La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/04/2015 | CEDH | N°001-153479

CEDH | CEDH, AFFAIRE TCHOKONTIO HAPPI c. FRANCE, 2015, 001-153479


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE TCHOKONTIO HAPPI c. FRANCE

(Requête no 65829/12)

ARRÊT

STRASBOURG

9 avril 2015

DÉFINITIF

09/07/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tchokontio Happi c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano, r>André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du consei...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE TCHOKONTIO HAPPI c. FRANCE

(Requête no 65829/12)

ARRÊT

STRASBOURG

9 avril 2015

DÉFINITIF

09/07/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tchokontio Happi c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mars 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65829/12) dirigée contre la République française et dont une ressortissante camerounaise, Mme Elisabeth Tchokontio Happi (« la requérante »), a saisi la Cour le 8 octobre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me F. Ormillien, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante se plaint de l’inexécution d’un jugement définitif rendu en sa faveur.

4. Le 12 septembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1972 et réside à Paris.

6. Elle vit avec sa fille et son frère dans un logement de la région parisienne depuis 2003. Par une décision du 12 février 2010, notifiée le 12 mars suivant, la commission de médiation de Paris, constatant qu’ils étaient logés dans des locaux indécents et insalubres, les désigna comme prioritaires et devant être logés en urgence.

7. Aucune offre effective tenant compte de ses besoins et capacités ne lui ayant été faite dans un délai de six mois à compter de cette décision, la requérante saisit le tribunal administratif de Paris aux fins de voir ordonner à l’État de lui attribuer, sous astreinte, un logement.

8. Le 28 décembre 2010, le tribunal fit droit à sa demande en enjoignant au préfet de la région d’Ile-de-France d’assurer le relogement de la requérante, de sa fille et de son frère sous une astreinte, destinée au Fonds d’aménagement urbain de la région d’Ile-de-France, de 700 euros (EUR) par mois de retard à compter du 1er février 2011, après avoir constaté :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’un architecte de sécurité de la préfecture de police a constaté, le 9 juillet 2009, que l’état du plafond de la cuisine du logement occupé par [la requérante], sa fille et son frère constituait une situation de péril ; qu’en effet, la stabilité et la solidité du plafond ne sont pas assurées ; que, par suite, sa demande doit être satisfaite avec une urgence particulière ; »

9. Le 31 janvier 2012, le relogement de la requérante n’ayant pas été assuré, le tribunal administratif procéda à la liquidation provisoire de l’astreinte pour la période du 1er février 2011 au 31 janvier 2012, et condamna l’État à verser la somme de 8 400 EUR au fonds d’aménagement urbain de la région d’Ile-de-France.

10. À ce jour, la requérante et sa famille n’ont toujours pas été relogées.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit interne

1. Le dispositif juridique du droit au logement opposable

11. Adoptée dans un contexte de crise dans le secteur du logement après les graves retards accumulés au cours des années 1980 et 1990 (offre de logement insuffisante ou inadaptée à la demande des ménages à faibles revenus, hausse continue du taux d’effort des ménages pour se loger, progression du nombre de personnes mal ou non logées), la loi no 2007‑290 du 5 mars 2007 (ci-après « loi DALO ») reconnaît le droit à un logement décent et indépendant à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir. Ce droit est garanti par l’État. Il s’exerce par un recours amiable puis, si nécessaire, par un recours contentieux auprès de la juridiction administrative (code de la construction et de l’habitation, art. L. 300-1).

12. Le recours amiable consiste en la possibilité ouverte à plusieurs catégories de personnes défavorisées (dont la liste est fixée par la loi) de saisir une commission de médiation instituée au niveau départemental et chargée de désigner les demandeurs qu’elle reconnaît comme prioritaires et devant se voir attribuer un logement en urgence (code de la construction et de l’habitation, art. L. 441-2-3). La commission en adresse la liste au préfet qui a, alors, l’obligation d’assurer le logement des intéressés (idem).

