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13/06/2017 | CEDH | N°001-174407

CEDH | CEDH, AFFAIRE ATUTXA MENDIOLA ET AUTRES c. ESPAGNE, 2017, 001-174407


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ATUTXA MENDIOLA ET AUTRES c. ESPAGNE

(Requête no 41427/14)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juin 2017

DÉFINITIF

13/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Atutxa Mendiola et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra,
Helen

Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délib...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ATUTXA MENDIOLA ET AUTRES c. ESPAGNE

(Requête no 41427/14)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juin 2017

DÉFINITIF

13/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Atutxa Mendiola et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mai 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41427/14) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont trois ressortissants de cet État, M. Juan Maria Atutxa Mendiola (« le premier requérant »), M. Gorka Knorr Borras (« le deuxième requérant ») et Mme Maria Concepción Bilbao Cuevas (« la troisième requérante »), ont saisi la Cour le 27 mai 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me A. Figueroa Laraudogoitia, avocat à Vitoria. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.-A. León Cavero, avocat de l’État et chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.

3. Le 17 juin 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1941, en 1950 et en 1958, et résident respectivement à Lemoa, à Barcelone et à Zurbano.

5. Le premier requérant est l’ancien président du Parlement de la Communauté autonome du Pays basque. Le deuxième requérant et la troisième requérante étaient respectivement le vice-président et la greffière dudit Parlement à l’époque à laquelle le premier requérant en était le président.

6. Le syndicat Manos Limpias (« le syndicat »), qui s’était constitué en accusation populaire, et le ministère public portèrent plainte contre les requérants. Ils soutenaient que les intéressés avaient commis un délit de désobéissance à l’autorité judiciaire en refusant notamment de se conformer à la décision du Tribunal suprême qui avait ordonné, le 27 mars 2003, la dissolution de tous les groupes parlementaires présents au sein des différentes institutions des communautés autonomes du Pays Basque et de la Navarre qui porteraient le nom de Batasuna. Cette décision faisait suite à la déclaration d’illégalité des partis politiques Herri Batasuna, Euskal Herritarrok et Batasuna, et à la décision de dissolution de ces partis.

7. Par une décision du 27 décembre 2004, le juge d’instruction désigné par le Tribunal supérieur de justice du Pays basque (« le Tribunal supérieur ») classa les plaintes formulées par le syndicat et par le ministère public au motif que les faits en cause n’étaient pas constitutifs d’un délit.

8. Le syndicat fit appel de la décision de classement. De son côté, le ministère public, estimant que la décision était suffisamment motivée, indiqua qu’il ne souhaitait pas former de recours contre celle-ci.

9. Par une décision du 22 février 2005, le Tribunal supérieur fit droit à l’appel du syndicat et renvoya le dossier pour instruction au motif qu’il existait des indices rationnels montrant l’existence d’un délit de désobéissance susceptible d’engager la responsabilité pénale des requérants. Tant le ministère public que l’accusation populaire se virent octroyer un délai pour présenter des observations. Le premier sollicita un non-lieu et le classement de l’affaire, alors que la deuxième demanda la tenue d’un procès pour délit de désobéissance.

10. Au cours du procès, qui débuta le 26 octobre 2005, le Tribunal supérieur examina plusieurs moyens de preuve, notamment des attestations officielles et plusieurs témoignages, dont ceux des accusés. Par un jugement du 7 novembre 2005, rendu après la tenue d’une audience publique, le Tribunal supérieur acquitta les requérants en raison de leur inviolabilité parlementaire et se déclara incompétent pour juger leur comportement.

11. L’accusation populaire contesta la décision d’acquittement auprès du Tribunal suprême. Par un arrêt du 10 novembre 2006, ce dernier fit droit au pourvoi et ordonna le renvoi des éléments du dossier aux magistrats qui avaient rendu le jugement contesté, demandant à ceux-ci de compléter l’exposé des faits considérés comme prouvés et de se prononcer sur le fond des prétentions dans un nouvel arrêt. Il considéra par ailleurs que la tenue d’une nouvelle audience publique n’était pas nécessaire.

12. Malgré les indications du Tribunal suprême, les magistrats du Tribunal supérieur tinrent une audience publique, à l’issue de laquelle, par un arrêt rendu le 19 décembre 2006, les requérants furent de nouveau acquittés.

