CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE CALVEZ c. FRANCE
(Requête no 27313/21)
ARRÊT
Art 8 • Vie familiale • Placement de la fille mineure de la requérante à l’aide sociale à l’enfance • Mise en balance par les juridictions internes des intérêts de l’enfant et de ceux de la requérante • Décisions prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant • Vaste marge d’appréciation non excédée • Processus décisionnel conforme aux exigences de l’art 8
Art 13 (+ Art 8) • Recours effectif pour contester le placement de l’enfant
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
13 mars 2025
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Calvez c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
María Elósegui, présidente,
Mattias Guyomar,
Armen Harutyunyan,
Gilberto Felici,
Andreas Zünd,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 27313/21) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Cécile Calvez (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 25 mai 2021,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 février 2025,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne le placement de la fille mineure de la requérante à l’aide sociale à l’enfance, ainsi que le contentieux qui s’en est suivi (articles 8 et 13 de la Convention).
EN FAIT
2. La requérante est née en 1968 et réside à Plouër-sur-Rance. Elle a été représentée par Me c. Meyer, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par ses agents, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, puis M. D. Colas, son successeur dans cette fonction.
1. La genèse de l’affaire
4. La requérante est la mère célibataire d’une fille, L., née en mars 2010.
5. En mars 2015, à la demande de la requérante, une mesure d’action éducative à domicile renforcée fut mise en place à l’égard de L., compte tenu des difficultés rencontrées par la requérante pour nourrir celle-ci et lui fournir un cadre de vie sécurisant. En août de la même année, l’intéressée décida d’interrompre cette mesure.
6. Le 11 février 2016, le juge des enfants (JE) de Saint-Malo, saisi par le procureur de la République, ordonna une mesure judicaire d’investigation éducative (MJIE) à l’égard de L. pour une durée de six mois, compte tenu des difficultés de positionnement éducatif de la requérante.
7. Selon le rapport de la MJIE, il existait une relation pathogène entre la mère et l’enfant, faite de surprotection et de surmédicalisation par la requérante, suscitant un absentéisme scolaire et des réactions de violence de L. contre sa mère. Le rapport préconisait une mise à distance progressive de L. de cette relation qui risquait, à terme, de compromettre son équilibre psychique.
8. Par un jugement du 5 décembre 2016, le JE ordonna le placement de l’enfant pour une durée d’un an sous la forme d’un accueil séquentiel (deux jours et deux nuits) auprès de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Il se référa aux conclusions du rapport de la MJIE.
9. À l’expiration de cette mesure, un rapport de situation fut préparé, préconisant le placement de L. à temps complet.
2. Le placement de L. à temps complet
10. Le 24 janvier 2018, à l’issue d’une audience en présence de la requérante, le JE ordonna le placement de L. à temps complet auprès de l’ASE, pour une durée de deux ans (jusqu’au 25 janvier 2020). Il accorda à la requérante un droit de visite médiatisée de deux heures par mois, « en vue d’un élargissement sous condition favorable du service gardien, sans nouvelle décision du magistrat dans cette hypothèse ». Le JE ordonna l’exécution provisoire de la décision. La mesure se fondait sur l’article 375 du code civil (paragraphe 22 ci-dessous).
11. Il se référa au rapport de situation (paragraphe 9 ci-dessus) et constata que L., qui était toujours « fortement mise à mal face aux prises de position imprévisibles et insécurisantes » de sa mère, ne présentait plus de signes de mal-être depuis que la mesure de placement était mise en œuvre. Pour le juge, les conclusions du rapport de la MJIE (paragraphe 7 ci-dessus) demeuraient d’actualité, et le placement à temps complet s’imposait au vu de l’absence d’évolution de la situation (s’agissant notamment du positionnement maternel) depuis plusieurs années, et « afin de permettre à L. de se protéger sur son lieu de placement dans la durée, de lui garantir un lieu de vie neutre, stable, calme et sécurisant de manière pérenne ».
12. Le 17 décembre 2019, le JE suspendit les droits de visite de la requérante jusqu’au terme du placement en raison de deux incidents survenus au cours des visites. Le 24 janvier 2020, il renouvela le placement de L. pour trois ans, réserva les droits de la requérante et accorda aux grands-parents de L. un droit de visite et d’hébergement, hors la présence de la mère. Le juge constata que l’enfant était épanouie sur son lieu d’accueil et qu’elle avait exprimé le souhait de rester placée et de ne pas rencontrer la requérante.
