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26/09/2013 | CEDH | N°001-126458

CEDH | CEDH, AFFAIRE ZAMBOTTO PERRIN c. FRANCE, 2013, 001-126458


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE ZAMBOTTO PERRIN c. FRANCE

(Requête no 4962/11)

ARRÊT

STRASBOURG

26 septembre 2013

DÉFINITIF

20/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Zambotto Perrin c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska, r>André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le ...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE ZAMBOTTO PERRIN c. FRANCE

(Requête no 4962/11)

ARRÊT

STRASBOURG

26 septembre 2013

DÉFINITIF

20/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Zambotto Perrin c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4962/11) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, Mme Sylvie Zambotto Perrin (« la requérante »), a saisi la Cour le 14 décembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me S. Bon, avocate à Nevers. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante allègue une violation de l’article 8 en raison de la déclaration judiciaire d’abandon de sa fille, suivie du prononcé de l’adoption plénière. Elle invoque également l’article 5 de la Convention pour contester la série d’hospitalisations sans consentement dont elle a été l’objet.

4. Le 12 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1963 et réside à Montreuil-sous-Bois.

6. Le 18 octobre 1986, la requérante épousa T.P. Ils eurent trois enfants, âgés aujourd’hui de 28, 24 et 15 ans.

7. En juillet 2001, les époux se séparèrent. La requérante quitta le domicile conjugal. Elle indique qu’elle continua d’assurer les tâches quotidiennes pour ses enfants.

8. Au début de l’année 2002, la requérante fut enceinte de D.B. En février 2002, elle loua une maison à Saint-Jacques-sur-Darnetal.

9. Le 31 mars 2002, D.B. mit fin à ses jours. Affectée par cette disparition, la requérante fut hospitalisée dans une clinique et y resta durant une période de temps non précisée.

10. Le 16 septembre 2002, la requérante accoucha prématurément d’une fille, G., et demanda le secret de la naissance. G. fut aussitôt admise comme pupille de l’État à titre provisoire et confiée à l’Aide sociale à l’enfance du Cher. Jusqu’au 30 octobre 2002, elle fut hospitalisée en service de néonatologie. Par la suite, elle fut admise à la pouponnière du centre départemental de l’enfance et de la famille.

11. Le 8 octobre 2002, la requérante signa un compromis de vente afin d’acquérir une maison à Saint Jacques Sur Darnetal et d’y vivre avec ses enfants, y compris G.

12. Le 15 novembre 2002, la requérante reconnut G. sous son nom de jeune fille.

13. Le 22 novembre 2002, le divorce de la requérante et de T.P. fut prononcé.

14. Le 24 décembre 2002, un signalement au sujet de G. fut adressé au procureur de la République.

15. Le 28 janvier 2003, la requérante rendit visite à G. à la pouponnière.

A. Hospitalisations et mise sous curatelle de la requérante

16. Au début du mois de février 2003, s’inquiétant de l’état de santé de la requérante, sa fille aînée l’accompagna chez un médecin. Celui-ci l’aurait informée qu’elle était gravement malade et qu’elle était en danger, ce qui nécessitait une hospitalisation.

17. Le 8 février 2003, la requérante fut hospitalisée au centre hospitalier universitaire (« CHU ») de Rouen, à la demande de sa fille. Les médecins constatèrent qu’elle menaçait de se suicider et qu’elle était sujette à des angoisses massives.

18. Le 7 mars 2003, la requérante sortit du CHU. Elle prit contact avec le notaire chargé de la vente de la maison, mais ne put s’y installer. Elle loua une chambre d’hôte, tenue par O.B., située près de sa maison.

19. Le 29 avril 2003, la requérante fut à nouveau hospitalisée au CHU de Rouen. Les médecins du centre hospitalier relevèrent un état dépressif avec tentative de suicide, une personnalité névrotique, ainsi qu’un déni de son état mental et physique.

20. Entre mai et juin 2003, les médecins du centre conclurent à la nécessité de maintenir le placement de la requérante.

21. Le 22 juin 2003, lors d’un congé d’essai, la requérante s’enfuit et ne réintégra pas le CHU. Elle fut retrouvée par les forces de police, adressée au centre hospitalier de Bourges et transférée au CHU de Rouen.

22. Le 25 juin 2003, après avoir examiné la requérante, un médecin du centre délivra un « certificat de retour d’évasion ».

23. Le 15 juillet 2003, un certificat de levée d’hospitalisation fut délivré.

24. Le 18 juillet 2003, la requérante sortit du CHU. Il était prévu qu’elle intégrât une maison de repos.

25. Le 21 juillet 2003, les parents de la requérante demandèrent à ce qu’elle soit placée sous curatelle renforcée et qu’O.B. soit nommée en qualité de curatrice.

26. Par une lettre du 10 septembre 2003 adressée au juge des tutelles, les parents de la requérante renouvelèrent leur demande du 21 juillet 2003, précisant que leur fille était dans l’incapacité intellectuelle de gérer son patrimoine.

27. Le 8 octobre 2003, la requérante fut placée sous le régime de l’hospitalisation sur demande d’un tiers au sein du service psychiatrique de l’hôpital Ambroise Paré de Boulogne. Les médecins de l’hôpital l’ayant examinée constatèrent ce qui suit :

« Incurie, retrouvée errante par la police, incohérente par moment, symptomatologie dépressive sévère.

