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19/01/2021 | CEDH | N°001-207375

CEDH | CEDH, AFFAIRE TIMOFEYEV ET POSTUPKIN c. RUSSIE, 2021, 001-207375


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE TIMOFEYEV ET POSTUPKIN c. RUSSIE

(Requêtes nos 45431/14 et 22769/15)

ARRÊT


Art 7 et Art 4 P7 • Surveillance administrative aux fins préventifs, après l’exécution de la peine par les condamnés, non-constitutive d’une peine et non-soumise au principe de rétroactivité • Mesures ne revenant pas à « punir pénalement » une seconde fois

Art 6 § 1 (civil) • Procès équitable • Absence d’octroi d’une aide judiciaire gratuite au requérant sans argent pour obtenir l’assistance d’un avocat lors d’une p

rocédure de placement sous surveillance administrative pour huit ans • Importante gravité de l’enjeu de la procédure • ...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE TIMOFEYEV ET POSTUPKIN c. RUSSIE

(Requêtes nos 45431/14 et 22769/15)

ARRÊT

Art 7 et Art 4 P7 • Surveillance administrative aux fins préventifs, après l’exécution de la peine par les condamnés, non-constitutive d’une peine et non-soumise au principe de rétroactivité • Mesures ne revenant pas à « punir pénalement » une seconde fois

Art 6 § 1 (civil) • Procès équitable • Absence d’octroi d’une aide judiciaire gratuite au requérant sans argent pour obtenir l’assistance d’un avocat lors d’une procédure de placement sous surveillance administrative pour huit ans • Importante gravité de l’enjeu de la procédure • Incapacité à défendre effectivement sa cause • Situation de net désavantage par rapport à son adversaire assisté

Article 2 du Protocole n° 4 • Liberté de circulation • Caractère proportionné des mesures de surveillance administrative, imposées pour six ans et soumises aux contrôles périodiques de leur nécessité • Loi suffisamment prévisible quant à la catégorie des personnes visées et à sa portée temporelle

STRASBOURG

19 janvier 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Timofeyev et Postupkin c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Paul Lemmens, président,

Georgios A. Serghides,

Dmitry Dedov,

Georges Ravarani,

María Elósegui,

Anja Seibert-Fohr,

Peeter Roosma, juges,

et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 45431/14 et 22769/15) dirigées contre la Fédération de Russie et dont deux ressortissants de cet État, MM Vasiliy Vyacheslavovich Timofeyev (« le premier requérant ») et Arkadiy Viktorovich Postupkin (« le second requérant ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 1er septembre 2014 et le 24 avril 2015 respectivement,

les observations des parties,

Notant que, le 19 mars 2018, les griefs tirés des articles 6 et 7 de la Convention (requête no 45431/14) ainsi que ceux tirés de l’article 2 du Protocole no 4 et de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention (requête no 22769/15) concernant les mesures de surveillance administrative appliquées aux requérants ont été communiqués au Gouvernement et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les affaires concernent le placement des requérants sous surveillance administrative.

EN FAIT

2. Les requérants sont nés en 1965 et résident à Vladimir et à Rybinsk respectivement. Ils ont été représentés par M. K. N. Koroteev, juriste de l’organisation non gouvernementale Memorial Human Rights Centre, sise à Moscou.

3. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

1. LES CIRCONSTANCES RELATIVES AU PREMIER REQUÉRANT
1. La mise en place de la surveillance administrative

4. Par un jugement du 24 octobre 2003 (complété le 10 août 2004 pour tenir compte de modifications de la loi pénale matérielle), le premier requérant fut reconnu coupable de meurtre (article 105 § 1 du code pénal (CP)) et condamné à une peine de onze ans, six mois et dix jours d’emprisonnement. Il fut constaté par le même jugement un état de récidive dangereuse dans le chef du premier requérant.

5. Le 17 septembre 2013, la direction de la colonie pénitentiaire dans laquelle le premier requérant purgeait sa peine d’emprisonnement saisit le tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy de la ville de Vladimir (« le tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy ») d’une demande de placement de l’intéressé sous surveillance administrative sur le fondement de la loi no 64‑FZ relative à la surveillance administrative des personnes libérées des établissements pénitentiaires (« la loi no 64‑FZ ») (paragraphes 32‑42 ci‑dessous). La demande était motivée par le fait que le premier requérant avait été condamné pour une infraction commise en récidive dangereuse, qu’il n’avait pas manifesté d’intérêt au travail pendant son emprisonnement, et qu’il n’avait pas respecté le régime pénitentiaire et avait fait l’objet de vingt-sept sanctions disciplinaires, dont sept n’avaient pas été effacées à la date de la demande. Un certain nombre de documents établis par les autorités pénitentiaires étaient joints à ladite demande, dont un document comportant les caractéristiques de la personnalité du premier requérant, une attestation portant sur le nombre de sanctions disciplinaires prononcées contre lui, une attestation du 7 septembre 2013 portant sur l’évaluation psychologique de l’intéressé, ainsi qu’une décision du 14 novembre 2008 portant sur l’attribution à l’intéressé de la qualité de transgresseur avéré du régime carcéral.

6. Le 23 octobre 2013, le tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy, siégeant en formation de juge unique, tint une audience dans l’enceinte de la colonie pénitentiaire. Le premier requérant, présent à l’audience, informa le juge qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps pour se préparer, et notamment qu’il n’avait pas pu prendre contact avec ses proches pour leur demander de lui trouver un avocat compte tenu de son insuffisance de ressources pour rémunérer lui‑même un défenseur. Le juge reporta l’audience au 14 novembre 2013 afin de permettre à l’intéressé de trouver un représentant.

7. Lors de l’audience du 14 novembre 2013, qui se tint par vidéoconférence, le premier requérant sollicita un nouveau report de l’audience afin que la présence d’un représentant fût assurée. Le juge fit droit à cette demande et fixa la date de l’audience suivante au 26 novembre 2013.

8. Le 16 novembre 2013, le premier requérant prit connaissance du contenu de la demande du 17 septembre 2013 ainsi que des documents joints à celle‑ci.

9. Le 26 novembre 2013, le tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy tint une nouvelle audience par vidéoconférence à laquelle prirent part le premier requérant, un représentant de la colonie pénitentiaire et un représentant du service du procureur de la région. Au début de l’audience, le premier requérant indiqua que l’administration pénitentiaire ne l’avait pas informé de l’envoi d’une plainte adressée à la cour régionale et demanda au juge d’enjoindre à l’administration de lui communiquer les références de l’envoi en question. Le juge rejeta cette demande au motif que l’établissement dudit envoi n’incombait pas au tribunal dans le cadre de l’examen de la demande de placement sous surveillance administrative. Il indiqua que, si le premier requérant considérait que l’administration de la colonie pénitentiaire enfreignait son droit à la communication par voie postale, il était loisible à l’intéressé de saisir le procureur ou le tribunal dans le cadre d’une procédure distincte.

10. Lors de la même audience, le premier requérant donna lecture de son mémoire en réplique, dans lequel il contestait le bien-fondé de la demande du 17 septembre 2013 ainsi que les éléments soumis à l’appui de celle-ci. À cette occasion, il dénonça les caractéristiques de sa personnalité figurant dans le document y afférent joint à ladite demande s’agissant de son rapport au travail pendant l’exécution de la peine et critiqua la validité des sanctions disciplinaires auxquelles ladite demande faisait référence. Il allégua notamment que l’attestation du 7 septembre 2013 avait été falsifiée par la direction de la colonie pénitentiaire, soutenant qu’aucune évaluation le concernant n’avait été effectuée à cette date par le psychologue de l’établissement. À cet égard, il demanda au tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy d’enjoindre à l’administration de la colonie pénitentiaire de soumettre son dossier personnel. Il lui demanda par ailleurs de transférer au service du procureur une plainte par laquelle il avait sollicité la poursuite au pénal des personnes responsables de la falsification alléguée. Il argua qu’il lui était impossible de saisir lui-même le service du procureur car l’administration de la colonie pénitentiaire aurait censuré sa correspondance postale. Le juge rejeta les demandes de l’intéressé au motif qu’il n’appartenait pas au tribunal de contrôler ni le dossier personnel de l’intéressé ni les caractéristiques établies par l’administration pénitentiaire lors de l’examen d’une demande de mise en place de la surveillance administrative. Le juge refusa également de transmettre la plainte du premier requérant au motif qu’il ne lui appartenait pas d’assurer la correspondance des personnes condamnées. Se référant à l’article 50 du code de procédure civile (CPC) (paragraphe 56 ci‑dessous), le premier requérant sollicita du juge la désignation d’un avocat aux fins de sa représentation, en motivant sa demande par un manque de moyens financiers pour rémunérer un avocat. Le juge rejeta ladite demande au motif que l’insuffisance de ressources financières ne figurait pas parmi les raisons pouvant justifier la désignation d’un avocat sur le fondement de l’article 50 du CPC. Lors la même audience, le représentant du service du procureur de la région requit le placement du premier requérant sous surveillance administrative.

11. Par une décision du 26 novembre 2013, le tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy accueillit la demande de la colonie pénitentiaire. Se référant aux articles 3 § 2 et 5 § 1 alinéa 2 de la loi no 64‑FZ (paragraphes 36 et 39 ci‑dessous), la juridiction ordonna le placement du premier requérant sous surveillance administrative. Les parties pertinentes en l’espèce de cette décision se lisaient comme suit :

« (...) [L]e tribunal rejette les arguments de [M. Timofeyev] relatifs à la falsification [du document portant sur les] caractéristiques [de la personnalité de l’intéressé] établi par l’administration de [l’établissement pénitentiaire] ainsi que de l’attestation portant sur son évaluation psychologique car lesdits arguments ont trait à une appréciation subjective [de l’intéressé] alors que les documents susmentionnés ont été établis par des fonctionnaires dûment habilités et ont été soumis au tribunal conformément à la procédure prévue par la loi no 64‑FZ du 6 avril 2011 [;] lors de l’examen d’une [demande] de mise en place de la surveillance administrative, le tribunal n’est pas compétent pour contrôler les dossiers personnels des condamnés ainsi que l’activité de l’administration d’un établissement pénitentiaire pendant l’exécution de la peine.

Le tribunal n’a pas de raisons de douter du bien-fondé des sanctions disciplinaires prononcées contre le condamné puisqu’il n’a pas été démontré devant le tribunal qu’elles avaient été contestées conformément à la procédure prévue à cet effet, [et] le tribunal n’est pas compétent pour en contrôler le bien-fondé dans le cadre de l’examen d’une [demande] de mise en place de la surveillance administrative.

[M. Timofeyev] s’est vu attribuer la qualité de transgresseur avéré du régime carcéral indépendamment du fait que par la suite il a été soumis au régime ordinaire de l’exécution de la peine, ce qui est confirmé par les éléments soumis au tribunal et ce que le condamné lui‑même ne conteste pas.

(...)

Puisque l’infraction à l’article 105 § 1 du [CP] pour laquelle [M. Timofeyev] a été condamné par le jugement du tribunal de l’arrondissement Léninskiy de la ville de Vladimir du 24 octobre 2003 (...) constitue, selon l’article 15 du [CP], une infraction particulièrement grave, et eu égard à l’article 86 § 3 du [CP], le tribunal décide de placer le condamné sous surveillance administrative pour une durée de huit ans à compter du jour de l’enregistrement [de l’intéressé] auprès de l’organe du ministère de l’Intérieur du lieu de domicile ou de résidence.

(...)

Eu égard à la personnalité du condamné, à l’ensemble des données sur la nature et le niveau de dangerosité sociale des infractions qu’il a commises, à la nature de la récidive constatée par le jugement [de condamnation] du tribunal, au comportement du condamné durant toute la période d’exécution de la peine ainsi qu’à l’avis négatif de l’administration [de l’établissement pénitentiaire], le tribunal estime que, pour atteindre les buts de la surveillance administrative (...), il convient d’imposer des restrictions administratives à [M. Timofeyev] afin de protéger la sécurité publique et de prévenir le risque de la commission d’autres infractions par [l’intéressé], et afin de contrôler son comportement et de prévenir la récidive de ce dernier, tout en obligeant [M. Timofeyev] à se présenter trois fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative de son lieu de domicile ou de résidence.

