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12/05/2015 | CEDH | N°001-154767

CEDH | CEDH, AFFAIRE MAGEE ET AUTRES c. ROYAUME-UNI, 2015, 001-154767


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MAGEE ET AUTRES c. ROYAUME-UNI

(Requêtes nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

12 mai 2015

DÉFINITIF

12/08/2015

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Magee et autres c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Päivi Hirvelä, présidente,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Paul Mahoney,
K

rzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 avril 2...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MAGEE ET AUTRES c. ROYAUME-UNI

(Requêtes nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

12 mai 2015

DÉFINITIF

12/08/2015

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Magee et autres c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Päivi Hirvelä, présidente,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 avril 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et dont trois ressortissants irlandais, MM. Gabriel Magee et Colin Francis Duffy et Mme Teresa Magee (« les requérants »), ont saisi la Cour le 1er mai, le 14 mai et le 10 mai 2012, respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les premier et deuxième requérants ont été représentés par KRW Law-LLP, un cabinet de solicitors à Belfast. La troisième requérante a été représentée par Me P. Moriarty, du cabinet O’Connor & Moriarty Solicitors, basé à Lurgan. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. Addis, du Foreign & Commonwealth Office.

3. Le 25 septembre 2012, les requêtes des premier et deuxième requérants ont été communiquées au Gouvernement. Celle de la troisième requérante a été communiquée au Gouvernement le 7 novembre 2012. Tant les requérants que le Gouvernement ont produit des observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le premier requérant est né en 1972 et habite à Belfast. Le deuxième requérant est né en 1967 et habite à Lurgan. La troisième requérante est née en 1978 et habite à Craigavon.

A. Les premier et troisième requérants

5. Le 14 mars 2009, les premier et troisième requérants furent arrêtés sur la base de l’article 41 de la loi de 2000 relative au terrorisme (« la loi de 2000 ») parce qu’ils étaient soupçonnés d’être impliqués dans le meurtre d’un policier commis le 9 mars 2009. Ils furent placés en garde à vue au commissariat d’Antrim le même jour. Le premier requérant fut interrogé deux fois le 15 mars 2009 et une fois le 16 mars 2009 ; la troisième requérante fut interrogée trois fois le 15 mars 2009 et une fois le 16 mars 2009.

6. Le 16 mars 2009, sur la base du paragraphe 29 de l’annexe 8 à la loi de 2000, le Director of Public Prosecutions (« le DPP ») pria la County Court de délivrer des mandats de maintien en garde à vue (warrants for further detention) pour chacun des deux requérants de manière à conduire des interrogatoires et des examens criminalistiques. À l’audience, le premier requérant témoigna sous serment. À l’issue de l’audience, la juge de la County Court délivra des mandats autorisant leur maintien en garde à vue pendant cinq jours.

7. Au cours des cinq jours suivants, les requérants furent chacun interrogés à douze reprises.

8. Le 21 mai 2009, sur la base du paragraphe 36 de l’annexe 8 à la loi de 2000, le DPP pria la County Court de prolonger de sept jours la durée des mandats de maintien en garde à vue. Ces prolongations étaient censées permettre la poursuite de l’interrogatoire des requérants une fois recueillis les résultats d’examens criminalistiques complémentaires. Lors d’audiences distinctes conduites le 22 mars 2009, un commissaire de police (Superintendent) témoigna, sous serment, de la nécessité des prolongations et des arguments furent présentés pour le compte des premier et troisième requérants.

9. À l’issue des audiences, la juge Philpott QC rendit un jugement par écrit à l’égard du premier requérant et une décision ex tempore à l’égard de la troisième requérante. Elle fit droit aux deux demandes, autorisant le maintien en garde à vue du premier requérant jusqu’au 28 mars 2009 à 7 h 20 et le maintien en garde à vue de la troisième requérante jusqu’au 28 mars 2009 à 5 h 52. Dans son raisonnement, elle releva que les preuves criminalistiques en question étaient essentielles à l’enquête et que celle-ci était conduite avec diligence et célérité.

10. Dans son jugement et sa décision, la juge Philpott rechercha si la loi de 2000 ou l’article 5 de la Convention donnait à la juridiction appelée à accorder ou non le maintien en garde à vue un pouvoir exprès ou implicite d’examiner la régularité de l’arrestation ou d’octroyer la libération conditionnelle. Elle conclut par la négative, au motif que cette loi n’habilitait le juge qu’à statuer sur la nécessité du maintien en garde à vue. Selon elle, son contrôle se limitait donc à la question de savoir s’il était nécessaire ou non de prolonger la garde à vue au-delà de quarante-huit heures pour les besoins de l’enquête, et toute question tenant à la régularité de l’arrestation devait être tranchée devant la High Court par le biais d’un recours soit en habeas corpus soit en contrôle juridictionnel (judicial review).

(...)

C. Jonction des instances

17. Les requérants demandèrent l’autorisation de former un recours en contrôle juridictionnel contre les décisions des 21 et 22 mars 2009 par lesquelles la juge Philpott avait autorisé la prolongation des mandats de maintien en garde à vue les concernant. Ils soutenaient, premièrement, que la juge avait conclu à tort qu’une juridiction appelée à statuer sur l’octroi ou non d’un maintien en garde à vue ne pouvait pas examiner la régularité de l’arrestation. Deuxièmement, ils estimaient que la juge n’avait pas recherché si leurs gardes à vue s’imposaient en attendant les résultats des examens criminalistiques. Troisièmement, ils plaidaient que la juge n’avait pas motivé ses décisions estimant justifiées les gardes à vue. Quatrièmement, enfin, l’annexe 8 à la loi de 2000 était selon eux incompatible avec l’article 5 de la Convention.

18. Le 24 mars 2009, la High Court d’Irlande du Nord autorisa le recours en contrôle juridictionnel et examina celui-ci le 25 mars 2009.

19. Sur le premier moyen soulevé par les requérants, la High Court jugea que les paragraphes 5 et 32 de l’annexe 8 à la loi de 2000 devaient être interprétés en conformité avec les exigences de l’article 5 § 3 de la Convention telles que découlant de la jurisprudence de la Cour. Ainsi, l’examen de la régularité de la garde à vue devait selon elle inclure celui du fondement de l’arrestation, faute de quoi une personne pouvait être détenue sur la base de la loi de 2000 pendant une durée pouvant aller jusqu’à 28 jours sans que le juge ne puisse exercer le moindre contrôle sur la régularité de l’arrestation initiale, ce qui ne pouvait être conforme à la Convention. La High Court en conclut que c’était à tort que la juge Philpott s’était refusée à exercer un quelconque contrôle sur la légalité de l’arrestation des requérants, et elle annula en conséquence la décision prise par celle-ci d’accorder la prolongation des gardes à vue. Elle reconnut toutefois qu’un examen de la régularité de l’arrestation n’avait pas à comporter une analyse détaillée du fondement de la décision d’arrestation et devait tenir compte des contraintes pesant nécessairement sur bon nombre d’arrestations pour des infractions en matière de terrorisme.