Antécédents : plusieurs hospitalisations en psychiatrie, rupture de soins, déni de ses troubles.

(...)

Etat dépressif sévère avec perplexité, incohérence et troubles du sommeil.

(...)

Cet état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier. Rend impossible son consentement à une hospitalisation. Nécessite une hospitalisation selon les termes de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. ».

28. Le 20 octobre 2003, un médecin de l’hôpital constata chez la requérante un risque suicidaire important.

29. Le 20 novembre 2003, le rapport d’examen psychologique de la requérante fut déposé. L’expert conclut à l’existence d’un trouble psychique chez l’intéressée, caractérisé par une décompensation psychotique. Il constata son absence de désir concernant l’avenir de G. et la nécessité d’envisager celui-ci sans référence à la « génitrice » de l’enfant.

30. Le 8 décembre 2003, un médecin de l’hôpital constata une amélioration significative de l’état dépressif de la requérante et délivra un certificat de sortie en congé d’essai.

31. Le 12 janvier 2004, constatant l’altération des facultés mentales de la requérante, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Rouen prononça son placement sous curatelle renforcée et nomma O.B. en qualité de curatrice.

32. Le 20 janvier 2004, un médecin de l’hôpital délivra un certificat de retour de congé d’essai, constatant que la requérante présentait « un état d’incurie avec repli clinophile » et qu’elle refusait tout traitement en rapport avec une rechute d’un état mélancolique avec idées d’incurabilité face à la mise en danger d’elle-même et au refus des soins.

33. Les 22 février et 22 mars 2004, les médecins de l’hôpital constatèrent une amélioration significative de l’état dépressif de la requérante, malgré la persistance des angoisses de mort et des difficultés d’adaptation lors des sorties, ainsi qu’une amélioration du contact avec la réalité et une diminution des conduites d’auto-agression.

34. Le 25 mars 2004, un médecin de l’hôpital accorda un congé d’essai de deux jours à la requérante.

35. Le 29 mars 2004, après avoir constaté que l’état mélancolique de la requérante s’était notablement amélioré sous traitement et qu’elle acceptait un suivi ambulatoire, le médecin hospitalier délivra un certificat de sortie en congé d’essai.

36. Le 11 avril 2004, à la suite de la réapparition d’angoisses, la requérante réintégra le service psychiatrique de l’hôpital Ambroise Paré.

37. Le 23 avril 2004, le médecin de l’hôpital constata chez la requérante une amélioration significative de son état dépressif.

38. Le 13 mai 2004, la requérante se vit délivrer un certificat de sortie en congé d’essai.

39. Le 13 août 2004, constatant que la requérante montrait une grande stabilité de son état thymique, qu’elle suivait un traitement ambulatoire et qu’elle semblait avoir compris la nécessité d’un traitement au long cours de sa pathologie bipolaire, le médecin de l’hôpital autorisa la levée de son hospitalisation.

40. Le 27 novembre 2004, la requérante fit l’objet d’une hospitalisation d’office, en application de l’article L. 3213-2 du code de la santé publique.

41. Le 9 décembre 2004, les médecins de l’hôpital conclurent à la nécessité du maintien de l’hospitalisation de la requérante.

42. Le 4 janvier 2005, un certificat de sortie temporaire fut délivré à la requérante, afin qu’elle puisse se présenter au juge des libertés et de la détention le 7 janvier 2005.

43. Le même jour, le médecin constata que la requérante présentait des troubles majeurs du comportement avec excitation psychomotrice, fuite des idées, euphorie de toute puissance, que ses troubles étaient en rapport avec une pathologie chronique de l’humeur faisant alterner des phases mélancoliques et des phases maniaques, et qu’ils induisaient une dangerosité pour l’ordre public.

44. Le 14 janvier 2005, le médecin de l’hôpital autorisa un congé d’essai à la requérante, après avoir constaté que le traitement avait normalisé ses troubles bipolaires.

45. Les 26 janvier, 25 février, 25 mars et 15 avril 2005, le médecin de l’hôpital constata chez la requérante un comportement calme et adapté, ainsi qu’une normalisation des troubles bipolaires.

46. Le 21 mars 2005, le médecin J.-A. A., psychiatre judiciairement désigné afin de procéder à un examen psychiatrique de la requérante en vue de la levée de la mesure de curatelle renforcée, la rencontra.

47. Le 25 avril 2005, la levée de l’hospitalisation d’office de la requérante fut autorisée.

48. Le 17 août 2005, la requérante fut hospitalisée au sein du service psychiatrique du CHU de Rouen. Elle en sortit le 9 septembre suivant.

49. Le 14 octobre 2005, la requérante fut hospitalisée au sein du centre hospitalier du Rouvray. Elle en sortit le 28 octobre suivant.

50. Le 17 janvier 2006, la requérante fut hospitalisée au sein du service psychiatrique du CHU de Rouen. Elle en sortit le 6 février suivant.

51. Le 31 mars 2006, la requérante fut hospitalisée au sein du service psychiatrique du CHU de Rouen. Elle en sortit le 17 avril suivant.

52. Le 11 septembre 2006, le tribunal de grande instance de Rouen prononça la levée de la mesure de curatelle prononcée à l’égard de la requérante.

