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03/10/2017 | CEDH | N°001-177220

CEDH | CEDH, AFFAIRE MISHINA c. RUSSIE, 2017, 001-177220


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MISHINA c. RUSSIE

(Requête no 30204/08)

ARRÊT

STRASBOURG

3 octobre 2017

DÉFINITIF

29/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mishina c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Branko Lubarda, président,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Ge

orgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 sep...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MISHINA c. RUSSIE

(Requête no 30204/08)

ARRÊT

STRASBOURG

3 octobre 2017

DÉFINITIF

29/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mishina c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Branko Lubarda, président,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 septembre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30204/08) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Rimma Grigoryevna Mishina (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me L.C. Chumakov, avocat à Kazan. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par le successeur de celui-ci, M. M. Galperine.

3. La requérante alléguait notamment, sous l’angle de l’article 2 de la Convention, que l’enquête sur les circonstances du décès de son fils n’avait pas été effective.

4. Le 10 juin 2015, le grief tiré de l’article 2 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

5. La requérante est née en 1949 et réside à Kazan.

6. Le 17 novembre 2005, la requérante retrouva son fils V. mort dans son appartement.

7. L’expertise médicolégale conclut que V. était décédé des suites d’une intoxication aiguë à la morphine par voie parentérale. L’expertise établit que V. présentait deux traces de piqûres sur le bras droit, la première au niveau du pli du coude et la seconde sur l’avant du tiers supérieur de l’avant-bras. Selon le médecin légiste, ces traces pouvaient résulter de l’utilisation d’une seringue. L’expertise permit également de relever la présence d’une éraflure dans la région lombaire de V. Cette lésion aurait pu se former entre une et trois heures avant la mort de l’intéressé. L’expertise démontra en outre la présence de morphine et d’alcool éthylique dans le sang de V. dans des quantités correspondant à un état de forte ivresse.

8. Par une décision du 19 novembre 2005, l’enquêteur N., du service du procureur de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan, refusa d’ouvrir une enquête pénale, considérant que la mort de V. n’avait pas été violente.

9. La requérante, alléguant que l’enquête préliminaire avait été superficielle, forma un recours hiérarchique contre cette décision. Elle soutenait notamment que la mort de son fils était due à un acte intentionnel d’un tiers, sous la forme d’une injection de morphine. Elle déclarait que son fils n’était pas toxicomane ; de surcroît, n’étant pas gaucher, il n’aurait pas pu se faire des piqûres dans le bras droit.

10. Le 29 juin 2006, le procureur de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan annula la décision du 19 novembre 2005 et renvoya le dossier pour complément d’enquête. Le 7 juillet 2006, l’affaire fut à nouveau classée sans suite.

11. À la suite d’une contestation de la requérante, la décision du 7 juillet 2006 fut annulée. Cependant, des décisions de refus d’ouvrir une enquête pénale furent ensuite adoptées les 27 novembre et 15 décembre 2006.

12. Le refus du 15 décembre 2006 fut annulé par la décision du 26 mars 2007 du tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan. Ce tribunal constata les carences suivantes dans l’enquête préliminaire : rien n’avait été fait pour caractériser la personnalité de la compagne de V. et des personnes que ce dernier avait pu contacter la veille de sa mort ; les employeurs de V. n’avaient pas été auditionnés ; les mesures prises pour établir si V. consommait des drogues n’avaient pas été suffisantes ; les deux personnes ayant donné des « explications » dans le dossier n’avaient pas été auditionnées par l’enquêteur. Se fondant sur ces éléments, le tribunal ordonna la réouverture de l’enquête préliminaire.

13. Par la suite, les autorités chargées de l’instruction rendirent onze autres refus d’ouvrir une enquête pénale.

14. Sur contestation de la requérante, le 5 mai 2010, le tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan annula la décision de refus d’ouvrir une enquête pénale rendue le 21 octobre 2009. Il indiqua, entre autres, que les autorités chargées de l’enquête n’avaient pas examiné la possibilité d’une mort violente de V. ni pris en compte les arguments de la requérante selon lesquels son fils n’était pas toxicomane.

