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27/06/2017 | CEDH | N°001-174618

CEDH | CEDH, AFFAIRE CHIPER c. ROUMANIE, 2017, 001-174618


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE CHIPER c. ROUMANIE

(Requête no 22036/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juin 2017

DÉFINITIF

13/11/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Chiper c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,


Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mai 2017...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE CHIPER c. ROUMANIE

(Requête no 22036/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juin 2017

DÉFINITIF

13/11/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Chiper c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mai 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22036/10) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Mihai Chiper (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Liscan, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier avoir subi une violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention en raison de sa condamnation au pénal, sans nouvelle administration directe des preuves, par un arrêt définitif rendu le 12 novembre 2009 par la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »), ce alors qu’il avait été acquitté en première instance.

4. Le 23 octobre 2013, le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant l’absence d’administration directe des preuves par la Haute Cour a été communiqué au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1973 et réside à Bucarest.

6. Il était officier de police judiciaire au sein du département des enquêtes pénales (Direcția cercetări penale) de l’Inspection générale de la police roumaine. En 2006, il fut chargé d’effectuer des actes administratifs d’enquête dans le cadre d’une procédure dans laquelle L.A.C., P.B.I., C.C.C. et M.C.A. étaient coïnculpés. Ces derniers se trouvaient en détention provisoire.

A. L’enquête pénale menée contre le requérant

7. À une date non précisée, trois des coïnculpés susmentionnés, à savoir L.A.C., P.B.I. et C.C.C. (« les plaignants »), déposèrent une dénonciation pénale (denunț) contre le requérant. Ils lui reprochaient d’avoir sollicité de leurs proches, par l’intermédiaire de N.I., le versement de sommes d’argent, en échange, d’une part, d’une autorisation de recevoir des visites et des colis en détention, ce qui à leurs yeux relevait normalement de ses fonctions et, d’autre part, de son intervention en leur faveur auprès des juges de la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») en charge des décisions relatives à leur maintien en détention provisoire. Selon les déclarations des plaignants, leurs proches avaient donné des sommes d’argent à A.O. et L.A., respectivement l’amie et l’épouse de L.A.C., lesquelles auraient été chargées de les remettre à N.I., intermédiaire à leurs dires imposé par le requérant.

8. Des témoins furent interrogés par le parquet. N.I. nia avoir agi comme intermédiaire entre le requérant et A.O., tout en indiquant qu’il connaissait cette dernière, qu’il contribuait à son entretien et qu’elle lui devait de l’argent. A.O. et L.A. présentèrent la même version des faits que les plaignants. D’autres témoins, entendus par le parquet, affirmèrent que les proches des plaignants avaient sollicité leur aide pour rassembler des sommes d’argent en vue de la remise en liberté des intéressés.

9. Le parquet examina les registres du lieu de détention des plaignants. Il releva que, concernant ces derniers, plusieurs sorties de cellule avaient été consignées mais qu’aucun acte d’enquête n’avait été réalisé à ces occasions.

10. Le parquet ordonna l’ouverture de poursuites pénales contre le requérant des chefs de corruption active et de trafic d’influence, ainsi que contre N.I., A.O. et L.A. du chef de complicité de corruption active et passive et de trafic d’influence.

11. Par un réquisitoire du 18 décembre 2007, le parquet près la Haute Cour renvoya le requérant en jugement des chefs de corruption passive et de trafic d’influence. Il lui était reproché d’avoir, par l’intermédiaire de N.I., demandé aux plaignants, au nom desquels auraient agi L.A. et A.O., le versement de sommes d’argent afin que lui-même facilite les visites de la famille, qu’il permette la réception de colis en détention et qu’il intervienne en leur faveur, dans le but d’obtenir leur remise en liberté, auprès des juges de la cour d’appel chargés d’examiner la nécessité de leur maintien en détention provisoire.

12. Le parquet indiquait que l’enquête pénale avait également permis d’établir les évènements suivants : des sommes d’argent avaient été remises à N.I. par A.O. et L.A. ; le requérant avait suggéré à certains des plaignants de choisir l’avocate S.A. pour les représenter dans la procédure pénale, ce que ces derniers avaient accepté ; la détention provisoire des plaignants ayant été prolongée, L.A. avait demandé au requérant de lui restituer les sommes versées ; A.O., n’ayant pas réussi à entrer en contact avec le requérant pour lui demander le remboursement de l’argent, avait demandé à S.A. son aide pour le joindre ; le requérant avait restitué une partie de l’argent à A.O. ; mécontents de l’évolution de la procédure pénale menée à leur encontre, les plaignants avaient décidé de déposer une dénonciation pénale contre le requérant.

