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14/01/2014 | CEDH | N°001-139994

CEDH | CEDH, AFFAIRE TOTOLICI c. ROUMANIE, 2014, 001-139994


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE TOTOLICI c. ROUMANIE

(Requête no 26576/10)

ARRÊT

STRASBOURG

14 janvier 2014

DÉFINITIF

14/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Totolici c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra

,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembr...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE TOTOLICI c. ROUMANIE

(Requête no 26576/10)

ARRÊT

STRASBOURG

14 janvier 2014

DÉFINITIF

14/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Totolici c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26576/10) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mihai Totolici (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me O. Crăciun, avocat à Braşov. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agentes, Mmes I. Cambrea et C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint notamment des conditions matérielles de détention dans les prisons de Jilava et de Codlea et dans l’hôpital pénitentiaire de Jilava. Il dénonce également la durée excessive de sa détention provisoire. Il invoque les articles 3 et 5 § 3 de la Convention.

4. Le 22 novembre 2011, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés des articles 3 et 5 § 3 ont été communiqués au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1967 et réside à Braşov.

A. La détention provisoire et la condamnation du requérant

6. Le 24 novembre 2008, suite à une dénonciation, une enquête pénale fut ouverte à l’encontre du requérant, officier de la police judiciaire de Braşov, du chef de corruption passive. Il était suspecté d’avoir, en sa qualité d’agent de la police judiciaire chargé de l’instruction d’un dossier pénal, reçu de la part d’une tierce personne 1 000 euros (EUR), afin de persuader la victime d’un vol de renoncer à sa plainte.

7. Le 16 décembre 2008, le requérant fut convoqué par la direction nationale anti-corruption (« DNA ») dans le cadre de l’enquête. Le même jour, il fut placé en garde à vue pour une durée de 24 heures.

8. Le 17 décembre 2008, le requérant fut présenté devant la cour d’appel de Braşov qui jugea que les faits à la base du dossier pénal ne s’apparentaient pas à une corruption passive et, dès lors, ne relevaient pas de la DNA. Par conséquent, la cour d’appel jugea que le placement du requérant en détention provisoire ne s’imposait pas. Le parquet forma un recours contre cet arrêt.

9. Par un arrêt du 29 décembre 2008, la Haute Cour de cassation et de justice cassa l’arrêt de la cour d’appel et ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de 29 jours. La Haute Cour jugea que le dossier contenait des éléments permettant de soupçonner le requérant d’avoir commis le délit reproché et que la détention provisoire se justifiait pour des raisons d’ordre public au sens de l’article 148 f) du code de procédure pénale.

10. Le 9 janvier 2009, les poursuites pénales furent élargies contre le requérant du chef d’instigation à faire un faux.

11. Par un réquisitoire du 20 janvier 2009, le requérant fut renvoyé en jugement. Le réquisitoire était fondé sur plusieurs éléments de preuve, tels une dénonciation, des déclarations de témoins, des enregistrements des écoutes téléphoniques et plusieurs autres documents.

12. Le 23 janvier 2009, la cour d’appel de Braşov décida de remplacer la détention provisoire par l’obligation de ne pas quitter la ville. Cet arrêt fut cassé, le 25 janvier 2009, par la Haute Cour, qui ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant.

13. Le 16 février 2009, la cour d’appel de Braşov accueillit une demande de libération provisoire sous caution formulée par le requérant. Cet arrêt fut cassé le 2 mars 2009, par la Haute Cour. Celle-ci nota, entre autres, que les faits reprochés au requérant visaient également le fait de pousser une personne à faire une fausse déclaration afin qu’il puisse clore une enquête en cours. Cela constituait, aux yeux de la Haute Cour, un indice du fait que le requérant était prêt à entraver la découverte de la vérité ou à commettre une nouvelle infraction.

