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15/07/2014 | CEDH | N°001-145569

CEDH | CEDH, AFFAIRE NINESCU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2014, 001-145569


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NINESCU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 47306/07)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juillet 2014

DÉFINITIF

15/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ninescu c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popov

ić,
Luis López Guerra,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en ch...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NINESCU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 47306/07)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juillet 2014

DÉFINITIF

15/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ninescu c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 juin 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47306/07) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Nicolae Ninescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 octobre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes V. Nicoară et I. Tofan, avocats à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V. Grosu.

3. Devant la Cour, le requérant se plaint d’une violation des articles 3 et 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

4. Le 5 février 2008, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1962 et réside à Bălți.

A. Ouverture de l’enquête pénale et détention initiale du requérant

6. Le 26 mai 2006, S.F. déposa une plainte pénale auprès du parquet général. Il y dénonçait son exclusion, illégale à ses yeux, des associés d’une société de bâtiment (« la société ») et la dépossession de ses parts sociales.

7. Le 9 juin 2006, un agent du Centre pour la lutte contre la criminalité économique et la corruption (CLCEC) ordonna l’ouverture d’une enquête pénale concernant les allégations de S.F.

8. Le 3 mai 2007, un juge d’instruction autorisa la perquisition du domicile de Bălți du requérant. Le 4 mai 2007, les autorités dressèrent un procès-verbal de perquisition.

9. Le 19 juin 2007 à 11 h 55, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux du CLCEC.

10. Le 22 juin 20+0207, le procureur en charge de l’affaire demanda au tribunal de Buiucani de placer le requérant en détention provisoire. Il relevait, entre autres, que le requérant avait contribué à l’exclusion de S.F. des associés de la société et que, eu égard aux actes du requérant et de ses complices, l’infraction de détournement de biens d’autrui était caractérisée dans ses éléments constitutifs.

11. Le conseil du requérant plaida en faveur de la remise en liberté de ce dernier, invoquant l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis l’infraction, un état de santé précaire et la nécessité de suivre un traitement contre le diabète.

12. Le même jour, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de dix jours. Il motiva sa décision comme suit :

« [Le tribunal] prend en compte le caractère et le degré préjudiciable des faits reprochés (...), leur gravité, la nécessité de protéger l’ordre public, le choc stressant que pourrait provoquer dans la société la libération du suspect (...), l’existence de risques de fuite, d’obstacle à l’établissement de la vérité dans l’affaire, de collusion entre coaccusés et de fabrication de preuves à décharge, résultant de la nature de l’infraction reprochée (...), de la personnalité du suspect et de sa conduite durant le procès pénal.

(...) A ce stade, le tribunal estime que les raisons invoquées par l’accusateur ont priorité et que [la détention du requérant] va contribuer au bon déroulement de la procédure pénale.

(...) [L]e tribunal (...) ordonne au procureur et à l’administration du lieu de détention de veiller à ce que des soins médicaux appropriés soient prodigués au suspect. »

13. À une date non spécifiée, le requérant forma un recours contre la décision du juge d’instruction. Il argüait, entre autres, que l’enquête pénale durait depuis un an, qu’il s’était auparavant présenté devant l’autorité de poursuite chaque fois qu’il y avait été invité, qu’il avait un domicile fixe et qu’il n’avait pas d’antécédents pénaux.

14. Le 26 juin 2007, un agent du CLCEC dressa un rapport dans lequel il consignait que le requérant n’habitait plus depuis trois ans à son adresse de Bălți.

15. Le même jour, le procureur en charge de l’affaire inculpa le requérant des chefs de détournement de biens d’autrui et d’usage de faux. Concernant ce dernier chef, il relevait que la documentation technique relative à un projet de construction avait été importée sur le territoire de la République de Moldova assortie d’une procuration sur laquelle était apposée la signature falsifiée du directeur de la société. Il mentionnait en outre que les parts sociales que S.F. détenait au 1er janvier 2006 étaient évaluées à 20 165 034 MDL (environ 1 200 000 EUR).

16. Le 28 juin 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta le recours que le requérant avait formé contre la décision du 22 juin 2007. Elle fit siennes les raisons retenues par le juge d’instruction du tribunal de Buiucani pour placer le requérant en détention provisoire, relevant en outre que ce dernier risquait de s’enfuir par le territoire de la Transnistrie échappant au contrôle des autorités de la Moldova. Elle indiqua enfin que le requérant pouvait être soigné à l’hôpital pénitentiaire.

