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23/03/2016 | CEDH | N°001-161834

CEDH | CEDH, AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE, 2016, 001-161834


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE

(Requête no 47152/06)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mars 2016

Cet arrêt est définitif.




En l’affaire Blokhin c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Dean Spielmann,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Josep Casadevall,
Luis López Guerra,
Mark Villiger,
Boštjan M. Zupančič,
Ján Šikuta,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Helen Keller,
Ale

Pejchal,
Valeriu Griţco,
Dmitry Dedov,
Robert Spano,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Lawrence Early, jurisconsulte,

Après en avoir délibéré en chambre d...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE

(Requête no 47152/06)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mars 2016

Cet arrêt est définitif.

En l’affaire Blokhin c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Dean Spielmann,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Josep Casadevall,
Luis López Guerra,
Mark Villiger,
Boštjan M. Zupančič,
Ján Šikuta,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Helen Keller,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Dmitry Dedov,
Robert Spano,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Lawrence Early, jurisconsulte,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 février 2015 et le 7 janvier 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47152/06) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Ivan Borisovich Blokhin (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er novembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me I.V. Novikov, avocat à Novossibirsk. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Dans sa requête, le requérant alléguait notamment qu’il avait été détenu illégalement et dans des conditions inhumaines dans un centre pour mineurs délinquants et que son procès n’avait pas été équitable.

4. Le 29 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Le 14 novembre 2013, une chambre de la première section composée de Isabelle Berro-Lefèvre, Khanlar Hajiyev, Mirjana Lazarova Trajkovska, Julia Laffranque, Erik Møse, Ksenija Turković et Dmitry Dedov, juges, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, a rendu un arrêt dans lequel, à l’unanimité, elle déclarait la requête partiellement recevable et concluait à la violation des articles 3, 5 § 1 et 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention.

6. Le 13 février 2014, le Gouvernement a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement de la Cour (« le règlement »). Le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande le 24 mars 2014.

7. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites. Le 9 octobre 2014, après consultation des parties, le président de la Grande Chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience et a invité les parties à présenter des observations écrites complémentaires, ce qu’elles ont fait. Des observations ont par ailleurs été reçues du Centre pour la défense des personnes handicapées mentales et de la Ligue des droits de l’homme en République tchèque, que le président de la Grande Chambre avait autorisés à intervenir dans la procédure (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1992 et réside à Novossibirsk.

A. Les antécédents et l’état de santé du requérant

10. À une date non précisée avant septembre 2004, les parents du requérant furent déchus de leur autorité parentale et celui-ci fut placé dans un orphelinat local avant d’être confié à son grand-père, qui avait été désigné tuteur de son petit-fils en octobre 2004. Cette tutelle fut révoquée le 28 février 2005, puis rétablie début 2006.

11. De 2002 à 2005, le requérant aurait commis des infractions réprimées par le code pénal de la Fédération de Russie, notamment des troubles à l’ordre public, des vols qualifiés et des extorsions, seul ou avec d’autres mineurs. N’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, il ne fut pas poursuivi, mais fit l’objet de cinq enquêtes préliminaires et fut placé sous la surveillance du service des mineurs de la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk (« le service des mineurs »). En outre, le 21 septembre 2004, à la suite de la quatrième enquête, il fut placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pour une durée de trente jours.

12. Le dossier médical du requérant indiquait que celui-ci souffrait d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (trouble mental et neurocomportemental caractérisé par de graves difficultés de concentration ou par un comportement hyperactif et impulsif, ou encore par une combinaison de ces deux éléments) et qu’il présentait une neurovessie à l’origine d’une énurésie (trouble induisant une incontinence urinaire).

13. Le 27 décembre 2004 et le 19 janvier 2005, le requérant fut examiné par un neurologue et par un psychiatre. On lui prescrivit un traitement pharmacologique, un suivi neurologique et psychiatrique, ainsi qu’un accompagnement psychologique régulier.

B. L’enquête préliminaire dirigée contre le requérant

14. Le 3 janvier 2005, le requérant, qui était alors âgé de douze ans, se trouvait au domicile de S., l’un de ses voisins, âgé de neuf ans, lorsque la mère de ce dernier, Mme S., appela la police. Celle-ci conduisit le requérant au commissariat du district Sovetski de Novossibirsk sans l’informer des raisons de son interpellation.

15. Le requérant affirme avoir été placé dans une cellule sans fenêtres où la lumière avait été éteinte, et avoir dû attendre près d’une heure dans l’obscurité avant d’être interrogé par un agent de police. Celui-ci lui aurait indiqué que S. l’avait accusé d’extorsion. Le policier l’aurait poussé à passer aux aveux, lui disant que s’il le faisait, il serait libéré sur-le-champ, sinon il serait placé en garde à vue. L’intéressé aurait signé des aveux. Le policier aurait alors immédiatement téléphoné au grand-père du requérant, l’informant que son petit-fils se trouvait au commissariat et qu’il pouvait venir le chercher. À l’arrivée du grand-père au commissariat, le requérant se serait rétracté et aurait protesté de son innocence.

16. Le Gouvernement conteste la version des faits exposée par le requérant. Selon lui, l’intéressé avait été invité à s’« expliquer » sans pour autant subir un interrogatoire stricto sensu. L’entretien aurait été mené par un agent de police ayant reçu une formation en psychologie et l’intéressé aurait été informé de son droit de garder le silence. Le requérant n’aurait pas subi de pression ou d’intimidation, et son grand-père aurait été présent au cours de l’entretien.

17. Le même jour, le grand-père de l’intéressé rédigea une déposition, qu’il signa. Il y décrivait le caractère et le mode de vie de son petit-fils, indiquant qu’il avait surpris celui-ci deux jours plus tôt en possession d’une somme d’argent et que, à la question de savoir d’où elle provenait, le requérant lui avait répondu qu’il l’avait reçue de son père.

18. S. et sa mère furent également entendus par la police au sujet de l’incident. Ils déclarèrent qu’à deux occasions, le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005, le requérant avait extorqué 1 000 roubles (RUB) à S. en le menaçant de s’en prendre physiquement à lui s’il refusait de lui remettre l’argent.

19. Le 12 janvier 2005, le service des mineurs considéra qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre le requérant. Au vu des aveux de l’intéressé, de la déposition de S. et de celle de la mère de ce dernier, il jugea établi que le requérant avait extorqué de l’argent à S. le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005. Il en déduisit que l’élément matériel de l’infraction d’extorsion réprimée par l’article 163 du code pénal était constitué. Toutefois, après avoir relevé que le requérant n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, il conclut que l’intéressé ne pouvait être poursuivi pour les faits en question.

20. Le 3 février 2005, le grand-père du requérant porta plainte auprès du parquet du district Sovetski de Novossibirsk, affirmant que son petit-fils, un mineur atteint de troubles mentaux, avait subi des intimidations avant d’être interrogé hors la présence de son tuteur, et qu’il avait signé des aveux sous la contrainte. Il demanda que ces aveux fussent déclarés irrecevables en tant que preuve et que l’enquête préliminaire fût abandonnée pour absence de preuve, et non pour cause de minorité pénale.

21. Le 8 juin 2005, le parquet de district annula la décision du 12 janvier 2005, estimant que l’enquête préliminaire était incomplète. Il ordonna l’ouverture d’une nouvelle enquête préliminaire.

22. Le 6 juillet 2005, le service des mineurs refusa derechef d’engager des poursuites contre le requérant, pour les mêmes raisons que précédemment.

23. Au cours des mois suivants, le grand-père du requérant adressa plusieurs plaintes à des parquets de différents degrés, demandant le réexamen de l’affaire de son petit-fils. Il alléguait que le requérant était passé aux aveux parce que la police avait usé d’intimidation à son égard, notamment en le faisant attendre une heure dans une cellule obscure avant de l’interroger hors la présence de son tuteur, d’un psychologue ou d’un enseignant. Il affirmait en outre que le policier ayant interrogé son petit-fils l’avait forcé à signer des aveux sans lui donner la possibilité de bénéficier de l’assistance d’un avocat, et qu’il avait ensuite refusé d’engager des poursuites au motif que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale tout en jugeant avéré que celui-ci s’était livré à une extorsion.

24. Par lettres des 4 août, 9 novembre et 16 décembre 2005, le parquet de district et le parquet régional de Novossibirsk répondirent au grand-père du requérant que celui-ci, en raison de son âge, ne faisait pas l’objet de poursuites, si bien qu’il n’était ni suspect ni prévenu. Dans les lettres en question, ils précisaient que le 3 janvier 2005 l’intéressé n’avait pas été interrogé par la police, mais seulement invité à fournir des « explications » et qu’une telle mesure n’exigeait pas la présence d’un avocat, d’un psychologue ou d’un enseignant. Ils ajoutaient qu’il n’était pas établi qu’avant cet entretien le requérant eût été maintenu dans une cellule obscure, et que celui-ci n’avait pas attendu plus de dix minutes avant qu’un agent du service des mineurs n’arrivât et ne l’interrogeât. Enfin, ils déclaraient que les dépositions de S. et de sa mère, ainsi que les aveux passés par l’intéressé lui-même au cours de l’entretien du 3 janvier 2005 prouvaient que celui-ci s’était rendu coupable d’extorsion.

C. L’ordonnance de placement en détention

25. Le 10 février 2005, le chef des services de police demanda au tribunal du district Sovetski de Novossibirsk d’ordonner l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants.

26. Le 21 février 2005, le tribunal de district tint une audience à laquelle le requérant et son grand-père participèrent. Ils produisirent des attestations médicales certifiant que l’intéressé souffrait de troubles mentaux et d’énurésie.

27. Le même jour, le tribunal de district ordonna l’internement du requérant pendant trente jours dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Il se prononça ainsi :

« Le tribunal est saisi d’une requête du chef des services de police du district Sovetski de Novossibirsk tendant au placement [du requérant], qui est fiché pour délinquance depuis le 4 janvier 2002 au service [des mineurs], dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant trente jours.

Le 14 mai 2003, [le requérant] a commis l’infraction réprimée par l’article 161 du code pénal de la Fédération de Russie. N’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, [le requérant] n’a pas été poursuivi.

Le 24 juillet 2003, [le requérant] a commis l’infraction réprimée par l’article 213 du code pénal de la Fédération de Russie. N’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, [le requérant] n’a pas été poursuivi.

Le 27 août 2004, [le requérant] a commis derechef l’infraction réprimée par l’article 161 du code pénal de la Fédération de Russie. N’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, [le requérant] n’a pas été poursuivi. Il a été interné dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant trente jours.

[Le requérant] vit dans un environnement familial défavorable, son grand-père étant responsable de son éducation dans la mesure du possible. Ses parents sont alcooliques et ils ont sur lui une influence négative. Avant d’être placé sous la tutelle de [son grand-père], [le requérant] a vécu dans un orphelinat et il était inscrit à l’école no 61. À l’époque des faits, il était inscrit à l’école no 163. Il manquait souvent la classe et a complètement cessé de fréquenter l’école à partir de décembre. Faute d’être surveillé comme il devrait l’être, il passe la majeure partie de son temps dans la rue à commettre des infractions dangereuses pour la société.

Le 27 décembre 2004, [le requérant] a une nouvelle fois commis l’infraction réprimée par l’article 163 du code pénal de la Fédération de Russie. N’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, [le requérant] n’a pas été poursuivi.

Au vu des faits exposés ci-dessus, [le chef des services de police] estime qu’il faut placer [le requérant] dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant trente jours afin de l’empêcher de récidiver.

Le représentant du service des mineurs appuie la requête introduite par le chef des services de police et expose que le tuteur [du requérant] a formulé par écrit une demande de mainlevée de la tutelle, qui a été acceptée par [son service].

[Le requérant] refuse de s’expliquer.

Le représentant [le grand-père] [du requérant] s’oppose au placement de son petit-fils dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, alléguant que [le requérant] n’a pas pu commettre d’infraction le 27 décembre 2004, car ce jour-là il s’était rendu avec lui à une consultation médicale.

L’avocate [du requérant], Me [R.], sollicite le rejet de la requête introduite par le chef des services de police.

Le procureur invite le tribunal à faire droit à la requête et à ordonner le placement [du requérant] dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Il soutient que les pièces produites par le tuteur [du requérant] ne confirment pas que celui-ci a consulté un médecin le 27 décembre 2004 à 13 heures ou qu’il se trouvait dans l’incapacité de commettre l’infraction qui lui est reprochée, considérant notamment la personnalité [du requérant] et les infractions déjà commises par celui-ci.

Après avoir entendu les parties et examiné les pièces produites par elles, le tribunal accueille la requête, pour les motifs suivants : [le requérant] est fiché [à la brigade des mineurs] ; il a déjà été interné dans [un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants] en vue d’une rééducation comportementale, mais il n’en a pas tiré les conclusions qui s’imposaient et il a récidivé ; les mesures préventives mises en place par le service [des mineurs] et le tuteur [du requérant] n’ont débouché sur aucun résultat, ce qui prouve que [l’intéressé] n’en a pas tiré de leçon. [Le requérant] doit être interné pendant trente jours dans [un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants] en vue d’une rééducation comportementale.

Les éléments du dossier confirment que [le requérant] a commis une infraction dangereuse pour la société : Mme [S.] a déposé une plainte d’où il ressort que le 27 décembre 2004, vers 13 heures, [le requérant] a extorqué 1 000 roubles à son fils [S.] dans une cour en le menaçant de s’en prendre physiquement à lui. Le 3 janvier 2005, [le requérant] est retourné au domicile [de Mme S.] et a derechef extorqué 1 000 roubles au fils de celle-ci, sous la menace de violences. Pour sa part, [S.] indique que le 27 décembre 2004, vers 13 heures, [le requérant] lui a ordonné de lui remettre 1 000 roubles dans une cour en le menaçant de violences, et qu’il lui a donné l’argent demandé. [S.] indique en outre que [le requérant] est revenu chez lui le 3 janvier 2005 et qu’il a de nouveau exigé la remise de 1 000 roubles en le menaçant derechef de s’en prendre physiquement à lui. [S.] ajoute qu’il s’en est plaint à sa mère, et que celle-ci a appelé la police.

Le tribunal relève que les faits relatés ci-dessus sont corroborés par la déposition [du requérant], lequel ne conteste pas que [S.] lui a donné de l’argent le 27 décembre 2004 en raison de la crainte qu’il lui inspire. [Le requérant] ne nie pas non plus s’être rendu au domicile de [S.] le 3 janvier 2005. [Le requérant] n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, aucune procédure pénale n’a été engagée contre lui à raison des faits survenus le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005.

Au vu de ces éléments, le tribunal estime que les explications données par le tuteur [du requérant] pour démontrer que celui-ci n’a pas commis d’infraction le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005 sont infondées et fantaisistes.

Eu égard aux faits exposés ci-dessus et statuant sur le fondement de l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs, le tribunal fait droit à la requête introduite par le chef des services de police et ordonne le placement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pour une durée de trente jours. »

D. La détention du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants

28. Le 21 février 2005, le requérant fut interné dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants de Novossibirsk. Il y demeura jusqu’au 23 mars 2005.

1. La description donnée par le requérant de ses conditions de détention dans le centre

29. Le requérant indique qu’il partageait avec sept autres détenus un dortoir où la lumière restait allumée toute la nuit.

30. Il affirme que les détenus n’étaient pas autorisés à entrer dans le dortoir et à s’étendre sur leur lit pendant la journée, qu’ils étaient contraints de passer toute la journée dans un vaste local vide, non meublé et dépourvu d’équipements sportifs. Il ajoute que lui-même et ses codétenus recevaient parfois des jeux d’échecs et d’autres jeux de société, et qu’ils n’avaient été autorisés à se promener dans la cour que deux fois au cours de ses trente jours de détention dans le centre.

31. Il expose que les détenus suivaient deux fois par semaine des cours d’environ trois heures, que les seules matières qui leur étaient enseignées étaient les mathématiques et le russe, à l’exclusion des autres matières du programme officiel de l’enseignement secondaire, et que l’enseignement était dispensé à une vingtaine d’élèves d’âges divers et de niveaux scolaires différents réunis dans une même classe.

32. Il affirme que les surveillants infligeaient des punitions collectives aux détenus, et que si l’un de ceux-ci enfreignait la discipline stricte imposée dans le centre, tous devaient s’aligner contre un mur avec interdiction de bouger, de parler et de s’assoir. Il déclare que le centre comptait de nombreux détenus issus de milieux socialement défavorisés qui étaient pour cette raison psychologiquement instables et indisciplinés, et que cette punition leur était donc infligée tous les jours, souvent des heures durant.

33. Il indique que les détenus n’étaient pas autorisés à quitter le local où ils étaient rassemblés et que, pour aller aux toilettes, ils devaient s’adresser aux surveillants, qui ne les y accompagnaient que par groupes de trois, si bien qu’ils étaient obligés d’attendre d’être suffisamment nombreux pour pouvoir s’y rendre. Le requérant affirme que, souffrant d’énurésie, l’impossibilité de se rendre aux toilettes aussi souvent que nécessaire lui causait des douleurs à la vessie et des souffrances psychiques, et que les surveillants le punissaient en lui imposant des corvées de nettoyage particulièrement ardues lorsqu’il demandait trop fréquemment l’autorisation d’aller aux toilettes.

34. Enfin, il allègue n’avoir bénéficié d’aucun traitement médical, bien que son grand-père eût informé le personnel du centre qu’il souffrait d’énurésie et d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.

2. La description donnée par le Gouvernement des conditions de détention du requérant dans le centre

35. Le Gouvernement indique que les dortoirs du centre mesuraient chacun 17 m2 et qu’ils étaient équipés de quatre lits. Il affirme que l’accès aux salles de bains et aux toilettes situées à chaque étage n’était pas limité.

36. Il expose que le centre disposait d’un réfectoire où des repas étaient servis cinq fois par jour, d’une salle de jeux et d’une salle de sport, et que les détenus avaient accès à des équipements audiovisuels, à des jeux éducatifs et à des œuvres de fiction.

37. Il déclare que les surveillants menaient auprès de chacun des détenus des « actions préventives » qui les autorisaient à leur appliquer des mesures incitatives ou punitives sous forme de remontrances orales, que les châtiments corporels étaient proscrits et que les détenus mineurs n’étaient jamais astreints à effectuer des travaux pénibles ou salissants.

38. Il assure que l’unité médicale du centre disposait de tous les équipements et médicaments nécessaires. Il ajoute qu’il ressort de la liste du personnel du centre qu’il a produite devant la Cour que l’unité médicale comprenait un pédiatre, deux infirmières et un psychologue. Il déclare que chaque enfant était examiné par le pédiatre le jour de son arrivée au centre, puis de manière quotidienne, que des traitements étaient prescrits en tant que de besoin et que les « données comptables et statistiques » du centre relatives au requérant prouvent que celui-ci n’avait pas informé le médecin de son énurésie.

39. Le Gouvernement affirme que le dossier individuel du requérant, où figuraient notamment des informations sur son état de santé au moment de son internement, ainsi que des notes sur les actions préventives et les punitions dont il avait fait l’objet, a été détruit le 17 janvier 2008 à l’expiration du délai légal de conservation des documents de ce type, conformément au décret no 215 pris par le ministère de l’Intérieur le 2 avril 2004 (paragraphe 73 ci-dessous). Toutefois, il indique que les « données comptables et statistiques » susmentionnées relatives au requérant ont été conservées, les données de ce type devant l’être sans limitation de durée selon le même décret (paragraphe 74 ci-dessous).

40. Il explique que les autres dossiers et registres médicaux concernant le requérant détenus par le centre ont été détruits une fois devenus inutiles et qu’ils n’ont pas été inventoriés au motif qu’il n’existait aucune disposition sur la conservation de pareils documents avant l’entrée en vigueur, le 12 mai 2006, du décret no 340 pris par le ministère de l’Intérieur qui a fixé à trois ans leur durée de conservation.

41. Toutefois, le Gouvernement a produit une déclaration écrite d’une surveillante du centre datée du 23 décembre 2010. Celle-ci y confirme la description des conditions de détention dans le centre faite par le Gouvernement, ajoutant qu’un surveillant est toujours présent dans les locaux où les détenus sont réunis afin d’assurer la continuité du processus éducatif. Elle indique que des enseignants de l’école voisine se rendent régulièrement au centre pour que les détenus puissent suivre le programme de l’enseignement secondaire, et que ceux-ci se voient délivrer un relevé de leurs résultats scolaires à leur départ du centre. Elle dit ne pas se souvenir du requérant, mais affirme n’avoir jamais reçu de demandes ou de plaintes de sa part, ni de la part d’aucun autre détenu.

42. Le Gouvernement a produit en outre une copie d’une convention passée le 1er septembre 2004 entre le centre de détention et l’école secondaire no 15, aux termes de laquelle cette école s’engage à dispenser des cours d’enseignement secondaire dans le centre conformément au programme d’études établi par celui-ci. Il a également soumis une copie d’un programme de cours non daté couvrant une période de deux semaines, qui comprend quatre cours par jour les mardis, jeudis et vendredis.

E. L’état de santé du requérant après sa libération du centre de détention

43. Le 23 mars 2005, le requérant quitta le centre de détention. Le lendemain, il fut admis à l’hôpital pour y être traité pour une névrose et un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Il fut hospitalisé jusqu’au 21 avril 2005 au moins.

44. Le 31 août 2005, il fut placé dans un orphelinat. Il ressort d’un extrait de son dossier médical établi par l’orphelinat qu’il a fugué du 14 septembre au 11 octobre 2005, puis du 13 au 23 octobre 2005.

45. Le 1er novembre 2005, le requérant fut transféré dans un hôpital psychiatrique pour enfants, où il demeura jusqu’au 27 décembre 2005. Par la suite, il fut reconduit auprès de son grand-père, qui avait entre-temps été rétabli dans ses fonctions de tuteur.

46. Le 4 octobre 2005, le grand-père de l’intéressé porta plainte auprès du parquet général, alléguant que son petit-fils, qui était atteint d’un trouble mental, n’avait jamais reçu de traitement médical dans le centre de détention pour mineurs délinquants, ce qui avait provoqué une dégradation de son état de santé, et qu’aucun enseignement ne lui avait été dispensé. Il réitéra ses griefs auprès des autorités de poursuite dans une lettre du 30 novembre 2005. Le parquet de district et le parquet régional lui répondirent par écrit le 9 novembre et le 16 décembre 2005 respectivement, mais leurs lettres portaient exclusivement sur les questions procédurales qui se posaient dans l’affaire du requérant (paragraphe 24 ci-dessus) et ne comportaient aucune réponse à ses griefs relatifs à la santé et aux conditions de détention de son petit-fils.

F. Les recours exercés par le requérant contre l’ordonnance de placement en détention

47. Entre-temps, le 2 mars 2005, le grand-père du requérant avait fait appel de l’ordonnance de placement en détention délivrée le 21 février 2005. Dans son recours, il alléguait, en premier lieu, que la détention de son petit-fils était illégale au motif, selon lui, que la loi sur les mineurs n’autorisait pas l’internement en vue d’une « rééducation comportementale ». En second lieu, il soutenait que, faute d’avoir été informé de la décision de classement sans suite prise le 12 janvier 2005, il n’avait pas pu la contester. En troisième lieu, il avançait que le tribunal avait conclu que son petit-fils avait commis une infraction en se fondant sur la déposition de S., sur celle de la mère de celui-ci et sur les aveux de l’intéressé, alors même que ceux-ci avaient été passés par le requérant hors la présence de son tuteur ou d’un enseignant et que S. avait lui-même été interrogé hors la présence d’un enseignant, raisons pour lesquelles la déposition de S. et les aveux du requérant ne pouvaient être admis comme moyens de preuve. En quatrième lieu, il indiquait que S. et sa mère n’avaient pas pris part à l’audience et n’avaient pas été entendus par le tribunal, lequel n’avait pas vérifié l’alibi du requérant. Enfin, il reprochait au tribunal de ne pas avoir tenu compte de la santé fragile de son petit-fils et de ne pas avoir recherché si le maintien de celui-ci en détention était compatible avec son état de santé.

48. Le 21 mars 2005, la cour régionale avait annulé en appel l’ordonnance de placement en détention de l’intéressé délivrée le 21 février 2005. Pour se prononcer ainsi, elle avait relevé que la rééducation comportementale ne figurait pas au nombre des motifs pour lesquels l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs autorisait l’internement d’un mineur dans un centre de détention pour mineurs délinquants et elle avait conclu en conséquence à l’absence de base légale d’un internement fondé sur ce motif. Elle avait ajouté que le tribunal de district n’avait pas énoncé les raisons pour lesquelles la détention du requérant lui avait paru nécessaire, et elle avait estimé que la commission par celui-ci d’une infraction pour laquelle il n’était pas passible de poursuites du fait de son âge ne justifiait pas à elle seule son placement en détention. Elle avait précisé que, pour être régulière, pareille détention devait satisfaire à l’une des autres conditions énumérées par l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs (paragraphe 66 ci-dessous). Elle avait renvoyé l’affaire au tribunal de district pour réexamen.

49. Le 11 avril 2005, le tribunal de district avait pris une ordonnance de non-lieu après que le chef des services de police se fut désisté de sa requête tendant à l’internement du requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants. Ni l’intéressé ni son grand-père n’avaient été informés de la date de l’audience.

50. Le 22 mars 2006, le grand-père du requérant forma une demande en révision de l’ordonnance du 11 avril 2005. Il alléguait que le non-lieu prononcé dans l’affaire avait empêché le requérant de prouver son innocence quant à l’infraction pour laquelle il avait déjà purgé une peine de détention illégale dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants.

51. Le 3 avril 2006, le président de la cour régionale annula l’ordonnance du 11 avril 2005. Pour se prononcer ainsi, il releva d’abord que, selon l’article 31.2 § 3 de la loi sur les mineurs, un juge saisi d’une demande de placement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pouvait y faire droit ou au contraire la rejeter, mais qu’il ne pouvait pas prononcer un non-lieu. Il observa ensuite que, faute d’avoir été informés de la date de l’audience, l’intéressé et le tuteur de celui-ci avaient été privés de la possibilité de formuler des observations sur la question du non-lieu.

52. Le 17 avril 2006, le procureur de la région de Novossibirsk forma un recours en révision contre la décision rendue par la cour régionale le 21 mars 2005.

53. Le 12 mai 2006, le présidium de la cour régionale annula la décision du 21 mars 2005, estimant que celle-ci avait été rendue par un tribunal irrégulièrement composé. Il ordonna un nouvel examen de l’affaire en appel.

