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22/04/2014 | CEDH | N°001-142468

CEDH | CEDH, AFFAIRE AXINTE c. ROUMANIE, 2014, 001-142468


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE AXINTE c. ROUMANIE

(Requête no 24044/12)

ARRÊT

STRASBOURG

22 avril 2014

DÉFINITIF

22/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Axinte c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Johannes Silvis,

Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er avril 20...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE AXINTE c. ROUMANIE

(Requête no 24044/12)

ARRÊT

STRASBOURG

22 avril 2014

DÉFINITIF

22/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Axinte c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er avril 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24044/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Relu Axinte (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M. Alexa, avocat à Bistriţa, et ensuite par Me R. Chiriţă, avocat à Cluj-Napoca. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant dénonce les conditions matérielles de sa détention ainsi qu’une carence dans l’administration de soins dentaires dont il dit avoir souffert dans plusieurs prisons roumaines.

4. Le 4 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1964. Il est actuellement détenu à la prison de Bistriţa.

6. Le 25 novembre 2008, le requérant, accusé de vol, fut placé en détention provisoire. Cette détention provisoire fut prolongée jusqu’à la condamnation de l’intéressé à six ans de prison ferme, prononcée par le tribunal de première instance de Cluj-Napoca dans une décision définitive du 29 avril 2010.

7. Le requérant fut incarcéré dans plusieurs centres de détention dont la prison de Gherla, l’hôpital pénitentiaire de Dej, et les prisons de Baia-Mare, de Botoşani, de Bistriţa, de Craiova, de Timişoara et de Iaşi.

A. Les conditions matérielles de détention du requérant

1. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant

8. Le requérant indique qu’il a été incarcéré à la prison de Gherla de décembre 2008 à novembre 2011, qu’il y a été placé dans une cellule comportant 30 lits avec 34 autres détenus, et qu’il a parfois dû partager son lit avec un autre détenu. Il ajoute que la cellule était sale et très humide et n’offrait pas la possibilité d’avoir une hygiène corporelle adéquate.

9. L’intéressé indique aussi que de novembre 2011 à février 2012 il a été placé à la prison de Baia-Mare, et qu’il a été incarcéré avec 44 autres détenus dans une cellule dotée de 42 lits superposés sur trois niveaux, de deux lavabos et de toilettes. Il affirme que les détenus y prenaient des repas d’une mauvaise qualité. Il ajoute que la cellule était très humide et qu’une forte odeur de diluant et de substances chimiques utilisées pour la fabrication de chaussures – activité exercée selon lui par les détenus dans la cellule au titre du travail en prison – se répandait. Il précise que la cellule était aussi infestée de punaises et que les détenus avaient accès aux douches deux fois par semaine pendant quinze minutes à chaque fois.

10. Il indique de même qu’il a été incarcéré de février à mars 2012 à la prison de Botoşani dans laquelle, d’après lui, la surpopulation et l’état de saleté étaient pires que dans les deux précédents établissements.

11. Il indique également que de mars à avril 2012 il a été incarcéré à la prison de Bistriţa, et qu’il y a été placé avec 44 autres détenus dans une cellule comprenant 45 lits ainsi qu’une salle de bain séparée pourvue de deux lavabos et de deux toilettes.

12. Il affirme aussi qu’il a été incarcéré à la prison de Craiova d’avril à août 2012 afin de bénéficier de soins dentaires, et qu’il y a été placé dans une cellule dotée de 30 lits et accueillant certains jours 39 autres détenus.

13. Il ajoute qu’il a été incarcéré de août à septembre 2012 de nouveau à la prison de Bistriţa dans une cellule dotée de 45 lits avec 44 autres détenus.

14. Il indique de plus que de septembre à décembre 2012 il a été incarcéré à la prison de Timişoara, dans une cellule dotée de 9 lits, avec 8 autres détenus.

15. Il indique aussi que de décembre 2012 à février 2013 il a été incarcéré à la prison de Iaşi, dans une cellule dotée de 30 lits et dans laquelle étaient parfois placés 40 détenus pendant trois à quatre jours.

16. Il affirme également que de février à mars 2013 il a été à nouveau incarcéré à la prison de Bistriţa, dans une cellule exiguë pourvue de 8 lits et dans laquelle les conditions d’hygiène étaient acceptables.