13. Les personnes dont la demande de logement a été reconnue comme prioritaire et urgente au terme du recours amiable devant la commission de médiation mais qui n’ont pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de leurs besoins et de leurs capacités, peuvent saisir la juridiction administrative afin que soit ordonné à l’État, éventuellement sous astreinte, leur logement ou relogement (code de la construction et de l’habitation, art. L. 441-2-3-1). La loi de mobilisation pour le logement du 25 mars 2009 est venue encadrer le montant de l’astreinte en précisant que son montant est déterminé en fonction du loyer moyen du type de logement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation.

14. Les astreintes étaient initialement versées aux fonds d’aménagement urbain, institués dans chaque région et destinés à permettre aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale de financer leurs actions foncières ou immobilières en faveur du logement locatif social (code de la construction et de l’habitation, art. L. 441-2-3-1). Elles abondent depuis peu le fonds national d’accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL institué par la loi no 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificatives pour 2011). L’objectif de ce fonds est de financer, d’une part, les actions d’accompagnement social en direction des ménages reconnus prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence au titre du droit au logement opposable, d’autre part, des actions de gestion locative adaptées pour les logements attribués à ces mêmes personnes.

15. La liquidation de l’astreinte suppose une nouvelle intervention du juge. Cette liquidation est définitive lorsque l’État a honoré son obligation et partielle dans les autres cas, une nouvelle liquidation intervenant alors à une échéance ultérieure.

16. En aval de cette procédure spécifique, le demandeur déclaré prioritaire et qui n’a pas obtenu satisfaction peut engager un recours en responsabilité contre l’État dans le cadre d’une action indemnitaire.

2. Les caractéristiques des baux sociaux

17. Pour les logements sociaux, un bail écrit doit nécessairement être conclu entre l’intéressé et le bailleur.

18. Le locataire d’un logement social a droit au maintien dans les lieux sans limitation de durée. Ce n’est que dans des cas limitativement énumérés (non-paiement du loyer et des charges, troubles du voisinage, dépassement du plafond de ressources, logement insuffisamment occupé dans l’année, logement devenu trop grand, ...) que le bailleur peut résilier le bail.

19. En cas de décès ou d’abandon du domicile du locataire, le bail se poursuit, sous certaines conditions, au profit du conjoint, du partenaire pacsé, du concubin, des ascendants, des descendants ou des personnes à charge qui vivaient avec le locataire depuis au moins un an à la date du décès ou de l’abandon du domicile.

20. Le titulaire d’un bail social peut, sous certaines conditions, faire l’acquisition de son logement. Cette faculté est limitée à une seule fois par personne. Elle concerne les logements d’habitation construits ou acquis depuis plus de dix ans par un organisme HLM ou les logements neufs réalisés dans le cadre du « dispositif Duflot » qui satisfont aux normes minimales d’habitabilité fixées par décret. Aucune condition n’est requise s’agissant du temps d’occupation du logement par le locataire ou de ses revenus. Le locataire doit simplement adresser une demande d’acquisition de son logement à l’organisme bailleur concerné qui la transmettra au préfet qui consultera la commune en cause et l’ensemble des acteurs publics locaux qui ont participé au financement du logement social (code de la construction et de l’habitation, art. L. 443-7). La vente ne pourra se réaliser que si ces différentes autorités administratives ne s’y opposent pas.

B. L’avis du Conseil d’État du 2 juillet 2010

21. Interrogé sur la compatibilité du dispositif du contentieux du droit au logement opposable avec le droit à un recours effectif, tel que prévu par la Convention, le Conseil d’État a estimé dans un avis du 2 juillet 2010 :

« (...) Le mécanisme institué par les dispositions précitées du code de la construction et de l’habitation ouvre pour les demandeurs remplissant les conditions fixées par ce code, un recours contentieux qui peut conduire le juge à ordonner leur logement, leur relogement ou leur hébergement, et à assortir cette injonction d’une astreinte. Par ailleurs, la décision de la commission départementale de médiation est susceptible d’un recours de droit commun devant le juge administratif. Enfin, l’inaction de l’État est susceptible d’être sanctionnée, le cas échéant, par le juge saisi d’un recours en responsabilité.

