La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/07/2013 | CEDH | N°001-122170

CEDH | CEDH, AFFAIRE HAMVAS c. ROUMANIE, 2013, 001-122170


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HAMVAS c. ROUMANIE

(Requête no 6025/05)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juillet 2013

DÉFINITIF

09/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hamvas c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra, >Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2013,

Re...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HAMVAS c. ROUMANIE

(Requête no 6025/05)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juillet 2013

DÉFINITIF

09/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hamvas c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6025/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant allemand, M. Ludwig Hamvas (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 novembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me I.G. Lutai, avocat à Oradea. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint en particulier de l’absence de raisons justifiant de prolonger sa détention provisoire et de la durée excessive de cette détention. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention.

4. Le 15 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Le gouvernement allemand n’a pas souhaité intervenir dans la procédure.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1966 et réside à Mannheim (Allemagne).

7. Le 17 juillet 2003, le requérant fut placé en garde à vue en Roumanie pour une période de 24 heures, à la suite d’un flagrant délit dans le cadre d’une affaire de trafic de drogue.

8. Le 18 juillet 2003, le requérant fut placé en détention provisoire pour une durée de trois jours. Le procureur M.M., du parquet près la cour d’appel d’Oradea, motiva la privation de liberté du requérant par l’application de l’article 148 § 1 h) du code de procédure pénale (« CPP »). Le même jour, le parquet ordonna l’ouverture des poursuites du chef de trafic de drogue à l’encontre du requérant (article 2 § 2 de la loi no 143 du 26 juillet 2000 relative à la lutte contre le trafic et la consommation illicite de drogues
(ci-après « la loi no 143/2000 »).

9. Le 18 juillet 2003, le parquet près la cour d’appel d’Oradea sollicita du tribunal départemental de Bihor le placement du requérant en détention provisoire. Par une décision du même jour, le tribunal départemental de Bihor ordonna le placement du requérant en détention provisoire du 20 juillet au 15 août 2003. Le tribunal estima que le requérant avait été arrêté lors d’un flagrant délit, au moment où il s’apprêtait à livrer une importante quantité d’héroïne, faits susceptibles d’entraîner une condamnation pour trafic de drogue. D’après le même tribunal, ces circonstances imposaient la détention provisoire du requérant en vertu de l’article 148 § 1 h) du CPP puisque sa mise en liberté constituait un danger pour l’ordre public.

10. À une date non précisée, le parquet sollicita la prolongation de la détention provisoire du requérant, jusqu’au 14 septembre 2003. Par une décision du 7 août 2003, en vertu de l’article 148 § 1 h) du CPP, le tribunal départemental de Bihor fit droit à la demande du parquet et ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant du 16 août au 14 septembre 2003. Le tribunal nota que le requérant était accusé d’avoir commis une infraction grave. Il estima en outre que la prolongation de la détention se justifiait pour un bon déroulement du procès pénal et afin d’empêcher le requérant de se soustraire aux poursuites pénales.

11. Le 14 août 2003, un coïnculpé du requérant fut appréhendé et placé en détention provisoire.

12. Le 8 septembre 2003, sur demande du parquet, le tribunal départemental de Bihor ordonna, une nouvelle fois, la prolongation de la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé, du 15 septembre au 14 octobre 2003, invoquant la persistance des raisons ayant initialement justifié la privation de liberté.

13. Par un réquisitoire du 3 octobre 2003, le requérant et son coïnculpé furent renvoyés en jugement du chef de trafic de drogue. Le requérant était également accusé d’avoir commis une infraction de faux et usage de faux.

14. À une date non précisée, le parquet sollicita du tribunal départemental de Bihor la prolongation de la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé, invoquant la subsistance des raisons ayant initialement justifié leur privation de liberté. Par un jugement avant dire droit du 8 octobre 2003 la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé fut prolongée jusqu’au 13 novembre 2003, pour les raisons invoquées par le parquet.