15. Par une décision du 28 février 2011, le département Zaretchenski du comité d’instruction de la République du Tatarstan ouvrit une enquête pénale pour homicide involontaire en se basant sur les motifs suivants : les traces de piqûres avaient été relevées sur le bras droit de V. alors que celui‑ci n’était pas gaucher, et aucune seringue ou ampoule n’avait été retrouvée dans l’appartement, ce qui laissait supposer que les injections avaient pu être le fait d’un tiers.

16. Le 28 août 2011, la même entité du comité d’instruction susmentionné rendit une ordonnance de non-lieu. La requérante n’en fut pas informée. Après une réouverture de l’enquête, une nouvelle ordonnance de non-lieu fut adoptée le 10 décembre 2011. La requérante allègue n’avoir pu accéder au dossier que le 10 mai 2012.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

17. La requérante soutient que l’enquête menée sur les circonstances du décès de son fils a été ineffective et d’une durée excessive. Elle invoque l’article 2 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »

A. Thèses des parties

1. Le Gouvernement

18. Dans ses observations du 18 janvier 2016, le Gouvernement a reconnu qu’il y avait eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural en raison de l’absence d’enquête effective sur les circonstances du décès du fils de la requérante. Il a par ailleurs informé la Cour de son intention de lui soumettre une déclaration unilatérale.

19. Le 4 mars 2016, le Gouvernement a adressé à la Cour une déclaration unilatérale sollicitant la radiation de l’affaire en contrepartie du versement d’une somme et de la reconnaissance de la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural. Le texte de la déclaration ne renfermait pas d’engagement de mener une enquête effective sur les circonstances du décès du fils de la requérante.

20. Dans une lettre d’accompagnement du 4 mars 2016 jointe à la déclaration unilatérale susmentionnée, le Gouvernement a présenté des observations complémentaires quant à l’obligation de conduire une enquête conforme aux exigences de la Convention. Il indiquait à cet égard que le décès du fils de la requérante ayant eu lieu en 2005 et l’enquête pénale sur les circonstances de ce décès ayant été ouverte avec cinq ans de retard, il serait impossible de conduire une enquête effective après un délai aussi long. Selon lui, il serait extrêmement difficile de procéder à l’audition de témoins en raison de l’affaiblissement de la capacité de ces derniers de se souvenir des circonstances de l’affaire en cause ainsi que de la disparition des éventuelles preuves. Par conséquent, le Gouvernement demande à la Cour d’accepter la déclaration unilatérale dans les termes dans lesquels elle lui a été présentée.

2. La requérante

21. Les observations de la requérante sont parvenues à la Cour le 10 mai 2016. L’intéressée y informait celle-ci de son refus des termes de la déclaration unilatérale eu égard, notamment, au montant proposé. Elle ne faisait aucun commentaire sur les observations complémentaires du Gouvernement du 4 mars 2016 relatives à l’obligation de conduire une enquête conforme aux exigences de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la déclaration unilatérale du Gouvernement

22. L’article 37 § 1 de la Convention est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

(...)

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

23. La Cour rappelle avoir tenu le raisonnement suivant dans son arrêt de principe Tahsin Acar c. Turquie ((exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, CEDH 2003‑VI), concernant la disparition non élucidée d’une personne qui aurait été enlevée par des agents de l’État ou avec leur connivence :

« 84. La Cour admet que l’on ne saurait considérer comme une condition sine qua non pour qu’elle soit prête à rayer une requête du rôle sur la base d’une déclaration unilatérale d’un gouvernement défendeur que celui-ci reconnaisse pleinement la responsabilité de l’État défendeur à l’égard des allégations qu’un requérant formule sur le terrain de la Convention. Cependant, dans des affaires concernant des personnes disparues ou qui ont été tuées par des auteurs inconnus et lorsque figurent au dossier des commencements de preuve venant étayer les allégations selon lesquelles l’enquête menée sur le plan interne a été en deçà de ce que requiert la Convention, une déclaration unilatérale doit pour le moins renfermer une concession en ce sens, ainsi que l’engagement, de la part du gouvernement défendeur, d’entreprendre, sous la surveillance du Comité des Ministres dans le cadre des obligations que lui confère l’article 46 § 2 de la Convention, une enquête qui soit pleinement conforme aux exigences de la Convention telles que la Cour les a définies dans des affaires antérieures semblables. »