La voie de recours spécifique ouverte aux demandeurs, sans préjudice de ces autres voies de recours, par les dispositions de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation, devant un juge doté d’un pouvoir d’injonction et d’astreinte de nature à surmonter les éventuels obstacles à l’exécution de ses décisions, présente un caractère effectif, au regard des exigences découlant de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il en va ainsi, alors même que l’astreinte éventuellement prononcée sur le fondement de cet article, compte tenu des critères qu’il énonce, est versée par l’État, non au requérant, mais à un fonds d’aménagement urbain régional dépendant de l’État, dont les moyens ne sont pas exclusivement employés à la construction de logements sociaux.

Les dispositions en cause ouvrant aux justiciables qu’elles visent le droit d’accéder à un tribunal doté de pouvoirs effectifs, conformément aux stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’y a dès lors pas lieu de rechercher si le droit d’obtenir un logement décent et indépendant est au nombre de ceux auxquels renvoie l’article 13 de la même convention. »

C. Le rapport d’information fait au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois

22. Intitulé « Le droit au logement opposable à l’épreuve des faits », le rapport d’information no 621 (2011-2012) du 27 juin 2012 de MM. Dilain et Roche fait au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois conclut :

« Cinq ans après son adoption, le bilan du droit au logement opposable (DALO) apparaît, à l’épreuve des faits, pour le moins décevant.

Certes, l’ensemble des textes réglementaires nécessaires à sa mise en œuvre a été publié, de sorte que la loi du 5 mars 2007 est aujourd’hui, « sur le papier », applicable. Cependant, les conditions de réussite du DALO ne sont pas toutes réunies.

Bien que le nombre de saisines des commissions de médiation soit inférieur aux chiffres attendus, les recours formés s’élèvent à 6 000 en moyenne chaque mois. La concentration géographique des recours est particulièrement marquée, l’Île-de-France représentant à elle seule 60 % des recours déposés en vue de l’obtention d’un logement.

Comme le reflètent les écarts significatifs entre taux de décisions favorables selon les territoires, l’activité des commissions de médiation demeure empreinte de fortes divergences. Il apparaît que certaines commissions se prononcent en fonction d’éléments de contexte, contrairement à l’esprit et à la lettre de la loi.

Si le respect de la loi est assuré sur la grande majorité du territoire, les départements dans lesquels l’application de la loi connaît le plus de difficultés sont ceux où la situation au regard du logement est la plus critique : Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nord-Pas-de-Calais.

Face au nombre étonnamment élevé de refus des propositions de logement ou de relogement par les demandeurs prioritaires dont la situation a été reconnue urgente, vos rapporteurs estiment utile de mettre en place un accompagnement social renforcé.

L’activité contentieuse engendrée par le DALO va croissant mais son utilité réelle soulève question. Huit fois sur dix environ, le contentieux créé par la loi débouche sur une décision favorable au demandeur. Dans la quasi-intégralité des cas, l’injonction prononcée par le juge est assortie d’une astreinte financière que l’État se verse à lui-même.

Au regard du faible nombre de liquidations d’astreintes devenues définitives, l’efficacité de ces pénalités sur le relogement des demandeurs apparaît très limitée. Dans ces conditions, les juges, qui assurent une charge de travail très importante, peinent à percevoir leur réelle plus-value et font face à l’incompréhension des requérants, déçus de ne pas obtenir de logement ou de relogement à l’issue directe de leur recours. La confiance dans l’action des pouvoirs publics s’en trouve écornée. »

D. Le Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable

23. Dans son 6e rapport, publié le 28 novembre 2012, le Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable, constatant que la loi sur ce droit est très inégalement appliquée, commence par solliciter du Président de la République un rappel à la loi. Il souligne que la bonne application de la loi nécessite diverses mesures qui font l’objet de son rapport mais « elle suppose avant tout que l’obligation de résultat soit prise en compte : la mise en œuvre du droit au logement doit mobiliser l’ensemble de la société et l’État, qui en est le garant, doit user de toutes ses prérogatives pour le faire respecter ».