20. Sur les deuxième et troisième moyens, la High Court estima que, bien qu’elle ne se fût pas attachée à rechercher directement si les requérants devaient être incarcérés et non remis en liberté en attendant le résultat des examens criminalistiques qui restaient à pratiquer, la juge avait bel et bien tenu compte de ce que la nécessité de la garde à vue justifiait la délivrance des mandats. Elle ajouta que, quoique sibyllins, les motifs exposés par la juge suffisaient à indiquer aux requérants sur quoi reposait la décision.

21. L’examen du quatrième moyen des requérants, c’est-à-dire celui tiré d’une incompatibilité de la loi de 2000 avec l’article 5 de la Convention, fut ajourné. Par un jugement rendu le 24 février 2011, la High Court d’Irlande du Nord estima dépourvue de fondement la conclusion selon laquelle l’annexe 8 était incompatible avec l’article 5 de la Convention. Elle dit en particulier que, s’il ne faisait aucun doute que « l’autorité judiciaire compétente » visée à l’article 5 § 1 c) était l’autorité compétente en matière pénale (le Magistrate – juge non professionnel – au Royaume-Uni), la Cour, dans ses arrêts Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 29, série A no 34, et McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, CEDH 2006‑X, avait bien précisé que la fonction de « juge ou autre magistrat habilité » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention pouvait être assumée par un agent autorisé par la loi à exercer un pouvoir judiciaire et n’avait pas forcément à l’être par une personne habilitée à statuer sur toute éventuelle accusation en matière pénale. Elle exposa que, si la loi de 2000 ne prévoyait pas expressément le pouvoir d’élargissement requis par l’article 5 § 3, un tel pouvoir était implicite. Elle vit également une condition de proportionnalité dans le paragraphe 32 de l’annexe 8 à la loi de 2000, en ce qu’il imposait d’établir l’existence de motifs légitimes de penser que le maintien en garde à vue de l’intéressé était nécessaire. Elle constata qu’aucune règle du dispositif légal ne prévoyait la libération conditionnelle et que, si cette question n’était pas pertinente en l’espèce, il y aurait lieu de la trancher dans toute affaire future où elle se poserait. Elle jugea que, si le paragraphe 33(3) de l’annexe 8 permettait à l’instance juridictionnelle d’interdire au demandeur ou à toute personne représentant celui-ci de prendre une quelconque part à l’audience et si le paragraphe 34 autorisait la non-divulgation d’informations au demandeur ou à toute personne le représentant, les tribunaux disposaient d’une gamme de moyens qui leur permettaient de préserver dans la mesure du nécessaire la procédure contradictoire et l’égalité des armes. Elle estima enfin qu’aucun précédent faisant autorité ne permettait d’étayer la thèse des requérants selon laquelle l’article 5 exigeait que toute personne en garde à vue fût inculpée bien avant l’expiration du délai de 28 jours fixé dans la loi de 2000.

22. Le 4 avril 2011, la High Court d’Irlande du Nord certifia qu’elle était convaincue que la décision du 24 février 2011 soulevait les points suivants d’importance générale pour le public :

« a) Les paragraphes 29(3) et 36(3)b de la partie III de l’annexe 8 à la loi de 2000 (« la Loi »), qui permettent le maintien en garde à vue pendant plus de quatre jours sont-ils compatibles avec les droits du demandeur garantis par l’article 5 §§ 1c), 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »)

1. si le respect de l’article 5 § 3 de la Convention ne peut être assuré qu’en faisant traduire un détenu devant une autorité judiciaire i) autre que la Magistrate’s Court et ii) sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre lui ;

2. si les paragraphes 1 c) et 3 de l’article 5 de la Convention doivent être interprétés conjointement comme étant des dispositions liées et comme créant un dispositif imposant que le « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » visé à l’article 5 § 3 et « l’autorité judiciaire compétente » visée à l’article 5 § 1c) soient une seule et même instance ;

3. si « l’autorité judiciaire » visée à l’annexe 8 de la Loi est le « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » visé à l’article 5 § 3 de la Convention ;

4. si les paragraphes 1 c) et 3 de l’article 5 de la Convention ne peuvent être interprétés d’une manière qui permettrait la garde à vue d’un suspect sans inculpation pendant toute la durée fixée par le Parlement, sous la seule réserve de l’obligation de l’approbation judiciaire périodique du type précisé à l’article 8 de la Loi ?

b) L’absence de pouvoir permettant d’accorder la libération conditionnelle rend-elle incompatible avec l’article 5 de la Convention le régime du maintien en garde à vue énoncé dans la partie III de l’annexe 8 à la Loi ?

c) La procédure d’octroi de l’autorisation d’un maintien en garde à vue, lorsque le suspect et son représentant en justice ont été exclus par le juge pendant une partie de l’audience (comme le permet le paragraphe 33(3) de l’annexe 8) et que des informations communiquées au juge ne le sont pas au suspect et à son représentant en justice (annexe 8, § 34(1) et (2)(f), est-elle incompatible avec l’exigence de procès contradictoire telle que posée par l’article 5 à la lumière de l’arrêt Secretary of State for the Home Department v AF (FC) & Anor [2010] 2 AC 269 ? »

23. Cependant, la High Court refusa l’autorisation de saisir la Cour suprême.

24. Le 14 novembre 2011, la Cour suprême refusa de connaître de l’affaire au motif que les demandes ne soulevaient aucun point de droit défendable d’intérêt général.

D. L’élargissement des requérants

25. Le 25 mars 2009, les requérants furent libérés sans qu’aucune charge ne fût retenue contre eux. Par la suite, les premier et troisième requérants ne furent inculpés d’aucune infraction en rapport avec le meurtre du policier.

26. Le second requérant fut aussitôt arrêté de nouveau et interrogé les deux jours suivants. Le 27 mars 2009, il fut inculpé du meurtre des deux soldats, de cinq tentatives de meurtre et de possession d’une arme à feu et de munitions. Ce même jour, il fut traduit devant un district judge qui siégeait au sein de la Magistrate’s Court de Larne. Sa demande en libération conditionnelle fut rejetée. À la suite d’audiences tenues les 6 et 23 novembre 2009, la High Court refusa la libération conditionnelle au motif qu’il existait un risque réel de récidive, l’intéressé étant soupçonné d’être associé à une organisation républicaine dissidente. Le 8 octobre 2010, elle y opposa une nouvelle fois son refus.

27. Le 7 novembre 2011, le second requérant passa en jugement devant un juge siégeant en l’absence d’un jury. Le 20 janvier 2012, il fut acquitté de tous les chefs retenus dans l’acte d’inculpation.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les pouvoirs conférés par la loi de 2000 en matière d’arrestation et de garde à vue des personnes soupçonnées de terrorisme

28. L’article 40 de la loi de 2000 dit qu’un « terroriste » s’entend de toute personne ayant commis une infraction visée par les différentes dispositions de cette même loi ou impliquée dans la perpétration, la préparation ou l’instigation d’un acte de terrorisme.

29. L’article 41(1) de cette loi permet à tout policier d’arrêter sans mandat toute personne qu’il soupçonne raisonnablement d’être un terroriste.

30. La partie II de l’annexe 8 à cette loi régit la garde à vue de ces personnes pendant les premières quarante-huit heures.