13. Par le même réquisitoire, le parquet ordonna la cessation des poursuites à l’égard de N.I., A.O., et L.A. au motif que les faits reprochés ne présentaient pas un degré de dangerosité sociale suffisant pour caractériser une infraction. Par ailleurs, il notait que l’impunité prévue par l’article 61 § 2 de la loi no 78/2000 relative à la prévention, à la découverte et à la sanction de faits de corruption et par l’article 255 § 3 du code pénal devait bénéficier aux plaignants, puisqu’ils avaient dénoncé les faits avant que les enquêteurs en soient saisis.

B. L’acquittement du requérant

14. L’affaire fut inscrite au rôle de la cour d’appel, qui statua en première instance.

15. Cette juridiction interrogea le requérant, vingt-deux témoins à charge – dont les trois plaignants – et trois témoins à décharge. Le requérant bénéficia de l’assistance d’un avocat pendant toute la procédure. Il assista avec ce dernier à l’interrogatoire des témoins.

16. Par un arrêt du 19 décembre 2008, la cour d’appel acquitta le requérant de tous les chefs d’accusation. Dans sa décision, elle considérait d’abord que, eu égard aux déclarations des plaignants faites devant elle, le requérant n’avait jamais directement demandé de l’argent à ces derniers, que ceux-ci ne savaient pas si des sommes d’argent avaient effectivement été versées au requérant, mais qu’ils l’avaient déduit de l’attitude du requérant à leur égard. Elle estimait que ni le contenu des dénonciations pénales ni celui des déclarations des plaignants ne prouvaient la culpabilité du requérant.

17. La cour d’appel relevait également que L.A. avait déclaré que le requérant ne lui avait jamais expressément demandé de l’argent et qu’aucune somme ne lui avait été restituée. Elle notait que N.I. avait indiqué qu’il ne savait rien au sujet d’une somme d’argent à remettre par lui au requérant et qu’il était un proche de A.O. à qui il aurait prêté de l’argent. Elle constatait que toutes les opérations de transfert d’argent avaient eu lieu par l’intermédiaire de A.O. et que cette dernière avait déclaré avoir remis de l’argent à N.I. à deux reprises, une fois en présence de L.A. et une fois en présence du requérant. La cour d’appel exposait ensuite que, dans le contexte de l’affaire, « la moralité douteuse » de A.O., qui avait une liaison avec L.A.C. tout en étant l’amie de son épouse, ne pouvait pas être ignorée.

18. Elle précisait que, pendant l’enquête pénale, l’interception des conversations téléphoniques du requérant avait été autorisée mais que le contenu des enregistrements ainsi obtenus n’était pas pertinent pour l’affaire.

19. Elle ajoutait que les déclarations des plaignants et celles des témoins A.O. et L.A. ne prouvaient pas la culpabilité du requérant et qu’elles devaient être écartées du dossier étant donné qu’elles avaient été faites pour les besoins de la cause. Elle notait encore que les autres déclarations contenues dans le dossier ne reposaient pas sur une base crédible et qu’elles ne prouvaient pas la culpabilité du requérant.

20. Enfin, elle expliquait que, pour caractériser l’infraction de trafic d’influence, il n’était pas suffisant de prouver l’élément matériel de l’infraction – à savoir la réception de l’argent – mais qu’il fallait aussi apporter la preuve de l’élément subjectif, ce qui n’était selon elle pas le cas en l’espèce. Elle exposait que, dans les affaires de ce type, les plaignants n’étaient pas des « personnes neutres » mais que, alléguant être victimes de faits de corruption, ils avaient un intérêt à la condamnation pénale de l’inculpé. Après avoir noté qu’il ressortait des déclarations des trois témoins à décharge, combinées avec les attestations émises par l’Inspection générale de la police, que l’intéressé était un officier respectueux des règles de fonctionnement de la police, la cour d’appel jugeait qu’il y avait des doutes quant à la culpabilité pénale du requérant et prononçait l’acquittement en application du principe in dubio pro reo.