3. La procédure en appel
13. La requérante interjeta appel du jugement du 24 janvier 2018, en demandant la mainlevée du placement.
14. À l’audience devant la cour d’appel de Rennes du 30 septembre 2019, la requérante comparut en personne et fut assistée par un avocat. L., absente, fut représentée par un avocat.
15. Le 18 novembre 2019, la cour d’appel de Rennes confirma le jugement. Elle observa que les postures parentales inadaptées de la requérante provoquaient des réactions violentes chez L. Elle se référa à un rapport d’expertise psychiatrique de la requérante ayant mis en évidence des troubles de la personnalité de type « borderline », des difficultés relationnelles importantes et un contrôle émotionnel défaillant, et concluant à la nécessité d’un suivi psychologique. La cour d’appel constata que la requérante refusait le suivi psychologique préconisé, ainsi que tout accompagnement éducatif, et qu’il n’y avait de sa part aucune prise de conscience de ses difficultés éducatives et de leurs conséquences néfastes sur sa fille, avec un risque à terme de développement de troubles somatiques chez cette dernière.
16. Elle considéra que, « dans ce contexte, tout travail éducatif apparai[ssait] vain et [était] d’ailleurs impossible de fait, ainsi qu’il ressort[ait] du rapport de situation daté du 24 septembre 2019 ».
17. Elle constata également que L. trouvait un cadre sécurisant sur son lieu de placement et qu’elle n’avait pas émis le souhait immédiat de retourner vivre auprès de sa mère. Partant, pour la cour d’appel, le placement de L. avait conforté la pertinence de l’analyse faite par le JE aux termes du jugement critiqué. La cour d’appel considéra que mettre fin à cette mesure compromettrait les conditions du développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant.
18. Elle conclut que, dans ce contexte et alors que le JE devait revoir très prochainement la situation, il était prématuré d’envisager de mettre fin à ce placement et que la protection de L. en imposait la poursuite.
4. La cassation
19. Le 30 décembre 2019, la requérante forma un pourvoi en cassation. Le 6 mars 2020, elle déposa un mémoire ampliatif. D’une part, elle allégua ne pas avoir pu consulter le rapport de situation du 24 septembre 2019 (paragraphe 15 ci-dessus), en violation du principe du contradictoire. D’autre part, elle soutint que les conditions du placement n’étaient pas réunies, en l’absence de danger pour l’enfant au sens de l’article 375 du code civil.
20. Le conseiller rapporteur informa les parties que la cassation pourrait être prononcée sans renvoi, les mesures contestées ayant épuisé leurs effets. Il invita les parties à produire leurs éventuelles observations.
21. Par un arrêt du 14 avril 2021, la Cour de cassation annula l’arrêt d’appel, en statuant en ces termes :
« Vu l’article 16 du code de procédure civile et les articles 1182 et 1193 du même code :
3. Aux termes du premier de ces textes, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
4. Il résulte des deux derniers que les convocations devant le juge des enfants et la cour d’appel informent les parties de la possibilité de consulter le dossier au greffe.
5. Pour maintenir le placement de la mineure à l’aide sociale à l’enfance, l’arrêt relève que tout travail éducatif est vain avec Mme Calvez, ainsi que cela ressort du rapport de situation daté du 24 septembre 2019.
6. En statuant ainsi, sans qu’il résulte des pièces de la procédure ni des énonciations de l’arrêt que Mme Calvez ait été avisée de la faculté qui lui était ouverte de consulter le dossier au greffe ou qu’elle ait pu prendre connaissance du rapport de situation et en discuter la teneur à l’audience, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties (...), il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. La cassation prononcée n’implique pas, en effet, qu’il soit à nouveau statué sur le fond, les mesures critiquées ayant épuisé leurs effets.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 novembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi »
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Les dispositions relatives à l’assistance éducative
22. Les dispositions pertinentes relatives aux mesures d’assistance éducative, dont celles de l’article 375 du code civil, ainsi que la jurisprudence relative à la portée du contrôle de la Cour de cassation en la matière sont exposées dans l’arrêt G.M. c. France (no 25075/18, §§ 34-38 et 41, 9 décembre 2021).