31. L’article 41(3) de cette loi impose de libérer toute personne ainsi mise en garde à vue dans les quarante-huit heures à compter du moment de son arrestation, sous réserve des paragraphes (4) à (7) ci-dessous :

« (4) Si la garde à vue d’une personne prononcée sur la base de la partie II de l’annexe 8 fait l’objet d’un contrôle et si l’autorité chargée de celui-ci n’autorise pas le maintien en garde à vue, l’intéressé (sauf s’il est détenu sur la base du paragraphe 5 ou 6 ou sur toute autre base) doit être libéré.

(5) Lorsqu’un policier entend solliciter, en vertu du paragraphe 29 de l’annexe 8, un mandat de maintien en garde à vue, l’intéressé peut rester incarcéré pendant l’examen de la demande.

(6) Lorsqu’une demande est formulée en vertu des paragraphes 29 ou 36 de l’annexe 8 concernant la garde à vue d’une personne, celle-ci peut être détenue tant qu’il n’aura pas été statué sur cette demande.

(7) Lorsqu’est accueillie une demande formulée en vertu des paragraphes 29 ou 36 de l’annexe 8 concernant la garde à vue d’une personne, celle-ci peut être incarcérée, sous réserve du paragraphe 37 de ladite annexe, pendant la durée indiquée dans le mandat. »

32. Le paragraphe 29 de l’annexe 8 à la loi de 2000 dispose que le DPP d’Irlande du Nord peut demander à une autorité judiciaire la délivrance d’un mandat de maintien en garde à vue. Aux termes de son alinéa 3, la durée du maintien est de sept jours à compter de l’heure de l’arrestation au sens de l’article 41 de la loi de 2000 sauf si une durée plus brève est indiquée dans la demande ou si l’autorité judiciaire est convaincue que, au vu des circonstances, il serait inopportun que la durée spécifiée soit de sept jours.

33. En Irlande du Nord, l’autorité judiciaire visée par la loi de 2000 est un juge de County Court ou un District Judge (Magistrate’s Court) désigné aux fins de l’application de ce texte.

34. Aux termes du paragraphe 30 de l’annexe 8, le mandat en question doit être demandé pendant la période de garde à vue initiale ou dans les six heures à compter du terme de cette période.

35. Le paragraphe 31 prévoit qu’une demande de mandat ne peut être examinée tant que l’intéressé n’aura pas reçu une notification indiquant l’introduction de ladite demande, la date et l’heure de son introduction, la date et l’heure auxquelles elle sera examinée et les motifs pour lesquels le maintien est sollicité.

36. Le paragraphe 32(1) dispose que l’autorité judiciaire ne peut délivrer un mandat de maintien en garde à vue que si elle est convaincue qu’il y a des motifs légitimes de penser que cette mesure est nécessaire et que l’enquête concernant l’intéressé est conduite avec diligence et célérité.

37. Le paragraphe 32(1A) dispose que la prolongation de la garde à vue s’impose s’il est nécessaire

« a) d’obtenir des preuves pertinentes en interrogeant l’intéressé ou par un autre moyen ;

b) de préserver des preuves pertinentes ; ou

c) dans l’attente du résultat d’un examen ou d’une analyse de toute preuve pertinente ou de tout élément qu’il faut examiner ou analyser afin d’obtenir des preuves pertinentes. »

38. Une preuve pertinente est une preuve qui se rattache à la perpétration d’une infraction visée à l’article 40 de la loi de 2000 ou un indice que la personne en garde à vue est une personne visée par cette disposition.

39. Le paragraphe 33 dispose que toute personne dont le maintien en garde à vue est demandé doit avoir la possibilité de présenter ses arguments oralement ou par écrit devant l’autorité judiciaire et d’être représenté à l’audience. Son alinéa 3 ajoute que l’autorité judiciaire peut exclure de l’audience l’intéressé ou toute personne qui le représenterait.

40. De la même manière, le paragraphe 34 permet au DPP de demander à l’autorité judiciaire d’ordonner que certains éléments d’information sur lesquels il entend s’appuyer ne soient pas communiqués à la personne dont le maintien en garde à vue est demandé ou à toute personne qui la représenterait. L’autorité judiciaire ne peut ordonner cette mesure que si elle est convaincue qu’il y a des motifs légitimes de penser que, si les informations venaient à être communiquées,

« a) la preuve d’une infraction visée par l’une quelconque des dispositions de l’article 40(1)(a) serait compromise ou détruite,

b) le recouvrement d’un bien obtenu au moyen d’une infraction visée par l’une quelconque de ces dispositions serait entravé,

c) le recouvrement d’un bien saisissable en vertu de l’article 23 ou 23A serait entravé,

d) l’arrestation, l’inculpation ou la condamnation d’une personne soupçonnée de relever de l’article 40(1)(a) ou (b) serait compliquée parce qu’elle serait alertée,

e) la prévention d’un acte de terrorisme serait compliquée parce que l’intéressé serait alerté,

f) la collecte d’informations sur la perpétration, la préparation ou l’instigation d’un acte de terrorisme serait entravée, ou

g) une personne serait touchée ou physiquement blessée. »

41. Le paragraphe 36 régit la prolongation des mandats de maintien en garde à vue jusqu’à 28 jours au maximum. Toute demande à cette fin peut conduire à la prolongation jusqu’à sept jours de la durée de la garde à vue. Toute demande qui prolongerait la durée totale de la garde à vue au-delà de 14 jours doit être présentée à un juge de la High Court ; autrement, c’est un juge de County Court ou un District Judge (Magistrate’s Court) spécialement désigné qui doit être saisi.

B. L’arrêt Ward v. Police Service of Northern Ireland [2007] 1 WLR 3013 ; [2007] UKHL 50

42. Dans son arrêt Ward v. Police Service of Northern Ireland, la Chambre des lords a jugé que la procédure prévue au paragraphe 33 de l’annexe 8 avait été conçue dans l’intérêt supérieur du détenu et non dans celui de la police. Elle a dit notamment ceci :

« 27. La réponse à cette question est que la procédure devant l’autorité judiciaire prévue au paragraphe 33 a été conçue dans l’intérêt du détenu et non dans celui de la police. Cette procédure donne à la personne visée par la demande le droit de présenter ses arguments et d’être représentée à l’audience. Toutefois, elle reconnaît aussi le caractère sensible des mesures que l’autorité judiciaire prendra éventuellement pour se convaincre, dans l’intérêt supérieur de cette personne, qu’il y a des motifs raisonnables de penser que le maintien en garde à vue sollicité est nécessaire. Plus l’examen de la question sera poussé, plus il risquera d’être sensible. Plus longue sera la durée de la prolongation autorisée, plus il sera important que les motifs de la demande fassent l’objet d’un examen minutieux et diligent.

28. En l’espèce, la nécessité pour l’autorité judiciaire de procéder à son examen risque d’empiéter sur le droit qu’a la police de ne pas divulguer, avant d’interroger un suspect, les questions qu’elle entend lui poser. En cas d’empiètement de ce type, il ne sera pas défavorable à l’intéressé d’être exclu de manière à permettre à l’autorité judiciaire d’examiner plus minutieusement cette question pour vérifier si les conditions strictes du maintien, posées au paragraphe 32, sont satisfaites. Dans cette hypothèse, ce pouvoir sera utilisé non pas au détriment du gardé à vue mais à son avantage. Comme le juge Hart l’a dit dans son jugement ex tempore, cette personne est protégée par le juge, dont la fonction est d’examiner scrupuleusement et sur tous les points les motifs sur lesquels la demande est fondée.