14. La détention provisoire fut prolongée d’office tous les deux mois jusqu’en octobre 2009. Afin de justifier le danger concret pour l’ordre public en cas de libération du requérant, la cour d’appel de Braşov et la Haute Cour mirent en exergue la réaction de la population face à des actes qui portent une atteinte grave à la confiance du public dans l’activité de la police judiciaire chargée d’endiguer le fléau de la corruption, réaction susceptible de conduire à des troubles à l’ordre public. Ils mirent en exergue également la qualité du requérant d’agent de police chargé d’investigations pénales et la gravité des faits imputés. Les tribunaux conclurent que la durée de la détention provisoire n’était pas déraisonnable et qu’elle ne méconnaissait donc pas les exigences de la Convention en la matière.

15. De nouvelles demandes du requérant tendant à la révocation ou au remplacement de la mesure de détention provisoire ainsi qu’à la libération sous contrôle judiciaire furent rejetées par des décisions définitives motivées des 21 avril, 25 mai, 12 juin, 25 septembre 2009 de la cour d’appel de Braşov et de la Haute Cour de cassation et de justice.

16. Le 22 octobre 2009, statuant sur le fond de l’affaire, la cour d’appel de Braşov condamna le requérant à une peine de trois ans et six mois de prison ferme pour corruption passive et instigation à faire des faux. Par le même arrêt, la cour d’appel ordonna la confiscation d’un montant de 1 000 EUR. Le requérant et le parquet formèrent recours contre cet arrêt.

17. Par un arrêt du 18 janvier 2010, la Haute Cour rejeta le recours du requérant, fit partiellement droit au recours du parquet, dans le sens où le montant de 1 000 EUR devait être versé sur le compte du dénonciateur et confirma, en recours, le bien-fondé de l’arrêt du 22 octobre 2009 de la cour d’appel de Braşov.

B. Les conditions de détention

18. Au cours de sa détention, le requérant fut détenu dans plusieurs lieux différents : la prison de Codlea (du 29 janvier au 27 février 2009, du 5 mars au 8 décembre 2009 et du 9 avril 2010 au 9 février 2011), la prison de Rahova (du 27 février au 5 mars 2009, du 8 décembre 2009 au 26 janvier 2010 et du 4 février au 25 février 2010), l’hôpital pénitentiaire de Jilava (du 26 janvier au 4 février 2010), la prison de Jilava (du 25 février au 1er avril 2010), et la prison de Miercurea Ciuc (du 1er au 9 avril 2010).

1. Version du requérant

19. Pour ce qui est de la prison de Jilava, le requérant affirme avoir été obligé de partager une cellule insalubre, infestée de puces et de punaises. Dans la même prison, la cour de promenade était infestée de nombreux rats. Il affirme avoir déposé plusieurs plaintes à ce sujet, mais aucune ne fut enregistrée par l’administration de cette prison. Il produit devant la Cour une copie de son dossier médical attestant qu’il avait souffert de dermatose et de lymphangites dues aux piqûres des insectes, dans plusieurs prisons, dont celle de Jilava.

20. Dans les prisons de Jilava, de Codlea et de Miercurea Ciuc, le requérant affirme avoir été contraint de partager des cellules avec des détenus qu’il estimait dangereux (condamnés du chef de meurtre ou de vol avec violence), ce qui constituait, compte tenu de sa qualité d’agent de police, un danger et une menace constante pour sa sécurité. Il affirme avoir formé plusieurs plaintes oralement ou par écrit tendant à son placement avec des détenus ayant des professions similaires à la sienne, à savoir des militaires, des policiers, des magistrats ou des gendarmes.

21. Dans ses observations écrites du 25 juin 2012, le requérant allègue également qu’il a été détenu, en méconnaissance des dispositions du droit interne, avec des personnes condamnées définitivement, alors qu’il était placé en détention provisoire. Il se plaint également de ce que la prison de Codlea et l’hôpital pénitentiaire de Jilava étaient infestés de punaises.

22. A l’appui de ses allégations, le requérant a déposé les déclarations écrites de deux codétenus datées des 29 mai et 1er juin 2012.