(...)

[Il appartient] d’imposer à [M. Timofeyev] les restrictions administratives suivantes :

. interdiction de sortir du domicile ou de tout autre lieu de résidence pendant la plage horaire comprise entre 22 heures et 6 heures ;

. interdiction de se rendre en des lieux publics de divertissement des citoyens (restaurants, bars, centres de distraction, etc.) ;

. interdiction de se rendre en des lieux de manifestations publiques (démonstrations, rassemblements, fêtes publiques, etc.).

[Il convient] d’obliger [M. Timofeyev] à se présenter trois fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative de son lieu de domicile ou de résidence. »

12. Le 23 janvier 2014, le premier requérant interjeta appel de la décision du 26 novembre 2013. Dans son mémoire d’appel, il réitérait les arguments qu’il avait présentés lors de l’audience du 26 novembre 2013 (paragraphe 10 ci‑dessus) et soumettait d’autres arguments, divisés en sept branches. Il alléguait, entre autres, que son placement sous surveillance administrative constituait une double peine pour l’infraction dont il avait été reconnu coupable. Il se plaignait également de l’impossibilité de bénéficier d’une assistance juridique gratuite au cours de la procédure devant le tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy.

13. Le 17 février 2014, le premier requérant adressa au bâtonnier adjoint du barreau de la région de Vladimir une demande écrite tendant à l’octroi d’une assistance juridique gratuite.

14. Le 7 mars 2014, il fut remis en liberté.

15. Le 13 mars 2014, l’avocat N. prit connaissance du dossier de l’affaire du premier requérant. Le dossier dont dispose la Cour ne permet pas d’établir si l’avocat a agi à la demande du barreau ou de la cour régionale. Le même jour, cet avocat informa la cour régionale de Vladimir, qui était chargée d’examiner l’appel formé par le premier requérant contre la décision du 26 novembre 2013, qu’il ne pouvait représenter l’intéressé au motif que ce dernier n’avait pas conclu avec lui une convention d’assistance juridique.

16. Le 14 mars 2014, la cour régionale de Vladimir tint une audience pour examiner l’appel du premier requérant. Le représentant de la colonie pénitentiaire était absent ; en revanche, un représentant du service du procureur de la région de Vladimir était présent. L’intéressé, également présent à l’audience, demanda le report de celle-ci afin de trouver un avocat. La cour régionale l’informa que, à la suite de la réception de sa demande du 17 février 2014 adressée au barreau de la région de Vladimir, l’avocat N. avait pris connaissance du dossier de l’affaire mais qu’il ne pouvait assurer sa défense en raison de l’absence d’une convention conclue à cet effet. La cour régionale suspendit l’audience jusqu’à 14 heures, le même jour, pour permettre au premier requérant de conclure une convention d’assistance juridique. À la reprise de l’audience, le premier requérant informa la cour régionale qu’il n’avait pu conclure la convention en question en raison de l’indisponibilité de l’avocat N. Il demanda un nouveau report d’audience. Par une décision inscrite au procès‑verbal de l’audience du même jour, la cour régionale rejeta cette demande. Après avoir relevé que la date de l’audience en appel, à savoir le 14 mars 2014, avait été dûment notifiée au premier requérant par une lettre du 31 janvier 2014, la cour régionale estima que ce dernier avait eu suffisamment de temps pour pouvoir conclure une convention d’assistance juridique. Lors de la même audience, le représentant du service du procureur de la région de Vladimir demanda le rejet de l’appel de l’intéressé.

17. Par une décision du 14 mars 2014, la cour régionale rejeta l’appel formé par le premier requérant contre la décision du 26 novembre 2013. Elle indiqua entre autres que la surveillance administrative ne pouvait être considérée en tant que « peine » et que sa mise en place à l’égard de l’intéressé ne constituait pas une application rétroactive de la loi pénale au sens de l’article 10 du CP (paragraphe 43 ci‑dessous). Se référant à l’article 2 § 1 de la loi no 64‑FZ, l’instance d’appel estima que la surveillance administrative poursuivait le but de la prévention de la délinquance et le contrôle des personnes libérées après l’exécution d’une peine d’emprisonnement. Elle précisa que, conformément aux articles 3 § 2 et 5 § 1 alinéa 2 de la loi no 64-FZ, ce régime devait être appliqué à l’égard du premier requérant indépendamment des caractéristiques de sa personnalité. S’agissant ensuite de la possibilité de bénéficier d’une aide juridique gratuite, la cour régionale releva que le chapitre 26.2 du CPC (paragraphe 53 ci‑dessous) ne prévoyait pas la désignation d’un avocat pour représenter la personne visée par une demande de placement sous surveillance administrative et que, par ailleurs, l’article 50 du CPC ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce. Elle estima que le premier requérant avait disposé de suffisamment de temps pour se préparer à l’examen de l’affaire, y compris, le cas échéant, pour trouver un représentant.

2. La modification des mesures de surveillance administrative

18. À une date non précisée dans le dossier, le premier requérant saisit le tribunal de l’arrondissement Léninskiy de la ville de Vladimir (« le tribunal de l’arrondissement Léninskiy ») d’une demande d’aménagement des astreintes qui lui étaient imposées dans le cadre de la surveillance administrative, motivée par le besoin de quitter la région en raison de déplacements professionnels. Plus précisément, dans sa demande, il sollicitait la levée de l’interdiction de sortir du domicile de 22 heures à 6 heures et la réduction de la fréquence de présentation à l’autorité chargée de la surveillance administrative de trois à une fois par mois.

19. Par une décision du 5 septembre 2014, le tribunal de l’arrondissement Léninskiy fit droit à la demande de l’intéressé.

20. Le 18 mai 2015, le premier requérant saisit le tribunal de l’arrondissement Léninskiy d’une demande tendant à la levée anticipée de la surveillance administrative.

21. Par une décision du 12 août 2015, le tribunal de l’arrondissement Léninskiy débouta le premier requérant au motif que sa demande avait été introduite avant le terme prévu par l’article 9 § 2 de la loi no 64‑FZ (paragraphe 40 ci‑dessous), à savoir avant l’écoulement de la moitié de la durée pour laquelle la surveillance administrative avait été mise en place à son égard.

22. Le 16 octobre 2015, la cour régionale de Vladimir confirma la décision du 12 août 2015 en appel.

2. LES CIRCONSTANCES RELATIVES AU SECOND REQUÉRANT

23. Par un jugement du 6 avril 2007, le tribunal de la ville de Rybinsk de la région de Yaroslavl (« le tribunal de la ville de Rybinsk ») reconnut le second requérant coupable de trafic de stupéfiants (article 228.1 §§ 1 et 2 du CP) et le condamna à une peine de sept ans et six mois d’emprisonnement. Il fut constaté par le même jugement un état de récidive dangereuse dans le chef du second requérant.

24. Le 28 novembre 2013, la direction de la colonie pénitentiaire dans laquelle le second requérant purgeait sa peine d’emprisonnement saisit le tribunal de la ville de Rybinsk d’une demande de placement de l’intéressé sous surveillance administrative. La demande était motivée par le fait que le second requérant avait été condamné pour une infraction commise en récidive dangereuse, qu’il n’avait pas manifesté d’intérêt au travail pendant son emprisonnement, qu’il n’avait pas respecté le régime pénitentiaire, qu’il avait fait l’objet de vingt-trois sanctions disciplinaires, que, le 7 août 2007, il s’était vu attribuer la qualité de transgresseur avéré du régime carcéral, que, le 6 février 2008, il avait été soumis au régime carcéral strict et que, le 27 mai 2011, il avait été soumis au régime carcéral ordinaire.

25. Par une décision du 19 décembre 2013, le tribunal de la ville de Rybinsk accueillit la demande de la colonie pénitentiaire et ordonna, en se référant aux articles 3 § 2 et 5 § 1 alinéa 2 de la loi no 64-FZ (paragraphes 36 et 39 ci‑dessous), le placement du second requérant sous surveillance administrative. Les parties pertinentes en l’espèce de cette décision se lisaient comme suit :

« Il ressort du jugement du tribunal de la ville de Rybinsk de la région de Yaroslavl du 6 avril 2007 (...) que [M. Postupkin] a commis les infractions en récidive dangereuse. (...)

Les infractions commises par [M. Postupkin] sont qualifiées de graves.

Conformément à l’article 86 § 3 alinéa d) du [CP], le délai pour l’effacement de l’état de condamné (судимость) en cas d’infraction grave est de six ans après l’exécution de la peine.

[Estimant] qu’il existe des motifs prévus par la loi fédérale [no 64‑FZ] du 6 avril 2011 pour le placement de [M. Postupkin] sous surveillance administrative, le tribunal décide d’imposer à [l’intéressé] (...) les mesures suivantes : l’interdiction de sortir du domicile ou de tout autre lieu de résidence pendant la plage horaire comprise entre 22 heures et 6 heures ; l’obligation de se présenter une fois par mois à l’organe du ministère de l’Intérieur [chargé de la surveillance administrative] conformément au calendrier établi par ce dernier.

Le tribunal estime qu’il est excessif d’obliger [M. Postupkin] à se présenter deux fois par mois à l’organe du ministère de l’Intérieur [chargé de la surveillance administrative]. »

26. Le second requérant interjeta appel de la décision du 19 décembre 2013. Dans le cadre de son recours, il alléguait, entre autres, que son placement sous surveillance administrative constituait une double peine pour l’infraction dont il avait été reconnu coupable et que les mesures et obligations imposées étaient trop sévères.

27. Le 1er juillet 2014, la cour régionale de Yaroslavl rejeta l’appel du second requérant. Les parties pertinentes en l’espèce de sa décision se lisaient comme suit :

« Les restrictions administratives imposées [au recourant] par le tribunal sont conformes aux exigences de l’article 4 de la loi [no 64‑FZ]. Afin de contrôler le comportement de [M. Postupkin], [le tribunal] a non seulement obligé [celui-ci] à se présenter à l’organe du ministère de l’Intérieur [chargé de la surveillance administrative] mais a également interdit [à l’intéressé] de quitter son domicile pendant la nuit ; [ces restrictions] sont bien fondées et poursuivent le but de la prévention personnelle. [Le tribunal] a tenu compte de la nature et de la dangerosité sociale des infractions commises par [M. Postupkin], du comportement de celui-ci pendant toute la durée d’exécution de la peine ainsi que d’autres circonstances importantes. Notamment, [M. Postupkin] s’est vu attribuer la qualité de transgresseur avéré du régime carcéral, il a été soumis au régime carcéral strict, il a fait l’objet de plusieurs (vingt-trois) sanctions disciplinaires et il n’a pas obtenu de récompenses. Eu égard à ces éléments, le tribunal a correctement considéré que la seule obligation de présentation [à l’organe du ministère de l’Intérieur] n’était pas suffisante pour assurer la prévention personnelle. Les astreintes imposées ne portent pas atteinte à la vie privée de [M. Postupkin] puisqu’il a le droit de choisir lui-même son lieu de domicile, et, s’il respecte les restrictions imposées et s’il fait l’objet de caractéristiques positives, [il] aura le droit de demander l’arrêt anticipé de la surveillance administrative [ou] la levée partielle des restrictions imposées, ce qui est prévu par l’article 10 de la loi [no 64‑FZ]. »

28. Le second requérant se pourvut en cassation devant le présidium de la cour régionale de Yaroslavl.

29. Le 13 novembre 2014, cette juridiction, siégeant en formation de juge unique, refusa de transmettre son pourvoi au présidium pour examen au motif que les décisions attaquées n’étaient entachées d’aucune irrégularité.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

1. LE DROIT INTERNE
1. La Constitution de la Fédération de Russie

30. L’article 54 de la Constitution est ainsi libellé :

« 1. Une loi qui établit ou aggrave la responsabilité n’a pas d’effet rétroactif.

