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23/04/2013 | CEDH | N°001-118641

CEDH | CEDH, AFFAIRE LAURUC c. ROUMANIE, 2013, 001-118641


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE LAURUC c. ROUMANIE

(Requête no 34236/03)

ARRÊT

STRASBOURG

23 avril 2013

DÉFINITIF

23/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lauruc c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos, r>Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 avril 2013,

Re...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE LAURUC c. ROUMANIE

(Requête no 34236/03)

ARRÊT

STRASBOURG

23 avril 2013

DÉFINITIF

23/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lauruc c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 avril 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 34236/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mihai Lauruc (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M. Lauruc, avocate à Sighetul Marmaţiei. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu et puis par Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier que son arrestation et sa détention provisoire avaient méconnu l’article 5 de la Convention et que, pendant cette détention, il avait subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

4. Le 7 juillet 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1964 et réside à Sighetul Marmaţiei. A l’époque des faits, il était homme d’affaires et actionnaire principal d’une société commerciale qui possédait des cuves de stockage de carburant.

A. La procédure pénale dirigée contre le requérant

7. En 2002, le parquet près la Cour suprême de justice déclencha une enquête relative à des transactions commerciales qui avaient été effectuées entre plusieurs sociétés, dont celle du requérant, et qui portaient sur la distribution de carburant. L’enquête visait une dizaine de personnes, dont certaines furent placées en détention provisoire.

8. Le 25 avril 2002, le parquet ordonna le placement en détention provisoire du requérant. Celui-ci était accusé d’avoir commis une escroquerie à l’occasion de la signature, en décembre 2001, d’un contrat de livraison de carburant, qui aurait provoqué pour une société commerciale un préjudice de 28 milliards de lei roumains (ROL), soit l’équivalent d’environ 1 million d’euros (EUR).

9. Le requérant contesta son placement en détention. Par un arrêt du 29 avril 2002, le tribunal départemental de Prahova ordonna la libération de l’intéressé au motif qu’il n’y avait pas d’indices de culpabilité susceptibles de justifier une privation de sa liberté au cours de la procédure.

10. Le 24 janvier 2003, le requérant fut à nouveau arrêté et placé en détention provisoire pour trente jours sur ordre du parquet qui l’accusait d’escroquerie et de faux en écritures. Il était soupçonné d’avoir participé à l’importation, entre octobre et décembre 2001, de plusieurs centaines de tonnes de carburant industriel qui avait été ensuite revendu comme étant du gazole à des sociétés commerciales. Le parquet estima la détention justifiée au motif qu’il y avait des indices permettant de penser que le requérant avait l’intention d’entraver l’enquête et que la peine encourue était supérieure à deux ans de prison.

11. Le requérant entama une grève de la faim pour protester contre son incarcération et, le 28 janvier 2003, il contesta l’ordre de placement en détention émis par le parquet. Il allégua que les affirmations du parquet quant à son intention présumée d’entraver l’enquête étaient dépourvues de tout fondement. Il ajouta qu’il n’y avait aucun indice concret permettant de le soupçonner d’avoir commis ces infractions et que les accusations du parquet reposaient uniquement sur le témoignage d’un coïnculpé animé par la volonté de se disculper en rejetant la faute sur lui. La plainte du requérant fut envoyée au tribunal départemental de Prahova qui l’enregistra le 17 février 2003.

12. Le 31 janvier 2003, le requérant, toujours en grève de la faim, fut transféré à l’hôpital de la prison de Jilava-Bucarest.

13. Le 4 février 2003, le parquet demanda au tribunal départemental de Prahova la prolongation de la détention provisoire du requérant et de six autres personnes. Il indiqua que plusieurs contrôles des sociétés commerciales impliquées dans la commercialisation de carburant étaient en cours.

14. Le requérant, toujours hospitalisé, n’assista pas à l’audience du tribunal du 6 février 2003. Il fut représenté par deux avocats de son choix qui s’opposèrent à la demande du parquet.

