétent, au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention. La privation de liberté du requérant tombait donc dans le champ d’application de l’article 5 § 1 a) et était conforme au but de cette disposition. En particulier, dans la mesure où le requérant soutient que sa condamnation est le résultat d’une procédure inéquitable, la Cour relève qu’il a bénéficié d’un procès devant des juridictions de deux degrés, devant lesquelles il a pu comparaître et développer les arguments qu’il a jugé utile pour sa défense et celle-ci ne saurait dès lors être considérée comme un « déni flagrant de justice » susceptible de remettre en cause la conformité de la détention avec l’article 5 § 1 a) (voir, a contrario, Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, §§ 54‑58, 24 mars 2005).

36. Le requérant soutient toutefois que la mise à exécution de la peine d’emprisonnement en janvier 2008 était illégale, compte tenu de l’écoulement du délai de prescription prévu par le droit interne pour l’exécution de la peine.

37. À cet égard, la Cour observe qu’à la suite des recours introduits par le requérant, les autorités compétentes du parquet ont considéré que le délai de prescription n’était pas écoulé et que la détention était donc conforme au droit interne. La Cour relève que ces décisions sont dûment motivées et n’apparaissent pas arbitraires. En particulier, la conclusion du parquet que le mandat de recherche délivré constitue un « acte des autorités compétentes entrepris à l’égard de la personne condamnée pour l’exécution de la peine » et a interrompu le cours de la prescription n’apparaît pas déraisonnable. Il en va de même en ce qui concerne la conclusion du parquet selon laquelle l’écoulement du délai de prescription absolue doit s’apprécier à la date du début d’exécution de la peine et non au cours de son exécution (paragraphes 10 et 12 ci-dessus).

38. Certes, la commission des grâces avait indiqué au requérant que le délai de prescription était déjà écoulé en 2007, mais la Cour relève que cette autorité n’a pas de compétence en matière d’exécution des peines et qu’il n’est en outre pas certain qu’elle ait eu à sa disposition tous les éléments pertinents pour prendre en considération les éventuelles interruptions du cours du délai. Dans ces circonstances, la Cour n’estime pas que la position exprimée par la commission des grâces permet de conclure que le droit interne manquait de prévisibilité, de manière à remettre en cause la qualité de la loi interne au regard de l’article 5 § 1.

39. La Cour ne voit dès lors aucune raison pour remettre en cause l’appréciation effectuée par les autorités internes compétentes s’agissant de l’application du droit interne. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

40. Le requérant se plaint en outre de ne pas avoir disposé d’un recours judiciaire pour contester la légalité de sa détention. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

41. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit interne. Il fait référence à la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1 (1) et (2), de la loi sur la responsabilité de l’État, entrée en vigueur le 15 décembre 2012, en vertu de laquelle toute personne dont la détention a été effectuée en méconnaissance des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention peut demander réparation du préjudice subi de ce fait. Selon le Gouvernement, le requérant aurait ainsi la possibilité d’obtenir la reconnaissance des violations alléguées de l’article 5 et une réparation du préjudice subi.

42. Le Gouvernement admet que la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1, est postérieure à la date d’introduction de la présente requête, date qui est généralement retenue par la Cour pour l’appréciation du respect de la règle de l’épuisement des voies de recours. Se référant à la jurisprudence de la Cour (Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, CEDH 2002-VIII, et Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, 12 octobre 2010), il soutient cependant que des circonstances particulières peuvent justifier des exceptions à cette règle, par exemple lorsque, à la suite du constat de l’existence d’un problème systémique au niveau interne, les autorités ont mis en place une nouvelle voie de recours permettant de redresser des violations similaires.

43. Le Gouvernement considère qu’il existe, en l’occurrence, des circonstances justifiant l’application d’une telle exception. Il observe que l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État a été modifié en décembre 2012 afin de prévoir, comme l’exige la jurisprudence de la Cour, une action permettant d’obtenir une indemnisation en cas de violation des droits garantis aux paragraphes 1 à 4 de l’article 5. Le Gouvernement affirme qu’il existe une jurisprudence constante des juridictions internes sur ce texte et cite des exemples où celui-ci aurait été appliqué. Il en conclut que l’action en responsabilité de l’État constituait un recours effectif en l’espèce, dont le requérant aurait dû faire usage pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes.