15. Le 10 novembre 2003, le même tribunal prolongea, avec la même motivation, la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé jusqu’au 19 décembre 2003. Le requérant forma un recours contre ce jugement. Devant la cour d’appel d’Oradea, il allégua l’absence d’indices confirmant son implication dans le trafic de drogue et l’application erronée de l’article 148 § 1 h) du CPP.

16. Par une décision du 13 novembre 2003, la cour d’appel rejeta le recours du requérant comme mal fondé, jugeant que le requérant avait eu l’intention de transporter un sac contenant des drogues vers l’Allemagne, et que, de ce fait, le danger social des faits reprochés au requérant subsistait.

17. Après le 15 décembre 2003, le tribunal départemental de Bihor saisi du jugement de l’affaire au fond, ajourna à plusieurs reprises l’instance. À chacune de ces audiences, la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé fut prolongée de 30 jours, au motif que les raisons ayant initialement justifié leur privation de liberté demeuraient. Le tribunal se fonda sur les mêmes motifs pour rejeter les demandes de révocation de la mesure de détention ou celles de son remplacement par une simple interdiction de quitter la ville ou le pays, demandes formulées par le requérant lors des audiences des 15 décembre 2003, 1er juin, 13 juillet, 7 septembre, 5 octobre et 25 novembre 2004, 18 janvier, 15 février, 15 mars, 12 avril et 10 mai 2005.

18. Le 29 juin 2004, un autre coïnculpé du requérant fut appréhendé et placé en détention provisoire.

19. Le requérant forma un recours contre la décision de prolongation de de sa détention provisoire du 2 novembre 2004, soulignant qu’il n’y avait pas de preuves certaines démontrant qu’il avait commis les infractions reprochées ou que sa mise en liberté aurait constitué un danger pour l’ordre public. Par une décision définitive du 5 novembre 2004, la cour d’appel d’Oradea rejeta le recours du requérant comme mal fondé. La cour d’appel jugea que le danger public caractérisant les faits imputés au requérant imposait son maintien en détention provisoire.

20. La détention provisoire du requérant fut ensuite prolongée à plusieurs reprises jusqu’au 24 juin 2005. La Cour n’est pas en possession des décisions prises après le 2 novembre 2004.

21. Au cours de la procédure, les autorités judiciaires entendirent plusieurs témoins, réalisèrent des perquisitions domiciliaires et des expertises et plusieurs éléments de preuve furent recueillis par des commissions rogatoires.

22. Le 24 juin 2005, le tribunal départemental de Bihor condamna le requérant à douze ans de prison ferme pour trafic de drogue, faux et usage de faux. Le requérant interjeta appel de ce jugement.

23. Par une décision du 3 novembre 2006, la cour d’appel d’Oradea accueillit partiellement l’appel du requérant, l’acquitta du chef de trafic de drogue, maintint sa condamnation pour faux et le condamna à un an de prison ferme pour faux et usage de faux.

24. Le requérant fut remis en liberté à cette date.

25. Le parquet et le requérant se pourvurent en cassation contre cette décision.

26. Par un arrêt du 4 juin 2008, la Haute Cour de cassation et de justice accueillit le recours du parquet et, rejugeant l’affaire, condamna le requérant à six ans de prison ferme pour tentative de trafic de drogue. La Haute Cour rejeta le recours du requérant comme mal fondé.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

27. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale étaient ainsi libellées à l’époque des faits :

Article 141 § 1
Le recours contre la décision concernant une mesure provisoire adoptée au cours du jugement par un tribunal

« La décision avant dire droit rendue en première instance ou en appel, ordonnant, révoquant, remplaçant, mettant fin, maintenant ou constatant la cessation de droit d’une mesure de détention provisoire, peut faire l’objet d’un recours formé par l’inculpé, ou par le procureur, indépendamment du jugement sur le fond. (...) »

Article 143
La garde à vue

« 1. L’autorité de poursuite peut placer une personne en garde à vue si des preuves ou indices raisonnables montrent que celle-ci a commis un fait prohibé par la loi pénale.

2. La garde à vue doit être prononcée dans les cas prévus par l’article 148, quelle que soit la durée de la peine applicable pour le fait reproché.