B. Procédures relatives à la prolongation de la détention provisoire et à l’assignation à résidence du requérant

17. Le 28 juin 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours la détention provisoire du requérant. Il indiquait des motifs similaires à ceux sur lesquels il avait fondé sa demande initiale de placement en détention provisoire du requérant. Il ajoutait par ailleurs que le requérant n’avait pas de domicile fixe et que la collecte des témoignages des personnes susceptibles d’avoir connaissance des circonstances de l’affaire était encore incomplète.

18. Les avocats du requérant sollicitèrent le rejet de la demande du procureur.

19. Le même jour, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant. Le juge notait que l’infraction reprochée au requérant était grave, que l’enquête pénale était en cours et que d’autres mesures d’investigations devaient encore être prises. Faisant référence aux dispositions de l’article 186 § 3 du code de procédure pénale (CPP), il mentionnait en outre que, dans des circonstances exceptionnelles, en fonction de la complexité de l’affaire, de la gravité de l’infraction et du risque de fuite de l’inculpé, la détention provisoire pouvait être prolongée. Il indiquait que le requérant n’avait pas de domicile fixe, car, selon l’information de la police, il n’habitait plus depuis trois ans à son adresse de Bălţi.

20. À une date non précisée, le requérant forma un recours. Il reprochait au procureur de n’avoir présenté aucune preuve concrète qui pût justifier son maintien en détention, soutenant qu’il n’avait aucun moyen d’influer sur le déroulement de l’enquête ou de faire pression sur les témoins. Il s’engageait également à se présenter devant les autorités chaque fois qu’il serait invité à le faire.

21. Le 10 juillet 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta ce recours et confirma la décision du juge d’instruction.

22. Le 16 juillet 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours la détention provisoire du requérant. Il indiquait, entre autres, que le requérant pouvait se procurer de nouveaux papiers d’identité et faire falsifier d’autres documents afin de créer des preuves à sa décharge, et que l’identité des personnes qui avaient contrefait les documents utilisés par le requérant et les autres inculpés pour commettre l’infraction restait inconnue.

23. Le 18 juillet 2007, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani accueillit la demande du procureur et, se fondant sur les dispositions de l’article 186 § 3 du CPP, prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant. Le juge notait que le requérant était soupçonné d’avoir commis une infraction très grave, qu’il n’avait pas reconnu sa culpabilité et qu’il refusait de déposer. Il notait en outre que les arguments du procureur en faveur de la détention du requérant étaient plus convaincants que ceux que la défense avait avancés en faveur de la libération de son client.

Le requérant forma un recours contre cette décision.

24. Par une décision du 24 juillet 2007, la cour d’appel de Chișinău accueillit le recours, infirma le jugement du 18 juillet 2007 et assigna le requérant à résidence, à son adresse de Bălţi, pour une période de trente jours, soit jusqu’au 23 août 2007. Elle astreignit le requérant à ne pas quitter son domicile, à ne pas communiquer directement ou par téléphone avec les personnes interrogées dans le cadre de l’affaire, à ne rien entreprendre qui pût faire obstacle à l’établissement de la vérité, à répondre à tous les appels téléphoniques du procureur ou de l’officier des poursuites pénales et à comparaître à la date, à l’heure et à l’endroit fixés. Elle fonda sa décision sur les motifs que le requérant avait un domicile fixe et un emploi, qu’il était généralement bien estimé, qu’il n’avait pas d’antécédents pénaux, que son état de santé était critique et qu’il s’était vu reconnaître le deuxième degré d’invalidité.

25. Le 7 août 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours l’assignation à résidence du requérant. Il invoqua les motifs qu’il avait déjà présentés. Le requérant argüa pour la levée de l’assignation à résidence qu’il était malade et qu’il devait être hospitalisé, qu’il n’y avait aucun risque qu’il entravât le bon déroulement de la procédure et qu’il ne détenait pas de faux papiers d’identité.

26. Le 8 août 2007, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani accueillit partiellement la demande du procureur et prolongea l’assignation à résidence du requérant de cinq jours, soit jusqu’au 28 août 2007 à 11 h 55. Le juge évoquait le risque d’entrave à la justice de la part du requérant. Il mentionnait par ailleurs que la défense n’avait présenté aucune preuve confirmant la nécessité d’une hospitalisation du requérant.

27. Le 17 août 2007, le procureur clôtura les investigations et déféra l’affaire au tribunal de Buiucani.

28. Le 22 août 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de remplacer l’assignation à résidence du requérant par une détention provisoire de quatre-vingt-dix jours. Il soutenait que le requérant pouvait faire entrave à la justice, à savoir influencer les témoins et faire falsifier des documents.