24. Le comité présente d’abord les principaux chiffres 2011 du droit au logement opposable (DALO) :

« 7 000 recours par mois sur l’ensemble du territoire.

L’Ile-de-France représente 59 % des recours.

En province, 7 départements ont plus de 100 recours par mois ; 14 autres entre 30 et 100 ; 21 entre 10 et 29 ; 51 départements ont moins de 10 recours par mois.

. 88 % des recours visent à obtenir un logement et 12 % un hébergement. La part des recours pour un hébergement est en diminution (15 % en 2010).

. 32 % des recours émanent de personnes isolées, 34 % de familles monoparentales, 6 % de couples sans enfant et 27 % de couples avec enfants. Le taux de décisions de rejet est en augmentation (55 %).

. Le rythme des relogements a chuté au premier semestre 2012. Au plan national, les relogements représentent 50 % des décisions favorables ; en Ile-de-France, ils ne représentent que 33,6 %.

. L’application des décisions relatives à l’hébergement est très fortement défaillante. Elle n’atteint que 29 % des décisions favorables prises par les commissions de médiation. »

25. Dans son rapport, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO insiste notamment sur le fait que le non-respect du droit à l’hébergement est une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

26. Le Comité note que depuis la mise en œuvre du DALO, Paris et l’Ile-de-France concentrent les difficultés. À Paris, le volume de décisions favorables prononcées en à peine un semestre équivaut à plus de 100 % des attributions annuelles tous contingents confondus, soit trois fois le volume du contingent préfectoral et plus de six fois les accords collectifs départementaux. Par ailleurs, des maires de la banlieue parisienne se sont inquiétés de possibles effets pervers du DALO sur la mixité sociale de leurs communes. En effet, les communes qui ne respectent pas la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) échappent à la pression du préfet pour accueillir des bénéficiaires du DALO, alors que les communes comme Argenteuil, Drancy ou Sarcelles sont contraintes par l’État d’accueillir des familles parmi les plus pauvres. Le comité de suivi du DALO a reconnu que les préfets étaient en difficulté sur certains territoires pour respecter la mixité sociale. Cependant, pour le comité, ce n’est pas le DALO qui est en cause mais l’inégale répartition des logements sociaux sur le territoire francilien.

27. Le Comité présente enfin quatre exigences pour faire appliquer le droit au logement opposable : intégrer les priorités sociales dans l’attribution des logements locatifs sociaux ; chiffrer et localiser les logements privés mobilisables ; clarifier les textes et les responsabilités de l’habitat indigne ; mettre le DALO au cœur de l’action de l’État en Ile-de-France.

28. Le Comité conclut son rapport par la valorisation de bonnes pratiques qui montrent que la loi peut être respectée.

29. Le 7e rapport du Comité de suivi de la mise en œuvre du DALO, transmis au Premier ministre le 20 janvier 2015, confirme les tendances mises en évidence par le rapport précédent.

E. Chiffres de l’année 2013 communiqués par la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages

30. Aux termes des chiffres communiqués par la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, le nombre de recours déposés depuis le 1er janvier 2008 s’élève à 463 091 (données arrêtées au 13 février 2014). Le nombre de recours déposés devant les commissions de médiation augmente chaque année pour atteindre une moyenne de 7 591 recours par mois en 2013. 88 % des recours visent à obtenir un logement et 12 % un accueil dans un établissement d’hébergement ou un logement de transition. 7 % des requérants sont relogés avant la décision de la commission de médiation, 37 % font l’objet d’une décision favorable, mais le taux de décisions de rejet est en augmentation (55 %).

31. En 2013, les cinq départements qui regroupent le plus grand nombre de recours déposés pour 100 000 habitants étaient tous situés en Ile-de-France. Il s’agit de la Seine-Saint-Denis (709 recours pour 100 000 habitants), Paris (527), Val de Marne (473), Val d’Oise (458), Hauts-de-Seine (383).