15. Le tribunal accueillit la demande du parquet et prolongea la détention de l’ensemble des accusés. Il constata que les infractions qui étaient reprochées à ceux-ci étaient graves et qu’elles avaient causé un préjudice très important à des particuliers, à diverses sociétés commerciales et au budget de l’Etat. Il estima que les motifs qui avaient justifié le placement en détention étaient toujours valables et il qu’une éventuelle remise en liberté ébranlerait la confiance du public dans la justice. Le pourvoi que le requérant présenta contre cette décision du tribunal fut rejeté, en l’absence de l’intéressé qui était représenté par ses avocats, par un arrêt du 18 février 2003 de la cour d’appel de Ploieşti.

16. Répondant à une lettre de l’épouse du requérant – qui était également son avocate – par laquelle celle-ci demandait l’octroi d’un droit de visite, le parquet l’informa que, tant que durerait sa grève de la faim, certains droits du requérant étaient suspendus, sans préciser quels étaient ces droits.

17. Le 19 février 2003, le tribunal départemental de Prahova examina, en l’absence du requérant toujours hospitalisé, la plainte que celui-ci avait introduite le 28 janvier 2003 contre l’ordre de placement en détention. Il constata qu’il n’y avait pas d’indices permettant de conclure que le requérant eût l’intention d’entraver l’enquête, mais il rejeta toutefois la plainte au motif que les infractions qui étaient reprochées à l’intéressé étaient graves et que la peine encourue était supérieure à deux ans de prison. Il observa en tout état de cause qu’il n’y avait pas lieu d’examiner la question de la régularité du placement en détention dès lors que cette mesure avait déjà été prolongée le 6 février 2003.

18. Le 20 février 2003, le requérant mit fin à la grève de la faim. Il demeura hospitalisé jusqu’au 26 février 2003 et bénéficia d’un régime adapté à la reprise progressive de l’alimentation. A cette dernière date, il fut transféré à la prison de Ploieşti.

19. A l’audience du 26 février 2003, tenue en l’absence du requérant qui était représenté par ses avocats, la cour d’appel de Ploieşti rejeta le pourvoi formé contre le jugement du 19 février 2003.

20. Ultérieurement, le tribunal départemental de Prahova puis le tribunal départemental de Bacău auquel l’affaire fut transférée sur demande du requérant prolongèrent tous les trente jours la détention provisoire du requérant et des autres accusés, estimant que, en raison de la gravité et de l’ampleur des faits qui étaient reprochés aux intéressés, leur remise en liberté heurterait l’opinion publique et affaiblirait sa confiance dans la justice. Les pourvois du requérant furent rejetés. L’intéressé, assisté de ses avocats, participa à ces audiences. Dans les décisions de prolongation de la détention rendues les 22 mai et 1er juillet 2003 on pouvait lire notamment :

« Même si les inculpés apporteraient des garanties de présentation à chaque audience et jusqu’à la fin de la procédure, [leur libération] susciterait des commentaires défavorables à l’adresse de la justice et l’opinion publique aurait l’impression que la justice ne garde en détention que les voleurs de poules, alors que les personnes accusés d’avoir commis des fraudes de milliards sont libérés. » et « Certes, les gens honnêtes sont indignés et (...) dans cette période de pauvreté généralisée, quand les hôpitaux ferment en raison du manque de financement, le tribunal est obligé de tenir compte du pouls de l’opinion publique. »

21. Le 21 mai 2003, le requérant fut transféré à la prison de Bacău.

22. A l’occasion de l’examen des demandes du parquet visant à la prolongation de la détention provisoire du requérant, ce dernier récusa l’ensemble des juges du tribunal départemental de Bacău, exprimant des doutes quant à leur impartialité. Il récusa également l’ensemble des magistrats de la cour d’appel de Bacău, au motif qu’ils se seraient déjà prononcés sur sa culpabilité. Le dossier fut transmis à la Cour suprême de justice qui rejeta la demande de récusation, l’estimant non étayée et formulée dans des termes trop vagues. Par ailleurs, la Cour suprême infligea au requérant une amende civile de 5 millions de ROL, soit environ 130 EUR, pour abus de procédure, estimant que ses demandes répétées de récusation constituaient une entrave à la procédure.