54. Le 29 mai 2006, le président de la cour régionale tint une nouvelle audience d’appel. Il confirma la décision de placement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants rendue le 21 février 2005. Il constata que l’intéressé avait commis l’infraction réprimée par l’article 163 du code pénal, mais qu’il n’avait pas été poursuivi parce qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale. Il releva que le requérant appartenait à une « famille à problèmes », précisant que les parents de celui-ci avaient été déchus de leur autorité parentale et qu’il était élevé par son grand-père. Il ajouta que l’intéressé faisait l’école buissonnière et qu’il passait l’essentiel de son temps dans la rue ou dans un club informatique. En conséquence, il jugea que la détention du requérant pendant trente jours dans un centre de détention pour mineurs délinquants avait été nécessaire, aux fins d’application de l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs, pour prévenir tout risque de récidive de la part de l’intéressé. Il considéra que la nécessité d’une « rééducation comportementale » invoquée par le tribunal de district pour justifier l’internement litigieux ne rendait pas l’ordonnance de placement en détention du 21 février 2005 illégale, car la détention du requérant se justifiait par d’autres motifs. Enfin, il estima que la fragilité de la santé du requérant ne pouvait conduire à l’annulation de l’ordonnance litigieuse, puisque celle-ci avait été exécutée en mars 2005.

II. Le droit et la pratique internes pertinents

A. La Constitution de la Fédération de Russie

55. L’article 48 § 2 de la Constitution de la Fédération de Russie reconnaît à toute personne arrêtée, détenue ou accusée d’une infraction pénale le droit à une assistance juridique dès le moment de son arrestation, de son placement en détention ou de son inculpation.

B. Le code pénal

56. Le code pénal de la Fédération de Russie fixe l’âge de la responsabilité pénale à seize ans. Cet âge est ramené à quatorze ans pour certaines infractions, notamment l’extorsion de fonds (article 20).

57. Selon l’article 43 § 2 du même code, la sanction pénale a pour buts le rétablissement de la justice sociale, l’amendement du condamné et la prévention de la récidive.

58. L’article 87 § 1 du code traite de la responsabilité pénale des mineurs, qu’il définit comme des personnes âgées de quatorze à dix-huit ans. Il énonce que les mineurs auteurs d’une infraction pénale peuvent se voir imposer des mesures éducatives obligatoires ou des peines. L’article 87 § 2 prévoit qu’un mineur dispensé de peine par un tribunal peut néanmoins faire l’objet d’un placement dans un centre éducatif fermé administré par une institution du ministère de l’Éducation.

C. Le code de procédure pénale

59. Tout suspect ou accusé a droit à une assistance juridique dès son arrestation (articles 46 § 4 (3), 47 § 4 (8) et 49 § 3).

60. La présence d’un avocat est obligatoire lorsque le suspect ou l’accusé est mineur. Les policiers, les enquêteurs, les procureurs ou les juges sont tenus de commettre un avocat d’office lorsque le mineur ou son tuteur n’ont pas constitué avocat (article 51 §§ 1 et 3).

61. La présence d’un avocat est obligatoire lors de chaque interrogatoire d’un suspect mineur. Si le suspect a moins de seize ans, un psychologue ou un enseignant doit également assister aux interrogatoires. Le policier, l’enquêteur ou le procureur chargé des interrogatoires doit alors s’assurer de la présence d’un psychologue ou d’un enseignant à chaque interrogatoire (article 425 §§ 2-4).

62. Le tuteur d’un suspect mineur peut prendre part à tous les actes d’enquête à compter du premier interrogatoire (article 426 §§ 1 et 2 (3)).

63. Les témoins doivent être entendus par la juridiction de jugement elle-même (article 278). Les dépositions faites par des victimes ou des témoins au cours de l’enquête préliminaire peuvent être lues à l’audience, avec le consentement des parties, i) s’il existe d’importantes divergences entre les dépositions en question et les témoignages faits à l’audience ou ii) si les victimes ou les témoins concernés ne comparaissent pas à l’audience (article 281).

D. La loi sur les mineurs

64. Selon l’article 1 de la loi fédérale no 120-FZ du 24 juin 1999 sur les mesures de base en matière de prévention de la négligence envers les mineurs et de la délinquance des mineurs (« la loi sur les mineurs »), un mineur s’entend de toute personne âgée de moins de dix-huit ans.

65. D’après l’article 15 §§ 4 à 7 du même texte, les mineurs qui ont des besoins particuliers en matière éducative et qui ont commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale peuvent être placés dans un « centre éducatif fermé » pour une durée maximale de trois ans. Les centres éducatifs fermés ont principalement vocation à :

i) accueillir, éduquer et scolariser des mineurs âgés de huit à dix-huit ans et ayant des besoins particuliers en matière éducative ;

ii) rééduquer les mineurs concernés du point de vue psychologique, thérapeutique et pédagogique, et mener auprès d’eux des actions préventives individualisées ;

iii) protéger les droits et intérêts légitimes des mineurs concernés, fournir aux intéressés des soins médicaux et leur dispenser un enseignement secondaire et professionnel ;

iv) apporter une assistance sociale, psychologique et pédagogique aux mineurs ayant des problèmes de santé, de comportement ou des difficultés scolaires ;

v) animer des clubs ou groupements sportifs, scientifiques ou autres et inciter les mineurs concernés à y participer ;

vi) mettre en œuvre des programmes et des mesures visant à susciter chez les mineurs concernés un comportement respectueux de la loi (article 15 § 2).

66. Un mineur ne peut être placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants que pour la durée strictement nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié, laquelle ne peut excéder trente jours (article 22 § 6), dans les cas suivants :

i) s’il s’agit d’un mineur dont le placement en établissement éducatif fermé a été ordonné par un tribunal, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant la durée nécessaire à la préparation de son transfert dans l’établissement en question (articles 22 § 1 (3), 22 § 2 (1) et 31 § 1) ;

ii) s’il s’agit d’un mineur faisant l’objet d’une demande de placement en établissement éducatif fermé qui est pendante devant un tribunal, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant une durée maximale de trente jours lorsqu’une telle mesure est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé ou l’empêcher de récidiver, qu’il n’a pas de domicile fixe, qu’il a fugué, ou qu’il est resté plus de deux fois en défaut de comparaître en justice ou de se présenter à un examen médical sans raison valable (articles 22 § 2 (2) et 26 § 6) ;

iii) s’il s’agit d’un mineur qui s’est enfui d’un établissement éducatif fermé, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant la durée nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié (article 22 § 2 (3)) ;

iv) s’il s’agit d’un mineur qui a commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants lorsqu’une telle mesure est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé ou l’empêcher de récidiver, que son identité est inconnue, qu’il n’a pas de domicile fixe, qu’il réside dans une autre région que celle où l’infraction a été commise, ou qu’il ne peut être remis immédiatement à ses parents ou tuteurs en raison de l’éloignement de leur domicile (article 22 § 2 (4-6)).

67. Les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants ont principalement pour vocation :

i) la détention provisoire de mineurs délinquants en vue de protéger leur vie et leur santé et de les empêcher de récidiver ;

ii) la conduite, auprès des mineurs concernés, d’actions préventives individualisées visant à déterminer s’ils ont pris part à la commission d’actes de délinquance, à identifier les raisons et les circonstances favorisant la commission de tels actes, et à en informer les services répressifs compétents ;

iii) le transfert des mineurs concernés dans des établissements éducatifs fermés et la mise en œuvre de mesures en vue de trouver un lieu d’accueil pour les mineurs temporairement placés sous leur garde (article 22 § 1).

68. Le placement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants est ordonné par un juge (article 22 § 3 (2)), à la demande d’une direction locale du ministère de l’Intérieur. Celle-ci doit fournir les éléments suivants à l’appui de sa demande : la preuve de la commission d’un acte de délinquance par le mineur concerné, des renseignements sur les buts et les motifs de l’internement du mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants et des éléments établissant que l’internement est nécessaire pour protéger la vie ou la santé du mineur ou pour l’empêcher de récidiver (article 31.1). Le mineur concerné et ses parents ou son tuteur peuvent prendre connaissance de ces éléments avant qu’ils ne soient examinés par un juge unique lors d’une audience à laquelle prennent part le mineur, ses parents ou son tuteur, un avocat, un procureur, ainsi que des représentants de la direction locale du ministère de l’Intérieur et du centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Le juge accueille la demande de placement ou la rejette par une décision motivée (article 31.2). Le mineur, ses parents ou son tuteur et son avocat peuvent interjeter appel de cette décision devant une juridiction supérieure dans un délai de dix jours (article 31.3).

E. L’instruction sur les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants

69. Dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, l’instruction relative à l’organisation des activités des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants adoptée par le décret no 215 pris par le ministère de l’Intérieur le 2 avril 2004 plaçait les centres en question sous l’administration des directions locales du ministère de l’Intérieur (§ 4).

70. Selon cette instruction, l’admission de mineurs dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants donnait lieu à une fouille des intéressés et de leurs effets personnels, ainsi qu’à la confiscation des objets interdits. L’argent, les objets de valeur et les autres biens devaient être remis à l’agent comptable du centre (§§ 14-15).

71. L’instruction énonçait que les centres de détention devaient être entourés d’une enceinte pourvue d’un système d’alarme et d’un poste de contrôle à l’entrée (§ 19), et que la discipline y était assurée par des équipes de surveillants (§ 22).

72. Elle confiait aux directeurs des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants la responsabilité de prendre des mesures de sécurité dans leur établissement, lesquelles devaient permettre une surveillance permanente des détenus, y compris pendant leur sommeil, et empêcher toute tentative de sortie non autorisée (§ 39).

73. Elle disposait que chaque détenu mineur devait faire l’objet d’un dossier individuel où devaient figurer les documents justifiant son internement, le rapport établi après la fouille, les actions préventives menées auprès de lui, les récompenses et les punitions reçues par lui, les certificats médicaux attestant de son état de santé au moment de son admission et tout autre document pertinent (§ 18). Elle prescrivait de conserver les dossiers individuels pendant deux ans et de les détruire passé ce délai (annexe no 5).

74. Elle imposait aux centres de détention provisoire de conserver sans limitation de durée les « données comptables et statistiques » se rapportant à chacun des mineurs concernés (annexe 4, note de fin de document no 2).

75. L’instruction autorisait, le cas échéant, la conduite d’actions préventives auprès des mineurs en fonction de leur âge, de leur comportement, de la gravité des actes de délinquance commis par eux et d’autres facteurs (§ 24). Elle prévoyait la possibilité de récompenser ou de punir les mineurs dans le but de renforcer l’efficacité des actions en question (§ 25).

76. En vue de prévenir la récidive des mineurs, elle habilitait les agents des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants, dans le cadre des actions préventives relevant de leurs fonctions, à :

i) déterminer les conditions de vie et les capacités éducatives des familles des mineurs, les qualités personnelles et les centres d’intérêt de ceux-ci, les raisons de leurs fugues ou de l’abandon de leur scolarité, les circonstances de leur implication dans des actes délictueux, les conditions dans lesquelles ceux-ci avaient été commis, notamment les complicités dont les mineurs avaient pu bénéficier et, le cas échéant, l’usage qui avait été fait des biens volés ;

ii) communiquer aux services répressifs des renseignements sur les mineurs impliqués dans des actes délictueux et des informations susceptibles de faciliter la conduite de l’enquête sur les actes en question ;

iii) mettre en œuvre des mesures éducatives individualisées visant en particulier à développer des qualités et des centres d’intérêts positifs, à corriger les défauts de caractère, et à inciter les mineurs à étudier et à travailler (§ 26).

III. Les textes internationaux pertinents

A. Conseil de l’Europe

77. Les passages pertinents de la Recommandation no R (87) 20 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile, adoptée par le Comité des Ministres le 17 septembre 1987, sont ainsi libellés :

« (...) Considérant que les jeunes sont des êtres en devenir et que, par conséquent, toutes les mesures prises à leur égard devraient avoir un caractère éducatif ;

Considérant que les réactions sociales à la délinquance juvénile doivent tenir compte de la personnalité et des besoins spécifiques des mineurs et que ceux-ci nécessitent des interventions et, s’il y a lieu, des traitements spécialisés s’inspirant notamment des principes contenus dans la Déclaration des droits de l’enfant des Nations unies ;

(...)

Convaincu qu’il faut reconnaître aux mineurs les mêmes garanties procédurales que celles reconnues aux adultes ;

(...)

Recommande aux gouvernements des États membres de revoir, si nécessaire, leur législation et leur pratique en vue :

(...)

III. Justice des mineurs

4. d’assurer une justice des mineurs plus rapide, évitant des délais excessifs, afin qu’elle puisse avoir une action éducative efficace ;

(...)

8. de renforcer la position légale des mineurs tout au long de la procédure y compris au stade policier en reconnaissant, entre autres :

– la présomption d’innocence ;

– le droit à l’assistance d’un défenseur, éventuellement commis d’office et rémunéré par l’État ;

– le droit à la présence des parents ou d’un autre représentant légal qui doivent être informés dès le début de la procédure ;

– le droit pour les mineurs de faire appel à des témoins, de les interroger et de les confronter ;

(...)

– le droit de recours ;

– le droit de demander la révision des mesures ordonnées ;

(...) »

78. Le passage pertinent de la Recommandation Rec(2003)20 du Comité des Ministres aux États membres concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs, adoptée le 24 septembre 2003, se lit ainsi :

« 15. Lorsque des mineurs sont placés en garde à vue, il conviendrait de prendre en compte leur statut de mineur, leur âge, leur vulnérabilité et leur niveau de maturité. Ils devraient être informés dans les plus brefs délais, d’une manière qui leur soit pleinement intelligible, des droits et des garanties dont ils bénéficient. Lorsqu’ils sont interrogés par la police, ils devraient, en principe, être accompagnés d’un de leurs parents/leur tuteur légal ou d’un autre adulte approprié. Ils devraient aussi avoir le droit d’accès à un avocat et à un médecin. (...) »

79. Les passages pertinents de la Recommandation CM/Rec(2008)11 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, adoptée par le Comité des Ministres le 5 novembre 2008, sont ainsi libellés :

« Partie I – Principes fondamentaux, champ d’application et définitions

(...)

2. Toute sanction ou mesure pouvant être imposée à un mineur, ainsi que la manière dont elle est exécutée, doit être prévue par la loi et fondée sur les principes de l’intégration sociale, de l’éducation et de la prévention de la récidive.

(...)

5. Le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures doivent se fonder sur l’intérêt supérieur du mineur, doivent être limités par la gravité de l’infraction commise (principe de proportionnalité) et doivent tenir compte de l’âge, de la santé physique et mentale, du développement, des facultés et de la situation personnelle (principe d’individualisation), tels qu’établis, le cas échéant, par des rapports psychologiques, psychiatriques ou d’enquête sociale.

(...)

7. Les sanctions ou mesures ne doivent pas être humiliantes ni dégradantes pour les mineurs qui en font l’objet.

8. Aucune sanction ou mesure ne doit être appliquée d’une manière qui en aggrave le caractère afflictif ou qui représente un risque excessif de nuire physiquement ou mentalement.

(...)

10. La privation de liberté d’un mineur ne doit être prononcée et exécutée qu’en dernier recours et pour la période la plus courte possible. Des efforts particuliers doivent être faits pour éviter la détention provisoire.

(...)

13. Tout système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit assurer leur participation effective aux procédures relatives au prononcé et à l’exécution de sanctions ou de mesures. Les mineurs ne doivent pas bénéficier de droits et de garanties juridiques inférieurs à ceux que la procédure pénale reconnaît aux délinquants adultes.

14. Tout système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit prendre dûment en compte les droits et responsabilités des parents ou tuteurs légaux et doit, dans la mesure du possible, impliquer ceux-ci dans les procédures et dans l’exécution des sanctions ou mesures, hormis dans les cas où ce n’est pas dans l’intérêt supérieur du mineur. (...)

(...)

21. Au sens des présentes règles, on entend par :

(...)

21.5 « privation de liberté » toute forme de placement, sur ordre d’une autorité judiciaire ou administrative, dans une institution que le mineur n’est pas autorisé à quitter à sa guise ;

(...)

Partie III – Privation de liberté

(...)

49.1 La privation de liberté doit être appliquée uniquement aux fins pour lesquelles elle est prononcée et d’une manière qui n’aggrave pas les souffrances qui en résultent.

(...)

50.1 Les mineurs privés de liberté doivent avoir accès à un éventail d’activités et d’interventions significatives suivant un plan individuel global, qui favorise leur progression vers des régimes moins contraignants, ainsi que leur préparation à la sortie et leur réinsertion dans la société. De telles activités et interventions doivent leur permettre de promouvoir leur santé physique et mentale, de développer le respect de soi et le sens des responsabilités, ainsi que des attitudes et des compétences qui les aideront à éviter de récidiver.

(...)

56. Les mineurs privés de liberté doivent être placés dans des institutions offrant un niveau de surveillance le moins restrictif possible nécessaire pour les héberger en toute sécurité.

57. Les mineurs souffrant d’une maladie mentale mais devant être privés de liberté doivent être placés dans des institutions de santé mentale.

(...)

62.2 Au moment de l’admission, les informations suivantes concernant chaque mineur doivent être immédiatement consignées :

(...)

g. sous réserve des impératifs du secret médical, toute information sur les risques d’automutilation et l’état de santé, dont il y a lieu de tenir compte pour son bien-être physique et mental, et celui d’autrui.

(...)

62.5 Dès que possible après son admission, le mineur doit être soumis à un examen médical, un dossier médical doit être ouvert et le traitement de toute maladie ou blessure doit être engagé.

(...)

65.2 Les mineurs doivent accéder facilement à des installations sanitaires hygiéniques et respectant leur intimité.

(...)

69.2 La santé des mineurs privés de liberté doit être protégée conformément aux normes médicales reconnues applicables à l’ensemble des mineurs dans la collectivité.

(...)

73. Une attention particulière doit être accordée aux besoins :

(...)

d. des mineurs souffrant de problèmes de santé physique et mentale ;

(...)

77. Les activités faisant partie du régime doivent viser à remplir des fonctions d’éducation, de développement personnel et social, de formation professionnelle, de réinsertion et de préparation à la remise en liberté (...)

(...)

78.3 Si les mineurs ne peuvent pas fréquenter une école locale ou un centre de formation en dehors de l’institution, leur enseignement et leur formation professionnelle doivent être organisés à l’intérieur de l’institution, sous les auspices d’organismes éducatifs et de formation externes.

(...)

78.5 Les mineurs détenus doivent être intégrés dans le système national d’éducation et de formation professionnelle afin qu’ils puissent poursuivre leur scolarité ou leur formation professionnelle sans difficulté après leur sortie.

(...)

81. Tous les mineurs privés de liberté doivent être autorisés à faire régulièrement de l’exercice au moins deux heures par jour, dont au moins une heure en plein air, si les conditions météorologiques le permettent.

(...)

94.1 Des procédures disciplinaires ne peuvent être utilisées qu’en dernier recours. Les modes de résolution de conflit éducative ou réparatrice, ayant pour but de promouvoir la norme, doivent être préférées aux audiences disciplinaires formelles et aux punitions.

(...)

95.1 Les sanctions disciplinaires doivent être choisies, dans la mesure du possible, en fonction de leur impact pédagogique. Elles ne doivent pas être plus lourdes que ne le justifie la gravité de l’infraction.

95.2 Les sanctions collectives, les peines corporelles, le placement dans une cellule obscure, et toute autre forme de sanction inhumaine ou dégradante doivent être interdits.

(...)

Partie IV – Conseil et assistance juridiques

120.1 Les mineurs et leurs parents ou tuteurs légaux ont droit à des conseils et à une assistance juridiques pour les questions concernant le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures.

120.2 Les autorités compétentes doivent raisonnablement aider le mineur à avoir un accès effectif et confidentiel à de tels conseils et assistance, y compris à des visites illimitées et non surveillées avec son avocat.

120.3 L’État doit assurer une assistance judiciaire gratuite aux mineurs, à leurs parents ou à leurs représentants légaux quand les intérêts de la justice l’exigent.

(...) »

80. Les passages pertinents des Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, se lisent ainsi :

« II. Définitions

Aux fins des présentes lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants (ci-après « les lignes directrices ») :

(...)

c. par « justice adaptée aux enfants » il faut entendre des systèmes judiciaires garantissant le respect et la mise en œuvre effective de tous les droits de l’enfant au niveau le plus élevé possible, compte tenu des principes énoncés ci-après et en prenant dûment en considération le niveau de maturité et de compréhension de l’enfant, et les circonstances de l’espèce. Il s’agit, en particulier, d’une justice accessible, convenant à l’âge de l’enfant, rapide, diligente, adaptée aux besoins et aux droits de l’enfant, et axée sur ceux-ci, et respectueuse des droits de l’enfant, notamment du droit à des garanties procédurales, du droit de participer à la procédure et de la comprendre, du droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que du droit à l’intégrité et à la dignité.

III. Principes fondamentaux

(...)

E. Primauté du droit

1. Le principe de la primauté du droit devrait s’appliquer pleinement aux enfants, tout comme il s’applique aux adultes.

2. Tous les éléments des garanties procédurales, tels que les principes de légalité et de proportionnalité, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, le droit à un conseil juridique, le droit d’accès aux tribunaux et le droit de recours, devraient être garantis aux enfants tout comme ils le sont aux adultes et ne devraient pas être minimisés ou refusés sous prétexte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela s’applique à toutes les procédures judiciaires, non judiciaires et administratives.

(...)

IV. Une justice adaptée aux enfants avant, pendant et après la procédure judiciaire

(...)

19. Toute forme de privation de liberté des enfants devrait être une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi courte que possible.

(...)

21. Compte tenu de la vulnérabilité des enfants privés de liberté, de l’importance des liens familiaux et de la promotion de la réintégration dans la société après la remise en liberté, les autorités compétentes devraient garantir le respect et soutenir activement la jouissance des droits de l’enfant tels qu’ils sont énoncés dans les instruments universels et européens. En plus de leurs autres droits, les enfants devraient avoir, en particulier, le droit :

(...)

b. de recevoir une éducation appropriée, une orientation et une formation professionnelles, une assistance médicale, et de jouir de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et de l’accès aux loisirs, y compris l’éducation physique et le sport ;

(...)

B. Une justice adaptée aux enfants avant la procédure judiciaire

(...)

26. Les solutions de remplacement aux procédures judiciaires devraient offrir un niveau équivalent de garanties juridiques. Le respect des droits de l’enfant, tel que décrit dans les présentes lignes directrices et dans l’ensemble des instruments juridiques pertinents relatifs aux droits de l’enfant, devrait être garanti dans la même mesure dans les procédures judiciaires et non judiciaires.

C. Enfants et police

27. La police devrait respecter les droits individuels et la dignité de tous les enfants, et prendre en considération leur vulnérabilité, c’est-à-dire tenir compte de leur âge et de leur maturité, ainsi que des besoins particuliers des enfants ayant un handicap physique ou mental, ou des difficultés de communication.

28. Lorsqu’un enfant est arrêté par la police, il devrait être informé d’une manière et dans un langage adapté à son âge et à son niveau de compréhension des raisons pour lesquelles il a été placé en garde à vue. Les enfants devraient avoir accès à un avocat et avoir la possibilité de contacter leurs parents ou une personne en qui ils ont confiance.

29. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, le(s) parent(s) devrai(en)t être informé(s) de la présence de l’enfant au poste de police ainsi que des détails de la raison du placement en garde à vue de l’enfant, et être prié de se rendre au poste de police.

30. Un enfant placé en garde à vue ne devrait pas être interrogé sur un acte délictueux ou tenu de faire ou de signer une déclaration portant sur son implication, sauf en présence d’un avocat ou d’un des parents de l’enfant ou, si aucun parent n’est disponible, d’un autre adulte en qui l’enfant a confiance. (...) »

B. Nations unies

81. La Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989, Recueil des Traités des Nations unies (RTNU), vol. 1577, p. 3 (« CIDE ») consacre le principe fondamental de l’intérêt supérieur de l’enfant en son article 3, qui se lit ainsi :

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les états parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

3. Les états parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. »

82. En ses parties pertinentes pour la présente affaire, la CIDE énonce :

Article 23

« 1. Les états parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité.

2. Les États parties reconnaissent le droit à des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux (...)

(...) »

Article 37

« Les États parties veillent à ce que :

a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (...) ;

b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ;

c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. (...) ;

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. »

Article 40

« 1. Les états parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci.

2. À cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des instruments internationaux, les états parties veillent en particulier :

(...)

b) À ce que tout enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le droit aux garanties suivantes :

i) être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ;

ii) Être informé dans le plus court délai et directement des accusations portées contre lui, ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de ses parents ou représentants légaux, et bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense ;

iii) Que sa cause soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétentes, indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable aux termes de la loi, en présence de son conseil juridique ou autre et, à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en raison notamment de son âge ou de sa situation, en présence de ses parents ou représentants légaux ;

iv) Ne pas être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable ; interroger ou faire interroger les témoins à charge, et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans des conditions d’égalité ;

v) S’il est reconnu avoir enfreint la loi pénale, faire appel de cette décision et de toute mesure arrêtée en conséquence devant une autorité ou une instance judiciaire supérieure compétentes, indépendantes et impartiales, conformément à la loi ;

(...) »

83. L’Observation générale no 9 (2006) formulée le 27 février 2007 par le Comité des droits de l’enfant (CRC/C/GC/9) contient notamment les recommandations suivantes :

« 73. Conformément à l’article 2, les États parties sont tenus de veiller à ce que les enfants handicapés en conflit avec la loi (tels que les cas décrits au paragraphe 1 de l’article 40) soient protégés non seulement par les dispositions de la Convention qui se rapportent expressément à la justice pour mineurs (art. 37, 39 et 40) mais aussi par toutes les autres dispositions et garanties contenues dans la Convention, par exemple dans le domaine de la santé et de l’éducation. En outre, les États parties devraient prendre, le cas échéant, des mesures spéciales pour garantir aux enfants handicapés l’exercice des droits susmentionnés et la protection conférée par ces droits.