23. Selon l’article 375-6 du code civil, les décisions prises en matière d’assistance éducative peuvent être, à tout moment, modifiées ou rapportées par le juge qui les a rendues soit d’office, soit à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public.
24. L’article 1187 du code de procédure civile (CPC ; dispositions concernant l’assistance éducative) est libellé comme suit :
« Dès l’avis d’ouverture de la procédure, le dossier peut être consulté au greffe, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience, par l’avocat du mineur et celui de ses parents ou de l’un d’eux, de son tuteur, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié. L’avocat peut se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier pour l’usage exclusif de la procédure d’assistance éducative. (...)
Le dossier peut également être consulté, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, par les parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié et par le mineur capable de discernement, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience. »
25. Selon l’article 1182 du CPC, l’avis d’ouverture de la procédure et les convocations adressées aux parents informent les parties de la possibilité de consulter le dossier conformément aux dispositions de l’article 1187.
26. Aux termes de l’article 524 du CPC, dans sa version applicable au litige, le premier président de la cour d’appel peut, en cas d’appel, être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsque celle-ci risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
2. Les dispositions relatives au pourvoi en cassation
27. Aux termes de l’article 527 du CPC, le pourvoi en cassation est une « voie de recours extraordinaire ». Il est régi par les articles 604 à 639-4 du même code.
28. L’article 627 du CPC dispose que « la Cour de cassation peut casser sans renvoyer l’affaire dans les cas et conditions prévues par l’article L. 411‑3 du code de l’organisation judiciaire (COJ) ».
29. Les deux premiers alinéas de l’article L. 411-3 du COJ prévoient que « la Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond » et qu’« elle peut aussi, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ».
30. L’article 978 du CPC dispose que le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée. Aux termes de l’article 1009 du CPC, le premier président, ou son délégué, à la demande d’une des parties ou d’office, peut réduire les délais prévus pour le dépôt des mémoires et des pièces.
3. Les dispositions relatives à la responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice
31. L’article L. 141-1 du COJ prévoit que la responsabilité civile de l’État peut être engagée du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice en cas de faute lourde ou de déni de justice.
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
32. La requérante dénonce une violation de l’article 8 de la Convention en raison du placement de sa fille par le jugement du 24 janvier 2018, confirmé en appel, mesure qu’elle qualifie de disproportionnée. Ledit article est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Sur l’objet du grief et sur la portée de l’examen de la Cour
33. La Cour observe que la mesure critiquée par la requérante concerne le placement de sa fille, ordonné par le jugement du 24 janvier 2018 pour une durée de deux ans.
34. En effet, l’intéressée ne conteste pas les mesures ultérieures (suspension de ses droits de visite et renouvellement du placement ; paragraphe 12 ci-dessus). Par ailleurs, si, dans le formulaire de requête, la requérante dénonce la mesure de placement ordonnée par ledit jugement, dans ses observations, elle soutient que la violation découle non pas du jugement de première instance, mais des défaillances qui seraient survenues en appel et en cassation.
35. Par conséquent, la Cour analysera seulement la mesure de placement à temps complet initiale (du 24 janvier 2018 au 23 janvier 2020), résultant du jugement du 24 janvier 2018 confirmé en appel. Elle analysera également l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2021 statuant sur le pourvoi de la requérante contre l’arrêt d’appel.
2. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
36. Le Gouvernement soutient que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes, qui lui permettaient d’accélérer la procédure et d’obtenir une indemnisation pour la durée excessive de celle-ci.
37. Selon lui, premièrement, l’intéressée aurait pu déposer une requête auprès du premier président de la cour d’appel en suspension de l’exécution provisoire du jugement ordonnant le placement (paragraphe 26 ci-dessus). Il s’agirait d’une voie de recours « préventive, efficace et rapide, permettant au juge national de remédier à la violation alléguée en l’attente de l’examen au fond par le juge d’appel ». Deuxièmement, la requérante aurait pu demander de statuer en procédure accélérée, en application de l’article 1009 du CPC (paragraphe 30 ci-dessus). Enfin, elle aurait pu former un recours indemnitaire sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ (paragraphe 31 ci-dessus).
b) La requérante
38. La requérante soutient que le Gouvernement confond les garanties procédurales de l’article 8 et les exigences de célérité de la procédure (au sens de l’article 6 de la Convention).