53. Le 13 février 2007, la requérante fut hospitalisée à la demande d’un tiers au sein du centre hospitalier du Rouvray.

54. Le 23 février 2007, la levée de l’hospitalisation de la requérante fut autorisée.

55. Le 17 avril 2007, la requérante sortit du centre.

B. Le placement, la déclaration judiciaire d’abandon et l’adoption plénière de G.

56. Le 3 avril 2003, le juge des enfants du tribunal de grande instance de Rouen ordonna le placement provisoire de G. pour une période de six mois, outre un examen psychologique de la requérante.

57. Le 7 octobre 2003, l’assistance sociale de la Direction de la prévention et du développement social (« DPDS ») déposa un rapport de situation concernant G., dans lequel elle précisa avoir été mise en garde par la sœur de la requérante sur la dangerosité de cette dernière et préconisa le maintien du placement de G. en famille d’accueil dans le Cher, loin des turbulences maternelles.

58. Le 21 octobre 2003, le juge des enfants de Rouen ordonna le placement provisoire de G. pour une période de dix-huit mois.

59. Le 14 avril 2004, sur le fondement de l’article 350 du code civil, la DPDS du Cher demanda au procureur de la République de Bourges de faire constater le désintérêt de la requérante à l’égard de G., de consentir à ce que l’enfant soit admis en qualité de pupille de l’État et de déléguer l’autorité parentale sur cet enfant au service de l’Aide sociale à l’enfance.

60. Le 16 septembre 2004, la requérante fit parvenir à l’enfant une carte accompagnée d’un colis d’anniversaire.

61. Le 6 octobre 2004, la requérante se vit octroyer, par ordonnance du juge des enfants, un droit de visite médiatisé sur G., une fois tous les deux mois. Le 10 novembre 2004, elle écrivit au magistrat pour accuser réception de cette décision et annoncer qu’elle chargeait son avocat de diverses démarches en rapport avec cette procédure.

62. Au mois de décembre 2004, les médecins mentionnèrent sur le dossier médical d’hospitalisation de la requérante que celle-ci évoquait sa fille et prévoyait de lui rendre visite le 4 janvier 2005. Cette rencontre fut finalement repoussée au 17 janvier 2005. L’intéressée bénéficia d’une permission de sortie exceptionnelle, mais ne se rendit pas au rendez-vous en invoquant une panne de véhicule.

63. Le 5 janvier 2005, le juge des enfants émit un avis favorable à l’application de l’article 350 du Code civil.

64. Le 6 avril 2005, le tribunal de grande instance de Bourges, statuant sur la requête du 14 avril 2004, constata le désintérêt de la requérante à l’égard de G., consentit à ce que l’enfant soit admis en qualité de pupille de l’État et délégua l’autorité parentale au service de l’Aide sociale à l’enfance.

65. Le 12 avril 2005, le médecin psychiatre J.-A. A. déposa son rapport, dans lequel il constata notamment que la requérante s’était trouvée dans une période de dépression profonde.

66. Le 22 juillet 2005, le juge des enfants ordonna la mainlevée du placement de G.

67. Le 5 avril 2006, le tribunal de grande instance de Bourges prononça l’adoption plénière de G au profit de la famille d’accueil de l’enfant.

68. Le 29 août 2006, à la demande du procureur de la République, l’acte de naissance de G. fut rectifié pour y faire apparaître sa nouvelle filiation.

69. Le 22 octobre 2008, la requérante interjeta appel du jugement du 6 avril 2005.

70. Par un arrêt du 16 avril 2009, la cour d’appel de Bourges déclara l’appel de la requérante recevable et annula le jugement du 6 avril 2005, en raison de l’absence de convocation du curateur de la requérante à l’audience. Sur la requête en abandon judiciaire, elle déclara l’enfant G. abandonnée et délégua l’autorité parentale sur cet enfant à l’aide sociale à l’enfance du Cher. Elle releva que si l’appelante, comparant en personne assistée de son avocat, contestait avoir reçu notification du jugement de première instance dès le 10 mai 2005, elle n’apportait pas la preuve que la signature apposée sur l’accusé de réception correspondant, très ressemblante à celles figurant sur les autres documents signés de sa main, n’était pas la sienne. Elle estima que, depuis la naissance de G., et pendant l’année qui avait précédé la requête en abandon judiciaire, la requérante s’était manifestement désintéressée de l’enfant en n’entretenant pas avec elle les relations nécessaires à l’instauration et au maintien de liens affectifs. À cet égard, elle observa notamment que celle-ci ne s’était pas présentée aux convocations du juge des enfants, le 21 octobre 2003 et le 27 janvier 2004, et qu’ elle s’était, dans un courrier adressé à ce dernier le 3 décembre 2003, exprimée en ces termes : « après mûres réflexions, je souhaite qu’un projet d’adoption soit mis en place pour G. ». Concernant les troubles psychologiques de la requérante prenant la forme d’une dépression, elle considéra, d’une part, que les pièces versées par l’intéressée ne démontraient pas que ceux-ci l’empêchaient de marquer un intérêt pour sa fille et de chercher à établir avec elle des liens affectifs et, d’autre part, que l’examen psychiatrique auquel il avait été procédé à sa demande en avril 2005 ne permettait pas de conclure que la dépression profonde qu’elle avait connue à la suite du suicide de son compagnon avait été de nature à troubler son jugement et sa volonté dans ses décisions concernant le sort de G.