17. Il ajoute qu’il a été transféré au mois de mars 2013 pour quelques jours à la prison de Iaşi et qu’il y a été placé dans la même cellule que celle dans laquelle il avait déjà séjourné (paragraphe 15 ci-dessus).

18. Il précise que depuis mars 2013 il est incarcéré à la prison de Bistriţa.

19. Le requérant dénonce en outre les conditions d’hygiène et d’aération dans toutes les prisons.

2. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

20. Le Gouvernement indique que du 23 décembre 2008 au 22 novembre 2011 le requérant a été incarcéré à la prison de Gherla, à l’exception de quelques jours pendant lesquels il a été transféré à l’hôpital pénitentiaire de Dej. Il expose que l’intéressé a ainsi été placé dans onze cellules, dont par exemple dans la cellule no EG3.18, d’une superficie de 14,28 m², avec 6 autres détenus, ou dans la cellule no EG4.35, d’une superficie de 59,22 m², avec 24 à 25 autres détenus.

21. Le Gouvernement indique également que du 22 novembre 2011 au 20 février 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Baia Mare, où il a été placé alternativement dans plusieurs cellules avec 26 autres détenus : la cellule no E2.7, d’une superficie de 40,37 m², la cellule no E4.3, d’une superficie de 37,7 m², et la cellule no E4.4, d`une superficie de 39,39 m².

22. Il affirme aussi que du 24 février au 20 mars 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Botoşani dans la cellule no E7.2, d’une superficie de 56,43 m², avec 38 autres détenus.

23. De même, le Gouvernement indique qu’à différentes périodes, à savoir du 23 mars au 26 avril 2012, du 10 août au 10 septembre 2012, du 12 au 21 février 2013 et du 19 mars 2013 à ce jour, le requérant a été incarcéré à la prison de Bistriţa. Il ajoute que l’intéressé y a occupé quatre cellules, dont par exemple la cellule no E4.6, d`une superficie de 71,32 m², avec 44 autres détenus, ou la cellule no E3.8, d`une superficie de 20,03 m², avec 7 autres détenus.

24. Le Gouvernement affirme également que du 2 mai au 9 août 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Craiova dans la cellule no E4.32, d’une superficie de 39,11 m², avec 29 autres détenus.

25. Il ajoute que du 14 septembre au 17 décembre 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Timişoara dans la cellule no E8.7, d’une superficie de 21 m², avec 8 autres détenus.

26. Il précise enfin que du 18 décembre 2012 au 15 mars 2013 le requérant a été incarcéré à la prison de Iaşi, qu’il y a été placé dans trois cellules, dont par exemple dans la cellule no E1.3, d’une superficie de 33,6 m², avec 25 autres détenus ou dans la cellule no E11.7, d’une superficie de 19,3 m², avec 7 autres détenus.

27. D’après le Gouvernement, le requérant a bénéficié d’un lit individuel dans chacune des cellules qu’il a occupées, toutes les cellules étaient pourvues d’éclairage naturel et artificiel, de ventilation naturelle, de toilettes, de rangements pour les bagages et d’eau potable, et l’intéressé a eu accès aux douches deux fois par semaine.

28. Selon le Gouvernement, l’hygiène dans les cellules relève de la responsabilité des détenus, lesquels se verraient distribuer des produits de nettoyage. D’après lui, les cellules sont désinfectées chaque matin avec du chlore, et des actions de désinsectisation et de dératisation sont menées une fois par trimestre.

B. Le suivi dentaire du requérant en prison

1. La version du requérant

29. Le requérant indique qu’au cours de sa détention à la prison de Bistriţa l’état de ses dents a commencé à se dégrader. Il ajoute qu’il a demandé à l’Administration nationale des prisons (« l’ANP ») de prendre les mesures nécessaires pour lui fournir une prothèse dentaire complète et qu’il a mentionné ne pas bénéficier de revenus. À une date non précisée, l’ANP aurait accueilli la demande du requérant, acceptant de supporter les frais de ses soins dentaires. Aucune attestation en ce sens n’a été versée au dossier.

30. L’intéressé précise que le 12 avril 2012 la direction de la prison de Bistriţa – où il était incarcéré – l’a informé qu’elle ne disposait pas d’un médecin stomatologue et l’a invité à s’adresser à l’administration pénitentiaire d’un autre établissement susceptible de lui fournir des soins dentaires.