24. Dans son arrêt récent Jeronovičs c. Lettonie ([GC], no 44898/10, CEDH 2016), qui concernait des allégations de mauvais traitements infligés par des agents de l’État et l’effectivité de l’enquête menée sur ces allégations, la Cour a confirmé le principe formulé au paragraphe 84 de l’arrêt Tahsin Acar précité, cette fois-ci sous l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention. Elle a notamment déclaré que :

« 117. Dès lors, l’interprétation du Gouvernement, telle qu’elle apparaît dans sa déclaration unilatérale et selon laquelle le versement d’une indemnité vaut règlement définitif de l’affaire, ne saurait être admise. Pareille interprétation amputerait d’une partie essentielle tant le droit du requérant que l’obligation de l’État découlant du volet procédural de l’article 3 de la Convention (...) ».

25. La Cour note que les principes susmentionnés ont été formulés sur le terrain des articles 2 et 3 de la Convention concernant des actes qui auraient été commis soit par des agents de l’État soit avec la connivence de ceux-ci. Bien que, en l’espèce, aucun élément du dossier ne permette de dire que la mort du fils de la requérante a résulté d’un acte d’un agent de l’État, elle estime que les principes dégagés quant à l’obligation de mener une enquête conforme aux exigences de la Convention sont transposables à la présente cause.

26. En effet, elle rappelle avoir déjà dit que, en astreignant l’État à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction, l’article 2 de la Convention impose à celui-ci le devoir d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations (Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 171, 14 avril 2015). Ladite obligation requiert, par implication, qu’une enquête officielle effective soit menée lorsqu’il y a des raisons de croire qu’un individu a subi des blessures potentiellement mortelles dans des circonstances suspectes, nonobstant l’absence de la qualité d’agent de l’État de l’auteur présumé de l’atteinte à la vie de l’intéressé (idem). La Cour a d’ailleurs tenu compte de ce principe dans l’affaire Jeronovičs précitée (§ 103).

27. Elle note que, en l’espèce, la déclaration unilatérale soumise par le gouvernement défendeur le 4 mars 2016 ne renferme pas d’engagement de mener une enquête effective sur les circonstances du décès du fils de la requérante (paragraphe 19 ci‑dessus). Elle relève que, de surcroît, dans ses observations supplémentaires soumises à la même date, le Gouvernement lui a expressément demandé d’accepter les termes de ladite déclaration en l’interprétant comme ayant vocation à éteindre l’obligation continue de mener une enquête conforme aux exigences de la Convention (paragraphe 20 ci‑dessus).

28. Or, eu égard aux principes cités ci-dessus, la Cour ne peut accepter une telle interprétation. Consciente des difficultés que peuvent rencontrer les autorités internes en l’espèce dans la conduite d’une enquête plusieurs années après le décès du fils de la requérante, elle rappelle toutefois que ces difficultés ne peuvent permettre au Gouvernement d’échapper à ses obligations découlant de l’article 2 de la Convention. Elle rappelle également que la procédure de déclaration unilatérale revêt un caractère exceptionnel et que, lorsqu’il s’agit de violations des droits les plus fondamentaux garantis par la Convention, cette procédure n’a pas vocation d’éluder l’opposition du requérant à un règlement amiable ou de permettre au Gouvernement d’échapper à sa responsabilité pour de telles violations (Jeronovičs, précité, § 117). Dans les affaires où il est allégué que la mort a été infligée volontairement ou qu’elle est survenue à la suite d’une agression ou de mauvais traitements, l’octroi d’une indemnité ne saurait dispenser les États contractants de leur obligation de mener des investigations pouvant conduire à l’identification et à la punition des responsables (Mustafa Tunç et Fecire Tunç, précité, § 130). Dans le cas contraire, la Cour estime que cela aboutirait à une situation où, en omettant pendant plusieurs années, comme dans le cas d’espèce, de prendre toutes les mesures nécessaires pour conduire une enquête effective, l’État pourrait s’acquitter de son obligation par le versement d’une indemnité pour une violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention alors même que cette violation aurait pour origine l’inactivité de l’État lui-même.