23. Le 29 août 2003, le requérant fut remis en liberté à la suite de l’admission, par la cour d’appel de Bacău, le 26 août 2003, de son pourvoi contre la dernière prolongation de la détention provisoire.

24. Par un jugement du 3 mai 2005, le tribunal départemental de Braşov, auquel l’affaire avait été attribuée sur demande du requérant, renvoya le dossier au parquet et annula l’ensemble des actes déjà effectués au motif que l’enquête avait été menée de manière irrégulière et en contradiction flagrante avec les exigences du procès équitable.

25. Par un réquisitoire du 4 avril 2008, le parquet renvoya le requérant devant le tribunal pour l’infraction d’escroquerie liée à l’importation et à la revente de carburant et retint le chef d’accusation d’escroquerie commise à la signature du contrat de livraison de carburant.

26. Le 1er décembre 2010, le parquet mit fin aux poursuites concernant ce dernier chef d’accusation au motif que le requérant n’était nullement impliqué dans la signature et l’exécution dudit contrat.

27. Par un jugement du 19 décembre 2012, le tribunal de première instance de Braşov relaxa le requérant au motif qu’il n’avait commis aucune infraction à l’occasion de l’importation et de la revente de carburant. Le parquet fit appel de ce jugement. A ce jour, la procédure est toujours pendante.

B. Les conditions de détention à la prison de Bacău

28. Le requérant a séjourné à la prison de Bacău du 21 mai 2003 au 29 août 2003, date de sa remise en liberté. Selon les informations fournies par le Gouvernement et non contestées par le requérant, celui-ci a occupé successivement deux cellules, chacune d’une superficie de 19,47 m2 et prévue pour quinze détenus.

29. Le 5 juillet 2003, le requérant déclara qu’il commençait une grève de la faim pour protester contre les persécutions dont il estimait être l’objet.

30. Le Gouvernement soutient que, après un entretien avec la direction de la prison, le requérant a renoncé à la grève. L’intéressé conteste cette affirmation, soutenant qu’il a poursuivi la grève et que la direction de la prison a refusé de lui octroyer une assistance médicale et de le transférer dans une cellule individuelle destinée aux détenus en grève de la faim.

31. Les 15 et 17 juillet 2003, le requérant réitéra sa protestation et informa la direction de la prison qu’il était en grève de la faim depuis plusieurs jours et qu’il n’avait pas reçu de soins. Il fut transféré dans une cellule individuelle. Entre le 18 et le 30 juillet, date à laquelle il mit fin à la grève, il fut examiné quotidiennement par le médecin de la prison.

32. Le requérant affirme que sa cellule était sale, qu’elle ne contenait qu’un lit en fer sans matelas et qu’il y a été amené sans vêtements et sans chaussures.

33. Le Gouvernement soutient que la cellule était propre et meublée correctement et que l’état de santé du requérant a été quotidiennement surveillé.

34. Par une action introduite devant le tribunal de première instance de Bacău, le requérant se plaignit de la limitation qui aurait été apportée à ses droits de la défense pendant sa grève de la faim. Il dénonçait également l’absence d’assistance médicale et le refus de le transférer dans une cellule individuelle pendant sa grève de la faim.

35. Par un jugement du 4 mai 2004, le tribunal rejeta la plainte, estimant que les affirmations du requérant n’étaient pas étayées. L’intéressé n’interjeta pas appel contre ce jugement.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

36. Les dispositions relatives aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté et aux voies de recours, ainsi que les observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) rendues à la suite des visites qu’il a effectuées dans des prisons de Roumanie sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).

37. Les dispositions relatives au placement en détention provisoire par un procureur et au maintien en détention provisoire au cours d’une procédure pénale, en vigueur à l’époque des faits, sont résumées dans l’arrêt Pantea c. Roumanie (no 33343/96, § 150, CEDH 2003‑VI).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

38. Le requérant se plaint d’avoir subi un traitement inhumain et dégradant en raison des conditions de sa détention dans la prison de Bacău et en raison d’une absence de soins médicaux pendant sa grève de la faim. Il dénonce une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

39. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

40. S’agissant des allégations concernant l’absence de soins médicaux, la Cour note que le requérant a omis d’interjeter appel contre le jugement du tribunal de première instance de Bacău qui avait estimé que ses allégations à ce sujet n’étaient pas étayées.