31. Il indique qu’il a alors été transféré en avril 2012 à la prison de Craiova afin de bénéficier de ces soins dentaires. Il précise que, après un examen par un médecin stomatologue, il a été informé qu’il avait besoin d’une prothèse dentaire en urgence mais qu’il devait en supporter le coût au motif d’une absence de fonds de la prison pour réaliser des travaux prothétiques. Il ajoute que, malgré ses demandes répétées, il n’a pas bénéficié de prothèse dentaire et qu’il a été transféré en août 2012 à la prison de Bistriţa.

32. Le requérant indique de plus que le 5 août 2013, alors qu’il était incarcéré à la prison de Bistriţa, il a été soumis à un examen par un médecin stomatologue. Il ajoute qu’il a également reçu un devis pour la réalisation et le remplacement de plusieurs prothèses dentaires s’élevant à 18 780 lei roumains (« RON »), soit environ 4 200 euros (EUR) selon le taux de change de la Banque nationale roumaine.

2. La version du Gouvernement

33. Le Gouvernement indique que le 2 mai 2012 l’intéressé a été transféré de la prison de Bistriţa à la prison de Craiova afin de bénéficier de soins dentaires et que le 10 mai 2012, à la suite d’un examen dentaire, le médecin stomatologue a conclu que le requérant avait besoin de l’extraction de deux dents et de la réalisation d’une prothèse fixe en remplacement. Il précise que le coût de l’intervention s’élevait à 540 RON, soit environ 120 EUR. Il ajoute que le requérant ne disposait pas de ressources financières et que l’intervention n’a pas eu lieu pour cette raison. Par ailleurs, il indique que le 19 juillet 2012 le requérant a demandé son transfert vers la prison de Timişoara afin de pouvoir assister aux audiences d’une affaire inscrite au rôle d’un tribunal avoisinant et qu’il a spécifié dans sa demande écrite que ce procès était plus important à ses yeux que les soins dentaires qu’il avait sollicités.

34. Le Gouvernement indique également qu’à partir du mois d’avril 2013 le requérant a à nouveau demandé à bénéficier de soins dentaires. Il précise que, après avoir renoncé à un premier examen prévu pour le 15 avril 2013, il a été examiné le 29 avril et les 8 et 29 juillet 2013 et qu’il s’est fait extraire deux dents le 5 août 2013.

35. Selon le Gouvernement, d’après la situation du compte du requérant établie en septembre 2013, celui-ci disposait de ressources financières s’élevant à environ 1 010 RON.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

36. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence citée par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

37. Les dispositions relatives aux soins dentaires des détenus sont résumées dans l’arrêt Fane Ciobanu c. Roumanie (no 27240/03, §§ 47-51, 11 octobre 2011).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

38. Le requérant se plaint des mauvaises conditions de détention subies d’après lui dans les centres de détention dans lesquels il a été incarcéré et plus particulièrement d’un problème de surpopulation carcérale. Il dénonce en outre un refus des autorités de lui accorder les soins dentaires nécessités selon lui par son état de santé. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

39. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de la partie du grief concernant les soins dentaires pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a jamais saisi les autorités administratives ou les tribunaux d’une action fondée sur la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ou sur les dispositions régissant la responsabilité civile délictuelle aux fins de se plaindre de la qualité des soins dentaires fournis pendant sa détention.

40. Le requérant n’a pas déposé d’observations sur ce point.

41. S’agissant de la question des soins dentaires, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher la présente exception étant donné que cette partie du grief est irrecevable pour les raisons qui suivent.

42. La Cour note d’abord que la présente espèce diffère des affaires V.D. c. Roumanie (no 7078/02, §§ 92-100, 16 février 2010) et Fane Ciobanu (précitée, §§ 80-86) dans lesquelles les requérants, souffrant d’une absence totale de dents, dénonçaient une impossibilité systémique pour les détenus d’obtenir gratuitement la pose d’une prothèse dentaire – et ce en violation, selon eux, du droit interne – et se plaignaient de la dégradation de leur état de santé due, à leurs yeux, à l’absence de pareille prothèse. Elle constate ensuite qu’en l’espèce les médecins n’ont pas posé un diagnostic préoccupant quant à l’état de santé dentaire de l’intéressé ni signalé une urgence à le traiter (voir, a contrario, V.D., précité, §§ 95-98). Elle note en outre que le requérant a bénéficié de certains soins pour ses différentes affections dentaires. Par ailleurs, elle observe que le requérant n’a soumis aucun document susceptible de démontrer une dégradation de son état général consécutive à ses problèmes dentaires (voir Sasu c. Roumanie (déc.), no 7092/06, §§ 57-58, 2 octobre 2012, et Györgypál c. Roumanie, no 29540/08, § 56, 26 mars 2013, et, a contrario, Iacov Stanciu, précité, § 184). Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

