LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Bourbonnaise de travaux publics (la société SBTR) a été mise en redressement judiciaire le 21 août 1996 puis en liquidation judiciaire le 18 décembre 1996, M. X... étant désigné liquidateur ; que la BNP Intercontinentale (la BNPI) et la Banque de la Réunion (la BR) ont déclaré leurs créances ; que le 8 septembre 2005, le liquidateur a assigné la BNPI et la BR, puis a appelé en cause le 31 janvier 2007 la BNP Paribas Réunion (la BNPPR), venant aux droits de la BNPI, pour soutien abusif ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1382 et 2270-1 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;
Attendu que la prescription d'une action en responsabilité extra-contractuelle court à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ;
Attendu que pour déclarer prescrite et irrecevable l'action en responsabilité initiée par M. X..., ès qualités, à l'encontre de la BR, l'arrêt retient que l'action devait être introduite dans les dix années qui ont suivi la connaissance par l'emprunteur des faits de soutien abusif invoqués comme générateurs de responsabilité, que le tribunal a, par jugement du 4 décembre 1996, ramené la date de cessation des paiements au 21 février 1995, observant que la carence des dirigeants avait laissé se poursuivre l'activité déficitaire de la société SBTR avec pour incidence directe la mise en place de financements coûteux pour l'entreprise, qu'il en découle que la société SBTR avait nécessairement connaissance dès le 21 février 1995 du prétendu soutien abusif reproché à la BR et que l'assignation délivrée à la BR le 8 septembre 2005 se heurte à l'expiration du délai de prescription décennale ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher à quelle date s'était manifesté le dommage causé aux créanciers de la société SBTR du fait de l'aggravation du passif de cette société causé par les crédits accordés par la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrite et irrecevable l'action en responsabilité initiée par M. X..., ès qualités, à l'encontre de la Banque de la Réunion, l'arrêt rendu entre les parties le 6 octobre 2008 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne la Banque de la Réunion aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Blondel, avocat aux Conseils pour M. X..., ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable, comme prescrite, l'action en responsabilité en tant qu'elle était dirigée contre la société BNP PARIBAS REUNION ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE par des motifs pertinents repris par la cour, les premiers juges ont exactement rappelé que la responsabilité du banquier pour soutien abusif est régie par les principes applicables à la responsabilité extra contractuelle ; que le délai de prescription en la matière est celui de l'article 2270-1 du code civil qui enferme celle-ci dans un délai de 10 ans ; que le point de départ du délai correspond à la date à laquelle la partie lésée a connaissance du fait dommageable ; qu'en l'espèce, il résulte des termes d'une assignation délivrée à la BNPI et la BR à la requête de la SCI du Centre commercial de Saint-André en date du 23 septembre1996, que le grief de soutien abusif de la société SBTR a déjà fait l'objet d'une incrimination explicite en vue de rechercher en responsabilité les deux établissements de crédit défendeurs ; que cet acte fait explicitement état d'un soutien abusif de la part des banques dispensatrices de crédit ; qu'il ne peut donc être valablement argué d'une connaissance exhaustive du dommage seulement à compter du dépôt du rapport de l'expert le 31 juillet 1999 ; que Maître X... y opposait que la date de l'assignation délivrée par la SCI du Centre commercial Saint-André aux deux établissements bancaires ne pouvait être retenue comme point de départ de la prescription au motif qu'il n'était pas personnellement parti à cette procédure ; que cependant, il apparaît que l'assignation du 23 septembre 1996 avait été délivrée à la requête des consorts Z... agissant sous couvert de cette SCI familiale et qu'elle mettait clairement en cause la responsabilité de la BNPI accusée d'avoir fautivement accordé des concours à la société SBTR dont ils étaient les dirigeants ; que par ailleurs, la BNPI et la BNP Paribas Réunion ont opportunément rappelé que la SCI du Centre commercial Saint-André avait mis en cause l'administrateur judiciaire de la SBTR ainsi que le prédécesseur de Me X... dans la fonction de représentant des créanciers devenu mandataire liquidateur de la SBTR ; qu'il est ainsi démontré que, dès 1996, les critiques quant à l'implication des banques dans la déconfiture de la SBTR du fait de prêts abusifs étaient déjà formulées ; que dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé le point de départ de la prescription à la date de l'assignation précitée, c'est-à-dire le 23 septembre 1996 ; que dès lors, le terme du délai de prescription doit être fixé au 24 