29. Il y aura parfois des cas où le pouvoir accordé à l’autorité judiciaire par le paragraphe 33(3) risque d’opérer en défaveur du gardé à vue. De tels cas seront vraisemblablement rares mais l’autorité judiciaire doit toujours veiller à ne pas exercer ce pouvoir ainsi. »

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

43. Les trois requêtes en la présente affaire (nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12) soulèvent les mêmes questions. Pour les raisons exposées aux paragraphes 47 à 59 ci-dessous, la Cour estime irrecevables les griefs du deuxième requérant. Elle considère toutefois que les requêtes restantes (nos 26289/12 et 29891/12) doivent être jointes, comme le permet l’article 42 § 1 du règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 c), 2 ET 3 DE LA CONVENTION

44. Les requérants estiment leur garde à vue contraire à l’article 5 §§ 1 c), 2 et 3 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

45. La Cour n’est pas liée par la qualification juridique donnée aux faits de l’espèce par un requérant (voir, par exemple, Margaretić c. Croatie, no 16115/13, § 75, 5 juin 2014). Le grief soulevé par les requérants sur le terrain de l’article 5 § 1 c) étant tiré de ce qu’ils n’aient pas été aussitôt traduits « devant un juge ou un autre magistrat », elle estime donc plus indiqué de l’examiner sous l’angle de l’article 5 § 3.

46. Le Gouvernement récuse les arguments des requérants.

(...)

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

62. Les requérants s’appuient sur l’arrêt Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, série A no 34, y voyant un précédent à l’appui de la thèse selon laquelle l’« autorité judiciaire compétente », au sens de l’article 5 § 1 c), est un synonyme ou une version abrégée de la notion de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer les fonctions judiciaires », au sens du paragraphe 3 de l’article 5. En vertu des règles régissant l’ouverture d’une procédure pénale en Irlande du Nord, la Magistrate’s Court serait l’instance devant laquelle un accusé est traduit pour sa première comparution à la suite de son inculpation. Donc, en Irlande du Nord, elle serait à la fois l’« autorité judiciaire compétente », pour les besoins de l’article 5 § 1 c), et le « juge ou autre magistrat », pour les besoins de l’article 5 § 3. Faute pour eux d’avoir été traduits devant cette instance, la garde à vue des requérants préalable à leur inculpation aurait été contraire à l’article 5 § 3.

63. Les requérants estiment en outre qu’il serait tout à fait logique que la première comparution postérieure à l’inculpation devant la Magistrate’s Court vaille traduction devant le « juge ou autre magistrat » étant donné qu’elle offrirait des garanties additionnelles contre la détention arbitraire. Cette comparution garantirait en particulier l’annonce publique et dans le plus court délai des charges retenues contre le détenu, ainsi que le contrôle du maintien en détention de celui-ci et, surtout, la possibilité de libération conditionnelle. De plus, si le maintien en détention venait à être autorisé, ce serait dans un établissement pénitentiaire et non dans un commissariat de police, lequel ne se prête guère aux incarcérations de longue durée.

64. Les requérants considèrent que, quand bien même la Cour accepterait que ce n’était pas à la Magistrate’s Court d’opérer le contrôle judiciaire de la détention prévu par l’article 5 § 3, l’« autorité judiciaire » telle qu’instituée par la loi de 2000 n’avait ni les pouvoirs ni les qualités pour satisfaire aux conditions de cette disposition.

65. Premièrement, les requérants soutiennent que la portée du contrôle opéré par l’autorité judiciaire lors du premier réexamen automatique de la détention n’était pas conforme à l’article 5 § 3. Ils font valoir que, en l’espèce, la High Court a dit que le contrôle de la régularité d’une arrestation n’avait pas à comporter une analyse détaillée du fondement de la décision d’arrestation et devait tenir compte des contraintes pesant nécessairement sur bon nombre d’arrestations pour des infractions se rapportant au terrorisme, dans le cadre desquelles des raisons de sûreté publique empêchent la communication de l’ensemble des éléments sur la base desquels les décisions d’arrestation sont prises. Ils y voient une violation de l’article 5 § 3, de tels critères empêchant selon eux le contrôle effectif de l’arrestation et de la détention imposé par cette disposition lors du premier examen automatique par un juge et ultérieurement. Dès lors, à leurs yeux, même dans l’hypothèse où la juge de la County Court se serait livrée à un raisonnement conforme aux prescriptions de la High Court, cela n’aurait pas suffi à satisfaire à l’article 5 § 3.

66. Deuxièmement, les requérants estiment que la création d’un mécanisme séparé et distinct hors des voies légales normales a pour conséquence logique de charger l’« autorité judiciaire » des deux missions de juridictionnelles requises par l’article 5 § 3 : le contrôle automatique de la détention et l’octroi ou non à l’intéressé de la libération conditionnelle en instance de jugement. Selon la jurisprudence de la Convention, la seconde mission devrait être conduite avec la diligence requise (McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, CEDH 2006‑X). Il ne serait pas contesté entre les parties que l’« autorité judiciaire » telle que constituée par la loi de 2000 n’a pas le pouvoir d’ordonner la libération conditionnelle. Or, faute de pouvoir assortir de conditions une telle libération, l’autorité judiciaire ne pourrait autoriser que la libération inconditionnelle ou le maintien en détention. Les requérants estiment que le constat est particulièrement frappant dans une affaire comme la présente, où ils auraient dû à tout le moins bénéficier d’une libération conditionnelle. Ils font valoir à cet égard que la police a cherché à prolonger leur garde à vue alors qu’ils étaient déjà détenus depuis sept jours sans avoir été inculpés ; que les interrogatoires de police étaient arrivés à leur terme – si ce n’est que les résultats des examens criminalistique n’avaient pas encore été reçus – ; que les investigations n’avaient permis de révéler aucun élément, ou aucun qui aurait suffi à les inculper ; qu’ils étaient de bonne moralité et ne risquaient pas de s’enfuir ; et qu’ils avaient droit à la présomption d’innocence.

b) Le Gouvernement

67. Le Gouvernement soutient que l’article 5 § 3 de la Convention exige essentiellement que la personne arrêtée soit aussitôt traduite devant « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Il estime que les organes judiciaires visés par l’article 5 § 1 c) et par l’article 5 § 3 n’ont pas à être identiques : en ce qu’elle impose que tout détenu soit traduit devant un juge, l’annexe 8 serait conforme à l’exigence essentielle posée à l’article 5 § 3. À l’appui de cette thèse, il évoque le libellé de l’article 5, la finalité de cette disposition ainsi que les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, CEDH 1999‑III, et Schiesser, précité.

68. Premièrement, la différence dans les formulations retenues dans l’article 5 § 1 c), d’une part, et dans l’article 5 § 3, d’autre part, montrerait que les deux organes judiciaires visés dans ces dispositions n’ont pas à être identiques.