32. Le taux de relogement des ménages ayant obtenu une décision favorable était en forte baisse en 2013. Il n’était que de 26,8 % contre 55,7 % en 2012. Ce taux était cependant très variable selon la région : il atteignait 71,4 % dans les Pays de la Loire contre 17,3 % en Ile-de-France.

33. Au total, entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2013, le nombre de ménages déclarés « prioritaire et urgent » et restant à reloger s’élevait à 54 394.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

34. La requérante se plaint de n’avoir toujours pas été relogée, en dépit du jugement définitif du 28 décembre 2010 enjoignant au préfet de la région d’Ile-de-France d’assurer son relogement.

35. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime, dans les circonstances de la présente affaire, que le grief soulève des questions sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

36. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

37. La requérante reproche à l’État de n’avoir pas respecté le jugement du 28 décembre 2010.

38. Le Gouvernement admet d’emblée que le droit au logement opposable, tel qu’il a été défini par la loi du 5 mars 2007, entre dans le champ de cette disposition au titre des droits civils.

39. Il rappelle ensuite que si la Cour s’attache à vérifier que les décisions juridictionnelles sont bien exécutées, il appartient aux seuls États de décider des moyens d’exécution forcée qui doivent exister dans le cadre des procédures internes. La Cour a uniquement pour tâche d’examiner si, en l’espèce, les mesures adoptées par les autorités ont été adéquates et suffisantes (voir, en ce sens, Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 66, 17 juin 2003).

40. En l’espèce, le tribunal administratif a, dans le dispositif de son jugement, enjoint au préfet de la région d’Ile-de-France, sous astreinte de 700 EUR par mois de retard, d’assurer le relogement de la requérante, de sa fille et de son frère. Or, selon le Gouvernement, les mesures adoptées par les autorités internes ont été adéquates et suffisantes pour assurer l’exécution de ce jugement.

41. Le Gouvernement explique que l’obligation de relogement mise à sa charge n’a pu être exécutée en raison de la situation particulièrement délicate du logement en région parisienne. En effet, le nombre de logements dont dispose le préfet pour exercer son droit de réservation est d’environ 1 300 logements par an alors que le nombre de ménages à Paris reconnu comme prioritaires dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 et restant à reloger s’élève à 18 000.

42. Confronté à cette situation de pénurie marquée par une disproportion manifeste entre le nombre de logements disponibles et le nombre de ménages reconnus comme prioritaires, le législateur a prévu pour ces derniers un dispositif spécifique, devant le juge, afin de surmonter les obstacles à l’exécution des décisions de justice leur reconnaissant le droit d’être relogés et rendre ainsi effective l’exécution de ces décisions. Ce dispositif permet au juge, dans un premier temps, d’adjoindre à l’injonction prononcée une astreinte puis, dans un second temps, de la liquider comme l’a fait le tribunal administratif en l’espèce : saisi d’une demande en exécution du jugement du 28 décembre 2010, le tribunal administratif, le 31 janvier 2012, constatant que le relogement de la requérante n’avait pas été assuré à cette date, a procédé à la liquidation provisoire de l’astreinte pour la période du 1er février 2011 au 31 janvier 2012 et condamné en conséquence l’État à verser la somme de 8 400 EUR au fonds d’aménagement urbain de la région d’Ile-de-France.