39. Elle considère que la requête en suspension de l’exécution provisoire du jugement ordonnant le placement est très rarement accueillie, s’agissant d’une voie de recours extraordinaire, conditionnée aux seuls cas où « l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ». L’appel du jugement étant la voie de recours pertinente et effective, la requérante n’était pas obligée d’exercer d’autres voies de recours. Néanmoins, aux yeux de l’intéressée, la violation de l’article 8 ne résulte pas de la décision de première instance, mais des arrêts d’appel et de cassation.
40. Par ailleurs, pour la requérante, le non-respect des droits de la défense en appel, reconnu et sanctionné tardivement par la Cour de cassation, ne s’analyse pas en une faute lourde ou un déni de justice, au sens de l’article L. 141-1 du COJ. Au contraire, étaient en cause un « fonctionnement normal » de la justice, ainsi qu’une procédure qui n’était pas excessivement longue en soi, ce qui rendait le recours en responsabilité de l’État prévu par l’article L. 141-1 du COJ inadapté.
2. Appréciation de la Cour
41. La Cour rappelle qu’un recours purement compensatoire n’est pas suffisant en matière de placement d’enfants (Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, § 137, 15 janvier 2015, et références y citées). Quant aux autres recours évoqués par le Gouvernement, elle rappelle que si le requérant dispose éventuellement de plus d’une voie de recours pouvant être effective, il est uniquement dans l’obligation d’utiliser l’une d’entre elles (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III).
42. La Cour rappelle que le pourvoi en cassation constitue en principe une voie de recours à épuiser. Elle rappelle qu’il figure parmi les procédures dont il doit ordinairement être fait usage pour se conformer à l’article 35 de la Convention (voir, par exemple, Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI, Winterstein et autres c. France, no 27013/07, § 117, 17 octobre 2013, et, pour une exception au cas d’espèce, G.M. c. France, précité, § 45). La Cour de cassation contrôle, en considération de l’intérêt de l’enfant, la justification et la motivation des mesures d’assistance éducative, de sorte qu’il importe qu’elle soit saisie des griefs tirés de la Convention susceptibles d’être ensuite soumis à la Cour (G.M. c. France, précité, §§ 41 et 45). La Cour relève par ailleurs que l’échéance de la mesure de placement n’est pas une circonstance imposant à la Cour de cassation de déclarer le pourvoi sans objet. La cassation peut au contraire être prononcée alors même que la mesure critiquée a épuisé ses effets, comme l’illustre la présente affaire (paragraphes 21 et 28-29 ci-dessus). Dès lors, il ne peut être considéré que le pourvoi en cassation formé par la requérante était voué à l’échec.
43. Dans ces conditions, la Cour considère qu’en relevant appel du jugement ordonnant le placement, puis en formant un pourvoi en cassation, la requérante a utilisé les voies de recours normalement effectives, ce qui est suffisant pour remplir la condition d’épuisement des voies de recours internes. Elle rejette donc l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement.
44. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
3. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) La requérante
45. La requérante allègue que la cour d’appel n’a relevé aucun danger pour sa fille, se contentant de constater qu’elle rencontrait des difficultés de positionnement éducatif. Le placement était donc une mesure extrême et disproportionnée, alors qu’une autre solution, moins drastique et plus adaptée à la situation, aurait été possible. Au lieu de respecter leurs obligations positives consistant à réunir une mère et son enfant, les autorités internes ont distendu le lien entre la requérante et sa fille. Elle ajoute que si les autorités jouissent d’une latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, la marge d’appréciation n’est pas illimitée.
46. La requérante soutient également qu’elle n’a pas pu jouer un rôle suffisant dans le processus décisionnel ayant conduit à la séparation avec sa fille, dès lors qu’elle n’a pas pu prendre connaissance des éléments du dossier en appel. Elle considère que les relations avec L. ont été déterminées par l’écoulement du temps, la cassation étant intervenue tardivement et sans effet concret possible sur sa situation.
47. Par ailleurs, la requérante fait valoir, en s’appuyant sur un certificat médical établi le 26 avril 2021, qu’elle souffre d’autisme. Elle argue à cet égard qu’au lieu de lui fournir une aide adaptée en tant que parent autiste, les autorités ont préféré prendre une mesure drastique de placement de l’enfant.