3. Il existe des indices raisonnables si, au vu des données de la cause, la personne faisant l’objet de poursuites peut être soupçonnée d’avoir commis le fait reproché. »

Article 148 § 1
Conditions à remplir et cas où s’impose la détention de l’inculpé

« 1. La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée si les conditions prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants :

(...)

h) la perpétration par l’inculpé d’un crime ou d’un délit pour lequel la loi prévoit une peine d’emprisonnement supérieure à 4 ans et l’existence de preuves certaines que son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. »

Article 159 § 8
La prolongation de la détention provisoire au cours des poursuites pénales

« Le procureur ou l’inculpé peuvent introduire un recours contre la décision avant dire droit par laquelle le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire dans un délai de vingt-quatre heures à partir de son prononcé ou de sa communication. Le recours doit être examiné avant l’expiration de la durée de la détention provisoire. »

28. Conformément aux articles 160 b) et 160 c) du code de procédure pénale, le procureur ou l’inculpé peuvent introduire également un recours contre la décision avant dire droit par laquelle le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire après le renvoi en jugement, dans un délai de vingt-quatre heures à partir de son prononcé ou de sa communication.

29. L’essentiel de la pratique interne relative à la notion de « danger pour l’ordre public » prévue par l’article 148 § 1 h) du CPP est décrit dans l’affaire Mujea c. Roumanie ((déc.), no 44696/98, 10 septembre 2002) et dans l’arrêt Calmanovici c. Roumanie (no 42250/02, § 41, 1er juillet 2008).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

30. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et du défaut de justification du maintien de cette mesure par les tribunaux internes, en méconnaissance de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A. Sur la recevabilité

31. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

32. Le requérant souligne qu’il a été maintenu en détention provisoire pendant plus de trois ans, du 17 juillet 2003 jusqu’au 3 novembre 2006 et estime que cette période était excessive. Il conteste la motivation du tribunal départemental qui aurait utilisé des motifs d’ordre général, comme la gravité des faits, sans invoquer des éléments concrets.

33. Le Gouvernement soutient que le droit roumain prévoit des voies de recours que le requérant aurait pu utiliser à l’encontre des décisions de prolongation de sa détention provisoire (paragraphe 27 et 28 ci-dessus). À cet égard, il renvoie à l’affaire Degeratu c. Roumanie (no 35104/02, § 39, 6 juillet 2010), dans laquelle la Cour a conclu qu’en utilisant ladite voie de recours, l’intéressé aurait pu soulever devant les juridictions internes le défaut de motivation suffisante et pertinente de la prolongation de la mesure de détention provisoire et obtenir, le cas échéant sa remise en liberté. Dans la présente affaire, le requérant a formé uniquement à deux reprises des recours contre les décisions de prolongation de la détention provisoire. Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la période à prendre en considération équivaut à la détention correspondant à ces deux décisions de prolongation, à savoir environ deux mois.

34. Selon le Gouvernement, les juridictions nationales ont justifié régulièrement avec des motifs pertinents et suffisants la nécessité de prolonger la détention provisoire. Elles ont examiné de plus, sur demande du requérant, la possibilité d’adopter des mesures alternatives à la détention (paragraphe 17 ci-dessus). Pour ce qui est de la manière dont les autorités nationales ont mené l’enquête, le Gouvernement souligne en premier lieu que le requérant a été renvoyé en jugement moins de trois mois après son arrestation. Il fait valoir également que les autorités judiciaires ont fait preuve de diligence, en procédant à l’administration de nombreuses preuves et à l’audition d’un nombre important de témoins (paragraphe 21 ci-dessus). Il souligne à cet égard le caractère extrêmement complexe de l’affaire, attesté par le type des faits reprochés aux inculpés, le nombre d’inculpés et l’ampleur des investigations effectuées, requises par le trafic international de drogues. En conséquence, les autorités internes auraient fait preuve de diligence dans la conduite de la procédure, malgré le fait que le requérant aurait essayé de prolonger cette procédure.

