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08/11/2016 | CEDH | N°001-168366

CEDH | CEDH, AFFAIRE FIGUEIREDO TEIXEIRA c. ANDORRE, 2016, 001-168366


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FIGUEIREDO TEIXEIRA c. ANDORRE

(Requête no 72384/14)

ARRÊT

STRASBOURG

8 novembre 2016

DÉFINITIF

08/02/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Figueiredo Teixeira c. Andorre,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov, >Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du c...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FIGUEIREDO TEIXEIRA c. ANDORRE

(Requête no 72384/14)

ARRÊT

STRASBOURG

8 novembre 2016

DÉFINITIF

08/02/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Figueiredo Teixeira c. Andorre,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 octobre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 72384/14) dirigée contre la Principauté d’Andorre et dont un ressortissant portugais, M. Bruno Figueiredo Teixeira (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 septembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me P.C. Bragança Varela, avocate à Escaldes-Engordany (Andorre). Le gouvernement andorran (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agentes, Mme C. Perna Garcia et Mme P. Quillacq, conseillères juridiques auprès du ministère des Affaires étrangères

3. Le 22 juin 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1983 et réside à Andorre-la-Vieille.

5. Il fut arrêté le 5 décembre 2011 parce qu’il était soupçonné d’avoir commis un délit majeur de trafic de stupéfiants. Dans le rapport rédigé lors de son arrestation, la police demandait au juge (Batlle) chargé de l’instruction d’ordonner au service des télécommunications d’Andorre, Andorra Telecom, de communiquer la liste des appels entrants et sortants des deux lignes de téléphone portable du requérant pour la période comprise entre le 1er juin et le 4 décembre 2011.

6. Une instruction fut ouverte à la suite de cette arrestation. Par une ordonnance du 30 août 2012, le Batlle chargé de l’instruction demanda à Andorra Telecom de lui fournir la liste des appels entrants et sortants correspondant aux deux numéros de téléphone du requérant pour la période du 15 août au 4 décembre 2011 et de lui indiquer l’identité des titulaires des numéros figurant sur ladite liste. Il fondait sa demande sur la commission présumée par ce dernier d’un délit majeur continu de trafic de produits stupéfiants prévu à l’article 283 § 1 a) et e) du code pénal, et sur les déclarations d’une autre personne arrêtée et inculpée en même temps que le requérant. Il indiquait par ailleurs que le requérant avait été arrêté dans sa voiture, précisément lors d’un échange présumé de drogue contre de l’argent.

7. Dans son ordonnance, le Batlle rappelait ce qui suit :

« (...) une telle mesure doit être adéquate, proportionnée et nécessaire, car il s’agit d’une ingérence dans le droit à l’intimité des personnes, lequel est constitutionnellement garanti et reconnu de manière concrète dans le [cadre des dispositions relatives au] secret des télécommunications. »

8. Il ajoutait que cette mesure était en l’espèce :

« particulièrement utile, adéquate et nécessaire pour connaître d’éléments d’une importance primordiale pour la bonne issue de l’enquête en cours [et, en particulier,] pour faire la lumière sur les faits objets de l’enquête, sur l’identité des auteurs de ces faits et/ou des éventuels participants (...). Cette mesure ne constitue en aucun cas une ingérence disproportionnée dans la sphère privée du (des) sujet(s) concerné(s) si l’on prend en considération la nature du droit dont le respect était menacé par les actes contestés et les indices de culpabilité (...) dont on dispose à l’heure actuelle (...) »

9. Le requérant déposa un recours en nullité contre cette décision, alléguant qu’il avait subi une atteinte à son droit au secret des communications. Le 22 novembre 2012, le Batlle rejeta ce recours au motif que ce type de procédure ne convenait pas aux cas d’allégations d’ingérence dans le droit au respect de l’intimité garanti par la Constitution.

10. Le requérant intenta alors une procédure d’urgence telle que prévue à l’article 41 § 1 de la Constitution, demandant qu’il fût mis un terme aux conséquences de l’utilisation, selon lui irrégulière, des données récoltées et qu’il fût procédé à la destruction des documents en question. Le Batlle de permanence débouta le requérant de sa demande par une décision du 8 mars 2013.

11. Le requérant interjeta appel de cette décision. Par un jugement du 15 juillet 2013, le Tribunal supérieur de justice rejeta le recours. Il considéra que :

« Il n’existe pas de motifs qui laisseraient penser que Andorra Telecom a agi de façon non conforme à la loi applicable lors du stockage des données. [La loi relative au stockage de données] l’autorise à conserver et à stocker les données relatives aux communications téléphoniques des usagers (...), avec pour finalité principale le traitement et la résolution des éventuelles plaintes et réclamations des clients au sujet de la facturation. Évidemment, la finalité (...) est également de collaborer avec l’administration de la justice (...). Ce Tribunal ne voit pas de motifs qui pourraient l’amener à douter de la constitutionnalité des règles relatives à la procédure suivie par Andorra Telecom. »

12. Le requérant forma un recours en nullité contre ce jugement. Le Tribunal supérieur de justice le débouta de sa demande par une décision du 18 octobre 2013.