48. Enfin, aux yeux de la requérante, le renouvellement du placement en 2020 est un fait postérieur non pertinent pour la présente affaire.
b) Le Gouvernement
49. Le Gouvernement considère que les conditions de placement de l’enfant, prévues par l’article 375 du code civil, étaient réunies en l’espèce, le danger pour L. ayant été caractérisé. En effet, au vu des éléments repris par le JE au travers de ses décisions, il apparaissait que la santé, la sécurité ou la moralité de l’enfant étaient en danger auprès d’une mère dont la fragilité a été soulignée, au niveau tant éducatif que psychiatrique, ou à tout le moins que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social étaient gravement compromises. Ainsi, la décision de placement répondait au besoin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.
50. De l’avis du Gouvernement, le placement était parfaitement justifié, les autorités nationales ayant procédé à une intervention progressive et circonstanciée, en tenant compte de l’évolution de la situation de la requérante (alors que son autisme constitue un élément nouveau, inconnu des autorités à l’époque des faits). Par ailleurs, celle-ci n’a pas été privée de tout lien avec sa fille, puisqu’elle a bénéficié de droits de visite et qu’elle pouvait à tout moment saisir le JE d’une demande d’élargissement de ces droits. Partant, les intérêts de la requérante ont été pris en compte.
51. Le Gouvernement observe également que la violation du principe du contradictoire, commise en appel du fait de l’impossibilité pour la requérante de consulter le rapport de situation du 24 septembre 2019, a été reconnue par la Cour de cassation.
52. La durée totale de la procédure – 3 ans 2 mois et 21 jours – ne caractérise pas un manquement des autorités à leur devoir de diligence exceptionnelle, compte tenu de l’âge de l’enfant au moment du placement (plus de 7 ans), ainsi que du maintien des liens entre la requérante et l’enfant, et ce à la différence de l’affaire A.L. c. France (no 13344/20, 7 avril 2022), qui concernait le fils biologique du requérant, un nourrisson confié à un couple de tiers.
53. Le Gouvernement conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
54. Pour les principes généraux en matière de placement d’enfants, il est renvoyé aux arrêts Strand Lobben et autres c. Norvège ([GC], no 37283/13, §§ 202-213, 10 septembre 2019), et A.L. c. France (précité, §§ 54-55). La Cour rappelle également que la tâche d’apprécier l’intérêt de l’enfant incombe en premier lieu aux autorités nationales (Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, §§ 136 et 138, CEDH 2010, et, plus récemment, Hýbkovi c. République tchèque, no 30879/17, § 94, 13 octobre 2022). Si l’intérêt supérieur de l’enfant, qui ne se confond pas avec celui de son père ou de sa mère (X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 100, CEDH 2013), commande normalement que les liens entre l’enfant et sa famille soient maintenus, il ne devrait pas en aller ainsi lorsqu’un maintien des liens serait de nature à porter atteinte à sa santé et à son développement (Suur c. Estonie, no 41736/18, § 79, 20 octobre 2020).
55. En l’espèce, la décision de placement constitue une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de la vie familiale tel que garanti par l’article 8 § 1 de la Convention, ce qui n’est au demeurant pas contesté par les parties.
56. Cette mesure a été prévue par la loi, à savoir les articles 375 et suivants du code civil (paragraphe 22 ci-dessus). Si la requérante soutient que les conditions légales d’application de cet article n’étaient pas réunies, cela relève de l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence, plutôt que de sa légalité (pour une approche analogue, voir, par exemple, Verhoeven c. France, no 19664/20, § 55, 28 mars 2024). La Cour considère par ailleurs que la mesure poursuivait les buts légitimes de « protection de la santé » et « des droits et libertés » de L.
57. Il reste à établir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Pour ce faire, il convient de déterminer, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs qui fondaient le jugement du JE et l’arrêt d’appel étaient pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, ainsi que de vérifier la qualité du processus décisionnel (G.M. c. France, précité, § 56). La Cour rappelle à cet égard que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés et qu’elles jouissent d’une vaste marge d’appréciation lorsqu’elles évaluent la nécessité de prendre une ordonnance de placement (B.B. et F.B. c. Allemagne, nos 18734/09 et 9424/11, § 47, 14 mars 2013).