13. Dans son arrêt, le Tribunal supérieur considéra comme prouvé ce qui suit :

. Le 20 mai 2003, la chambre spéciale du Tribunal suprême avait décidé la dissolution du groupe parlementaire Araba, Bizkaia Eta Gipuzkoako Sozialista Abertzaleak (« ABGSA », seul groupe parlementaire présent au Parlement basque constitué par des parlementaires ayant intégré auparavant le groupe Batasuna). En conséquence, elle avait requis du président du Parlement basque qu’il demandât au bureau (Mesa) de ce Parlement de procéder à ladite dissolution. En l’absence de réponse du Parlement basque, elle avait renouvelé son injonction le 4 juin 2003 et elle avait octroyé un délai de cinq jours au président du Parlement basque pour exécuter la mesure en cause, faute de quoi, selon la chambre spéciale, les membres du bureau pouvaient être accusés du délit de désobéissance à une injonction judiciaire.

. Le lendemain, le 5 juin 2003, le bureau du Parlement avait adopté un projet de résolution générale de la présidence du Parlement visant à l’exécution de la décision de justice en cause, résolution qui, conformément à l’article 24 § 2 du règlement du Parlement, devait être soumise pour approbation aux membres de l’assemblée des porte-parole (Junta de Portavoces). Le 6 juin 2003, cette assemblée avait rejeté la résolution et cette décision avait été communiquée au Tribunal suprême par le président du Parlement. Celui-ci avait déclaré qu’il devenait par conséquent impossible de procéder à l’exécution de la décision judiciaire susmentionnée.

. Le 18 juin 2003, la chambre spéciale du Tribunal suprême avait demandé au président du Parlement ainsi qu’au bureau du Parlement et aux présidents des diverses commissions d’exécuter la décision du 20 mai 2003 afin d’empêcher les membres du groupe parlementaire ABGSA de participer à la vie parlementaire.

. Le 30 juin 2003, le bureau du Parlement avait adopté un texte dans lequel il exprimait son respect pour le Tribunal suprême et pour les autres organes judiciaires et dans lequel il assurait n’avoir aucune intention de désobéir aux décisions de justice. Il indiquait également que le règlement du Parlement ne prévoyait toutefois pas la possibilité d’exécuter la mesure sollicitée. Il avait déclaré à ce sujet que, les propositions de réforme dudit règlement ayant été récemment rejetées, il se heurtait à une impossibilité légale d’exécuter la décision judiciaire en cause.

14. Dans la partie en droit de son arrêt, le Tribunal supérieur nota que la seule accusation à l’encontre des requérants avait été formulée par le syndicat, qui reprochait aux intéressés d’avoir commis un délit de désobéissance à l’autorité judiciaire, infraction prévue à l’article 410 § 1 du code pénal (paragraphe 25 ci-dessous).

15. À la lumière des faits considérés comme prouvés et des moyens de preuve examinés, le Tribunal supérieur indiqua, s’agissant de l’existence d’un refus net et manifeste (negativa abierta y directa) d’obéir à des décisions judiciaires :

« (...) [qu’] il conv[enait] d’écarter le refus net et manifeste [d’obéir], dans la mesure où celui-ci n’a[vait] jamais été formulé de façon explicite (...) et n’a[vait] jamais été mentionné par (...) le président. Au contraire, à plusieurs occasions, [l’absence] d’intention de se rendre coupable d’une quelconque désobéissance a[vait] été expressément manifestée (...) »

16. Pour ce qui était de la désobéissance indirecte, le Tribunal supérieur releva ce qui suit :

« (...) À cet égard, après l’administration des moyens de preuve, nous [avons considéré] qu’il ne conv[enait] pas [de juger] que les trois prévenus se sont montrés entièrement passifs (...) ; [ces derniers] ont essayé de mettre en place les mécanismes juridiques nécessaires pour exécuter les décisions (...) [notamment par le biais d’une] proposition de résolution générale de la présidence.

(...)

Par conséquent, il convient d’écarter [également] l’existence d’un pacte frauduleux dénoncée par la partie accusatrice.

(...)

[Pour parvenir à cette conclusion,] il a été tenu compte des déclarations des parlementaires basques intervenus pendant l’audience ainsi que de celles des témoins proposés par la partie accusatrice (...) [et] les dépositions des (...) prévenus. »

17. L’arrêt contenait une opinion dissidente, selon laquelle les moyens de preuve administrés ne permettaient pas d’écarter les indices de responsabilité pénale des requérants, indices qui auraient déjà été relevés dans la décision du 22 février 2005. Cette opinion était favorable à la condamnation des requérants pour le délit dont ceux-ci étaient accusés.