C. La condamnation pénale du requérant

21. Se fondant sur l’article 38515 2) d) du code de procédure pénale (CPP) dans sa version en vigueur à l’époque des faits, le parquet forma un recours (recurs) devant la Haute Cour.

22. Le requérant fut assisté par un avocat. Il se vit communiquer les moyens de recours du parquet et il versa au dossier des observations en réponse. Il soutenait parmi d’autres qu’il y avait des contradictions entre les dépositions des témoins et que les déclarations des plaignants n’étaient pas sincères. Se référant au déroulement de l’enquête pénale (paragraphes 10 et 13 ci-dessus), il alléguait que les déclarations des plaignants et des témoins A.O. et L.A. avaient été obtenues en échange d’une promesse d’impunité et sous l’influence des enquêteurs.

1. L’interrogatoire de certains témoins

23. Selon un jugement avant dire droit du 29 avril 2009, la Haute Cour entendit le requérant au cours d’une audience tenue ce jour-là. Ce dernier était assisté par un avocat. Il nia les faits reprochés. La Haute Cour soumit aux débats la nécessité de faire interroger les témoins N.I., L.A. et A.O. Les parties ne s’y opposèrent pas. Le requérant ne demanda pas l’audition d’autres témoins.

24. Interrogé par la Haute Cour, N.I. maintint ses déclarations faites pendant l’enquête pénale et devant la cour d’appel.

25. Le 28 octobre 2009, la Haute Cour interrogea L.A, Celle-ci déclara qu’elle avait rencontré le requérant et N.I. en présence de A.O. afin de se renseigner sur les conditions pour rendre visite à son mari en prison et que, par la suite, N.I. avait appelé A.O. pour l’informer de la somme d’argent à payer. Elle indiqua qu’elle avait pris contact avec les proches des autres plaignants pour rassembler l’argent et que A.O. l’avait accompagnée pour le remettre à N.I.

26. Bien que légalement citée, A.O. ne se présenta pas devant la Haute Cour. Un mandat d’amener fut alors émis à son nom. Après avoir effectué des démarches pour la retrouver, l’agent chargé de délivrer le mandat informa la Haute Cour qu’il s’était déplacé à plusieurs reprises à l’adresse de A.O. connue des autorités, qu’elle ne s’y trouvait plus, qu’aucun changement d’adresse n’avait été consigné dans les registres de la police et que, d’après ses voisins, A.O. était partie en France. Constatant l’impossibilité d’assurer la présence de A.O. pour être interrogée, à l’audience du 28 octobre 2009, la Haute Cour renonça à l’interroger.

2. L’arrêt de la Haute Cour

27. Par un arrêt définitif du 12 novembre 2009, la Haute Cour cassa l’arrêt rendu en première instance et, se fondant sur l’article 38515 2) d) du CPP, elle accueillit le recours du parquet, changea la qualification juridique des faits reprochés au requérant en corruption passive et trafic d’influence commis par un fonctionnaire exerçant des attributions de contrôle, et condamna l’intéressé à une peine de trois ans de prison ferme.

28. S’agissant de l’établissement des faits, la Haute Cour nota que l’existence d’une rencontre entre le requérant, N.I., A.O. et L.A., en dehors du cadre professionnel du premier, avait été confirmée par tous les participants, y compris par le requérant. Elle observa également que l’existence d’une rencontre entre le requérant, N.I., A.O. et L.A. pour la remise de la première partie de l’argent avait été confirmée par les témoins P.M. et M.C., que les déclarations de L.A. et de N.I. faisaient apparaître le montant des sommes d’argent remises et le contenu des conversations tenues en cette occasion, que les témoins G.I., N.S., C.C., D.S., B.C.G., A.O. et P.C. avaient expliqué la manière dont les sommes demandées par le requérant auraient été rassemblées par les plaignants, et que certains des témoins avaient connaissance de l’implication du requérant dans les faits.