58. La Cour relève, en premier lieu, que le placement contesté – qui n’a pas emporté de rupture totale du lien familial – a été ordonné à la suite d’autres mesures, moins contraignantes : d’abord, une mesure d’action éducative à domicile renforcée (demandée puis interrompue par la requérante), ensuite une MJIE, puis un placement séquentiel (paragraphes 5, 6 et 8 ci-dessus ; voir A et autres c. Islande, nos 25133/20 et 31856/20, § 92, 15 novembre 2022, et, a contrario, S.H. c. Italie, no 52557/14, §§ 43-57, 13 octobre 2015). En particulier, la décision de placement séquentiel tenait compte du rapport de la MJIE préconisant une mise à distance progressive de L. de cette relation qui risquait, à terme, de compromettre son équilibre psychique. Les raisons qui sous-tendent la mise en œuvre desdites mesures, puis du placement critiqué, résidaient dans les difficultés que rencontraient la requérante pour s’occuper correctement de son enfant (notamment pour la nourrir) et pour lui procurer un environnement stable et propice à son développement.
59. La Cour observe également que le JE a tenu compte de l’audition de la requérante, des conclusions du rapport de la MJIE, ainsi que du rapport à échéance. Afin de maintenir les liens avec L., le juge a accordé des droits de visite à la requérante, certes restreints, mais avec une perspective d’évolution sans intervention judiciaire (voir, a contrario, Soares De Melo c. Portugal, no 72850/14, § 114, 16 février 2016).
60. De son côté, la cour d’appel a constaté que L., alors âgée d’un peu plus de neuf ans et demi, avait trouvé un cadre sécurisant sur son lieu de placement, et qu’elle ne souhaitait pas retourner vivre avec sa mère (comparer avec E.C. c. Italie (déc.), no 82314/17, §§ 51, 56 et 58, 30 juin 2020, A.H. c. Norvège (déc.) [comité], no 39771/19, §§7-8, 11 juillet 2023, et A.E. c. France (déc.) [comité], no 51944/22, § 18, 23 mai 2024). Elle a également entendu la requérante en personne et a tenu compte du rapport d’expertise psychiatrique de l’intéressée (voir, a contrario, Soares De Melo, précité, § 115), pour conclure à l’absence d’évolution dans le positionnement éducatif de l’intéressée, nocif pour l’enfant.
61. L’un des éléments sur lesquels la cour d’appel s’est appuyée pour conclure que tout travail éducatif « apparaissait vain » et était « impossible de fait », est un rapport de situation du 24 septembre 2019, auquel la requérante soutient ne pas avoir eu accès. La Cour constate cependant que le dossier d’assistance éducative peut être consulté par les parties jusqu’à la veille de l’audience et que leurs avocats peuvent en demander copie (paragraphe 24 ci-dessus). Elle observe en outre qu’il résulte d’une pratique judiciaire bien établie qu’un rapport de situation est systématiquement versé au dossier d’assistance éducative avant l’audience, afin que la juridiction statue en disposant d’éléments actualisés.
62. Sans préjudice de l’appréciation par la Cour de cassation du respect du contradictoire au sens des dispositions du CPC, la Cour relève que l’avocat de la requérante ne pouvait ignorer la présence de ce rapport dans le dossier de l’affaire. Il n’a cependant pas entrepris de démarches pour pouvoir le consulter ou pour obtenir le renvoi de l’audience. Partant, l’absence de notification à la requérante quant à la possibilité de consultation de ce document en temps utile, constaté par la Cour de cassation, n’apparaît pas avoir été, à elle seule, préjudiciable aux intérêts de l’intéressée à un point tel que les exigences de l’article 8 s’en trouveraient méconnues (comparer avec G.M. c. France, précité, § 65). La Cour rappelle à cet égard que toute irrégularité procédurale, même si elle est constatée par une juridiction supérieure interne, n’est pas de nature à rendre l’ingérence incompatible avec les exigences conventionnelles (voir, mutatis mutandis, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, Ukraine-Tioumen c. Ukraine, no 22603/02, § 52, 22 novembre 2007, ainsi que, sous l’angle de l’article 5 de la Convention, Soloviev c. Russie, no 2708/02, § 93, 24 mai 2007). La Cour relève également que la Cour de cassation n’a pas remis en cause la légalité du placement, alors même qu’elle y était invitée (paragraphe 21 ci-dessus).