41. Au vu de cette omission, la Cour considère qu’il y a lieu de rejeter cette partie du grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

42. Quant à la partie du grief concernant les conditions de détention dans la prison de Bacău, la Cour constate qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

43. Le requérant affirme qu’il a été détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes.

44. Le Gouvernement expose que, à l’exception de la période où il faisait la grève de la faim, le requérant a été détenu dans des cellules de 19,47 m2 avec quatorze autres détenus. Ces cellules auraient été équipées de l’eau courante, de toilettes et de douches, d’un mobilier adéquat, de chauffage et de fenêtres.

45. Par conséquent, compte tenu de la durée de la détention dans la prison de Bacău, le Gouvernement estime que la situation concrète du requérant n’a pas atteint le minimum de gravité requis pour être considérée comme un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

46. La Cour rappelle que, si les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients, son incarcération ne lui fait toutefois pas perdre le bénéfice des droits garantis par la Convention.

47. Elle rappelle en outre que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément essentiel à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (voir, en ce sens, Ciucă c. Roumanie, no 34485/09, § 41, 5 juin 2012, et Pavalache c. Roumanie, no 38746/03, § 94, 18 octobre 2011).

48. Faisant application des principes susmentionnés à la présente espèce, la Cour se penchera sur le facteur qui est primordial en l’espèce, à savoir l’espace personnel accordé au requérant à la prison de Bacău où il a été incarcéré de mai à août 2003.

49. Selon les données communiquées par le Gouvernement, le requérant a disposé la majeure partie du temps passé dans cette prison d’un espace personnel de 1,29 m2. La Cour, rappelant que la norme recommandée par le CPT est de 4 m² d’espace individuel (paragraphe 36 ci-dessus), conclut que le requérant a vécu dans une grande promiscuité.

50. Pour la Cour, les conditions de détention infligées au requérant ont, du fait de l’état de surpopulation carcérale, dépassé le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3 de la Convention. La durée relativement courte de la détention ne change rien à ce constat (voir, mutatis mutandis, Pop Blaga c. Roumanie, no 37379/02, § 46, 27 novembre 2012).

51. Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison de la surpopulation carcérale dans la prison de Bacău.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

52. Le requérant se plaint d’avoir été illégalement arrêté le 24 janvier 2003. Il se plaint également de ne pas avoir été aussitôt traduit devant un juge et allègue que les juridictions internes n’ont pas justifié la nécessité de le maintenir en détention provisoire. Enfin, il se plaint du délai d’examen de la plainte qu’il a déposée le 28 janvier 2003 contre l’ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le procureur, et reproche aux juridictions qui ont statué sur cette plainte d’avoir tenu leurs audiences en son absence.

53. Il invoque l’article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention, qui dispose :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci (...)

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

54. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Sur la justification du placement en détention du requérant

a) Thèses des parties

55. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant allègue que le procureur qui a ordonné son placement en détention n’a nullement indiqué quels éléments permettaient de croire qu’il avait l’intention d’entraver le déroulement de l’enquête et d’empêcher la découverte de la vérité. Il souligne que le tribunal départemental de Prahova, dans son jugement du 19 février 2003, a observé qu’il n’y avait pas d’indices dans ce sens.

56. Enfin, le requérant considère que, si le parquet estimait qu’il présentait une menace pour l’ordre public, il aurait dû étayer cette affirmation par des éléments concrets liés à sa personne. Or le parquet se serait borné à évoquer de manière abstraite la gravité et la complexité des infractions qui lui étaient reprochées. Selon le requérant, le caractère dangereux d’une infraction pour l’ordre social ne peut pas justifier, à lui seul, le placement en détention provisoire.