2. Nul ne peut être tenu pour responsable d’un acte qui, au moment où il a été commis, n’était pas considéré comme une infraction à la loi. Si, après la perpétration de l’infraction, la responsabilité correspondante est supprimée ou atténuée, la loi nouvelle s’applique. »

2. Le code de l’exécution des sanctions pénales

31. L’article 173.1 du code de l’exécution des sanctions pénales (le CESP), introduit le 6 avril 2011 et en vigueur depuis le 1er juillet 2011, prévoit le placement de certaines catégories de personnes libérées des établissements pénitentiaires sous surveillance administrative. Pour les modalités dudit placement, cet article renvoie aux dispositions de la loi applicable en la matière (voir la section C ci‑dessous).

3. La loi no 64‑FZ relative à la surveillance administrative des personnes libérées des établissements pénitentiaires

32. La loi no 64‑FZ a été adoptée le 6 avril 2011 et est entrée en vigueur le 1er juillet 2011. Elle a par la suite été modifiée à quelques reprises.

33. L’article 2 de la loi no 64‑FZ se lit comme suit :

« La surveillance administrative est mise en place afin de prévenir la commission d’infractions pénales et d’autres infractions par les personnes mentionnées à l’article 3 de la présente loi fédérale, d’exercer une influence à caractère préventif sur [lesdites personnes], et de protéger les intérêts de l’État et de la société ».

34. D’après l’article 3 § 1 de la loi no 64‑FZ, les dispositions de cet article s’appliquent à l’égard de toute personne majeure dont la libération d’un établissement pénitentiaire est envisagée ou qui a été libérée d’un établissement pénitentiaire, et qui se trouve en état de condamné (судимость) (voir, pour plus de détails sur cette notion, les paragraphes 48‑50 ci‑dessous) en raison :

– d’une condamnation pour une infraction grave ou particulièrement grave (alinéa 1) ;

– d’une condamnation pour une infraction commise en récidive (alinéa 2) ;

– d’une condamnation pour une infraction commise avec préméditation à l’égard d’un mineur (alinéa 3) ;

– d’une condamnation pour deux ou plusieurs infractions aux articles 228 § 1, 228.3, 231 § 1 et 234.1 du CP (alinéa 4, introduit le 29 juillet 2017).

35. Selon l’article 3 § 3 de la loi no 64‑FZ, sont placées sous surveillance administrative :

– la personne dont la libération d’un établissement pénitentiaire est envisagée si, pendant son emprisonnement, elle a été qualifiée de transgresseur avéré du régime carcéral (alinéa 1), et ;

– la personne déjà libérée d’un établissement pénitentiaire si elle a commis une ou plusieurs des infractions administratives énumérées par la loi (alinéa 2, comprenant la liste des infractions administratives concernées).

36. En outre, aux termes de l’article 3 § 2 de la loi no 64‑FZ, est automatiquement placée sous surveillance administrative, indépendamment des conditions énumérées au paragraphe 3 du même article (paragraphe 35 ci‑dessus), la personne qui se trouve en état de condamné en raison :

– d’une condamnation pour une infraction sexuelle sur mineur (alinéa 1) ;

– d’une condamnation pour une infraction commise en récidive qualifiée de dangereuse ou de particulièrement dangereuse (alinéa 2) (les deux requérants se trouvaient dans ce cas d’espèce, voir paragraphes 4 et 25 ci‑dessus) ;

– d’une condamnation pour des infractions graves ou particulièrement graves énumérées par la loi (alinéa 3, introduit le 28 mai 2017 et comprenant la liste des infractions concernées) ;

– d’une condamnation pour une infraction commise alors qu’elle se trouvait sous surveillance administrative (alinéa 4, introduit le 28 mai 2017).

37. L’article 4 §§ 1 et 2 de la loi no 64‑FZ contient une liste exhaustive des restrictions qui peuvent et/ou doivent être imposées par un tribunal dans le cadre d’une surveillance administrative. Les restrictions obligatoires sont :

– obligation de se présenter une à quatre fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative (imposée à l’égard de toute personne placée sous surveillance administrative) ;

– interdiction de quitter une zone désignée (imposée à l’égard d’une personne condamnée pour une infraction sexuelle sur mineur ou à l’égard d’une personne sans domicile fixe).

Les restrictions dont l’imposition n’est pas obligatoire sont :

– interdiction de se rendre en certains lieux particuliers ;

– interdiction de se rendre en des lieux d’événements publics ou d’autres rassemblements ;

– interdiction de sortir du domicile pendant une plage horaire déterminée.

38. D’après l’article 4 § 3 de la loi no 64‑FZ, pendant toute la durée de la surveillance administrative, le tribunal peut, sur demande de l’autorité chargée de l’application de cette mesure ou de la personne concernée, lever partiellement les restrictions non obligatoires imposées en tenant compte des éléments relatifs au mode de vie et au comportement de la personne concernée ainsi qu’au respect par cette dernière des restrictions administratives, ou bien, sur demande de l’autorité chargée de l’application de cette mesure, compléter les restrictions précédemment imposées.

39. D’après l’alinéa 1 de l’article 5 § 1 de la loi no 64‑FZ, la surveillance administrative peut être mise en place pour une durée allant de un à trois ans à l’égard des personnes indiquées à l’article 3 § 1 alinéas 1, 2 et 4 de cette loi (paragraphe 34 ci-dessus), sans que cette durée ne puisse néanmoins excéder le délai prévu pour l’effacement de l’état de condamné (voir, sur ce point, les paragraphes 49‑50 ci‑dessous). Selon l’alinéa 2 de la même disposition, la surveillance administrative doit être mise en place pour toute la durée prévue pour l’effacement de l’état de condamné à l’égard des personnes mentionnées à l’article 3 § 1 alinéa 3 de la loi (paragraphe 34 ci‑dessus) et des personnes visées à l’article 3 § 2 de cette même loi (à savoir celles à qui la surveillance administrative s’applique automatiquement, indépendamment de leur conduite au cours de l’exécution de la peine ; paragraphe 36 ci-dessus).

40. Selon l’article 9 § 2 de la loi no 64‑FZ, la surveillance administrative peut être arrêtée avant terme sur demande de la personne concernée ou de l’autorité chargée de l’application de cette mesure après l’écoulement de la moitié de la durée pour laquelle elle a été mise en place et sous condition de bonne conduite de la personne concernée. En cas de rejet de la demande, une nouvelle demande d’arrêt anticipé de la surveillance administrative ne peut être introduite que six mois après ledit rejet (article 9 § 3).

41. Dans sa version en vigueur avant le 1er octobre 2019, l’article 11 § 1 alinéa 5 de la loi no 64‑FZ prévoyait que la personne placée sous surveillance administrative avait l’obligation de signaler le changement de son lieu de domicile dans un délai de trois jours ouvrés après ledit changement. Depuis le 1er octobre 2019, ce signalement doit être effectué trois jours ouvrés au plus tard avant le changement en question. Selon l’alinéa 6 du même article, le changement du lieu de travail doit être également signalé dans un délai de trois jours ouvrés après ledit changement.

42. L’article 13 de la loi no 64‑FZ prévoit que ses dispositions s’appliquent aux personnes visées à l’article 3 de la loi qui se trouvaient en liberté avant la date de son entrée en vigueur, c’est‑à‑dire avant le 1er juillet 2011, et dont l’état de condamné n’avait pas été effacé ou retiré à cette date.

4. Le code pénal
1. Sur la peine

43. Selon l’article 10 du CP, une loi pénale qui incrimine un acte, qui instaure une peine plus sévère ou qui aggrave la situation d’une personne d’une quelque autre manière n’a pas d’effet rétroactif.

2. Sur la peine restrictive de liberté

44. Parmi les types de peines énumérées à l’article 44 du CP figure la restriction de la liberté.

45. Dans sa version en vigueur depuis le 10 janvier 2010, l’article 53 du CP énumère les mesures restrictives qui peuvent être imposées, à l’égard d’un condamné, dans le cadre de la peine restrictive de liberté :

– interdiction de sortir du domicile pendant une plage horaire déterminée ;

– interdiction de se rendre en des lieux situés au sein d’une municipalité désignée ;

– interdiction de quitter une municipalité désignée ;

– interdiction de se rendre et de participer à des événements publics ou à d’autres rassemblements ;

– interdiction de changer le lieu de domicile, de travail ou d’études sans accord préalable de l’autorité chargée du suivi post-condamnation (mesure appliquée obligatoirement) ;

– obligation de se présenter de une à quatre fois par mois à l’autorité chargée du suivi post-condamnation (mesure appliquée obligatoirement).

46. La peine restrictive de liberté peut être infligée en tant que peine principale pour des infractions de gravité légère ou moyenne pour une durée de deux mois à quatre ans ou en tant que peine complémentaire à une peine de travaux obligatoires ou à une peine d’emprisonnement pour une durée de six mois à deux ans.

3. Sur la fixation de la peine

47. Selon l’article 60 § 3 du CP, lors de la fixation de la peine, il convient de prendre en compte la nature et le degré de dangerosité publique de l’infraction et la personnalité du coupable, notamment les circonstances atténuantes et aggravantes, ainsi que l’impact de la peine infligée sur l’amendement du condamné et sur les conditions de vie de sa famille.

4. Sur l’état de condamné

48. L’article 86 du CP a recours à la notion d’état de condamné (судимость), qui peut être rapproché, dans une certaine mesure, de celle de casier judiciaire non vierge. Dans sa version actuelle, en vigueur depuis le 1er juillet 2011, le premier paragraphe dudit article se lit comme suit :

« 1. La personne condamnée pour avoir commis une infraction pénale est réputée [se trouver] en état de condamné à partir du jour où le jugement de condamnation prononcé à son égard acquiert force de chose jugée jusqu’au moment de l’effacement (погашаения) ou du retrait (снятия) de l’état de condamné (судимости). L’état de condamné [existant] conformément au présent code est pris en compte en cas de récidive d’infractions pénales, lors de la fixation de la peine et entraîne d’autres conséquences juridiques dans les cas et selon la procédure prévus par la loi. »

49. Dans sa version en vigueur avant le 3 août 2013, le paragraphe 3 de l’article 86 se lisait comme suit :

« 3. L’état de condamné est effacé (погашается) :

(...)

d) en ce qui concerne les personnes condamnées pour des infractions pénales graves – après l’écoulement d’une période de six ans suivant l’exécution de la peine [infligée] ;

e) en ce qui concerne les personnes condamnées pour des infractions pénales particulièrement graves – après l’écoulement d’une période de huit ans suivant l’exécution de la peine [infligée]. »

50. Depuis le 3 août 2013, les périodes mentionnées aux alinéas d) et e) de l’article 86 § 3 du CP (paragraphe 49 ci‑dessus) ont été augmentées à huit ans et dix ans respectivement.

5. Sur la responsabilité pénale pour non-respect des mesures de surveillance administrative

51. Selon l’article 314.1 du CP, en vigueur depuis le 1er juillet 2011, le non-respect du délai imparti à la personne placée sous surveillance administrative pour rejoindre son lieu de domicile après sa remise en liberté ainsi que l’absence volontaire de cette personne de son lieu de domicile en vue de se soustraire à la surveillance administrative sont punis de travaux obligatoires, de travaux correctionnels ou d’un emprisonnement (paragraphe 1). Le non-respect réitéré des mesures de surveillance administrative par la personne concernée, s’il est assorti d’une des infractions administratives énumérées au paragraphe 2 de cet article, est puni d’une amende, de travaux obligatoires, de travaux correctionnels, d’une arrestation ou d’un emprisonnement (paragraphe 2).

6. Le code des infractions administratives

52. Selon l’article 19.24 du code des infractions administratives (le CoIA), dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 2011, le non‑respect de restrictions ou d’obligations par la personne placée sous surveillance administrative, s’il ne constitue pas une infraction pénale, est puni, en ce qui concerne les restrictions, d’une amende ou d’une arrestation administrative (paragraphe 1) et, en ce qui concerne les obligations, d’une amende (paragraphe 2). La réitération de cette infraction administrative sur une période d’un an est punie de travaux obligatoires ou d’une arrestation administrative (paragraphe 3).