29. Par un jugement du 28 août 2007, le tribunal de Buiucani assigna le requérant à résidence pour une nouvelle période de quatre-vingt-dix jours. Il estimait que le procureur n’avait pas présenté de preuve suffisante pour justifier le placement en détention provisoire du requérant. Il autorisa également le requérant à suivre un traitement médical dans l’établissement de son choix. L’audience devant le tribunal s’était tenue en présence du requérant entre 10 heures et 17 heures.

30. Le requérant forma à nouveau un recours. Il soutenait, entre autres, que le tribunal de Buiucani avait rendu son jugement le 28 août 2007, à 17 heures, alors que le délai précédent de l’assignation à résidence avait, selon lui, déjà expiré.

31. Par une décision du 10 septembre 2007, la cour d’appel de Chișinău confirma le jugement du 28 août 2007. Elle indiquait que l’assignation à résidence du requérant s’imposait compte tenu de la gravité de l’infraction ainsi que de la nécessité d’assurer le bon déroulement du procès pénal et de maintenir l’ordre public. Elle soulignait en outre que l’audience du 28 août 2007 devant le tribunal de Buiucani avait commencé à 10 heures et que, dès lors, la procédure avait été respectée.

32. Le 23 novembre 2007, le tribunal de Buiucani accueillit la demande du procureur et prolongea de trente jours l’assignation à résidence du requérant. Sur recours du requérant, ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Chișinău le 4 décembre 2007.

33. Le 20 décembre 2007, le tribunal de Buiucani assigna le requérant à résidence pour soixante jours supplémentaires. L’intéressé forma un recours.

34. Par une décision du 29 décembre 2007, la cour d’appel de Chișinău accueillit le recours, infirma le jugement du 20 décembre 2007, mit fin à l’assignation à résidence et ordonna au requérant de ne pas quitter le territoire du pays pendant soixante jours.

35. La Cour n’a pas été informée de la suite de la procédure.

C. État de santé du requérant

36. Selon une attestation médicale délivrée à une date non spécifiée par l’hôpital municipal de Bălți, le requérant fut hospitalisé du 11 au 21 mai 2007 avec un diagnostic de cirrhose hépatique virale, de pancréatite chronique et de diabète de type II. Toujours selon cette attestation, le requérant devait être examiné après un délai d’un mois par un endocrinologue.

37. Le requérant fut détenu dans les locaux du CLCEC du 19 juin au 24 juillet 2007.

38. Selon le registre médical du centre de détention du CLCEC, il fut examiné par un médecin à plusieurs reprises.

Le 20 juin 2007, le médecin contrôla notamment le taux de glycémie du requérant et lui administra de l’insuline.

Le 22 juin 2007, le matin, le médecin nota dans le registre que le requérant ne présentait pas de douleurs, que son état général était satisfaisant et qu’on lui administrait des doses d’insuline ; le soir, le médecin consigna que le requérant avait reçu un colis de la part de ses proches contenant, entre autres, de l’insuline et des seringues.

Le 26 juin 2007, le matin, le médecin contrôla le taux de glycémie et nota dans le registre que le requérant recevait régulièrement de l’insuline, à savoir deux fois par jour. Le même jour, le médecin examina le requérant qui accusait un état de faiblesse dû, selon ce dernier, à « ses nerfs » ; le médecin vérifia la tension artérielle du requérant et nota que son état général de santé était satisfaisant.

Le 28 juin 2007, le médecin contrôla à nouveau le taux de glycémie du requérant et lui administra de l’insuline. Il nota que l’état général de santé de ce dernier était satisfaisant.

Le 30 juin 2007, il nota que le requérant s’était plaint à l’ombudsman de l’interdiction qui lui aurait été faite de prendre certains médicaments. Il précisa qu’il s’agissait de médicaments que le requérant aurait cherché avec insistance à prendre et qui n’auraient pas été identifiables.

Le 24 juillet 2007, soit le dernier jour de sa détention, le requérant nota dans le registre médical qu’il n’avait aucune plainte à formuler quant aux soins médicaux reçus.