29. Après avoir examiné et interprété les déclarations des plaignants, la Haute Cour estima que celles-ci – en elles-mêmes et combinées avec les autres preuves administrées dans l’affaire – montraient que les plaignants avaient connaissance de l’implication du requérant dans les faits et qu’elles prouvaient la culpabilité de ce dernier. La Haute Cour se référa ensuite aux déclarations des témoins A.O. et L.A., observant que celles-ci avaient maintenu leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales – L.A. ayant été entendue également pendant la procédure devant la Haute Cour – et avaient indiqué qu’elles avaient directement rencontré le requérant et que celui-ci s’était impliqué dans tout ce qui concernait l’octroi de droits de visite, l’autorisation de recevoir des colis et la remise en liberté des personnes arrêtées.

30. La Haute Cour indiqua également que tous les autres témoins interrogés dans l’affaire (D.S., M.V., N.S.I., N.I., J.M.I., P.E., C.A., B.C.G., B.G., J.A.L., S.A.) avaient maintenu leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales, et qu’ils n’étaient revenus sur aucune de leurs affirmations. Elle fit ensuite référence aux témoignages de B.C.G. et S.A. S’agissant de B.C.G., elle souligna que celle-ci avait déclaré en première instance avoir directement demandé au requérant la restitution de l’argent donné pour le plaignant C.C.C. et que l’intéressé lui avait répliqué que, ne l’ayant pas sur lui, il ne pouvait pas le lui rendre. S’agissant de l’avocate S.A., la Haute Cour exposa que la déclaration de cette dernière démontrait l’implication du témoin A.O. dans les faits et faisait apparaître que ce témoin avait choisi de chercher à joindre l’inculpé et non N.I. pour récupérer l’argent.

31. La Haute Cour affirma ensuite que la juridiction de première instance avait jugé erronément que les déclarations des témoins dénonciateurs L.A.C., P.B.I., C.C.C., A.O. et L.A. avaient été effectuées pour les besoins de la cause, et qu’elle les avait écartées à tort. La Haute Cour considéra en effet que, d’une part, les nombreux détails qui se trouvaient dans ces déclarations et, d’autre part, la manière dont celles-ci se combinaient avec les autres preuves administrées dans l’affaire rendaient lesdites déclarations indispensables pour établir la réalité des faits présentés. Elle ajouta que ces déclarations ne pouvaient pas être soupçonnées d’avoir été faites dans le but de protéger un intérêt commun.

32. S’agissant du rejet par la juridiction de première instance de la déclaration de A.O. pour des raisons liées à la moralité de cette dernière, la Haute Cour estima que ce raisonnement n’était pas défendable. À cet égard, elle expliqua que, d’une part, la situation de ce témoin était connue et acceptée par la famille L. (la famille de L.A.C. et L.A.) et que, d’autre part, A.O. était également l’amie de N.I., qui l’aurait entretenue financièrement et par l’intermédiaire duquel elle aurait connu le requérant. Or, selon la Haute Cour, si le raisonnement de la juridiction du fond devait être considéré comme valable, il mènerait à la conclusion que la moralité de ce témoin affectait sa crédibilité à l’égard de toutes ses relations, et pas seulement à l’égard d’une partie d’entre elles. La Haute Cour ajouta que l’immoralité des relations personnelles d’un témoin n’impliquait pas, de manière automatique, le manque de sincérité de ses déclarations et conclut que, au regard de l’ensemble des preuves administrées, qui confirmaient selon elle les affirmations du témoin A.O., ces dernières étaient concluantes et crédibles.

33. La Haute Cour tint enfin le raisonnement suivant :

« La Haute Cour note également que dans l’affaire il n’y a pas de doutes (...) [sur la régularité] des conditions dans lesquelles les témoignages ont été recueillis par les organes de poursuites pénales (...). Il n’y a pas de preuve que des pressions physiques ou psychiques auraient été exercées sur les [plaignants] et sur les témoins par le procureur ni que des promesses leur auraient été faites (...).

Au contraire, la manière naturelle et logique dont ces déclarations s’étayent réciproquement, se complètent et se combinent avec les autres preuves (les déclarations des [plaignants], les témoignages, les documents du département des enquêtes pénales, à savoir les registres d’accès dans les locaux, les registres de sortie du local de détention, les notes de sortie, les demandes formées par les personnes arrêtées et les membres de leurs familles, les enregistrements audio des conversations) exclut tout doute quant à l’impartialité et à l’objectivité de ceux qui les ont faites.