7. Le code de procédure civile

53. Au cours de la période comprise entre le 23 juillet 2011 et le 14 septembre 2015, la procédure relative à l’examen d’une demande tendant à la mise en place de la surveillance administrative était régie par les règles générales du code de procédure civile (CPC), avec quelques règles spécifiques contenues dans le chapitre 26.2 dudit code (articles 261.5‑261.8 du CPC). D’après les informations fournies par le Gouvernement, depuis le 15 septembre 2015, cette procédure est régie par le chapitre 29 du code de justice administrative.

54. Selon l’article 261.5 du CPC, en vigueur au moment des faits, la demande de mise en place de la surveillance administrative était introduite par l’établissement pénitentiaire ou par un organe du ministère de l’Intérieur, la demande de prolongation de la durée de la surveillance administrative et de modification des restrictions préalablement établies l’était par un organe du ministère de l’Intérieur, et la demande d’arrêt anticipé de la surveillance administrative et de la levée partielle des restrictions imposées l’était par un organe du ministère de l’Intérieur ou par la personne concernée.

55. Selon l’article 261.7 du CPC, en vigueur au moment des faits, l’examen d’une demande de mise en place de la surveillance administrative était effectué par un juge en la présence obligatoire de la personne concernée par ladite demande (paragraphe 1). Pouvaient prendre également part à l’audience un ou plusieurs représentants de l’établissement pénitentiaire ou de l’organe du ministère de l’Intérieur à l’origine de la demande ainsi que le procureur (paragraphe 1), mais leur présence n’était pas obligatoire (paragraphe 2). La charge de la preuve incombait à la partie à l’origine de la demande (paragraphe 3).

56. Selon l’article 50 du CPC, la juridiction saisie d’une affaire civile doit procéder à la désignation d’un avocat chargé de représenter la partie défenderesse dans le cas où celle-ci n’est pas représentée et son lieu de résidence n’est pas connu, ainsi que « dans d’autres cas prévus par la loi fédérale ».

8. La loi relative à l’aide juridique gratuite

57. L’octroi d’une aide juridique gratuite est régi par la loi no 324‑FZ du 21 novembre 2011 (« la loi no 324‑FZ »). L’article 6 § 1 alinéa 3 de cette loi prévoit que l’aide juridique gratuite peut être accordée sous forme de représentation par un avocat devant les tribunaux. Parmi les personnes ayant droit à l’octroi d’une aide juridique gratuite, énumérées à l’article 20 § 1 de cette même loi, figurent ceux dont le foyer familial dispose de revenus annuels moyens inférieurs au niveau régional de subsistance. L’article 20 § 3 de la loi no 324‑FZ énumère les catégories de litiges pour lesquelles l’aide juridique gratuite sous forme de représentation par un avocat peut être accordée (voir, pour leur résumé, Yevdokimov et autres c. Russie, nos 27236/05 et 10 autres, § 10, 16 février 2016). Les procédures relatives à l’examen de demandes de mise en place, de modification ou de levée d’une surveillance administrative ne relèvent pas desdites catégories.

2. LA JURISPRUDENCE INTERNE
1. La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie
1. Sur l’« état de condamné »

58. La décision no 3‑P de la Cour constitutionnelle russe du 19 mars 2003 (постановление от 19 марта 2003 г. N 3-П), en ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit :

« L’état de condamné correspond à (...) l’état juridique d’un individu découlant du fait de la condamnation de celui-ci pour une infraction pénale et de la fixation d’une peine par un tribunal [;] [il s’agit d’un état] qui, lorsque cet individu commet une nouvelle infraction, entraîne des conséquences juridiques prévues par la loi pénale ; le fait pour un individu de se trouver en état de condamné non effacé ou non retiré engendre des relations juridiques spécifiques – basées sur la loi pénale – entre cet individu et l’État [:] lorsque l’individu commet de nouvelles infractions, [ces relations] permettent d’estimer que sa personnalité et les infractions qu’il a commises dénotent une dangerosité sociale accrue et nécessitent des mesures plus sévères sur le plan de la responsabilité pénale. »

2. Sur la surveillance administrative

59. Par sa décision no 1423‑O du 27 juin 2017 (определение от 27 июня 2017 г. N 1423-О), la Cour constitutionnelle a rejeté une plainte introduite par un dénommé Z., qui alléguait que l’article 173.1 du CESP (paragraphe 31 ci‑dessus) et les articles 3 et 5 de la loi no 64‑FZ (paragraphes 34‑36 et 39 ci‑dessus) étaient contraires à l’article 54 de la Constitution (paragraphe 30 ci‑dessus).

60. Les parties pertinentes en l’espèce de cette décision se lisent comme suit :

« La surveillance administrative a pour but de contrôler – par le biais d’un organe du ministère de l’Intérieur – si une personne libérée d’un établissement pénitentiaire se conforme aux mesures restrictives temporaires de ses droits et libertés imposées par un tribunal conformément à la loi [no 64‑FZ] (alinéa 1 de l’article 1) et si elle respecte les obligations découlant de ladite loi fédérale (article 2) ; [par conséquent, la surveillance administrative] constitue un moyen de prévention du crime et de la délinquance et de prévention individuelle à l’égard de la personne concernée (article 2), et non pas une mesure de responsabilité pour l’infraction commise. De même, la mise en place de la surveillance administrative n’est pas liée au moment de la commission de l’infraction mais au moment de la libération de la personne d’un établissement pénitentiaire et à l’existence de l’état de condamné [dans le chef de ladite personne], ce qui entraîne des conséquences juridiques dans les cas et selon la procédure prévus par la loi fédérale (article 86 du CP de la Fédération de Russie). La mise en place de restrictions administratives par un tribunal ne peut être considérée comme un établissement de la responsabilité pour un acte qui, au moment de sa commission, ne constituait pas une infraction, ou comme une aggravation [de cette responsabilité]. Par conséquent, l’application des dispositions de la loi [no 64‑FZ] à l’égard des personnes se trouvant en état de condamné ne constitue pas une application rétroactive [desdites dispositions].

La mise en place de la surveillance administrative dans le but de la prévention de la délinquance et de la prévention individuelle à l’égard d’une personne libérée d’un établissement pénitentiaire qui se trouve en état de condamné en raison de la commission d’une infraction grave ou particulièrement grave, d’une infraction en récidive, d’une infraction avec préméditation à l’égard d’un mineur (...), notamment [la mise en place] de restrictions [prévues à l’article 4 § 1 de la loi no 64‑FZ], est conforme à l’article 55 § 3 de la Constitution de la Fédération de Russie (...) et proportionnée aux buts constitutionnels poursuivis par la mise en place de la surveillance administrative (décisions de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie no 597‑O‑O du 22 mars 2012, no 1739‑O du 24 septembre 2012, no 2064‑O du 22 novembre 2012, no 885‑O du 22 avril 2014, no 898-О du 23 avril 2015, no 2876-О du 22 décembre 2015, no 545-О du 29 mars 2016, no 1947‑O‑O du 29 septembre 2016 et no 1423-O du 27 juin 2017).

Par ailleurs, les éléments soumis [à la Cour constitutionnelle] ne font apparaître aucune incertitude dans les normes légales susceptibles d’empêcher l’interprétation et l’application uniformes de celles-ci (...) »

2. La Cour suprême de la Fédération de Russie

61. Le 27 juin 2013, le plénum de la Cour suprême russe a adopté une directive, no 22, intitulée « Sur l’application de la législation par les tribunaux lors de l’examen des affaires relatives à la surveillance administrative ». Le 16 mai 2017, ce texte a été remplacé par une directive, no 15, intitulée « Sur des questions des tribunaux portant sur l’examen des affaires relatives à la surveillance administrative des personnes libérées des établissements pénitentiaires ». Selon le point 1 de la directive no 15, les restrictions administratives établies sur le fondement de la loi no 64‑FZ ne constituent pas une peine pour une infraction pénale mais une mesure qui vise à la prévention de la commission de nouvelles infractions par les personnes se trouvant en état de condamné en raison de condamnations pour certaines infractions pénales.

LES ÉLÉMENTS DU DROIT COMPARÉ

62. Certains éléments de droit comparé relatifs aux mesures de surveillance de police dans les États membres du Conseil de l’Europe sont résumés dans l’arrêt De Tommaso c. Italie ([GC], no 43395/09, §§ 69‑73, 23 février 2017).

EN DROIT

1. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

63. Compte tenu de la similitude des requêtes quant à leur objet, la Cour décide de joindre celles-ci et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

64. Le premier requérant allègue que les mesures de surveillance administrative qui lui ont été imposées constituent une « peine » qui n’existait pas à l’époque où il avait commis l’infraction à l’origine de sa condamnation et qui, par conséquent, lui a été infligée rétroactivement. Il invoque l’article 7 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

65. Le Gouvernement avance que la surveillance administrative, introduite dans l’ordre juridique interne avec l’adoption de la loi no 64‑FZ (paragraphe 32 ci‑dessus), est un régime juridique complexe créé sur la base du droit administratif et qu’en même temps, en tant que forme de contrainte administrative, elle ne peut être mise en place qu’à la suite d’une condamnation pénale définitive.

66. À la lumière des dispositions du droit et de la pratique internes, notamment de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (paragraphes 58‑60 ci‑dessus), le Gouvernement argue que la surveillance administrative ne constitue pas une peine mais une mesure d’amendement et de prévention visant à la protection de la société contre un criminel dangereux. Il soutient que la surveillance administrative mise en place à l’égard du premier requérant par la décision du 26 novembre 2013 était une conséquence de la condamnation pénale de l’intéressé mais ne constituait pas une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention car, selon lui, le but des mesures appliquées était de prévenir la récidive et ces mesures ne pouvaient être regardées comme ayant un caractère répressif.

2. Le premier requérant

67. Le premier requérant soutient, contrairement au Gouvernement, que les mesures de surveillance administrative litigieuses constituaient une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention. Il argue que, au moment de sa condamnation en 2003, il ne pouvait pas prévoir qu’il serait placé sous surveillance administrative sur le fondement de la loi no 64‑FZ, celle-ci ayant été adoptée en 2011.

68. Il estime que les mesures instaurées par le régime juridique de la surveillance administrative sont suffisamment graves dès lors que leur non‑respect pourrait aboutir à l’infliction d’une sanction administrative pouvant aller jusqu’à quinze jours d’arrestation en application de l’article 19.24 du CoIA (paragraphe 52 ci‑dessus) ou d’une sanction pénale d’emprisonnement en application de l’article 314.1 du CP (paragraphe 51 ci‑dessus). Il signale que les mesures pouvant être imposées dans le cadre de la surveillance administrative sont identiques aux obligations et restrictions prévues dans le cadre de la peine restrictive de liberté visée à l’article 53 du CP (paragraphes 45‑46 ci‑dessus).

69. Selon le premier requérant, la procédure de mise en place de la surveillance administrative équivaut à une procédure de fixation de la peine en tant que partie intégrale de la détermination de l’« accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

70. Eu égard aux observations des parties, la Cour estime que la principale question à laquelle elle doit répondre est celle de savoir si les mesures de surveillance administrative appliquées au premier requérant constituaient une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention ou bien si elles sortaient du champ d’application de cette disposition.

71. La Cour rappelle que la notion de « peine » contenue dans l’article 7 de la Convention possède une portée autonome. Pour rendre effective la protection offerte par cette disposition, la Cour doit demeurer libre d’aller au‑delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 82, CEDH 2013, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 210, 28 juin 2018, et Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 203, 4 décembre 2018).

72. Le libellé de l’article 7 § 1 de la Convention, seconde phrase, indique que le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une « peine » consiste à déterminer si la mesure en question a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale. Toutefois, d’autres éléments peuvent également être jugés pertinents à cet égard, à savoir la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Del Río Prada, précité, § 82, et G.I.E.M. S.R.L. et autres, précité, § 211).

73. La Cour rappelle également que, faisant application des critères susmentionnés, elle a établi une distinction entre, d’une part, des mesures poursuivant un but punitif qui constituaient une peine et qui ne pouvaient être appliquées rétroactivement (M. c. Allemagne, no 19359/04, §§ 122‑137, CEDH 2009) et, d’autre part, des mesures poursuivant un but préventif auxquelles le principe de non‑rétroactivité énoncé dans l’article 7 ne s’appliquait pas (Ibbotson c. Royaume-Uni, no 40146/98, décision de la Commission du 21 octobre 1998, non publiée, Adamson c. Royaume-Uni (déc.), no 42293/98, 26 janvier 1999, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006-XV, Gardel c. France, no 16428/05, §§ 34‑47, CEDH 2009, et Berland c. France, no 42875/10, §§ 45‑46, 3 septembre 2015).

74. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour relève d’abord que le premier requérant a été placé sous surveillance administrative sur le fondement de la décision du 26 novembre 2013 (paragraphe 11 ci‑dessus) et que ce placement a eu lieu plusieurs années après sa condamnation pénale, qui avait été prononcée le 24 octobre 2003 (paragraphe 4 ci‑dessus). Elle constate que ledit placement était néanmoins lié à la condamnation de l’intéressé et lui faisait suite. En effet, conformément à l’article 3 §§ 1 et 2 (alinéa 2) de la loi no 64‑FZ, toute personne libérée d’un établissement pénitentiaire qui se trouvait en état de condamné en raison d’une condamnation pour une infraction commise en récidive dangereuse ou particulièrement dangereuse se voyait appliquer automatiquement la surveillance administrative (paragraphe 35 ci‑dessus). En l’occurrence, le premier requérant, qui avait été condamné pour une infraction commise en récidive dangereuse, relevait de cette catégorie de personnes. D’ailleurs, d’après le Gouvernement, l’imposition des mesures litigieuses était une conséquence de la condamnation pénale de l’intéressé (paragraphe 65 ci‑dessus).

75. S’agissant de la qualification de la surveillance administrative en droit interne, la Cour relève que la base légale de ce régime est constituée premièrement de l’article 173.1 du CESP (paragraphe 31 ci‑dessus), qui, pour ce qui est des modalités de son application, renvoie aux dispositions de la loi no 64‑FZ (paragraphes 32‑42 ci‑dessus). Elle observe que, d’un côté, le CESP concerne l’exécution des peines, et ressortit donc clairement au domaine pénal, et, de l’autre, tant cet article que la loi no 64‑FZ qualifient la surveillance en cause d’« administrative ». Toutefois, les indications que fournit le droit interne de l’État défendeur n’ont qu’une valeur relative (Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, § 52, série A no 73). La Cour rappelle avoir noté qu’« un même type de mesure peut être qualifié de peine supplémentaire dans un État et de mesure de sûreté dans un autre » (M. c. Allemagne, précité, § 74). Ainsi, « la supervision de la conduite d’un individu après sa libération, par exemple, est considérée comme une peine supplémentaire dans les articles 131-36-1 et suivants du code pénal français et comme une mesure de sûreté dans les articles 215 et 228 du code pénal italien » (ibidem). La Cour estime donc que la qualification de la mesure litigieuse d’« administrative » dans le droit interne russe ne doit pas automatiquement aboutir à la conclusion de l’inapplicabilité de l’article 7 de la Convention.

76. En l’occurrence, la Cour note que tant la Cour constitutionnelle que la Cour suprême russe ont considéré que la surveillance administrative ne constituait pas une « peine » au sens de la loi pénale russe mais une mesure de prévention de la délinquance et de prévention personnelle (paragraphes 58‑61 ci‑dessus). La Cour, quant à elle, estime également que l’objectif principal des mesures mises en cause par le premier requérant est d’empêcher la récidive. Lesdites mesures ont donc un but préventif et ne peuvent être regardées comme ayant un caractère répressif et comme constituant une sanction.

77. Quant à la ressemblance des mesures imposées dans le cadre de la surveillance administrative à celles constituant une peine restrictive de liberté, la Cour note que, selon l’article 60 § 3 du CP, la fixation de la peine s’effectue en tenant compte des circonstances aggravantes et atténuantes de la commission de l’infraction (paragraphe 47 ci‑dessus), et donc du degré de culpabilité de l’auteur (voir, dans ce sens, Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 33, série A no 307-A). Or la mise en place de la surveillance administrative ne dépend pas du degré de culpabilité de la personne concernée et se fonde sur la « dangerosité » de la personne condamnée en état de récidive (voir la position de la Cour constitutionnelle russe sur la notion d’« état de condamné » dans sa décision no 3‑P du 19 mars 2003, citée au paragraphe 58 ci‑dessus). De ce point de vue, cette mesure ne revêt pas un caractère répressif.

78. S’agissant de la procédure associée à l’adoption et à la mise en œuvre de la surveillance administrative, la Cour note qu’au moment des faits elle était régie par les dispositions du chapitre 26.2 du CPC. Le Gouvernement a précisé que, depuis le 15 septembre 2015, cette procédure est régie par le chapitre 29 du CJA. La procédure était donc de nature civile, et elle est maintenant de nature administrative, ne relevant pas de la justice pénale.

79. La Cour relève que le premier requérant accorde un poids considérable au fait que le non‑respect éventuel desdites mesures l’expose à des sanctions administratives, voire pénales (paragraphes 51‑52 ci‑dessus). Elle note toutefois que les sanctions en cause ne pourront être infligées que dans le cadre d’une procédure judiciaire distincte au cours de laquelle le juge compétent pourra apprécier le caractère fautif ou non du manquement (Gardel, précité, § 44).

80. Enfin, s’agissant de la sévérité des mesures litigieuses, la Cour observe que l’obligation de se présenter à l’autorité compétente imposée au premier requérant (trois fois par mois jusqu’au 5 septembre 2014 et une fois par mois à partir de cette date) ainsi que l’obligation de déclarer tout changement d’adresse dans un délai de trois jours ouvrés après ledit changement (avant pareil changement depuis le 1er octobre 2019) étaient certes contraignantes (comparer avec Ibbotson, décision de la Commission précitée, et Adamson, décision précitée, concernant l’obligation, pour une durée illimitée, de déclarer les changements d’adresse au plus tard dans un délai de quinze jours ; et Gardel, précité, § 38, concernant l’obligation, pour une durée de trente ans, de justifier l’adresse tous les six mois et de déclarer les changements d’adresse au plus tard dans un délai de quinze jours). Ces obligations étaient accompagnées de restrictions supplémentaires dont l’impact sur la vie de l’intéressé était substantiel. Cependant, la gravité des mesures en cause n’est pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent, de même que des mesures devant être qualifiées de peines, avoir un impact substantiel sur la personne concernée (Del Río Prada, précité, § 82, et Ilnseher, précité, § 203).

81. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, la Cour estime que les obligations et restrictions imposées au premier requérant dans le cadre de la surveillance administrative ne constituaient pas une « peine » au sens de l’article 7 § 1 de la Convention et qu’elles doivent être analysées comme des mesures préventives auxquelles le principe de non-rétroactivité énoncé dans cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer (voir, dans le même sens, Gardel, précité, § 46).

82. Dès lors, il convient de rejeter le grief tiré de l’article 7 de la Convention comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

83. Le second requérant se plaint d’avoir été puni une deuxième fois ‑ en raison de son placement sous surveillance administrative – pour les infractions pour lesquelles il avait déjà été condamné par un jugement définitif. Il invoque l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »

1. Thèses des parties

84. Le Gouvernement présente en substance les mêmes observations que celles formulées sur le terrain de l’article 7 de la Convention (paragraphes 65‑66 ci‑dessus) pour dire que la mise en place de la surveillance administrative à l’égard du second requérant n’équivalait pas à le « punir pénalement » au sens de l’article 4 du Protocole no 7. À titre subsidiaire, il argue que la procédure pénale dirigée contre le second requérant, terminée en 2007, et la procédure concernant le placement sous surveillance administrative de l’intéressé, terminée en 2014, étaient unies par un « lien matériel et temporel suffisamment étroit » et constituaient un « tout cohérent » au sens de la jurisprudence A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, §§ 130‑132, 15 novembre 2016).

85. Le second requérant conteste cette thèse et soutient qu’il n’existait aucun lien matériel et temporel suffisamment étroit au sens de la jurisprudence A et B c. Norvège, précitée.

2. Appréciation de la Cour

86. Comme la Cour l’a déjà dit à de nombreuses reprises, la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (A et B c. Norvège, précité, § 133). Conformément au principe de l’interprétation harmonieuse de la Convention, la Cour a conclu que les termes « procédure pénale » employés dans le texte de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention devaient être interprétés à la lumière des principes généraux applicables aux expressions « accusation en matière pénale » (criminal charge) et « peine » (penalty) figurant respectivement à l’article 6 et à l’article 7 de la Convention (Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], n 14939/03, § 52, CEDH 2009, et les références qui y figurent). Par conséquent, eu égard à ses conclusions aux paragraphes 71‑82 ci‑dessus, selon lesquelles les mesures de surveillance administrative ne constituaient pas une peine au sens de l’article 7 de la Convention, elle estime que l’imposition desdites mesures au second requérant ne revenait pas à le « punir pénalement » au sens de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.

87. Dès lors, il convient de rejeter le grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention comme étant incompatible ratione materiae avec cette disposition, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

88. Le premier requérant se plaint du rejet de sa demande tendant à l’obtention d’une aide juridique gratuite lors de la procédure portant sur son placement sous surveillance administrative. Il invoque l’article 6 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

1. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

89. Le Gouvernement estime que le volet « civil » de l’article 6 de la Convention est applicable à la procédure relative à la mise en place de la surveillance administrative à l’égard du premier requérant. Il indique que l’article 50 du CPC (paragraphe 56 ci‑dessus) n’était applicable qu’à des situations dans lesquelles l’adresse de la partie défenderesse n’était pas connue et que tel n’était pas le cas en l’espèce. Il expose qu’aucune autre disposition légale en vigueur au moment des faits ne prévoyait l’octroi d’une aide juridique gratuite dans le cadre de la procédure relative à la mise en place de la surveillance administrative, et qu’il en va de même s’agissant du chapitre 29 du CJA, applicable depuis le 15 septembre 2015 (paragraphes 53‑55 ci‑dessus).

b) Le premier requérant

90. Le premier requérant estime que le volet « pénal » de l’article 6 de la Convention est applicable étant donné la gravité de l’enjeu dans la procédure relative à son placement sous surveillance administrative.

91. À titre subsidiaire, pour le cas où la Cour conclurait à l’inapplicabilité du volet pénal, le premier requérant invite celle-ci à reconnaître l’applicabilité du volet civil de cette disposition de la Convention, conformément aux conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’arrêt De Tommaso (précité, §§ 144‑155). Il attire l’attention de la Cour sur le fait que le Gouvernement a admis l’applicabilité de l’article 6 de la Convention sous son volet civil.

2. Appréciation de la Cour

92. La Cour rappelle avoir conclu que les obligations et restrictions imposées au premier requérant lors de son placement sous surveillance administrative ne constituaient pas « une peine » au sens de l’article 7 de la Convention (paragraphe 81 ci‑dessus). Eu égard aux critères applicables aux expressions « accusation en matière pénale » (criminal charge) et « peine » (penalty) figurant respectivement à l’article 6 et à l’article 7 de la Convention (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 52), force est de constater que le volet « pénal » de l’article 6 de la Convention ne s’applique pas à la procédure relative au placement dudit requérant sous surveillance administrative.

93. La Cour rappelle toutefois que dans l’arrêt De Tommaso elle a conclu que certaines limitations, telles que « l’obligation de ne pas sortir la nuit, de ne pas s’éloigner de la commune de résidence, de ne pas participer à des réunions publiques, de ne pas utiliser de téléphones portables et d’appareils radioélectriques pour communiquer, rel[evaient] assurément des droits de la personne et, partant, revêt[aient] un caractère civil » (précité, § 145). En l’espèce, la Cour constate que les obligations et restrictions imposées au premier requérant dans le cadre de la surveillance administrative (paragraphe 11 ci‑dessus) étaient dans une large mesure similaires aux obligations examinées dans l’affaire De Tommaso, précitée. Elle estime donc que ses conclusions dans ladite affaire sont transposables au cas d’espèce et conclut que le grief du premier requérant concernant l’impossibilité de bénéficier de l’aide juridique gratuite dans le cadre de la procédure relative à son placement sous surveillance administrative est compatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention dès lors qu’il a trait à l’article 6 § 1 de la Convention sous son volet civil.