74. S’agissant des droits consacrés à l’article 23 et compte tenu du niveau élevé de vulnérabilité des enfants handicapés, le Comité recommande − en complément de la recommandation générale qu’il a faite au paragraphe 73 ci-dessus – que soient pris en compte les éléments ci-après concernant le traitement des enfants handicapés (réputés être) en conflit avec la loi :

a) L’interrogatoire d’un enfant handicapé qui entre en conflit avec la loi doit être conduit dans la langue appropriée et par des professionnels tels que des policiers, avocats, agents des services sociaux, procureurs et/ou juges, dûment formés à cette fin ;

b) Les gouvernements doivent élaborer et mettre en œuvre une série de mesures susceptibles d’être adaptées à la situation de chaque enfant, qui permettent de ne pas recourir à des poursuites judiciaires. Il convient d’éviter au maximum de soumettre un enfant handicapé en conflit avec la loi à une procédure officielle/juridique et de réserver cette solution aux cas où elle s’avère nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public. Dans cette éventualité, il faut s’efforcer d’expliquer à l’enfant les modalités de la procédure judiciaire impliquant des mineurs et l’informer de ses droits ;

c) Les enfants handicapés en conflit avec la loi ne devraient pas être placés dans un centre de détention pour jeunes délinquants au stade de la détention avant jugement ni à titre de sanction. La privation de liberté ne devrait être imposée que dans la mesure où elle est nécessaire pour assurer à l’enfant un traitement adapté aux problèmes qui sont à l’origine de l’infraction commise et celui-ci doit être placé dans un établissement disposant de personnels spécialement formés et des équipements nécessaires à son traitement. L’autorité compétente à qui incombe cette décision doit veiller à ce que les droits de l’homme et les garanties légales soient pleinement respectés. »

84. L’Observation générale no 10 (2007) formulée le 25 avril 2007 par le Comité des droits de l’enfant (CRC/C/GC/10) recommande notamment ce qui suit :

« 33. (...) Dans leur rapport, les États parties devraient, à ce propos, fournir au Comité des données précises et détaillées sur la manière dont sont traités, en application de leurs dispositions législatives, les enfants n’ayant pas l’âge minimum de la responsabilité pénale mais suspectés, accusés ou convaincus d’infraction pénale, ainsi que sur les types de garanties légales en place pour veiller à ce que leur traitement soit aussi équitable et juste que le traitement réservé aux enfants ayant l’âge minimum de la responsabilité pénale ou plus.

(...)

49. L’enfant doit bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense. La Convention exige que l’enfant bénéficie d’une assistance qui, si elle n’est pas forcément juridique, doit être appropriée. Les modalités de fourniture de l’assistance sont laissées à l’appréciation des États parties mais, en tout état de cause, l’assistance doit être gratuite. (...)

(...)

52. (...) si les décisions doivent être adoptées avec diligence, elles doivent résulter d’un processus durant lequel les droits fondamentaux de l’enfant et les garanties légales en sa faveur sont pleinement respectés. Une assistance juridique ou toute autre assistance appropriée doit aussi être fournie, non seulement à l’audience de jugement devant un tribunal ou tout autre organe judiciaire, mais à tous les stades du processus, à commencer par l’interrogatoire de l’enfant par la police.

(...)

56. Dans le même esprit que le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention dispose que l’enfant ne peut être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable (...)

57. (...) L’expression « contraint de » doit s’interpréter au sens large et ne pas se limiter à la force physique ou à toute autre violation flagrante des droits de l’homme. L’âge de l’enfant, son degré de développement, la durée de son interrogatoire, son incompréhension, sa crainte de conséquences inconnues ou d’une possibilité d’emprisonnement peuvent le conduire à faire des aveux mensongers. C’est encore plus probable si on fait miroiter à l’enfant des promesses telles que « tu pourras rentrer chez toi dès que tu nous auras dit ce qui s’est vraiment passé », des sanctions plus légères ou une remise en liberté.

58. L’enfant interrogé doit avoir accès à un représentant légal ou tout autre représentant approprié et pouvoir demander sa présence pendant l’interrogatoire. Un contrôle indépendant doit être exercé sur les méthodes d’interrogatoire afin de s’assurer que les éléments de preuve ont été fournis volontairement, et non sous la contrainte, compte tenu de l’ensemble des circonstances, et sont fiables. Lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère volontaire et la fiabilité des déclarations ou aveux faits par l’enfant, le tribunal ou tout autre organe judiciaire doit tenir compte de l’âge de l’enfant, de la durée de la garde à vue et de l’interrogatoire, ainsi que de la présence du conseil juridique ou autre, du/des parent(s), ou des représentants indépendants de l’enfant. (...) »

85. Dans son Observation générale no 35 du 16 décembre 2014 (CCPR/C/GC/35), le Comité des droits de l’homme a formulé les remarques suivantes au sujet de l’article 9 (Liberté et sécurité de la personne) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (notes de bas de page omises) :

« 28. Pour certaines catégories de personnes vulnérables, l’information directe de la personne en état d’arrestation est nécessaire mais n’est pas suffisante. Dans le cas d’un enfant, la notification de l’arrestation et des raisons doit aussi être adressée directement aux parents, tuteurs ou représentants légaux. (...)

(...)

62. Conformément au paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, tout enfant « a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur ». L’application de cette disposition nécessite l’adoption de mesures spéciales pour protéger la liberté et la sécurité de tout enfant, en plus des mesures imposées généralement par l’article 9 à l’égard de tous. Dans le cas d’un enfant la privation de liberté doit être une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible. En plus des autres règles applicables à chaque catégorie de privation de liberté, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale chaque fois qu’il est décidé d’appliquer ou de poursuivre une mesure de privation de liberté. (...) L’enfant a le droit d’être entendu, directement ou par l’intermédiaire d’un conseil ou d’une autre personne qui offre une assistance appropriée, en ce qui concerne toute décision de privation de liberté, et les procédures appliquées doivent être adaptées aux enfants. (...) »

86. Les passages pertinents de l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (« Règles de Beijing »), adopté par l’Assemblée générale le 29 novembre 1985 (A/RES/40/33), sont ainsi libellés :

« 5. Objectif de la justice pour mineurs

5.1 Le système de la justice pour mineurs recherche le bien-être du mineur et fait en sorte que les réactions vis-à-vis des délinquants juvéniles soient toujours proportionnées aux circonstances propres aux délinquants et aux délits.

(...)

7. Droits des mineurs

7.1 Les garanties fondamentales de la procédure telles que la présomption d’innocence, le droit à être informé des charges, le droit de garder le silence, le droit à l’assistance d’un conseil, le droit à la présence d’un parent ou tuteur, le droit d’interroger et de confronter les témoins et le droit à un double degré de juridiction sont assurées à tous les stades de la procédure.

(...)

10. Premier contact

10.1 Dès qu’un mineur est appréhendé, ses parents ou son tuteur sont informés immédiatement ou, si ce n’est pas possible, dans les plus brefs délais.

(...)

10.3 Les contacts entre les services de répression et le jeune délinquant sont établis de manière à respecter le statut juridique du mineur, à favoriser son bien-être et à éviter de lui nuire, compte dûment tenu des circonstances de l’affaire.

(...)

17. Principes directeurs régissant le jugement et la décision

17.1 La décision de l’autorité compétente doit s’inspirer des principes suivants :

(...)

b) II n’est apporté de restrictions à la liberté personnelle du mineur – et ce en les limitant au minimum – qu’après un examen minutieux ;

c) La privation de liberté individuelle n’est infligée que si le mineur est jugé coupable d’un délit avec voies de fait à l’encontre d’une autre personne, ou pour récidive, et s’il n’y a pas d’autre solution qui convienne ;

(...)

Commentaire

(...)

L’alinéa b de l’article 17.1 affirme que des solutions strictement punitives ne conviennent pas. Alors que s’agissant d’adultes et peut-être aussi dans les cas de délits graves commis par des jeunes les notions de peine méritée et de sanctions adaptées à la gravité du délit peuvent se justifier relativement, dans les affaires de mineurs, l’intérêt et l’avenir du mineur doivent toujours l’emporter sur des considérations de ce genre.

(...)

19. Recours minimal au placement en institution

19.1 Le placement d’un mineur dans une institution est toujours une mesure de dernier ressort et la durée doit en être aussi brève que possible.

Commentaire

(...)

L’article 19 vise à restreindre le placement dans une institution à deux égards : fréquence (« mesure de dernier ressort ») et durée (« aussi brève que possible »). Il reprend un des principes fondamentaux de la résolution 4 du sixième Congrès des Nations unies, à savoir qu’aucun jeune délinquant ne devrait être incarcéré dans un établissement pénitentiaire, à moins qu’il n’existe aucun autre moyen approprié. (...) En fait, il faudrait donner la priorité aux institutions « ouvertes » sur les institutions « fermées ». En outre, tous les établissements devraient être de type correctif ou éducatif plutôt que carcéral.

(...)

26. Objectifs du traitement en institution

(...)

26.2 Les jeunes placés en institution recevront l’aide, la protection et toute l’assistance – sur le plan social, éducatif, professionnel, psychologique, médical et physique – qui peuvent leur être nécessaires eu égard à leur âge, à leur sexe et à leur personnalité et dans l’intérêt de leur développement harmonieux.

(...) »

87. Les dispositions pertinentes des Règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (« Règles de La Havane »), adoptées par l’Assemblée générale dans sa Résolution 45/113 du 14 décembre 1990, se lisent ainsi :

« I. Perspectives fondamentales

(...)

2. Les mineurs ne peuvent être privés de leur liberté que conformément aux principes et procédures énoncés dans les présentes Règles et dans l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing). La privation de liberté d’un mineur doit être une mesure prise en dernier recours et pour le minimum de temps nécessaire et être limitée à des cas exceptionnels. La durée de détention doit être définie par les autorités judiciaires, sans que soit écartée la possibilité d’une libération anticipée.

(...)

II. Portée et application des règles

11. Aux fins des présentes Règles, les définitions ci-après sont applicables :

(...)

b) Par privation de liberté, on entend toute forme de détention, d’emprisonnement ou le placement d’une personne dans un établissement public ou privé dont elle n’est pas autorisée à sortir à son gré, ordonnés par une autorité judiciaire, administrative ou autre.

(...)

IV. L’administration des établissements pour mineurs

(...)

B. Admission, immatriculation, transfèrement et transfert

21. Dans tout lieu où des mineurs sont détenus, il doit être tenu un registre où sont consignés de manière exhaustive et fidèle, pour chaque mineur admis :

(...)

e) Des indications détaillées sur les problèmes de santé physique et mentale, y compris l’abus de drogues et d’alcool.

(...)

C. Classement et placement

27. Aussitôt que possible après son admission, chaque mineur doit être interrogé, et un rapport psychologique et social indiquant les facteurs pertinents quant au type de traitement et de programme d’éducation et de formation requis doit être établi. Ce rapport ainsi que le rapport établi par le médecin qui a examiné le mineur lors de son admission doivent être communiqués au directeur afin qu’il décide de l’affectation la plus appropriée pour l’intéressé dans l’établissement et du type de traitement et de programme de formation requis. (...)

28. Les mineurs doivent être détenus dans des conditions tenant dûment compte de leur statut et de leurs besoins particuliers en fonction de leur âge, de leur personnalité et de leur sexe, du type de délit ainsi que de leur état physique et mental, et qui les protègent des influences néfastes et des situations à risque. Le principal critère pour le classement des mineurs privés de liberté dans les différentes catégories doit être la nécessité de fournir aux intéressés le type de traitement le mieux adapté à leurs besoins et de protéger leur intégrité physique, morale et mentale ainsi que leur bien-être.

(...)

D. Environnement physique et logement

31. Les mineurs détenus doivent être logés dans des locaux répondant à toutes les exigences de l’hygiène et de la dignité humaine.

32. La conception des établissements pour mineurs et l’environnement physique doivent être conformes à l’objectif de réadaptation assigné au traitement des mineurs détenus, compte dûment tenu du besoin d’intimité des mineurs et de leur besoin de stimulants sensoriels, tout en leur offrant des possibilités d’association avec leurs semblables et en leur permettant de se livrer à des activités sportives, d’exercice physique et de loisirs. (...)

(...)

34. Les installations sanitaires doivent se trouver à des emplacements convenablement choisis et répondre à des normes suffisantes pour permettre à tout mineur de satisfaire les besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente.

(...)

E. Éducation, formation professionnelle et travail

38. Tout mineur d’âge scolaire a le droit de recevoir une éducation adaptée à ses besoins et aptitudes, et propre à préparer son retour dans la société. Cette éducation doit autant que possible être dispensée hors de l’établissement pénitentiaire dans des écoles communautaires et, en tout état de cause, par des enseignants qualifiés dans le cadre de programmes intégrés au système éducatif du pays afin que les mineurs puissent poursuivre sans difficulté leurs études après leur libération. (...)

(...)

H. Soins médicaux

49. Tout mineur a le droit de recevoir des soins médicaux, tant préventifs que curatifs, y compris des soins dentaires, ophtalmologiques et psychiatriques, ainsi que celui d’obtenir les médicaments et de suivre le régime alimentaire que le médecin peut lui prescrire. (...)

50. Dès son admission dans un établissement pour mineurs, chaque mineur a le droit d’être examiné par un médecin afin que celui-ci constate toute trace éventuelle de mauvais traitement et décèle tout état physique ou mental justifiant des soins médicaux.

51. Les services médicaux offerts aux mineurs doivent viser à déceler et traiter toute affection ou maladie physique, mentale ou autre, ou abus de certaines substances qui pourrait entraver l’insertion du mineur dans la société. Tout établissement pour mineur doit pouvoir accéder immédiatement à des moyens et équipements médicaux adaptés au nombre et aux besoins de ses résidents et être doté d’un personnel formé aux soins de médecine préventive et au traitement des urgences médicales. Tout mineur qui est ou se dit malade, ou qui présente des symptômes de troubles physiques ou mentaux doit être examiné sans délai par un médecin.

52. Tout médecin qui a des motifs de croire que la santé physique ou mentale d’un mineur est ou sera affectée par une détention prolongée, une grève de la faim ou une modalité quelconque de la détention doit en informer immédiatement le directeur de l’établissement ainsi que l’autorité indépendante chargée de la protection du mineur.

53. Tout mineur atteint d’une maladie mentale doit être traité dans un établissement spécialisé doté d’une direction médicale indépendante. Des mesures doivent être prises, aux termes d’un arrangement avec les organismes appropriés, pour assurer, le cas échéant, la poursuite du traitement psychiatrique après la libération.

(...)

L. Procédures disciplinaires

66. Toute mesure ou procédure disciplinaire doit assurer le maintien de la sécurité et le bon ordre de la vie communautaire et être compatible avec le respect de la dignité inhérente du mineur et l’objectif fondamental du traitement en établissement, à savoir inculquer le sens de la justice, le respect de soi-même et le respect des droits fondamentaux de chacun.

67. Toutes les mesures disciplinaires qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant, telles que les châtiments corporels, la réclusion dans une cellule obscure, dans un cachot ou en isolement, et toute punition qui peut être préjudiciable à la santé physique ou mentale d’un mineur doivent être interdites. La réduction de nourriture et les restrictions ou l’interdiction des contacts avec la famille doivent être exclues, quelle qu’en soit la raison. Le travail doit toujours être considéré comme un instrument d’éducation et un moyen d’inculquer au mineur le respect de soi-même pour le préparer au retour dans sa communauté, et ne doit pas être imposé comme une sanction disciplinaire. Aucun mineur ne peut être puni plus d’une fois pour la même infraction à la discipline. Les sanctions collectives doivent être interdites.

(...) »

88. Le passage pertinent des Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (« Principes directeurs de Riyad »), adoptés par l’Assemblée générale dans sa Résolution 45/112 du 14 décembre 1990, est ainsi libellé :

« 46. Le placement des jeunes en institutions devrait n’intervenir qu’en dernier ressort et ne durer que le temps absolument indispensable, l’intérêt de l’enfant étant la considération essentielle. II faudrait définir strictement les critères de recours aux interventions officielles de ce type, qui devraient être limitées normalement aux situations suivantes : a) l’enfant ou l’adolescent a enduré des souffrances infligées par ses parents ou tuteurs ; b) l’enfant ou l’adolescent a subi des violences sexuelles, physiques ou affectives de la part des parents ou tuteurs ; c) l’enfant ou l’adolescent a été négligé, abandonné ou exploité par ses parents ou tuteurs ; d) l’enfant est menacé physiquement ou moralement par le comportement de ses parents ou tuteurs ; et e) l’enfant ou l’adolescent est exposé à un grave danger physique ou psychologique du fait de son propre comportement et ni lui, ni ses parents ou tuteurs, ni les services communautaires hors institution ne peuvent parer ce danger par des moyens autres que le placement en institution. »

89. Dans ses Observations finales du 25 février 2014 concernant les quatrième et cinquième rapports périodiques de la Fédération de Russie, soumis en un seul document (CRC/C/RUS/CO/4-5), le Comité des droits de l’enfant a « demand[é] instamment à l’État partie de mettre en place un système de justice pour mineurs pleinement conforme à la Convention, en particulier aux articles 37, 39 et 40, ainsi qu’à d’autres normes pertinentes ». En outre, il a recommandé à la Fédération de Russie « d’empêcher la détention illégale d’enfants et de veiller à ce que les enfants détenus bénéficient de garanties juridiques ». Les articles 37 et 40 de la CIDE traitent des enfants en conflit avec la loi (paragraphe 82 ci-dessus), et l’article 39 des droits des enfants victimes d’infractions.

EN DROIT

I. Sur l’objet du litige devant la Grande Chambre

90. Dans ses observations devant la Grande Chambre, le Gouvernement invite la Cour à préciser le raisonnement suivi par la chambre s’agissant du grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention relativement à l’audience du 11 avril 2005. Pour sa part, le requérant maintient ses griefs fondés sur l’article 6 de la Convention, se plaignant de ne pas avoir disposé de suffisamment de temps pour étudier son dossier et de n’avoir pas été représenté de manière effective par son avocate commise d’office.

91. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, « l’affaire » renvoyée à la Grande Chambre est la requête telle qu’elle a été déclarée recevable par la chambre (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 109, CEDH 2007-IV, et K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 141, CEDH 2001-VII). Elle relève que dans son arrêt du 14 novembre 2013, la chambre a déclaré irrecevables, d’une part, les griefs tirés par le requérant de l’article 6 et consistant à dire qu’il n’avait pas disposé de suffisamment de temps pour étudier son dossier et n’avait pas été représenté de manière effective par son avocate commise d’office et, d’autre part, le grief tiré de l’article 5 § 4 relativement à l’audience du 11 avril 2005. Il s’ensuit que les griefs en question échappent à l’objet du litige soumis à l’examen de la Grande Chambre.

II. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

92. Dans ses observations écrites du 20 mai 2014, le Gouvernement soutient pour la première fois dans la procédure que le requérant n’a pas satisfait aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention faute pour lui d’avoir épuisé les voies de recours internes et d’avoir respecté le délai de six mois en ce qui concerne, d’une part, son grief tiré de l’article 3 de la Convention et, d’autre part, ses griefs tirés de l’article 6 relativement à l’enquête préliminaire.

A. Sur l’épuisement des voies de recours internes

93. En ce qui concerne le grief tiré par le requérant de l’article 3 et consistant à dire qu’il n’avait pas bénéficié de soins médicaux dans le centre de détention provisoire, le Gouvernement soutient que, après sa libération, le requérant aurait pu exercer une action civile, voie de recours interne de nature à lui offrir un redressement adéquat sous la forme d’une indemnité pour le dommage éventuellement subi par lui.

94. S’agissant des griefs formulés par le requérant sous l’angle de l’article 6 relativement à l’enquête préliminaire, le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas saisi les juridictions internes sur le fondement de l’article 125 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie, lequel permettrait à toute personne dont les droits et intérêts légitimes ont été lésés par une décision de classement sans suite de contester ladite décision devant un tribunal.

95. Pour sa part, le requérant n’a pas expressément répondu aux exceptions soulevées par le Gouvernement, se bornant à affirmer que la chambre a correctement apprécié ses griefs.

96. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 55 de son règlement, toute exception d’irrecevabilité doit, pour autant que sa nature et les circonstances le permettent, être soulevée par la Partie contractante défenderesse dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête (Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 79, 17 juillet 2014, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 41, CEDH 2006‑II, et K. et T. c. Finlande, précité, § 145). En l’espèce, la chambre a statué sur la recevabilité et le fond de la requête par un arrêt du 14 novembre 2013. La Cour observe que le Gouvernement n’a soulevé aucune de ces deux exceptions dans ses observations sur la recevabilité et le fond devant la Grande Chambre ou à un autre stade de la procédure suivie devant la chambre.

97. Le Gouvernement n’ayant avancé aucune circonstance exceptionnelle qui aurait pu le dispenser de son obligation de soulever ses exceptions préliminaires en temps utile, la Cour estime qu’il est forclos à exciper du non-épuisement des voies de recours internes à ce stade de la procédure (Svinarenko et Slyadnev, précité, § 82, et Sejdovic, précité, § 42).

98. Partant, la Cour rejette les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement.

B. Sur le respect du délai de six mois

99. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas soumis à la Cour dans le délai de six mois imparti par l’article 35 § 1 de la Convention le grief tiré de l’article 3 relativement au défaut de soins médicaux dans le centre de détention provisoire. Il affirme que le grand‑père du requérant n’a soulevé ce grief – sous une forme résumée – que dans une lettre du 30 novembre 2005 adressée aux autorités de poursuite, et que celles-ci y ont répondu le 16 décembre 2005, soit plus de six mois avant l’introduction de la requête le 1er novembre 2006.

100. Par ailleurs, le Gouvernement avance que le requérant n’a pas non plus respecté le délai de six mois en ce qui concerne les griefs qu’il tire de l’article 6 relativement à l’enquête préliminaire, indiquant que la nouvelle décision de classement sans suite rendue à l’égard de l’intéressé a été adoptée le 6 juillet 2005 et que les autorités ont répondu le 16 décembre 2005 à la dernière en date des plaintes du grand-père à ce sujet.

101. Pour sa part, le requérant n’a pas répondu aux exceptions soulevées par le Gouvernement, déclarant souscrire aux conclusions de l’arrêt rendu par la chambre.

102. La Cour constate que le Gouvernement n’a pas soulevé son exception relative au non-respect du délai de six mois dans le cadre de la procédure suivie devant la chambre et que celle-ci ne les a pas examinées. Toutefois, la Cour a déjà considéré que la règle des six mois est une règle d’ordre public et que, par conséquent, elle a compétence pour l’appliquer d’office (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 29, 29 juin 2012, Svinarenko et Slyadnev, précité, § 85, Blečić c. Croatie [GC], no 59532/00, § 68, CEDH 2006-III, et Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000‑I). En outre, elle a jugé que, nonobstant les exigences de l’article 55 de son règlement, les gouvernements ne sont pas forclos à soulever la règle des six mois devant la Grande Chambre (Sabri Güneş, précité, § 30).

103. Il s’ensuit que la Grande Chambre est compétente pour examiner la question du respect de la règle des six mois en ce qui concerne les griefs du requérant tirés de l’article 3 de la Convention et ceux formulés sur le terrain de l’article 6 relativement à l’enquête préliminaire.

1. Sur le respect du délai de six mois en ce qui concerne les griefs du requérant tirés de l’article 3

a) Thèses des parties

104. Selon le Gouvernement, il ressort du paragraphe 40 de l’arrêt rendu par la chambre que le grand-père du requérant n’a adressé aux autorités de poursuite qu’une seule plainte au sujet de la qualité des soins médicaux dispensés dans le centre de détention provisoire, que cette plainte date du 4 octobre 2005 et qu’elle précède donc de plus de un an l’introduction par le requérant de sa requête devant la Cour le 1er novembre 2006. Or la plainte en question n’aurait comporté aucun grief tiré d’un défaut de soins médicaux, et le parquet de district y aurait apporté une réponse datée du 9 novembre 2005. De surcroît, le 30 novembre 2005, le grand-père du requérant aurait adressé aux autorités de poursuite une plainte analogue dans laquelle il aurait repris ces griefs sous une forme résumée et à laquelle le parquet de la région de Novossibirsk aurait répondu le 16 décembre 2005. Malgré cela, le délai de six mois n’aurait pas été respecté.

105. Dans ses observations devant la Grande Chambre, le requérant n’a pas répliqué à cette exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement.

b) Appréciation de la Cour

106. La Cour rappelle qu’en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. Lorsque le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai prend naissance à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle le requérant en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice (Dennis et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 76573/01, 2 juillet 2002). En outre, l’article 35 § 1 ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne. Par conséquent, lorsqu’un requérant utilise un recours apparemment disponible et ne prend conscience que par la suite de l’existence de circonstances qui le rendent ineffectif, il peut être indiqué de considérer comme point de départ de la période de six mois la date à laquelle le requérant a eu ou aurait dû avoir pour la première fois connaissance de cette situation (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90 et 8 autres, § 157, CEDH 2009, et Edwards c. Royaume-Uni (déc.), no 46477/99, 7 juin 2001).

107. En l’espèce, la Cour doit rechercher si le requérant a disposé d’un recours effectif et, dans l’affirmative, s’il l’a exercé et s’il a ensuite introduit sa requête devant elle dans le délai prescrit. Ce faisant, la Cour n’examinera pas la question de savoir si le requérant aurait dû exercer une action civile puisqu’elle a conclu ci-dessus (paragraphes 96-98) que le Gouvernement était forclos à exciper du non-épuisement des voies de recours internes à ce stade de la procédure.

108. La Cour note d’emblée que la tutelle exercée par le grand-père du requérant sur son petit-fils a été révoquée le 28 février 2005 et qu’elle n’a été rétablie que début 2006, à une date non précisée. Il apparaît en conséquence que le requérant s’est trouvé sous la tutelle de l’État tout au long de la période pendant laquelle son grand-père n’était plus son tuteur, et que ce dernier n’avait légalement pas le droit de représenter son petit-fils ni de défendre ses intérêts. Le requérant ayant été libéré du centre de détention provisoire pour mineurs délinquants le 23 mars 2005, il n’avait à ce moment-là que l’État pour protéger ses intérêts. Étant donné que le grand-père du requérant n’exerçait plus la tutelle, les autorités n’étaient pas juridiquement tenues pendant cette période de répondre aux plaintes qu’il avait formulées au nom et pour le compte de son petit-fils.

109. Toutefois, la Cour observe que le grand-père du requérant a continué à tenter de défendre les intérêts de son petit-fils. À cet égard, elle relève que la lettre qu’il a adressée le 30 novembre 2005 à un substitut du procureur général montre qu’il savait que la plainte qu’il avait formulée auprès du parquet général le 4 octobre 2005 avait été transmise à plusieurs parquets. En outre, il a réitéré dans la lettre en question les griefs qu’il avait soulevés dans sa plainte du 4 octobre 2005 au sujet du traitement subi par son petit-fils dans le centre de détention provisoire et de la dégradation de son état de santé (paragraphe 46 ci-dessus). La Cour note pourtant que la réponse apportée le 9 novembre 2005 par le procureur et celle du procureur régional datée du 16 décembre 2005 ne contiennent pas d’information répondant aux plaintes formulées par le grand-père du requérant au sujet de l’état de santé de son petit-fils et du manquement des autorités à leur obligation de lui dispenser un traitement pendant son internement dans le centre de détention pour mineurs délinquants.