septembre 2006 étant observé que ni l'instance en désignation de l'expert du 22 novembre 1996, ni l'assignation délivrée le 8 septembre 2005 à la BNPI, dénuée de toute valeur interruptive comme ayant été délivrée à une personne dépourvue de qualité pour la recevoir, n'ont interrompu le cours de la prescription ; qu'il s'ensuit qu'à la date de l'assignation en intervention forcée à l'encontre de la BNP Paribas Réunion (31 janvier 2007), le délai de prescription était expiré ; qu'en conséquence, la décision entreprise sera confirmée de ce chef ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la responsabilité du banquier pour soutien abusif est régie par les principes applicables à la responsabilité extra-contractuelle ; que le délai de prescription en la matière est celui de l'article 2270-1 du Code civil qui enferme celle-ci dans un délai de 10 ans ; que le point de départ du délai correspond à la date à laquelle la partie lésée a connaissance du fait dommageable ; qu'en l'occurrence, il résulte des termes d'une assignation délivrée à la BNPI et la BR, à la requête de la SCI DU CENTRE COMMERCIAL DE SAINT-ANDRE, en date du 23 septembre 1996, que le grief de soutien abusif de la société SBTR fait déjà l'objet d'une incrimination explicite en vue de rechercher en responsabilité les deux établissements de crédit défendeurs ; que l'acte fait explicitement état d'un soutien abusif de la part des banques dispensatrices de crédit (cf. p. 7, 8 et 9 de l'acte) ; qu'il ne peut donc être valablement argué d'une connaissance exhaustive du dommage qu'à compter du dépôt du rapport A... le 31 juillet 1999 ; que force est de constater que nonobstant le fait que l'instance, dont l'engagement a été instrumenté par l'acte susvisé, a été introduite par d'autres personnes que celle dont le liquidateur assure la représentation, n'est pas de nature à cantonner sa portée probatoire dans les limites du seul procès introduit par l'assignation sus-évoquée ; que la récrimination exposée dans le corps de l'acte a, par suite, un effet « erga omnes » qui rend efficiente son invocation dans le cadre d'une autre procédure ; que force est de constater que dès 1996 les critiques quant à l'implication des banques dans la déconfiture de la SBTR du fait de prêts abusifs était déjà formulée ; que, dès lors, c'est à bon droit que la BNP PARIBAS REUNION entend voir fixer le point de départ de la prescription à la date de l'assignation précitée, c'est-à-dire le 23 septembre 1996 ; qu'il importe peu également que le liquidateur, non encore en fonction à la même époque, n'ait pas été en mesure, et par la force des choses, d'agir en responsabilité ; que l'article L.622-9 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, lui confère un monopole de représentation du débiteur ; que la désignation du mandataire judiciaire n'est donc pas un motif d'interruption de prescription puisque venant en représentation du débiteur dessaisi, il ne peut agir que dans la continuité d'exercice des obligations et des droits détenus par celui-ci ; que le terme du délai de prescription doit donc être fixé au 24 septembre 2006 ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la prescription d'une action en responsabilité extra-contractuelle ne court qu'à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; que s'agissant de l'action en responsabilité intentée par un mandataire liquidateur, agissant dans l'intérêt collectif des créanciers, à l'encontre d'établissements bancaires auxquels il est reproché de s'être livrés à un soutien abusif ou à l'octroi de crédits ruineux, le point de départ du délai de 10 ans doit être situé à la date à laquelle s'est manifesté le dommage causé aux créanciers du fait de l'aggravation du passif résultant des crédits fautivement consentis ; qu'en situant le point de départ du délai de prescription «à la date à laquelle la partie lésée a connaissance du fait dommageable», c'est-à-dire du fait générateur de responsabilité, la Cour viole l'article 2270-1 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause (rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008), ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART et en tout état de cause, l'arrêt ne fait nullement ressortir en quoi les termes de l'assignation délivrée le 23 septembre 1996 par la SCI DU CENTRE COMMERCIAL DE SAINT-ANDRE établiraient la connaissance que pouvait avoir dès cette date les mandataires de justice en charge de l'intérêt collectif des créanciers de la société SBTR du préjudice subi par ces derniers du fait des agissements reprochés aux banques, d'où il suit que l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 2270-1 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 6-1 cité au précédent élément de moyen ;