94. Ce grief n’étant pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtant à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le premier requérant

95. Le premier requérant argue que l’enjeu de la procédure était important pour lui car celle-ci touchait à plusieurs aspects de sa vie privée, par exemple, au choix de son lieu de résidence et à l’organisation de sa vie familiale, entre autres. À ses yeux, les questions légales susceptibles d’être examinées pendant la procédure, y compris celles qui pouvaient être soulevées sur la base de la Convention, étaient complexes, ce qui est confirmé par le nombre de questions posées par la Cour lors de la communication de l’affaire au gouvernement défendeur. Le premier requérant précise qu’il n’est pas un professionnel du droit et qu’il a été incarcéré pendant plus de dix ans avant l’examen de la demande de placement sous surveillance administrative le visant. Il ajoute qu’il était confronté à un représentant de l’administration pénitentiaire et que, de par la nature de ses fonctions, celui-ci était un spécialiste dans ce domaine. En prononçant plusieurs ajournements d’audience afin de lui permettre de trouver un représentant, les juridictions internes auraient en substance reconnu l’importance de la représentation juridique dans la procédure litigieuse sans cependant examiner en détail sa situation.

b) Le Gouvernement

96. Le Gouvernement argue qu’à plusieurs reprises la juridiction de première instance a reporté les audiences pour permettre au premier requérant de se préparer à l’examen de l’affaire et de trouver un représentant. Selon le Gouvernement, l’instance d’appel a laissé la possibilité au premier requérant de conclure une convention d’assistance juridique avec l’avocat N., ce à quoi l’intéressé a failli. Or, ayant été remis en liberté une semaine avant l’examen de son appel, le premier requérant aurait eu suffisamment de temps pour trouver un représentant avant l’audience devant la cour régionale de Vladimir.

97. Enfin, le Gouvernement soutient que le premier requérant a pris part à toutes les audiences en personne ou par le biais de la vidéoconférence. Il précise que ni la présence de la partie à l’origine de la demande relative à la mise sous surveillance administrative ni celle du procureur n’étaient obligatoires.

2. Appréciation de la Cour

98. La Cour souligne d’emblée que la Convention n’oblige pas à accorder l’aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile. En effet, il y a une nette distinction entre les termes de l’article 6 § 3 c) de la Convention, qui garantit le droit à l’aide judiciaire gratuite sous certaines conditions dans les procédures pénales, et ceux de l’article 6 § 1, qui ne renvoie pas du tout à l’aide judiciaire (Del Sol c. France, no 46800/99, § 20, CEDH 2002‑II).

99. Dans son arrêt Steel et Morris c. Royaume-Uni (no 68416/01, CEDH 2005‑II), la Cour a formulé ainsi les critères applicables en la matière :

« 59. La Cour rappelle que la Convention a pour but de protéger des droits concrets et effectifs. La remarque vaut en particulier pour le droit d’accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (arrêt Airey, précité, pp. 12-14, § 24). Il est essentiel à la notion de procès équitable, tant au civil qu’au pénal, qu’un plaideur se voie offrir la possibilité de défendre utilement sa cause devant le tribunal (ibidem) et qu’il bénéficie de l’égalité des armes avec son adversaire (voir, parmi de nombreux autres exemples, De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 238, § 53).

60. L’article 6 § 1 laisse à l’Etat le choix des moyens à employer pour garantir aux plaideurs les droits susmentionnés. L’instauration d’un système d’aide judiciaire en constitue un, mais il y en a d’autres, par exemple une simplification de la procédure (Airey, pp. 14-16, § 26, et McVicar, § 50).

61. La question de savoir si l’octroi d’une aide judiciaire est nécessaire pour que la procédure soit équitable doit être tranchée au regard des faits et circonstances particuliers de chaque espèce et dépend notamment de la gravité de l’enjeu pour le requérant, de la complexité́ du droit et de la procédure applicables, ainsi que de la capacité du requérant de défendre effectivement sa cause (Airey, pp. 14-16, § 26 ; McVicar, §§ 48 et 50 ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 91, CEDH 2002‑VI ; et aussi Munro, décision précitée).

62. Toutefois, le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu ; il peut donner lieu à des limitations à condition que celles-ci poursuivent un but légitime et soient proportionnées (Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 93, pp. 24-25, § 57). Il peut par conséquent être acceptable d’imposer des limitations à l’octroi d’une aide judiciaire notamment en fonction de la situation financière du plaideur ou de ses chances de succès dans la procédure (Munro, décision précitée). En outre, l’Etat n’a pas pour obligation de chercher à garantir, au moyen de fonds publics, une égalité des armes totale entre la personne assistée et son adversaire, du moment que chaque partie se voit offrir une possibilité́ raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (De Haes et Gijsels, précité, p. 238, § 53, et aussi McVicar, §§ 51 et 62). »

100. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour constate que, comme indiqué par le Gouvernement (paragraphe 89 ci‑dessus), aucune disposition du droit interne en vigueur au moment des faits ne prévoyait la possibilité d’octroi d’une aide judiciaire gratuite dans le cadre d’une procédure de placement sous surveillance administrative. Elle relève notamment que, selon l’article 20 § 3 de la loi no 324‑FZ, les procédures relatives à l’examen de demandes de mise en place, de modification ou de levée d’une surveillance administrative ne relèvent pas des catégories de litiges pour lesquelles l’aide juridique gratuite sous forme de représentation par un avocat peut être accordée (paragraphe 57 ci‑dessus). Toutefois, comme il a été rappelé ci‑dessus, l’instauration d’un système d’aide judiciaire ne constitue qu’un moyen parmi d’autres propre à garantir l’équité de la procédure.

101. La Cour relève ensuite que, selon l’article 261.5 du CPC en vigueur au moment des faits, la demande de mise en place de la surveillance administrative était en principe introduite par l’établissement pénitentiaire (paragraphes 54‑55 ci‑dessus). Ayant fait l’objet d’une telle demande (paragraphe 5 ci‑dessus), le premier requérant était donc défendeur dans une procédure engagée par les autorités internes. Il s’ensuit qu’en l’espèce la question n’est pas de savoir si le premier requérant a bénéficié de l’accès à un tribunal en tant que tel, mais si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’absence d’aide judiciaire a privé l’intéressé d’un procès équitable et a enfreint son droit de présenter effectivement sa défense, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention (McVicar c. Royaume-Uni, no 46311/99, §§ 50‑51, CEDH 2002‑III).

102. La Cour rappelle avoir attaché une importance particulière à la question de savoir si un droit protégé par la Convention était mis en cause dans la procédure interne, par exemple lorsqu’il s’agissait d’un droit protégé par l’article 10 de la Convention (Steel et Morris, précité, § 63). Elle a également tenu compte des conséquences que la procédure en question pouvait avoir sur la vie privée et familiale, notamment en ce qui concerne les rapports juridiques entre deux individus (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24., série A no 32), la garde des enfants (P., C. et S. c. Royaume‑Uni, no 56547/00, § 92, CEDH 2002‑VI) ou le droit de visite (Nenov c. Bulgarie, no 33738/02, §§ 45 et 52, 16 juillet 2009). En l’espèce, elle constate que la gravité de l’enjeu pour le premier requérant dans cette procédure était indéniablement importante : les restrictions imposées à l’intéressé avaient de sérieuses répercussions sur sa vie privée et sur l’exercice de ses droits, notamment de son droit à la liberté de circulation.

103. En ce qui concerne la complexité de la procédure, la Cour note que l’examen judiciaire de la demande tendant au placement du premier requérant sous surveillance administrative était régi par le code de procédure civile en vigueur au moment des faits. Ni le premier requérant ni le Gouvernement ne se sont prononcés sur la question de savoir si la procédure était particulièrement complexe, par exemple en raison de règles spécifiques quant à la forme des observations des parties (voir, à titre d’exemple, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 40, CEDH 2000‑IX) ou quant à la présentation de preuves (voir, à titre d’exemple, McVicar, précité, § 54). La Cour, quant à elle, relève que les éléments soumis à l’attention du tribunal de l’arrondissement Oktiabrskiy n’étaient pas excessivement volumineux et que l’examen au fond de la demande du 17 septembre 2013 a nécessité une seule audience (paragraphes 9‑10 ci‑dessus ; comparer, a contrario, avec Steel et Morris, précité, § 65). Quant au droit matériel, la Cour constate que l’examen de la demande tendant à la mise en place de la surveillance administrative portait sur des questions juridiques qui demandaient une certaine connaissance du droit et de la jurisprudence (voir la partie relative au droit interne pertinent, paragraphes 30‑61 ci‑dessus).

104. En ce qui concerne la capacité du premier requérant à défendre effectivement sa cause, la Cour observe que l’intéressé n’était pas une personne expérimentée ou spécialiste dans le domaine du droit (voir, a contrario, McVicar, précité, § 53). Elle rappelle que les parties à une affaire peuvent se heurter à certains problèmes juridiques délicats, tels que la nécessité de recueillir des dépositions d’experts, de respecter des délais légaux, de formuler des questions et des objections pertinentes pour l’issue du litige, de rechercher des témoins, de les citer et de les interroger (Nenov, précité, § 46). En l’occurrence, la Cour constate que, lors de l’audience du 26 novembre 2013, le premier requérant a fait part de ses difficultés relatives à l’envoi de ses plaintes par l’administration pénitentiaire et qu’il a également demandé l’assistance du tribunal dans la collecte de preuves pour démontrer que l’attestation du 7 décembre 2013 portant sur son évaluation psychologique avait été falsifiée par l’administration de la colonie pénitentiaire (paragraphes 9‑10 ci‑dessus). Cependant, le juge n’a pas assisté le premier requérant, ayant décidé de rejeter toutes ses demandes procédurales faites en ce sens (comparer, a contrario, avec Steel et Morris, précité, § 69, affaire dans laquelle les juges internes avaient accordé une « ample assistance » et une « grande liberté » aux requérants). Or la Cour estime que, si le premier requérant avait été représenté par un avocat, il aurait pu préparer sa défense afin de remettre en cause les éléments versés par son adversaire. Aux yeux de la Cour, il était d’autant plus important d’assurer au premier requérant la défense de sa cause que, pour imposer les restrictions administratives audit requérant, le juge de première instance a pris en compte la « personnalité » de l’intéressé et « l’avis négatif » de l’administration de l’établissement pénitentiaire (paragraphe 11 ci‑dessus). La Cour observe en outre que l’adversaire du premier requérant, à savoir le représentant de la colonie pénitentiaire, a bénéficié de l’assistance du procureur tout au long de la procédure.

105. La Cour note ensuite que, en l’occurrence, les juridictions internes ont prononcé plusieurs ajournements afin de permettre au premier requérant de trouver un représentant (paragraphes 6‑7 ci‑dessus). Elle constate en même temps que les demandes de l’intéressé formulées sur le terrain de l’article 50 du CPC étaient motivées par l’absence de moyens financiers pour rémunérer un avocat, et non pas par le manque de temps pour en trouver. Les ajournements prononcés n’auraient donc pas pu remédier à la situation du premier requérant, lequel purgeait une peine d’emprisonnement au moment de l’examen de l’affaire par la juridiction de première instance et, de ce fait, avait peu de chances de voir sa situation financière s’améliorer. Il en va de même quant à la procédure en instance d’appel : bien que celle-ci eût ajourné l’audience pour permettre à l’intéressé de conclure une convention d’assistance juridique avec l’avocat N. (paragraphes 15‑16 ci‑dessus), rien ne permet d’admettre qu’une telle convention aurait pu être conclue à titre gratuit.

106. Enfin, tenant compte de la situation du premier requérant qui, jusqu’à une semaine avant l’audience devant la cour régionale, était un détenu purgeant une peine d’emprisonnement, et des difficultés rencontrées par ledit requérant pour préparer sa défense, la Cour estime que l’intéressé a dû être bien plus éprouvé du point de vue physique et émotionnel par la procédure qu’un avocat expérimenté ne l’aurait été (McVicar, précité, § 51).