71. La requérante se pourvut en cassation, dénonçant une violation de l’article 8 de la Convention.

72. Par un arrêt du 23 juin 2010, la Cour de cassation rejeta son pourvoi.

C. Autres procédures

1. Recours administratifs

73. Les 19 mai et 5 août 2008, la requérante saisit le juge des référés du tribunal administratif de Rouen d’un recours en responsabilité contre le centre hospitalier de Rouvray, alléguant une détention arbitraire et des conditions de détention inhumaines.

74. Par une ordonnance du 28 octobre 2008, sa requête fut rejetée. La requérante interjeta appel.

75. Le 23 décembre 2008, la cour administrative d’appel de Douai rejeta sa requête, celle-ci n’ayant pas été régularisée.

2. Plainte avec constitution de partie civile

76. Le 16 septembre 2009, la requérante déposa une plainte avec constitution de partie civile contre son ex-époux, sa sœur et ses parents auprès du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Rouen, notamment pour coups et blessures, maltraitance physique et psychologique, organisation d’internement arbitraire, participation à atteinte à l’état civil d’un enfant et violation de vie privée.

77. Le 9 août 2010, le juge d’instruction rendit une ordonnance de refus d’informer et de non-lieu partiel.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

78. Les dispositions pertinentes du code civil, applicables à l’époque des faits, se lisent comme suit :

Article 347

Peuvent être adoptés :

1o Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l’adoption ;

2o Les pupilles de l’Etat ;

3o Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l’article 350.

Article 350

L’enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration d’abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance sauf le cas de grande détresse des parents et sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d’abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l’établissement ou le service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant à l’expiration du délai d’un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l’enfant.

Sont considérés comme s’étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.

La simple rétractation du consentement à l’adoption, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant n’est pas une marque d’intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d’une demande en déclaration d’abandon. Ces démarches n’interrompent pas le délai figurant au premier alinéa.

L’abandon n’est pas déclaré si, au cours du délai prévu au premier alinéa du présent article, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l’enfant et si cette demande est jugée conforme à l’intérêt de ce dernier.

Lorsqu’il déclare l’enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d’autorité parentale sur l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance, à l’établissement ou au particulier qui a recueilli l’enfant ou à qui ce dernier a été confié.

La tierce opposition n’est recevable qu’en cas de dol, de fraude ou d’erreur sur l’identité de l’enfant.

Article 492

Une tutelle est ouverte quand un majeur, pour l’une des causes prévues à l’article 490, a besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile.

Article 508

Lorsqu’un majeur, pour l’une des causes prévues à l’article 490, sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle.

Les dispositions pertinentes du code de la santé publique, applicables à l’époque des faits, se lisent comme suit :

Article L. 3213-1

A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l’Etat prononcent par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, l’hospitalisation d’office dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation nécessaire.

Dans les vingt-quatre heures suivant l’admission, le directeur de l’établissement d’accueil transmet au représentant de l’Etat dans le département et à la commission mentionnée à l’article L. 3222-5 un certificat médical établi par un psychiatre de l’établissement.

Ces arrêtés ainsi que ceux qui sont pris en application des articles L. 3213-2, L. 3213-4 à L. 3213-7 et les sorties effectuées en application de l’article L. 3211-11 sont inscrits sur un registre semblable à celui qui est prescrit par l’article L. 3212-11, dont toutes les dispositions sont applicables aux personnes hospitalisées d’office.

Article L. 3213-1

En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s’il y a lieu, un arrêté d’hospitalisation d’office dans les formes prévues à l’article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l’Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d’une durée de quarante-huit heures.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

79. La requérante se plaint de ce que les décisions de justice ayant admis G. en qualité de pupille de l’État et prononcé l’adoption plénière, emportent violation de son droit au respect de sa vie familiale. Elle invoque l’article 8 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

80. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

81. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le Gouvernement

82. Le Gouvernement estime tout d’abord, concernant la déclaration d’abandon, que celle-ci a été décidée dans des conditions conformes à l’article 8 de la Convention, en ce qu’elle correspondait à une ingérence prévue par la loi (l’article 350 du Code civil), visant un des buts légitimes énumérés, en l’espèce la « protection des droits et libertés » de l’enfant face au désintérêt de ses parents, et « nécessaire dans une société démocratique ». À cet égard, il considère que la motivation de la cour d’appel démontre que les juges ont analysé sérieusement les enjeux du dossier. Ils ont ainsi examiné en premier lieu les relations entre la mère et sa fille, ainsi que l’absence de manifestation d’intérêt pour cette dernière devant le juge des enfants de Rouen ; ils ont ensuite prêté attention à l’argumentation de la requérante, invoquant un état de grande détresse lié à ses hospitalisations, même s’ils l’ont écartée en raison de la persistance de l’intéressée à ne manifester aucun désir d’entrer en contact avec son enfant, y compris pendant les périodes de sorties à l’essai dont elle a bénéficié, alors même que les troubles dont elle souffrait ne faisaient pas obstacle à une telle manifestation ; ils ont en outre pris en compte les évènements postérieurs à la période d’un an prévue par la loi.

83. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle, dans le domaine très délicat des relations entre parents et enfants, il est nécessaire de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents, l’État jouissant à cette fin d’une certaine marge d’appréciation, mais étant astreint à des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Il en déduit que, compte tenu de l’absence de liens affectifs établis par la requérante avec sa fille, caractérisée par le fait de ne s’être manifestée auprès de l’enfant que par un appel à l’aide sociale à l’enfance le 23 janvier 2003, une visite à la pouponnière le 28 janvier 2003, ainsi qu’une carte accompagnée d’un colis d’anniversaire le 16 septembre 2004, l’État se devait, au titre de ses obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention mais aussi de l’article 20 de la Convention de New York, d’assurer une protection de G. En conséquence, il estime que l’équilibre des intérêts en présence a été dûment pris en compte et que l’atteinte portée à la vie familiale de la requérante était proportionnée au but poursuivi.

84. S’agissant de l’adoption de l’enfant, le Gouvernement observe que l’irrégularité procédurale constituée par l’absence de notification au curateur de la procédure en cours, puis du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bourges, a été rectifiée par la cour d’appel, cette dernière ayant annulé le jugement de première instance et rejugé l’affaire, après avoir donné à la requérante la possibilité de faire valoir ses arguments en produisant tout moyen nouveau et toute pièce supplémentaire.

85. Le Gouvernement estime par ailleurs que le jugement d’adoption n’a pas pu rompre de lien entre la requérante et sa fille âgée à l’époque de 3 ans et demi, un tel lien n’ayant jamais existé. Il s’interroge sur les raisons de la persistance de la mère à s’abstenir de prendre des nouvelles de G., et de la tardiveté de son appel formé le 22 octobre 2008, alors même que dès le 21 mars 2005 un expert psychiatre constatait que son état ne justifiait plus la curatelle renforcée qui avait été ordonnée. Dans ce contexte, il estime que l’adoption par la famille d’accueil relevait de l’intérêt supérieur de l’enfant et n’a pas constitué une atteinte disproportionnée à la vie familiale de la requérante.

b) La requérante

86. La requérante conteste l’analyse du Gouvernement concernant la prise en considération de sa situation personnelle. Elle rappelle que l’article 350 du Code civil n’autorise la déclaration d’abandon qu’à condition que les parents se soient manifestement désintéressés de l’enfant pendant un an, et qu’ils ne soient pas en situation de grande détresse. Elle estime qu’aucun de ces deux éléments n’étaient caractérisés en l’espèce. En premier lieu, elle soutient que les éléments du dossier démontrent sa volonté de voir l’enfant et de vivre avec elle, retenant, outre ceux mentionnés par le Gouvernement, sa reconnaissance du lien de filiation, ainsi que les mentions portées au dossier médical d’hospitalisation relatives à l’évocation de G. auprès du personnel soignant. En second lieu, la requérante estime que, durant la période d’un an concernée, elle s’est trouvée dans une situation de grande détresse, reconnue implicitement par les hospitalisations sur demande d’un tiers ordonnées à son encontre, dont la durée cumulée correspond à dix mois. Elle souligne à cet égard le paradoxe inhérent à la position du Gouvernement qui décrit son état mental comme compatible avec une gestion de son rapport à l’enfant et des procédures liées, tout en estimant qu’il justifiait une hospitalisation non consentie et son placement sous curatelle renforcée. Elle ajoute que les procédures d’usage n’ont pas été respectées, le tribunal de grande instance de Bourges n’ayant tenu compte ni de l’impossibilité pour elle de manifester sa volonté ni de son statut de majeure protégée. Elle estime que, par la suite, la cour d’appel n’a fait que reprendre les éléments contenus dans le dossier de première instance, en se fondant sur des pièces contestables, telles que l’expertise psychologique ordonnée par le juge des enfants.

87. La requérante conteste également l’invocation de l’intérêt de G. comme justification de l’ingérence opérée par l’État, en l’absence de preuves de son bien-être actuel. Elle observe qu’aucune urgence ne justifiait la présentation par les services sociaux, dès le 14 avril 2004, d’une requête au titre de l’article 350 du code civil, ajoutant que sa fille étant placée dans une famille d’accueil, sa situation juridique ne rendait pas nécessaire une telle mesure, la prise en charge pouvant se poursuivre dans le cadre du placement.

88. S’agissant de l’adoption de l’enfant, la requérante soutient que l’annulation prononcée par la cour d’appel n’a pas permis de la remettre dans la situation antérieure à l’irrégularité procédurale, estimant que les juges n’ont pu tenir compte de son argumentation car ils ne pouvaient annuler une filiation établie depuis 2003.

89. Elle répond aux interrogations du Gouvernement en affirmant que la prise en charge initiale de l’enfant par une institution publique s’est faite contre sa volonté, à la suite de son hospitalisation à la demande d’un tiers, et que la tardiveté de son recours s’explique par le besoin pour elle de retrouver la force nécessaire à une bataille juridique.

2. Appréciation par la Cour

a) Principes généraux

90. La Cour constate d’emblée qu’il n’est pas contesté que la déclaration d’abandon et le prononcé de l’adoption de G. constituent une ingérence dans l’exercice du droit de la requérante au respect de sa vie familiale. Elle rappelle qu’une telle ingérence n’est compatible avec l’article 8 que si elle remplit les conditions cumulatives d’être prévue par la loi, de poursuivre un but légitime, et d’être nécessaire dans une société démocratique. La notion de nécessité implique que l’ingérence se fonde sur un besoin social impérieux et qu’elle soit notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000‑IX, Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004, et Pontes c. Portugal, no 19554/09, §74, 10 avril 2012).