44. Le requérant réplique qu’une action sur le fondement de la loi sur la responsabilité de l’État ne constitue pas une voie de recours effective en l’espèce, dans la mesure où la possibilité d’introduire une telle action était déjà prescrite au moment où le Gouvernement l’a évoquée dans ses observations, si l’on considère que le délai de prescription de cinq ans a couru à compter de son arrestation en 2008.

2. Appréciation de la Cour

45. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux personnes désireuses de saisir la Cour l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre l’ordre juridique de leur pays pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’elles allèguent. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Le requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie [GC], 16 septembre 1996, §§ 65-66, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV).

46. Il incombe au gouvernement défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a été employé ou que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de l’exercer (Akdivar et autres, précité, § 68).

47. Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue cependant pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de ce recours. Au contraire, il existe un intérêt à soumettre la question aux juridictions internes afin de leur permettre de développer les droits existants en usant de leur pouvoir d’interprétation (Ciupercescu c. Roumanie, no 35555/03, § 169, 15 juin 2010, et Delijorgji c. Albanie, no 6858/11, § 58, 28 avril 2015). Cela est en particulier le cas lorsqu’une nouvelle disposition légale a été adoptée dans l’objectif spécifique de créer un recours susceptible de porter remède à un type de grief, afin de permettre aux juridictions nationales de faire application de cette disposition (Gürceğiz c. Turquie, no 11045/07, § 31, 15 novembre 2012).

48. La Cour rappelle que, en matière de privation de liberté, une action en réparation, capable d’aboutir à une reconnaissance de la violation alléguée et à l’attribution d’une indemnisation, est en principe un recours effectif qui doit être épuisé dans les cas où la situation litigieuse qui est incompatible avec l’article 5 de la Convention a déjà pris fin, si l’efficacité en pratique de ce recours a été dûment établie (Gavril Yossifov c. Bulgarie, no 74012/01, § 42, 6 novembre 2008, et Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 66, 10 mai 2012). La Cour a déjà appliqué ce principe dans des affaires où étaient en cause la régularité de la détention en droit interne au regard de l’article 5 § 1 (Gavril Yossifov, précité § 43, et Rahmani et Dineva, précité, §§ 67-71), la justification d’une détention prolongée au regard de l’article 5 § 3 (Varnas c. Lituanie, no 42615/06, § 89, 9 juillet 2013, et Demir c. Turquie (déc.), no 51770/07, §§ 28-35, 16 octobre 2012) ou le droit à un examen « à bref délai » du recours judiciaire concernant la légalité de la détention, tel que garanti par l’article 5 § 4 (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, §§ 105-106, 28 octobre 2010, Osváthová c. Slovaquie, no 15684/05, §§ 57-59, 21 décembre 2010, et Delijorgji, précité, § 81).

49. L’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en règle générale à la date d’introduction de la requête devant la Cour (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V (extraits)). Cependant, cette règle ne va pas sans exceptions, qui peuvent être justifiées par les circonstances particulières de chaque espèce. La Cour s’est déjà écartée de cette règle générale dans des affaires où, à la suite de son constat d’existence de problèmes systémiques dans le droit ou la pratique interne, le gouvernement défendeur a pris l’initiative de créer des voies de recours susceptibles de remédier aux violations alléguées de la Convention concernant, par exemple, la durée excessive des procédures judiciaires (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX, et Nogolica, décision précitée) ou des conditions de détentions inhumaines et dégradantes (Łatak, décision précitée, §§ 80-82, et Łominski c. Pologne (déc.), no 33502/09, §§ 71-73, 12 octobre 2010). La Cour a également fait une exception à cette règle lorsqu’une voie de recours est devenue accessible ou effective à une date postérieure à l’introduction de la requête en raison, par exemple, d’un changement de la situation du requérant. Ainsi, dans des affaires où l’intéressé avait la possibilité, à la suite de sa remise en liberté ou de la clôture de la procédure pénale intervenues après l’introduction de la requête, de demander une indemnisation pour une détention irrégulière ou des conditions de détention inadéquates, la Cour a parfois rejeté la requête au motif que les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées (Demir, décision précitée, § 28, Gürceğiz, précité, §§ 27 et 34, et Łatak, décision précitée, § 81).