63. Eu égard à ce qui précède, la Cour ne saurait considérer que la requérante n’a pas pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour lui accorder la protection requise de ses intérêts ou qu’elle n’a pas été en mesure de faire valoir pleinement ses droits (Strand Lobben et autres, précité, § 212 ; voir également, par exemple, I.M. c. Norvège (déc.) [comité], no 16998/20, § 14, 11 juillet 2023).
64. La Cour rappelle également que la célérité de la procédure constitue l’un des aspects des garanties procédurales implicitement contenues dans l’article 8 (mutatis mutandis, Petrov et X c. Russie, no 23608/16, § 102, 23 octobre 2018, et T.C. c. Italie, no 54032/18, § 57, 19 mai 2022). Elle relève, en deuxième lieu, que la procédure a duré au total près de trois ans et trois mois. Si le JE a statué rapidement, la cour d’appel a mis près d’un an et neuf mois pour confirmer le jugement et a prononcé l’arrêt deux mois avant l’expiration de la mesure, relevant in fine que le JE devait revoir très prochainement la situation (paragraphes 10, 15 et 18 ci-dessus). La requérante a formé le pourvoi en cassation 27 jours avant l’échéance du placement et a déposé le mémoire ampliatif après l’échéance de cette mesure. La Cour de cassation, statuant en procédure normale, a rendu son arrêt un an et trois mois après sa saisine (paragraphes 19 et 21 ci-dessus).
65. Or, de l’avis de la Cour, la durée entre le jugement en première instance et l’arrêt d’appel est acceptable, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la durée du placement et de l’âge de l’enfant au moment de cette mesure (comparer avec les durées dans les arrêts Ribić c. Croatie, no 27148/12, §§ 97-100, 2 avril 2015, A.L. c. France, précité, §§ 67-73, Paparrigopoulos c. Grèce, no 61657/16, §§ 49-50, 30 juin 2022, Q et R c. Slovénie, no 19938/20, §§ 76‑83, 8 février 2022, Hýbkovi, précité, § 93, et T.C. c. Italie, précité, §§ 59-61).
66. En outre, si la cassation de l’arrêt d’appel n’a pas eu d’effet concret sur la mesure de placement, la Cour considère que ce fait n’est pas davantage constitutif d’une violation de l’article 8, dès lors qu’un examen par un troisième degré de juridiction n’est pas exigé par ce dernier et que la Cour de cassation n’a pas pour vocation de rejuger les faits mais de vérifier la conformité des décisions des tribunaux et des cours d’appel aux règles de droit (Lacombe c. France, no 23941/14, § 73, 10 octobre 2019). La cassation prononcée a cependant permis de constater la méconnaissance d’exigences procédurales internes, en rappelant la règle de droit. La Cour observe par ailleurs que la requérante avait la faculté d’exercer un recours indemnitaire sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ (paragraphe 31 ci-dessus) en se prévalant de la violation des articles 16, 1182 et 1193 du CPC constatée par la Cour de cassation, et qu’elle s’en est abstenue.
67. Eu égard à tous ces éléments, la Cour conclut que les juridictions internes se sont livrées à un véritable exercice de mise en balance des intérêts de l’enfant et de ceux de la requérante, que leurs décisions ont été prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’elles n’ont pas excédé la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales en la matière, et que le processus décisionnel a été conforme aux exigences de l’article 8.
68. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
69. Invoquant l’article 13 combiné avec les articles 6 § 1 et 8 de la Convention, la requérante se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour critiquer les atteintes, commises par la cour d’appel, à ses droits à un procès équitable et au respect de sa vie familiale. Elle considère que l’absence d’un tel recours effectif découle de la durée de la procédure, la mesure de placement étant échue au moment où la Cour de cassation statuait sur le pourvoi.
70. La Cour considère approprié d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 13 combiné avec le seul article 8 de la Convention. L’article 13 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
71. Le Gouvernement conclut à l’existence de recours effectifs et prie la Cour de rejeter le grief, pour trois raisons principalement.