110. Qui plus est, la Cour observe qu’après avoir été rétabli dans ses fonctions de tuteur, le grand-père du requérant a continué à contester la légalité de la détention de son petit-fils et que, dans le cadre de cette procédure, il a soulevé la question de la fragilité de la santé de celui-ci et du défaut de soins médicaux. À cet égard, elle relève notamment que dans le recours qu’il a formé contre l’ordonnance du 21 février 2005 et que le président de la cour régionale a examiné le 29 mai 2006, le grand-père du requérant a évoqué le diagnostic posé relativement à son petit-fils et a allégué que celui-ci ne pouvait être interné sans avis médical. Le président de la cour régionale a répondu dans sa décision que le fait que le requérant fût atteint de divers troubles ne pouvait constituer un motif d’annulation de l’ordonnance du 21 février 2005 dès lors que celle-ci avait déjà reçu exécution en mars 2005.

111. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que, faute d’avoir reçu des parquets concernés une réponse aux plaintes qu’il avait formulées en octobre et en novembre 2005, le grand-père du requérant, après avoir été rétabli dans ses fonctions de tuteur, a usé d’autres voies de droit pour plaider la cause de son petit-fils relativement à la mauvaise santé de celui-ci et à l’absence de soins médicaux dans le centre de détention provisoire. Relevant que la seule réponse donnée à la plainte du grand-père du requérant a consisté à lui signifier en substance, dans la décision du 29 mai 2006, qu’il était inutile qu’il continuât à se plaindre étant donné que la détention litigieuse avait pris fin, la Cour considère, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, que le délai de six mois doit être calculé à partir de cette date, puisque de nouvelles plaintes auprès des autorités n’auraient eu aucune chance d’aboutir. La requête ayant été introduite devant la Cour le 1er novembre 2006, le délai de six mois a été observé en ce qui concerne les griefs du requérant tirés de l’article 3.

112. Partant, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

2. Sur le respect du délai de six mois en ce qui concerne les griefs du requérant tirés de l’article 6 relativement à l’enquête préliminaire

a) Thèses des parties

113. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas respecté le délai de six mois en ce qui concerne ses griefs tirés de l’article 6 relativement à l’enquête préliminaire, indiquant que la nouvelle décision de classement sans suite rendue à l’égard du requérant a été adoptée le 6 juillet 2005 et que la dernière en date des plaintes adressées aux autorités de poursuite par le grand-père du requérant à ce sujet a reçu une réponse le 16 décembre 2005.

114. À cet égard, le Gouvernement expose que la présente affaire porte non pas sur une seule procédure, comme l’a dit la chambre dans son arrêt, mais sur deux procédures distinctes. Il explique que la première procédure consistait en une enquête préliminaire menée sur le fondement des chapitres 19 et 20 du code de procédure pénale et qu’elle visait à permettre aux autorités de vérifier des informations relatives à une infraction alléguée, ainsi que de décider s’il existait des preuves suffisantes de la commission d’une infraction et s’il y avait lieu d’engager des poursuites de ce chef. Il indique que la seconde de ces procédures, qui portait sur le placement du requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants en vertu du chapitre 3.1 de la loi sur les mineurs, n’exigeait pas l’ouverture d’une enquête préliminaire et n’était pas circonscrite aux éléments pouvant être recueillis dans le cadre d’une telle enquête. Il estime par conséquent que les résultats obtenus dans le cadre de la première procédure ne constituaient pas en soi des motifs déterminants pour l’ouverture de la seconde procédure. Il en veut pour preuve que seules les deux dernières des cinq enquêtes préliminaires ayant visé le requérant ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure de placement en centre de détention provisoire, parce que, selon lui, il était devenu évident à ce moment-là que les autres mesures préventives prises auparavant étaient restées vaines. En conséquence, d’après le Gouvernement, rien ne justifiait de traiter ces deux procédures comme une instance unique, ce que la chambre a fait dans son arrêt, et il conviendrait d’examiner séparément pour chacune des procédures en question les griefs formulés par le requérant sur le terrain de de l’article 6 de la Convention.

115. Le requérant n’a pas expressément répondu à l’exception soulevée par le Gouvernement et à la question de savoir si les deux procédures susmentionnées doivent être examinées séparément ou conjointement. Toutefois, il a déclaré souscrire aux conclusions à laquelle la chambre est parvenue dans son arrêt et il estime qu’il convient de s’y tenir.

b) Appréciation de la Cour

116. La Cour se penchera en premier lieu sur la thèse du Gouvernement selon laquelle l’enquête préliminaire et la procédure ayant conduit au placement du requérant dans un centre de détention provisoire doivent être analysées séparément, la conclusion à laquelle elle parviendra sur ce point étant déterminante pour la question de savoir s’il y a lieu d’examiner l’exception de non-respect de la règle des six mois soulevée par le Gouvernement.

117. Si la Cour reconnaît que l’enquête préliminaire et la procédure de placement en centre de détention se présentent formellement comme deux procédures séparées, régies par des règles juridiques distinctes, elle estime qu’en l’espèce il existe entre elles un lien étroit, tant juridique que factuel. Elle relève notamment que pour ordonner le placement du requérant dans un centre de détention provisoire, les juridictions internes se sont principalement fondées sur le fait que l’intéressé avait commis une infraction punissable en vertu du code pénal. Dans son jugement, le tribunal de district a fait amplement référence aux dépositions de S. et de la mère de celui-ci et il s’est appuyé sur ces éléments, ainsi que sur les résultats de l’enquête préliminaire (paragraphe 27 ci-dessus). En outre, le tribunal de district et la cour régionale ont tous deux conclu que le placement du requérant dans un centre de détention provisoire était nécessaire pour l’empêcher de récidiver, ce qui montre que l’internement en question était une conséquence directe des conclusions de l’enquête préliminaire.

118. Dès lors, la Cour conclut que les deux procédures en question doivent être considérées comme formant une seule instance aux fins de l’examen de la présente affaire, et c’est sur cette base qu’elle examinera les griefs du requérant tirés de l’article 6. Dans ces conditions, l’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois en ce qui concerne le grief relatif à l’enquête préliminaire doit être rejetée, car la décision interne définitive clôturant l’ensemble de l’instance est celle qui a été rendue le 29 mai 2006 par le président de la cour régionale et qui a confirmé la décision initiale de placement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. La requête ayant été introduite devant la Cour le 1er novembre 2006, le délai de six mois a été respecté.

119. Partant, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement.

III. SUR la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

120. Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié de soins médicaux appropriés dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants et qu’il y a été détenu dans des conditions inhumaines. Il y voit une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. L’arrêt de la chambre

121. La chambre a conclu que le fait que le requérant n’a pas reçu de soins médicaux appropriés dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants où il était interné s’analysait en un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Elle a notamment relevé que, malgré la demande qu’elle lui avait adressée, le Gouvernement ne lui avait pas communiqué une copie du dossier médical de l’intéressé tenu par le centre de détention, déclarant que ce dossier avait été détruit conformément à un texte réglementaire interne non communiqué à la Cour et non accessible au public. En outre, la chambre a noté que la durée normale d’archivage des dossiers médicaux était de dix ans en Fédération de Russie. Aussi a-t-elle dit, après avoir observé que le grand-père du requérant avait signalé à plusieurs reprises aux autorités les problèmes de santé dont souffrait son petit-fils, qu’elle n’apercevait aucune raison de douter que le personnel du centre de détention provisoire était au courant des problèmes en question. Elle a noté que rien ne prouvait que l’intéressé eût été examiné par un neurologue ou un psychiatre pendant son internement ni que les médicaments qui lui avaient été prescrits lui eussent été administrés. Elle a jugé que le défaut de soins médicaux dénoncé par le requérant, qui avait conduit à l’hospitalisation de celui-ci le lendemain de sa sortie du centre, était inacceptable.

122. Eu égard à son constat de violation à raison du défaut de soins médicaux, la chambre a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs formulés par le requérant sur le terrain de l’article 3.

B. Thèses des parties

1. Le requérant

123. Le requérant indique qu’au moment de son internement dans le centre de détention provisoire il souffrait d’une névrose, d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, de troubles psychotiques du comportement et d’énurésie. S’il reconnaît que ces troubles n’étaient pas de nature à requérir une assistance médicale immédiate au moment de son placement dans le centre, il soutient que les pressions exercées sur lui au cours de sa rétention et de son interrogatoire au commissariat, combinées avec les trente jours d’internement passés dans le centre, ont sérieusement aggravé son état de santé et ont rendu nécessaire un traitement médical d’urgence. Il en veut pour preuve les certificats médicaux qu’il a produits dans le cadre de la procédure suivie devant la chambre, lesquels confirment selon lui qu’il a fait l’objet d’une hospitalisation forcée en établissement psychiatrique aussitôt après avoir été libéré du centre de détention provisoire. Il avance qu’il n’existe pas d’autres causes susceptibles d’expliquer la dégradation de son état de santé.

124. Il affirme que les autorités russes n’ont pas pris en temps utile les mesures qui s’imposaient pour éviter l’aggravation de ses maladies. Il allègue en particulier que lors de l’introduction de la demande tendant à son placement en centre de détention provisoire, le chef des services de police aurait dû produire devant le tribunal de district une décision du service de santé compétent se prononçant sur la présence ou l’absence de contre-indications médicales à un tel placement, au vu notamment d’une expertise psychiatrique. Or il assure qu’aucune décision de la sorte n’a été remise au tribunal ou au centre de détention provisoire.

125. Par ailleurs, le requérant reprend les arguments développés par lui devant la chambre, déclarant que son grand-père et lui-même avaient informé les enseignants et les employés du centre de détention provisoire des troubles dont il souffrait et demandé qu’il eût librement accès aux toilettes. Pourtant, selon le requérant, cette demande a été ignorée, ce qui lui aurait occasionné de grandes souffrances physiques et psychologiques en raison de son énurésie.

126. Eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, le requérant soutient qu’à l’époque où il était interné dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, ses conditions de détention n’étaient pas compatibles avec les exigences de l’article 3 de la Convention.

2. Le Gouvernement

127. Le Gouvernement plaide que les griefs formulés par le requérant sur le terrain de l’article 3 ne révèlent aucune violation de cette disposition.

128. Il réaffirme que le dossier individuel du requérant tenu par le centre de détention provisoire, où devait figurer un certificat médical détaillant l’état de santé de l’intéressé lors de son internement, a été détruit conformément à l’instruction en vigueur à l’époque pertinente (paragraphe 73 ci-dessus). Il ajoute que les autres dossiers et registres médicaux de ce centre portant sur la période où le requérant y était interné ont eux aussi été détruits dès qu’ils étaient devenus « inutiles », car aucun délai de conservation n’était selon lui prévu pour la conservation de tels documents à l’époque pertinente. À cet égard, il indique que le décret no 340 du 12 mai 2006 mentionné au paragraphe 34 de l’arrêt de la chambre est entré en vigueur après la destruction de ces documents.

129. Il explique que les « données comptables et statistiques » relatives aux séjours du requérant dans le centre de détention provisoire en septembre 2004 et février 2005 ont été conservées, la durée d’archivage de telles données étant illimitée selon le décret no 215 du 2 avril 2004 (paragraphe 74 ci-dessus). Selon lui, la chambre les a qualifiées à tort de « dossier médical » aux paragraphes 32 et 90 de son arrêt et est donc parvenue à une conclusion erronée dans ce dernier paragraphe.

130. Par ailleurs, le Gouvernement déclare qu’il n’a reçu communication de la présente requête que le 1er octobre 2010, soit plus de cinq ans et demi après les évènements en cause et après la destruction de la plupart des registres pertinents, et qu’il a donc dû se fier au rapport établi le 28 décembre 2010 par le directeur du centre de détention provisoire et aux déclarations faites le 23 décembre 2010 par l’une des surveillantes du centre (paragraphe 41 ci-dessus). D’après lui, il ressort de ces documents que tous les enfants internés dans le centre, y compris le requérant, étaient examinés quotidiennement par le personnel médical, ce que confirmerait l’« emploi du temps quotidien » approuvé le 17 janvier 2013 et produit devant la Cour. En outre, les enfants auraient pu demander une assistance médicale à tout moment, le centre de détention aurait disposé de plusieurs infirmeries bien équipées, l’accès aux toilettes n’aurait pas été restreint, des dispositions spéciales auraient été prises pour les enfants souffrant d’énurésie nocturne et, durant son séjour dans le centre de détention provisoire, le requérant ne se serait jamais plaint de la qualité des soins médicaux ou de restrictions à l’accès aux toilettes. De surcroît, les mineurs internés auraient pu recevoir des visites et des appels téléphoniques illimités de leurs proches sous réserve que ces visites et appels ne perturbent pas les activités prévues par l’emploi du temps quotidien. Le grand-père du requérant n’aurait jamais prétendu avoir été empêché de rendre visite à son petit-fils et il n’aurait formulé aucune plainte écrite ou orale lors de ses visites.

131. Enfin, le tableau de service du personnel du centre de détention provisoire correspondant à la période allant du 18 juin 2003 au 3 octobre 2005 indiquerait qu’un psychiatre, un pédiatre, un auxiliaire médical et une infirmière y étaient présents pendant cette période. Une note d’information attesterait de surcroît que la qualité des soins médicaux et des conditions de vie dans le centre n’avaient donné lieu à aucune inspection d’un service régional ou autre en 2004 ou en 2005. Au vu de ce qui précède, et faute pour le requérant d’avoir produit des pièces propres à étayer ses allégations, le Gouvernement soutient que rien ne prouve que le centre de détention provisoire n’était pas apte à accueillir pour une durée maximale de trente jours un enfant souffrant d’énurésie et de troubles du comportement.

132. En ce qui concerne l’état de santé du requérant, le Gouvernement avance que l’énurésie dont l’intéressé dit souffrir n’est mentionnée ni dans les documents médicaux postérieurs à 2003 produits par lui ni dans les « données comptables et statistiques » le concernant tenues par le centre de détention. Il ajoute qu’aucune des pièces disponibles ne fait état du degré de manifestation de cette maladie. S’agissant du trouble du comportement du requérant, il ressortirait de l’extrait du dossier médical no 3624 communiqué par l’intéressé à la Cour en octobre 2007 que celui-ci souffrait à l’époque pertinente de troubles du comportement social dû semble-t-il à des facteurs externes plutôt qu’aux autres pathologies dont il était atteint. Le requérant n’aurait présenté aucun certificat médical à l’appui de son allégation selon laquelle ce trouble s’opposait à son internement dans le centre de détention provisoire. Il n’aurait pas davantage produit d’expertise médicale prouvant, comme il l’affirme, que son séjour dans cet établissement avait aggravé son état de santé.

133. En conséquence, le Gouvernement estime que les griefs soulevés par le requérant ne révèlent aucune violation de l’article 3.

3. Le tiers intervenant

134. Le Centre pour la défense des personnes handicapées mentales (« le CDPHM ») considère que les mineurs handicapés mentaux sont « doublement désavantagés » en tant qu’enfants et en tant que personnes atteintes d’un handicap mental. Il soutient que ces enfants sont particulièrement vulnérables aux violations de leurs droits et qu’ils ont des besoins spécifiques qui doivent être protégés par des garanties strictes et effectives. À cet égard, il renvoie à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006, RTNU, vol. 2515, p. 3 (« CDPH »), et plus particulièrement à l’objet principal de cet instrument qui, indique-t-il, est de garantir l’égalité et la non-discrimination dans tous les domaines (article 5 § 2). Il se réfère également à la CIDE, soulignant que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale en toutes circonstances et que les états parties se sont engagés à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être (article 3, paragraphe 81 ci-dessus). Il indique en outre que l’article 23 de la CIDE porte spécifiquement sur les enfants handicapés et que l’Observation générale no 9 (2006) du Comité des droits de l’enfant, qui renferme d’autres recommandations sur la manière de traiter les enfants handicapés en conflit avec la loi, énonce notamment que « les enfants handicapés en conflit avec la loi ne devraient pas être placés dans un centre de détention pour jeunes délinquants au stade de la détention avant jugement ni à titre de sanction » (paragraphe 83 ci-dessus). Renvoyant à l’affaire Z et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 29392/95, § 73, CEDH 2001‑V), il avance que la Cour impose aux états de prendre des mesures particulières propres à offrir aux personnes vulnérables une protection efficace contre des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance.

C. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

135. La Cour rappelle que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants (voir, entre autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 201, CEDH 2012). Toutefois, pour tomber sous le coup de l’interdiction prévue par cette disposition, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (M.S. c. Royaume-Uni, no 24527/08, § 38, 3 mai 2012, et Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001‑VII).

136. En outre, l’article 3 de la Convention impose à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI, Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX, et Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 93, 26 octobre 2006). Aussi la Cour a-t-elle a jugé à maintes reprises que le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, M.S. c. Royaume-Uni, précité, §§ 44-46, Wenerski c. Pologne, no 44369/02, §§ 56-65, 20 janvier 2009, et Popov c. Russie, no 26853/04, §§ 210-213 et 231-237, 13 juillet 2006).

137. En la matière, la question du caractère « approprié » ou non des soins médicaux est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés (Hummatov c. Azerbaïdjan, nos 9852/03 et 13413/04, § 116, 29 novembre 2007). En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive (Khoudobine, précité, § 83), que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée (Melnik c. Ukraine, no 72286/01, §§ 104-106, 28 mars 2006, et Hummatov, précité, § 115), et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes (Popov, précité, § 211, Hummatov, précité, §§ 109 et 114, et Amirov c. Russie, no 51857/13, § 93, 27 novembre 2014). Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi (Holomiov c. Moldova, no 30649/05, § 117, 7 novembre 2006, et Hummatov, précité, § 116). En outre, les soins dispensés en milieu carcéral doivent être appropriés, c’est-à-dire d’un niveau comparable à celui que les autorités de l’état se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population. Toutefois, cela n’implique pas que soit garanti à tout détenu le même niveau de soins médicaux que celui des meilleurs établissements de santé extérieurs au milieu carcéral (Cara-Damiani c. Italie, no 2447/05, § 66, 7 février 2012).

138. De manière générale, la Cour se réserve une souplesse suffisante pour définir le niveau de soins requis, se prononçant sur cette question au cas par cas. Si ce niveau doit être « compatible avec la dignité humaine » du détenu, il doit aussi tenir compte des « exigences pratiques de l’emprisonnement » (Aleksanian c. Russie, no 46468/06, § 140, 22 décembre 2008). En ce qui concerne les enfants, la Cour considère que, conformément au droit international en vigueur, la santé des mineurs privés de liberté doit être protégée dans le respect des normes médicales reconnues applicables à l’ensemble des mineurs dans la collectivité (voir, par exemple, les règles 57, 62.2, 62.5, 69.2 et 73 d) des Règles européennes de 2008 pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, l’article 3 § 3 de la CIDE et les règles 49-53 des Règles de La Havane, paragraphes 79, 81 et 87 ci-dessus). En la matière, l’attitude des autorités doit toujours être inspirée par l’intérêt supérieur de l’enfant et celui-ci doit se voir garantir une prise en charge et une protection appropriées. En outre, dès lors que les autorités envisagent de priver un enfant de sa liberté, l’état de santé de celui-ci doit faire l’objet d’un examen médical visant à déterminer s’il peut ou non être placé en centre de détention pour mineurs délinquants.

139. La Cour souligne en outre que les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés. Pour l’appréciation des éléments de preuve, elle retient le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Elle n’a toutefois jamais eu pour dessein d’emprunter la démarche des ordres juridiques nationaux qui appliquent ce critère. Il lui incombe de statuer non pas sur la culpabilité en vertu du droit pénal ou sur la responsabilité civile, mais sur la responsabilité des états contractants au regard de la Convention. Dans le cadre de la procédure devant la Cour, il n’existe aucun obstacle procédural à la recevabilité d’éléments de preuve ni de formules prédéfinies applicables à leur appréciation. La Cour adopte les conclusions qui, à son avis, se trouvent étayées par la libre appréciation de l’ensemble des éléments de preuve, y compris les déductions qu’elle peut tirer des faits et des observations des parties. Conformément à sa jurisprudence constante, la preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. En outre, le degré de conviction nécessaire pour parvenir à une conclusion particulière et, à cet égard, la répartition de la charge de la preuve sont intrinsèquement liés à la spécificité des faits, à la nature de l’allégation formulée et au droit conventionnel en jeu. La Cour est également attentive à la gravité d’un constat selon lequel un état contractant a violé des droits fondamentaux (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 147, CEDH 2005‑VII, et les références qui y sont citées, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 121, CEDH 2000‑IV, Amirov, précité, § 80, et Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 121, 10 janvier 2012).

140. Il convient à cet égard de noter que la Cour a dit que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe à celui qui affirme). Selon la jurisprudence de la Cour relative aux articles 2 et 3 de la Convention, lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure, dommage ou décès survenu pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. La charge de la preuve pèse dans ce cas sur les autorités qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 85, CEDH 1999-IV, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII, et Amirov, précité, § 92). En l’absence d’une telle explication, la Cour est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au gouvernement défendeur (voir, par exemple, Orhan c. Turquie, no 25656/94, § 274, 18 juin 2002, et Buntov c. Russie, no 27026/10, § 161, 5 juin 2012).

2. Application en l’espèce des principes susmentionnés

141. La Cour relève d’emblée que le jeune âge et l’état de santé du requérant à l’époque des faits sont des circonstances pertinentes pour apprécier si le minimum de gravité a été atteint en l’espèce (paragraphe 135 ci-dessus) et elle prêtera une attention particulière aux principes exposés au paragraphe 138 ci-dessus.

142. En l’espèce, la Cour relève que le Gouvernement a produit de nombreux documents à l’appui des moyens exposés dans ses observations devant la Grande Chambre pour démontrer que le centre de détention provisoire offre de bonnes conditions de vie et que des soins médicaux y sont dispensés. Toutefois, la plupart de ces documents ont été établis entre 2008 et 2014, soit plusieurs années après le séjour du requérant dans le centre en question, si bien qu’ils n’apportent aucun éclaircissement sur les conditions qui y régnaient durant l’internement de l’intéressé. En outre, la Cour doute que le directeur du centre qui a rédigé le rapport du 28 décembre 2010 et la surveillante ayant formulé la déclaration écrite du 23 décembre 2010 aient pu se souvenir si un enfant qui avait séjourné dans le centre pendant trente jours près de six ans auparavant s’était plaint ou non des conditions de son internement et de l’accès aux toilettes. Elle a déjà constaté à plusieurs reprises que des rapports ou des certificats semblables à ceux produits par le Gouvernement n’avaient qu’une faible valeur probante en ce qu’ils ne mentionnaient pas les pièces originales conservées par l’établissement pénitencier ou le centre de détention concerné (Ananyev et autres, précité, § 124, et les références qui y sont citées).

143. En conséquence, si la Cour ne doute pas que certains des documents du centre de détention concernant le requérant ont été détruits conformément aux règles applicables à l’époque pertinente, comme l’affirme le Gouvernement, elle souligne que cette circonstance ne le dispense pas de son obligation d’étayer ses assertions factuelles par des preuves suffisantes (ibidem, § 125).

144. Les parties ont soumis un certain nombre de documents pertinents qui permettent à la Cour de se livrer à un examen approfondi des griefs du requérant. La Cour relève notamment que les certificats médicaux produits par le requérant attestent que celui-ci a été examiné par un neurologue et un psychiatre le 27 décembre 2004 et le 19 janvier 2005, soit un peu plus de un mois seulement avant son internement dans le centre de détention provisoire. À cette époque, le requérant s’était vu prescrire des médicaments, un suivi neurologique et psychiatrique, ainsi qu’un accompagnement psychologique régulier pour le traitement du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité dont il souffrait. De même, des documents médicaux établissent que l’intéressé a été admis à l’hôpital le lendemain de sa sortie du centre de détention, qu’il y a été traité pour névrose et le trouble susmentionné et qu’il y est demeuré au moins jusqu’au 12 avril 2005, soit environ trois semaines.

145. En outre, la Cour observe qu’à l’audience du 21 février 2005 relative à l’internement de l’intéressé, le grand-père de celui-ci a produit des certificats médicaux pour démontrer que son petit-fils souffrait d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, s’assurant ainsi que les autorités en seraient informées. À cet égard, elle constate qu’un agent du service des mineurs était présent à cette audience et qu’un représentant du centre de détention provisoire était également tenu d’y assister en vertu de l’article 31.2 de la loi sur les mineurs. Le grand-père du requérant ayant au cours de l’audience attiré l’attention sur les troubles dont souffrait son petit-fils, les autorités compétentes pour statuer sur la question du placement de celui-ci dans un centre de détention provisoire étaient au courant de son état de santé.

146. Dans ces conditions, et bien que le dossier individuel du requérant tenu par le centre de détention ait été détruit, la Cour estime qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les autorités connaissaient l’état de santé du requérant lors de son internement dans le centre et qu’elles savaient qu’il avait besoin d’un traitement. En outre, l’hospitalisation du requérant le lendemain de sa remise en liberté et son séjour de près de trois semaines dans un établissement psychiatrique indiquent qu’il n’a pas bénéficié dans le centre des soins nécessaires au traitement de ses troubles. Il y a lieu d’en conclure que le requérant a établi devant la Cour une présomption de défaut de traitement médical approprié. Eu égard aux considérations exposées ci-dessus concernant les pièces produites par le Gouvernement (paragraphes 142-143 ci-dessus) et en l’absence de toute autre preuve convaincante, la Cour estime que celui-ci n’a pas démontré que le requérant avait reçu les soins médicaux requis par sa maladie lors de son séjour de trente jours dans le centre de détention provisoire dont il lui était interdit de sortir et où il se trouvait entièrement sous le contrôle et la responsabilité de ceux qui y travaillaient. En pareilles circonstances, les autorités étaient tenues de protéger la dignité et le bien-être du requérant, et elles sont responsables au regard de la Convention du traitement subi par lui (M.S. c. Royaume-Uni, précité, § 44).