13. Invoquant les articles 10 § 1 (droit à un procès équitable), 14 (droit à la vie privée) et 15 (droit au secret des communications) de la Constitution, le requérant forma alors un recours d’empara devant le Tribunal constitutionnel. Par un arrêt notifié le 19 mars 2014, celui-ci rejeta le recours. Dans un premier temps, il examina la question de la conformité avec la loi de la réglementation autorisant le stockage de données par Andorra Telecom et se demanda si cette réglementation devait porter le titre de loi qualifiée. À ce sujet, il nota que le grief aurait dû être formulé par un recours direct d’inconstitutionnalité (article 98 de la Constitution) ou par une question préalable d’inconstitutionnalité (article 100 de la Constitution). Il constata néanmoins que la conservation des données des clients était prévue par les conditions générales de vente de Andorra Telecom et que celles-ci étaient, en principe, acceptées lors de la souscription aux services de la compagnie téléphonique.

14. Dans un deuxième temps, le Tribunal constitutionnel se pencha sur les griefs tirés du droit à la vie privée et au secret des communications. Il indiqua que ces griefs portaient sur la remise à la police, à la suite de la délivrance d’un mandat de justice, de données concernant les appels entrants et sortants de deux lignes téléphoniques. Il ajouta que Andorra Telecom n’était pas une personne morale de droit privé, mais une entreprise publique chargée de gérer le réseau des télécommunications sur l’ensemble du territoire national. Enfin, il releva que les conditions générales acceptées par les clients lors de la conclusion du contrat avec Andorra Telecom spécifiaient que les factures détaillées étaient conservées au moyen des techniques existantes et pendant le délai de contestation applicable aux prestations fournies. Il reprit sur ce point l’argument du ministère public et considéra que cette base contractuelle était identique quel que fût le service téléphonique souscrit.

15. Par ailleurs, la haute juridiction énonça ce qui suit :

« Les données de l’abonné (...) n’ont pas été fournies à l’initiative de Andorra Telecom ni à la demande d’un particulier ou d’une administration, ni même à la demande du service de police. La communication de la liste des appels du requérant avait été requise par une ordonnance judiciaire qui visait des numéros [de téléphone] précis et une période bien déterminée. En effet, (...) le juge d’instruction (...) a motivé sa demande en exposant qu’une enquête était en cours au sujet d’un délit majeur de trafic de marihuana que M. Figueiredo était soupçonné d’avoir commis. [Le juge d’instruction] avait ajouté que les données serviraient à « réunir les preuves et éléments nécessaires au bon déroulement de l’instruction ». Enfin, le fait que la demande de communication des données concernait la période comprise entre le mois d’août et le mois de décembre 2011 et que cette demande a été effectuée en août 2012, soit moins d’un an après les appels concernés, doit également être pris en compte. »

16. Le Tribunal constitutionnel rappela en outre que l’article 5 de la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles excluait de son champ d’application le traitement des données obtenues dans le cadre d’une enquête pénale. Il cita également les articles 47 et 87 du code de procédure pénale qui autorisaient le juge d’instruction à prendre les mesures nécessaires dans le cadre d’une enquête, y compris, sous certaines conditions, à demander l’interception des communications téléphoniques.

17. Enfin, concernant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier l’arrêt Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, série A no 82), que le requérant invoquait à l’appui de sa demande, le Tribunal constitutionnel estima qu’elle ne pouvait s’appliquer au motif que, en l’espèce, c’était un juge d’instruction qui avait sollicité la communication des données litigieuses et non la police elle-même. Il ajouta que cet élément était essentiel et justifiait cette ingérence, dans une société démocratique, aux fins de la poursuite des auteurs de délits graves.

18. Par un jugement du 29 septembre 2015, le tribunal de Corts condamna le requérant à une peine de quatre ans d’emprisonnement (dont deux ans fermes), pour commission d’un délit majeur de vente et de possession à des fins commerciales de grandes quantités de drogue (marihuana).

19. Le requérant fit appel. Par un arrêt du 22 janvier 2016, le Tribunal supérieur de justice confirma le jugement contesté. Dans ses motifs, il exposait que plusieurs éléments de preuve avaient permis de conclure à la culpabilité : la déclaration d’un des clients du requérant, la découverte d’une balance de précision appartenant au requérant, les surveillances policières et les relevés des appels téléphoniques. Il indiquait que le Tribunal de Corts s’était également fondé sur l’absence, chez le requérant, d’un syndrome d’abstinence, et ce alors que l’intéressé affirmait que la drogue découverte était destinée à sa consommation personnelle qui atteignait, à ses dires, quinze cigarettes par jour. Il estimait enfin que les moyens de preuve avaient été obtenus à la suite de l’ordonnance du 30 août 2012 dans le respect de l’ensemble des garanties procédurales.