91. La Cour rappelle qu’au-delà de la protection contre les ingérences arbitraires, l’article 8 met à la charge de l’État des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer (voir, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250). La frontière entre les obligations positives et négatives découlant de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, mais les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents, en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui du parent (Kearns c. France, no 35991/04, § 79, 10 janvier 2008). Notamment, l’article 8 de la Convention ne saurait autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (voir, Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 78 Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, et Gnahoré c. France, précité, § 59). Ainsi, en matière d’adoption, la Cour a déjà admis qu’il puisse être de l’intérêt du mineur de favoriser l’instauration de liens affectifs stables avec ses parents nourriciers (Johansen c. Norvège, précité, § 80, et Kearns c. France, précité, § 80).

92. La Cour rappelle également que, dans l’hypothèse des obligations négatives comme dans celle des obligations positives, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 60, série A no 121), qui varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. En particulier, la Cour exige que des mesures aboutissant à briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliquées que dans des circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire uniquement dans les cas où les parents se sont montrés particulièrement indignes (Clemeno et autres c. Italie, no 19537/03, § 60, 21 octobre 2008), ou lorsqu’elles sont justifiées par une exigence primordiale touchant l’intérêt supérieur de l’enfant (voir Johansen c. Norvège, précité, § 84 ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 118, CEDH 2002‑VI). Cette approche peut toutefois être écartée en raison de la nature de la relation parent-enfant, lorsque le lien est très limité (Söderbäck c. Suède, 28 octobre 1998, §§ 30-34 Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII).

93. Par ailleurs, la Cour s’attache à contrôler le processus décisionnel mis en place par les autorités internes. Celui-ci doit être équitable, impartial et non entaché d’arbitraire. Il convient donc de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Cela implique qu’ils aient été mis à même de faire valoir leur point de vue et d’exercer, en temps voulu, tout recours s’offrant à eux. Cela suppose également qu’ils aient pu accéder aux informations sur lesquelles s’appuient les autorités pour prendre leur décision (voir, mutatis mutandis, McMichael c. Royaume-Uni, 24 février 1995, § 92, série A no 307‑B, T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, §§ 72-73 et 80-83, CEDH 2001‑V, et Buchberger c. Autriche, no 32899/96, §§ 42-44, 20 décembre 2001). Dans la négative, l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (W. c. Royaume-Uni, précité, §§ 62-64, et Pontes c. Portugal, précité, § 76).

94. Enfin, la Cour rappelle que les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière dans le cas des personnes vulnérables et leur assurer une protection accrue en raison de leur capacité ou de leur volonté de se plaindre qui se trouvent affaiblies (voir, B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 86 et 114, 19 février 2013).

b) Application de ces principes

95. La Cour considère que les mesures litigieuses constituaient des ingérences dans la vie familiale de la requérante. Elles doivent donc être examinées sous l’angle du paragraphe 2 de l’article 8. A cet égard, la Cour observe qu’elles se fondent sur les articles 347 et 350 du Code civil. Elles étaient donc « prévues par la loi ». Les dispositions légales précitées visent à préserver la santé et la moralité des mineurs, et à protéger leurs droits, en permettant de déclarer abandonné l’enfant dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant une durée d’un an, de le rendre adoptable et de prononcer son adoption. Les ingérences en cause poursuivaient donc un but légitime au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention. Le point décisif est dès lors de savoir si elles étaient nécessaires “dans une société démocratique”.

96. Sur ce point, la Cour relève tout d’abord que la présente affaire se distingue d’une grande partie de celles dont elle a eu à connaître, en ce que la prise en charge initiale de l’enfant par l’État n’a pas pour origine une initiative des autorités internes. À cet égard, elle ne partage pas l’argument de la requérante selon laquelle cette prise en charge serait intervenue contre sa volonté, à la suite de son hospitalisation à la demande d’un tiers. Elle retient à l’inverse que l’enfant, née le 16 septembre 2002, a été immédiatement admise comme pupille de l’État à titre provisoire et confiée à l’Aide sociale à l’enfance, en raison de la demande de la mère de conserver le secret de la naissance, et ce antérieurement à la première hospitalisation sans consentement, laquelle n’est intervenue que le 8 février 2003.

97. La Cour estime ensuite que le lien familial qui s’est noué entre la requérante et sa fille peut être qualifié de ténu. Les seules manifestations d’intérêt pour l’enfant ont consisté, d’après les pièces fournies à la Cour, en une reconnaissance du lien de filiation le 15 novembre 2002, une visite à l’enfant le 28 janvier 2003, l’envoi d’une carte accompagnée d’un colis d’anniversaire le 16 septembre 2004, et la déclaration d’appel formée le 22 octobre 2008. Les extraits du dossier médical d’hospitalisation de la requérante sont à cet égard plus équivoques car, s’il y est mentionné le fait que l’intéressée évoque sa fille avec les médecins, les intentions réelles exprimées à cette occasion ne sont pas explicites. Ainsi, il apparaît que la seule rencontre avec G., planifiée pour le 4 janvier 2005, a finalement été reportée.

98. La Cour considère donc que, s’agissant de la nature de la relation parent-enfant, les faits d’espèce se rapprochent de la situation dont elle a eu à connaître dans l’affaire Söderbäck c. Suède, avec cependant une différence tenant au fait que, dans cette dernière, les visites du père avaient été plus nombreuses, et leur relative rareté étaient autant dues aux restrictions portées par la mère qu’aux difficultés personnelles du requérant. Elle en déduit que la situation d’espèce relève de celles dans laquelle la marge d’appréciation de l’État doit être considérée comme grande.