50. En l’espèce, le Gouvernement invite la Cour à appliquer une exception à la règle voulant que l’épuisement des voies de recours s’apprécie au moment de l’introduction de la requête eu égard à l’adoption, en décembre 2012, d’un nouveau recours indemnitaire et au fait que le requérant a été remis en liberté le 27 mai 2014. La Cour n’estime cependant pas devoir trancher cette question étant donné qu’en tout état de cause, pour les motifs exposés ci-dessous, le recours invoqué par le Gouvernement n’apparaît pas effectif dans les circonstances de l’espèce.

51. La Cour relève à cet égard que, en décembre 2012, l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État a été modifié pour prévoir un droit à indemnisation pour toute violation de l’article 5, paragraphes 1 à 4 de la Convention. Elle note avec satisfaction que, comme cela ressort des motifs de la loi modificative, ces changements ont été adoptés dans le but d’assurer la conformité du droit interne avec les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour.

52. La Cour n’estime cependant pas devoir, à l’occasion de la présente affaire, obliger le requérant à tester l’effectivité de principe du nouveau recours indemnitaire. Elle observe en effet que, selon le libellé de l’article 2 de la loi, l’État est responsable des dommages causés par « les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux », et que l’article 7 la loi spécifie par ailleurs que l’action en responsabilité doit être dirigée contre l’autorité publique responsable du dommage (paragraphe 22 ci-dessus). Or, dans la présente espèce, la violation de l’article 5 § 4 alléguée par le requérant ne résulte pas de la décision ou de l’action ou de la carence d’une des autorités qui sont mentionnées à l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État mais de l’absence, dans le droit interne, d’une procédure de contrôle juridictionnel de la détention effectuée en exécution d’une condamnation pénale. Dès lors, il est difficile de concevoir celle qui, parmi les autorités mentionnées à l’article 2 de la loi, aurait pu être considérée comme responsable de la situation dénoncée par le requérant afin que celui‑ci puisse diriger contre elle son action en responsabilité. En effet, les autorités du parquet ne pouvaient être considérées comme responsables, celles-ci ayant examiné les recours du requérant et leur comportement n’étant pas en cause. Quant aux juridictions, le requérant ne pouvait déterminer celle qui aurait pu être tenue pour responsable dans la mesure où aucune n’était compétente, en vertu du droit interne, pour examiner de tels recours. La Cour observe à cet égard que ni les nouvelles dispositions de la loi, adoptées en 2012, ni les motifs de leur adoption ne précisent contre quelle institution devrait être dirigée une action en responsabilité dans pareil cas. De surcroît, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple de jurisprudence interne où les dispositions en question auraient été appliquées dans une situation comparable à celle de l’espèce. La Cour note que le seul exemple de jurisprudence dont elle dispose dans lequel les nouveaux cas de responsabilité ont été appliqués concerne une situation où la violation de l’article 5 §§ 3 et 4 résultait d’un dysfonctionnement du système régissant la détention, due au fait que le procureur avait outrepassé ses pouvoirs légaux, et non du défaut du législateur de prévoir un contrôle juridictionnel de la détention, comme cela semble le cas en l’espèce (paragraphe 25 ci-dessus).

53. Dans ces circonstances, la Cour ne peut que conclure que l’action sur le fondement de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, invoquée par le Gouvernement, ne constitue pas, dans les circonstances de la présente espèce, un recours accessible et effectif, susceptible d’apporter un redressement au requérant pour son grief tiré de l’absence de contrôle judiciaire de la légalité de sa détention. La Cour estime par ailleurs douteux que l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, qui réglemente la responsabilité délictuelle des autorités administratives, soit applicable à la situation du requérant, l’activité législative ou le défaut de légiférer n’étant pas à première vue assimilables à « l’accomplissement de [...] fonctions en matière administrative » susceptible d’engager la responsabilité de ces autorités (paragraphes 26 et 27 ci-dessus).

54. Au vu de ces observations, et sans préjuger de l’effectivité de principe de l’action en réparation prévue à l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’action en question ne constituait pas un recours effectif dont l’épuisement était requis au titre de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, il convient de rejeter l’exception soulevée.

55. La Cour constate par ailleurs que le grief tiré de l’article 5 § 4 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé du grief

1. Arguments des parties

56. Le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès à un tribunal qui statue sur la légalité de sa détention et constate l’écoulement de la prescription pour l’exécution de sa peine.