23. Dans la première déclaration, D.S. mentionne qu’il a été incarcéré en 2008 dans la prison de Jilava dans une cellule insalubre et exiguë. Dans la cour intérieure de la prison il y avait des rats qui pénétraient parfois dans les cellules. En 2009, dans la prison de Codlea, il a été placé dans une cellule destinée aux détenus nécessitant une protection spéciale. Dans cette cellule étaient incarcérés le requérant ainsi que d’autres détenus qui étaient condamnés pour des crimes tels que vol avec violence, meurtre ou escroquerie. Compte tenu de sa fonction, D.S. trouvait compréhensible qu’il y ait eu des tensions entre le requérant et ses codétenus.

24. Dans la deuxième déclaration, M.N.M. affirme avoir été incarcéré en même temps que le requérant dans les prisons de Codlea et de Rahova. Selon lui, le requérant a été détenu dans des cellules insalubres, infestées de parasites, avec des personnes dangereuses pour lui car condamnées définitivement pour des crimes tels le meurtre, le vol, le vol avec violence et l’escroquerie.

2. Version du Gouvernement

25. Pendant son incarcération à la prison de Jilava, le requérant a été placé dans les cellules nos 107 et 108.

26. La cellule no 107, d’une surface de 15, 20 m², est dotée de six lits, d’un lavabo et de toilettes à la turque séparées du reste de la cellule par un mur. La cellule est également dotée d’étagères métalliques destinées aux bagages, d’une table pour la télévision, d’une table pour les repas et de trois chaises. L’eau chaude était disponible deux fois par semaine dans la salle de douche de la section, dotée de onze douches. Pendant l’incarcération du requérant dans cette cellule, il y avait cinq détenus.

27. La cellule no 108, d’une surface de 11, 86 m², est dotée du même mobilier, sauf pour les étagères métalliques qui avaient été remplacées par un lit supplémentaire. Pendant l’incarcération du requérant dans cette cellule, il y avait cinq à six détenus.

28. L’hygiène dans les cellules était de la responsabilité des détenus, qui se voyaient distribuer des produits de nettoyage. Les ordures ménagères étaient enlevées quotidiennement de chaque cellule. Les groupes sanitaires étaient désinfectés chaque matin avec du chlore et les cellules, dès que nécessaire, avec du lait de chaux. Des actions de désinsectisation et de dératisation étaient menées régulièrement. En 2010, de telles actions ont eu lieu du 4 au 26 janvier et du 26 au 28 avril.

29. Le requérant a bénéficié de promenades quotidiennes de trois heures.

30. Dans la prison de Jilava, le requérant n’a pas été incarcéré dans des cellules prévues pour les personnes vulnérables. Toutefois, en sa qualité d’agent de police, il n’a pas été placé avec des détenus classés comme étant dangereux. En tout état de cause, ses codétenus exerçaient des activités productives et n’étaient donc pas présents dans la cellule la plupart du temps. Aucune demande de la part du requérant tendant à sa protection n’a été répertoriée dans les archives de cette prison.

31. En revanche, dans les prisons de Codlea et de Miercurea Ciuc le requérant a été incarcéré dans des cellules prévues pour les personnes vulnérables, étant donné sa qualité d’agent de police. Il y a été placé, par exemple, avec des membres des forces armées ou de la police, ainsi qu’avec d’autres détenus vulnérables qui n’étaient pas classés comme étant dangereux. Dans la prison de Miercurea Ciuc, le requérant a été placé avec un seul autre détenu qui avait également besoin de protection spéciale car il était menacé par les autres détenus.

32. Seules deux demandes de la part du requérant tendant à sa protection ont été répertoriées dans les archives de la prison de Codlea, à savoir celles des 5 mai et 25 août 2010. Par la première demande, le requérant réclama, en vertu de l’article 80 § 1 du règlement d’application de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines, la création d’une cellule spéciale dans laquelle il soit placé et séparé des personnes qui auraient pu mettre sa sécurité en danger. En réponse, la direction de la prison de Codlea l’informa que la création d’une telle cellule était impossible, mais prit note de son souhait de ne plus être incarcéré avec des personnes qui pourraient mettre sa sécurité en danger. La deuxième demande, formulée au moment où son régime de détention fut assoupli vers un régime plus ouvert, et par laquelle il réclamait le placement dans une cellule avec des détenus ayant le même régime de détention que le sien et ayant besoin d’une protection spéciale, fut accueillie par la direction de la prison de Codlea.