99. Il n’en reste pas moins que la Cour doit s’attacher à vérifier si, préalablement à la déclaration d’abandon et au prononcé de l’adoption, l’État avait rempli son obligation de favoriser le développement du lien familial.

100. À cet égard, elle constate qu’il n’est pas allégué que les autorités internes auraient, d’une quelconque manière, fait obstacle aux rencontres entre la requérante et G. Au contraire, il est constant que les visites sollicitées par la mère ont été rendues possibles, soit par le service de l’Aide sociale à l’enfance (en ce qui concerne l’unique rencontre du 28 janvier 2003), soit par le juge des enfants, lequel a accordé un droit de visite médiatisé bimestriel le 6 octobre 2004. De même, la Cour note que si la requérante a été hospitalisée sans son consentement durant une grande partie de la période examinée, il n’est pas allégué que les autorités médicales se seraient opposées à l’exercice de ce droit de visite. Ainsi, il ressort en réalité des pièces fournies par la requérante que les rares rencontres programmées ont été évoquées avec les médecins puis annulées à l’initiative de la mère, malgré une permission de sortie exceptionnelle accordée pour l’occasion. La Cour estime donc que l’État n’a pas manqué à son obligation avant d’envisager la solution d’une rupture du lien familial, cette dernière ayant par ailleurs été suggérée par la requérante elle-même devant l’expert psychologue et dans un courrier adressé au juge des enfants le 3 décembre 2003. La Cour constate que cette rupture a été réalisée en deux étapes successives : la déclaration d’abandon et l’adoption plénière. Celles-ci ne peuvent passer pour nécessaires du point de vue des exigences de l’article 8 que si elles ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts de l’enfant et de la mère, l’intérêt de l’enfant devant constituer la considération déterminante (Gnahoré c. France, précité, § 59), et si le processus décisionnel a permis à la requérante de jouer un rôle assez grand pour satisfaire aux exigences de l’article 8.

i. La déclaration d’abandon

101. En premier lieu, s’agissant de l’opportunité de la déclaration d’abandon du point de vue de l’équilibre des intérêts en présence, et, surtout, de l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour observe qu’une telle mesure constitue le préalable nécessaire à une éventuelle adoption. Or, elle relève, en l’espèce, que l’enfant avait bénéficié depuis sa naissance d’une prise en charge en pouponnière, puis en famille d’accueil, du fait de la carence de la mère. Cette dernière n’avait pas investi le lien de filiation de manière significative. La famille élargie n’avait quant à elle pas manifesté d’avantage d’intérêt, puisqu’elle s’était abstenue de rendre visite à G. Au regard de ces éléments, la Cour estime que les autorités locales ont pu, sans outrepasser leur marge d’appréciation, estimer que la déclaration d’abandon était une mesure correspondant à l’intérêt supérieur de l’enfant et proportionnée au but légitime poursuivi.

102. En second lieu, s’agissant du processus décisionnel, la Cour observe que l’état de santé de la requérante appelait de la part des autorités internes une attention particulière, propre à lui garantir une protection accrue. Or, elle note qu’il est constant que la déclaration d’abandon en date du 6 avril 2005 a été faite dans des conditions ne satisfaisant pas aux règles internes applicables aux majeurs protégés, la curatrice de l’intéressée n’ayant pas été convoquée. La question décisive est donc de savoir si la procédure d’appel a permis de rétablir cette irrégularité et d’accorder à la mère une place lui permettant de faire valoir ses intérêts de manière satisfaisante, la curatelle ayant été levée entre temps.

103. À cet égard, la Cour constate que la cour d’appel, après avoir annulé la décision du tribunal de grande instance de Bourges, a de nouveau statué sur la requête en abandon judiciaire, en tenant compte des éléments de faits relatifs au désintérêt manifeste de la mère pour sa fille durant l’année précédant la requête, mais aussi des arguments avancés par l’appelante, fondés sur ses troubles psychologiques et ses hospitalisations sans consentement. La Cour note que la requérante a comparu en personne, qu’elle a été assistée de son avocat, et qu’elle a pu prendre connaissance de la décision attaquée et présenter de nouvelles pièces. Les juges ont analysé ces dernières avec soin, ce qui ressort expressément de leur motivation. Ils ont néanmoins refusé de considérer qu’était caractérisé un état de détresse particulière conduisant à réputer involontaire le désintérêt manifeste de la mère pour son enfant, en s’appuyant sur la persistance de ce dernier durant les congés d’essai et les périodes hors hospitalisation, et sur les expertises psychologique et psychiatrique dont il ne ressortait pas que les troubles de l’intéressée aient été de nature à altérer son jugement ou l’expression de sa volonté dans les décisions relatives à G. Par ailleurs, les juges ont inclu dans leur analyse la recherche de manifestations d’intérêt durant la période postérieure à celle examinée par le tribunal de grande instance, tout en constatant l’absence de nouvelle visite. A la lumière de cette motivation, la Cour n’est pas convaincue par l’argument selon lequel la cour d’appel aurait été mise devant le fait accompli et n’aurait fait qu’entériner la situation créée par la décision de première instance qui lui était soumise.