S’agissant des déclarations du témoin N.I. – bien [que ce dernier n’affirme pas] avoir demandé ou reçu de l’argent et [ne fasse pas mention] de promesses relatives à un trafic d’influence – elles établissent de manière claire et certaine le contact existant entre [le requérant] et les familles des personnes détenues (...). De même, ces déclarations démontrent l’intérêt manifesté par ces familles (...) pour l’obtention de facilités pour les personnes arrêtées (...).

Il est vrai que ce témoin affirme que [le requérant] devait informer ces personnes des « voies et modalités légales » [pour rencontrer les personnes arrêtées] ; toutefois, la manière même dont la première rencontre entre [le requérant] et les témoins L.A. et A.O. a été organisée démontre que le témoin [N.I.] connaissait le caractère illicite de l’opération.

Par ailleurs, accusé lui-même de complicité dans les infractions reprochées [au requérant], le témoin N.I. a choisi d’adopter au cours de la procédure une attitude lui permettant de défendre ses propres intérêts ainsi que ceux de son filleul [le requérant]. »

34. Le requérant purgea sa peine du 13 novembre 2009 au 6 juin 2011, date à laquelle il fut remis en liberté conditionnelle.

D. La plainte pénale du requérant contre les témoins A.O. et L.A.

35. Le 16 novembre 2011, le requérant saisit le parquet près le tribunal départemental de Bucarest d’une plainte pénale contre A.O. et L.A. pour faux témoignage.

36. Interrogées par le parquet, A.O. et L.A. dirent que le requérant ne leur avait jamais directement demandé de l’argent et qu’elles ne lui en avaient jamais directement donné.

37. Le 17 février 2012, le parquet près la cour d’appel entama des poursuites pénales contre A.O. et L.A. du chef de faux témoignage.

38. Les parties n’ont pas informé la Cour de la suite de cette procédure.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

39. Les dispositions du CPP pertinentes en l’espèce, dans leur version en vigueur à l’époque des faits, sont les suivantes :

Article 67

« Les parties peuvent proposer des éléments de preuve pendant le procès pénal et demander qu’ils soient examinés.

(...)

La décision d’accueillir ou de rejeter une demande [de preuve] doit être motivée. »

Article 38515

« Lorsqu’il statue sur un recours (recurs), le tribunal peut (...)

2. faire droit au recours, infirmer la décision attaquée et (...)

d) inscrit l’affaire à son rôle et la juge à nouveau (...) »

Article 38516

« Lorsque le tribunal qui a statué sur le recours (recurs) inscrit l’affaire à son rôle et la juge à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions prévues dans la partie spéciale, titre II, chapitre II, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement de décision de condamnation. »

Article 38519

« Lorsqu’un premier jugement a été infirmé, le deuxième procès se déroule conformément aux dispositions des chapitres I (le procès - Dispositions générales) et II (le procès en première instance) du titre II, qui s’appliquent mutatis mutandis. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

40. Le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable, alléguant qu’il a été condamné par la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») en l’absence d’administration directe des preuves, et plus particulièrement des témoignages, alors qu’il avait été acquitté par la cour d’appel sur le fondement de ces mêmes preuves. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

41. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

42. Le requérant soutient que la procédure devant la Haute Cour visait l’examen de l’affaire en fait et en droit et que, selon les dispositions légales en vigueur à l’époque des faits, il n’appartenait pas à l’inculpé de demander sa confrontation avec les témoins.

43. Il expose que les déclarations des témoins sont contradictoires, qu’il a soulevé cet aspect sans succès devant les juridictions internes, et que lesdites déclarations ne sont pas confirmées par d’autres moyens de preuve. Il avance qu’aucun des témoins interrogés n’a déclaré lui avoir directement donné de l’argent.

44. Le requérant estime insuffisantes les démarches faites par la Haute Cour pour interroger le témoin A.O. et il indique que, lors d’une plainte pénale qu’il aurait ultérieurement formée contre A.O. pour faux témoignage (paragraphe 35 ci-dessus), il aurait été établi que celle-ci vivait en Italie et non pas en France (paragraphe 26 ci-dessus). Il estime, d’une part, que A.O. a joué un rôle important dans le déroulement des faits et, d’autre part, que les déclarations de cette dernière sont contradictoires, et que par conséquent la Haute Cour aurait dû entendre celle-ci.

b) Le Gouvernement

45. Le Gouvernement relève que, en l’espèce, la juridiction de recours a interrogé deux témoins, ce qui n’était pas le cas dans d’autres affaires précédemment examinées par la Cour. Il précise que, dans le but d’éclaircir la question de l’existence de l’élément subjectif des infractions reprochées à l’intéressé, la Haute Cour a interrogé les témoins ayant pu avoir une connaissance directe des faits en cause et du comportement de l’accusé.