147. En ce qui concerne l’énurésie du requérant, la Cour note que cette pathologie n’est pas mentionnée dans les certificats médicaux du 27 décembre 2004 et du 19 janvier 2005 et qu’elle n’est pas la cause de l’hospitalisation subie par l’intéressé après sa remise en liberté. En conséquence, la Cour estime que le requérant n’a pas apporté un commencement de preuve suffisant pour établir si – et, le cas échéant, dans quelle mesure – il souffrait d’énurésie lors de son internement dans le centre de détention provisoire et si le personnel de cet établissement en était ou aurait dû en être informé. La plupart des certificats et dossiers médicaux concernant le requérant établis par le centre ayant été détruits, il paraît difficile d’obtenir des éclaircissements à ce sujet. Cela étant, la Cour a déjà jugé établi que le requérant souffrait d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.

148. Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que, eu égard au jeune âge du requérant et à sa vulnérabilité particulière due au trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité dont il était atteint, il y a eu violation des droits de l’intéressé découlant de l’article 3 faute pour le centre de détention provisoire de lui avoir dispensé les soins médicaux requis.

149. En conséquence, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

150. Eu égard au constat de violation de l’article 3 auquel elle est parvenue, la Cour estime, à l’instar de la chambre, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs soulevés par le requérant sur le terrain de cette disposition.

IV. SUR la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention

151. Le requérant allègue avoir été détenu dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants au mépris de l’article 5 § 1 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

1. « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A. L’arrêt de la chambre

152. Dans son arrêt, la chambre a conclu que le placement du requérant dans le centre de détention provisoire s’analysait en une privation de liberté au motif que cet établissement était fermé et gardé, que les détenus étaient systématiquement fouillés lors de leur admission, que leurs effets personnels leur étaient confisqués et qu’ils étaient soumis à un régime disciplinaire.

153. Par ailleurs, elle a jugé que le requérant n’avait pas été placé en détention en vue de son éducation surveillée au sens de l’article 5 § 1 d), les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants ayant vocation, d’après le droit interne, à accueillir provisoirement des mineurs pendant le temps nécessaire à la recherche d’une solution plus adaptée telle qu’un retour dans leur famille ou un placement dans un établissement éducatif. En outre, la chambre a relevé que la législation pertinente ne prévoyait pas l’organisation d’activités éducatives dans les centres en question. Elle en a conclu que les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants n’avaient pas vocation à assurer une éducation surveillée et que la détention du requérant dans le centre n’avait pas été « décidée pour son éducation surveillée », puisqu’il y avait été interné en vue d’une « rééducation comportementale » et de la prévention de la récidive.

154. La chambre a ensuite considéré que la détention du requérant n’était pas fondée sur des « motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction » au sens de l’article 5 § 1 c), relevant à cet égard que ni les autorités internes ni le Gouvernement n’avaient fait état d’infractions concrètes et précises qu’il aurait fallu empêcher le requérant de commettre. En outre, elle a observé que pour être régulière au regard de l’article 5 § 1 c), la détention d’une personne en vue de l’empêcher de commettre une infraction devait être décidée « afin de la traduire devant l’autorité compétente », et elle a estimé que tel n’était pas le cas du requérant, puisque celui-ci avait été interné dans le centre de détention provisoire en application d’une décision adoptée par un tribunal à l’issue d’une procédure dirigée contre lui.

155. Par ailleurs, la chambre a jugé que l’internement du requérant ne pouvait passer pour une « détention régulière après condamnation par un tribunal compétent » au sens de l’article 5 § 1 a) dès lors que l’intéressé n’avait pas été reconnu coupable d’une infraction, puisqu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale. Enfin, elle a estimé que la privation de liberté subie par le requérant ne relevait pas de l’article 5 § 1 b) de la Convention et que les alinéas e) et f) de cette disposition étaient manifestement inapplicables en l’espèce. Elle en a conclu que l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire ne poursuivait aucun des buts légitimes autorisés par l’article 5 § 1 et qu’il était en conséquence arbitraire.

B. Thèses des parties

1. Le requérant

156. Le requérant déclare souscrire au raisonnement suivi par la chambre dans son arrêt relativement à l’article 5 § 1. Il indique avoir été interné pendant trente jours dans le centre de détention provisoire en vue d’y subir une « rééducation comportementale » sans rapport avec l’« éducation surveillée » prévue à l’article 5 § 1 d). Il soutient que les centres de détention provisoire n’ont nullement vocation à assurer une éducation surveillée et qu’il ressort de l’article 22 de la loi sur les mineurs que la conduite d’actions éducatives auprès des mineurs ne relève pas de leurs missions. Il avance que, selon le droit interne, ces centres ne font pas partie du système des établissements d’enseignement et qu’il existe des établissements fermés spéciaux pour la scolarisation et l’éducation des enfants et des adolescents présentant des problèmes de comportement.

157. En outre, le requérant soutient que l’article 22 § 4 (2) de la loi sur les mineurs énumère les cas dans lesquels des mineurs peuvent être placés dans un centre de détention provisoire (paragraphe 66 ci-dessus) et que lui-même ne relevait d’aucun de ces cas. À cet égard, il indique que son identité était connue, de même que son domicile, et que sa culpabilité du chef d’extorsion n’a jamais été établie par une décision de justice. Il ajoute que l’article 22 § 6 de la loi sur les mineurs n’autorise l’internement de mineurs en centre de détention provisoire que pour la durée strictement nécessaire à la régularisation de leur situation, laquelle ne peut en aucun cas excéder trente jours. D’après le requérant, il en résulte que les centres de détention provisoire ont vocation non pas à assurer une éducation surveillée, mais uniquement à permettre la détention de mineurs jusqu’à leur remise à leurs tuteurs ou à leur placement dans un établissement éducatif spécialisé. En tout état de cause, le Gouvernement n’aurait produit aucun document propre à démontrer que le requérant a bénéficié de mesures préventives individualisées ou qu’un enseignement lui a été dispensé durant son internement dans le centre de détention.

158. Enfin, l’internement du requérant dans le centre de détention provisoire n’aurait poursuivi aucun des autres buts énumérés à l’article 5 § 1 a), b) et c).

159. Dans ces conditions, le requérant conclut que sa détention était irrégulière faute de relever du champ d’application de l’article 5 § 1 de la Convention.

2. Le Gouvernement

160. Le Gouvernement soutient que le placement du requérant dans le centre de détention provisoire était conforme à l’article 5 § 1 d) de la Convention dès lors que, selon lui, il visait précisément à pourvoir à l’« éducation surveillée » de l’intéressé. Il avance que les juridictions internes avaient autorisé cet internement pour empêcher le requérant de récidiver en le rééduquant par des actions préventives individualisées, conformément à l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs. Il affirme que les autres mesures préventives prises auparavant n’avaient pas abouti à une amélioration du comportement de l’intéressé et que la famille de celui-ci n’était pas capable de le surveiller correctement. À cet égard, le Gouvernement expose que le requérant vivait dans un milieu perturbé, que ses parents étaient alcooliques, qu’il avait été placé en orphelinat à plusieurs reprises, qu’il manifestait un comportement antisocial et agressif et qu’il avait déjà commis des infractions qui lui avaient valu d’être placé sous la surveillance préventive des agents du service des mineurs de 2002 à 2005. Le Gouvernement indique que le dossier portant sur la surveillance préventive de l’intéressé a été détruit en 2011.

161. En outre, il avance que les actions préventives individualisées prévues par la loi sur les mineurs comportent un élément d’« éducation surveillée » et que la mise en œuvre de pareilles mesures à l’égard du requérant dans le centre de détention avait été expressément requise. Rappelant que le dossier individuel du requérant tenu par le centre de détention a été détruit conformément à la réglementation interne, le Gouvernement s’appuie sur d’autres documents qui, selon lui, confirment indirectement que l’intéressé a bénéficié d’actions préventives individualisées pendant son internement. À cet égard, il renvoie à un profil de personnalité du requérant (характеристика) – non daté – établi à la demande du représentant de celui-ci par le centre de détention provisoire et communiqué à la Cour en 2007 par son grand-père. En outre, afin de démontrer que les centres de détention provisoire ont vocation à pourvoir à l’« éducation surveillée » de mineurs et à leur dispenser un enseignement secondaire, le Gouvernement se réfère à un certain nombre de pièces, telles que le tableau de service du personnel du centre de détention approuvé le 18 juin 2003, des conventions de prestation de services d’enseignement aux mineurs internés conclues entre le centre de détention et l’école no 15 de Novossibirsk le 1er septembre 2004 et le 1er septembre 2005 respectivement, ainsi qu’une habilitation délivrée à l’école en question pour la période du 4 septembre 2002 au 19 juin 2007 pour travailler avec le service de formation et de consultation du centre.

162. Le Gouvernement expose que le régime en vigueur dans les établissements éducatifs fermés prévu par l’article 15 § 4 de la loi sur les mineurs est analogue à celui qui est appliqué dans les centres de détention provisoire et qui est défini à l’article 22 § 2 (4) de la même loi. À cet égard, il affirme que si le libellé de la première de ces dispositions et celui de la seconde ne mettent pas l’accent sur les mêmes éléments, la nature, les méthodes et les objectifs des actions menées auprès des mineurs concernés sont identiques dans les deux catégories d’établissements, la seule différence portant sur la durée de l’internement. Il ajoute que les principales missions assignées aux établissements éducatifs fermés par l’article 15 de la loi sur les mineurs valent pleinement pour les centres de détention provisoire.

3. Le tiers intervenant

163. Le CDPHM indique qu’aux termes de l’article 37 b) de la CIDE, l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible (paragraphe 82 ci-dessus). Il ajoute que l’Observation générale no 9 (2006) formulée par le Comité des droits de l’enfant énonce que « [l]es enfants handicapés en conflit avec la loi ne devraient pas être placés dans un centre de détention pour jeunes délinquants au stade de la détention avant jugement ni à titre de sanction. La privation de liberté ne devrait être imposée que dans la mesure où elle est nécessaire pour assurer à l’enfant un traitement adapté (...) et celui-ci doit être placé dans un établissement disposant de personnels spécialement formés » (paragraphe 83 ci-dessus). Il renvoie également à la règle 28 des Règles de La Havane (paragraphe 87 ci-dessus), selon laquelle « les mineurs doivent être détenus dans des conditions tenant dûment compte de leur statut et de leurs besoins particuliers en fonction de leur âge, de leur personnalité et de leur sexe, du type de délit ainsi que de leur état physique et mental, et qui les protègent des influences néfastes et des situations à risque ».

C. Appréciation de la Cour

164. La Cour observe d’emblée que le Gouvernement ne soutient plus que l’internement du requérant en centre de détention provisoire échappait au champ d’application de l’article 5 de la Convention faute de constituer une mesure privative de liberté. En tout état de cause, la Cour confirme la conclusion de la chambre selon laquelle l’internement de l’intéressé pendant trente jours dans un centre de détention provisoire s’analysait en une privation de liberté au sens de l’article 5 § 1, relevant en particulier que le centre en question était fermé et gardé, que les détenus y étaient surveillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour empêcher toute tentative de sortie non autorisée de leur part et que le respect du régime disciplinaire applicable y était assuré par une équipe de surveillants (paragraphes 71-72 ci-dessus).

165. En outre, la Cour note que le requérant soutient que son internement dans le centre de détention provisoire ne relevait d’aucun des alinéas de l’article 5 § 1 tandis que le Gouvernement avance, dans ses observations devant la Grande Chambre, que la mesure incriminée répondait aux exigences de l’article 5 § 1 d), sans toutefois soutenir qu’elle pouvait aussi relever de l’un quelconque des autres alinéas de cette disposition. Dans ces conditions, et précisant qu’elle souscrit à la conclusion de la chambre selon laquelle la détention du requérant échappait au champ d’application de l’article 5 § 1 a), b), c), e) ou f) de de la Convention (paragraphes 117‑127 de l’arrêt de la chambre), la Cour se concentrera sur la question de savoir si l’internement du requérant dans le centre de détention provisoire était compatible avec l’article 5 § 1 d).

166. À cet égard, elle rappelle que la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l’article 5 § 1 revêt un caractère exhaustif et que seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Giulia Manzoni c. Italie, 1er juillet 1997, § 25, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV). En outre, dans le cadre de la détention de mineurs, les termes d’« éducation surveillée » ne doivent pas être strictement assimilés à la notion d’enseignement en salle de classe : lorsqu’une jeune personne est placée sous la protection de l’autorité locale compétente, l’éducation surveillée doit englober de nombreux aspects de l’exercice, par cette autorité locale, de droits parentaux au bénéfice et pour la protection de l’intéressé (P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 147, 30 octobre 2012, D.G. c. Irlande, no 39474/98, § 80, CEDH 2002‑III, et Koniarska c. Royaume-Uni (déc.), no 33670/96, 12 octobre 2000).

167. Par ailleurs, la détention à des fins d’éducation surveillée visée à l’article 5 § 1 d) doit se dérouler dans un établissement adapté disposant de ressources répondant aux objectifs pédagogiques requis et aux impératifs de sécurité. Toutefois, il peut ne pas s’agir d’un placement immédiat. L’alinéa d) de l’article 5 § 1 n’empêche pas une mesure provisoire de garde qui serve de préliminaire à un régime d’éducation surveillée sans en revêtir elle-même le caractère. Encore faut-il, dans cette hypothèse, que la mesure de garde provisoire débouche à bref délai sur l’application effective d’un tel régime dans un milieu spécialisé – ouvert ou fermé – qui jouisse de ressources suffisantes correspondant à sa finalité (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, §§ 50 et 52, série A no 129, et D.G. c. Irlande, précité, § 78).

168. En l’espèce, il ressort des dispositions pertinentes de la loi sur les mineurs que le placement en centre de détention est une mesure provisoire – comme son intitulé même l’indique – dont la durée doit être aussi courte que possible et ne peut excéder trente jours. Ainsi, par exemple, un mineur peut être maintenu dans un tel centre pendant le temps nécessaire à l’établissement de son identité et de son domicile ou à l’organisation de son transfert dans un établissement éducatif fermé ou de son retour dans un tel établissement après une fugue (article 22 § 2 (4-6) de la loi sur les mineurs). Toutefois, aucun de ces motifs n’est pertinent en l’espèce, le requérant ayant été placé dans un centre de détention en vue d’une « rééducation comportementale ». En tout état de cause, l’examen des divers motifs pour lesquels la loi sur les mineurs autorise le placement de mineurs dans un centre de détention provisoire montre que cette mesure vise à permettre leur accueil provisoire uniquement pour la durée nécessaire à la recherche d’une solution durable, non à pourvoir à leur « éducation surveillée ».

169. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement, la Cour estime que l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire n’est pas assimilable à un placement en établissement éducatif fermé, lequel constitue une mesure distincte et de longue durée destinée à aider les mineurs en grandes difficultés (comparer avec A. et autres c. Bulgarie, no 51776/08, §§ 66-74, 29 novembre 2011). Comme indiqué ci-dessus, l’internement en centre de détention provisoire est une mesure de courte durée, une solution provisoire. La Cour voit mal comment une véritable éducation surveillée visant à modifier le comportement d’un mineur et à lui faire suivre une thérapie et une rééducation appropriées pourrait être assurée dans un laps de temps de trente jours au maximum.

170. Par ailleurs, la Cour observe que les documents sur lesquels s’appuie la thèse du Gouvernement selon laquelle le requérant a réellement bénéficié d’un enseignement scolaire lors de son séjour dans le centre de détention provisoire attestent de l’existence, pendant la période où le requérant y était placé, d’une convention entre ce centre et une école locale en vue de la prestation par celle-ci de services d’enseignement aux mineurs détenus. À cet égard, la Cour estime que la pratique consistant à dispenser à tous les mineurs privés de liberté placés sous la responsabilité de l’état, même à ceux internés en centre de détention provisoire pour une durée limitée, un enseignement conforme au programme scolaire ordinaire devrait constituer la norme pour éviter des lacunes dans leur éducation. Ce point de vue trouve appui dans des instruments internationaux traitant de la privation de liberté des mineurs (voir, par exemple, les règles 77, 78.3 et 78.5 des Règles européennes de 2008 pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, les lignes directrices 21 et 28 des Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, la règle 26.2 des Règles de Beijing, et la règle 38 des Règles de La Havane, citées respectivement aux paragraphes 79, 80, 86 et 87 ci-dessus). Dans ces conditions, si la Cour admet qu’un enseignement scolaire était dispensé dans le centre, elle considère que cette circonstance ne démontre pas que la détention de l’intéressé dans l’établissement en question avait été « décidée pour son éducation surveillée », comme l’affirme le Gouvernement. Elle estime au contraire que le centre se caractérisait davantage par son régime disciplinaire que par l’enseignement qui y était assuré.

171. Qui plus est, il importe de relever qu’aucune des juridictions internes ayant connu du placement en détention du requérant n’a indiqué que cette mesure poursuivait un but éducatif. En revanche, elles ont fait état d’une « rééducation comportementale » et de la nécessité d’empêcher le requérant de récidiver, motifs qui ne figurent pas au nombre de ceux dont l’article 5 § 1 d) de la Convention reconnaît la légitimité. La Cour observe d’ailleurs que l’objectif de « rééducation comportementale » correspond aux buts de la peine énoncés à l’article 43 § 2 du code pénal et, en ce qui concerne les mineurs âgés de quatorze à dix-huit ans, à l’article 87 § 2 du même code (paragraphes 57-58 ci-dessus)

172. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le placement du requérant en centre de détention provisoire ne relevait pas de l’article 5 § 1 d) de la Convention. La Cour ayant déjà établi que la détention de l’intéressé n’était fondée sur aucun des autres alinéas de cette disposition, force lui est de conclure à la violation de l’article 5 § 1.

V. Sur la violation alléguée de l’article 6 de la Convention

173. Le requérant soutient en outre que la procédure ayant abouti à son placement dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants n’a pas été équitable. À cet égard, il se plaint notamment d’avoir été interrogé par un policier hors la présence de son tuteur, d’un avocat ou d’un enseignant, et de n’avoir pas pu interroger les témoins au cours de la procédure. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, dont les passages pertinents en l’espèce se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

A. Sur l’applicabilité de l’article 6 en l’espèce

1. Thèses des parties

174. Le Gouvernement avance en premier lieu, dans ses observations devant la Grande Chambre, que l’audience du 21 février 2005 ayant abouti au placement du requérant dans un centre de détention provisoire doit être appréciée à l’aune des exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, et non au regard de l’article 6. En effet, cette audience concernait l’adoption d’une mesure qui visait selon lui à la réalisation des buts énoncés à l’article 5 § 1 d) de la Convention. À cet égard, le Gouvernement indique que la régularité d’une autre audience, tenue le 11 avril 2005 aux fins de l’examen du recours formé par le requérant contre son internement en centre de détention provisoire, a été examinée par la chambre sous l’angle de l’article 5 § 4. Il ajoute que la Cour s’est précédemment appuyée sur cette dernière disposition pour se prononcer sur des mesures analogues (Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, §§ 41 et 43, 21 décembre 2010, et A. et autres c. Bulgarie, précité, §§ 81 et 107).

175. En tout état de cause, le Gouvernement maintient sa position selon laquelle l’article 6 de la Convention n’est pas applicable aux procédures dont il est ici question.

176. Il assure qu’il n’y a eu dans le cadre de l’enquête préliminaire qu’une seule mesure informelle ayant requis la participation du requérant, à savoir un entretien, à ne pas confondre avec un interrogatoire stricto sensu. Réaffirmant que l’enquête préliminaire ne visait qu’à établir les faits et qu’elle ne pouvait pas déboucher sur l’imposition d’une sanction, il soutient qu’elle ne portait pas sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il indique que l’enquête préliminaire permettait seulement de juger de l’opportunité des poursuites. Il ajoute que le requérant n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, l’ouverture d’une procédure pénale contre lui était impossible et que celui-ci se trouvait donc, à l’instar d’un accusé atteint d’aliénation mentale, dans une situation excluant toute possibilité de condamnation. Selon le Gouvernement, c’est précisément pour cette raison que la Cour a conclu à l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention aux procédures pénales dirigées contre des accusés atteints d’aliénation mentale dans les affaires Kerr c. Royaume-Uni ((déc.), no 63356/00, 23 septembre 2003) et Antoine c. Royaume-Uni ((déc.), no 62960/00, 13 mai 2003).

177. Par ailleurs, le Gouvernement plaide que le volet pénal de l’article 6 n’est pas applicable à la procédure ayant abouti au placement du requérant dans un centre de détention provisoire. Il renvoie aux articles 22 § 2 (4) et 31.1 § 2 de la loi sur les mineurs, ainsi qu’aux décisions adoptées par les juridictions internes le 21 février 2005 et le 29 mai 2006, d’où il ressort selon lui que l’internement de l’intéressé dans un tel établissement visait à l’empêcher de récidiver au moyen d’une rééducation comportementale, et non à le punir pour la dernière infraction qu’il avait commise. Il en veut pour preuve que les juridictions internes ont examiné non seulement les circonstances de cette infraction, mais l’ensemble des antécédents de comportements antisociaux et délictueux du requérant, ainsi que sa situation familiale et ses conditions de vie pour conclure qu’il n’était pas surveillé comme il devait l’être et que les mesures préventives précédemment mises en œuvre s’étaient révélées vaines. À cet égard, le Gouvernement ajoute que les juridictions internes n’avaient pas le pouvoir de statuer sur la question de savoir si le requérant était coupable de l’infraction en question, qu’elles ne se sont pas prononcées sur ce point et qu’elles ont simplement recherché s’il existait des preuves suffisantes de la commission par l’intéressé d’un acte réprimé par le code pénal. Selon le Gouvernement, les juridictions internes n’ont donc pas décidé du « bien-fondé d’une accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1. En outre, la procédure suivie à l’audience du 21 février 2005 n’aurait pas été celle prescrite par le code de procédure pénale mais celle prévue par la loi sur les mineurs, que la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie aurait expressément qualifiée de procédure civile (arrêt no 690-O du 14 mai 2013).

178. Pour sa part, le requérant soutient que l’article 5 § 4 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Il estime que l’approche adoptée par la chambre est la bonne, que la procédure litigieuse relevait de l’article 6 et que sa régularité doit être appréciée au regard de cette disposition. Il avance que son placement dans un centre de détention visait non pas à pourvoir à son éducation surveillée mais à le punir de l’infraction dont il était accusé. Il allègue que les autorités ont eu recours à la procédure d’internement à des fins de répression pénale parce que son âge leur interdisait d’engager des poursuites contre lui.

2. Appréciation de la Cour

179. La Cour relève que la chambre a conclu dans son arrêt que la procédure dirigée contre le requérant revêtait un caractère pénal au sens de l’article 6 de la Convention (paragraphe 149 de l’arrêt de la chambre). La chambre s’est exprimée ainsi :

« 139. La Cour réaffirme l’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 § 1. Selon sa jurisprudence constante, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (voir, entre autres, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30-31, CEDH 2006‑XIV, et Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003‑X).

140. En l’espèce, la Cour relève que, après avoir établi que les actes reprochés au requérant comportaient des éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds, les autorités ont classé l’affaire au motif que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge de la majorité pénale (...) Par la suite, dans le cadre d’une procédure distincte, un tribunal a ordonné l’internement du requérant pendant trente jours en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants au motif qu’il avait commis un acte de délinquance – une extorsion – et qu’il était en conséquence nécessaire de lui imposer une « rééducation comportementale » et de l’empêcher de récidiver (...)

141. Le Gouvernement indique que, selon le droit interne, la procédure dirigée contre le requérant ne relève pas de la matière pénale. La Cour a déjà jugé que, dans l’accomplissement de leur rôle de gardiens de l’intérêt public, les États peuvent établir ou maintenir une distinction entre différents types d’infractions définis par le droit interne et fixer le tracé entre celles qui ressortissent au droit pénal et celles qui n’en relèvent pas. Le législateur qui soustrait certains comportements à la catégorie des infractions pénales du droit interne peut servir à la fois les impératifs d’une bonne administration de la justice et l’intérêt de l’individu, comme l’a fait le législateur russe en exonérant les mineurs en dessous d’un certain âge de la responsabilité pénale selon le degré de développement de leurs capacités mentales et intellectuelles. Cependant, la qualification juridique de la procédure en droit interne ne saurait être le seul critère pertinent pour l’applicabilité de l’article 6. S’il en était autrement, l’application de cette disposition se trouverait subordonnée à l’appréciation des États contractants, ce qui risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention (Öztürk c. Allemagne, 21 février 1984, § 49, série A no 73, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 68, série A no 80, Ezeh et Connors, précité, § 83, et Matyjek c. Pologne (déc.), no 38184/03, § 45, 30 mai 2006). En conséquence, le fait que la procédure dirigée contre le requérant ne revête pas un caractère pénal en droit russe n’a qu’une valeur formelle et relative ; « la nature même de l’infraction représente un élément d’appréciation d’un plus grand poids » (Ezeh et Connors, précité, § 91).

142. Il ne prête pas à controverse que l’acte de délinquance reproché à l’intéressé est une infraction selon le droit pénal ordinaire. D’ailleurs, la décision de classement sans suite indique que « les faits reprochés [au requérant] (...) comportent des éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds réprimée par l’article 163 du code pénal » (...) Toutefois, la Cour ne perd pas de vue le fait que l’intéressé n’a pas été poursuivi, faute pour lui d’avoir atteint l’âge de la majorité pénale. Cela étant, elle ne juge pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, malgré le caractère indiscutablement pénal de l’infraction reprochée à l’intéressé, le fait que celui-ci bénéficiait de l’immunité de poursuites en raison de son âge soustrayait la procédure dirigée contre lui du champ d’application du volet pénal de l’article 6. En conséquence, la Cour se bornera à examiner le troisième critère applicable, à savoir la nature et le degré de sévérité de la sanction encourue par le requérant.

143. La Cour observe que, selon le droit russe, les mineurs ayant commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale peuvent être internés dans un centre éducatif fermé pour une durée maximale de trois ans, ou dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pour une durée maximale de trente jours (...) En l’espèce, dans le mois qui a suivi la décision de ne pas poursuivre le requérant, la direction locale de l’Intérieur a demandé à un tribunal d’ordonner l’internement de l’intéressé dans un tel centre au motif qu’il avait commis une infraction dont il ne pouvait être tenu pour pénalement responsable en raison de son âge. Au regard de l’indiscipline qui caractérisait la vie du requérant et ses actes de délinquance passés, la direction locale de l’Intérieur avait estimé que le placement du requérant en détention s’imposait pour le soumettre à une « rééducation comportementale » et pour éviter toute récidive de sa part (...) Le tribunal de district a ordonné l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs pendant trente jours en vue d’une « rééducation comportementale » au motif que celui-ci n’avait pas « tiré les conclusions qui s’imposaient » de ses précédents séjours dans de tels centres et qu’il avait récidivé (...) La cour régionale a confirmé cette décision en appel, signalant que le requérant avait commis une infraction réprimée par le code pénal et faisant état de sa situation familiale ainsi que de ses difficultés scolaires. Elle a jugé que l’internement de l’intéressé dans un centre était nécessaire pour l’empêcher de récidiver (...)