43. Le Gouvernement soutient que le prononcé puis la liquidation d’une astreinte d’un montant de 700 EUR mensuel versé au Fonds d’aménagement urbain répondent parfaitement à l’objectif de garantie de l’exécution de la décision juridictionnelle enjoignant au préfet le relogement de la requérante. Le Gouvernement rappelle la vertu comminatoire de l’astreinte et le fait que l’astreinte prononcée à l’encontre du préfet d’Ile-de-France a continué à courir même après le jugement du 31 janvier 2012 procédant à la liquidation provisoire de cette astreinte pour une période d’un an. En outre, en application de l’article R. 778-8 du code de justice administrative issu de l’article 31 du décret no 2010-164 du 22 février 2010, le magistrat ayant prononcé l’astreinte peut, à tout moment et de sa propre initiative, demander à l’administration de démontrer l’exécution effective du jugement du 28 décembre 2010 et prononcer une nouvelle liquidation provisoire de l’astreinte. Le Gouvernement argue, par ailleurs, que le montant de l’astreinte prononcée, calculé par le juge en fonction du loyer moyen du type de logement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation, est parfaitement proportionné et adapté à l’objectif d’exécution du jugement tendant au relogement de la requérante, de sa fille et de son frère en région parisienne. Enfin, le Gouvernement fait valoir que si le jugement prévoit que l’astreinte sera versée au fonds d’aménagement urbain de la région d’Ile-de-France, cet élément n’a pas pour effet de priver la mesure prononcée de son caractère adéquat et suffisant. Régi par les articles R. 302-20 à R. 302-24 du code de la construction et de l’habitation, le fonds d’aménagement urbain a vocation à aider financièrement les communes éligibles et leurs établissements publics de coopération intercommunale dans la réalisation d’actions foncières et immobilières en faveur du logement social. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011, le financement des actions d’accompagnement social et de gestions locatives adaptées pour les ménages reconnus prioritaires a été confié au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), dont le financement repose sur les astreintes payées par l’État au titre du DALO. En 2012, la région Ile-de-France représentait plus de la moitié des recours DALO devant les juridictions administratives et 26,9 millions d’euros ont été liquidés au titre des astreintes prononcées au cours de cette année sur l’ensemble du territoire national. Abondé par le paiement de ces astreintes, le FNAVDL octroie, chaque année, aux régions des crédits afin, notamment, de financer sa mission de gestion locative adaptée auprès des ménages reconnus prioritaires et assurer ainsi de manière plus effective le logement de ces familles. Ainsi, le mécanisme instauré a vocation à permettre de résorber la pénurie de logements sociaux et d’assurer une exécution complète et effective des décisions demandant au préfet de loger ou reloger les ménages reconnus comme prioritaires par la commission départementale de médiation. Dans cette logique, le destinataire de l’astreinte devient indifférent : peu importe que l’astreinte ne soit pas versée au demandeur, pourvu que le coût engendré pour l’État rende pour lui préférable l’exécution plutôt que l’inexécution de la décision de justice. Le Gouvernement se réfère à cet égard à un avis du Conseil d’État du 2 juillet 2010 (voir paragraphe 21 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

44. La Cour rappelle que le droit à l’exécution d’une décision de justice est un des aspects du droit à un tribunal (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II ; Simaldone c. Italie, no 22644/03, § 42, 31 mars 2009). À défaut, les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention seraient privées de tout effet utile. La protection effective du justiciable implique l’obligation pour l’État ou l’un de ses organes d’exécuter le jugement. Si l’État refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdraient toute raison d’être (Hornsby, précité). L’exécution doit, en outre, être complète, parfaite et non partielle (Matheus c. France, no 62740/00, § 58, 31 mars 2005 ; Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, §§ 68-76, 2 mars 2004).

45. En l’espèce, la décision litigieuse est un jugement définitif enjoignant, sous astreinte, au préfet de la région d’Ile-de-France d’assurer le relogement de la requérante, de sa fille et de son frère.

46. À la requérante qui se plaint de n’avoir toujours pas été relogée malgré ce jugement, le Gouvernement répond que, compte tenu de la pénurie de logements disponibles dans la région d’Ile-de-France, le prononcé par les juridictions internes d’une astreinte d’un montant de 700 EUR par mois à verser au Fonds d’aménagement urbain puis la liquidation de cette astreinte constituaient des mesures adéquates et suffisantes pour assurer l’exécution du jugement rendu par le tribunal administratif.