46. Le Gouvernement indique ensuite que la Haute Cour a pris les mesures nécessaires pour interroger un troisième témoin, à savoir A.O., mais que son interrogatoire n’a pu avoir lieu, son adresse à l’étranger étant inconnue.

47. Il considère également que les témoins que le requérant reproche à la juridiction de recours de ne pas avoir interrogés avaient été, au cours de la procédure, constants dans leurs déclarations. Il assure que la Haute Cour a motivé sa décision en fait et en droit et qu’elle a constaté la cohérence des déclarations desdits témoins avec d’autres preuves, notamment avec les documents écrits versés au dossier. Il soutient que la Haute Cour a expliqué pour quelle raison elle avait jugé dénuée de fondement la décision de la cour d’appel d’écarter toutes ces déclarations au motif qu’elles avaient été faites pour les besoins de la cause.

48. Il argue que ni le requérant ni son avocat n’ont sollicité pendant la procédure de recours l’audition de témoins ou la confrontation de l’intéressé avec les témoins à charge.

49. Il plaide enfin, concernant les allégations de manque de crédibilité des dépositions des témoins à charge, qu’il n’y a aucune décision judiciaire condamnant lesdits témoins du chef de faux témoignage.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

50. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit : il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 60, CEDH 2006‑XII).

51. Les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). Elle doit examiner si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev c. Estonie, no 22574/08, § 39, 26 avril 2016).

52. La Cour rappelle encore que l’admissibilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). En particulier, l’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins ; il n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge : ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière (Destrehem c. France, no 56651/00, § 39, 18 mai 2004).

53. Cependant, même s’il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin, des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, série A no 158, § 89, et Destrehem, précité, § 41).

54. En outre, la Cour a déjà déclaré que, lorsqu’une juridiction d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans une appréciation directe des témoignages présentés en personne soit par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, parmi beaucoup d’autres, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII) soit par les témoins ayant déposé pendant la procédure (voir, par exemple, Găitănaru c. Roumanie, no 26082/05, §§ 32 et 35, 26 juin 2012, Flueraş c. Roumanie, no 17520/04, §§ 59 et 61, 9 avril 2013, et Hogea c. Roumanie, no 31912/04, §§ 52 et 54, 29 octobre 2013). À cet égard, la Cour souligne que l’évaluation de la fiabilité d’un témoin est une tâche complexe qui ne peut généralement pas être menée à bien par la simple lecture des déclarations écrites (voir Dan c. Moldova, no 8999/07, § 33, 5 juillet 2011, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, et, concernant l’audition de témoins dont la crédibilité est mise en cause, Destrehem, précité, § 45).

55. Certes, il existe des cas où il est impossible pour un tribunal de faire interroger un témoin, par exemple si l’intéressé est décédé ou lorsqu’il s’agit de respecter son droit de ne pas s’incriminer lui-même (Craxi c. Italie (no 1), no 34896/97, § 86, 5 décembre 2002, et Dan, précité, § 33).

56. La Cour rappelle enfin avoir déjà considéré dans des affaires similaires que la juridiction de recours était tenue de prendre d’office des mesures pour entendre directement des témoins, nonobstant l’absence de sollicitation expresse du requérant (voir, par exemple, Sigurþór Arnarsson c. Islande, no 44671/98, § 38, 15 juillet 2003, Manolachi c. Roumanie, no 36605/04, § 50, 5 mars 2013 et, plus récemment, Lazu, précité, § 42).

b) Application de ces principes à la présente espèce

57. La Cour note que le requérant se plaint exclusivement que la Haute Cour, qui l’a condamné alors qu’il avait été acquitté en première instance, n’a pas procédé à un interrogatoire direct de tous les témoins. La Cour doit examiner si, dans ces conditions, la procédure dans son ensemble a été équitable.