33. Le Gouvernement a déposé des déclarations écrites du 29 février 2012 de trois codétenus du requérant incarcérés à la prison de Codlea faisant état de l’absence de tensions ou de conflits entre le requérant et ses codétenus.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Concernant les conditions de détention

34. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

35. Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, y compris la section des détenus dangereux de la prison de Bucarest-Jilava, le CPT a constaté que la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules avait été fixée à 4 m² ou 8 m3. Il a recommandé aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires au respect de cette norme dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. En revanche, le Comité s’est montré très gravement préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules.

36. Rédigé à la suite d’une visite effectuée en Roumanie par les membres du Bureau du Commissaire aux Droits de l’Homme du 13 au 17 septembre 2004, un rapport, publié le 29 mars 2006, fournit des renseignements sur la prison de Bucarest-Jilava. Le rapport qualifie les conditions de détention dans cet établissement de « particulièrement difficiles » et la situation d’« alarmante ». Il y est souligné en outre que « toutes les installations étaient vétustes, les fenêtres incapables de filtrer le froid et le mobilier d’un autre temps ».

37. Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

B. Concernant la violence entre les détenus

38. Les normes du CPT relatives à la violence entre les détenus (voir les normes du CPT, document no CPT/Inf/E (2002) 1, Rev. 2010, p. 23) se lisent comme suit :

« 27. L’obligation de prise en charge des détenus qui incombe au personnel pénitentiaire englobe la responsabilité de les protéger contre d’autres détenus qui pourraient leur porter préjudice. En fait, des incidents violents entre détenus sont courants dans tous les systèmes pénitentiaires ; ils comprennent une grande variété de phénomènes, allant de formes subtiles de harcèlement à des intimidations patentes et des agressions physiques graves.

Une stratégie efficace contre les actes de violence entre détenus exige que le personnel pénitentiaire soit en mesure, y compris en termes d’effectifs, d’exercer convenablement son autorité et sa fonction de supervision. Le personnel pénitentiaire doit être attentif aux signes de troubles et être à la fois déterminé et formé de manière appropriée pour intervenir quand cela s’avère nécessaire. L’existence de relations positives entre le personnel et les détenus, fondées sur les notions de sécurité de la détention et de prise en charge des détenus, constitue un facteur crucial dans ce contexte ; cela dépendra dans une large mesure du fait que le personnel possède des qualifications appropriées dans le domaine de la communication interpersonnelle. En outre, la direction doit être prête à soutenir pleinement le personnel dans l’exercice de son autorité. Des mesures de sécurité spécifiques, adaptées aux caractéristiques particulières de la situation (y compris des procédures de fouille efficaces) pourraient bien s’imposer ; toutefois, de telles mesures ne peuvent constituer qu’un appoint aux impératifs fondamentaux de sécurité susmentionnés. En outre, le système pénitentiaire doit traiter la question d’une classification et d’une répartition appropriées des détenus (...). »

39. Les dispositions pertinentes de l’article 80 § 1 du règlement d’application de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines sont ainsi libellées :

« A l’occasion de la répartition dans les sections et dans les cellules, il convient d’assurer une protection adéquate aux (...) personnes vulnérables (...) ainsi qu’à celles qui, pour des raisons objectives, doivent être protégées des autres catégories des détenus ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

40. Le requérant se plaint en premier lieu des conditions matérielles de détention dans les prisons de Jilava et de Codlea et dans l’hôpital pénitentiaire de Jilava, ainsi que de son placement dans des cellules avec des détenus qu’il estimait dangereux, et qui étaient condamnés définitivement, alors qu’il était placé en détention provisoire. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur les conditions matérielles de détention

41. La Cour note que, dans ses observations écrites du 25 juin 2012, le requérant se plaint de ce que la prison de Codlea et l’hôpital pénitentiaire de Jilava étaient infestés de punaises (paragraphe 21 ci-dessus). Elle observe que ce grief a été formulé pour la première fois après la communication de la requête au gouvernement défendeur et, en tout état de cause, plus de six mois après la fin de sa détention, soit le 9 février 2011. Il s’ensuit que cette partie du grief est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