18. L’accusation populaire se pourvu en cassation sur le fondement des articles 849 §§ 1 et 2 et 852 du code de procédure pénale. Par un arrêt du 8 avril 2008, rendu après la tenue d’une audience publique à laquelle participèrent les représentants des requérants mais lors de laquelle ces derniers ne furent pas entendus, le Tribunal suprême fit droit au pourvoi du syndicat, annula le jugement attaqué, jugea les requérants coupables du délit de désobéissance et les condamna à une peine d’interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée allant de douze à dix-huit mois ainsi qu’au paiement d’une amende journalière de 100 EUR pendant six mois (pour le premier requérant) et de 100 EUR pendant quatre mois (pour les deuxième et troisième requérants). Le Tribunal suprême décida par ailleurs de condamner les requérants à payer les frais et dépens engagés devant le Tribunal supérieur. Sur la base des mêmes faits considérés comme prouvés par le jugement a quo, le Tribunal suprême jugea que les requérants avaient délibérément et ouvertement refusé de donner suite à sa décision ordonnant la dissolution des groupes parlementaires litigieux. Il nota en particulier que :

« (...)

[ni] l’absence de refus explicite, [ni] la réponse ponctuelle aux réquisitions du Tribunal suprême [ni, enfin,] l’affirmation [des accusés] de ne pas vouloir commettre de délit ne sont [des éléments] suffisants pour écarter (...) le type [de délit pénal] décrit à l’article 410 § 1 du code pénal. »

Le Tribunal suprême rappela que, conformément à sa jurisprudence :

« (...)

Le délit [de désobéissance] se caractérise non seulement par la désobéissance nette et (...) manifeste, mais aussi par [la désobéissance] « résultant d’une passivité répétée ou de la [présence] d’obstacles qui, au fond, démontrent une rébellion délibérée » (arrêt du Tribunal suprême 1203/1997, du 11 octobre). »

Se tournant ensuite vers les faits de l’espèce, le Tribunal suprême observa ce qui suit :

« Les trois accusés [ont refusé] de manière consciente et délibérée, lors de la réunion du bureau (Mesa) du 5 juin 2003, [de se conformer] à l’arrêt du Tribunal suprême. Ils [ont] dissimulé leur refus obstiné d’accepter les effets juridiques dérivés du procès [à l’issue duquel] Batasuna [avait été] déclaré illégal, suscitant une controverse juridique apparente [entre eux et] le Tribunal suprême au sujet des limites du devoir général de se conformer aux décisions judiciaires.

En définitive, ils [ont] ouvertement refusé de donner suite à une décision judiciaire rendue par un organe juridictionnel en vertu de ses pouvoirs et conformément aux formalités légales. C’est précisément [en cela] que consiste le délit de désobéissance puni par l’article 410 du code pénal. »

19. Cinq des douze magistrats de la chambre du Tribunal suprême exprimèrent une opinion dissidente. Ils reprochaient entre autres au Tribunal suprême d’avoir, pour parvenir à sa conclusion, procédé à une nouvelle appréciation des éléments de preuve déjà examinés par le Tribunal supérieur, y compris les témoignages, sans que le principe d’immédiateté eût été respecté.

20. Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 24 §§ 1 (droit à un procès équitable) et 2 (présomption d’innocence) de la Constitution, les requérants saisirent le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo. Le ministère public émit un avis favorable quant aux prétentions des requérants et sollicita la nullité de l’arrêt du 8 avril 2008 rendu par le Tribunal suprême.

21. Par un arrêt du 5 décembre 2013, le Tribunal constitutionnel rejeta les demandes d’amparo. Il justifia son rejet comme suit :

« Il est clair dans la présente affaire que l’arrêt contesté ne repose pas sur une base factuelle nouvelle par rapport à celle sur laquelle [s’était] fondé le jugement de l’organe a quo ni, par conséquent, sur une révision de [l’établissement des faits] réalisé [par le juge a quo] (...), mais qu’il diffère seulement quant à sa qualification juridique.

(...)