57. Le Gouvernement soutient que le placement en détention du requérant a été exécuté selon les voies légale prévues à l’époque des faits en droit interne. A cet égard, il rappelle que le procureur a fondé la mesure sur l’article 148 d) et h) du code de procédure pénale qui autorise le placement en détention lorsqu’il existe des indices permettant de croire que l’accusé essaye d’empêcher la découverte de la vérité, lorsque l’infraction est punie d’une peine de prison supérieure à deux ans et lorsque le maintien en liberté de l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public.

58. Le Gouvernement indique en outre que l’ordre du procureur a fait l’objet d’un contrôle par les juridictions internes, qui ont estimé que les pièces du dossier, auxquelles s’ajoutait la déclaration d’un coïnculpé accusant le requérant d’agissements illégaux, justifiaient le placement de ce dernier en détention provisoire.

59. Compte tenu du caractère complexe des infractions qui lui étaient reprochées, de leur gravité et du nombre de personnes impliquées, le Gouvernement estime que le placement en détention du requérant répondait au besoin de préserver l’ordre public.

b) Appréciation de la Cour

60. La Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l’article 5 § 1 de la Convention renvoient pour l’essentiel à la législation nationale et consacrent l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. L’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de cet article : protéger l’individu contre l’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, et Scott c. Espagne, 18 décembre 1996, § 56, Recueil 1996-VI).

61. Dès lors, toute décision prise par les juridictions internes dans la sphère d’application de l’article 5 doit être conforme aux exigences procédurales et de fond fixées par une loi préexistante. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne entraîne un manquement à la Convention et la Cour peut et doit vérifier si ce droit a été respecté (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 171, CEDH 2004-II, et Pantea, précité, § 220).

62. La Cour rappelle qu’elle a déjà abouti plusieurs fois à un constat de violation de l’article 5 § 1 dans des affaires où le placement en détention provisoire était basé sur une menace à l’ordre public qui n’était pas motivée. La Cour a même constaté que l’absence de motivation était une pratique courante des procureurs à l’époque où ces derniers avait le pouvoir de décider le placement en détention des prévenus (Pantea, précité, §§ 222 et 223, Tase c. Roumanie, no 29761/02, § 29, 10 juin 2008, et Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 66, 1er juillet 2008).

63. En l’espèce, la Cour doit se pencher sur la question de savoir si la mise en détention provisoire du requérant le 24 janvier 2003 par ordre du procureur a été effectuée selon les voies légales prévues par l’article 148 d) et h) du code de procédure pénale, à savoir si elle était motivée par le risque que le requérant faisait courir à la découverte de la vérité ou par la menace qu’il constituait pour l’ordre public.

64. S’agissant du risque d’entrave à la justice, la Cour note que le tribunal départemental de Prahova a écarté cet argument, estimant qu’il n’y avait pas d’indices permettant de conclure que le requérant eût l’intention d’empêcher la découverte de la vérité.

65. Quant à la dangerosité du requérant pour l’ordre public s’il était laissé en liberté, la Cour observe que, hormis l’énumération des infractions dont il était accusé et l’indication selon laquelle la peine qu’il encourait était supérieure à deux ans, le parquet n’a pas autrement étayé l’affirmation concernant l’existence d’un tel danger. De surcroît, la Cour note que, en 2002, le requérant avait déjà fait l’objet, dans le cadre de la même procédure, d’une mesure similaire qui avait été annulée pour absence de motifs pouvant justifier la privation de liberté au cours de la procédure. Par rapport à ce premier placement en détention, seule une nouvelle déclaration faite par un coïnculpé est venue s’ajouter aux pièces du dossier, entraînant une deuxième arrestation du requérant sous d’autres chefs d’accusation. Or, si le procureur pouvait juger cette déclaration crédible, force est de constater qu’il a omis d’énoncer les raisons pour lesquelles il estimait que la liberté du requérant, après la déclaration de ce coïnculpé, aurait présenté une menace pour l’ordre public.

66. Enfin, la Cour estime que le fait que l’ordre du procureur a été l’objet, sur contestation du requérant, d’un examen devant les juridictions internes ne saurait remédier à l’absence de motivation de cet ordre ; elle observe de plus qu’un tel examen est intervenu trop tard pour avoir un quelconque effet, puisque la détention avait déjà été prolongée (paragraphe 17 ci-dessus).