69. Deuxièmement, dans son arrêt Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, CEDH 2010, la Cour aurait dit que l’article 5 § 3 vise à assurer que la personne arrêtée soit aussitôt physiquement conduite devant une autorité judiciaire, et les dispositions de l’annexe 8 iraient en ce même sens. Ces dispositions assureraient aussi une protection contre la détention arbitraire, le juge exerçant un contrôle indépendant sur les motifs de la détention et l’élargissement devant être prononcé si le maintien en détention ne se justifie pas. Pour le Gouvernement, suggérer que le « juge ou autre magistrat » de l’article 5 § 3 soit le même que l’« autorité judiciaire » de l’article 5 § 1 c) ne protégerait pas davantage la personne détenue, ferait primer la forme sur le fond et restreindrait sans raison légitime l’État concerné dans l’organisation de ses ressources judiciaires.

70. Troisièmement, rien dans les arrêts Schiesser ou Aquilina ne permettrait de dire que l’organe judiciaire de l’article 5 § 3 doive être identique à celui de l’article 5 § 1 c). Au contraire, la Cour aurait bien précisé dans ces arrêts que la question importante est de savoir si l’instance judiciaire en cause jouit de l’indépendance voulue vis-à-vis de l’exécutif et des parties.

71. Le Gouvernement ajoute que les requérants ont mal interprété la nature du premier contrôle obligatoire prévu par l’article 5 § 3. En premier lieu, une personne détenue dans l’un des cas prévus par l’article 5 § 1 c) n’aurait pas à être – présentement ou ultérieurement – inculpée (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 53, série A no 145‑B). Par conséquent, l’annonce publique et dans le plus court délai des charges retenues n’entrerait pas en ligne de compte dans le contrôle de la régularité de la détention prévu par l’article 5 § 3.

72. En second lieu, rien ne permettrait de conclure que le contrôle prévu par l’article 5 § 3 doit systématiquement prévoir l’élargissement du détenu en instance de jugement, sous condition ou non, pour des raisons autres que la régularité de la détention ou l’existence de raisons plausibles de le soupçonner d’une infraction pénale (McKay, précité, §§ 38‑39). Les exigences de l’article 5 § 3 se rapportant à la détention visée à l’article 5 § 1 c) et les exigences de l’article 5 § 3 se rapportant au maintien en détention provisoire (qui, elles, imposeraient d’envisager la libération conditionnelle) conféreraient des droits distincts et n’auraient apparemment aucun lien logique ou temporel (Medvedyev et autres, précité, § 119). En l’espèce, bien que la détention provisoire des requérants en fût à un stade très précoce, le juge n’aurait pu délivrer un mandat de maintien en garde à vue que s’il était convaincu que chacun des requérants était une personne légitimement soupçonnée d’avoir commis une infraction en matière de terrorisme ou un terroriste ; qu’il y avait des motifs légitimes de penser que le maintien en garde à vue de chacun d’eux était nécessaire ; et que l’enquête était conduite avec diligence et célérité. Dans ces conditions, il n’était pas nécessaire selon lui que le juge dispose du pouvoir additionnel de prononcer la libération conditionnelle des requérants.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

73. La Cour rappelle que l’article 5 de la Convention figure parmi les principales dispositions garantissant les droits fondamentaux qui protègent la sécurité physique des personnes et que trois grands principes en particulier ressortent de sa jurisprudence : les exceptions, dont la liste est exhaustive, sont d’interprétation étroite et ne se prêtent pas à l’importante série de justifications prévues par d’autres dispositions (les articles 8 à 11 de la Convention en particulier) ; la régularité de la détention, sur laquelle l’accent est mis de façon répétée, du point de vue tant de la procédure que du fond, et qui implique une adhésion scrupuleuse à la prééminence du droit ; et, enfin, l’importance de la rapidité ou de la célérité des contrôles juridictionnels requis en vertu de l’article 5 §§ 3 et 4 (McKay, précité, § 30).

74. La Cour rappelle également l’importance des garanties de l’article 5 § 3 pour la personne arrêtée. Cet article vise à assurer que la personne arrêtée soit aussitôt physiquement conduite devant une autorité judiciaire. Ce contrôle judiciaire rapide et automatique assure aussi une protection appréciable contre les comportements arbitraires, les détentions au secret et les mauvais traitements (voir, parmi d’autres précédents, Brogan et autres, précité, § 58, Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, 26 mai 1993, §§ 62‑63, série A no 258-B, Aquilina, précité, § 49, et Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 66, CEDH 2000‑VIII).

75. L’article 5 § 3, en tant qu’il s’inscrit dans ce cadre de garanties, comporte, de par son économie, deux volets distincts : les premiers stades faisant suite à une arrestation, lorsqu’une personne se trouve aux mains des autorités, et la période avant le procès éventuel devant une juridiction pénale, pendant laquelle le suspect peut être détenu ou libéré, avec ou sans condition. Ces deux volets confèrent des droits distincts et n’ont apparemment aucun lien logique ou temporel (T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 49, 29 avril 1999, McKay, précité, § 31 et Medvedyev et autres, précité, § 119).

76. Pour ce qui est du premier volet, qui concerne le stade initial de la détention, la jurisprudence de la Cour dit qu’il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue « lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction [pénale] », c’est-à-dire avant même qu’une quelconque inculpation ait pu être formulée (Brogan et autres, § 53). Un tel contrôle doit fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements, qui est à son maximum durant cette phase initiale d’une privation de liberté éventuellement prolongée à la suite d’une inculpation, et contre un abus par des agents de la force publique ou une autre autorité des pouvoirs qui leur sont conférés et qui doivent s’exercer à des fins étroitement limitées et en stricte conformité avec les procédures prescrites. Il doit répondre aux exigences exposées ci-dessous (McKay, précité, § 32).

α) Célérité

77. Le contrôle juridictionnel lors de la première comparution de la personne arrêtée doit avant tout être prompt car il a pour but de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle. Bien que chaque cas d’espèce s’apprécie à l’aune des caractéristiques qui lui sont propres (Belousov c. Ukraine, no 4494/07, § 94, 7 novembre 2013), la stricte limite de temps imposée par cette exigence ne laisse guère de souplesse dans l’interprétation, sinon on mutilerait, au détriment de l’individu, une garantie procédurale offerte par cet article et on aboutirait à des conséquences contraires à la substance même du droit protégé par lui (Brogan et autres, précité, § 62, la Cour ayant jugé dans cette affaire que des périodes de garde à vue de quatre jours et six heures sans comparution devant un juge emportaient violation de l’article 5 § 3, même dans le contexte spécial d’enquêtes sur des infractions terroristes).