47. La Cour observe que si la requérante ne s’est toujours pas vu proposer de logement adapté à ses besoins et capacités, contrairement à ce que prévoyait pourtant expressément le dispositif du jugement du 28 décembre 2010, l’astreinte prononcée dans ce jugement a effectivement été liquidée et versée par l’État. Elle relève cependant que, d’une part, cette astreinte, qui a pour seul objet d’inciter l’État à exécuter l’injonction de relogement qui lui a été faite, n’a aucune fonction compensatoire et, d’autre part, qu’elle a été versée, non à la requérante, mais à un fonds d’aménagement urbain, soit à un fonds géré par les services de l’État. En conséquence, en l’absence de relogement, la Cour ne peut donc que constater que le jugement du 28 décembre 2010 n’a pas été exécuté dans son intégralité, plus de trois ans et demi après son prononcé, et ce, alors même que les juridictions internes avaient indiqué que la demande de la requérante devait être satisfaite avec une urgence particulière.

48. La Cour admet certes que le droit à la mise en œuvre sans délai d’une décision de justice définitive et obligatoire n’est pas absolu. Il appelle par sa nature même une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. Pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime, et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Si la restriction est compatible avec ses principes, il n’y a pas de violation de l’article 6 (Sabin Popescu, précité, § 66).

49. La Cour précise, en outre, que la responsabilité de l’État ne peut être engagée du fait du défaut de paiement d’une créance exécutoire due à l’insolvabilité d’un débiteur privé (voir, par exemple, Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). Dans un tel cas, différent de celui soumis à la Cour par la requérante, l’État ne peut être tenu pour responsable que s’il est établi que les mesures adoptées par les autorités nationales n’ont pas été adéquates et suffisantes (voir à ce sujet Shestakov c. Russie (déc.), no 48757/99, 18 juin 2002, Ruianu, précité, § 66, Kesyan c. Russie, no 36496/02, 19 octobre 2006, Anokhin c. Russie (déc.), no 25867/02, 31 mai 2007). L’obligation positive incombant à l’État en matière d’exécution consiste uniquement à mettre à la disposition des individus un système leur permettant d’obtenir de leurs débiteurs récalcitrants le paiement des sommes allouées par les juridictions (voir Dachar c. France (déc.), no 42338/98, 6 juin 2000).

50. En la cause, la Cour relève que la carence des autorités, qui s’explique, selon le Gouvernement, par la pénurie de logements disponibles, ne se fonde sur aucune justification valable au sens de sa jurisprudence. Elle rappelle, en effet, qu’aux termes de sa jurisprudence constante, une autorité de l’État ne peut prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer, par exemple, une dette fondée sur une décision de justice (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 70, CEDH 2009 ; Société de gestion du port de Campoloro et Société fermière de Campoloro c. France, no 57516/00, § 62, 26 septembre 2006).

51. De plus, ainsi qu’il est relevé ci-dessus (paragraphe 50), la présente espèce ne concerne pas le défaut de paiement d’une créance exécutoire due à l’insolvabilité d’un débiteur privé.

52. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’en s’abstenant, pendant plusieurs années, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à une décision judiciaire définitive et exécutoire, les autorités nationales ont privé les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

53. La requérante se plaint de n’avoir toujours pas été relogée en dépit du jugement définitif du 28 décembre 2010 enjoignant au préfet de la région d’Ile-de-France d’assurer son relogement.

54. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime, dans les circonstances de la présente affaire, que le grief soulève également des questions sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Cette disposition est ainsi libellée :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Thèses des parties

55. Le Gouvernement rappelle, en premier lieu, que le jugement du 28 décembre 2010 se prononce sur deux points : d’une part, après avoir constaté que la commission de médiation a reconnu la requérante comme prioritaire et devant être relogée en urgence, il enjoint au préfet de Paris d’assurer ce relogement ; d’autre part, il assortit cette injonction d’une astreinte. Or, sur le prononcé de l’astreinte, le jugement a été exécuté. En tout état de cause, une astreinte ne saurait constituer un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. En effet, elle demeure une faculté souveraine du juge et ne peut donc susciter aucune espérance légitime et, lorsqu’elle est effectivement prononcée, n’étant pas indemnitaire mais comminatoire, le demandeur ne saurait prétendre en être le destinataire et donc le bénéficiaire. Sur le second aspect du jugement, le Gouvernement reconnaît qu’en instaurant le droit au logement opposable, le législateur a mis en place une base suffisante en droit interne pour que les personnes remplissant les conditions qu’il pose puissent nourrir l’espérance légitime de se voir attribuer un logement. Il soutient toutefois que si les bénéficiaires d’une décision de la commission de médiation peuvent être regardés comme disposant d’une base juridique leur donnant une espérance légitime, ils ne peuvent être regardés comme étant titulaires d’une créance sur l’État et donc d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. En effet, le droit au logement opposable n’a pas de caractère patrimonial dans la mesure où cette créance n’est pas valorisable au titre du patrimoine de son bénéficiaire. Le droit de se voir proposer un logement n’est pas le droit que l’État prenne en charge le loyer ou le coût éventuel de l’hébergement. En l’absence de valeur patrimoniale du droit reconnu à la requérante, celle-ci ne peut revendiquer le bénéfice des dispositions de l’article 1 du Protocole no 1.