67. Dans ces circonstances, la Cour estime que le Gouvernement n’a apporté aucun élément pertinent pour distinguer, sur ce point, la présente affaire des affaires précitées. Partant, la méconnaissance des « voies légales » par le procureur lors du placement en détention provisoire du requérant le 24 janvier 2003 a emporté violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention.

2. Sur le droit d’être traduit aussitôt devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires

a) Thèses des parties

68. Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir été présenté devant un magistrat « aussitôt » après son arrestation. Il se plaint en outre de ne pas avoir assisté à l’audience du tribunal du 6 février 2003 au cours de laquelle aurait été évoquée pour la première fois la question de la légalité de sa détention.

69. Le Gouvernement admet que, selon le droit roumain, le procureur n’est pas un « magistrat » habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires au sens de l’article 5 § 3 précité et que, à l’époque des faits, le contrôle judiciaire de la détention n’était pas automatique. Il rappelle cependant que des modifications du code de procédure pénale ont été apportées depuis et que le juge est désormais seul compétent pour ordonner le placement en détention provisoire.

b) Appréciation de la Cour

70. La Cour renvoie d’emblée aux principes fondamentaux se dégageant de sa jurisprudence et déterminant les conditions dans lesquelles une personne arrêtée doit être traduite aussitôt devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, §§ 117-126, 29 mars 2010 et Pantea c. Roumanie, no 33343/96, §§ 236‑242, CEDH 2003‑VI (extraits)). A cet égard, elle rappelle par exemple qu’elle a jugé qu’une période de détention de trois jours et vingt‑trois heures sans contrôle juridictionnel allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article 5 § 3 (Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, § 66, 6 novembre 2008, et voir, également, Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 62, série A no 145‑B).

71. En l’espèce, elle ne voit aucune raison justifiant la détention du requérant pendant quatorze jours, du 24 janvier au 6 février 2003, avant qu’il ne soit traduit devant un juge ou un autre magistrat remplissant les exigences du paragraphe 3 de l’article 5 précité. Elle prend note de la modification du droit interne pertinent intervenue par la suite, mais elle estime que cette évolution législative ne saurait avoir de conséquences sur l’examen du grief soulevé par le requérant dans la présente affaire.

72. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer, de surcroît, sur la question de l’absence du requérant à l’audience du 6 février 2003, absence qui pourrait s’expliquer par son état de santé consécutif à sa grève de la faim.

73. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

3. Sur la justification de la prolongation de la détention provisoire

a) Thèses des parties

74. Invoquant toujours l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant considère que les autorités n’ont pas rempli leur obligation de justifier de manière concrète la nécessité de le maintenir en détention et, notamment, la menace pour l’ordre public qu’aurait constituée sa remise en liberté. Il allègue que les juridictions nationales ont utilisé des formules stéréotypées et générales pour justifier la prolongation de la détention provisoire.

75. Le Gouvernement évoque le caractère complexe de l’affaire, attesté selon lui par la nature et la gravité des faits reprochés au requérant, l’ampleur des investigations effectuées et le nombre de coïnculpés, dont plusieurs en détention provisoire. Il ajoute que les juridictions nationales ont justifié régulièrement, avec des motifs pertinents et suffisants, la nécessité de prolonger la mesure de détention provisoire.

76. Pour ce qui est de la manière dont l’enquête a été menée, le Gouvernement note que les autorités judiciaires ont fait preuve de diligence. Selon lui, le requérant et les autres coïnculpés ont, par des demandes successives de récusation et d’ajournement, contribué à la prolongation de cette période de détention.

b) Appréciation de la Cour

77. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite (Patsouria c. Géorgie, no 30779/04, § 62, 6 novembre 2007). Tout maintien en détention provisoire d’un accusé, même pour une courte durée, doit être justifié de manière convaincante par les autorités (voir, parmi d’autres, Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003-I, et Musuc c. Moldova, no 42440/06, § 41, 6 novembre 2007).