78. Ce qu’il faut retenir de l’arrêt précité Brogan et autres, c’est que quand bien même, dans le cadre d’une législation de lutte contre le terrorisme, des circonstances exceptionnelles ou des difficultés particulières justifieraient un délai plus long que la normale avant que les autorités ne traduisent devant un magistrat une personne arrêtée, le premier contrôle doit intervenir dans les quatre jours qui suivent l’arrestation. Dans l’arrêt précité McKay, la Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 5 § 3 pour une personne soupçonnée de faits non relatifs au terrorisme qui avait été traduite devant un magistrat dans les quarante-huit heures qui avaient suivi son arrestation. De même, dans l’arrêt précité Aquilina, elle a reconnu que la comparution du requérant devant un magistrat deux jours après son arrestation était conforme à l’exigence de célérité. Néanmoins, si toute durée supérieure à quatre jours est a priori trop longue, dans certaines circonstances une durée plus brève peut elle aussi être contraire à l’exigence de célérité (voir les arrêts İpek et autres c. Turquie, nos 17019/02 et 30070/02, §§ 36-37, 3 février 2009, dans lequel une durée de trois jours et neuf heures n’a pas été jugée suffisamment brève s’agissant de requérants mineurs, Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, § 66, 6 novembre 2008, dans lequel une durée de trois jours et vingt‑trois heures n’a pas été jugée suffisamment brève s’agissant d’un requérant qui, arrêté pour une infraction mineure et non violente, avait déjà passé vingt-quatre heures en garde à vue avant que la police ne propose au procureur chargé du dossier de demander à la juridiction compétente de placer le requérant en détention provisoire, et Hassan et autres c. France, no 46695/10, § 89, 4 décembre 2014, dans lequel les requérants s’étaient trouvés depuis longtemps en rétention avant d’être placés en garde à vue).

β) Caractère automatique du contrôle

79. Le contrôle doit être automatique et ne peut être rendu tributaire d’une demande formée par la personne détenue. À cet égard, la garantie offerte est distincte de celle prévue par l’article 5 § 4, qui donne à la personne détenue le droit de demander sa libération. Le caractère automatique du contrôle est nécessaire pour atteindre le but de ce paragraphe, étant donné qu’une personne soumise à des mauvais traitements pourrait se trouver dans l’impossibilité de saisir le juge d’une demande de contrôle de la légalité de sa détention ; il pourrait en aller de même pour d’autres catégories vulnérables de personnes arrêtées, telles celles atteintes d’une déficience mentale ou celles qui ne parlent pas la langue du magistrat (Aquilina, précité).

γ) Caractéristiques et pouvoirs du magistrat

80. Le paragraphe 1 c) formant un tout avec le paragraphe 3 de l’article 5, l’expression « autorité judiciaire compétente » du paragraphe 1 c) est un synonyme abrégé de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » du paragraphe 3 (voir, parmi d’autres précédents, Lawless c. Irlande (no 3), 1er juillet 1961, série A no 3, et Schiesser, précité, § 29).

81. Le magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse intervenir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, comme le peut le ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention (voir, parmi de nombreux autres précédents, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, §§ 146 et 149, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l’ancien arrêt Schiesser (précitée, § 31) :

« [À] cela s’ajoutent, d’après l’article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (...) ; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement ».

82. Autrement dit, l’article 5 § 3 veut que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. et Aquilina, précités, § 41 et § 47 respectivement).

83. Le contrôle automatique initial portant sur l’arrestation et la détention doit donc permettre d’examiner la question de la régularité et celle de savoir s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction, c’est-à-dire si la détention se trouve englobée par les exceptions autorisées énumérées à l’article 5 § 1 c). S’il n’en est pas ainsi, ou si la détention est illégale, le magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner la libération (McKay, précité, § 40).

84. Toutefois, l’examen de la jurisprudence pertinente de la Cour ne permet pas de conclure que le contrôle doit systématiquement englober la question de la libération, assortie ou non de conditions, pendant la procédure pour des raisons autres que celles se rapportant à la régularité de la détention ou à l’existence de motifs plausibles de soupçonner que l’intéressé a commis une infraction. Rien ne permet donc de dire qu’en parlant, dans son arrêt Schiesser, des « circonstances qui militent pour ou contre la détention », la Cour ait fait davantage qu’indiquer que le magistrat doit avoir le pouvoir de contrôler la régularité d’une arrestation et d’une détention au regard du droit interne et leur conformité avec les exigences de l’article 5 § 1 c) (McKay, précité, § 36).

85. La Cour a déjà admis à plusieurs reprises que les enquêtes au sujet d’infractions terroristes plaçaient sans nul doute les autorités devant des problèmes particuliers (Brogan et autres, précité, § 61, Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 58, série A no 300-A, et Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 78, et autres 1996-VI). Dans l’arrêt Brogan et autres (précité, § 61), elle a expressément reconnu ceci : « [l]a difficulté (...) d’assujettir à un contrôle judiciaire la décision d’arrêter et détenir un terroriste présumé peut influer sur les modalités d’application de l’article 5 § 3, par exemple en appelant des précautions procédurales adaptées à la nature des infractions supposées ». Mais cela ne signifie pas pour autant que celles-ci aient carte blanche, au regard de l’article 5, pour arrêter et placer en garde à vue des suspects, à l’abri de tout contrôle effectif par les tribunaux internes et, en dernière instance, par les organes de contrôle de la Convention, chaque fois qu’elles choisissent d’affirmer qu’il y a infraction terroriste (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 104, CEDH 2005‑IV).

δ) La période de détention provisoire

86. Il existe une présomption en faveur de la libération. Comme la Cour l’a dit dans l’affaire Neumeister c. Autriche (27 juin 1968, p. 37, § 4, série A no 8), le deuxième volet de l’article 5 § 3 n’offre pas aux autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai raisonnable et la mise en liberté provisoire. Jusqu’à sa condamnation, la personne accusée doit être réputée innocente et la disposition analysée a essentiellement pour objet d’imposer la liberté provisoire dès que le maintien en détention cesse d’être raisonnable.

87. La poursuite de la détention ne se justifie donc dans un cas d’espèce donné que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (voir, parmi d’autres précédents, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110 et suiv., CEDH 2000‑XI).

88. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain laps de temps elle ne suffit plus. La Cour n’a pas cherché à traduire cette notion en un nombre préfix de jours, semaines, mois ou années, ou en différents délais variant selon la gravité de l’infraction (Stögmüller c. Autriche, no 1602/62, § 4, 10 novembre 1969). Une fois que l’existence de « soupçons plausibles » ne suffit plus, elle doit établir si les autres motifs avancés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. En particulier, elle doit rechercher si ces motifs étaient « pertinents » et « suffisant », et si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, parmi d’autres précédents, Letellier c. France, 26 juin 1991, § 35, série A no 207, et Yağcı et Sargın c. Turquie, 8 juin 1995, § 50, série A no 319‑A).

89. La Cour n’a pas encore eu l’occasion d’examiner dans sa jurisprudence la toute première phase de la détention provisoire dans ce contexte, probablement du fait que, dans la plupart des cas, l’existence de soupçons fournit un motif suffisant pour un placement en détention, et que l’impossibilité de bénéficier d’une mise en liberté provisoire n’est pas véritablement contestable. Cela dit, il doit indubitablement être possible de voir examiner par un juge la question d’une libération pendant la procédure car, même à ce stade, il existe des cas où, eu égard à la nature de l’infraction ou à la situation personnelle de son auteur présumé, la détention cesse d’être raisonnable ou légitimée par des motifs pertinents et suffisants. Il n’y a aucune exigence expresse de « célérité » comme à la première phrase du paragraphe 3 de l’article 5. Cependant, un tel examen, qu’il soit demandé par le requérant ou effectué à l’initiative du juge, doit intervenir rapidement pour que toute privation de liberté injustifiée soit réduite à un minimum acceptable (McKay, précité, § 46).