144. La Cour ne perd pas de vue que la décision d’internement du requérant en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants a été prise à l’issue d’une procédure parallèle qui, formellement, était étrangère à l’enquête préliminaire dirigée contre l’intéressé. Toutefois, elle relève que, pour décider de cet internement, les juridictions internes ont principalement retenu que l’intéressé avait commis une infraction et qu’elles ont amplement fait état, dans leur décision, des pièces recueillies dans le cadre de l’enquête préliminaire et des constats opérés à cette occasion. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il existe un lien étroit, tant juridique que factuel, entre l’enquête préliminaire et la procédure d’internement. D’ailleurs, il ressort clairement du libellé des dispositions juridiques pertinentes et des décisions de justice citées au paragraphe 143 ci-dessus que le placement du requérant dans un centre de détention provisoire était directement lié au fait que la direction locale de l’Intérieur avait conclu que les actes reprochés à l’intéressé comportaient des éléments constitutifs du délit d’extorsion de fonds.

145. La Cour a déjà conclu que l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants s’analysait en une privation de liberté (...) Il convient dès lors de présumer que la procédure dirigée contre le requérant revêtait un caractère « pénal » au sens de l’article 6, et cette présomption ne peut être réfutée qu’à titre tout à fait exceptionnel et seulement s’il est impossible de considérer que cette privation de liberté entraîne un « préjudice important », eu égard à sa nature, à sa durée ou à ses modalités d’exécution (Ezeh et Connors, précité, § 126).

146. Comme indiqué ci-dessus, la décision de placement de l’intéressé dans un centre de détention pour mineurs délinquants n’a pas été prise en vue de son éducation surveillée (...) L’objectif déclaré de l’internement de l’intéressé était de corriger son comportement et l’empêcher de récidiver, et non de lui infliger une sanction. Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il peut falloir, par-delà les apparences et le vocabulaire employé, s’attacher à cerner la réalité (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH 2002‑IV, et Ezeh et Connors, précité, § 123).

147. La Cour relève que le requérant a été maintenu pendant trente jours dans un centre de détention pour mineurs délinquants, non dans un établissement éducatif. Comme indiqué ci-dessus, ce centre était fermé et gardé, de manière à interdire toute tentative de sortie non autorisée. En outre, les détenus étaient soumis à une surveillance permanente et à une discipline stricte (...) Dans ces conditions, la Cour estime que la détention imposée au requérant après que ses agissements eurent été considérés comme constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds, détention qu’il a purgée dans un centre de détention pour mineurs délinquants sous un régime quasi pénitentiaire dans les conditions décrites ci-dessus, contenait des éléments de répression ainsi que des éléments de prévention et de dissuasion. La Cour éprouve quelques difficultés à distinguer entre les objectifs de répression et les objectifs de dissuasion de la mesure litigieuse, ces objectifs ne s’excluant pas mutuellement et étant tenus pour caractéristiques des sanctions pénales. D’ailleurs, la jurisprudence de la Cour admet généralement que les sanctions pénales ont un double objectif de répression et de dissuasion (Öztürk, précité, § 53, Bendenoun c. France, 24 février 1994, § 47, série A no 284, Lauko c. Slovaquie, 2 septembre 1998, § 58, Recueil 1998‑VI, et Ezeh et Connors, précité, §§ 102 et 105).

148. Eu égard à la nature, à la durée et aux modalités d’exécution de la privation de liberté dont le requérant était passible et qu’il s’est vu infliger, la Cour ne décèle aucune circonstance exceptionnelle susceptible de renverser la présomption selon laquelle la procédure pénale dirigée contre lui était « pénale » au sens de l’article 6.

149. Au vu de ce qui précède, et compte tenu de la nature de l’infraction ainsi que de la nature et de la sévérité de la sanction prononcée, la Cour conclut que la procédure dirigée contre le requérant revêtait un caractère pénal au sens de l’article 6 de la Convention. En conséquence, cette disposition est applicable à la procédure en question. »

180. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter des conclusions précises et clairement motivées auxquelles la chambre est parvenue. À l’instar de celle-ci, elle souligne qu’il est nécessaire de s’attacher à cerner la réalité par-delà les apparences et le vocabulaire employé (paragraphe 146 de l’arrêt de la chambre). L’application de ce principe en l’espèce conduit la Cour à considérer que l’internement du requérant pendant trente jours dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants présentait clairement des éléments de dissuasion et de répression (paragraphe 147 de l’arrêt de la chambre).

181. Au vu de ce qui précède, la Cour ne partage pas la thèse du Gouvernement selon laquelle les griefs du requérant doivent être examinés sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention. La procédure dirigée contre le requérant ayant porté sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, la Cour estime que les griefs en question doivent être appréciés à l’aune des garanties procédurales plus étendues consacrées par l’article 6 de la Convention plutôt que sur le terrain de l’article 5 § 4. Par ailleurs, la Cour marque son désaccord avec la thèse du Gouvernement selon laquelle la situation du requérant doit être traitée de la même façon que celle d’un accusé souffrant d’une maladie mentale. Dans le cas de malades mentaux, la procédure peut conduire à l’internement de ceux-ci dans des institutions fermées à des fins thérapeutiques ou de prévention de la récidive. Elle ne comporte aucun élément de répression et de dissuasion, contrairement à celle dirigée contre le requérant.

182. Partant, la Cour conclut que la procédure dont le requérant se plaint revêt un caractère pénal au sens de l’article 6 de la Convention et que cette disposition est par conséquent applicable en l’espèce.

B. Sur l’observation des exigences de l’article 6

1. L’arrêt de la chambre

183. En ce qui concerne le grief du requérant tiré de son interrogatoire par la police hors la présence de son tuteur, d’un avocat ou d’un enseignant, la chambre a constaté que rien ne corroborait l’argument du Gouvernement selon lequel le grand-père du requérant, le tuteur de celui-ci ou un tiers y avait assisté. En outre, eu égard au jeune âge de l’intéressé, la chambre a estimé que l’interrogatoire de celui-ci s’était déroulé dans des conditions relevant de la coercition psychologique. Par ailleurs, elle a observé que les aveux passés par le requérant devant la police avaient été utilisés contre lui dans la procédure subséquente. Aussi a-t-elle considéré que l’absence d’un avocat pendant la garde à vue du requérant avait irrémédiablement nui aux droits de la défense de celui-ci et à l’équité de la procédure dans son ensemble. En conséquence, elle a conclu à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

184. La chambre a ensuite relevé que le requérant n’avait pas eu la possibilité d’interroger S. et la mère de celui-ci, alors pourtant que leurs dépositions étaient les seules preuves à charge et qu’elles étaient donc déterminantes. En outre, elle a observé que les autorités n’avaient rien fait pour assurer la comparution de S. ou de sa mère à l’audience et qu’elles n’avaient pas déployé des efforts raisonnables pour compenser leur non-comparution. En conséquence, elle a jugé que le droit du requérant d’interroger les témoins et de contester leurs témoignages avait été restreint d’une manière incompatible avec les garanties consacrées par l’article 6 §§ 1 et 3 d).

185. Enfin, la chambre a établi que les restrictions susmentionnées aux droits de la défense du requérant découlaient du régime juridique particulier dont celui-ci relevait du fait qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale à l’époque pertinente. Elle a observé que la loi sur les mineurs, qui régissait la procédure dirigée contre le requérant apportait d’importantes limitations aux garanties procédurales. Eu égard aux considérations qui précèdent, la chambre a conclu que la procédure en question n’avait pas été équitable et, par conséquent, qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1.

2. Thèses des parties

a) Le requérant

186. Le requérant déclare souscrire pleinement aux conclusions de l’arrêt de la chambre. Il se plaint d’avoir été privé de son droit à la défense, tant au moment de son premier interrogatoire au commissariat qu’au cours de la procédure judiciaire ayant abouti à son placement dans un centre de détention provisoire, ainsi que d’un certain nombre de garanties juridiques telles que le droit d’interroger les témoins et le droit à la présomption d’innocence.

b) Le Gouvernement

187. Le Gouvernement affirme que le requérant a été interrogé au commissariat en présence de son grand-père par un agent du service des mineurs ayant une formation spéciale. Il soutient également que le requérant avait été informé de son droit de ne pas s’incriminer lui-même, ce que confirme, d’après lui, la signature apposée par l’intéressé sur la première page de ses aveux.

188. En outre, le Gouvernement estime que l’audience du 21 février 2005 ayant abouti au placement du requérant dans un centre de détention provisoire doit être appréciée à l’aune des exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, et non au regard de l’article 6, et il fonde donc ses moyens sur la première de ces dispositions. Il avance notamment qu’une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas forcément être entourée de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les litiges en matière pénale.

189. À cet égard, le Gouvernement assure que l’audience du 21 février 2005 a été menée conformément à l’article 31.2 § 2 de la loi sur les mineurs, en présence du requérant, du grand-père de celui-ci, d’une avocate commise d’office, de l’agent du service des mineurs qui avait pris la décision le 12 janvier 2005 de ne pas poursuivre l’intéressé, et d’un procureur. Il indique que lors de cette audience, le grand-père du requérant a allégué que son petit-fils n’avait pas pu commettre une infraction, car il s’était rendu avec lui chez un médecin plus tôt dans la journée où les faits litigieux s’étaient produits, et que le requérant a refusé de s’expliquer. Il ajoute que l’avocate commise d’office s’est opposée à l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire. Tout en concédant que S. et sa mère n’ont pas été entendus à l’audience, le Gouvernement doute que le requérant ait demandé leur convocation et indique que la décision pertinente ne fait pas état d’une telle demande. Il déclare que le compte rendu d’audience a été détruit en 2013, en même temps que le dossier de l’affaire. Il ajoute que dans son pourvoi en cassation du 2 mars 2005 le grand-père du requérant n’a pas indiqué avoir demandé au tribunal la convocation de ces témoins, et que l’article 31.2 de la loi sur les mineurs n’exige ni n’interdit l’audition de témoins.

190. Eu égard à ce qui précède, le Gouvernement estime que les griefs du requérant tirés du manque d’équité de la procédure ne révèlent aucune violation de la Convention.

c) Les tiers intervenants

i. Le CDPHM

191. Le CDPHM avance que les états ont l’obligation positive de mettre en place des garanties strictes et effectives propres à assurer la protection de droits « concrets et effectifs », et que cette obligation est particulièrement importante en ce qui concerne les enfants handicapés, qui sont très vulnérables. Il indique que l’article 13 de la CDPH porte spécifiquement sur la question de l’accès des personnes handicapées à la justice et que cette disposition énonce que les États parties assurent l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge, afin de faciliter leur participation effective, directe ou indirecte, à toutes les procédures judiciaires. Le CDPHM estime que la notion d’aménagement raisonnable implique qu’il soit procédé au cas par cas aux modifications et aux ajustements appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue. Il ajoute que l’article 40 de la CIDE traite des enfants en conflit avec la loi et que cette disposition énumère les garanties minimales dont ils doivent bénéficier, notamment le droit à une assistance juridique (paragraphe 82 ci-dessus). Il rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant doit revêtir une importance primordiale.

ii. La Ligue des droits de l’homme

192. La Ligue des droits de l’homme (« LIGA ») renvoie elle aussi à l’article 40 de la CIDE. Elle invoque en outre les Règles de Beijing (paragraphe 86 ci-dessus), les Directives relatives aux enfants dans le système de justice pénale (Résolution 1997/30 du Conseil économique et social des Nations unies, annexe, adoptée le 21 juillet 1997) et les Règles de la Havane (paragraphe 87 ci-dessus), qui, expose-t-elle, garantissent toutes aux enfants en conflit avec la loi le droit à un avocat et à une assistance juridique. La LIGA ajoute que la Recommandation CM/Rec(2008)11 du Conseil de l’Europe sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures (paragraphe 79 ci-dessus) énonce que les mineurs ne doivent pas bénéficier de droits et de garanties juridiques inférieurs à ceux que la procédure pénale reconnaît aux délinquants adultes. Elle déclare également que le droit à l’assistance juridique reconnu par plusieurs instruments internationaux s’applique dès le début des procédures concernant des enfants ou des mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, y compris au stade de l’interrogatoire de police. Elle avance que les enfants qui n’ont pas atteint l’âge de la responsabilité pénale font fréquemment l’objet de procédures qui sont, selon elle, fortement empreintes de paternalisme, parce qu’elles ne sont pas considérées comme revêtant un caractère pénal mais comme tendant à la protection des intéressés et que les garanties procédurales ordinaires demeurent donc souvent inappliquées. Elle explique que cette politique trouve son origine dans la philosophie de la protection judiciaire de l’enfance développée aux États-Unis d’Amérique et en Europe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Cette philosophie aurait fait l’objet, de la part de certains auteurs, d’une critique systématique lui reprochant de mettre en œuvre une approche globalement paternaliste à l’égard des enfants conduisant en général à supprimer leurs droits procéduraux et à leur appliquer un traitement combinant assistance et discipline.

193. La LIGA estime que la vulnérabilité particulière des mineurs appelle au contraire une protection accrue de leurs droits et préconise notamment la fourniture obligatoire d’une assistance juridique à tous les enfants. Enfin, elle indique que la trentième des lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants (paragraphe 80 ci-dessus) énonce qu’« [u]n enfant placé en garde à vue ne devrait pas être interrogé sur un acte délictueux ou tenu de faire ou de signer une déclaration portant sur son implication, sauf en présence d’un avocat ou d’un de ses parents ou, si aucun parent n’est disponible, d’un autre adulte en qui il a confiance ».

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

194. Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysant en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, il arrive fréquemment à la Cour d’examiner les griefs des requérants sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Lucà c. Italie, no 33354/96, § 37, CEDH 2001‑II, Krombach c. France, no 29731/96, § 82, CEDH 2001‑II, et Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 29, série A no 277‑A). En outre, lorsqu’un requérant se plaint de nombreux vices procéduraux, il est loisible à la Cour d’examiner successivement les différents griefs présentés devant elle en vue de déterminer si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable (Insanov c. Azerbaïdjan, no 16133/08, §§ 159 et suiv., 14 mars 2013, et Mirilachvili c. Russie, no 6293/04, §§ 164 et suiv., 11 décembre 2008).

195. En ce qui concerne les accusés mineurs, comme la Cour l’a déjà dit, la procédure pénale doit être organisée de sorte que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté. Il est essentiel de traiter un enfant accusé d’une infraction d’une manière qui tienne pleinement compte de son âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intellectuel et émotionnel, et de prendre des mesures de nature à favoriser sa compréhension de la procédure et sa participation à celle-ci (Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, § 70, 2 mars 2010, Panovits c. Chypre, no 4268/04, § 67, 11 décembre 2008, V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 86, CEDH 1999‑IX, et T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 84, 16 décembre 1999). Le droit pour un prévenu mineur de prendre effectivement part à son procès pénal exige que les autorités traitent l’intéressé en tenant dûment compte de sa vulnérabilité et de ses capacités dès les premiers stades de sa participation à une enquête pénale, en particulier dès son interrogatoire par la police. Les autorités sont tenues de prendre des mesures afin que le mineur se sente le moins possible intimidé et inhibé et de veiller à ce qu’il comprenne globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine susceptible de lui être infligée, ainsi que ses droits, notamment celui de ne rien dire (Martin c. Estonie, no 35985/09, § 92, 30 mai 2013, Panovits, précité, § 67, et S.C. c. Royaume-Uni, no 60958/00, § 29, CEDH 2004‑IV).

196. En sa qualité de mineur, un enfant qui a affaire à la justice pénale doit bénéficier de ses droits procéduraux et son innocence ou sa culpabilité doit être établie au regard du fait qui lui est reproché, dans le respect des garanties judiciaires fondamentales et du principe de légalité. Un enfant ne peut en aucun cas être privé de garanties procédurales importantes au seul motif qu’en droit interne, la procédure pouvant aboutir à une privation de liberté se veut protectrice des intérêts des mineurs délinquants plutôt que répressive. En outre, il convient tout particulièrement de veiller à ce que la qualification de mineur délinquant donnée à un enfant ne conduise pas à faire prévaloir le statut qui lui est ainsi attribué sur l’examen de l’infraction qui lui est reprochée et la nécessité de démontrer sa culpabilité dans des conditions équitables. Le fait de traduire devant la justice pénale un enfant auteur d’une infraction pour la seule raison qu’il a le statut de délinquant juvénile, notion qui n’est pas juridiquement définie, ne saurait passer pour compatible avec les garanties judiciaires fondamentales et le principe de légalité (voir, mutatis mutandis, Achour c. France [GC], no 67335/01, §§ 45-47, CEDH 2006‑IV, où était en cause la qualification juridique de la récidive). L’application de mesures discrétionnaires à une personne au motif que celle-ci est un enfant, un mineur ou un mineur délinquant n’est acceptable que dans le cas où ses intérêts et ceux de l’état sont compatibles. Dans le cas contraire, les garanties judiciaires matérielles et procédurales doivent être appliquées dans la mesure exigée par les circonstances.

i. Droit à l’assistance d’un avocat

197. La Cour observe que, quoique non absolu, le droit reconnu par l’article 6 § 3 c) à tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Poitrimol, précité, § 34).

198. En ce qui concerne les stades de la procédure antérieurs au procès, la Cour souligne l’importance de la phase d’investigation pour la préparation d’un procès pénal, les preuves obtenues durant cette phase déterminant le cadre dans lequel l’infraction imputée sera envisagée au procès lui-même. À cet égard, elle a jugé que la vulnérabilité particulière dans laquelle se trouve l’accusé lors des premiers stades des interrogatoires de police ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui‑même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l’accusé. Il importe également de protéger l’accusé contre toute coercition de la part des autorités, de contribuer à la prévention des erreurs judiciaires et de garantir l’égalité des armes. Dans ces conditions, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque de telles raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment léser l’accusé dans ses droits découlant de l’article 6. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi en l’absence d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (Panovits, précité, §§ 64-66, et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50‑55, CEDH 2008).

199. Compte tenu de la vulnérabilité particulière des mineurs, de leur degré de maturité et de leurs capacités sur les plans intellectuel et émotionnel, la Cour souligne l’importance fondamentale de la possibilité pour tout mineur placé en garde à vue d’avoir accès à un avocat pendant cette détention (Salduz, précité, § 60, et la jurisprudence citée au paragraphe 195 ci-dessus).

ii. Droit d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins

200. La Cour rappelle que l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition soit à un stade ultérieur (Lucà, précité, §§ 39-40).

201. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’absence d’un témoin doit être justifiée par un motif sérieux et que, lorsqu’une condamnation se fonde uniquement ou dans une mesure déterminante sur des dépositions faites par une personne que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les débats, les droits de la défense peuvent se trouver restreints d’une manière incompatible avec les garanties de l’article 6 (voir les principes énoncés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 119, CEDH 2011, et précisés dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 107 et 118, CEDH 2015).

202. Lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents, la Cour doit soumettre la procédure à l’examen le plus rigoureux. Dans chaque affaire, il s’agit de savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci. L’examen de cette question permet de ne prononcer une condamnation que si la déposition du témoin absent est suffisamment fiable compte tenu de son importance dans la cause (voir les principes énoncés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 147, et développés dans l’arrêt Schatschaschwili, précité, § 116).

b) Application en l’espèce des principes susmentionnés

203. En l’espèce, la Cour relève d’emblée que le requérant n’avait que douze ans lorsque la police l’a conduit au commissariat et l’a soumis à un interrogatoire. Il était donc loin d’avoir atteint l’âge de la responsabilité pénale fixé par le code pénal (quatorze ans) pour l’infraction dont il était accusé, à savoir une extorsion. Il avait donc besoin d’un traitement et d’une protection spécifiques de la part des autorités, et il ressort clairement de diverses sources de droit international (voir, par exemple, les Recommandations no R (87) 20 et Rec(2003)20 du Conseil de l’Europe, les lignes directrices 1, 2 et 28 à 30 des Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, l’article 40 de la CIDE, le point 33 de l’Observation générale no 10 du Comité des droits de l’enfant, et la règle 7.1 des Règles de Beijing, cités aux paragraphes 77, 78, 80, 82, 84 et 86 respectivement) que toutes les mesures prises à son égard aurait dû être fondées sur son intérêt supérieur et que dès son interpellation par la police il aurait dû se voir reconnaître à tout le moins les mêmes droits et garanties juridiques que ceux accordés aux adultes. En outre, le trouble mental et neurocomportemental – un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (paragraphe 12 ci-dessus) – dont il était atteint le rendait particulièrement vulnérable et exigeait une protection spéciale (voir la ligne directrice 27 des Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, l’article 23 de la CIDE, les points 73-74 de l’Observation générale no 9 du Comité des droits de l’enfant cités aux paragraphes 80 et 82-83 respectivement).

204. Dans ces conditions, la Cour examinera les griefs tirés de l’article 6 et, en vue de déterminer si la procédure tendant au placement du requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants a été équitable, elle se penchera donc sur les questions de savoir si l’intéressé a bénéficié de l’assistance d’un avocat et s’il a eu la possibilité d’interroger les témoins.

i. Droit à l’assistance d’un avocat

205. La Cour observe qu’il ne prête pas à controverse que le requérant a été conduit au commissariat sans avoir été informé des raisons de son interpellation. Elle note par ailleurs que l’intéressé a dû attendre un certain temps avant d’être interrogé par un policier. Toutefois, rien n’indique que le requérant ait été informé sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit de son droit de téléphoner durant ce laps de temps à son grand-père, à un enseignant, à un avocat ou à un autre tiers de confiance pour lui demander de venir l’assister pendant l’interrogatoire. En outre, aucune mesure n’a été prise pour assurer au requérant la présence d’un avocat au cours de l’interrogatoire. Aucun élément ne corrobore l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le grand-père du requérant a assisté à l’interrogatoire. D’ailleurs, la Cour relève que les aveux signés par le requérant, dont la valeur probante est fortement sujette à caution compte tenu du jeune âge et de l’état de santé de l’intéressé, ne mentionnent pas la présence de son grand-père et ne sont pas contresignés par ce dernier. Il est possible, comme l’affirme le requérant, que la déposition de son grand-père datée du même jour ait été signée par lui après l’interrogatoire, si bien qu’elle ne prouve pas la présence de son grand-père à cet interrogatoire. À cet égard, la Cour observe que les aveux du requérant mentionnent qu’il avait été informé de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. En revanche, ils n’indiquent pas que le requérant s’était vu notifier son droit à la présence d’un avocat ou d’un tiers au cours de l’interrogatoire ou qu’un avocat ou un tiers y avait assisté.

206. Dans ces conditions, la Cour juge établi que la police n’a pas aidé le requérant à obtenir l’assistance d’un avocat et que l’intéressé n’a pas non plus été informé de son droit à la présence d’un avocat et de son grand-père ou d’un enseignant. La police a adopté en l’espèce une attitude trop passive pour que l’on puisse considérer qu’elle s’est acquittée de l’obligation positive qui lui incombait de fournir au requérant, un enfant atteint de surcroît d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, toutes les informations nécessaires pour qu’il pût se faire assister par un avocat (Panovits, précité, § 72)

207. Le fait que le droit interne ne prévoit pas que les mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale puissent se faire assister par un avocat lors des interrogatoires de police ne constitue pas une raison valable propre à justifier un manquement à cette obligation. La Cour rappelle avoir déjà jugé qu’une restriction systématique au droit d’accès à un avocat sur la base de dispositions légales suffit en soi à emporter violation de l’article 6 (Salduz, précité, § 56). En outre, pareille restriction est contraire aux principes fondamentaux énoncés par plusieurs instruments internationaux voulant que les mineurs bénéficient d’une assistance juridique ou d’une autre assistance appropriée (voir, par exemple, l’article 40 § 2 b) ii) de la CIDE et les observations y afférentes, la règle 7.1 des Règles de Beijing et le point 8 de la Recommandation no R (87)20 du Conseil de l’Europe, cités respectivement aux paragraphes 82, 83-84, 86 et 77 ci-dessus).

208. Qui plus est, la Cour estime que le requérant n’a pu manquer de se sentir intimidé et vulnérable lorsqu’il a été laissé seul au commissariat et lors de son interrogatoire dans un environnement inconnu. D’ailleurs, il a rétracté ses aveux et protesté de son innocence dès l’arrivée de son grand-père au commissariat. À cet égard, la Cour souligne que les aveux passés par le requérant en l’absence d’un avocat ont non seulement été utilisés contre lui dans le cadre de la procédure relative à son internement en centre de détention provisoire, mais ont aussi servi de fondement, avec les dépositions de S. et de la mère de celui-ci, à la conclusion des juridictions internes selon laquelle les actes qui lui étaient reprochés comportaient des éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion et motivaient de ce fait son placement dans un tel centre.

209. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’absence d’un avocat pendant l’interrogatoire du requérant par la police a irrémédiablement nui aux droits de la défense de celui-ci et à l’équité de la procédure dans son ensemble (Panovits, précité, §§ 75-76, et Salduz, précité, §§ 58 et 62).

210. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

ii. Droit d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins

211. S’agissant du grief du requérant relatif à l’impossibilité d’interroger S. ou la mère de celui-ci au cours de l’audience consacrée par le tribunal de district à la question de son placement dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, la Cour relève d’emblée que l’internement de l’intéressé a été ordonné par le tribunal de district statuant à juge unique, après la tenue d’une audience, conformément à l’article 22 § 3 (2) de la loi sur les mineurs. Étaient présents à l’audience le requérant, son grand-père, une avocate commise d’office, un procureur et l’agent du service des mineurs qui avait décidé le 12 janvier 2005 de ne pas engager de poursuites contre le requérant. Il ressort de l’ordonnance de placement que le requérant et son grand-père ont eu la possibilité de s’adresser au tribunal et de produire leurs pièces. Dans ces conditions, il semble à première vue que la procédure litigieuse ait offert un certain nombre de garanties procédurales au requérant.