78. La Cour rappelle également que, dans sa jurisprudence, elle a développé quatre raisons fondamentales acceptables pour la détention provisoire d’un accusé suspecté d’avoir commis une infraction : le danger de fuite de l’accusé (Stögmuller c. Autriche, 10 novembre 1969, § 15, série A no 9) ; le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, n’entrave l’administration de la justice (Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, § 14, série A no 7), ne commette de nouvelles infractions (Matzenetter c. Autriche, 10 novembre 1969, § 9, série A no 10) ou ne trouble l’ordre public (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207).

79. Le risque de trouble à l’ordre public ne peut être invoqué de manière abstraite par les autorités. Si un tel motif peut entrer en ligne de compte au regard de l’article 5 dans des circonstances exceptionnelles et dans la mesure où le droit interne reconnaît cette notion, il ne saurait être considéré comme pertinent et suffisant que s’il repose sur des faits de nature à montrer que l’élargissement du détenu troublerait réellement l’ordre public (Letellier, précité, § 51).

80. En l’espèce, la Cour note que la détention provisoire a été prolongée du 6 février au 26 août 2003 au seul motif qu’une éventuelle remise en liberté du requérant pouvait porter atteinte à la confiance du public dans la justice.

81. Cependant, la Cour constate que les tribunaux n’ont fourni aucune explication pour justifier en quoi la remise en liberté du requérant aurait un impact négatif sur l’ordre public. Elle relève qu’ils ont, de surcroît, reconnu que le requérant ne présentait aucun risque d’entrave à l’enquête, mais qu’ils ont refusé de le remettre en liberté au motif qu’il encourait une peine de prison (paragraphe 17 ci-dessus).

82. La Cour estime que le renvoi systématique à la gravité des faits commis et à la manière dont ils auraient été perpétrés ne saurait suppléer le défaut de motivation concrète, sur la base de faits pertinents liés à la personne du requérant, de l’existence d’une menace pour l’ordre public ou de tout autre motif conforme à la jurisprudence de la Cour. Quant à la sévérité de la peine encourue, il convient de rappeler que le maintien en détention ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté en s’appuyant essentiellement et de manière abstraite sur la gravité des faits commis.

83. Enfin, la Cour observe que, dans toutes les décisions en question, les juridictions internes ont prolongé la détention provisoire du requérant sans répondre aux arguments invoqués par ce dernier et sans avoir égard à sa situation particulière. Elle considère qu’une telle approche n’est pas compatible avec les garanties prévues par l’article 5 § 3 de la Convention.

84. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que, en n’énonçant pas de faits concrets quant aux risques encourus en cas de remise en liberté de l’intéressé, en n’envisageant pas des mesures alternatives et en choisissant de s’appuyer principalement sur la gravité des faits commis sans examiner le cas particulier du requérant, les autorités n’ont pas fourni des motifs « pertinents et suffisants » pour justifier la nécessité de maintenir l’intéressé en détention provisoire pendant la période en cause.

85. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de rechercher de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, mutatis mutandis, Calmanovici, précité, § 101).

86. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

4. Sur l’observation du « bref délai » pour l’examen de la plainte contre le placement en détention et sur la non-comparution du requérant aux audiences des juridictions statuant sur cette plainte

87. Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant reproche aux tribunaux d’avoir statué tardivement et en son absence sur sa plainte contre l’ordre de placement en détention provisoire émis par le parquet.

88. Le Gouvernement estime que le laps de temps écoulé entre le dépôt de la plainte et la date à laquelle le tribunal départemental a examiné pour la première fois la légalité de la détention n’est pas incompatible avec la notion de « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Quant à l’absence du requérant à l’audience, le Gouvernement soutient qu’elle était due à l’hospitalisation de l’intéressé.

89. La Cour rappelle que le respect du droit de toute personne, au regard de l’article 5 § 4 de la Convention, d’obtenir à bref délai une décision d’un tribunal sur la légalité de sa détention doit être apprécié à la lumière des circonstances de chaque affaire (R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 42, Recueil 1997-VI). En principe, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans le minimum de temps (Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 49, 20 janvier 2005).