107. Eu égard à ce qui précède, notamment à la gravité de l’enjeu pour le premier requérant dans la procédure relative à son placement sous surveillance administrative pour une durée de huit ans ainsi qu’aux difficultés rencontrées par l’intéressé pour préparer sa défense, dont celui‑ci a fait part aux tribunaux, la Cour estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’impossibilité pour ledit requérant de bénéficier d’une aide judiciaire gratuite en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat a dû placer l’intéressé dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. En conséquence, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

5. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 4 À LA CONVENTION

108. Le second requérant dénonce une violation de son droit de circuler librement et de choisir librement sa résidence à raison des restrictions qui lui ont été imposées dans le cadre de la surveillance administrative. Il invoque l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit :

« 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

(...)

3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique. »

1. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

109. Le Gouvernement soutient que le second requérant n’a pas respecté le délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. À cet égard, il estime qu’en l’espèce ce délai doit être calculé à partir du 1er juillet 2014, date à laquelle la cour régionale de Yaroslavl a adopté sa décision en appel (paragraphe 27 ci‑dessus). Qualifiant cette décision de « définitive » au sens de la Convention, le Gouvernement indique que l’intéressé a saisi la Cour le 24 avril 2015, soit après l’écoulement du délai de six mois, et que, par conséquent, son grief est tardif.

b) Le second requérant

110. Le second requérant conteste la position du Gouvernement. Il dit qu’il a en effet saisi la Cour le 24 avril 2015, soit avant l’adoption de la décision Abramyan et autres c. Russie ((déc.), nos 38951/13 et 59611/13, 12 mai 2015), dans laquelle la Cour a considéré qu’un pourvoi devant les deux nouvelles instances de cassation était une voie de recours effective aux fins de la détermination de la décision « définitive » au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Faisant une lecture combinée de la décision Abramyan et autres (précitée) et de l’arrêt Novruk et autres c. Russie (nos 31039/11 et 4 autres, §§ 75‑76, 15 mars 2016), l’intéressé soutient qu’un pourvoi devant une ou deux instances de cassation devrait être pris compte aux fins du calcul du délai de six mois de l’article 35 § 1 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

111. La Cour rappelle que, en ce qui concerne la procédure civile existant avant le 1er janvier 2012, une décision interne « définitive » au sens de l’article 35 de la Convention était celle rendue par une juridiction statuant en appel (une juridiction de deuxième degré) (Tumilovich c. Russie (déc.), no 47033/99, 22 juin 1999, Denisov c. Russie (déc.), no 21823/03, 21 janvier 2007, et Martynets c. Russie (déc.), no 29612/09, 5 novembre 2009). Le 1er janvier 2012, une nouvelle procédure de cassation est venue compléter le CPC, ouvrant deux nouveaux recours consécutifs devant les présidiums des cours régionales (juridiction de troisième degré) et devant la Cour suprême russe (juridiction de quatrième degré) respectivement (Abramyan et autres, décision précitée). La Cour souligne que ce n’est que le 12 mai 2015 – soit après la survenance des faits à l’origine du litige objet de la requête concernée en l’occurrence et après l’introduction de celle-ci – qu’elle a qualifié la nouvelle procédure de cassation de voie de recours effective au sens de l’article 35 de la Convention (ibidem). La Cour rappelle également que, dans certaines affaires russes rendues après la décision Abramyan et autres (précitée), elle n’a pas reproché aux requérants de ne pas avoir fait usage de ce recours à une époque où cette voie de droit n’était pas encore qualifiée d’effective (voir, à titre d’exemples, Kocherov et Sergeyeva c. Russie, no 16899/13, §§ 64-69, 29 mars 2016, et Berkovich et autres c. Russie, nos 5871/07 et 9 autres, § 69, 27 mars 2018).

112. En l’espèce, la Cour note que le second requérant a introduit un recours en cassation devant la juridiction de troisième degré, qui a rendu sa décision le 13 novembre 2014 (paragraphe 29 ci‑dessus). L’intéressé a donc saisi la Cour dans les six mois après la décision rendue par la juridiction de troisième degré, mais plus de six mois après la date de la décision rendue par celle de deuxième degré, à savoir le 1er juillet 2014. La Cour estime toutefois qu’il ne peut être reproché au second requérant d’avoir fait usage d’un recours à une époque où elle ne s’était pas encore prononcée sur la compatibilité de celui-ci avec l’article 35 de la Convention, dont elle a elle‑même reconnu l’effectivité par la suite (voir, pour une approche similaire, Zubkov et autres c. Russie, nos 29431/05 et 2 autres, §§ 106-107, 7 novembre 2017). En même temps, elle estime qu’il ne s’impose pas de se pencher sur la question de savoir si le second requérant aurait dû introduire un recours en cassation devant la juridiction de quatrième degré puisque le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception de non‑épuisement des voies de recours internes.

113. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la décision de la cour régionale de Yarsolavl du 13 novembre 2014 constitue la décision interne « définitive » au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et que, ayant introduit sa requête le 24 avril 2015, le second requérant a donc respecté le délai de six mois prévu par cette disposition.

114. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le second requérant

115. Le second requérant soutient que l’ingérence litigieuse ne peut être considérée comme « prévue » par la loi au motif que l’application de la loi no 64‑FZ à son égard était imprévisible au moment de sa condamnation pénale en 2007.

116. S’agissant des buts de l’ingérence, le second requérant indique que la liste des infractions dont les auteurs sont susceptibles d’être placés sous surveillance administrative manque de cohérence : y figureraient, d’un côté, des crimes particulièrement graves passibles d’une peine d’emprisonnement de vingt ans et, de l’autre, des infractions de gravité moyenne (paragraphe 34 ci‑dessus).

117. Le second requérant soutient ensuite que le but de la prévention de la délinquance évoqué par le Gouvernement est contredit par des données statistiques du département de la justice de la Cour suprême russe dont il fait sa propre analyse. S’appuyant sur la lecture faite par lui de ces données, il soutient qu’il n’y a pas d’éléments susceptibles d’étayer la thèse du Gouvernement selon laquelle la surveillance administrative permet de réduire la récidive. L’intéressé argue que, depuis 2011, aucune évaluation officielle ou non officielle n’a été menée pour mesurer l’impact de la surveillance administrative sur le taux de criminalité en général, ou bien l’impact de la restriction à la liberté de circulation sur le taux de récidive des anciens condamnés.

118. Le second requérant indique ensuite que la durée pour laquelle les mesures litigieuses ont été imposées, six ans en l’occurrence, peut être comparée à celle examinée dans l’affaire Rosengren c. Roumanie (no 70786/01, § 38, 24 avril 2008), dans laquelle la Cour a conclu que l’interdiction de quitter la ville pendant six ans et trois mois était en soi suffisante pour emporter violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention. L’intéressé signale que l’affaire Rosengren, précitée, et les affaires auxquelles celle‑ci se réfère concernaient des mesures restrictives à la liberté de circulation imposées au cours d’une enquête pénale alors que, en l’espèce, les mesures litigieuses lui ont été imposées bien après sa condamnation au pénal et sa remise en liberté consécutive à l’exécution de la peine d’emprisonnement.

119. Pour le second requérant, l’impossibilité de fixer une durée plus courte que celle prévue par la loi no 64‑FZ empêche le juge chargé d’appliquer la surveillance administrative de procéder à une évaluation individualisée de la situation de la personne concernée par cette mesure. L’intéressé fait remarquer à cet égard que la durée pour laquelle est établie la surveillance administrative est plus longue que celle prévue pour la peine restrictive de liberté (paragraphe 46 ci‑dessus).

120. À l’appui de son argument quant à l’absence d’approche individualisée lors de l’examen des demandes de placement sous surveillance administrative, le second requérant soumet des données statistiques de la Cour suprême russe pour l’année 2017 selon lesquelles les juridictions internes ont fait droit à 51 332 demandes de placement sous surveillance administrative sur 52 609, soit un taux de 97,6 %. Selon l’intéressé, les juridictions chargées d’examiner les demandes de placement sous surveillance administrative ne disposent pas de suffisamment de discrétion quant à la décision à prendre, par exemple pour rejeter une demande d’application de cette mesure si la personne a été qualifiée de « transgresseur avéré » du régime carcéral pendant l’exécution de la peine, si elle a été condamnée en récidive, ou bien si elle a été condamnée pour les infractions énumérées dans la loi no 64‑FZ. S’appuyant toujours sur les données statistiques pour l’année 2017, le second requérant indique avoir trouvé seulement trente décisions dans lesquelles les juridictions ont refusé de mettre en place la surveillance administrative. Il précise que, dans le cas des décisions ayant partiellement accueilli les demandes de placement sous surveillance administrative, les motifs sous‑tendant les refus sont très peu développés.

b) Le Gouvernement

121. Le Gouvernement reconnaît que les mesures imposées au second requérant dans le cadre de la surveillance administrative ont entraîné à son égard des restrictions à la liberté de circulation et au choix de la résidence au sens de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention. Il soutient toutefois que lesdites restrictions étaient prévues par la loi, notamment par la loi no 64‑FZ, poursuivaient les buts légitimes énumérés à l’article 2 de ladite loi (paragraphe 33 ci‑dessus) et étaient nécessaires dans une société démocratique.

122. S’agissant notamment de l’obligation pour le second requérant de se présenter une fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative, le Gouvernement indique qu’il s’agissait de la fréquence minimale prévue par l’article 4 de la loi no 64‑FZ (paragraphe 37 ci‑dessus). Il ajoute que le second requérant s’est vu imposer seulement un des quatre types de restrictions prévues par l’article 4 de la loi no 64‑FZ, notamment l’interdiction de quitter le domicile pendant une plage horaire déterminée (en l’occurrence entre 22 heures et 6 heures). Il précise que les juridictions internes ont considéré cette mesure comme nécessaire eu égard à la gravité des infractions commises par l’intéressé et à son comportement pendant l’exécution de la peine. Il renvoie en outre aux conclusions de l’instance d’appel selon lesquelles l’intéressé pouvait demander la levée avant terme de la restriction en question sous condition de bonne conduite (paragraphe 27 ci‑dessus).

2. Appréciation de la Cour

123. La Cour constate d’emblée que le Gouvernement ne conteste pas que les obligations et restrictions imposées au second requérant dans le cadre de sa surveillance administrative constituaient une ingérence dans le droit de l’intéressé à la liberté de circulation et au choix de sa résidence. En revanche, le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les astreintes en cause doivent être considérées séparément ou cumulativement.

124. La Cour observe qu’il s’agit en l’espèce de plusieurs mesures : d’une part, de l’obligation de se présenter une fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative et de l’interdiction de quitter le domicile entre 22 heures et 6 heures, mesures fondées sur l’article 4 de la loi no 64‑FZ (paragraphe 37 ci‑dessus) et imposées au second requérant par la décision du 19 décembre 2013 (paragraphe 25 ci‑dessus), et, d’autre part, de l’obligation de signaler le changement du lieu de domicile dans un délai de trois jours ouvrés, mesure fondée sur l’article 11 de la loi no 64‑FZ (paragraphe 41 ci‑dessus) et découlant automatiquement de cette disposition du fait du placement de l’intéressé sous surveillance administrative.

125. La Cour rappelle avoir jugé que l’interdiction de sortir pendant la nuit constituait une atteinte à la liberté de circulation (De Tommaso, précité, § 88). Elle note par ailleurs que l’obligation de se présenter à la police à des intervalles réguliers figurait parmi les mesures de prévention personnelles examinées dans l’affaire De Tommaso (précitée, §§ 17 et 89 ; voir également les affaires citées au paragraphe 84 de cet arrêt) auxquelles s’appliquait l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention. Enfin, la Cour rappelle avoir également jugé que l’obligation de faire enregistrer auprès de la police tout changement du lieu de résidence sous peine d’exposition à des sanctions entrait dans le champ d’application de cette disposition (Bolat c. Russie, no 14139/03, § 66, CEDH 2006‑XI (extraits)). Eu égard à cette jurisprudence, la Cour estime que les mesures de surveillance administrative mentionnées au paragraphe 123 ci‑dessus, qu’elles soient examinées séparément ou cumulativement, constituaient une ingérence dans le droit du second requérant à la liberté de circulation, protégé par l’article 2 du Protocole no 4.