90. Afin que le droit garanti soit concret et effectif, et non pas théorique et illusoire, le magistrat qui procède au premier contrôle automatique de la régularité de la privation de liberté et de l’existence d’un motif de détention devrait également avoir la compétence d’examiner la question d’une mise en liberté provisoire ; non seulement il s’agirait là d’une bonne pratique mais ce serait hautement souhaitable pour réduire les délais au minimum. Toutefois, ce n’est pas une exigence posée par la Convention et il n’y a aucune raison de principe pour que ces questions ne puissent pas être examinées par deux magistrats, dans le laps de temps requis. Quoi qu’il en soit, on ne saurait avancer une interprétation qui voudrait que l’examen d’une mise en liberté provisoire soit conduit à plus bref délai que le premier contrôle automatique, pour lequel la Cour a défini un délai maximum de quatre jours (Brogan et autres, précité).

b) Application des principes généraux en l’espèce

α) Les requérants ont-ils été aussitôt traduits devant un juge ou un autre magistrat conformément aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention ?

91. Si, comme il a déjà été noté au paragraphe 80 ci-dessus, l’« autorité judiciaire compétente » au sens du paragraphe 1 c) de l’article 5 doit être regardée comme un synonyme du « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens du paragraphe 3, il ne faut pas en conclure que les organes juridictionnels chargés des différentes tâches judiciaires envisagées par ces deux provisions doivent être nécessairement les mêmes. Au contraire, dans sa jurisprudence, la Cour a souligné à de nombreuses reprises que la finalité particulière du premier volet de l’article 5 § 3 se limite à veiller à ce que le détenu soit traduit dans les meilleurs délais devant une autorité judiciaire habilitée à vérifier la régularité de l’arrestation, à examiner le bien-fondé de la détention et à ordonner la libération si le maintien en détention se révèle illicite. Si une telle mesure est prise, elle estime satisfaites les exigences imposées par ce premier volet. Elle considère donc que la question qui se pose en l’espèce est de savoir non pas si les requérants auraient dû être traduits devant la Magistrate’s Court, c’est-à-dire l’autorité judiciaire en Irlande du Nord devant laquelle doit comparaître pour la première fois tout accusé, mais s’ils ont effectivement été traduits devant un juge ou un autre magistrat satisfaisant aux exigences du premier volet de l’article 5 § 3 s’agissant d’une privation de liberté initiale relevant de l’article 5 § 1 c).

92. Avant d’examiner cette question, la Cour constate que, au cours de leur détention, les requérants ont été conduits à deux reprises devant une juge de la County Court spécialement désignée : quarante-huit heures après leur arrestation, lorsque le DPP a sollicité des mandats de maintien en garde à vue en vertu du paragraphe 29 de l’annexe 8, et cinq jours plus tard, lorsque le DPP a demandé la prolongation de ces mandats en vertu du paragraphe 36 de l’annexe 8 (paragraphes 6-8 et 33 ci-dessus). Bien que ce fût la décision rendue sur la base du paragraphe 36 que les requérants ont ultérieurement attaquée par voie de contrôle judiciaire, la High Court a jugé que le paragraphe 32, qui énonçait les conditions de délivrance d’un mandat de maintien en garde à vue, devait être interprété en conformité avec l’article 5 § 3 de la Convention (paragraphes 19 et 21 ci-dessus). La Cour partira donc du principe qu’il n’y a aucune différence entre les attributions du juge sur le terrain aussi bien du paragraphe 29 que du paragraphe 36.

93. Pour ce qui est de l’exigence de « célérité », la Cour relève que, en l’espèce, les requérants sont des personnes majeures qui ont été conduites devant un juge dans les quarante-huit heures qui avaient suivi leur arrestation parce qu’elles étaient soupçonnées d’avoir commis une grave infraction en matière de terrorisme. Au vu des principes exposés aux paragraphes 77 et 78 ci-dessus, elle reconnaît qu’ils ont été « aussitôt » traduits devant le juge.

94. La deuxième exigence de l’article 5 § 3 est l’automaticité de la première comparution du détenu devant le magistrat. En l’espèce, les requérants n’ont jamais cherché à soutenir que cette exigence n’avait pas été respectée. Le paragraphe 29 de l’annexe 8 à la loi de 2000 imposait aux policiers de demander au juge de la County Court de prolonger la durée initiale de garde à vue au-delà de quarante-huit heures (paragraphe 32 ci‑dessus) ; aussi les requérants ne pouvaient-ils être détenus plus de quarante-huit heures sans être traduits pour la première fois devant un juge.

95. Troisièmement, la Cour a constamment jugé que le magistrat visé à l’article 5 § 3 de la Convention doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, qu’il doit être habilité à examiner la régularité de l’arrestation et de la détention, ainsi que la justification de celle-ci (ce qui inclut l’analyse des circonstances en faveur ou en défaveur de la détention de manière à dire s’il y a des raisons de la justifier), et, s’il n’y a pas suffisamment de raisons justifiant la détention, qu’il doit avoir le pouvoir d’ordonner la libération.

96. Nul ne contestant l’indépendance de la juge de la County Court, les deux questions principales qui se posent devant la Cour sont de savoir, tout d’abord, si la juge disposait de pouvoirs suffisants pour examiner la régularité de la détention des requérants et, deuxièmement, si elle avait les pouvoirs nécessaires pour ordonner leur libération.

97. Bien que la High Court ait jugé que le paragraphe 32 devait être interprété en conformité avec l’article 5 § 3 (paragraphes 19 et 21 ci‑dessus), les requérants contestent ce qu’elle a dit ensuite, à savoir qu’un examen de la régularité de l’arrestation n’a pas à comporter une analyse détaillée du fondement de la décision d’arrestation et doit tenir compte des contraintes qui pèsent nécessairement sur bon nombre d’arrestations pour des infractions se rapportant au terrorisme.

98. La Cour constate que les indications données par la High Court ont été formulées de manière abstraite et, par conséquent, elle ne peut voir comment celles-ci seraient appliquées par les tribunaux internes en pratique. Néanmoins, en principe, rien à ses yeux dans la décision de la High Court ne contredit sa propre jurisprudence. La Cour note en particulier que, dans des affaires antérieures, la High Court n’est pas allée jusqu’à définir le contenu exact ni la forme de l’analyse requise par l’article 5 § 3 ; cette juridiction s’est plutôt contentée de dire que le magistrat devait pouvoir contrôler la régularité et la justification de l’arrestation et de la détention, examiner les circonstances en faveur ou en défaveur de la détention, y compris l’existence de soupçons plausibles, et dire s’il y avait des raisons justifiant la détention. De plus, ainsi qu’il a déjà été noté ci-dessus (au paragraphe 83), bien qu’elle ait jugé que les autorités ne devaient pas avoir carte blanche lorsqu’elles enquêtent sur des infractions en matière de terrorisme, elle a expressément reconnu la particularité des problèmes qui se posent souvent à elles dans ces enquêtes. Dès lors, au vu du dossier, la Cour ne peut s’associer aux requérants lorsqu’ils disent que l’examen qui, selon la High Court, était inhérent à la législation en cause était forcément en deçà des exigences de l’article 5 § 3 de la Convention.