Le raisonnement du Tribunal suprême s’est limité à un aspect purement juridique : l’interprétation de la règle pénale et des causes d’exclusion du caractère illicite, de même que l’exposé [des] faits considérés comme prouvés n’a pas été modifié. »

22. S’agissant de l’obligation d’entendre les accusés lors de l’annulation d’un jugement d’acquittement, la haute juridiction parvint à la conclusion suivante :

« (...) La Constitution n’exigeait pas que les requérants fussent entendus lors de l’audience en cassation (...). Eu égard à la nature des questions qui avaient été soulevées par la partie accusatrice et qui devaient être résolues dans le recours, une telle omission n’a pas entraîné de privation ou de limitation du droit de la défense, car une audience n’aurait eu aucune incidence sur la décision adoptée. (...) Le témoignage [des requérants] pendant l’audience publique n’était pas indispensable (arrêt Naranjo Acevedo c. Espagne du 22 octobre 2013).

En outre, dans la mesure où le débat était strictement juridique, [l’expression de] la thèse des requérants a dûment été [garantie par] la présence de leurs représentants (...). En effet, [ces derniers] ont participé à l’audience, au cours de laquelle ils ont soulevé les arguments qu’ils estimaient nécessaires pour la défense des accusés. »

23. À l’arrêt du Tribunal constitutionnel était joint l’exposé de l’opinion dissidente de quatre magistrats. Cette opinion se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...) S’il est vrai que la condamnation en deuxième instance n’a pas modifié [l’exposé des] faits considérés comme prouvés par le jugement contesté (...), elle a [permis de] reconsidérer la portée de ces faits pour conclure à la présence d’un élément subjectif, à savoir la volonté de non-exécution de la demande judiciaire. Au cours de ce réexamen, certaines données ont été sélectionnées et d’autres ont été exclues (...), ce qui a entraîné leur modification, dans la mesure où on les a sorties du contexte de l’ensemble des éléments qui avaient été examinés par la juridiction d’instance conformément [au principe] d’immédiateté. De plus, le « réexamen » des faits a eu un impact sur des questions abordées dans les déclarations des témoins et des accusés, telles que l’importance cruciale de la volonté des [requérants] de trouver une voie d’exécution de la décision judiciaire et l’absence d’intention de dissimuler [leur refus de se conformer à ladite décision] (...) »

24. Les magistrats auteurs de l’opinion dissidente rappelaient également la jurisprudence de la Cour en la matière :

« (...) l’exigence d’audience publique est maintenue lors de la première condamnation d’un individu, en première ou deuxième instance, sauf si la condamnation est la conséquence exclusive d’une interprétation différente de questions juridiques qui ne modifient pas (...) la détermination d’éléments factuels, y compris les éléments subjectifs établis lors d’une audience ou dans des conditions [conformes au principe d’immédiateté]. (...)

L’affaire Naranjo Acevedo c. Espagne diffère de la présente affaire dans la mesure où elle portait sur la définition juridique du délit analysé de façon générale. Ainsi, le cas d’espèce se rapproche davantage des affaires Vilanova Goterris c. Espagne ou encore Roman Zurdo c. Espagne [dans lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention]. »

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

25. L’article pertinent en l’espèce du code pénal est ainsi libellé :

Article 410 § 1

« Les autorités ou fonctionnaires publics qui refuseraient ouvertement d’exécuter des décisions judiciaires ou des injonctions d’une autorité supérieure, rendues dans le cadre des compétences respectives [des juridictions ou des autorités] et respectant les formalités légales, seront passibles d’une peine de trois à douze mois-amende et d’une interdiction spéciale d’exercer un emploi public pour une période de six mois à deux ans. »

26. L’article 954 § 3 du code de procédure pénale modifié par la loi 41/2015 du 5 octobre 2015 se lit ainsi :

« Il sera possible de demander la révision d’une décision de justice définitive après que la Cour européenne des droits de l’homme ait déclaré que cette décision est contraire aux droits reconnus dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que dans ses Protocoles, à condition que la violation, de par sa nature et gravité, entraîne des effets persistants qui ne peuvent cesser autrement que par le biais de cette révision.