39. Entre-temps, le 26 juin 2007, le médecin du centre de détention du CLCEC avait dressé un rapport médical concernant le requérant, dans lequel il avait noté, entre autres, que ce dernier avait déclaré souffrir de diabète insulinodépendant, nécessiter des injections d’insuline deux fois par jour et être en mesure de faire lui-même ces injections. Le médecin avait indiqué également que le taux de glycémie était contrôlé constamment et que l’état de santé du requérant était « satisfaisant ». Toutefois, il avait noté que, afin d’évaluer objectivement l’état de santé de l’intéressé, celui-ci pouvait être examiné par un endocrinologue indépendant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

40. Les dispositions internes pertinentes en l’espèce sont résumées dans les affaires Sarban c. Moldova (no 3456/05, §§ 51-56, 4 octobre 2005), Musuc c. Moldova (no 42440/06, § 22, 6 novembre 2007) et Ignatenco c. Moldova (no 36988/07, §§ 53 et 54, 8 février 2011).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

41. Le requérant allègue que l’absence de soins médicaux appropriés pendant sa détention dans les locaux du CLCEC du 19 juin au 24 juillet 2007 a emporté violation de l’article 3 de la Convention. Il se plaint notamment de ne pas avoir été suivi par un hépatologue ou un endocrinologue, et de ne pas s’être vu administrer le médicament approprié à son état, à savoir l’insuline. Aux termes de l’article 3 de la Convention :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Sur la recevabilité

42. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que le requérant n’a pas soulevé ce grief devant les autorités nationales et qu’il aurait pu saisir un procureur à cet effet.

43. Le requérant soutient que le recours indiqué par le Gouvernement ne permet pas à quiconque de se plaindre d’actes ou d’omissions des autorités pénitentiaires. Il ajoute que ce recours n’était pas non plus susceptible d’améliorer sa situation.

44. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de prendre position sur l’exception soulevée par le Gouvernement, car le grief est irrecevable pour d’autres motifs.

45. À cet égard, elle rappelle que l’article 3 de la Convention ne peut être interprété comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé, mais qu’il impose néanmoins à l’Etat de veiller à ce que la santé et le bien-être du prisonnier soient assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93 et 94, CEDH 2000‑XI, et Sarban, précité, § 77).

46. En l’espèce, la Cour observe que le requérant souffrait de trois maladies dont au moins une – le diabète – demandait un suivi régulier par un médecin (paragraphe 36 ci-dessus). Elle note qu’il ressort du registre médical produit devant elle par le Gouvernement que, entre le 19 juin et le 24 juillet 2007, le requérant a régulièrement fait l’objet de soins médicaux au cours de sa détention (paragraphe 38 ci-dessus). L’intéressé a notamment été examiné dès le lendemain de son placement en détention puis à plusieurs reprises par le médecin du centre de détention du CLCEC. Selon le registre médical susmentionné et selon le rapport du médecin du 26 juin 2007 (paragraphe 39 ci-dessus), le taux de glycémie du requérant était contrôlé à intervalles réguliers, de l’insuline lui était administrée, il pouvait se faire des injections lui-même et son état général était jugé « satisfaisant ». La Cour note en outre que, le troisième jour de sa détention, le requérant a été autorisé à recevoir un colis, contenant de l’insuline et des seringues, que ses proches lui auraient fait parvenir.

47. La Cour relève que, pendant sa détention, le requérant n’a pas été examiné par un endocrinologue. Elle ne saurait pour autant remettre en cause les compétences du médecin du centre de détention du CLCEC. En sus, elle relève qu’il ne ressort pas des éléments dont elle dispose que, pendant la période en cause, le requérant ait nécessité une intervention médicale d’urgence ou qu’il ait souffert d’une douleur sévère et prolongée due à un manque de soins médicaux appropriés.

48. Après s’être livrée à une appréciation globale des faits pertinents sur la base des preuves produites devant elle, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé. Il doit donc être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

49. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant soutient que son assignation à résidence du 23 au 28 août 2007 était illégale, car elle n’aurait pas été autorisée en bonne et due forme par les tribunaux. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’article 5 § 1 de la Convention sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; »

Sur la recevabilité

50. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il reproche au requérant de ne pas avoir soulevé ce grief devant la cour d’appel de Chișinău.

51. Le requérant réplique qu’il a soulevé, au moins en partie, devant cette cour d’appel le grief relatif à l’expiration de la période d’assignation à résidence avant la prolongation de celle-ci, prononcée le 28 août 2007.

52. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de prendre position sur l’exception soulevée par le Gouvernement, car ce grief du requérant est irrecevable pour d’autres motifs.

53. Elle note d’emblée que, compte tenu de ses effets et de ses modalités d’exécution (paragraphe 24 ci-dessus), l’assignation à résidence du requérant s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention, lequel est donc applicable (N.C. c. Italie, no 24952/94, § 33, 11 janvier 2001, Nikolova c. Bulgarie (no 2), no 40896/98, §§ 60 et 74, 30 septembre 2004, et Danov c. Bulgarie, no 56796/00, §§ 61 et 80, 26 octobre 2006).