20. Le 22 janvier 2016, le requérant sollicita la suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement ferme sur le fondement de l’article 39 du Règlement de la Cour. Par une décision du 25 janvier 2016, la Cour rejeta sa demande au motif qu’elle n’entrait manifestement pas dans le champ d’application de l’article 39 du règlement.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

21. Les dispositions pertinentes de la Constitution andorrane sont les suivantes :

Article 10

« 1. Toute personne a le droit de porter un recours devant une juridiction, d’obtenir de celle-ci une décision fondée en droit et de bénéficier d’un procès équitable devant un tribunal impartial créé préalablement par la loi. »

Article 14

« Toute personne a droit au respect de son intimité, de son honneur et de son image. Chacun a droit à la protection de la loi contre les intrusions illégitimes dans sa vie privée et familiale. »

Article 15

« L’inviolabilité du domicile est garantie. Nul ne peut y entrer sans le consentement de l’intéressé ou sans un mandat judiciaire, sauf en cas de flagrant délit. Le secret des communications est également garanti sauf mandat judiciaire motivé. »

Article 41 § 1

« Les droits et libertés reconnus aux chapitres III et IV sont contrôlés par les tribunaux ordinaires par le biais d’une procédure d’urgence et préférentielle qui est réglementée par la loi et qui, dans tous les cas, se déroulera devant deux instances. »

22. L’article 9 § 3 de la Loi qualifiée sur la justice dispose:

Article 9 § 3

« Les preuves ayant été obtenues directement ou indirectement moyennant une violation des droits et libertés fondamentaux des personnes ne seront pas admises et n’auront aucun effet [dans le procès] ».

23. La loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles prévoit, dans ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 5

Domaines exclus du champ d’application de la loi

« Est exclu du champ d’application de cette loi le traitement des données personnelles qui ont un lien avec les domaines suivants :

sécurité de l’État,

enquête et prévention relatives à des infractions pénales. »

Article 15

Droit d’opposition

« Toute personne a le droit de s’opposer à ce que les données la concernant soient traitées par un responsable de traitement lorsqu’elle ne les lui a pas transmis elle-même ces données.

(...) »

Article 16

Exceptions au droit d’opposition

« L’article 15 n’est pas applicable lorsque la communication de données a lieu dans l’une des circonstances suivantes :

(...)

f) lorsque la communication est requise par une décision de justice. »

Article 30

Normes de création de fichiers

« La création, la modification ou la suppression de fichiers dont le traitement relève de l’administration publique doit être effectuée dans le respect d’une réglementation (...) qui doit avoir été approuvée par l’entité publique responsable du traitement et avoir été publiée dans le Bulletin officiel (Butlletí Oficial del Principat d’Andorra) avant la création, la modification ou la suppression du fichier.

[Cette procédure d’approbation] (...) n’est pas nécessaire pour les fichiers de données personnelles provenant de registres publics, contrôlés par des entités publiques disposant de leur propre réglementation, ni pour ceux qui concernent des domaines exclus du cadre de cette loi en application de l’article 5. »

24. Le code de procédure pénale en vigueur au moment des faits prévoyait, en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

Article 47

« Le Batlle doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éclaircir (...) les faits et les circonstances, adverses ou favorables, qui peuvent avoir une influence sur leur qualification, aux fins d’enquérir sur la vérité matérielle et réelle.

(...) ».

Article 87

« (...)

2. En matière de délits majeurs (...), si l’interception de communications téléphoniques (...) est considérée comme utile pour la recherche de la vérité, le Batlle pourra autoriser cette mesure à tout moment de l’enquête, en respectant les conditions suivantes :

a) L’autorisation doit prendre la forme d’une décision, qui doit immédiatement être notifiée au ministère public (...).

b) La décision du Batlle doit préciser le délit majeur en cause, l’identité des personnes soupçonnées d’être impliquées (...), les motifs qui justifient cette procédure ainsi que tous les éléments d’identification de la communication qui doit être interceptée. La durée des écoutes ne peut dépasser deux mois. Elle peut être prorogée deux fois, dans les mêmes conditions, moyennant une décision motivée.

(...)

d) Les cassettes enregistrées ou les supports matériels ou informatiques sur lesquels sont stockées les communications doivent être totalement scellés (...).

(...)

5. En matière de délits majeurs, la collecte de preuves susceptibles d’affecter l’intégrité ou l’intimité des personnes sur lesquelles portent les investigations (...) devra être autorisée par une décision motivée. Cette décision devra prendre en compte (...) la nécessité de la mesure (...) et sa proportionnalité (...) eu égard aux indices obtenus, à la gravité du délit qui fait l’objet de l’enquête (...) et à l’importance de l’ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental qui doit toujours être garanti dans son essence (...) »

25. Le décret du 19 septembre 1996 relatif à l’établissement et à la modification des tarifs téléphoniques dispose en son article pertinent en l’espèce :

Article 14 § 2

« Andorra Telecom met à la disposition de l’abonné tous les éléments justificatifs de la facture en utilisant les techniques existantes (...) »