99. En l’espèce, bien qu’elle ait annulé la prolongation par la juge de la County Court des gardes à vue pour défaut d’examen de la régularité initiale de l’arrestation, la High Court s’est dite convaincue que cette juge n’avait pas omis de considérer la nécessité d’une détention comme fondement à la délivrance du mandat et que la décision de la juge était adéquatement motivée (paragraphes 19-20 ci-dessus).

100. Pour ce qui est de savoir si la juge de la County Court avait le pouvoir d’ordonner la libération en cas d’arrestation ou de détention irrégulière, la Cour rappelle que, si la loi de 2000 ne prévoit pas expressément un tel pouvoir, la High Court a reconnu en l’espèce que, les dispositions de ce texte devant être interprétées en conformité avec les exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, ladite juge devait avoir le pouvoir d’ordonner la libération en cas de défaut de base juridique de l’arrestation initiale ou du maintien en garde à vue (paragraphes 19 et 21 ci-dessus). Elle relève en outre que, lorsqu’un mandat (ou une prolongation de mandat) n’est pas demandé ou n’est pas délivré, le détenu doit être libéré faute de base légale à son maintien en détention.

101. Les requérants disent que la juge de la County Court devait aussi avoir le pouvoir d’ordonner la libération conditionnelle. Or, ainsi qu’il a été noté au paragraphe 84 ci-dessus, rien dans la jurisprudence de la Cour ne permet d’étayer leur thèse selon laquelle l’autorité judiciaire chargée du premier examen de la privation de liberté doit jouir d’un tel pouvoir. Dans son arrêt précité McKay (§ 47), la Cour a indiqué qu’il serait « hautement souhaitable » que le magistrat chargé du premier contrôle automatique ait également la compétence d’examiner la question de la mise en liberté provisoire pour des motifs autres que la régularité de la détention ou l’existence de motifs raisonnables de soupçonner que l’intéressé a commis une infraction pénale, mais elle a souligné que ce n’était pas une exigence posée par la Convention et il n’y avait aucune raison de principe pour que ces questions ne puissent pas être examinées par deux magistrats.

(β) Devait-il exister une possibilité de libération conditionnelle pendant la période de détention des requérants ?

102. À la suite du premier contrôle de leur détention, les requérants sont restés en garde à vue pendant dix jours de plus. Bien qu’ils aient été traduits une seconde fois devant la juge de la County Court au bout de sept jours d’incarcération, il est admis qu’à aucun moment de leur détention ils n’ont été conduits devant un juge habilité à ordonner la libération conditionnelle. Aussi les requérants soutiennent-ils que, pour autant qu’il permettait leur détention sans inculpation pendant vingt-huit jours au maximum, au cours desquels leur libération conditionnelle n’était pas envisageable, le régime prévu par l’annexe 8 à la loi de 2000 était contraire à l’article 5 § 3 de la Convention.

103. La Cour ne saurait examiner in abstracto le régime prévu par l’annexe 8 : il lui faut plutôt se limiter aux faits dont elle est saisie. Ainsi, bien que les requérants eussent pu être détenus pendant une durée pouvant aller jusqu’à vingt-huit jours, elle ne peut méconnaître que, en l’espèce, ils ont été libérés au bout de douze jours. De plus, elle ne juge pas importante l’absence de toute inculpation éventuelle : rien dans l’article 5 § 3 ne permet de dire en effet qu’un détenu doit être inculpé pour que sa détention soit compatible avec cette disposition (Brogan et autres, précité, § 53).

104. Ainsi qu’il a été noté au paragraphe 75 ci-dessus, l’article 5 § 3 comporte, de par son économie, deux volets séparés qui font chacun naître des droits distincts et sont dépourvus de lien temporel entre eux : les premiers stades faisant suite à l’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale et la période, en instance de jugement au pénal, au cours de laquelle elle peut être détenue ou libérée, sous conditions ou non (T.W., précité, § 49, McKay, précité, § 31, et Medvedyev et autres, précité, § 119). Au cours de la phase initiale visée par le premier volet de cette disposition, la détention peut se justifier par la seule existence d’une « raison plausible de soupçonner » que l’intéressé a perpétré une infraction pénale. Or, la persistance de soupçons ne suffit plus, au bout d’un certain laps de temps, à justifier la détention, même si la Cour n’a pas cherché à traduire cette notion en un nombre préfix de jours, semaines, mois ou années, ou en différents délais variant selon la gravité de l’infraction (Stögmüller, précité, § 4). Il incombe donc à la Cour en l’espèce de dire si, d’un bout à l’autre de la détention des requérants, celle‑ci relevait du premier volet de l’article 5 § 3 ou si, à un moment donné, leur maintien en garde à vue ne pouvait plus se justifier par l’existence de « soupçons plausibles ».

105. En l’espèce, les requérants ont passé douze jours en détention, ce qui est une durée relativement brève. La Cour considère donc que, du début à la fin, ils en étaient aux « premiers stades » de leur privation de liberté, et que leur détention pouvait se justifier par l’existence de raisons plausibles de soupçonner qu’ils avaient commis une infraction pénale. Aussi n’est-il pas nécessaire de tenir le moindre compte de l’éventualité de leur libération conditionnelle pendant cette période.

106. En tout état de cause, la Cour constate que, pendant la période de détention des requérants, un certain nombre de garanties étaient en place pour les protéger d’une détention arbitraire. Premièrement, le régime fixé par l’annexe 8 prévoyait que le juge ne pouvait prononcer le maintien en garde à vue que pour sept jours au maximum et que la durée totale de celle-ci ne pouvait dépasser vingt-huit jours. Le juge ne pouvait en décider la prolongation que s’il était convaincu qu’il y avait des motifs légitimes de penser que cette mesure était nécessaire et que l’enquête était conduite avec diligence et célérité (paragraphe 36 ci-dessus). De plus, à la suite de la décision de la High Court, il devait également être convaincu que l’arrestation était régulière et que la détention était fondée. Si, dans certains cas, les détenus et/ou leurs représentants pouvaient être exclus des audiences, le premier requérant en l’espèce a témoigné sous serment dans le cadre du premier contrôle et les deux requérants ont été entendus en leurs arguments au cours des seconds contrôles (paragraphe 8 ci-dessus). Enfin, les requérants ont pu contester leur maintien en garde à vue par voie de contrôle judiciaire.

107. Des conditions plus strictes devaient être satisfaites pour toute prolongation de la garde à vue au-delà de quatorze jours ; or elles n’étaient pas nécessaires en l’espèce, les requérants ayant été élargis au bout de douze jours.

108. Au vu des éléments ci-dessus, la Cour estime que l’absence de possibilité de libération sous condition pendant la période de privation de liberté des requérants n’a posé aucun problème au regard de l’article 5 § 3 de la Convention.

γ) Conclusion

109. Les éléments exposés ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que la détention des requérants sur la base de l’annexe 8 à la loi de 2000 n’était pas contraire à l’article 5 § 3 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint les requêtes nos 26289/12 et 29891/12 introduites respectivement par les premier et troisième requérants ;

(...)

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 12 mai 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosPaïvi Hirvelä
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-154767
Date de la décision : 12/05/2015
Type d'affaire : au principal
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Aussitôt traduite devant un juge ou autre magistrat;Mise en liberté conditionnelle)

Parties
Demandeurs : MAGEE ET AUTRES
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KRW LAW - LLP ; MORIARTY P.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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