54. Elle rappelle qu’une période de détention est en principe « régulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention si elle se fonde sur une décision de justice (Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 74, 9 juillet 2009). En l’espèce, elle observe que, le 8 août 2007, le juge d’instruction du tribunal de Buiucani a prolongé l’assignation à résidence du requérant jusqu’au 28 août 2007 à 11 h 55 (paragraphe 26 ci-dessus). Cette décision du juge d’instruction n’a pas été contestée et a servi de base légale pour l’assignation à résidence du requérant du 23 au 28 août 2007, à 11 h 55.

55. Le requérant soutient que sa privation de liberté le 28 août 2007, avant 17 heures, heure à laquelle le tribunal de Buiucani a rendu sa décision de prolonger l’assignation à résidence de l’intéressé, n’avait pas de base légale.

56. À cet égard, la Cour rappelle avoir reconnu, notamment dans le contexte des alinéas c) et e) de l’article 5 § 1, que la célérité avec laquelle les juridictions internes remplacent une ordonnance de placement en détention qui a soit expiré soit été jugée défectueuse constitue un autre élément pertinent pour l’appréciation du point de savoir si la détention subie par une personne doit ou non être considérée comme arbitraire (Mooren, précité, § 80).

57. La Cour relève que la demande du procureur visant à la prolongation de la privation de liberté avait été faite le 22 août 2007 dans le délai imparti à cet effet (paragraphe 28 ci-dessus) et que l’audience devant le juge d’instruction a commencé le 28 août 2007, à 10 heures (paragraphe 29 ci‑dessus), c’est-à-dire avant l’expiration de la décision précédente de privation de liberté. Elle note également que, pendant les cinq heures visées, le requérant était tenu de participer, et qu’il a participé, à l’audience devant le tribunal. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la privation de liberté du requérant le 28 août 2007, de 11 h 55 à 17 heures n’avait pas revêtu un caractère arbitraire.

58. Il s’ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée. Elle doit donc être rejetée comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

59. Invoquant l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, le requérant soutient également qu’aucun motif pertinent et suffisant ne justifiait son placement et son maintien en détention. La Cour considère que ce grief est à examiner sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

A. Sur la recevabilité

60. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

61. Le requérant soutient que les décisions relatives à sa détention provisoire et à son assignation à résidence n’étaient pas fondées sur des motifs pertinents et suffisants. Il indique que la présente affaire est identique aux affaires Sarban (précité, §§ 93-104), Becciev c. Moldova (no 9190/03, §§ 49-64, 4 octobre 2005), Boicenco c. Moldova (no 41088/05, §§ 139-145, 11 juillet 2006) et Musuc (précité, §§ 35-48), dans lesquelles la Cour aurait conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention. À cet égard, il souligne notamment que les tribunaux internes se sont bornés à reproduire le texte des dispositions applicables en l’espèce. Il soutient également qu’ils ont fondé leurs décisions, entre autres, sur l’assertion – fausse à ses dires – selon laquelle il n’aurait pas de domicile fixe.

62. Le Gouvernement soutient que les tribunaux ont fourni suffisamment de motifs afin de justifier la privation de liberté du requérant. Il indique qu’ils ont pris en compte la circonstance que la procédure pénale aurait été engagée dans le respect des dispositions légales applicables et que les éléments produits par le procureur auraient confirmé la participation du requérant à la commission de l’infraction. Il précise que les tribunaux ont motivé leurs décisions : par la gravité de l’infraction reprochée ; par le nombre de suspects et par les soupçons de falsification des documents par l’intéressé ; par le risque de fuite, au motif que le requérant aurait donné de fausses informations quant à sa domiciliation et qu’il pouvait être aidé par des citoyens étrangers à quitter le territoire ; par le risque que l’intéressé influençât les témoins, car la majorité d’entre eux auraient été des employés subordonnés aux suspects, et par des raisons plausibles de croire que le requérant pouvait falsifier de nouveaux documents. Le Gouvernement argüe enfin que l’affaire était complexe et que la durée de la détention du requérant – du 19 juin au 24 juillet 2007 – est courte.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

63. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite (Patsouria c. Géorgie, no 30779/04, § 62, 6 novembre 2007) et que l’article 5 § 3 de la Convention ne peut être interprété comme autorisant la détention provisoire à la seule condition qu’elle n’excède pas une certaine durée minimale. Les autorités doivent démontrer de manière convaincante que chaque période de détention, aussi courte soit-elle, est justifiée (voir, parmi d’autres, Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 140, 22 mai 2012, Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003-I, et Musuc, précité, § 41).