212. Toutefois, les résultats de l’enquête préliminaire avaient été communiqués au tribunal de district, de même que d’autres documents concernant le requérant, notamment les dépositions de la victime présumée et de la mère de celle-ci, ainsi que les aveux signés de l’intéressé. La Cour rappelle que le requérant a rétracté les aveux en question et qu’il a déclaré les avoir passés sous la contrainte. En outre, comme la Cour l’a constaté ci-dessus, le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire au commissariat, ce qui a irrémédiablement lésé ses droits de la défense. Qui plus est, le grand-père du requérant a indiqué que son petit-fils s’était rendu chez un médecin plus tôt dans la journée où les faits litigieux s’étaient produits. Or la Cour observe que ni S. ni la mère de celui-ci n’ont été cités à comparaître pour témoigner et offrir ainsi au requérant la possibilité de les interroger, alors pourtant que les autorités avaient accordé à leurs dépositions une importance décisive pour conclure, à l’issue de l’enquête préliminaire, que le requérant avait commis une infraction, à savoir une extorsion.

213. À cet égard, il convient également de relever que rien n’indique – et que le Gouvernement n’a pas avancé – que S. et sa mère n’étaient pas disponibles ou qu’il aurait été difficile pour un autre motif de les citer à comparaître en qualité de témoins. Dans ces conditions, aucune raison valable ne justifie la non-comparution de ces témoins. En outre, le requérant ayant rétracté ses aveux, la Cour estime que l’audition de S. et de la mère de celui-ci était importante pour l’équité de la procédure. Elle considère que pareille garantie est encore plus importante lorsque l’affaire concerne un mineur qui n’a pas atteint l’âge de la responsabilité pénale et qui fait l’objet d’une procédure portant sur un droit aussi fondamental que le droit à la liberté.

214. En outre, quoiqu’une avocate commise d’office ait effectivement participé à l’audience pour représenter le requérant, on ne sait pas au juste à quel moment elle a été désignée ni dans quelle mesure elle a défendu les intérêts de son client. S’il est exact – comme l’affirme le Gouvernement – que le requérant n’a pas demandé au tribunal de district d’entendre S. et la mère de celui-ci, cette omission pourrait dénoter un manque de diligence de l’avocate du requérant et, de l’avis de la Cour, du tribunal qui devait veiller au respect du principe de l’égalité des armes dans le déroulement de la procédure. Il apparaît que les autorités n’ont déployé aucun effort pour assurer la comparution de S. et de sa mère à l’audience, alors pourtant que la loi sur les mineurs autorise l’audition de témoins, comme l’a reconnu le Gouvernement. Eu égard à l’enjeu de la procédure de placement pour le requérant, qui risquait d’être privé de liberté pendant trente jours – durée non négligeable pour un enfant de douze ans, la Cour estime qu’il était crucial que le tribunal de district garantît l’équité de la procédure en question.

215. Enfin, la Cour observe qu’aucun élément n’a compensé l’impossibilité pour le requérant d’interroger S. et la mère de celui-ci au cours de la procédure. Comme la chambre l’a relevé au paragraphe 173 de son arrêt, le requérant n’a pas pu examiner le déroulement de l’interrogatoire des témoins mené par l’enquêteur et n’a eu la possibilité de les interroger ni au moment de cet interrogatoire ni plus tard. En outre, les déclarations formulées par les témoins devant les autorités d’enquête n’ayant pas fait l’objet d’un enregistrement vidéo, ni le requérant ni ses juges n’ont pu observer leur comportement pendant leur interrogatoire et se faire une opinion quant à leur fiabilité (voir, pour un raisonnement similaire, Makeïev c. Russie, no 13769/04, § 42, 5 février 2009).

216. Eu égard à l’ensemble des considérations exposées ci-dessus, la Cour conclut que les droits de la défense du requérant – en particulier celui de contester les témoignages et d’interroger les témoins – ont été restreints d’une manière incompatible avec les garanties consacrées par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Partant, il y a eu violation de ces dispositions.

iii. Conclusion

217. La Cour a conclu que les droits de la défense du requérant avaient été restreints d’une manière incompatible avec les garanties de l’article 6 au motif que l’intéressé n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire par la police et qu’il lui avait été impossible d’interroger les témoins dont les dépositions à charge avaient été déterminantes dans la décision des juridictions internes de l’interner pendant trente jours dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants.

218. Cela étant, la Cour tient à ajouter, comme l’a fait la chambre au paragraphe 176 de son arrêt, que les restrictions susmentionnées découlaient du fait que le requérant n’avait pas atteint l’âge de la responsabilité pénale à l’époque pertinente et qu’il n’était donc pas protégé par les garanties procédurales prévues par le code de procédure pénale (paragraphes 59-63 ci-dessus). Le requérant relevait au contraire de la loi sur les mineurs. Cette loi, qui se veut protectrice des mineurs, apporte d’importantes restrictions aux garanties procédurales (paragraphe 68 ci-dessus). Selon la Cour, et comme la LIGA l’a relevé dans ses observations (paragraphe 192 ci-dessus), c’est sur ce point – la présente affaire en témoigne – que la volonté du législateur de protéger l’enfant en lui prêtant assistance et en le prenant en charge se heurte à la réalité et aux principes exposés au paragraphe 196 ci-dessus en ce qu’elle conduit à le priver de sa liberté sans que lui soient reconnus les droits procéduraux qui lui permettraient de se défendre convenablement contre l’imposition d’une mesure aussi sévère.

219. La Cour estime que les mineurs, dont le développement cognitif et émotionnel exige en toutes circonstances une attention particulière, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes enfants n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, ont besoin d’un soutien et d’une assistance aux fins de la protection de leurs droits lorsque des mesures de coercition leur sont appliquées, même sous la forme de mesures éducatives. Il ressort clairement des éléments de droit international dont la Cour dispose (paragraphes 77-89 ci-dessus) que de nombreux documents internationaux consacrent ce principe, qui a également été souligné par les tiers intervenants. Dans ces conditions, la Cour est convaincue que des garanties procédurales adéquates doivent être mises en place pour protéger l’intérêt supérieur et le bien-être des enfants, surtout lorsque leur liberté est en jeu. En juger autrement reviendrait à désavantager nettement les enfants par rapport aux adultes se trouvant dans la même situation. À cet égard, la situation des enfants handicapés peut appeler des garanties supplémentaires destinées à leur assurer une protection suffisante. Toutefois, la Cour tient à souligner que cela ne signifie pas que les enfants doivent être exposés à un procès pénal à part entière ; leurs droits doivent être garantis dans un cadre adapté, approprié à leur âge et conforme aux normes internationales pertinentes, en particulier à la Convention relative aux droits de l’enfant.

220. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable dans le cadre de la procédure qui a abouti à son placement dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, en violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention.

VI. Sur l’application de l’article 41 de la Convention

221. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Arguments des parties

222. Le requérant réclame 7 500 euros (EUR) pour dommage moral, soit la somme qui lui a été allouée par l’arrêt rendu par la chambre. Il estime toutefois que cette somme ne couvre pas la totalité des frais exposés pour le rétablissement de sa santé physique et mentale.

223. Le Gouvernement s’oppose à l’octroi de cette somme et considère que si la Cour devait conclure en l’espèce à la violation de la Convention, l’arrêt rendu par elle constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant.

2. L’arrêt de la chambre

224. Statuant en équité, la chambre a accordé au requérant 7 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral.

3. Appréciation de la Cour

225. La Cour rappelle avoir conclu en l’espèce aux mêmes violations que celles constatées par la chambre. En outre, elle observe que le requérant réclame la même somme que celle qui lui a été allouée par la chambre. Elle estime que la somme en question est équitable. En conséquence, elle accorde au requérant 7 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

1. Arguments des parties

226. En sus de la somme qu’il s’est vu octroyer par la chambre, le requérant demande 24 979 roubles (RUB) (soit 417 EUR environ) au titre des honoraires de son avocat (20 000 RUB), des frais de traduction (4 620 RUB) et des frais postaux (359 RUB) exposés pour les besoins de la procédure suivie devant la Grande Chambre.

227. Le Gouvernement conteste la somme accordée par la chambre et les montants supplémentaires réclamés par le requérant devant la Grande Chambre. Il avance que les quittances produites devant la Cour ne sauraient être considérées comme des justificatifs valables dès lors qu’elles portent le cachet d’un barreau d’avocats, mais qu’elles sont signées par l’avocat du requérant. En outre, il indique qu’aucune convention d’assistance juridique entre le requérant ou son grand-père et l’avocat de l’intéressé n’a été produite devant la Cour et que les quittances imprécises émises par une agence de traduction ne peuvent suffire à confirmer la réalité des frais de traduction prétendument exposés. Enfin, il indique que le nom de l’avocat du requérant ne figure dans aucune des décisions rendues par les juridictions internes et que l’intervention de cet avocat dans la procédure suivie devant la Cour a été limitée, la majeure partie du travail ayant été accomplie par le grand-père de l’intéressé.

2. L’arrêt de la chambre

228. La chambre a accordé au requérant 1 493 EUR au titre des honoraires d’avocat et des frais de traduction, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

3. Appréciation de la Cour

229. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de remettre en cause la somme allouée au requérant par la chambre au titre des frais et dépens. En outre, elle estime que les factures et quittances produites par le requérant prouvent que celui-ci a versé 20 000 RUB à son avocat en rémunération des prestations juridiques fournies par ce dernier pour les besoins de la procédure suivie devant la Grande Chambre. Par ailleurs, elle retient en totalité les factures et quittances afférentes aux frais de traduction et aux frais postaux.

230. Eu égard à ce qui précède, la Cour alloue au requérant l’intégralité des sommes réclamées, à savoir 1 493 EUR pour la procédure devant la chambre et 417 EUR pour la procédure devant la Grande Chambre, soit 1 910 EUR au total, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

231. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

Par ces motifs, la Cour

1. Rejette, à l’unanimité, les exceptions préliminaires de non-épuisement des voies de recours internes et de non-respect du délai de six mois formulées par le Gouvernement quant au grief du requérant tiré de l’article 3 de la Convention et aux griefs formulés par lui sur le terrain de l’article 6 en ce qui concerne l’enquête préliminaire ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit, par onze voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’état défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en roubles russes au taux applicable à la date du règlement :

i) 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii) 1 910 EUR (mille neuf cent dix euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 23 mars 2016.

Lawrence EarlyGuido Raimondi
JurisconsultePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Zupančič ;

– opinion partiellement dissidente des juges Spielmann, Nicolaou, Bianku, Keller, Spano et Motoc ;

– opinion partiellement dissidente de la juge Motoc.

G.RA.
T.L.E.

OPINION concordante du juge ZUPANČIČ

(Traduction)

J’approuve la conclusion donnée à cette affaire. Toutefois, dans la présente opinion concordante, je souhaiterais approfondir la question de l’impossibilité d’incriminer une caractéristique personnelle. M. Blokhin ayant été traité en « mineur délinquant » lorsqu’il était enfant, la question se pose de savoir s’il aurait dû bénéficier des garanties procédurales propres à la procédure contradictoire. Pour y répondre, il conviendra de retracer l’histoire de cette question du point de vue constitutionnel.

La Cour suprême des États-Unis a défini la portée des garanties d’une procédure régulière applicables devant les tribunaux pour mineurs dans trois arrêts de principe rendus au milieu du XXe siècle.

Dans l’arrêt Kent v. United States (383 U.S. 541 (1966)), la Cour suprême a d’abord indiqué que les garanties constitutionnelles de régularité de la procédure étaient applicables aux instances concernant les mineurs. À cet égard, elle s’est exprimée ainsi (pp. 554-556 de l’arrêt en question) :

« 1. La doctrine à l’origine de la loi sur les tribunaux de district pour mineurs [(Juveniles Courts)], comme de celles sur d’autres juridictions, trouve ses racines dans la philosophie de la protection sociale plutôt que dans le corpus juris. La procédure suivie devant ces tribunaux est qualifiée de civile, non de pénale. Les tribunaux pour mineurs ont en principe pour mission de déterminer les besoins de l’enfant et de la société plutôt que de juger un comportement criminel. Ils ont pour objectif de prendre des mesures d’assistance et de réinsertion de l’enfant et de protection de la société, non de statuer sur la responsabilité pénale, la culpabilité et la peine. L’état agit en parens patriae, non en procureur et en juge. Mais cette invitation à intervenir dans le cadre d’une relation « parentale » n’est pas une incitation à l’arbitraire procédural.

2. L’état étant censé agir en parens patriae à l’égard de l’enfant, non en partie adverse, les tribunaux ont postulé que la procédure était de nature « civile », et non pénale, et ils ont décidé que l’enfant ne pouvait se plaindre de la privation de droits importants qui existent en matière pénale. D’aucuns affirment que la garantie judiciaire fondamentale du droit à un traitement équitable est la seule qui puisse être invoquée par l’enfant. (...)

S’il ne fait aucun doute que les objectifs poursuivis par les tribunaux pour mineurs étaient initialement louables, des études et des critiques ont soulevé ces dernières années de graves questions sur le point de savoir si les résultats effectivement obtenus répondaient suffisamment aux objectifs théoriques pour que l’on puisse tolérer que la procédure échappe au champ d’application des garanties constitutionnelles dont les adultes bénéficient. De nombreux éléments indiquent que certains tribunaux pour mineurs, notamment celui du district de Columbia, ne disposent pas du personnel, des ressources et des méthodes nécessaires pour s’acquitter correctement de leur fonction de représentant de l’État agissant en qualité de parens patriae, à tout le moins en ce qui concerne les mineurs poursuivis pour une infraction. En réalité, certains éléments donnent à penser qu’on peut craindre que l’enfant hérite du pire des deux mondes et qu’il ne jouisse ni des garanties reconnues aux adultes ni de l’assistance attentive et du traitement régénérateur dont les enfants sont censés bénéficier. »

La Cour suprême a ensuite jugé, dans l’arrêt In re Gault (387 U.S. 1 (1967)), que la clause du quatorzième amendement garantissant la régularité de la procédure exigeait que les enfants relevant de la compétence des tribunaux pour mineurs bénéficient de la plupart – mais non de la totalité – des garanties procédurales accordées aux adultes poursuivis devant les juridictions pénales. Elle s’est prononcée ainsi (p. 36 de l’arrêt en question) :

« Une procédure portant sur la question de savoir si un enfant doit être déclaré « délinquant » et privé de liberté pendant des années revêt une gravité comparable à celle d’un procès criminel. Le mineur a besoin de l’assistance d’un conseil pour surmonter les problèmes de droit, pour procéder à une analyse avertie des faits, pour exiger le respect de la régularité de la procédure, pour déterminer s’il dispose de moyens de défense, et pour préparer et exposer ceux-ci. L’enfant « a besoin de la main d’un conseil pour le guider à chaque étape de la procédure dirigée contre lui ». »

Enfin, dans l’arrêt In re Winship (397 U.S. 358 (1970)), la Cour suprême a déclaré que, dans les procédures mettant en cause des mineurs délinquants, il incombait au ministère public de prouver au-delà de tout doute raisonnable chacun des éléments constitutifs de l’infraction poursuivie (p. 364 de l’arrêt en question).

Dans l’arrêt Robinson v. California (370 U.S. 660 (1962)), la Cour suprême a conclu à l’inconstitutionnalité d’une loi californienne dont l’application avait abouti à la condamnation d’une personne au motif qu’elle était toxicomane – non pour un acte d’usage de stupéfiants –, estimant que la loi en question violait les huitième et quatorzième amendements. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée sur les considérations suivantes (pp. 666-667 de l’arrêt en question) :

« Autrement dit, la loi incriminée ne punit pas l’usage, l’achat, la vente ou la possession de stupéfiants, ni un comportement antisocial ou perturbateur résultant de la consommation de stupéfiants. Elle ne vise même pas à proposer ou à imposer un traitement médical [aux toxicomanes]. En réalité, c’est une loi qui érige la « condition » de toxicomane en une infraction dont l’auteur peut être poursuivi « à tout moment et jusqu’à ce qu’il s’amende ». La Californie considère qu’une personne peut être continuellement coupable de cette infraction même si elle n’a jamais consommé ou possédé de stupéfiants en Californie et même si elle ne s’est jamais rendue coupable d’un comportement antisocial dans cet État.

De nos jours, il n’est guère concevable qu’un État veuille incriminer le fait pour une personne d’être atteinte d’une maladie mentale, de la lèpre ou d’une maladie vénérienne. Il est loisible aux états de décider que la santé et le bien-être publics commandent que les personnes souffrant de ces maladies ou d’autres maladies soient soumises à un traitement obligatoire pouvant consister en une mise en quarantaine, un confinement ou un internement. Toutefois, en l’état actuel des connaissances humaines, une loi qui érigerait telle ou telle maladie en infraction serait sans aucun doute universellement considérée comme imposant une peine cruelle et inhabituelle contraire aux huitième et quatorzième amendements. Voir Francis v. Resweber, 329 U.S. 459.

Force nous est de conclure que tel est le cas de la loi ici en cause. (...) »

Comme la Cour suprême l’a indiqué dans l’affaire Kent (précitée), l’État assume le rôle de parens patriae dans le but de prendre des mesures d’assistance et de réinsertion de l’enfant et de protection de la société, non de statuer sur la responsabilité pénale, la culpabilité et la peine. Ce faisant, toutefois, il prive l’enfant de certaines garanties judiciaires fondamentales, si bien que celui-ci peut en définitive hériter « du pire des deux mondes », ne bénéficiant ni des garanties reconnues aux adultes ni de l’assistance et du traitement bienveillants que les enfants sont censés recevoir (ibidem, p. 556).

La privation de liberté infligée à l’enfant est alors fondée sur le statut qui lui est attribué, c’est-à-dire sur le fait qu’il est un mineur délinquant, non sur un acte dont on l’aurait accusé et qui aurait conduit à une décision sur sa culpabilité rendue à l’issue d’une procédure compatible avec l’article 6.

À mes yeux, il s’agit là de deux approches totalement différentes. La procédure pénale est déclenchée par un acte de l’accusé et la culpabilité ou l’innocence de celui-ci peut être établie conformément aux règles de preuve dans un cadre respectant les garanties judiciaires fondamentales et le principe de légalité. En d’autres termes, l’acte reproché à l’accusé peut être poursuivi et jugé sur une base factuelle. Il est défini in abstracto et in concreto en termes de temps, de lieu et de mode opératoire. En revanche, le statut de l’auteur de l’acte – en l’occurrence le fait d’être un mineur délinquant – est indéterminé et ne peut en conséquence être juridiquement prédéfini (conformément au principe de légalité) et prouvé (conformément aux exigences du procès équitable).

Il convient également de relever que l’attribution par la justice pénale de tel ou tel statut à un individu peut simplement découler de la commission par celui-ci de plusieurs actes, comme l’illustre l’affaire Achour c. France ([GC], no 67335/01, CEDH 2006‑IV), dans laquelle la Cour a admis une exception en ce qui concerne le principe ad hominem (le requérant était un délinquant multirécidiviste) au vu de l’ensemble des actes in rem prouvés pour lesquels l’intéressé avait été condamné.

C’est la véritable raison pour laquelle l’existence même d’une infraction fondée sur une caractéristique personnelle (« status crime ») est inacceptable en droit pénal, et qu’une telle infraction a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Robinson (précitée).

En revanche, dans les situations où l’état agit en parens patriae – et à la condition que sa bienveillance réponde effectivement à l’intérêt supérieur de la personne à protéger (mineur délinquant, aliéné, etc.), on peut dire qu’il n’existe pas de conflit d’intérêts entre celle-ci et l’État. En pareils cas, le principe de légalité n’entre pas en jeu et il n’est pas indispensable que la procédure revête un caractère contradictoire.

Il est inacceptable qu’un enfant soit privé de sa liberté au motif qu’il s’est vu attribuer tel ou tel statut et non parce qu’il aurait commis un acte dont la preuve aurait été établie dans le cadre d’une procédure judiciaire. En effet, eu égard à leur vulnérabilité intrinsèque, les enfants qui ont affaire à la justice pénale doivent être correctement protégés et leurs droits garantis. La Cour a déjà jugé que des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 60, série A no 33). De la même manière, des garanties procédurales appropriées doivent être mises en place pour protéger les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SPIELMANN, NICOLAOU, BIANKU,
KELLER, SPANO ET MOTOC

(Traduction)

I.

Observations liminaires

1. Le requérant, qui était à l’époque pertinente un mineur n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale, fut interné pendant trente jours dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, mesure qui visait à l’empêcher de récidiver. La majorité admet que le grief du requérant tiré des manquements procéduraux qui avaient entaché l’instance ayant abouti à l’internement de celui-ci relève du volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention. En outre, elle conclut, d’une part, à la violation de cette disposition et de l’article 6 § 3 c) au motif que le requérant n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat et, d’autre part, à la violation de l’article 6 § 3 d) après avoir constaté que le requérant avait été privé du droit d’interroger des témoins clés et de contester leurs dépositions.

2. Nous marquons respectueusement notre désaccord avec la conclusion de la majorité selon laquelle l’article 6 est applicable à la procédure ayant abouti à la détention provisoire du requérant. En conséquence, nous ne pouvons souscrire au constat de violation de cette disposition. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous estimons que le grief formulé par le requérant relativement à l’insuffisance des garanties procédurales de la procédure d’internement aurait dû être examiné sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention et que cet examen aurait dû conduire à un constat de violation de cette disposition. En revanche, nous approuvons pleinement le constat de violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention opéré en l’espèce.

3. Dans un premier temps, nous examinerons et réfuterons le raisonnement que la majorité a suivi pour conclure à l’applicabilité de l’article 6 à la procédure d’internement (parties II-VI), puis nous analyserons le grief du requérant sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention (partie VII).

II.

Les arguments pour et contre l’applicabilité de l’article 6

4. La majorité conclut à l’applicabilité de l’article 6 à la procédure d’internement en faisant siens les motifs retenus par la chambre, laquelle avait appliqué les critères Engel (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A no 22) et était parvenue aux conclusions suivantes (paragraphes 179‑182 du présent arrêt) :

i) Le fait que la procédure dirigée contre le requérant ne revête pas un caractère pénal en droit russe n’a qu’une valeur formelle et relative ; « la nature même de l’infraction représente un élément d’appréciation d’un plus grand poids ». Sur ce point, la chambre a renvoyé à l’arrêt Ezeh et Connors c. Royaume-Uni ([GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003-X).

ii) Malgré le caractère indiscutablement pénal de l’infraction reprochée au requérant, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le fait que celui-ci bénéficiait de l’immunité de poursuites en raison de son âge soustrayait la procédure dirigée contre lui du champ d’application du volet pénal de l’article 6. La Cour doit plutôt faire porter son examen sur le troisième critère Engel, à savoir la nature et le degré de sévérité de la sanction encourue par le requérant.

iii) Il existe un lien étroit, tant juridique que factuel, entre l’enquête préliminaire et la procédure d’internement.

iv) L’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants s’analysant en une privation de liberté, il y a lieu de présumer que la procédure dirigée contre lui revêtait un caractère « pénal » au sens de l’article 6, présomption qui ne peut être réfutée qu’à titre tout à fait exceptionnel et seulement s’il est impossible de considérer que cette privation de liberté entraîne un « préjudice important » eu égard à sa nature, à sa durée ou à ses modalités d’exécution. Là encore, la Cour a renvoyé à l’arrêt Ezeh et Connors (précité, § 126).

v) Bien que la décision d’interner le requérant visât à corriger son comportement et à l’empêcher de récidiver, et non à le punir, la Cour doit s’attacher à cerner la réalité de la situation par-delà les apparences et le vocabulaire employé. Or le centre de détention n’était pas un établissement éducatif, il était fermé et gardé, et les détenus étaient soumis à une surveillance permanente et à une discipline stricte. Dans ces conditions, force est de conclure que la détention imposée au requérant après que ses agissements eurent été considérés comme constitutifs de l’infraction d’extorsion, et purgée par l’intéressé dans un centre de détention pour mineurs délinquants sous un régime quasi pénitentiaire, contenait des éléments de répression, ainsi que des éléments de prévention et de dissuasion. Ces circonstances ne permettant pas d’écarter la présomption d’applicabilité de l’article 6 énoncée dans l’arrêt Ezeh et Connors, la procédure dirigée contre le requérant doit être considérée comme « pénale » au sens de l’article 6 de la Convention.

5. Nous estimons que le raisonnement tenu par la majorité est erroné, pour les trois raisons suivantes :

En premier lieu, la majorité surestime l’importance juridique et matérielle du lien entre l’enquête préliminaire et la procédure d’internement.

En second lieu, et avec tout le respect que nous lui devons, nous estimons que c’est à tort que la majorité considère que la présomption d’applicabilité de l’article 6 énoncée dans l’arrêt Ezeh et Connors est pertinente aux fins de l’examen de la présente affaire.

En troisième et dernier lieu, la majorité s’appuie largement sur les aspects répressifs de la détention provisoire de trente jours purgée par le requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants. Si l’on devait suivre la majorité sur ce point, il faudrait dorénavant considérer comme « pénales » au sens de l’article 6 la quasi-totalité des mesures provisoires privatives de liberté relevant de l’article 5 de la Convention. Les états membres devraient alors offrir aux justiciables susceptibles de faire l’objet d’une détention provisoire au sens de l’article 5 tout l’éventail des garanties procédurales du procès équitable avant que ceux-ci ne se voient imposer une telle mesure. Cette position non seulement rend caduque la disposition spécifique de contrôle de la légalité prévue à l’article 5 § 4, mais elle méconnaît la différence fondamentale de nature et de finalité qui distingue les procédures de détention fondées sur l’article 5, d’une part, et le procès pénal équitable à part entière, d’autre part.

6. Nous exposerons ci-après successivement chaque argument de façon plus précise.

III.

Le lien entre l’enquête préliminaire et la procédure d’internement

7. Nous relevons, comme cela est exposé aux paragraphes 14 à 24 de l’arrêt, que l’enquête préliminaire eut lieu en janvier 2005 et qu’elle était motivée par une accusation d’extorsion portée contre le requérant. Le 12 janvier 2005, le service des mineurs considéra qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre le requérant, celui-ci n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale. En juin 2005, le parquet du district Sovetski de Novossibirsk annula la décision en question, estimant que l’enquête préliminaire était incomplète. Toutefois, le 6 juillet 2005, le service des mineurs refusa derechef d’engager des poursuites contre le requérant, pour les mêmes raisons que précédemment.