26. Le décret du 18 mars 2009, qui réglemente les fichiers de données personnelles « clients », « clients potentiels », « contrôle d’accès », « gestion de ressources humaines », « sélection de personnel » et « tiers et fournisseurs » de Andorra Telecom, se lit ainsi en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

« (...) Afin de rendre effectif le mandat légal [de l’article 30 de la loi qualifiée no 15/2003], (...) le gouvernement approuve le présent décret dont le contenu est le suivant :

(...) »

Article 2

Pour les fichiers créés, il conviendra d’établir en annexe (...) l’adresse à laquelle peuvent être exercés les droits d’accès et de rectification (...), la durée de conservation des données (...) conformément à l’article 12 de la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles. »

27. L’édit du 14 septembre 2011 relatif à la modification des conditions de vente des cartes prépayées, publié dans le Bulletin officiel du 21 septembre 2011, est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

Première condition générale

« Andorra Telecom et les établissements ou points de vente de cartes prépayées Mobiland (...) doivent informer les clients, avant la vente, de l’existence et du contenu du registre et du fait que, en application de la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles, leurs données seront enregistrées dans des fichiers informatiques de Andorra Telecom, où elles resteront à la disposition des autorités nationales compétentes conformément à la législation nationale.

(...) »

Troisième condition générale

« Quant aux cartes prépayées CLIC Mobiland achetées avant la publication de cet édit, Andorra Telecom devra identifier leurs utilisateurs entre la date de la présente publication et le 30 novembre 2012. Après cette période, Andorra Telecom devra annuler ou désactiver les cartes prépayées dont les détenteurs n’auront pu être identifiés (...) »

28. La Recommandation Rec(2005)10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative aux « techniques spéciales d’enquête » en relation avec des infractions graves y compris des actes de terrorisme, adoptée par le Comité des Ministres le 20 avril 2005 lors de leur 924e réunion des Délégués des Ministres, expose ce qui suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

Chapitre I – Définitions et champ d’application

« Aux fins de cette Recommandation, on entend par « techniques spéciales d’enquête », des techniques appliquées par les autorités compétentes dans le cadre d’enquêtes pénales cherchant à dépister ou à enquêter sur des infractions graves et des suspects, avec pour objectif de recueillir des informations de telle sorte que les personnes visées ne soient pas alertées.

Aux fins de cette Recommandation, on entend par « autorités compétentes » les autorités judiciaires, les autorités en charge des poursuites et les autorités en charge des enquêtes, impliquées dans l’utilisation, dans la décision d’employer ou dans la supervision de la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête, conformément à la législation du pays.

Chapitre II – Utilisation des techniques spéciales d’enquête
au niveau national

a. Principes généraux

1. Les États membres devraient, en conformité avec les exigences de la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5), définir dans leur droit national les circonstances et les conditions dans lesquelles les autorités compétentes sont habilitées à recourir à l’utilisation des techniques spéciales d’enquête.

2. Les États membres devraient prendre les mesures législatives appropriées pour permettre, en conformité avec le paragraphe 1, l’utilisation des techniques spéciales d’enquête afin que celles-ci soient mises à la disposition de leurs autorités compétentes dans la mesure où cela est nécessaire dans une société démocratique et considéré comme adéquat pour la conduite efficace d’enquêtes et de poursuites pénales.

3. Les États membres devraient prendre des mesures législatives appropriées pour assurer que la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête fasse l’objet d’un contrôle adéquat par des autorités judiciaires ou d’autres organes indépendants par le biais d’une autorisation préalable, d’une supervision durant l’enquête ou d’un contrôle a posteriori.

b. Conditions d’utilisation

4. Les techniques spéciales d’enquête ne devraient être utilisées que lorsqu’il existe des raisons suffisantes de penser qu’une infraction grave a été commise ou préparée, ou est en cours de préparation, par une ou plusieurs personnes particulières, ou par un individu ou un groupe d’individus non encore identifié.

5. La proportionnalité entre les conséquences de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête et le but qui a été identifié devrait être garantie. À cet effet, au moment de décider de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête, cette utilisation devrait être évaluée à la lumière de la gravité de l’infraction et en prenant en compte le caractère intrusif de la technique spéciale d’enquête particulière utilisée.

6. Les États membres devraient assurer que les autorités compétentes appliquent des méthodes d’enquête moins intrusives que les techniques spéciales d’enquête si de telles méthodes permettent de découvrir l’infraction, de la prévenir ou d’en poursuivre l’auteur, avec une efficacité adéquate.