58. La Cour rappelle avoir déjà constaté dans des affaires similaires que, dans le système judiciaire roumain tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, la compétence des juridictions saisies par la voie du recours n’était pas limitée aux seules questions de droit. En effet, la procédure applicable dans ce cadre était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, et la juridiction de recours pouvait décider soit de confirmer l’acquittement du requérant prononcé par la juridiction inférieure soit de déclarer celui-ci coupable au terme d’une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve (Moinescu c. Roumanie, no 16903/12, § 36, 15 septembre 2015).

59. En l’espèce, le requérant, assisté par un avocat, a pu participer à la procédure interne et il a été entendu tant par la juridiction de première instance que par la juridiction de recours. Par ailleurs, il n’est pas contesté devant la Cour que le requérant a eu la possibilité de poser des questions aux témoins lors de leur interrogatoire en première instance par la cour d’appel. Aucun grief n’a été formulé au sujet d’une éventuelle méconnaissance de l’article 6 §§ 1 et 3 d) lors de la procédure devant cette dernière (voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 47). Partant, la Cour examinera le grief du requérant uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

60. La Cour constate que, après avoir entendu les témoins et les trois plaignants, la cour d’appel a jugé que leurs déclarations ne prouvaient pas la responsabilité pénale du requérant et a prononcé son acquittement (paragraphes 17 à 20 ci-dessus). Elle souligne que la cour d’appel a écarté les déclarations des plaignants et des témoins L.A. et A.O., considérant que celles-ci avaient été effectuées pour les besoins de la cause (paragraphe 19 ci-dessus).

61. La Cour note que le jugement de la cour d’appel a fait l’objet d’un recours du parquet. Le requérant, assisté par un avocat, a été informé des moyens de ce recours (paragraphe 22 ci-dessus). Il était donc conscient que, en vertu des dispositions légales applicables (paragraphe 21 et 39 ci-dessus), la Haute Cour avait la possibilité d’infirmer le jugement contesté et de rejuger l’affaire.

62. La Cour observe que, en effet, la Haute Cour a procédé à un nouvel examen de la question de la culpabilité de l’intéressé (paragraphes 27 à 33 ci-dessus). Elle relève que cette juridiction a fondé son arrêt sur les preuves constituées par les déclarations des plaignants et des témoins (paragraphes 29 et 30 ci-dessus ; voir Lazu, précité, § 36 et, pour une situation différente, Ursu c. Roumanie (déc.), no 21949/04, § 40, 4 juin 2013). S’il est vrai que la Haute Cour a fait référence dans son arrêt à d’autres preuves – des écrits et un enregistrement de conversations – il n’en reste pas moins que, d’après le libellé de son arrêt, ces dernières preuves à elles seules ne pouvaient pas fonder la condamnation du requérant (paragraphe 33 ci-dessus).

63. Cela étant, la Cour constate que la présente affaire se distingue de celles qu’elle a précédemment examinées et dans lesquelles la juridiction de recours n’avait satisfait à l’obligation de prendre des mesures en vue d’un interrogatoire à l’égard d’aucun des témoins dont elle avait apprécié la crédibilité (voir, par exemple, Găitănaru, Flueraş, Moinescu, Kashlev, Lazu, précités). En effet, en l’espèce, la Haute Cour a fait des démarches pour interroger trois témoins, à savoir N.I., A.O. et L.A. À cet égard, la Cour se doit de rappeler que l’article 6 § 3 d) laisse, en principe, le soin aux juridictions nationales de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins (Destrehem, précité, § 39). Elle considère que, bien qu’il soit nécessaire pour la juridiction qui condamne pour la première fois un inculpé d’apprécier directement les preuves sur lesquelles elle fonde sa décision, il ne s’agit pas là d’une règle automatique qui rendrait un procès inéquitable pour la seule raison que la juridiction en cause n’a pas entendu tous les témoins mentionnés dans son arrêt et dont elle a dû apprécier la crédibilité. Il convient également de prendre en compte la valeur probante des témoignages en cause (voir, mutatis mutandis, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 131, CEDH 2011).