42. S’agissant du grief concernant les conditions de détention dans la prison de Jilava, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre que cette partie du grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

2. Sur le régime carcéral

43. Le requérant se plaint de son placement dans des cellules avec des détenus qu’il estimait dangereux, ce qui constituait, compte tenu de sa qualité d’agent de police, un danger accru et une menace permanente pour sa sécurité. Il insiste sur le fait qu’il a déposé plusieurs demandes écrites tendant à sa protection, mais qu’elles n’ont pas été présentées par le Gouvernement. Devant la Cour, il a déposé à l’appui les déclarations de deux codétenus.

44. Le Gouvernement estime que le requérant se borne à faire des déclarations générales, sans mentionner un quelconque événement justifiant ses craintes. Il dépose d’ailleurs les déclarations écrites de trois codétenus du requérant incarcérés à la prison de Codlea faisant état de l’absence de tensions ou de conflits entre le requérant et ses codétenus.

45. S’agissant des prisons de Codlea et de Miercurea Ciuc, le Gouvernement souligne que le requérant a été incarcéré dans des cellules prévues pour les personnes vulnérables, étant donné sa qualité d’agent de police. Il y a été placé, par exemple, avec des membres des forces armées ou de la police, ainsi qu’avec d’autres détenus vulnérables qui n’étaient classés comme étant dangereux. Par ailleurs, les deux demandes du requérant tendant à sa protection ont été accueillies par les autorités pénitentiaires (paragraphe 32 ci-dessus).

46. Pour ce qui est de la prison de Jilava, le Gouvernement mentionne que, même si le requérant n’a pas été incarcéré dans des cellules prévues pour les personnes vulnérables, les autorités pénitentiaires ont pris en compte sa qualité d’agent de police, de sorte qu’il n’a pas été placé avec des détenus classés comme étant dangereux. En tout état de cause, ses codétenus exerçaient des activités productives et n’étaient donc pas présents dans la cellule la plupart du temps. En outre, aucune demande de la part du requérant tendant à sa protection n’a été répertoriée dans les archives de cette prison. Le Gouvernement insiste enfin sur la courte période de temps passée par le requérant dans cette prison, à savoir environ cinq semaines.

47. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention astreint les autorités des États contractants non seulement à s’abstenir de provoquer de tels traitements, mais aussi à prendre préventivement les mesures d’ordre pratique nécessaires à la protection de l’intégrité physique et de la santé des personnes privées de liberté (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002 ; Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 110, CEDH 2001‑III). Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif (voir, mutatis mutandis, Tanrıbilir c. Turquie, no 21422/93, § 71, 16 novembre 2000). Pour la Cour, et vu la nature du droit protégé par l’article 3, il suffit à un requérant de montrer que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour empêcher la matérialisation d’un risque certain et immédiat pour son intégrité physique, dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance. Il s’agit là d’une question dont la réponse dépend de l’ensemble des circonstances de l’affaire en question (Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 190, CEDH 2003‑VI (extraits)). Il incombe dès lors à la Cour de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, les autorités auraient dû savoir que le requérant risquait d’être soumis à de mauvais traitements de la part des autres détenus et, dans l’affirmative, si elles ont pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient évité un tel risque.

48. En l’espèce, la Cour note que les autorités pénitentiaires étaient conscientes du fait que le requérant faisait partie d’une catégorie à risque s’agissant des violences entre détenus. Elle observe toutefois que le requérant a omis d’informer l’administration des prisons ou la Cour d’un risque certain et immédiat pour son intégrité physique ou psychique qui aurait appelé une réponse adéquate de la part des autorités (voir, pour une telle situation, Pantea précité, §§ 191-193, Alexandru Marius Radu c. Roumanie, no 34022/05, § 48-49, 21 juillet 2009). Les déclarations des codétenus versées par le requérant au dossier de la présente requête ne font d’ailleurs que reprendre les allégations générales du requérant.