7. Les États membres devraient, en principe, prendre les mesures législatives appropriées pour permettre la production devant les tribunaux de preuves obtenues grâce à l’utilisation des techniques spéciales d’enquête. Les règles procédurales visant la production et la recevabilité de telles preuves doivent garantir le droit de l’accusé à un procès équitable.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

29. Le requérant allègue que le stockage des données relatives à ses communications téléphoniques constitue une ingérence injustifiée dans son droit à la vie privée, tel que prévu par l’article 8 de la Convention. Il se plaint de l’absence dans l’ordre juridique interne d’une loi qualifiée qui réglementerait l’obtention et la conservation de données confidentielles provenant des communications téléphoniques. Il avance en particulier qu’il n’a jamais donné son accord pour la conservation de ces données, ayant souscrit un service de carte prépayée qui, de par ses caractéristiques mêmes, ne nécessitait pas, à ses dires, de relevé mensuel des appels. Il soutient enfin qu’il n’a pas été informé de son droit de suppression ou d’annulation des données stockées. La disposition invoquée est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

30. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

31. Le Gouvernement soutient d’emblée que l’ingérence litigieuse, à savoir l’ordonnance rendue le 30 août 2012, est conforme à la législation andorrane en vigueur relativement à la protection des données personnelles et, en particulier, à la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles (« la loi qualifiée no 15/2003) qui, à son tour, reprendrait les directives de l’Union européenne en la matière. Il souhaite attirer l’attention de la Cour sur l’article 5 de cette loi, ainsi que sur les articles 15 et 16 f) portant sur les exceptions au droit d’opposition au traitement des données personnelles.

32. À l’appui de sa thèse, le Gouvernement cite également le décret du 18 mars 2009 portant sur les fichiers de données personnelles de Andorra Telecom, et expose que ce texte a été adopté afin de définir les modalités d’application de l’article 30 de la loi qualifiée no 15/2003.

33. Le Gouvernement indique en outre que l’Andorre est partie à la Convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.

34. S’agissant de la proportionnalité de la mesure, le Gouvernement affirme que l’ingérence est fondée sur l’article 87 du code de procédure pénale. Il expose que cet article permet au juge d’effectuer les démarches nécessaires à l’obtention des preuves en vue d’un procès. Il ajoute que son cinquième alinéa autorise en particulier le juge à effectuer ce type de démarches dans le cas de délits majeurs tels que ceux de l’espèce.

35. S’agissant de la question de l’information fournie au requérant au sujet de la conservation de ses données personnelles, le Gouvernement argue que, à l’époque des faits, en Andorre comme dans la plupart des États membres de l’Union européenne, les acheteurs de cartes téléphoniques prépayées ne signaient aucun contrat. Il indique que la législation a évolué et que, au mois de septembre 2011, Andorra Telecom a publié dans le Bulletin officiel les modifications des conditions générales des contrats de téléphonie mobile relatifs aux cartes prépayées Mobiland. Selon le Gouvernement, ces nouvelles dispositions prévoyaient que les clients devaient être informés de ce que, en application de la loi qualifiée no 15/2003, les données les concernant seraient enregistrées dans les fichiers informatisés de la compagnie téléphonique et qu’elles seraient conservées et mises à la disposition des autorités nationales compétentes. D’après le Gouvernement, ces modifications disposaient également que Andorra Telecom devait procéder à l’identification des usagers qui, comme le requérant, auraient acheté une carte prépayée avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles exigences.

b) Le requérant

36. De son côté, le requérant soutient que le stockage des données des appels téléphoniques est dépourvu de base légale en droit andorran, et qu’aucun texte ne fixe les garanties de conservation et de transmission de ces données. Il conteste ainsi les affirmations du Gouvernement et rétorque notamment que les données dont le décret du 18 mars 2009 permet la transmission sont uniquement les données générales sur le type de services fournis et non pas celles relatives aux numéros, aux dates et heures ou encore aux durées des communications.

37. Le requérant allègue en outre que les modifications des conditions générales des contrats de téléphonie mobile n’étaient pas suffisamment précises au sujet de la politique de conservation des données. Enfin, il répète que ces conditions générales, qui auraient été présentées devant le Tribunal constitutionnel, n’avaient pas été produites devant les instances antérieures.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la question de savoir si l’ingérence était prévue par la loi

38. La Cour souhaite préciser d’emblée que la question relative à la durée maximale de conservation des données par la compagnie téléphonique n’a pas été soulevée par le requérant. Cela étant, elle examinera, en premier lieu, le grief relatif à la conservation et à la communication à l’autorité judiciaire des données personnelles du requérant. En effet, celui-ci considère que ces ingérences n’étaient pas suffisamment prévisibles.

39. Il est vrai que, lorsque le requérant avait acheté ses cartes prépayées, le régime de vente de ces cartes ne nécessitait pas la signature formelle d’un contrat et que les conditions de vente des cartes prépayées n’ont été modifiées que le 14 septembre 2011. Toutefois, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher plus en avant sur la question de savoir si l’ingérence avait une base contractuelle. En effet, outre le fait qu’il n’est pas déraisonnable de considérer que le client pouvait déduire aisément du décret du 19 septembre de 1996 relatif à l’établissement et à la modification des tarifs téléphoniques, publié le 25 septembre 1996, que ses données personnelles étaient stockées, force est de constater que l’ingérence litigieuse était prévue en droit andorran par l’article 87 du code de procédure pénale et par la loi qualifiée no 15/2003.