8. Entre-temps, le 21 février 2005, le tribunal du district Sovetski avait ordonné l’internement du requérant pendant trente jours dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants après avoir été saisi d’une requête introduite par le chef des services de police du district Sovetski de Novossibirsk qui visait à « empêcher [le requérant] de récidiver ». Pour se prononcer ainsi, le tribunal de district avait considéré que le requérant devait être interné dans un centre de détention en vue d’une « rééducation comportementale » (paragraphe 27 du présent arrêt). Le requérant avait fait appel de l’ordonnance de détention. À l’issue de l’instance d’appel, le président de la cour régionale de Novossibirsk décida, le 29 mai 2006, de confirmer l’ordonnance du 21 février 2005. Comme le précise le paragraphe 54 du présent arrêt, la cour régionale adopta une approche différente de celle du tribunal de district, estimant que « la détention du requérant pendant trente jours dans un centre de détention pour mineurs délinquants avait été nécessaire, aux fins de l’application de l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs, pour prévenir tout risque de récidive de la part de l’intéressé ». La cour régionale précisa que « la nécessité d’une « rééducation comportementale » invoquée par le tribunal de district pour justifier l’internement litigieux ne rendait pas l’ordonnance de placement en détention du 21 février 2005 illégale, « car la détention du requérant se justifiait par d’autres motifs ».

9. Au vu de ce qui précède, nous constatons que le tribunal de district a fait état de l’accusation selon laquelle le requérant avait commis un acte délictueux constitutif des éléments matériels de l’infraction d’extorsion, mais que la cour régionale a requalifié la détention provisoire en précisant que son but était exclusivement préventif, qu’elle a qualifié l’acte incriminé d’« infraction » et qu’elle a clairement déclaré que la base légale de la détention en question se trouvait dans les dispositions de la loi sur les mineurs. S’il est exact que le comportement délictueux du requérant a motivé la requête tendant à l’internement de celui-ci dans un centre de détention provisoire pour mineurs, cette circonstance ne saurait constituer en soi un élément pertinent pour conclure que l’article 6 est applicable à la procédure ayant abouti à cet internement. Les mesures provisoires privatives de liberté prises par les états membres et autorisées par l’article 5 § 1 de la Convention sont très fréquemment – mais non exclusivement – motivées par le comportement socialement perturbateur ou délictueux des personnes qu’elles visent. En pareil cas, la détention est considérée comme étant nécessaire à la protection d’intérêts juridiques bien précis inhérents à la personne du détenu et/ou concernant la société en général.

En l’espèce, le service des mineurs a mis fin à l’enquête préliminaire après avoir constaté que le requérant n’avait pas atteint l’âge de la responsabilité pénale. Le requérant n’a pas été et ne pouvait être « accusé d’une infraction en matière pénale » sur le fondement du droit interne pour l’acte qui lui était reproché, et il ne nous semble pas qu’il ait fait l’objet d’une telle accusation au sens autonome que revêt cette notion dans le cadre de l’article 6 de la Convention. L’internement du requérant dans un centre de détention pour mineurs était exclusivement fondé sur les dispositions de la loi sur les mineurs et cette mesure poursuivait un intérêt général consistant à prévenir l’éventuelle réapparition, chez l’intéressé, d’un comportement destructeur. À cet égard, il convient de souligner que l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs, qui était la seule base légale de l’ordonnance d’internement, énonce expressément qu’un mineur peut être placé en détention pour une durée maximale de trente jours s’il a commis « une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale », dans le but notamment de protéger « sa vie ou sa santé ou [de] l’empêcher de récidiver ». Cette disposition ne fait aucunement état de la nécessité de rechercher si les éléments matériels d’un délit sont réunis dans l’infraction en question. En conséquence, bien que nous constations comme la majorité qu’il existe un lien factuel entre les deux procédures quant aux événements à l’origine de l’ouverture de l’enquête préliminaire, d’une part, et de la procédure d’internement, d’autre part, et que nous concluions comme elle que cette circonstance justifie le rejet de l’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention en ce qui concerne le grief fondé sur l’article 6 (paragraphes 116-119 de l’arrêt), nous contestons fermement qu’il existe en droit interne entre ces deux procédures un lien étroit justifiant le rattachement de la procédure d’internement au volet pénal de l’article 6.

IV.

La présomption d’applicabilité de l’article 6 énoncée dans
l’arrêt Ezeh et Connors

10. La majorité conclut que, dès lors que le requérant a été privé de sa liberté, la Cour doit présumer que l’article 6 trouve à s’appliquer à la procédure ayant abouti à la décision d’internement litigieuse, et elle estime que cette présomption n’est pas réfutée par les faits de la cause au regard des critères énoncés dans l’arrêt Ezeh et Connors (précité). Avec tout le respect que nous devons à la majorité, nous estimons que la présomption énoncée dans l’arrêt en question n’est absolument pas applicable en l’espèce.

11. Dans l’affaire Ezeh et Connors, les requérants étaient des détenus qui avaient été inculpés d’infraction au règlement pénitentiaire, le premier pour menaces de mort à l’encontre d’un agent de probation, le second pour voies de fait sur la personne d’un gardien de prison. Les intéressés avaient été déclarés coupables par le directeur de la prison et condamnés à des jours de détention supplémentaires sur le fondement de la loi de 1991 sur la justice pénale (Criminal Justice Act of 1991). Le premier d’entre eux s’était vu infliger quarante jours de détention supplémentaires, ainsi que quatorze jours d’isolement cellulaire, le second sept jours de détention supplémentaires et trois jours d’isolement cellulaire. En outre, le premier requérant avait été temporairement exclu du travail en commun et avait perdu ses privilèges, tandis que le second s’était vu infliger une amende de 8 livres sterling.

12. Dans leurs requêtes, les requérants s’étaient plaints, sous l’angle de l’article 6 § 3 c) de la Convention, de ne pas avoir bénéficié d’une représentation par un avocat ni, à titre subsidiaire, de l’aide judiciaire lors de leur comparution devant le directeur de la prison dans le cadre des procédures disciplinaires dont ils avaient fait l’objet pour infraction au règlement pénitentiaire. Au paragraphe 126 de son arrêt, la Cour avait renvoyé au paragraphe 82 de l’arrêt Engel et autres pour se prononcer sur l’applicabilité de l’article 6 aux procédures litigieuses, puis elle s’était exprimée ainsi :

« Par conséquent, eu égard aux privations de liberté qu’encouraient les requérants et qui leur ont été effectivement infligées, il convient de présumer que les accusations à leur encontre revêtaient un caractère pénal au sens de l’article 6, et cette présomption ne peut être réfutée qu’à titre tout à fait exceptionnel et seulement s’il est impossible de considérer que ces privations de liberté entraînent un « préjudice important » eu égard à leur nature, leur durée ou leurs modalités d’exécution. »

13. Nous considérons que la majorité interprète la présomption d’applicabilité de l’article 6 susmentionnée hors de son contexte et qu’elle l’applique à tort à la présente affaire, où est en cause une ordonnance d’internement provisoire prise à des fins préventives à l’encontre d’un mineur n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale.

Dans l’affaire Ezeh et Connors, les requérants étaient des détenus adultes qui purgeaient une condamnation et qui avaient enfreint le règlement pénitentiaire en commettant les infractions de menace et de voies de fait, en conséquence de quoi la privation de liberté dont ils faisaient l’objet en prison avait été prolongée dans un but exclusivement répressif. C’est dans ce contexte que la présomption d’applicabilité de l’article 6 a été énoncée par la Cour. Il n’y a pas lieu d’en déduire que toutes les mesures de droit interne impliquant une privation provisoire de liberté – qui, en tant que telles, relèvent normalement de l’article 5 de la Convention – doivent être présumées pénales et doivent en conséquence donner lieu à l’application de toutes les garanties du procès équitable prévues à l’article 6 de la Convention, qui ne peuvent être écartées « qu’à titre tout à fait exceptionnel et seulement s’il est impossible de considérer que ces privations de liberté entraînent un « préjudice important » eu égard à leur nature, leur durée ou leurs modalités d’exécution » (ibidem, § 126). Selon cette interprétation de l’arrêt Ezeh et Connors, il y a lieu de présumer que les états membres ne peuvent placer des personnes en détention provisoire au sens de l’article 5 de la Convention sans leur offrir toutes les garanties procédurales prévues à l’article 6 §§ 1, 2 et 3, à moins que cette présomption ne puisse être réfutée, à titre exceptionnel. Avec tout le respect que nous devons à la majorité, nous estimons qu’elle se livre ici à une interprétation de la portée de cette règle de présomption qui n’est pas conforme à la jurisprudence constante de la Cour relative à l’articulation entre les articles 5 et 6. Qui plus est, l’approche adoptée par la majorité pourrait perturber l’équilibre délicat et nécessaire qu’il faut maintenir pour que ces deux dispositions fondamentales de la Convention soient appliquées distinctement et indépendamment l’une de l’autre.

V.

Les « éléments de répression » de la détention du requérant

14. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 6, la majorité conclut en dernier lieu que la privation de liberté que le requérant s’est vu infliger après que ses agissements eurent été considérés comme constitutifs de l’infraction d’extorsion, et qu’il a purgée dans un centre de détention sous un régime quasi pénitentiaire, contenait des éléments de répression, ainsi que des éléments de prévention et de dissuasion.

15. Nous relevons là encore que le requérant, qui était à l’époque des faits un mineur n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, s’était livré à des actes que les autorités internes compétentes avaient qualifiés d’antisociaux et de délictueux, et que les juridictions nationales avaient en conséquence jugé que sa situation appelait une intervention de l’État prenant la forme d’un placement en détention provisoire destiné à l’empêcher de récidiver. Nous considérons qu’il ressort clairement du raisonnement suivi dans le jugement définitif de la dernière juridiction interne ayant connu de l’affaire, à savoir la cour régionale de Novossibirsk, que cet internement poursuivait un objectif préventif et qu’il était fondé sur une disposition de la loi sur les mineurs expressément prévue à cet effet.

16. Cette détention, d’une durée de trente jours, s’est déroulée dans un centre de détention pour mineurs. Il va sans dire que toute forme de privation de liberté dans un établissement public est une expérience difficile et angoissante pour la personne qui la subit. En effet, nul ne doute que la détention provisoire visée à l’article 5 § 1 c), l’internement dans un établissement psychiatrique prévu par l’article 5 § 1 e), ou même la rétention provisoire d’un étranger – tel qu’un demandeur d’asile – mentionnée à l’article 5 § 1 f), se déroulent habituellement dans des établissements ou des centres publics où l’imposition d’un « régime quasi pénitentiaire » et de mesures disciplinaires peut s’avérer nécessaire. La jurisprudence de la Cour en offre de nombreux exemples. Toutefois, le fait qu’une privation de liberté relevant de l’article 5 présente ces caractéristiques intrinsèques ne peut justifier la conclusion selon laquelle cette détention comporte des « éléments de répression », sauf à considérer que cette qualification vaut pour toutes les mesures de détention envisagées par l’article 5, ce qui emporterait application automatique de l’article 6 à chaque fois que de telles mesures sont imposées. Pour apprécier une mesure de détention au regard des critères Engel, les éléments cruciaux à prendre en considération sont la base légale et le but de cette mesure, et non, comme en l’espèce, le placement matériel de la personne concernée dans un centre de détention. Lorsqu’une personne encourt une incarcération à caractère punitif – rétributif – dans une prison ou dans un établissement pénitentiaire après avoir été condamnée pour une infraction, cette détention relève de l’article 5 § 1 a) de la Convention et elle ne peut être infligée sans que la personne concernée n’ait bénéficié d’un procès équitable conforme aux exigences de l’article 6. Toutefois, nous estimons que ce principe ne s’applique pas à d’autres mesures de détention qui n’ont pas – directement ou indirectement – un caractère répressif. Tel est le cas des mesures d’internement de mineurs, de personnes mentalement instables ou d’étrangers qui servent d’autres intérêts publics légitimes et parfois les intérêts du détenu lui-même, en particulier lorsque celui-ci est un enfant. En résumé, et à la lumière des considérations exposées ci-dessus, nous ne pouvons souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle la détention du requérant comportait des « éléments de répression » au sens du troisième critère Engel et aux fins de l’examen de l’applicabilité de l’article 6.

VI.

Conclusion sur l’applicabilité de l’article 6

17. Ayant examiné les motifs retenus par la majorité pour déclarer l’article 6 applicable à la procédure d’internement dirigée contre le requérant, nous observons pour terminer que la majorité nous paraît fortement influencée par l’argument consistant à dire que les mineurs exposés à des mesures privatives de liberté doivent bénéficier de garanties procédurales suffisamment solides et qu’il convient en conséquence de conclure à l’applicabilité de l’article 6 (paragraphes 181 et 219 du présent arrêt).

18. Bien que nous souscrivions à la prémisse de cette thèse, nous sommes en désaccord avec la conclusion qui en découle. On ne voit guère comment le constat d’applicabilité de l’article 6 opéré par la majorité en l’espèce et les motifs sur lesquels il s’appuie pourraient ne pas rendre effectivement caduque la disposition spécifique de contrôle de la légalité prévue par l’article 5 § 4 dans le cadre de la Convention. Pourtant, l’article 5 § 4 constitue un instrument beaucoup plus adapté pour assurer aux mineurs des garanties procédurales suffisantes pour contester la légalité d’une mesure de détention provisoire. De plus, l’application de cette disposition est plus conforme à la structure et à l’articulation des articles 5 et 6 de la Convention (Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, § 43, 21 décembre 2010). Qui plus est, l’application de l’article 5 § 4 se concilie mieux avec la nature et les buts d’un système judiciaire adapté aux enfants, dont un certain nombre d’instruments internationaux récents ont posé les principes. Nous en expliquerons les raisons ci-après.

VII.

L’application de l’article 5 § 4 de la Convention

19. Nous précisons d’emblée que nous souscrivons à la conclusion de la Cour selon laquelle la mesure de détention imposée au requérant ne relevait ni de l’article 5 § 1 d) de la Convention ni d’aucun des autres alinéas de cette disposition, et qu’il y a eu en conséquence violation de l’article 5 § 1 en l’espèce. Toutefois, nous observons que la Cour a déjà jugé que le constat d’une violation de l’article 5 § 1 ne la dispense pas de rechercher s’il y a eu manquement de l’État défendeur à l’article 5 § 4, ces deux dispositions étant distinctes l’une de l’autre (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 55, série A no 129).

20. L’article 5 § 4 dispose que « [t]oute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».

21. Dans l’arrêt Bouamar (précité), la Cour a déclaré que la détention d’un mineur ne satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 « que si la « procédure suivie » revêt un « caractère judiciaire et donne à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation dont il se plaint » et que « pour déterminer « si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule » (ibidem, § 57). En particulier, les procédures pouvant aboutir à la détention d’un mineur doivent lui garantir l’assistance effective d’un avocat (ibidem, § 60). En outre, dans l’arrêt Nikolova c. Bulgarie ([GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II), la Cour a précisé que les procédures relevant de l’article 5 § 4 doivent être contradictoires et garantir dans tous les cas l’égalité des armes entre les parties.

22. Le critère ainsi instauré par l’arrêt Bouamar aux fins de l’application de l’article 5 § 4 est un critère souple qui impose d’apprécier la nécessité relative de l’adoption de certaines garanties procédurales tenant dûment compte de la nature du contrôle de la légalité en cause et des particularités de la procédure. Il s’ensuit que les garanties procédurales requises par l’article 5 § 4 n’ont pas de portée fixe et déterminée ; elles doivent être appréciées au cas par cas, au regard de la base légale de la mesure de détention envisagée par l’État et de la nature de la procédure, et compte tenu notamment du statut de la personne visée par la mesure en question.

23. Le requérant allègue qu’il aurait dû se voir désigner un avocat dans le cadre de la procédure d’internement et avoir la possibilité de contester les témoignages à charge et d’interroger les témoins. Nous relevons qu’il a été placé en détention provisoire dans un centre de détention pour mineurs, en application de l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs, dans un but de prévention de la récidive. Comme nous l’avons déjà indiqué (paragraphe 9 ci-dessus), cette disposition oblige les juridictions internes à rechercher si le mineur concerné a commis une « infraction » et si certains intérêts individuels ou généraux, à savoir la vie et la santé de celui-ci ou la prévention de la récidive, justifient le prononcé d’une ordonnance d’internement provisoire contre lui. Le contrôle de la légalité d’une mesure prise au titre de cette disposition et la vulnérabilité des mineurs – le requérant était un jeune garçon qui n’avait que douze ans à l’époque des faits et qui souffrait de problèmes de santé – exigent clairement, du point de vue de l’article 5 § 4, que le mineur concerné bénéficie de l’assistance d’un avocat dans le cadre de la procédure et qu’il puisse contester la véracité des témoignages sur lesquels s’appuient les accusations portées contre lui.

24. Nous observons que cette interprétation de l’article 5 § 4, qui met l’accent sur l’adaptation de la justice aux mineurs dans les procédures de détention, trouve appui dans les instruments internationaux pertinents du Conseil de l’Europe, présentés de manière très complète au chapitre III du présent arrêt (paragraphes 77-79 du présent arrêt), et des Nations unies (paragraphes 81-89 du présent arrêt). Nous renvoyons en particulier à la partie IV – conseil et assistance juridiques aux mineurs – de la Recommandation CM/Rec(2008)11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures (paragraphe 79 du présent arrêt) et au point 30 des Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010 (paragraphe 80 du présent arrêt), lequel dispose qu’un enfant placé en garde à vue ne devrait pas être interrogé sur un acte délictueux ou tenu de faire ou de signer une déclaration portant sur son implication, sauf en présence d’un avocat ou de l’un de ses parents ou, si aucun de ces derniers n’est disponible, d’un autre adulte en qui il a confiance.

25. L’application des principes de la jurisprudence de la Cour rappelés ci-dessus et la prise en compte des textes internationaux pertinents susmentionnés nous conduisent à souscrire en substance au raisonnement de la majorité exposé aux paragraphes 197 à 199 du présent arrêt en ce qui concerne le droit du requérant à l’assistance d’un avocat, bien que nous considérions que la nécessité de désigner un avocat au profit du requérant lors de l’interrogatoire subi par celui-ci au stade de l’enquête préliminaire aurait dû être fondée sur l’article 5 § 4 de la Convention, et non sur l’article 6 § 3 c). Dès lors que les aveux passés par le requérant à ce stade de la procédure au sujet de l’infraction qui lui était reprochée – et qu’il a par la suite rétractés en indiquant les avoir signés sous la contrainte – ont été produits à titre de preuve dans le cadre de la procédure d’internement, il est clair, du point de vue du contrôle de la légalité exigé par l’article 5 § 4, que le défaut d’assistance d’un avocat lors de cette instance a grandement nui aux efforts déployés par le requérant pour contester la légalité de la mesure de détention fondée sur l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs.

26. Nous souscrivons également en substance au raisonnement suivi par la majorité sur la question du droit du requérant d’interroger les témoins clés – S., la victime alléguée, et la mère de celui-ci, qui avaient témoigné dans le cadre de l’enquête préliminaire, mais qui n’avaient pas été cités à comparaître devant le tribunal – et de contester leurs témoignages. La non‑comparution de ces témoins a privé le requérant de la possibilité de les contre-interroger, alors pourtant que leurs dépositions étaient manifestement décisives pour l’appréciation portée par le tribunal sur la question de savoir si l’intéressé avait commis une infraction au sens de l’article 22 § 2 (4) de la loi sur les mineurs.

27. Nous partageons l’opinion de la majorité (paragraphe 214 du présent arrêt) selon laquelle le point de savoir si l’avocate du requérant avait effectivement demandé la comparution des témoins au cours de l’audience n’est pas décisif aux fins de l’examen de la procédure sur le terrain de l’article 5 § 4, bien que, au regard de la jurisprudence de la Cour, le fait qu’un avocat omette de présenter une telle demande puisse être déterminant sous l’angle de l’article 6 § 3 d) et qu’en l’absence d’une telle demande formulée devant les juridictions nationales, un problème puisse se poser au regard de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes. C’est là que réside la différence considérable et critique qui existe entre l’application, dans des affaires de ce genre, des clauses relatives au procès équitable pleinement contradictoire prévues par l’article 6, choix retenu par la majorité, et l’application, que nous préconisons, des dispositions de l’article 5 § 4 spécialement formulées pour tenir compte des caractéristiques propres au type particulier de contrôle de la légalité de la détention exigé dans tel ou tel cas. En effet, dans les procédures de détention où est en cause une demande tendant à l’internement provisoire d’un mineur et visant à protéger sa vie ou sa santé et/ou poursuivant un intérêt général, il appartient assurément au tribunal d’agir d’office pour veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient produits de manière à ce que le mineur concerné et son avocat se voient offrir une possibilité réelle et effective de contester la valeur probante des éléments en question. Nous estimons en conséquence que le raisonnement suivi par la majorité sur ce point au paragraphe 214 du présent arrêt, selon lequel le tribunal interne aurait dû en l’espèce agir d’office au regard de l’article 6 § 3 d), ne se concilie guère avec la jurisprudence relative à cette disposition. Nous considérons que cette approche ne contribue en rien à la réalisation du but important consistant à garantir les droits procéduraux du requérant, l’article 5 § 4 étant plus adapté à cette fin.

28. Au vu de ce qui précède, nous concluons que le grief procédural formulé par le requérant aurait dû être examiné sur le terrain de l’article 5 § 4 et que les faits de l’espèce révèlent une violation de cette disposition aux motifs que le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat au stade de l’enquête préliminaire et que les juridictions internes n’ont pas assuré la comparution de la victime alléguée et de la mère de celle-ci à l’audience afin de permettre au requérant et à son avocate de les contre-interroger.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE LA JUGE MOTOC

(Traduction)

Avec tout le respect que je dois à la majorité, je ne puis souscrire à l’inclusion du paragraphe 196 du présent arrêt dans les « principes généraux » de la jurisprudence de la Cour. Ce paragraphe est sans conteste une greffe juridique, un emprunt fait à la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis. Comme Shakespeare le fait dire à Hamlet « ne sois ni emprunteur, ni prêteur ; car le prêt fait perdre souvent argent et ami ». J’estime que la Cour se trouve exactement dans la situation décrite par Hamlet.

Le paragraphe 196 ne reflète ni les principes généraux énoncés par la Cour ni les simples distinctions entre in rem et ad personam formulées dans le contexte de la récidive dans l’arrêt Achour c. France (no 67335/03, §§ 47‑49, CEDH 2006‑IV)[1]. Et je comprends les raisons pour lesquelles celles-ci devraient figurer au chapitre des « principes généraux ». En réalité, le paragraphe 196 emprunte sans les citer des idées exprimées par la Cour suprême des États-Unis dans plusieurs arrêts tels que Kent v. the United States, In re Gault et surtout Robinson v. California. C’est en ce sens que ce paragraphe opère une greffe juridique ou une « fertilisation croisée de la jurisprudence ».

A. Watson, le concepteur de la notion de greffe juridique, nous a prévenus que les greffes juridiques devaient être réalisées avec précaution[2]. Si la fertilisation croisée constitue désormais une pratique courante, il n’en demeure pas moins que certains critères doivent demeurer en usage à la Cour. À défaut, comme l’a dit Vico, « la mente umana è naturalmente portata a dilettarsi dell’uniforme » (l’esprit humain est naturellement enclin à se délecter de l’uniformité)[3]. Il est essentiel que la fertilisation croisée tienne compte des différences qui existent entre les cultures juridiques et qu’elle rejette toute tentative d’axiomatisation de la ressemblance[4].

En outre, l’inclusion du paragraphe 196 dans les principes généraux donne à penser que la majorité entend critiquer la doctrine parens patriae dans le contexte de la justice des mineurs. Si, aux États-Unis d’Amérique et en particulier dans la Californie des années 1960, l’évolution de la justice pénale a nécessité l’intervention de la Cour suprême des États-Unis pour éviter de « traduire devant la justice pénale un enfant auteur d’une infraction pénale pour la seule raison qu’il a le statut de délinquant juvénile », il n’en va pas de même aujourd’hui dans les États membres du Conseil de l’Europe.

Par ailleurs, la position de la majorité devient confuse lorsque celle-ci déclare, au titre des principes généraux, que « le statut de délinquant juvénile » est une notion qui n’est pas définie. Certes, l’expression « délinquant juvénile » est toujours employée dans certains textes internationaux, européens ou internes, mais depuis l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, elle est de plus en plus fréquemment remplacée par les termes « mineur » ou « enfant ». En l’espèce, dire que cette expression n’est pas définie n’a pas de sens, car le requérant avait douze ans à l’époque où il a commis l’infraction. Qui plus est, la Cour avait cité précédemment les instruments internationaux relatifs à la délinquance juvénile dans la troisième partie de l’arrêt, consacrée aux « textes internationaux pertinents ». Il pourrait être pertinent de faire état de l’absence de définition de cette notion dans d’autres contextes, par exemple dans le cas où le délinquant concerné a entre dix-huit et vingt ans.

Encore une fois, la majorité aurait dû faire preuve de plus de précaution s’agissant des principes généraux qui ont été énoncés à juste titre par la Cour et de la « fertilisation croisée » qu’elle a opérée.

* * *

[1]. « 47. Partant, la question soumise à la Cour concerne bien le respect ou non du principe de légalité des délits et des peines. La Cour doit notamment rechercher si, en l’espèce, le texte de la disposition légale, lue à la lumière de la jurisprudence interprétative dont elle s’accompagne, remplissait les conditions d’accessibilité et de prévisibilité à l’époque des faits.

48. La Cour note que le requérant a été condamné une première fois le 16 octobre 1984 pour trafic de stupéfiants et qu’il a terminé de purger sa peine le 12 juillet 1986. Par la suite, il a été à nouveau condamné en raison d’infractions à la législation sur les stupéfiants commises courant 1995 et jusqu’au 7 décembre 1995. Dans leurs décisions des 14 avril et 25 novembre 1997, le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Lyon ont déclaré le requérant coupable de faits réprimés par l’article 222-37 du code pénal et prononcé une peine conformément à cette disposition, ainsi qu’à l’article 132-9 du code pénal relatif à la récidive.

49. La Cour constate que l’article 132-9 prévoit que le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé en cas de récidive et ce, non plus dans un délai de cinq ans comme le prescrivait l’ancienne loi, mais dans les dix ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la peine antérieure. Ce nouveau régime légal étant entré en vigueur le 1er mars 1994, il était applicable lorsque le requérant a commis les nouvelles infractions au cours de l’année 1995, si bien que celui-ci avait juridiquement la qualité de récidiviste du fait de ces nouvelles infractions (...) »

[2]. A. Watson, Legal Transplants. An Approach to Comparative Law, Edimbourg, Scottish Academic Press, 1974.

[3]. G. Vico, Principi di scienza nuova: d’intorno alla comune natura delle nazioni.

[4]. D. Nelken, J. Feest (éds), Adapting Legal Cultures, Oxford and Portland, Oregon: Hart Publishing, 2001.


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