126. Selon la jurisprudence de la Cour, toute mesure restreignant le droit à la liberté de circulation doit être prévue par la loi, poursuivre l’un des buts légitimes visés au troisième paragraphe de l’article 2 du Protocole no 4 et être nécessaire dans une société démocratique (De Tommaso, précité, § 104).

127. En l’espèce, la Cour constate que les mesures litigieuses avaient une base légale dans le droit interne russe, notamment la loi no 64‑FZ, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er juillet 2011 (paragraphe 32 ci‑dessus). Elle considère que la loi no 64‑FZ répondait à la condition de l’accessibilité, ce que d’ailleurs le second requérant ne conteste pas. En revanche, l’intéressé conteste le caractère prévisible de ladite loi au motif que celle-ci a été appliquée rétroactivement aux personnes condamnées avant son entrée en vigueur.

128. Eu égard à sa conclusion selon laquelle les mesures litigieuses ne constituaient pas une peine au sens de l’article 7 de la Convention (paragraphe 81 ci‑dessus), la Cour estime que l’imposition par la loi no 64‑FZ à l’égard des personnes condamnées à des peines privatives de liberté de mesures de prévention en prenant en compte leur comportement antérieur à l’entrée en vigueur de cette loi n’est pas problématique. Elle doit cependant vérifier si les dispositions de ladite loi étaient suffisamment précises quant à leur portée temporelle et à la catégorie des personnes visées.

129. La Cour relève à cet égard que, à l’époque pertinente, l’article 3 de la loi no 64‑FZ décrivait en détail les catégories de personnes visées par la surveillance administrative et se basait sur des critères objectifs tels que l’existence d’un état de condamné non effacé ou retiré, la gravité de l’infraction, le type de récidive, l’attribution de la qualité de « transgresseur avéré » du régime carcéral et la commission d’infractions pénales ou administratives spécifiques (paragraphes 34‑36 ci‑dessus). Aucun de ces critères ne laissait place à une appréciation discrétionnaire des juridictions nationales quant aux destinataires des mesures de prévention (voir, a contrario, De Tommaso, §§ 116‑117). Selon les articles 5 et 13 de la loi no 64‑FZ, la durée de la surveillance administrative ne pouvait dépasser celle de l’existence de l’état de condamné, conformément à l’article 86 du CP (paragraphes 39 et 42 ci‑dessus). Par conséquent, la Cour estime que la loi no 64‑FZ était suffisamment prévisible quant à la catégorie des personnes susceptibles d’être concernées par son application et à sa portée temporelle.

130. La Cour note que le second requérant relevait de la catégorie des personnes visées par l’article 3 § 2 alinéa 2 de la loi no 64‑FZ (paragraphe 36 ci‑dessus), c’est‑à‑dire celles qui, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, se trouvaient en état de condamné pour une infraction commise en récidive dangereuse et devaient faire l’objet d’une surveillance administrative automatiquement, indépendamment de leur conduite au cours de l’exécution de la peine.

131. La Cour note ensuite que le second requérant n’a pas contesté la prévisibilité de la loi en question quant à la portée des restrictions et obligations prévues par ses articles 4 et 11. L’intéressé n’a par ailleurs pas fait l’objet des trois autres types de restrictions énumérées à l’article 4 no 64‑FZ, notamment des interdictions de se rendre en certains lieux particuliers ou en des lieux d’événements publics ou d’autres rassemblements (voir, a contrario, De Tommaso, précité, §§ 119‑123). La Cour rappelle qu’il lui incombe non pas d’examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées dans une affaire donnée s’analyse en une violation (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 45, série A no 154). Dans ces circonstances, elle estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la portée des obligations et restrictions susmentionnées était suffisamment prévisible.

132. S’agissant des buts des mesures litigieuses, la Cour prend note de la position du Gouvernement, qui renvoie à l’article 2 de la loi no 64‑FZ, selon lequel la surveillance administrative vise entre autres à la prévention de la délinquance et de la récidive (paragraphe 33 ci‑dessus). Bien que le second requérant conteste la thèse du gouvernement défendeur à cet égard, notamment en ce qui concerne le but de la prévention de la récidive (paragraphe 116 ci‑dessus), la Cour estime qu’il remet en cause non pas ce but en tant que tel, mais l’efficacité des mesures mises en place pour l’atteindre. Or il convient de souligner qu’elle est appelée à se prononcer en l’espèce non pas sur l’efficacité des mesures concrètes instaurées par la loi no 64‑FZ, mais seulement sur la légitimité des buts invoqués par le Gouvernement au regard de l’article 2 § 3 du Protocole no 4. En l’occurrence, la Cour note que, se fondant sur l’article 2 de la loi no 64‑FZ, les juridictions internes ont motivé le placement du second requérant sous surveillance administrative par le besoin de prévenir la récidive (paragraphes 25 et 27 ci‑dessus). Elle estime que les mesures restrictives à la liberté de circulation de l’intéressé poursuivaient donc le but de la « prévention des infractions pénales ». Reste à savoir si ces mesures étaient « nécessaires, dans une société démocratique », en particulier si elles étaient proportionnées aux buts poursuivis.

133. S’agissant de la proportionnalité d’une mesure restreignant la liberté de circulation, la Cour rappelle que celle-ci ne se justifie qu’aussi longtemps qu’elle tend effectivement à la réalisation de l’objectif qu’elle est censée poursuivre (Riener c. Bulgarie, no 46343/99, § 122, 23 mai 2006, et Villa c. Italie, no 19675/06, § 47, 20 avril 2010). Par ailleurs, fût-elle justifiée au départ, une mesure restreignant la liberté de circulation d’une personne peut devenir disproportionnée et violer les droits de cette personne si elle se prolonge automatiquement pendant longtemps (Földes et Földesné Hajlik c. Hongrie, no 41463/02, § 35, CEDH 2006‑XII). Les autorités ne peuvent prolonger longtemps des mesures restreignant la liberté de circulation d’une personne sans réexaminer, au moyen de contrôles périodiques, si elles sont justifiées (ibidem, § 36). La fréquence de pareils contrôles dépend de la nature des restrictions en cause et des circonstances particulières de chaque affaire (Villa, précité, § 48). Ces contrôles doivent normalement être assurés, au moins en dernier ressort, par le pouvoir judiciaire, car celui-ci offre les meilleures garanties d’indépendance, d’impartialité et de régularité des procédures (Battista c. Italie, no 43978/09, § 42, CEDH 2014). L’étendue du contrôle juridictionnel doit permettre au tribunal de tenir compte de tous les éléments, y compris ceux liés à la proportionnalité de la mesure restrictive (ibidem).

134. La Cour note que, en droit interne, la durée de la surveillance administrative est fixée par la loi et ne dépend pas de l’appréciation du juge, qui, comme l’indique à bon droit le second requérant (paragraphe 119 ci‑dessus), n’a pas compétence pour la réduire en fonction des circonstances propres à la personne concernée. En effet, conformément à l’article 5 de la loi no 64‑FZ (paragraphe 39 ci‑dessus), les personnes condamnées pour une infraction commise en récidive dangereuse sont automatiquement placées sous surveillance administrative pour toute la durée de l’existence de l’état de condamné, qui, selon l’article 86 § 3 d) du CP dans sa version en vigueur depuis le 3 août 2013, est de huit ans (paragraphes 49‑50 ci‑dessus).

135. Cependant, la Cour relève que l’article 4 § 3 la loi no 64‑FZ permet à la personne placée sous surveillance administrative de soumettre une demande de levée partielle des restrictions imposées à son égard. Selon le libellé de cet article, les juridictions internes peuvent prendre en compte l’ensemble des éléments relatifs au comportement de la personne concernée pour trancher la question de la levée des restrictions en cause (paragraphe 38 ci‑dessus). La Cour en déduit que la loi en question prévoit la possibilité de contrôles juridictionnels périodiques de la nécessité du maintien des restrictions dont l’imposition n’est pas obligatoire au sens de son article 4, notamment l’interdiction de sortir du domicile entre 22 heures et 6 heures. Étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier soumis à la Cour que le second requérant ait présenté une demande en ce sens (voir, à titre d’exemple, les paragraphes 18‑19 ci‑dessus en ce qui concerne la demande formulée en ce sens par le premier requérant), il n’y a pas lieu pour elle d’examiner si l’étendue du contrôle juridictionnel était suffisante en pratique.

136. S’agissant ensuite des mesures dont l’imposition est obligatoire en application de l’article 4 de la loi no 64‑FZ, notamment l’obligation de se présenter une fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative, imposée en l’occurrence à l’égard du second requérant, la Cour constate que la fréquence de contrôles périodiques de la nécessité de leur maintien est régie par l’article 9 §§ 2 et 3 de la loi no 64‑FZ. En effet, cette disposition prévoit que la personne placée sous surveillance administrative peut demander l’arrêt anticipé de ce régime en tant que tel après l’écoulement de la moitié de la durée pour laquelle celui-ci a été appliqué et que, en cas de rejet de la demande, une nouvelle demande d’arrêt anticipé de la surveillance administrative ne peut être introduite que six mois après ledit rejet (paragraphe 40 ci‑dessus ; voir, également, les paragraphes 20‑22 ci‑dessus en ce qui concerne l’application de cette disposition à l’égard du premier requérant).

137. La Cour relève que le second requérant avait été condamné pour une infraction grave et que les juridictions ont estimé que le délai d’effacement de l’état de condamné était pour lui de six ans suivant l’exécution de sa peine (voir paragraphes 25 et 39 ci-dessus). Il s’ensuit que le contrôle de la nécessité de maintenir celui-ci sous surveillance administrative, et par conséquent de l’obliger à se présenter à l’autorité compétente une fois par mois, ne pouvait être effectué, à l’initiative de l’intéressé, qu’après l’écoulement d’une période initiale de trois ans. Cependant, eu égard à la nature de la restriction en cause et en particulier à la fréquence peu élevée de présentation personnelle imposée à l’intéressé, la Cour estime que cette circonstance ne peut passer pour incompatible avec l’exigence de contrôle périodique. Elle constate en outre que, après cette période initiale, la nécessité de maintenir la mesure litigieuse pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel à des intervalles de six mois entre chaque rejet d’une éventuelle demande d’arrêt anticipé de la mesure faite par l’intéressé.

138. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les mesures de surveillance administrative appliquées au second requérant ont été proportionnées aux buts poursuivis.

139. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

140. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

141. Les requérants ne réclament pas d’indemnisation au titre du préjudice matériel qu’ils auraient pu subir et s’en remettent à la sagesse de la Cour pour l’évaluation de leur préjudice moral.

142. Le Gouvernement estime que, si la Cour était amenée à trouver une violation de la Convention dans le cas d’espèce, le montant de la satisfaction équitable devrait être établi conformément à sa jurisprudence.

143. Eu égard aux circonstances de la présente espèce et au constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue, la Cour considère que le premier requérant a connu une détresse et une frustration qui ne sauraient être réparées par le seul constat de violation. Elle estime qu’il y a lieu d’octroyer 4 000 euros (EUR) au premier requérant au titre du préjudice moral.

2. Frais et dépens

144. Les requérants réclament 9 000 EUR au titre des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Ils demandent par ailleurs que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire de leur représentant, M. K. N. Koroteev.

145. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur ce point.

146. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, et eu égard au fait qu’une partie des requêtes a été rejetée, la Cour juge raisonnable d’allouer au premier requérant la somme de 4 000 EUR, à verser sur le compte bancaire de M. K. N. Koroteev.

3. Intérêts moratoires

147. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;
2. Déclare, à l’unanimité, le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la requête no 45431/14 et le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention en ce qui concerne la requête no 22769/15 recevables et le surplus desdites requêtes irrecevable ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans le chef du premier requérant (requête no 45431/14) ;
4. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention dans le chef du deuxième requérant (requête no 22769/15) ;
5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

1. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt, au premier requérant pour dommage moral ;
2. 4 000 EUR (quatre mille euros) au premier requérant, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par lui à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de son représentant, M. K. N. Koroteev ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, par six voix contre une, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga ChernishovaPaul Lemmens
Greffière adjointePrésident


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