ALORS QUE, ENFIN, l'action en responsabilité était fondée, non seulement sur le soutien abusif, mais également sur un grief distinct d'octroi de crédits ruineux (cf. dernières écritures de Maître X..., agissant ès qualités, p. 10 et s.) ; que si la Cour retient, pour fixer le point de départ de la prescription à la date de l'assignation du 23 septembre 1996, que les termes de cet acte établiraient la connaissance que pouvait avoir la société SBTR et ses mandataires de justice du soutien abusif, à aucun moment elle ne fait ressortir en quoi cette assignation serait de nature à mettre objectivement en relief la connaissance que pouvait avoir ces derniers du caractère ruineux des crédits consentis, sachant que Maître X... agissant es qualités faisait précisément observer dans ses conclusions d'appel (cf. lesdites écritures p. 7, pénultième alinéa) que seul le rapport d'expertise de Monsieur A... avait pu lui permettre de se forger une conviction quant au caractère exorbitant des conditions financières pratiquées par les banques; que sous cet angle encore, la Cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 2270-1 du Code civil, ensemble au regard de l'article 4 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable, comme prescrite, l'action en responsabilité en tant qu'elle était dirigée contre la BANQUE DE LA REUNION ;
AUX MOTIFS QUE la prescription décennale de l'article 2270-1 du Code civil est également invoquée en cause d'appel par la Banque de la Réunion ; qu'ainsi, une éventuelle action contre la Banque de la Réunion devait nécessairement être introduite dans les 10 années qui ont suivi la connaissance par l'emprunteur des faits de soutien abusif invoqués comme générateur de responsabilité ; qu'or, dans ses conclusions d'appel, le mandataire liquidateur fonde son argumentation sur l'étude des comptes de la SBTR pour la période allant de 1990 à 1994, ainsi que sur différents événements antérieurs à mai 1995 ; qu'il estime en conséquence que la Banque de la Réunion ne pouvait ignorer à la lecture de ces comptes la situation irrémédiablement compromise de la SBTR, la poursuite des crédits au-delà de mai 1995 matérialisant alors le soutien abusif allégué ; que, cependant, le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis a, par jugement du 4 décembre 1996, ramené la date de la cessation des paiements au 21 février 1995, observant que la carence des dirigeants de droit et de fait constituait une faute de gestion en ce qu'ils avaient laissé se poursuivre sans intervenir l'activité déficitaire de la société SBTR, avec pour incidence directe une aggravation de l'endettement et la mise en place de financement coûteux pour l'entreprise ; qu'il en découle que la société SBTR avait nécessairement connaissance, dès le 21 février1995, du prétendu soutien abusif que Maître X... reproche à la Banque de la Réunion ; que dès lors, le terme du délai de prescription doit être fixé au 21 février 2005 et l'assignation délivrée le 8 septembre 2005 à la Banque de la Réunion par Maître X..., ès qualités de liquidateur, se heurte à l'expiration du délai de la prescription décennale ; que la décision entreprise sera donc infirmée sur ce point, et l'action initiée par Maître X..., ès qualités, déclarée irrecevable comme prescrite ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la prescription d'une action en responsabilité extra-contractuelle ne court qu'à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; que s'agissant de l'action en responsabilité intentée par le mandataire liquidateur, agissant dans l'intérêt collectif des créanciers, à l'encontre d'établissements bancaires auxquels il est reproché de s'être livrés à un soutien abusif ou à l'octroi de crédits ruineux, le point de départ du délai de 10 ans doit être situé à la date à laquelle s'est manifesté le dommage causé aux créanciers du fait de l'aggravation du passif résultant des crédits fautivement consentis ; qu'en faisant courir le délai de 10 ans du jour de «la connaissance par l'emprunteur des faits de soutien abusif invoqués comme générateurs de responsabilité », la Cour viole les articles 1382 et 2270-1 du Code civil, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, le jugement doit être intelligible pour le justiciable et cette exigence n'est satisfaite qu'autant que les motifs qu'il comporte sont réellement de nature à justifier rationnellement la décision qui a été prononcée ; qu'en l'état des motifs de l'arrêt attaqué, nul ne peut comprendre pour quelle raison logique les motifs du jugement du 8 mars 2000 (et non du 4 décembre 1996), qui a statué sur la responsabilité des dirigeants sociaux de la société SBTR, permettraient de fixer au jour de la cessation des paiements, telle que ramenée au 21 février 1995 par un autre jugement, prononcé le 4 décembre 1996, la date de la révélation du dommage résultant du soutien abusif et du crédit ruineux reprochés à la BANQUE DE LA REUNION ; que ces motifs ne permettent d'ailleurs pas davantage de situer à cette même date les faits générateurs des responsabilités ; d'où une violation des articles 455 du Code de procédure civile et 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.