40. S’agissant du caractère suffisamment prévisible des effets de la réglementation existante, la Cour a jugé à plusieurs reprises que, en matière d’interception de communications, la « prévisibilité » ne pouvait se comprendre de la même façon que dans beaucoup d’autres domaines. Dans le contexte particulier des mesures de surveillance secrète, notamment de l’interception des communications, la prévisibilité ne saurait signifier qu’un individu doit se trouver à même de prévoir quand les autorités sont susceptibles d’intercepter ses communications et d’adapter sa conduite en conséquence. Toutefois, le risque d’arbitraire apparaît avec netteté là où un pouvoir de l’exécutif s’exerce en secret. L’existence de règles claires et détaillées en matière d’interception de conversations téléphoniques apparaît donc indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner. La loi doit, par conséquent, être rédigée avec suffisamment de clarté pour indiquer, de manière suffisante, en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à prendre pareilles mesures (Malone, précité, § 67, Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 51, série A no 116, Huvig c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176‑B, Valenzuela Contreras c. Espagne, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 55, CEDH 2000‑V, Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), no 54934/00, § 93, CEDH 2006‑XI, Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev c. Bulgarie, no 62540/00, § 75, 28 juin 2007, et Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, §§ 229-231, CEDH 2015). Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le « comptage » comme moyen d’obtention de données (Malone, précité). À cet égard, elle a admis que l’exploitation des éléments ainsi collectés pouvait être problématique sous l’angle de l’article 8. Il appartiendra ainsi d’examiner, notamment, quel organe a autorisé la transmission de données à l’insu du requérant.

41. La Cour rappelle en outre que la précision requise de la législation interne – laquelle ne peut en aucun cas prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du contenu de l’instrument en question, du domaine qu’il est censé couvrir ainsi que du nombre et de la qualité de ceux à qui il s’adresse (voir Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 84, CEDH 2000-XI, et les affaires qui y sont citées).

42. En l’espèce, la Cour constate que l’article 87 du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits énonçait de façon détaillée les conditions dans lesquelles l’ingérence dans le droit à la vie privée était autorisée (voir, a contrario, Rotaru, précité, §§ 57-63). En particulier, l’article 87 § 5 prévoyait que le juge devait rendre une décision motivée, en prenant compte de la nécessité de la mesure ainsi que de sa proportionnalité, eu égard aux indices obtenus et à la gravité du délit objet de l’enquête. La Cour considère que l’ordonnance du 30 août 2012 respectait ces exigences, compte tenu, notamment, des besoins de l’instruction, de la gravité du délit sous-jacent (trafic de drogue) et des modalités pratiques de l’intrusion dans la sphère privée du requérant.

43. En cela, la présente affaire diffère de l’affaire Malone (précitée), invoquée par le requérant, dans laquelle la Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention. La Cour rappelle que, comme le Tribunal constitutionnel andorran l’a indiqué dans son arrêt du 13 mars 2014, elle a estimé dans son arrêt Malone (précité) que la pratique consistant à transmettre les données obtenues au moyen d’un système de « comptage » ne soulevait pas, en tant que telle, de problème à l’égard de la Convention, et que ce qui posait problème était la transmission de ces données directement à la demande d’un service de police, d’une autorité administrative ou d’un ministre. Force est de constater en l’espèce que la procédure andorrane offre des nombreuses garanties contre les comportements arbitraires : a) c’est toujours un juge (Batlle) qui autorise, en amont, la mesure, b) la durée maximale de cette dernière est fixée par la loi et intéresse seulement les délits les plus graves et c) le requérant peut toujours contester la légalité de la preuve obtenue au cours du procès, conformément à l’article 9 § 3 de la Loi qualifiée sur la justice.

44. En l’espèce, la Cour souligne que, dans son article 5, la loi qualifiée no 15/2003 exclut clairement de son champ d’application le traitement des données liées à la prévention des infractions pénales. Dans le même sens, l’article 16 prévoit que la communication de données personnelles à la suite d’une décision de justice ne peut pas faire l’objet d’une opposition de la part de la personne concernée.

45. En ce qui concerne la réglementation portant sur la téléphonie mobile, la Cour note que le décret du 18 mars 2009, relatif aux fichiers de données personnelles « clients », « clients potentiels », « contrôle d’accès », « gestion de ressources humaines », « sélection de personnel » et « tiers et fournisseurs » de Andorra Telecom, qui vient en complément de la loi qualifiée no 15/2003 susmentionnée, précise, dans ses annexes, les modalités de stockage des données des clients ainsi que la procédure à suivre en cas de demande de rectification ou d’opposition.

46. Reste à savoir si le requérant, détenteur d’une carte prépayée, pouvait s’attendre à se voir appliquer toutes ces normes concurrentes. À cet égard, la Cour signale que les règles susmentionnées ne distinguent pas les titulaires d’un contrat de téléphonie mobile des utilisateurs d’une carte prépayée. Il est raisonnable de considérer, à l’instar des arguments formulés par le ministère public dans le recours d’empara et repris par le Tribunal constitutionnel, que ces textes sont applicables aux deux types de services de téléphonie.

47. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’application du droit interne au cas d’espèce était suffisamment prévisible au sens de l’article 8 § 2 de la Convention (voir, a contrario, Dragojević c. Croatie, no 68955/11, § 101, 15 janvier 2015).

b) Sur la question de savoir si l’ingérence poursuivait un but légitime et était proportionnée à ce but

48. La Cour ne doute pas que l’ingérence litigieuse, qui avait pour objectif de lutter contre le trafic de stupéfiants, poursuivait l’un des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention, à savoir la prévention des infractions pénales. Ce point n’a d’ailleurs pas prêté à controverse entre les parties.

49. Quant au caractère proportionné de la mesure, la Cour signale que l’ingérence litigieuse a été autorisée pour une période inférieure à celle que le service de police avait demandée dans son rapport du 5 décembre 2011. De plus, les faits reprochés n’étaient pas antérieurs de plus de six mois à la période visée par la mesure litigieuse.

50. Se référant en outre à la Recommandation Rec (2005) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres, relative aux techniques spéciales d’enquête en relation avec des infractions graves, adoptée le 20 avril 2005, la Cour est d’avis que les autorités andorranes ont respecté la « proportionnalité entre les conséquences de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête et le but qui a été identifié », et qu’elles ont usé d’une méthode peu intrusive afin « de découvrir l’infraction, de la prévenir ou d’en poursuivre l’auteur, avec une efficacité adéquate ». En effet, le juge aurait pu prendre des mesures plus intrusives, affectant la vie privée du requérant, par exemple soumettre l’intéressé à une prise de sang afin de vérifier son argument selon lequel les substances trouvées étaient destinées à sa consommation personnelle et non à la vente.

51. Il s’ensuit que, dans la présente espèce, l’équilibre entre le droit à la vie privée du requérant et la prévention des infractions pénales a été respecté.

52. À la lumière des arguments qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

53. Le requérant estime que les décisions internes rendues en l’espèce n’étaient pas suffisamment motivées. Par ailleurs, il conteste l’utilisation, comme moyen probatoire devant le Tribunal constitutionnel, des conditions générales fournies par la compagnie téléphonique, au motif que celles-ci n’avaient pas été présentées devant les instances antérieures. À cet égard, il soutient que sa signature ne figure sur aucun de ces documents et qu’il n’a pas été prouvé qu’il eût eu connaissance de leur existence. Il invoque l’article 6 de la Convention, dont les parties pertinentes prévoient :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

54. La Cour rappelle que l’obligation pour les tribunaux de motiver leurs décisions ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I). En effet, il peut suffire qu’une juridiction supérieure rejette un recours en se référant seulement aux dispositions légales pertinentes si les questions soulevées par le recours ne revêtent pas une importance particulière ou n’offrent pas une chance suffisante de succès (voir, entre autres, Vogl c. Allemagne (déc.), no [65863/01](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2265863/01%22%5D%7D), et Burg et autres c. France (déc.), no 34763/02, CEDH 2003-I). En l’espèce, force est de constater que la haute juridiction andorrane a suffisamment détaillé les dispositions internes sur lesquelles elle fondait son arrêt (Beraza Oroquieta c. Espagne (déc.), no 26000/10) et qui devaient être connues de tous.

55. En ce qui concerne la recevabilité des conditions générales du service de téléphonie mobile Mobiland comme moyen probatoire, la Cour redit que l’admissibilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235-B). En effet, si la Convention garantit le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève en premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140). À cet égard, la Cour constate que le requérant a eu l’occasion de contester les éléments de preuve présentés devant la haute juridiction. Elle estime que la réponse fournie par cette dernière ne peut être considérée comme arbitraire ou déraisonnable.

56. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 novembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Dedov.

L.L.G.
J.S.P.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

La présente affaire concerne l’accès aux données personnelles conservées par une compagnie téléphonique. Par conséquent, la question de la conformité du constat par la Cour de non-violation de l’article 6 de la Convention à l’arrêt rendu par la Cour de l’Union européenne de justice (« la CJUE ») dans l’affaire Digital Rights Ireland Ltd c. Minister for Communications, Marine and Natural Resources et autres et Kärntner Landesregierung (affaires jointes C-293/12 et C-594/12, 8 avril 2014) pourrait se poser. Cet arrêt a invalidé la Directive sur la conservation des données 2006/24 (« la Directive »), contraire selon la CJUE au droit à la protection des données et de la vie privée consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Or, une telle comparaison ne s’impose pas parce que la portée de l’examen de la Cour est différente. Si la CJUE a examiné la Directive in abstracto, la Cour s’est appuyée en l’espèce sur le critère de proportionnalité pour ce qui est de l’obtention par les autorités de l’accès aux données retenues dans le cadre de l’enquête pénale. Ainsi, la Cour a examiné la présente affaire in concreto.