49. Dans ces conditions, les autorités n’ayant pas d’informations détaillées sur des risques encourus par le requérant, il convient d’examiner si l’administration de la prison a pris des mesures aptes à répondre à la classification du requérant dans la catégorie générale des personnes à risque. À cet égard, la Cour note que, dans les prisons indiquées par le requérant, celui-ci a été détenu la plupart du temps dans des cellules destinées aux personnes considérées comme vulnérables et nécessitant dès lors une protection spéciale (paragraphe 31 ci-dessus), à l’exception de la prison de Jilava où il est resté pendant cinq semaines. Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités nationales ont pris en compte la qualité d’agent de police du requérant et ont entendu lui assurer une certaine protection conformément à la loi interne (paragraphe 39 ci-dessus, et, mutatis mutandis, Aleksejeva c. Lettonie, no 21780/07, § 38-39, 3 juillet 2012).

50. La Cour concède que, pour des raisons objectives, il se peut que le requérant ait ressenti des sentiments d’angoisse et d’inconfort. Toutefois, eu égard aux considérations ci-dessus, et en l’absence d’indices sur des risques certains et immédiats pour l’intégrité physique ou psychique du requérant, la Cour considère que les autorités nationales ont pris les mesures qu’on pouvait raisonnablement attendre de leur part afin d’assurer sa sécurité.

51. Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

52. Dans ses observations écrites du 25 juin 2012, le requérant allègue en outre qu’il a été détenu, en méconnaissance des dispositions du droit interne, avec des personnes condamnées définitivement, alors qu’il était placé en détention provisoire. La Cour note que ce grief a été formulé pour la première fois après la communication de la requête au gouvernement défendeur et, en tout état de cause, plus de six mois après la fin de sa détention provisoire qui s’est étalée, selon le droit roumain, jusqu’au 18 janvier 2010. Il s’ensuit que cette partie du grief est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Sur le fond

53. Le requérant maintien que ses conditions de détention dans la prison de Jilava ont constitué un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il détaille les conditions de détention dans cette prison et indique qu’il a versé au dossier des déclarations des codétenus.

54. Se référant à la description des conditions de détention qu’il a fournie et à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention. Il souligne également la courte période de temps passée par le requérant dans cette prison, à savoir environ cinq semaines.

55. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Irlande c. Royaume­Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25, et Măciucă c. Roumanie, no 25763/03, § 22, 26 mai 2009).

56. La Cour rappelle également que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure dont l’intéressé fait l’objet ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000–XI). Elle rappelle enfin que, lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

57. La Cour estime que le requérant a suffisamment étayé son grief par lequel il entend dénoncer plus particulièrement les mauvaises conditions d’hygiène régnant dans la prison de Jilava. Elle observe à cet égard que les rapports issus des visites du CPT de février 1999 et de juin 2006 et des visites du Bureau du Commissaire aux droits de l’homme de septembre 2004 qualifient les conditions de détention dans cette prison de « déplorables », d’« alarmantes » ou encore d’« atterrantes » (paragraphes 35-36 ci-dessus ; voir également Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, § 30, 13 octobre 2009). En outre, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à plusieurs reprises à l’égard de la Roumanie à la violation de l’article 3 en raison des conditions de détention inappropriées dans la prison de Bucarest-Jilava à des périodes proches de celle où l’intéressé y a été incarcéré (Banu c. Roumanie, no 60732/09, §§ 36-37, 11 décembre 2012, Iacov Stanciu, précité, Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, 12 avril 2011, Györgypál c. Roumanie, no 29540/08, § 73, 26 mars 2013, Scarlat c. Roumanie, nos 68492/10 et 68786/11, § 57, 23 juillet 2013).