64. La Cour rappelle également qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans une affaire donnée, la détention provisoire subie par un accusé n’excède pas une durée raisonnable. À cette fin, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d’innocence, examiner toutes les circonstances de nature à faire admettre ou à faire écarter l’existence d’une exigence d’intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l’article 5 de la Convention et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions et des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, par exemple, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 43, CEDH 2006‑X). À ce titre, les motifs en faveur et en défaveur de l’élargissement doivent non pas être généraux et abstraits (Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, § 63, CEDH 2003‑IX (extraits)) mais s’appuyer sur des faits précis et sur la situation personnelle du requérant justifiant sa détention (Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, § 179, 22 décembre 2008).

65. La Cour rappelle enfin les quatre raisons fondamentales pouvant justifier la détention provisoire d’une personne accusée d’avoir commis une infraction : le risque que l’accusé ne prenne la fuite (Stögmuller c. Autriche, 10 novembre 1969, § 15, série A no 9), que, une fois remis en liberté, il n’entrave l’administration de la justice (Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, § 14, série A no 7), ne commette de nouvelles infractions (Matznetter c. Autriche, 10 novembre 1969, § 9, série A no 10) ou ne trouble l’ordre public (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207).

b) Application des principes susmentionnés à la présente espèce

66. La Cour observe que la détention provisoire du requérant a duré un mois et cinq jours et que son assignation à résidence s’est étalée sur cinq mois et six jours. Elle rappelle avoir déjà estimé que l’assignation à résidence du requérant s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention (paragraphe 53 ci-dessus).

67. La Cour note que les tribunaux internes, pour justifier la privation de liberté du requérant, ont invoqué des raisons qui, pour la plupart d’entre elles, paraphrasaient les motifs de détention prévus dans le CPP sans expliquer comment ils s’appliquaient au cas du requérant (paragraphes 12, 16, 19, 21, 23, 24, 26, 29 et 31 ci-dessus).

68. La Cour observe également que les juridictions internes n’ont pas répondu aux arguments du requérant en faveur de sa remise en liberté. Elle relève notamment qu’elles ne se sont pas prononcées sur trois de ces arguments, à savoir que l’enquête durait depuis un an au moment où il avait été placé en détention, qu’il s’était auparavant présenté devant les autorités chaque fois qu’elles l’avaient convoqué et que, pour la suite de la procédure, il s’engageait à répondre à chaque nouvelle convocation. À cet égard, la Cour rappelle que le risque de fuite doit notamment être apprécié à la lumière d’éléments tenant à la personnalité de l’intéressé, à son sens moral, à sa domiciliation, à sa profession, à ses ressources, à ses liens familiaux et à d’autres types de liens avec le pays dans lequel il est poursuivi (Becciev, précité, § 58). En l’espèce, la Cour estime que les tribunaux n’ont pas examiné d’une manière adéquate les liens du requérant avec la République de Moldova. S’il est vrai qu’ils se sont penchés dans un premier temps sur la question de savoir si le requérant avait un domicile fixe et qu’il y avait des preuves contradictoires en ce sens, la Cour rappelle toutefois que l’absence d’un domicile fixe ne fait pas naître à elle seule un danger de fuite (Sulaoja c. Estonie, no 55939/00, § 64, 15 février 2005). Elle relève enfin que les tribunaux n’ont mentionné aucune preuve susceptible d’étayer leur constat selon lequel le requérant pouvait s’enfuir par le territoire de la Transnistrie échappant au contrôle des autorités de la Moldova.

69. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la présente affaire n’est pas différente des affaires précitées Sarban, Becciev et Ignatenco, dans lesquelles elle a conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention par la République de Moldova du fait de l’absence de motifs pertinents et suffisants dans les décisions des tribunaux nationaux.

70. Par conséquent, la Cour considère que les motifs invoqués par le tribunal de Buiucani et la cour d’appel de Chișinău dans leurs décisions relatives à la détention provisoire et à l’assignation à résidence du requérant n’ont pas été « pertinents et suffisants ». Partant, elle estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

71. Le requérant se plaint également que le juge d’instruction, lors de l’audience du 28 juin 2007, n’ait pas accédé à sa demande d’examiner des preuves confirmant, selon lui, qu’il avait un domicile fixe. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Sur la recevabilité

72. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a pas soulevé le grief en question dans son recours formé contre la décision du juge d’instruction du 28 juin 2007.

73. Le requérant rétorque qu’il avait soulevé ce grief devant la cour d’appel de Chișinău lors d’une audience antérieure.