57. Le Gouvernement soutient que lorsque la détention relève du paragraphe 1 a) de l’article 5 comme ayant été effectuée en exécution d’une condamnation prononcée par un tribunal compétent, le contrôle voulu par l’article 5 § 4 est incorporé dans le jugement de condamnation. Cette disposition n’exigerait donc pas en l’espèce un nouveau contrôle juridictionnel de la légalité de la détention.

2. Appréciation de la Cour

58. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît à toute personne privée de sa liberté le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin de faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la légalité, au sens de la Convention, de sa privation de liberté. La juridiction chargée de ce contrôle doit avoir compétence pour ordonner la libération en cas de détention illégale (voir, parmi d’autres, Rahmani et Dineva, précité, § 75).

59. Selon la jurisprudence de la Cour, dans l’hypothèse d’une détention consécutive à une « condamnation par un tribunal compétent » aux sens de l’article 5 § 1 a), le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé au jugement et cette disposition n’exige pas un contrôle séparé de la légalité de la détention (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 76, série A no 12, et Stoichkov, précité, § 64). Toutefois, lorsque de nouvelles questions relatives à la légalité de la détention surgissent après le jugement, l’article 5 § 4 s’applique de nouveau et exige un contrôle judiciaire de la légalité de la détention (Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume-Uni, 25 octobre 1990, § 68, série A no 190-A, Stoichkov, précité, § 65, Gavril Yossifov, précité, § 57, et Sâncrăian c. Roumanie, no 71723/10, § 84, 14 janvier 2014).

60. En l’espèce, la Cour a déjà constaté ci-dessus que le requérant avait été détenu du 27 janvier 2008 au 27 mai 2014 pour purger le restant d’une peine d’emprisonnement prononcée en 1987 et que sa détention tombait dans le champ d’application de l’article 5 § 1 a). Elle doit donc déterminer si de nouvelles questions relatives à la légalité de la détention du requérant, qui n’auraient pas été tranchées dans le jugement de condamnation, ont pu surgir au cours de cette période de détention et, le cas échéant, si l’intéressé a eu accès à un recours judiciaire conforme aux exigences de l’article 5 § 4.

61. La Cour relève à cet égard que dès son incarcération en janvier 2008, le requérant a soutenu que le délai de prescription de l’exécution de sa peine était écoulé et que sa détention n’avait aucun fondement légal. La commission des grâces auprès du Président de la République avait également exprimé cette opinion en réponse à la demande de grâce formulée par le requérant en 2007. En revanche, les autorités du parquet, compétentes pour décider si la peine devait ou non être exécutée, étaient d’un avis contraire. Dans ces circonstances, la Cour estime que la question de la prescription de la peine imposée au requérant était déterminante pour la légalité de sa détention et constate que celle-ci n’avait, par la force des choses, pas été examinée au moment du prononcé du jugement de condamnation en 1987 ou de l’examen du recours en révision du requérant en 1992. Dès lors, l’ordre juridique interne devait fournir au requérant l’accès à un recours judiciaire répondant aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention pour la détermination de cette question.

62. La Cour observe à cet égard que le droit bulgare ne prévoit pas de recours judiciaire spécifique pour contester la légalité d’une détention effectuée en exécution d’une condamnation pénale. Seul le parquet est compétent pour trancher les questions relatives à l’exécution des peines, notamment lorsqu’il existe un litige sur la prescription, l’exécution partielle d’une peine ou le décompte de la période passée en détention provisoire et que la légalité de la détention se trouve en jeu. Les ordonnances rendues dans ce domaine ne sont susceptibles que d’un contrôle hiérarchique par le procureur supérieur et non d’un contrôle judiciaire (paragraphes 17-18 ci‑dessus). Or, la Cour l’a déjà constaté dans de précédentes affaires similaires, le procureur ne peut passer pour un « tribunal » répondant aux exigences de l’article 5 § 4 (Gavril Yossifov, précité, § 60, et Svetoslav Dimitrov, précité, § 71). Il n’existe pas non plus en droit interne de procédure générale de type habeas corpus permettant un contrôle de la légalité d’une détention, quel qu’en soit le fondement, et la remise en liberté de la personne détenue si celle-ci s’avère illégale (Gavril Yossifov, précité, § 61, et la jurisprudence qui y est citée).