58. La Cour ne saurait ignorer que cette situation sanitaire est exacerbée par une forte surpopulation carcérale, ce qui ressort d’ailleurs aussi des renseignements fournis par le Gouvernement. En effet, elle note que le requérant disposait d’un espace individuel réduit de 2 à 3 m² (paragraphes 26-27 ci-dessus), soit une surface inférieure à la norme de 4 m² recommandée par le CPT pour les cellules collectives. Elle estime qu’un surpeuplement aussi grave ne peut qu’accroître les difficultés des autorités et des détenus à maintenir un niveau d’hygiène correcte (voir, mutatis mutandis, Ion Ciobanu c. Roumanie, no 67754/10, § 42, 30 avril 2013).

59. S’agissant de l’argument du Gouvernement concernant la durée d’incarcération du requérant de seulement cinq semaines dans la prison de Jilava, la Cour rappelle qu’elle est déjà arrivée à des constats de violation en présence de mauvaises conditions de détention nonobstant la durée brève de cette détention (voir, pour des périodes de quatre et dix jours, Koktysh c. Ukraine, no 43707/07, §§ 93-95, 10 décembre 2009, pour une période de cinq jours, Gavrilovici c. Moldova, no 25464/05, §§ 30 et 43, 15 décembre 2009, pour une période d’une semaine, Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, §§ 47-55, 13 mars 2012, et pour une période de cinq jours, Ciupercescu c. Roumanie (no 2), no 64930/09, § 46, 24 juillet 2012).

60. La Cour estime que les conditions de détention que le requérant a dû subir, n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

61. Le requérant se plaint de la durée excessive de sa détention provisoire. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

62. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement expose que la détention provisoire du requérant a commencé le 29 décembre 2008 et qu’elle a pris fin avec la condamnation du requérant par le jugement de la cour d’appel de Braşov du 22 octobre 2009. En conséquence, la période de détention à prendre en considération est d’environ dix mois.

63. Le Gouvernement soutient que les juridictions nationales ont justifié régulièrement la nécessité de prolonger la mesure de détention provisoire, avec des motifs pertinents et suffisants, amplement détaillés et non stéréotypés. Elles ont examiné les circonstances de l’affaire à la lumière des exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, des données personnelles du requérant et de l’opportunité de mesures alternatives à la détention provisoire. Il insiste sur le devoir des autorités judiciaires d’avoir une approche stricte dans les affaires de corruption.

64. Pour ce qui est de la conduite de la procédure, le Gouvernement relève d’abord le caractère complexe de l’affaire. Il note ensuite qu’aucune période d’inactivité n’est décelable dans le déroulement de la procédure, les autorités ayant fait preuve de diligence et fixant des audiences mensuellement. Il souligne en outre que le requérant a été renvoyé en jugement deux mois seulement après l’ouverture des poursuites pénales à son encontre.

65. Le requérant estime que la période de détention à prendre en considération s’est étendue sur environ un an, ayant débuté le 29 décembre 2008, date de son placement sous mandat d’arrêt, pour s’achever le 18 janvier 2010, date de l’arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et de justice.

66. Le requérant souligne que les juridictions nationales ont omis de motiver son maintien en détention provisoire de manière concrète et d’indiquer en quoi sa remise en liberté représentait un danger pour l’ordre public. Il estime que les juridictions se sont bornées à invoquer l’article 148 f) du code de procédure pénale de manière stéréotypée, en méconnaissance de la jurisprudence de la Cour et des juridictions nationales. Il considère que les faits qui lui étaient reprochés n’avaient pas provoqué un trouble social de nature à justifier sa détention provisoire. Il mentionne enfin que, par sa durée, sa détention provisoire a anticipé sa condamnation pénale.

67. La Cour estime d’emblée que, conformément à sa jurisprudence, la détention provisoire du requérant au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a débuté le 29 décembre 2008, avec son arrestation, et a pris fin le 22 octobre 2009, date de sa condamnation en premier ressort (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 147, CEDH 2000‑IV). Elle a donc duré environ dix mois.

68. La Cour rappelle que l’article 5 § 3 de la Convention exige que la détention provisoire avant jugement ne dépasse pas un délai raisonnable et que les autorités judiciaires compétentes examinent de manière régulière la persistance de raisons « pertinentes » et « suffisantes » censées légitimer la privation de liberté (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).