La Cour a conclu (1) que l’ingérence était prévue par la loi nationale, qui énonçait certaines garanties contre les abus et l’arbitraire, y compris des règles de procédure détaillées et prévisibles régissant l’autorisation d’accès à l’information, le droit de contester la nécessité d’obtenir un tel accès devant un tribunal indépendant, les conditions d’autorisation de l’intervention, les conditions de stockage et la destruction des données par la compagnie téléphonique ; et (2) que les garanties ci-dessus avaient été effectivement appliquées en pratique. Elle a donc estimé que l’ingérence était nécessaire pour mener l’enquête pénale et proportionnelle. Elle n’a pas examiné la qualité de la loi et elle a mis davantage l’accent sur la mise en œuvre effective des garanties disponibles en pratique.

En revanche, dans l’affaire Digital Rights Ireland Ltd., la CJUE a contrôlé la qualité de la loi, même si un tel contrôle aurait été plus efficace au niveau national puisque la Directive visait à encourager les États Membres à adopter des mesures pour faire en sorte que les données fussent fournies aux seules autorités nationales compétentes dans des cas spécifiques, conformément aux impératifs de nécessité et de proportionnalité et sous réserve des garanties prévues par le droit de l’Union européenne et par le droit international public, en particulier la Convention telle qu’interprétée par la Cour Européenne des droits de l’homme (article 4).

Quoi qu’il en soit, la CJUE a dit que l’article 4 de la Directive n’énonçait aucune condition de fond et de procédure relative à l’accès des autorités nationales compétentes aux données et à leur utilisation ultérieure. Elle a conclu que cet article 4, « qui régi[ssai]t l’accès de ces autorités aux données conservées, ne dispos[ait] pas expressément que cet accès et l’utilisation ultérieure des données en cause [devaient] être strictement restreints à des fins de prévention et de détection d’infractions graves précisément délimitées ou de poursuites pénales afférentes à celles-ci, mais [qu’]il se born[ait] à prévoir que chaque État membre arrête la procédure à suivre et les conditions à remplir pour avoir accès aux données conservées dans le respect des exigences de nécessité et de proportionnalité » (paragraphe 61).

On peut noter que les critères de la prise de décision (nécessité et proportionnalité) sont tout aussi abstraits dans les deux cas. Cependant, les modalités d’application de ces critères sont plus aisément appréciables à l’aune des circonstances concrètes. Inévitablement, l’examen in abstracto risque d’être considéré comme trop interventionniste.

En outre, selon la CJUE, la directive visait de manière généralisée tous les abonnés et utilisateurs et tous les moyens de communication électronique (voir paragraphes 56-57). Outre la divulgation non autorisée de données privées (ce qui est en soi une infraction), l’ingérence née de cette directive se limitait également par la mise en œuvre en pratique de toute procédure réglementant l’accès à l’information par les autorités, dans le cadre de laquelle où le rôle des tribunaux est crucial.

En effet, le problème structurel cerné par Edward Snowden tient d’abord à la surveillance de masse, grâce à laquelle les autorités ont accès aux données personnelles sans autorisation. Cette situation présente des risques bien plus graves pour le respect des droits de l’homme, et elle n’est pas du tout la même que celle de la conservation des données par un fournisseur de services qui ne sont pas conçus pour surveiller le contenu des données, dont le maintien occasionne des dépenses supplémentaires pour l’opérateur. Lorsque l’accès automatique existe, l’examen in abstracto du droit national est raisonnable et il a été effectivement justifié et motivé par la Grande Chambre dans son arrêt Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, CEDH 2015).

En outre, la conservation des données pourrait servir d’alternative à la surveillance de masse afin qu’un équilibre soit trouvé entre les intérêts privés et les intérêts publics, et permettre ainsi en particulier une égalité des chances que la preuve de la culpabilité ou de l’innocence soit recueillie aussi bien dans l’intérêt de l’accusation que dans celui de la défense.

Enfin, du point de vue juridique, les garanties procédurales peuvent être énoncées soit au niveau national, soit au niveau supranational. La directive s’était proposée de le faire en se fondant sur l’analyse des risques opérée par la Cour dans sa jurisprudence dans des situations plus graves que l’accès aux informations (en l’occurrence la surveillance). Elle avait pour objectif d’appliquer l’analyse à tous les États Membres, bien que sans préciser lesquels ni les modalités de mise en œuvre des garanties dans le droit national. La question se pose alors de savoir si une telle délégation de pouvoirs à un niveau national suffit à satisfaire, aussi bien en théorie qu’en pratique, l’impératif de proportionnalité.

Il est important de prévoir des garanties procédurales afin de protéger les droits fondamentaux. Mais il est tout aussi important que les autorités nationales appliquent effectivement les garanties existantes en pratique et que leurs actions respectent les principes généraux tels que ceux de la nécessité et de la proportionnalité.


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-168366
Date de la décision : 08/11/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : FIGUEIREDO TEIXEIRA
Défendeurs : ANDORRE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BRAGANCA VARELA P.C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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