72. Premièrement, il considère que si la Cour a constaté une violation de l’article 13 dans l’arrêt Schmidt c. France (no 35109/02, §§ 112-120, 26 juillet 2007), elle ne postule pas de l’ineffectivité du pourvoi en cassation contre les mesures de placement d’enfants en général. En l’espèce, la Cour de cassation s’est prononcée sur le fond du grief de la requérante et a cassé l’arrêt d’appel, tout en reconnaissant les violations des dispositions du CPC. Partant, le pourvoi en cassation s’est révélé effectif, contrairement à la situation examinée dans l’affaire Schmidt précitée, où la Cour de cassation avait déclaré qu’il n’y avait pas lieu à statuer.
73. Le Gouvernement observe également qu’il est fréquent que les recours exercés contre des mesures de placement soient privés de leur objet au moment où le juge de cassation statue, par l’effet de nouvelles mesures prises par le JE. La situation de la requérante a bien été réexaminée en 2020 (avant l’arrêt de la Cour de cassation) par le JE qui a décidé de renouveler le placement (paragraphe 12 ci-dessus).
74. À cet égard et deuxièmement, le Gouvernement rappelle qu’en matière d’assistance éducative, le JE reste seul compétent et n’est jamais dessaisi. L’exercice des voies de recours (appel ou cassation) est sans incidence sur sa compétence. La cassation n’étant pas la seule voie de recours effective, la requérante pouvait saisir à nouveau le JE, en application de l’article 375-6 du code civil, pour modifier ou annuler la mesure de placement (paragraphe 23 ci-dessus), ce qu’elle n’a pas fait.
75. Troisièmement, pour le Gouvernement, le grief est intimement lié à la question de la durée de la procédure. À cet égard, il renvoie à son objection de non-épuisement des voies de recours internes (paragraphes 36-37 ci‑dessus).
b) La requérante
76. Renvoyant à ses observations sur la recevabilité du grief tiré de l’article 8 (paragraphes 38-40 ci-dessus), la requérante considère que la durée de la procédure en cassation n’a pas été déraisonnablement longue au regard des exigences de l’article 6 de la Convention, et que l’action en responsabilité de l’État ne serait pas adaptée au cas d’espèce.
77. Tout en estimant que le pourvoi en cassation constitue un « exercice normal des voies de recours », elle allègue l’ineffectivité de la cassation de l’arrêt de la cour d’appel qui est intervenue alors que la mesure de placement avait déjà épuisé ses effets.
78. Selon elle se pose la question de l’effectivité, au sens de l’article 13, de l’organisation même du recours en cassation en matière familiale, qui concerne des situations susceptibles d’évoluer rapidement. La requérante suggère la création d’une procédure accélérée ou d’urgence qui permettrait à la Cour de cassation de statuer en quelques jours.
2. Appréciation de la Cour
79. La Cour rappelle que l’article 13 exige l’effectivité d’un recours, et non pas une multitude de recours effectifs et encore moins un troisième degré de juridiction (Müller c. Autriche, no 5849/72, décision de la Commission, 16 décembre 1974, et, plus récemment, mutatis mutandis, A.M. c. Pays-Bas, no 29094/09, § 70, 5 juillet 2016).
80. Elle relève qu’en l’espèce la requérante a bénéficié d’un accès concret et effectif pour s’opposer au placement de son enfant, et ce tant devant le juge des enfants que devant la cour d’appel. Cette dernière a statué en fait comme en droit et avait le pouvoir d’infirmer l’ordonnance de placement. Le fait qu’elle a confirmé le jugement sans que la requérante ait consulté en temps utile le rapport de situation ne saurait être constitutif, en soi, d’une violation de l’article 8 (paragraphes 61-62 ci-dessus). Cela ne suffit pas davantage pour conclure que l’appel n’était pas une voie de recours effective. La Cour rappelle à cet égard que l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour un requérant (Abramiuc c. Roumanie, no 37411/02, § 119, 24 février 2009).
81. De plus, la requérante a pu présenter un pourvoi en cassation, dans le cadre duquel la Cour de cassation a exercé son contrôle, a constaté une violation du principe du contradictoire et a annulé l’arrêt d’appel, quand bien même sa décision a été rendue après l’expiration de la mesure de placement litigieuse (voir, a contrario, Schmidt, précité).
82. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que la requérante a bénéficié d’un recours effectif pour contester le placement de sa fille. Partant, le grief tiré de l’article 13 est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief tiré de l’article 8 de la Convention recevable et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 mars 2025, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Martina Keller María Elósegui
Greffière adjointe Présidente