2. L’appréciation de la Cour

a) La période à prendre en considération

35. La Cour rappelle que la période couverte par l’article 5 § 1 c) de la Convention prend généralement fin à la date où il est statué sur le bien‑fondé de l’accusation portée contre l’intéressé, fût-ce seulement en première instance (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 104, CEDH 2000‑XI, et Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 66, 28 novembre 2002). S’agissant de la période à prendre en considération sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, la Cour rappelle qu’elle est la même que pour l’article 5 § 1 c) (Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 107, CEDH 2006‑III (extraits)).

36. La Cour note que le requérant a formé un recours contre les décisions prolongeant sa détention, notamment celles prononcées les 10 novembre 2003 et 2 novembre 2004. En outre, à plusieurs reprises, il a demandé aux autorités de remplacer la détention par une autre mesure préventive, non privative de liberté (paragraphe 17 ci-dessus).

37. La Cour rappelle qu’il ressort de nombreuses décisions prononcées dans différentes requêtes qu’aux fins de l’épuisement des voies de recours internes, un requérant n’est pas tenu de faire appel contre chaque ordonnance portant sur la prolongation de sa détention provisoire. Elle réitère également que l’article 35 § 1 de la Convention n’exige pas qu’un requérant, après avoir utilisé un recours réputé efficace, en l’occurrence le recours à l’encontre des décisions prolongeant la détention provisoire, doive encore nécessairement en utiliser d’autres (voir, notamment, Hajoł c. Pologne, no 1127/06, § 77, 2 mars 2010).

38. De l’avis de la Cour, les deux recours formés par le requérant ont donné à la juridiction de recours une occasion de se prononcer sur les motifs avancés par le tribunal départemental de Bihor pour maintenir le requérant en détention, lesquels n’ont pas changé au fil du temps, et de remédier à la situation en tenant compte de la durée globale de la détention. Par ailleurs, vu la fréquence à laquelle les tribunaux nationaux doivent statuer d’office sur une détention provisoire, l’on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir introduit de recours contre chaque décision rendue à ce sujet (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 56, 28 octobre 2010). Enfin, la Cour estime que, lors de l’examen des diverses demandes du requérant tendant au remplacement de la détention provisoire avec des mesures non privatives de liberté, le tribunal a eu l’occasion d’analyser ses arguments tendant à sa remise en liberté.

39. Eu égard aux considérations ci-dessus, la Cour relève que, dans la présente affaire, la période visée par l’article 5 § 3 a commencé le 17 juillet 2003, date de l’arrestation du requérant, et a pris fin le 24 juin 2005, date de sa condamnation en première instance (Mihuţă c. Roumanie, no 13275/03, §§ 23-24, 31 mars 2009). Cette période a donc duré un an, onze mois, et huit jours. La Cour estime que ce délai est suffisamment long pour pouvoir poser problème sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention.

b) La justification de la détention provisoire

40. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite (Patsouria c. Géorgie, no 30779/04, § 62, 6 novembre 2007). Tout maintien en détention provisoire d’un accusé, même pour une courte durée, doit être justifié de manière convaincante par les autorités (voir, parmi d’autres, Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003-I, et Musuc c. Moldova, no 42440/06, § 41, 6 novembre 2007).

41. La Cour rappelle également que, dans sa jurisprudence, elle a développé quatre raisons fondamentales acceptables pour la détention provisoire d’un accusé suspecté d’avoir commis une infraction : le danger de fuite de l’accusé (Stögmuller c. Autriche, 10 novembre 1969, § 15, série A no 9) ; le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, n’entrave l’administration de la justice (Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, § 14, série A no 7), ne commette de nouvelles infractions (Matzenetter c. Autriche, 10 novembre 1969, § 9, série A no 10) ou ne trouble l’ordre public (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207).

42. En l’espèce, la Cour note que la détention provisoire a été prolongée du 17 juillet 2003 au 24 juin 2005 au seul motif qu’une éventuelle remise en liberté du requérant troublerait l’ordre public, étant donné la gravité des faits qu’on lui reprochait.