Dans ce cas, la révision ne pourra être sollicitée que par celui qui, ayant la légitimité pour introduire un tel recours, fut le requérant auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. La demande devra être formulée dans un délai d’un an après que l’arrêt de ladite Cour soit devenu définitif. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION

27. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 6 § 3, les requérants se plaignent d’avoir été condamnés sans avoir été entendus lors d’une audience publique devant le Tribunal suprême. Ils reprochent à celui-ci de ne pas s’être limité à des questions purement juridiques, mais d’avoir procédé à une révision de l’exposé des faits et d’avoir reconsidéré des preuves telles que des témoignages, qui, selon eux, étaient d’une importance déterminante pour l’appréciation des faits. Ils indiquent que, dans son analyse, le Tribunal suprême s’est prononcé sur l’élément subjectif du délit de désobéissance et qu’il est parvenu à des constats contraires à ceux du Tribunal supérieur. Dès lors, à leurs yeux, le Tribunal suprême a pris en compte un élément dont le caractère n’aurait pas été strictement juridique.

28. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Gatt c. Malte, no 28221/08, § 19, CEDH 2010, et Jusic c. Suisse, no 4691/06, § 99, 2 décembre 2010), la Cour estime plus approprié d’examiner les griefs des requérants sous le seul angle de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

Article 6 § 1

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

29. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

30. Le Gouvernement indique que, pour rendre son arrêt du 8 avril 2008, le Tribunal suprême s’est basé exactement sur les faits que le Tribunal supérieur aurait considérés comme prouvés, et il se serait limité à examiner si ceux-ci répondaient au critère du « refus net » de se conformer à des décisions de justice prévu à l’article 410 § 1 du code pénal. Il expose que, aux fins de cet examen des faits, une audience publique a eu lieu le 21 janvier 2008 devant la chambre pénale du Tribunal suprême, au cours de laquelle l’avocat des requérants, qui était présent, aurait eu l’opportunité d’exprimer les allégations des intéressés qui lui auraient semblé pertinentes.

31. Il soutient en outre qu’il ne peut être contesté que les requérants, dans l’exercice des fonctions qu’ils auraient été appelés à occuper, ont objectivement refusé d’exécuter des décisions de justice définitives ordonnant la dissolution de certains groupes parlementaires. Il indique que, s’il y a divergence, celle-ci porte sur le point de savoir si le refus a été exprimé « ouvertement » ou non par les requérants.

32. À cet égard, il estime que la qualification de « refus net » repose entièrement sur des éléments juridiques et que le Tribunal suprême ne s’est livré à aucune appréciation d’éléments subjectifs. Le Gouvernement reconnaît que, certes, les requérants n’ont pas fait preuve d’une passivité totale et qu’ils ont répondu par écrit aux demandes d’exécution du Tribunal suprême, mais il ajoute qu’il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont effectué aucun acte visant à l’exécution des décisions en cause.

33. Pour le Gouvernement, le délit pénal en cause ne fait pas référence à un élément intentionnel quant au refus d’exécuter une décision de justice, et cet élément n’a pas non plus été examiné par le Tribunal suprême. Il estime, par conséquent, que la présente affaire se rapproche davantage des arrêts de la Cour Bazo González c. Espagne (no 30643/04, 16 décembre 2008) et Naranjo Acevedo c. Espagne (no 35348/09, 22 octobre 2013) que de l’affaire Lacadena Calero c. Espagne (no 23002/07, 22 novembre 2011), qui, à son avis, ne présente aucune similitude.

34. Pour les requérants, le Gouvernement a omis de mentionner un élément à leurs yeux très important, à savoir l’approbation par eux d’un projet de résolution générale de la présidence du Parlement visant à dissoudre le groupe parlementaire litigieux. Les requérants estiment que, ce faisant, ils ont bien donné suite à la décision judiciaire en cause (paragraphe 13 ci-dessus). Ils déclarent que, nonobstant le rejet de la résolution susmentionnée par les membres de l’assemblée des porte-parole (Junta de Portavoces), le Tribunal supérieur a considéré que cette résolution constituait une voie raisonnable et efficace pour donner suite à la décision de dissolution des groupes parlementaires en question. Ils indiquent que le Tribunal suprême, quant à lui, a jugé qu’ils avaient frauduleusement suscité une pseudo-controverse juridique pour dissimuler leur refus d’exécuter la décision de justice. À leurs yeux, ce changement d’interprétation, de même que l’affirmation de l’existence d’un « refus net » de leur part, découle nécessairement d’une nouvelle appréciation des faits qui avaient été considérés comme prouvés ainsi que de leurs intentions. Or les requérants soutiennent que, bien qu’ils aient toujours nié leur intention de désobéir, ils n’ont pas pu être entendus devant le Tribunal suprême si bien que l’audience tenue devant celui-ci ne peut, selon eux, être considérée comme suffisante au regard des exigences de la Convention.