69. Dans sa jurisprudence, la Cour a développé quatre raisons fondamentales acceptables pour décider le placement ou le maintien en détention provisoire d’un accusé suspecté d’avoir commis une infraction : le danger de fuite de l’accusé, le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, entrave l’administration de la justice ou commette de nouvelles infractions, ou le risque que sa remise en liberté trouble l’ordre public. Elle a également jugé que les juridictions statuant sur l’opportunité du maintien du requérant en détention provisoire doivent se livrer à l’examen d’un ensemble d’éléments pertinents concrets, propres à confirmer la nécessité de cette mesure (voir, entre autres, Georgiou c. Grèce (déc.), no 8710/08, 22 mars 2011).

70. En l’espèce, la Cour constate que les tribunaux internes ont procédé à des intervalles réguliers au contrôle de la légalité et de l’opportunité du maintien en détention de l’intéressé. Dans leurs décisions, ils ont justifié la nécessité de la mesure par des références aux textes de loi et aux éléments de fait qu’ils estimaient pertinents. Ainsi, ils se sont livrés à un examen concret de la situation et de la personnalité du requérant, dont en particulier l’impact sur l’ordre public et sur la bonne administration de la justice. Étant donné le laps de temps restreint entre ces décisions, il est raisonnable que les tribunaux aient utilisé pendant certaines périodes des raisonnements proches, en se fondant sur les mêmes motifs pour justifier le maintien du requérant en détention (Georgiou, (déc.), précitée et Medinţu c. Roumanie (déc.), no 5623/04, 13 novembre 2012).

71. Il convient de noter également que, avec le passage du temps, les tribunaux ont fourni différentes raisons pour justifier le maintien de l’intéressé en détention, raisons qui ne peuvent pas être considérées comme stéréotypées (paragraphes 13-14 ci-dessus). Par ailleurs, les tribunaux nationaux ont examiné de manière approfondie l’opportunité de révoquer ou de remplacer la mesure de détention provisoire par une interdiction de quitter la ville ou le pays ou de libérer le requérant sous contrôle judiciaire (paragraphe 15 ci-dessus).

72. Pour ce qui est de la diligence des autorités dans la conduite de l’enquête, la Cour constate que les poursuites pénales ouvertes contre le requérant ont abouti, moins d’un mois après le placement en détention, à son renvoi en jugement (voir le réquisitoire du 20 janvier 2009, paragraphe 11 ci-dessus). Après l’inscription au rôle des tribunaux, le requérant et plusieurs témoins furent entendus et la cour d’appel de Braşov a rendu son jugement en seulement neuf mois. Dès lors, il ne saurait être reproché aux autorités judiciaires un quelconque manque de diligence dans le traitement de l’affaire.

73. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’aucune apparence de violation de l’article 5 § 3 de la Convention ne peut être décelée dans la présente affaire. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

75. Le requérant réclame 9 573 euros (EUR) au titre du préjudice matériel représentant les salaires auxquels il aurait eu droit en l’absence d’incarcération. Il réclame en outre 10 000 EUR au titre du dommage moral qu’il aurait subi à raison de la violation de l’article 3 de la Convention et 12 000 EUR à titre de dommage moral qu’il aurait subi en raison de la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

76. Pour le Gouvernement, aucune somme ne doit être accordée au titre du préjudice matériel, le requérant n’ayant pas prouvé le lien de causalité avec le constat de violation. Il estime qu’en l’espèce le préjudice moral serait suffisamment compensé par un constat de violation et qu’en tout état de cause, le montant demandé est excessif.

77. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions matérielles de détention subies par le requérant dans la prison de Jilava.

78. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

79. Le requérant demande également les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour pour la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

80. Le Gouvernement souligne en particulier le fait que le requérant n’a pas présenté de justificatifs pour tous les frais et dépens réclamés.

81. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour, ayant constaté une violation du seul grief tiré de l’article 3 de la Convention, elle rejette la demande relative aux frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

82. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention (conditions matérielles de détention dans la prison de Jilava), et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-139994
Date de la décision : 14/01/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : TOTOLICI
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CRACIUN O.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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