43. La Cour reconnaît que, par leur gravité particulière et par la réaction du public à leur accomplissement, certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire, au moins pendant un temps. Toutefois, elle note qu’un tel danger décroît nécessairement avec le temps et que, dès lors, les autorités judiciaires doivent présenter des motivations encore plus spécifiques pour justifier la persistance des raisons de la détention (I.A. c. France, précité, §§ 104-105). La poursuite de la détention ne se justifie donc dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle (Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, § 61, CEDH 2003‑IX (extraits)).

44. Dans le cas d’espèce, la Cour constate que les tribunaux n’ont fourni aucune explication pour justifier en quoi la remise en liberté du requérant aurait un impact négatif sur l’ordre public. La Cour estime que le renvoi systématique à la gravité des faits commis ne saurait suppléer le défaut de motivation concrète, sur la base de faits pertinents liés à la personne du requérant, de l’existence d’une menace pour l’ordre public ou de tout autre motif conforme à la jurisprudence de la Cour.

45. La Cour estime que, en n’énonçant pas de faits concrets quant aux risques encourus en cas de remise en liberté de l’intéressé, en n’envisageant pas des mesures alternatives et en choisissant de s’appuyer principalement sur la gravité des faits commis sans examiner le cas particulier du requérant, les autorités n’ont pas fourni de motifs « pertinents et suffisants » pour justifier la nécessité de maintenir l’intéressé en détention provisoire pendant la période en cause.

46. Enfin, la Cour observe que, dans toutes les décisions en question, les juridictions internes ont prolongé la détention provisoire du requérant sans répondre aux arguments invoqués par ce dernier et sans avoir égard à sa situation particulière. Elle considère qu’une telle approche n’est pas compatible avec les garanties prévues par l’article 5 § 3 de la Convention.

47. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de rechercher de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, mutatis mutandis, Calmanovici, précité, § 101).

48. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

49. Invoquant l’article 5 § 1, c), de la Convention, le requérant se plaint de son placement en détention provisoire le 18 juillet 2003, sans qu’il y ait eu des raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction, mais uniquement en application de l’article 148 § 1 h) du CPP. Sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention, il estime que, le fait, pour les procureurs, d’invoquer l’article 148 § 1 h) du CPP afin de justifier son placement en détention provisoire, représente une atteinte à la présomption d’innocence. Le requérant invoque enfin l’article 7 de la Convention et se plaint d’avoir été condamné pour des faits qui ne constituaient pas l’élément matériel de l’infraction de trafic de drogue (article 2 § 2 de la loi no 143/2002).

50. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé en l’espèce aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

52. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel correspondant aux pertes financières de la société commerciale dont il était le gérant et associé. Il demande en outre 50 000 EUR au titre du dommage moral qu’il aurait subi à raison de sa condamnation pour tentative de trafic de drogues et faux.

53. Le Gouvernement souligne que le requérant n’a pas fourni de pièces justificatives et soutient qu’il n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et les prétendues violations. Il estime en outre qu’un éventuel constat de violation pourrait constituer, par lui-même, une réparation satisfaisante du préjudice moral prétendument subi par le requérant.

54. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour observe que le requérant n’a pas produit de justificatifs à l’appui de sa demande et qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les faits l’ayant conduite à conclure à la violation de la Convention et le préjudice matériel dont le requérant demande l’indemnisation. Partant, elle rejette cette demande.

55. En outre, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage moral tel qu’allégué par le requérant. En effet, la Cour note qu’elle a constaté une violation de l’article 5 § 3 de la Convention compte tenu de la durée déraisonnable de la détention provisoire du requérant, alors que le dommage moral invoqué par celui-ci a trait à sa condamnation pénale par les tribunaux roumains. Dès lors, elle rejette également cette demande.

B. Frais et dépens

56. Le requérant n’a pas présenté de demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable du requérant.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-122170
Date de la décision : 09/07/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Durée de la détention provisoire;Caractère raisonnable de la détention provisoire)

Parties
Demandeurs : HAMVAS
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LUTAI I.G.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award