43. S’agissant des conditions matérielles de détention du requérant, constatant que cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

44. Le requérant maintient que les conditions matérielles de sa détention dans les différentes prisons susmentionnées, et plus particulièrement la surpopulation carcérale qui y aurait régné, ont constitué un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

45. Le Gouvernement n’a pas déposé d’observations sur ce point.

46. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure privative de liberté ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000–XI).

47. La Cour rappelle également que, s’agissant des conditions de détention, il convient de prendre en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001–II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005). En outre, dans certains cas, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

48. Faisant application des principes susmentionnés à la présente espèce, la Cour considère qu’il convient de tenir surtout compte de l’espace individuel accordé au requérant dans les différents centres de détention. À cet égard, elle observe que celui-ci a souffert d’une situation de surpopulation carcérale grave. En effet, au vu des renseignements fournis par le Gouvernement, chacune des personnes détenues dans les cellules occupées par le requérant disposait d’un espace individuel de moins de 3 m2, voire de moins de 2 m² dans les prisons de Baia Mare, de Botoşani et de Craiova et également à certaines périodes dans les autres prisons. Or, la Cour constate que pareille superficie est en dessous de la norme recommandée aux autorités roumaines dans le rapport du CPT, à savoir 4 m² (paragraphe 37 ci-dessus). Qui plus est, les renseignements fournis par le Gouvernement ne font pas apparaître le temps que les détenus passaient à l’extérieur des cellules.

49. La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel suffisant, d’une absence d’hygiène, ou de ventilation ou d’éclairage inadéquats dans les prisons de Gherla (Porumb c. Roumanie, no 19832/04, § 72, 7 décembre 2010, et Radu Pop c. Roumanie, no 14337/04, § 96, 17 juillet 2012), de Baia Mare (Petrea Chisălău c. Roumanie, no 36680/03, § 51, 26 juin 2012, et Radu Pop, précité, § 96), de Botoşani (Florea c. Roumanie, no 37186/03, § 53, 26 octobre 2010, Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 94, 14 septembre 2010, Budaca c. Roumanie, no 57260/10, § 42, 17 juillet 2012, et Stoleriu c. Roumanie, no 5002/05, § 66, 16 juillet 2013), de Craiova (Ciolan c. Roumanie, no 24378/04, § 44, 19 février 2013), de Timişoara (Blejuşcă c. Roumanie, no 7910/10, § 43, 19 mars 2013), ainsi que de Iaşi (Mazalu c. Roumanie, no 24009/03, §§ 52-54, 12 juin 2012, et Olariu c. Roumanie, no 12845/08, § 31, 17 septembre 2013).

50. La Cour estime que les conditions de détention en cause, subies depuis plus de cinq ans par le requérant, n’ont pas manqué de soumettre ce dernier à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

52. Le requérant réclame 4 215 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi. Il précise que ce montant représente le coût des soins dentaires qui lui seraient nécessaires.

53. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande.

54. La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions de détention du requérant. Elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et elle rejette la demande du requérant.

B. Frais et dépens

55. Le requérant demande également 2 245 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il fournit une facture de ce montant émise par le dernier avocat le représentant devant la Cour.

56. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas envoyé de contrat d’assistance judiciaire établissant les honoraires de son avocat ainsi qu’un récapitulatif des heures effectivement prestées par celui-ci. Dans ces conditions, il considère qu’il est impossible d’établir un lien de causalité entre ces frais et les violations alléguées de la Convention.

57. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 245 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

58. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et portant sur les conditions matérielles de détention du requérant, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, à raison des conditions matérielles de détention subies par le requérant ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 245 EUR (deux mille deux cent quarante-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-142468
Date de la décision : 22/04/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : AXINTE
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ALEXA M. ; CHIRITA R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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