29. À la lumière de ce qui précède et eu égard à l’absence, dans la déclaration unilatérale soumise par le Gouvernement, d’engagement de ce dernier de mener une enquête pleinement conforme aux exigences de la Convention, la Cour considère que les conditions permettant de procéder à une radiation ne se trouvent pas remplies.

30. Partant, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention.

2. Sur la recevabilité

31. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

3. Sur le fond

32. La Cour note que le Gouvernement admet qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural en raison de l’absence d’enquête effective sur les circonstances du décès du fils de la requérante.

33. Elle a déjà eu l’occasion de juger qu’un retard injustifié dans l’ouverture d’une enquête pénale peut avoir un effet négatif irréversible compromettant la capacité de l’instruction à faire la lumière sur les faits (voir, pour des exemples de délais, Tararieva c. Russie, no 4353/03, § 91, CEDH 2006‑XV (extraits) (cinq mois de retard), Kopylov c. Russie, no 3933/04, § 137, 29 juillet 2010 (huit mois de retard), Shishkin c. Russie, no 18280/04, § 100, 7 juillet 2011 (huit mois de retard), Zayev c. Russie, no 36552/05, § 105, 16 avril 2015 (trois mois de retard), Lykova c. Russie, no 68736/11, § 103, 22 décembre 2015 (cinq ans de retard)).

34. En l’espèce, la Cour constate qu’une véritable enquête pénale n’a été ouverte que cinq ans après le décès du fils de la requérante pour être clôturée peu après (paragraphes 15‑16 ci-dessus). Elle relève qu’il n’a pas été démontré que l’ouverture de l’enquête a été suivie de mesures propres à établir les circonstances du décès en cause (comparer avec Lykova, précité, §§ 104‑109). S’agissant des vérifications préliminaires effectuées avant l’ouverture de l’enquête pénale, la Cour partage les conclusions des autorités internes qui ont constaté à plusieurs reprises que lesdites vérifications avaient été incomplètes et que les autorités chargées de l’instruction avaient manqué de diligence et de promptitude lors de la conduite de ces vérifications (paragraphes 10, 12, 13 et 14 ci‑dessus).

35. Eu égard à ce qui précède et aux arguments des parties, la Cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. La requérante réclame 2 600 euros (EUR) pour préjudice matériel. Elle ventile sa demande comme suit :

– 1 600 EUR pour les frais liés à l’enterrement de son fils ;

– 1 000 EUR pour les frais médicaux qu’elle aurait engagés à la suite de l’aggravation de son état de santé après le décès son fils.

38. Elle sollicite également 70 000 EUR pour préjudice moral.

39. Le Gouvernement estime qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la somme demandée par la requérante pour préjudice matériel et les allégations de violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention de cette dernière. Il indique en outre que le montant des frais réclamés par l’intéressée n’est étayé par aucun document.

40. En ce qui concerne le préjudice moral, le Gouvernement estime que le montant sollicité par la requérante est excessif. Il se réfère à cet égard aux montants octroyés par la Cour dans les arrêts Shiyanov c. Ukraine ([comité], no 12552/09, § 35, 2 juin 2016), Dernovyy et Dernova c. Ukraine ([comité], no 20142/10, § 35, 2 juin 2016), et Bakanova c. Lituanie (no 11167/12, § 79, 31 mai 2016).

41. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’accorder à la requérante 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

42. La requérante demande également 603 170 roubles (RUB) pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés, dont 543 170 RUB pour les frais de représentation devant les instances nationales et 60 000 RUB pour ceux exposés devant la Cour.

43. Le Gouvernement estime que la somme réclamée au titre des frais de représentation devant la Cour est excessive eu égard à la faible complexité de l’affaire et à la reconnaissance par le Gouvernement de la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 9 070 EUR et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

45. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Rejette la demande de radiation de la requête formulée par le Gouvernement sur le fondement de sa déclaration unilatérale ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 2 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 9 070 EUR (neuf mille soixante-dix euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıBranko Lubarda
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-177220
Date de la décision : 03/10/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Enquête effective) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : MISHINA
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CHUMAKOV L.C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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