74. La Cour constate qu’il ne ressort pas des éléments dont elle dispose que le requérant ait soulevé dans son recours ordinaire formé devant la cour d’appel de Chișinău un grief tiré, explicitement ou en substance, du refus du juge d’instruction d’examiner des preuves confirmant qu’il avait un domicile fixe. Elle constate donc que l’intéressé n’a pas fourni à cette juridiction l’occasion de remédier à la violation alléguée. Partant, elle accueille l’exception du Gouvernement et rejette ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

75. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant soutient que son arrestation et sa détention n’étaient pas fondées sur des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction. Il allègue également que sa détention postérieure au 22 juin 2007 était illégale, car il aurait perdu sa qualité de suspect à cette date et il n’aurait été inculpé que le 28 juin 2007.

76. Dans ses observations du 12 septembre 2008, il se plaint enfin, sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, que la cour d’appel de Chișinău, lors de l’audience du 28 juin 2007, lui ait refusé l’accès au dossier de l’affaire.

77. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève parmi les griefs soulevés ci-dessus aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

78. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

79. Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

80. Le Gouvernement estime ce montant excessif.

81. La Cour considère que le requérant a subi un tort moral certain à raison des défaillances constatées dans l’attitude des autorités compétentes. Statuant en équité, elle lui accorde 2 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

82. Le requérant demande également 4 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Le représentant du requérant fait référence à un contrat d’assistance juridique et à une recommandation de l’Ordre des avocats de la République de Moldova du 29 décembre 2005 établissant les tarifs horaires pour la rémunération du travail des avocats, sans toutefois fournir ces documents. Il présente en revanche le détail des heures passées pour présenter l’affaire devant la Cour (cinquante-cinq heures).

83. Le Gouvernement considère que les prétentions du requérant sont dépourvues de fondement. Il souligne que le requérant n’a pas fourni copie du contrat d’assistance juridique signé avec l’avocat. Il ajoute que le nombre d’heures évoqué par celui-ci et le montant demandé sont excessifs.

84. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

85. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à la majorité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit, par quatre voix contre trois,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Gyulumyan, López Guerra et Motoc.

J.C.M.
S.Q.

OPINION dissidente du juge LÓPEZ GUERRA,
À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE GYULUMYAN

Je souscris aux principes généraux relatifs à l’article 5 § 3 de la Convention énoncés aux paragraphes 63-65 de l’arrêt, mais non à la manière dont la chambre les a appliqués en l’espèce. J’estime que les décisions adoptées par les juridictions moldaves n’emportent nullement violation de l’article 5 § 3. À mon avis, l’arrêt est fondé sur des considérations qui auraient dû être laissées à l’appréciation des juridictions internes.

La durée des mesures dont se plaignait le requérant représentait au total six mois et onze jours (un mois et cinq jours de détention provisoire suivis de cinq mois et six jours d’assignation à résidence). Durant ce laps de temps, les tribunaux moldaves ont pris douze décisions dans l’affaire de l’intéressé, indiquant clairement les motifs du maintien en détention provisoire de celui-ci, puis de son assignation à résidence, et enfin de sa remise en liberté. Pour justifier le maintien en détention du requérant, les tribunaux ont mentionné des risques de fuite, d’entrave au cours de l’enquête, de collusion entre coaccusés et de fabrication de preuves à décharge.

Eu égard à la nature des infractions reprochées au requérant, les mesures adoptées par les juridictions concernées avant le procès étaient assurément raisonnables. Elles étaient fondées sur la situation personnelle du requérant, les circonstances de la cause et la nécessité de prévenir toute initiative de sa part susceptible de faire obstacle à l’effectivité de l’enquête. Par ailleurs, elles ont été modifiées à des intervalles raisonnables au cours de la procédure en fonction de l’évolution de la situation du requérant telle qu’appréciée par les juridictions nationales. En effet, si l’intéressé avait initialement été placé en détention provisoire, cette mesure a été convertie en assignation à résidence, puis en remise en liberté avec interdiction de quitter le pays.

De manière générale, il est certain que les motifs avancés pour justifier l’adoption de mesures préventives restreignant la liberté d’un accusé lors de l’ouverture de l’enquête pénale peuvent s’affaiblir graduellement – voire disparaître – au fur et à mesure de l’avancement de la procédure. Dans certains cas, le maintien des mesures restrictives initialement prises serait disproportionné et s’analyserait en une violation des droits garantis par l’article 5 § 3 de la Convention. Mais il en allait autrement en l’espèce : les tribunaux moldaves ont modifié progressivement les mesures restreignant la liberté du requérant, d’une manière qui n’était ni arbitraire ni disproportionnée. En outre, ils ont motivé de manière précise chacune de leurs décisions. En ce qui concerne les motifs de droit énoncés dans les décisions en question, il ressort de notre jurisprudence que, si les tribunaux doivent motiver clairement leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument avancé par les parties (voir García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I, et Perez c. France, [GC], no 47287/99, § 81, CEDH 2004‑I).