63. Pour ce qui est de l’action en indemnisation en application de la loi sur la responsabilité de l’État, invoquée par le Gouvernement au titre de l’épuisement des voies de recours internes, la Cour observe qu’une telle procédure, si elle est potentiellement susceptible d’aboutir à un constat d’illégalité de la détention, ne permet pas la libération de la personne détenue en cas de constat d’illégalité.

64. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que, pendant toute la durée de sa détention du 27 janvier 2008 au 27 mai 2014, le requérant n’a pas eu accès à un recours judiciaire lui permettant, comme l’exige l’article 5 § 4 de la Convention, de faire contrôler la légalité de sa détention et obtenir, en cas de constat d’illégalité, sa libération. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

65. Le requérant allègue enfin qu’il ne disposait pas, en droit interne, de droit à réparation pour les violations susmentionnées de l’article 5 § 1 et 5 § 4. Il invoque l’article 5 § 5 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A. Sur la recevabilité

66. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé du grief

1. Arguments des parties

67. Le requérant soutient qu’il ne disposait pas d’un droit à réparation pour les violations alléguées de l’article 5 et réitère qu’une action en application de la loi sur la responsabilité de l’État ne constituerait pas une voies de recours effective en l’espèce, dans la mesure où la possibilité d’introduire une telle action serait prescrite à l’heure actuelle.

68. Le Gouvernement soutient que l’action prévue à l’article 2, alinéa 1 (1) et (2), de la loi sur la responsabilité de l’État, tel que modifié en décembre 2012, est susceptible d’apporter au requérant une réparation pour les violations alléguées des paragraphes 1 et 4 de l’article 5.

2. Appréciation de la Cour

69. La Cour rappelle que le droit à réparation prévu à l’article 5 § 5 de la Convention suppose la constatation préalable, par les juridictions internes ou par elle-même, de la violation d’un des paragraphes 1 à 4 de cet article (voir, parmi d’autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 182, CEDH 2012). Au vu de son constat de méconnaissance de l’article 5 § 4, la Cour estime que l’article 5 § 5 trouve à s’appliquer en l’espèce.

70. La Cour a déjà constaté ci-dessus, dans le cadre de l’examen de l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement, que l’action en réparation prévue à l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État n’était pas, dans les circonstances de l’espèce, une voie de recours effective, susceptible d’apporter un redressement approprié au grief du requérant tiré de l’article 5 § 4 de la Convention (paragraphes 50-52 ci-dessus). Pour les mêmes raisons, la Cour considère que cette voie de recours n’était pas en mesure d’offrir à l’intéressé le droit à réparation exigé par l’article 5 § 5. Par ailleurs, à la connaissance de la Cour, il n’existe aucun autre recours en droit interne susceptible d’offrir au requérant un dédommagement pour le préjudice subi du fait de la violation constatée de l’article 5 § 4, que cela soit avant ou après l’adoption du présent arrêt (Stanev, précité, § 189).

71. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 5.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

72. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

73. Le requérant réclame 140 845 dollars américains (USD), soit l’équivalent d’environ 129 000 euros (EUR), au titre de préjudice matériel, correspondant aux salaires non perçus pendant la durée de sa détention. Il demande en outre 136 800 USD, soit environ 125 300 EUR, pour le préjudice moral qu’il aurait subi du fait de sa détention illégale et de l’impossibilité d’obtenir justice en Bulgarie.

74. Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur ces demandes.

75. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées de l’article 5 § 4 et 5 § 5 et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de l’impossibilité, pendant sa détention qui a duré plus de six ans, d’avoir accès à un tribunal qui contrôle la légalité de celle-ci. Elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

76. Le requérant demande 5 446 levs bulgares, soit 2 784 EUR, pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il présente des justificatifs concernant le paiement d’honoraires d’avocat d’un montant de 2 200 EUR, de frais de courrier relatifs aux procédures internes et à la procédure devant la Cour et de frais de traduction. Le requérant produit par ailleurs un contrat conclu avec son avocat, stipulant qu’il s’engage à verser à ce dernier, au titre d’honoraires complémentaires, 30 % des montants qui lui seront accordés par la Cour au titre du préjudice moral et demande à la Cour que le montant alloué à ce titre soit versé directement sur le compte de son avocat.

77. Le Gouvernement n’a pas fait connaître ses observations.

78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 800 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 4 et 5 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

i) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 2 800 EUR (deux mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award