104. Elle ne partage pas non plus la vision de la requérante quant à un prétendu caractère paradoxal de la solution retenue par la cour d’appel, au regard de son placement sous curatelle et des multiples hospitalisations à la demande d’un tiers. En effet, elle relève qu’en droit français la curatelle se distingue de la tutelle en ce qu’elle suppose, selon les termes de l’article 508 du Code civil, qu’un majeur ait « besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile », « sans être hors d’état d’agir lui-même ». Le placement sous ce régime ne saurait donc faire présumer l’impossibilité pour le bénéficiaire de manifester sa volonté ou son intérêt dans les questions qui touchent les rapports à ses enfants. De même, la Cour n’a pas trouvé, parmi les motifs retenus pour justifier les hospitalisations, d’élément laissant supposer que la requérante aurait été empêchée par son état psychique de faire valoir ses droits, d’apprécier son intérêt, ou de manifester un sentiment maternel. Les deux expertises figurant dans les pièces versées devant la Cour suggèrent au contraire la réalité de sa capacité à cet égard. Cette conclusion est par ailleurs confirmée par le courrier adressé par la requérante au juge des enfants le 10 novembre 2004, qui atteste de ce qu’elle n’était aucunement dans l’impossibilité de s’intéresser à G (voir § 61).

105 Partant, la Cour juge que le processus décisionnel, pris dans son ensemble, a permis à la requérante d’exercer un rôle suffisant pour faire valoir la défense de ses intérêts, présenter ses arguments et avoir accès aux informations sur lesquelles les autorités internes se sont fondées pour prendre les mesures litigieuses.

106. L’ensemble de ces éléments conduit la Cour à considérer que l’État n’a pas excédé sa marge d’appréciation dans les circonstances de l’espèce.

ii. L’adoption plénière

107. La Cour doit maintenant examiner le point de savoir si l’adoption plénière de G., prononcée le 5 avril 2006, était nécessaire au sens de l’article 8 de la Convention, eu égard à l’absence de participation du curateur à la procédure de déclaration d’abandon et à l’appel formé par la requérante le 22 octobre 2008. La Cour observe que la cour d’appel n’a pas contrôlé la régularité de la décision prononçant l’adoption, puisqu’après avoir annulé la décision du 6 avril 2005, elle a de nouveau déclaré G. abandonnée en vertu de l’effet dévolutif de l’appel. La question est alors de savoir si cette mesure, adoptée un an après la déclaration d’abandon initiale, n’était pas prématurée.

108. À cet égard, la Cour rappelle que l’écoulement du temps peut avoir des conséquences importantes sur la prise en charge de très jeunes enfants. Elle considère donc qu’une fois la déclaration d’abandon décidée, l’intérêt supérieur de G. était de voir sa situation personnelle stabilisée et sécurisée par l’établissement d’un lien légalement reconnu avec sa famille nourricière, étant observé que l’enfant était alors âgé de trois ans et demi et qu’elle n’avait vu qu’une seule fois sa mère naturelle.

109. Dès lors, la Cour estime que le délai d’un an ne paraît pas, en soi, contraire aux exigences de l’article 8. Elle observe néanmoins qu’il en est résulté la situation critiquée par la requérante, dans laquelle le réexamen de la requête en déclaration d’abandon a été fait alors qu’une adoption plénière était déjà intervenue sur la base du jugement annulé. Pour autant, la Cour remarque que cette situation est également imputable au fait que l’appel contre la déclaration d’abandon n’a été interjeté par la requérante que tardivement, à savoir en octobre 2008, ce qui ne peut s’expliquer uniquement par l’absence de notification faite au curateur. En effet, elle note que la requérante s’était vue notifier la décision dès le 10 mai 2005, à une époque où elle ne présentait plus aucun trouble justifiant une mesure de curatelle, selon les conclusions du rapport d’expertise psychiatrique daté du 12 avril 2005. La Cour considère donc qu’au moment où l’adoption plénière a été prononcée, la requérante avait été mise en état d’effectuer en temps utiles les recours contre la déclaration d’abandon.

110. Or, compte tenu de son abstention et de la quasi absence de manifestations d’intérêt pour G. antérieurement, la Cour considère que les autorités locales ont pu estimer qu’il était déraisonnable, du point de vue de l’intérêt de la mineure, de conserver plus longtemps la situation d’abandon et de prise en charge provisoire. Dès lors, elle juge que l’État n’a pas d’avantage outrepassé sa marge d’appréciation en considérant que l’intérêt supérieur de l’enfant commandait le prononcé de l’adoption plénière dès le 5 avril 2006.

iii. Conclusion

111. Ces éléments conduisent la Cour à considérer qu’aucune violation du droit de la requérante à une vie familiale n’a été commise en l’espèce.

112. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

113. La requérante soutient que les hospitalisations sans consentement qui lui ont été appliquées ont violé l’article 5 de la Convention.

114. La Cour relève que, si la requérante a soulevé ce grief devant les juges internes, son appel contre l’ordonnance du 28 octobre 2008 a été rejeté faute d’avoir été régularisé. Aucun pourvoi n’a été formé contre la décision de la cour administrative d’appel, la requérante s’étant abstenue d’exercer ce recours.

115. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la violation de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-126458
Date de la décision : 26/09/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Parties
Demandeurs : ZAMBOTTO PERRIN
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BON S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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