35. Ils reprochent aussi au Tribunal suprême de ne pas avoir entendu les témoignages que le Tribunal supérieur avait utilisés comme moyens probatoires.

36. De l’avis des requérants, le Tribunal suprême a procédé à une nouvelle appréciation de l’élément subjectif du délit de désobéissance. Les requérants renvoient à cet égard à certaines expressions employées dans l’arrêt en question qui font à leurs yeux référence à un refus conscient et volontaire de leur part de se conformer à la décision du Tribunal suprême. Ils déclarent sur ce point que le délit de désobéissance n’est qualifié de tel que dans le cadre d’un dol, la désobéissance par imprudence n’étant pas punie par le code pénal.

37. Enfin, les requérants soutiennent, contrairement au Gouvernement, que le cas d’espèce se rapproche davantage de l’arrêt Lacadena Calero (précité, §§ 46-49) que des affaires Naranjo Acevedo et Bazo González (précitées).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

38. En ce qui concerne les principes généraux pertinents, la Cour renvoie aux paragraphes 36 à 38 de l’arrêt Lacadena Calero (précité).

b) Application de ces principes en l’espèce

39. La Cour souligne d’emblée que la présente affaire repose sur la même problématique que celle qui est exposée dans les arrêts Lacadena Calero (précité) et Serrano Contreras c. Espagne (no 49183/08, 20 mars 2012).

40. Elle relève qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le Tribunal suprême s’est livré à une nouvelle interprétation, distincte de celle opérée par le Tribunal supérieur, de la notion de « refus net » d’exécuter des décisions de justice, prévue à l’article 410 § 1 du code pénal. Elle note que cette interprétation a débouché sur la condamnation des intéressés pour délit de désobéissance.

41. Elle constate que les parties sont également d’accord pour dire que le Tribunal suprême a reproduit dans son arrêt les faits qui avaient été considérés comme prouvés par le Tribunal supérieur. Elle relève cependant que, contrairement au tribunal a quo, le Tribunal suprême a conclu que les accusés avaient refusé « de manière consciente et délibérée » de se conformer à sa décision qui ordonnait la dissolution de tous les groupes parlementaires présents au sein des différentes institutions des communautés autonomes du Pays Basque et de la Navarre qui porteraient le nom de Batasuna. Elle estime pertinent de relever que, pour parvenir à cette conclusion, la juridiction de cassation s’est fondée sur une nouvelle appréciation des différents éléments de preuve qui avaient déjà été examinés par le Tribunal supérieur : d’une part, des moyens à caractère documentaire et, d’autre part, des témoignages, proposés tant par la partie accusatrice que par les requérants, et les déclarations de ces derniers. Ces éléments de preuve ont été administrés lors de l’audience publique devant le Tribunal supérieur, les parties ayant pu présenter leurs griefs dans le respect des principes d’immédiateté, de publicité et de contradiction. Le Tribunal suprême a procédé à cette nouvelle appréciation sans avoir eu un contact direct avec les parties et, surtout, sans avoir permis à ces dernières d’exposer leurs arguments en réponse aux conclusions exposées (Serrano Contreras, précité, § 36).

42. La Cour note que le Tribunal suprême, pour arriver à une nouvelle interprétation juridique du comportement des requérants, s’est prononcé sur des circonstances subjectives concernant les intéressés, à savoir la conscience par ceux-ci de l’irrégularité de leurs actions (paragraphe 18 ci‑dessus). Cet élément subjectif a été décisif dans l’établissement de la culpabilité des requérants. En effet, pour être qualifié de tel, le délit de désobéissance exige un « refus net ». La Cour constate que, après la tenue d’une audience publique au cours de laquelle les requérants ont été entendus, le Tribunal supérieur avait considéré que cet élément subjectif était absent, que ce fût directement ou indirectement (paragraphes 15 et 16 ci-dessus). En revanche, le Tribunal suprême a, quant à lui, conclu à l’existence d’une intention de la part des requérants sans apprécier directement leur témoignage : ce jugement est en contradiction avec les conclusions du tribunal d’instance, qui, lui, avait entendu les accusés et d’autres témoins.