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE LA JUGE MOTOC

1. Je ne partage pas la position de la majorité selon laquelle il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention en espèce. Premièrement, j’estime que la jurisprudence de la Cour n’offre pas d’arguments suffisants pour aboutir à cette conclusion. Deuxièmement, le raisonnement exposé au paragraphe 68 de l’arrêt ne me semble pas clair.

La jurisprudence de la Cour

2. La jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 3 est abondante. En l’espèce, deux questions se posaient pour l’appréciation du caractère raisonnable de la détention provisoire : la motivation retenue par les juridictions internes et le caractère étayé de celle-ci. Deux arrêts récents de la Cour nous semblent pertinents. Le premier traite du risque de fuite, le second de la justification des motifs de la détention.

3. Dans le premier arrêt, non encore définitif (Minasyan c. Arménie, no 44837/08, § 64, 8 avril 2014), la même chambre s’est prononcée ainsi : « s’il est vrai que, tout au long de l’incarcération du requérant, les juridictions internes ont suivi le même raisonnement en ce qui concerne ce motif de détention et que, au fil du temps, celui-ci a inévitablement perdu de sa pertinence, la Cour ne peut conclure sur ce seul fondement que les autorités n’avaient pas de motif raisonnable de maintenir l’intéressé en détention pour l’empêcher de fuir (comparer avec Panchenko c. Russie, no 45100/98, § 106, 8 février 2005). Eu égard à la nature de l’affaire (c’est-à-dire à la gravité de l’infraction), il était raisonnable de penser que le risque de fuite du requérant persisterait du début à la fin de sa détention provisoire ».

4. Le deuxième arrêt (Ovsjannikov c. Estonie, no 1346/12, § 49, 20 février 2014) portait sur l’argumentation des tribunaux internes. La Cour s’est exprimée en ces termes : « La Cour constate que les différentes décisions rendues par les tribunaux étaient fondées sur des raisonnements globalement similaires, et ne trouve rien à y redire. Elle observe que ceux-ci ne se sont pas bornés à employer une formule type, qu’ils ont au contraire fait état de soupçons circonstanciés et qu’ils ont fait preuve de cohérence dans l’exposé des motifs pour lesquels il leur semblait nécessaire de maintenir le requérant en détention. La Cour n’aperçoit aucune raison de conclure que les juridictions internes ont manqué à leur devoir de mettre en balance l’intérêt public réel que présente la lutte contre le crime et le principe du respect de la liberté individuelle consacré par l’article 5 de la Convention. À cet égard, elle note également que les considérations liées au risque de récidive ou d’entrave à la bonne marche de l’enquête que présente un suspect impliquent dans une certaine mesure une appréciation probabiliste et qu’elles ne se prêtent pas à une démonstration catégorique ».

Le raisonnement

5. Le requérant est resté en détention un mois et cinq jours et a été assigné à résidence pendant cinq mois et six jours. Cette durée nous semble raisonnable eu égard à la gravité de l’infraction commise – un grave délit économique –, à l’extrême gravité du préjudice causé et au risque que le requérant prenne la fuite ou influence les témoins. D’ailleurs, le tribunal de Buiucani et la cour d’appel de Chișinău avaient retenu que le requérant n’avait plus de domicile fixe depuis longtemps, fait qui n’a pas été contesté par les avocats de l’intéressé.

6. Si la chambre a relevé à juste titre que l’absence d’un domicile fixe ne peut faire naître un danger de fuite, cet élément n’en est pas moins important pour l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de la détention. Après avoir constaté que l’enquête impliquait plusieurs personnes et que certaines d’entre elles essayaient d’influencer les témoins, qui étaient leurs subordonnés, le tribunal de Chișinău a fait droit à la demande de délivrance d’un mandat d’arrêt de trente jours formulée par le procureur.

7. Dans ce contexte, on ne comprend guère que la Cour soit parvenue à un constat de violation de l’article 5 § 3 au seul motif que les juridictions internes n’ont pas donné d’explications concrètes à leur conclusion selon laquelle le requérant pouvait s’enfuir en passant par la Transnistrie. Il y avait beaucoup d’autres motifs justifiant la détention du requérant.


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