90. Par ailleurs, la Cour réitère que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32). Lorsqu’elle examine si l’exigence de « bref délai » a été respectée lors du contrôle juridictionnel de la régularité de l’ordonnance de placement en détention d’un requérant, la Cour estime devoir tenir compte également des différentes dispositions et des délais de procédure prévus par le droit interne (voir, mutatis mutandis, Koendjbiharie c. Pays-Bas, 25 octobre 1990, § 27, série A no 185-B).

91. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a contesté la légalité de son placement en détention par une plainte déposée auprès du parquet le 28 janvier 2003. Le 17 février 2003, cette plainte a été transmise au tribunal départemental qui l’a rejetée le 19 février 2003, constatant que son examen était caduc dès lors que la détention provisoire avait déjà été prolongée par un nouveau jugement du 6 février 2003.

92. La Cour note que le code de procédure pénale prévoit un délai de vingt-quatre heures pour le transfert de la plainte au tribunal qui se prononce alors le même jour. Or, en l’espèce, il a fallu vingt et un jours pour que la plainte du requérant, déposée auprès du parquet compétent, soit enregistrée au greffe du tribunal départemental puis deux jours pour qu’elle soit examinée par ce dernier.

93. Dès lors, la Cour constate que non seulement les délais prévus par le droit interne n’ont pas été respectés, mais que ce retard a rendu l’examen de la plainte caduc.

94. Eu égard à l’absence de justification pour les délais susmentionnés et au fait qu’il s’agissait de l’examen de la régularité de l’ordonnance de placement en détention rendue par le procureur, la Cour estime que la procédure en question ne s’est pas déroulée dans un « minimum de temps », comme l’exige l’article 5 § 4 au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, mutatis mutandis, Toma c. Roumanie, no 42716/02, § 77, 24 février 2009).

95. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer, de surcroît, sur la question de l’absence du requérant à l’audience, absence qui pourrait s’expliquer par son état de santé consécutif à sa grève de la faim.

96. Il y a eu donc violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

97. Sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant estime également que le fait d’avoir été sanctionné par une amende pour avoir demandé plusieurs fois le dépaysement du dossier pour cause de suspicion, légitime selon lui, à l’égard des magistrats a porté atteinte à son droit de contester la légalité de son maintien en détention.

98. Invoquant ensuite l’article 6 de la Convention, le requérant reproche un manque d’impartialité et une atteinte à la présomption d’innocence au procureur qui a conduit l’enquête et aux magistrats qui ont statué sur la légalité de sa détention provisoire.

99. Citant enfin l’article 8 de la Convention, le requérant allègue que, pendant sa grève de la faim, les contacts avec son épouse et son avocate ont été abusivement restreints.

100. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé en l’espèce aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

101. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

102. Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) au titre des préjudices matériel et moral qu’il aurait subis en raison de la souffrance et de la détresse causées par les violations alléguées.

103. Le Gouvernement souligne que le requérant n’a pas fourni des pièces justificatives et soutient qu’il n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et les prétendues violations. En tout état de cause, le Gouvernement considère que la somme exigée est excessive compte tenu de la jurisprudence de la Cour en la matière.

104. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation des articles 3 et 5 §§ 1 c), 3 et 4 de la Convention. Elle considère que le requérant a subi, du fait des violations en question, un préjudice moral qu’il convient de réparer. Compte tenu des circonstances de l’affaire et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 500 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

105. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 500 EUR pour ceux engagés devant la Cour. S’agissant de cette dernière somme, il fournit les copies d’un contrat d’assistance judiciaire et d’une quittance attestant du paiement de 500 EUR.

106. Le Gouvernement conteste en partie les sommes réclamées, exposant que le requérant n’a pas fourni de justificatifs pour les frais encourus devant les juridictions internes.

107. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

108. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3, 5 § 1 c), 5 § 3 et 5 § 4 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison de la surpopulation carcérale dans la prison de Bacău ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention à raison de l’absence de justification du placement en détention du requérant le 24 janvier 2003 ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention à raison du retard du contrôle judiciaire du placement en détention et de l’absence de motifs pertinents et suffisants pour justifier le maintien en détention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison du retard dans l’examen de la plainte formée par le requérant contre son placement en détention ;

6. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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