43. Aux yeux de la Cour, le Tribunal suprême s’est écarté du jugement d’instance après s’être prononcé sur des éléments de fait et de droit qui lui ont permis d’établir la culpabilité des accusés. À cet égard, force est de constater que, lorsque le raisonnement d’un tribunal repose sur des éléments subjectifs (comme, en l’espèce, l’existence d’une volonté rebelle), il est impossible de procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l’intention de l’accusé relativement aux faits qui lui sont imputés (Lacadena Calero, précité, § 47).

44. Certes, le Tribunal suprême a apprécié l’intention des requérants après avoir examiné des faits prouvés par l’instance inférieure (dont les documents du dossier). Cependant, il est parvenu à sa conclusion par déduction, sans avoir entendu les intéressés, qui n’ont ainsi pas eu l’opportunité d’exposer devant lui les raisons pour lesquelles ils niaient avoir eu une intention frauduleuse (Lacadena Calero, précité, § 48). La Cour note à cet égard qu’une telle opportunité est inexistante dans la procédure en cassation.

45. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que les questions qui devaient être examinées par le Tribunal suprême nécessitaient l’appréciation directe du témoignage des requérants (Serrano Contreras, précité, § 39).

46. Eu égard à l’ensemble des circonstances du procès, la Cour conclut que les requérants ont été privés de leur droit de se défendre dans le cadre d’un débat contradictoire. Partant, elle juge qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

48. Justificatifs à l’appui, les requérants demandent 10 030,89 EUR pour les dépens auxquels ils ont été condamnés à payer conformément à l’arrêt du Tribunal suprême, ainsi que 42 000 EUR correspondant au montant des amendes infligées par cette même juridiction. Ils demandent ces montants en concept de frais et dépens. Cependant, la Cour considère plus approprié de les analyser en tant que dommage matériel dans la mesure où ils trouvent leur origine dans le dispositif de l’arrêt du Tribunal suprême qui les a condamnés.

49. Les requérants réclament par ailleurs 1 euro (EUR) pour préjudice moral.

50. Le Gouvernement conteste ces demandes et indique que, si la Cour parvenait à une conclusion de violation de la Convention, il appartiendrait aux tribunaux internes de réviser les décisions ayant trait à l’attribution des dépens, possibilité prévue à l’article 954 § 3 du code de procédure pénale tel que modifié par la loi 41/2015 du 5 octobre 2015.

51. La Cour observe que les dépens et amendes que les requérants ont dû acquitter trouvent leur origine dans l’arrêt du Tribunal suprême, qu’elle considère comme ayant été rendu en contradiction avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle estime que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l’article 6 § 1 consiste à faire en sorte que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n’avait pas été méconnue (Tétériny c. Russie, no 11931/03, § 56, 30 juin 2005, Jeličić c. Bosnie-Herzégovine, no 41183/02, § 53, CEDH 2006-XII, et Mehmet et Suna Yiğit c. Turquie, no 52658/99, § 47, 17 juillet 2007). Elle juge que ce principe trouve à s’appliquer en l’espèce. En effet, comme l’a évoqué le Gouvernement, elle note que le droit interne prévoit la possibilité de réviser les décisions définitives déclarées contraires aux droits reconnus dans la Convention par un arrêt de la Cour.

52. Par conséquent, elle estime que la forme la plus appropriée de redressement serait, pourvu que les requérants la demandent, la révision de la procédure conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, en application des dispositions de l’article 954 § 3 du code de procédure pénale (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003).

53. En outre, eu égard aux circonstances de la cause et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer 1 EUR à chacun des requérants au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

54. Les requérants réclament enfin 600 EUR pour les frais engagés pour la procédure devant le Tribunal constitutionnel. Ils présentent des justificatifs à l’appui de leurs prétentions.

55. Le Gouvernement s’oppose à cette demande pour les mêmes raisons exposées ci-dessus (paragraphe 50).

56. S’agissant des frais relatifs à l’introduction du recours d’amparo, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 600 EUR et l’accorde conjointement aux requérants.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 1 EUR (un euro) à chaque requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 600 EUR (six cents euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par eux, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-174407
Date de la décision : 13/06/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : ATUTXA MENDIOLA ET AUTRES
Défendeurs : ESPAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FIGUEROA LARAUDOGOITIA A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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