64. À ce sujet, la Cour remarque que, en l’occurrence, les trois témoins que la Haute Cour a souhaité interroger étaient les seuls, parmi l’ensemble des témoins interrogés dans l’affaire, à avoir participé directement à l’accomplissement des faits reprochés au requérant, soit en agissant comme intermédiaire, soit en sollicitant les services de l’intéressé. Elle remarque encore que ces trois témoins avaient également fait l’objet de poursuites pénales pour leur implication dans les faits reprochés au requérant (paragraphes 10 et 13 ci-dessus). En outre, la Cour note que la Haute Cour a établi les faits et interprété les autres preuves du dossier afin d’établir la responsabilité pénale de l’intéressé, en se référant toujours au contenu des déclarations des témoins N.I., A.O. et L.A et parfois à la déclaration même du requérant (paragraphes 28 et 29 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que les dépositions de ces trois témoins étaient susceptibles d’emporter la décision sur l’affaire.

65. La Cour note ensuite que, afin d’interroger les témoins N.I., A.O. et L.A. dans le cadre de la procédure de recours, la Haute Cour a appliqué des règles de procédure interne lui permettant d’examiner le fond de l’affaire et de procéder à une nouvelle administration des preuves (paragraphe 39 ci-dessus ; voir, pour une situation différente, Lazu, précité, § 38). Ainsi, elle a soumis au débat des parties la nécessité de faire interroger les témoins N.I., A.O. et L.A., et les parties ne s’y sont pas opposées (paragraphe 23 ci-dessus). Certes, A.O. n’a finalement pas été interrogée pendant la procédure de recours. Cela étant, il ne se dégage pas des renseignements dont dispose la Cour que les autorités internes n’aient pas été diligentes et n’aient pas entrepris les démarches utiles pour la faire comparaître au procès (paragraphe 26 ci-dessus ; voir, pour une situation différente, Ben Moumen c. Italie, no 3977/13, § 49, 23 juin 2016).

66. La Cour considère que, en prenant des mesures afin d’interroger des témoins, la Haute Cour n’a pas seulement permis aux parties de s’exprimer sur la nécessité d’interroger certains témoins qu’elle-même avait jugé utile d’entendre pour éclaircir l’affaire ; elle leur a également donné la possibilité de faire usage des dispositions légales applicables en vue de lui demander, si elles l’estimaient nécessaire, de faire interroger d’autres témoins (paragraphe 39 ci-dessus). Or le requérant, qui bénéficiait pourtant de l’assistance d’un avocat, n’a pas demandé à la Haute Cour l’audition d’autres témoins (paragraphes 23 ci-dessus ; voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 46, et Destrehem, précité, §§ 45-47). Par ailleurs, la Cour observe que, selon le droit interne, si le requérant avait formulé une demande de preuve, la Haute Cour aurait dû, le cas échéant, motiver une décision de rejet relativement à cette demande (paragraphe 39 ci-dessus).

67. Il est vrai que la Haute Cour a renversé l’arrêt de la cour d’appel après avoir réexaminé les déclarations des plaignants – auxquelles elle s’est référée dans son arrêt – et avoir apprécié leur crédibilité mais sans interroger les intéressés (paragraphes 29 et 31 ci-dessus). Toutefois, la Cour rappelle qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235‑B). La Cour n’a pas à s’ériger en juge de quatrième instance et les juridictions internes sont mieux placées pour apprécier la crédibilité des témoins et la pertinence des preuves dans une affaire donnée (voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 48).

68. En outre, rien dans le dossier ne permet de conclure que la Haute Cour a agi de manière arbitraire dans l’appréciation de ces preuves. La Haute Cour a expliqué dans son arrêt les raisons pour lesquelles elle avait considéré que la décision de la cour d’appel d’écarter les déclarations des témoins et des plaignants au motif qu’elles avaient été effectuées pour les besoins de la cause était, à son avis, erronée (paragraphe 31 à 33 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 150, CEDH 2015 et, pour une situation différente, Lazu, précité, § 39).

69. Dans la présente affaire, puisque la juridiction de recours a entrepris des démarches pour interroger les témoins qu’elle estimait nécessaire d’entendre et qu’elle a donné au requérant l’opportunité de solliciter l’interrogatoire des témoins de son choix, la Cour ne saurait conclure que la procédure dans son ensemble n’a pas été équitable, et ce d’autant plus que la Haute Cour a expliqué pour quelles raisons elle avait été amenée à s’écarter des conclusions de la juridiction inférieure quant à l’appréciation de la crédibilité de certains témoignages.

70. Partant, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliGanna Yudkivska
GreffièrePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-174618
Date de la décision : 27/06/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : CHIPER
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LISCAN A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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