56. La requérante reproche à l’État de n’avoir pas respecté le jugement du 28 décembre 2010.

B. Appréciation de la Cour

57. La Cour rappelle d’emblée que la notion de « biens » prévue par la première partie de l’article 1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi être considérés comme des « droits de propriété » et donc des « biens » au sens de cette disposition (voir Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000‑I ; Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999‑II).

58. Certes, le droit à une prestation sociale ne fait pas en tant que tel partie des droits et libertés garantis par la Convention (voir, par exemple, Aunola c. Finlande (déc.), no 30517/96, 15 mars 2001) et le droit d’habiter dans une résidence déterminée, dont on n’est pas propriétaire, ne constitue pas en soi un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (H.F. c. Slovaquie (déc.), no 54797/00, 9 décembre 2003 ; Kovalenok c. Lettonie (déc.), no 54264/00, 15 février 2001 ; J.L.S. c. Espagne (déc.), no 41917/98, CEDH 1999-V). Toutefois, les valeurs patrimoniales, y compris des créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un certain droit de nature patrimoniale, peuvent aussi relever de la notion de « biens » contenue à l’article 1 du Protocole no 1 (Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, 29 novembre 1991, § 51, série A no 222 ; Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 31, série A no 332 ; mutatis mutandis, S.A. Dangeville c. France, no 36677/97, §§ 44‑48, CEDH 2002-III). En particulier, la Cour a constamment dit qu’une « créance » – concernant même le bénéfice d’une prestation sociale particulière – peut constituer un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 si elle est suffisamment établie pour être exigible (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 40, CEDH 2002‑III ; Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, série A no 301-B). La Cour a ainsi pu juger que, lorsqu’une personne se voit allouer, par un jugement définitif et exécutoire, un logement qu’elle a le droit de posséder, d’utiliser et, sous certaines conditions, d’acquérir, elle devient titulaire d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, Tétériny c. Russie, no 11931/03, 30 juin 2005 ; Olaru et autres c. Moldova, nos 476/07 et 3 autres, 28 juillet 2009 ; Ilyushkin et autres c. Russie, nos 5734/08 et 28 autres, 17 avril 2012).

59. La Cour observe qu’en l’espèce, en vertu du jugement du 28 décembre 2010, le préfet de la région d’Ile-de-France devait assurer le relogement de la requérante. Le jugement n’obligeait pas les autorités à lui conférer la propriété d’un appartement mais à en mettre un à sa disposition. Aux termes du bail social ainsi conféré, la requérante aurait dû jouir du droit d’utiliser un appartement. Elle aurait également pu, sous certaines conditions, l’acquérir mais il s’agissait d’une simple faculté et non d’un droit, la vente étant subordonnée à l’autorisation des autorités administratives concernées. La requérante n’avait donc pas d’« espérance légitime » d’acquérir une valeur patrimoniale.

60. Dès lors, la Cour ne saurait considérer que la nature de la créance de la requérante – à savoir son droit à un « bail social » – était telle que cette créance constituait un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

61. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

63. La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable le grief de la requérante au titre de l’article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable le restant de la requête ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-153479
Date de la décision : 09/04/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure d'exécution;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : TCHOKONTIO HAPPI
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ORMILLIEN F.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award