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24/10/2017 | CEDH | N°001-177940

CEDH | CEDH, AFFAIRE ACHIM c. ROUMANIE, 2017, 001-177940


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ACHIM c. ROUMANIE

(Requête no 45959/11)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2017

DÉFINITIF

24/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Achim c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Georges Ra

varani,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 oc...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ACHIM c. ROUMANIE

(Requête no 45959/11)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2017

DÉFINITIF

24/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Achim c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Georges Ravarani,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45959/11) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, Mme Angela Achim (« la première requérante ») et M. Nicolae Achim (« le second requérant »), ont saisi la Cour le 1er juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent avoir subi une atteinte à leur droit au respect de la vie familiale en raison du placement de leurs enfants et du refus des juridictions nationales de mettre fin audit placement malgré l’amélioration de leurs conditions de vie matérielles.

4. Le 12 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le 14 novembre 2016, le Gouvernement a été invité à présenter des observations complémentaires sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, d’ethnie rom, sont nés respectivement en 1970 et en 1957 et résident à Mănăstirea (Călărași).

6. À l’époque des faits, ils vivaient en union libre et ils étaient les parents de sept enfants :

– E. et E.S., un garçon et une fille, jumeaux, nés le 27 mars 2004 ;

– T., un garçon, né le 7 mars 2005 ;

– A.-M., une fille, née le 31 mars 2006 ;

– S., une fille, née le 15 juin 2007 ;

– E.L., une fille, née le 29 juin 2008 ;

– I., un garçon, né le 8 octobre 2009.

7. Le second requérant est reconnu comme étant atteint d’un handicap permanent de deuxième degré en raison de ses troubles psychiques.

8. Le 3 octobre 2013, les requérants se sont mariés.

A. La genèse de l’affaire

9. En août 2010, la première requérante adressa une plainte au président de la Roumanie pour dénoncer le comportement abusif qu’aurait eu son père à son égard : elle indiquait que celui-ci l’avait violée et qu’il avait proféré des menaces à l’égard de ses enfants. Elle joignait à sa plainte un certificat médical pour attester que, en 2008, l’un de ses enfants avait subi des lésions qui avaient nécessité de sept à huit jours de soins médicaux.

10. À la suite d’une enquête, les autorités saisies de l’affaire établirent que les allégations de la première requérante n’étaient pas fondées et que la plainte avait été formulée dans le contexte d’un conflit entre l’intéressée et le représentant de l’organisation religieuse de son village, qui l’aurait exclue de sa communauté.

11. La plainte de la première requérante fut ensuite transmise à l’autorité compétente pour suivre la situation des enfants maltraités ou délaissés, à savoir la Direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant de Călăraşi (« la DGASPC », paragraphe 12 ci-dessous), afin de vérifier la situation des enfants des requérants. Le 16 septembre 2010, la DGASPC demanda au Service public d’assistance sociale de la mairie de Mănăstirea (« le SPAS ») de vérifier quelle était l’éducation apportée aux sept enfants de la famille, leur situation sociale et leur état de santé et de lui fournir les renseignements pertinents à cet égard (paragraphe 12 ci-dessous).

12. En septembre 2010, le SPAS conduisit une enquête au domicile des requérants. Il constata que la famille vivait dans une maison insalubre mise à sa disposition par le père de la requérante et que les requérants ne se préoccupaient ni de l’état de santé ni de l’éducation de leurs enfants. Il nota que les revenus mensuels de la famille s’élevaient à 774 lei roumains (RON) et que cette somme se composait de la pension pour personne handicapée du second requérant, des allocations pour les enfants et de l’allocation pour famille monoparentale de la première requérante. Le rapport du SPAS mentionnait également que les requérants refusaient d’inscrire leurs enfants à l’école et auprès d’un médecin traitant et qu’ils limitaient l’accès de ces derniers aux activités en plein air et à toute autre activité qui aurait pu stimuler leur intégration et leur adaptation à la vie en société. Selon le SPAS, les requérants avaient refusé l’aide des services sociaux qui voulaient les conseiller sur leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants.

13. Se fondant sur les constats du SPAS (paragraphe 12 ci-dessus), le 20 septembre 2010, la DGASPC adressa une lettre aux requérants les informant que, en tant que parents, ils devaient assurer les conditions minimales nécessaires au développement de leurs enfants et éviter leur délaissement. La DGASPC recommanda aux requérants de prendre les mesures suivantes :

« – assurer [à leurs enfants] un niveau correct d’hygiène corporelle et vestimentaire [et garantir la propreté] de la maison et [une hygiène] alimentaire ;

– inscrire tous les enfants auprès d’un médecin traitant, effectuer les vaccinations et suivre les traitements recommandés ;

– inscrire les enfants âgés de trois à sept ans dans une école maternelle ;

– permettre aux enfants d’entrer en relation avec [les autres] ([par le biais de] promenades, de jeux) ;

– ne pas exercer sur les enfants de violences physiques et/ou verbales et ne pas leur transmettre de messages traumatisants sur le plan affectif (ne pas créer [de sentiments] de peur, d’isolement, [ne pas leur causer de] manque de confiance). »

14. Dans la même lettre, la DGASPC s’adressait aux requérants en ces termes :

« La manière dont vous remplirez ces obligations sera suivie par (...) la DGASPC.

Si la négligence à l’égard des enfants persiste et si celle-ci affecte leur sécurité au sein de la famille et [s’il y a] méconnaissance de certains de leurs droits, des mesures de protection urgentes seront prises à l’égard des enfants, même en l’absence de [votre] accord, conformément aux articles 64, 65 et 66 de la loi no 272/2004 relative à la protection des droits de l’enfant. (...) »

B. Le suivi de la famille des requérants

15. Un programme de suivi régulier de la famille des requérants par les services sociaux fut mis en place. Le 11 octobre 2010, le comité de soutien à l’autorité tutélaire et d’assistance sociale de la mairie de Mănăstirea se déplaça au domicile des intéressés. Il rendit un rapport selon lequel il avait appris, après avoir parlé aux requérants, que ceux-ci n’avaient pas inscrit leurs enfants auprès d’un médecin traitant et qu’ils n’avaient pas l’intention de le faire, et que, s’ils avaient inscrit l’un de leurs enfants à l’école maternelle, ils ne l’y emmenaient pas de peur qu’il soit kidnappé. Dans son rapport, le comité constatait également que la maison se composait de deux chambres, d’un couloir d’entrée et d’une cuisine, dans laquelle des vêtements et du bois étaient entassés. Il ajoutait que la maison était chauffée et propre et qu’un repas avait été préparé.

16. Il indiquait ensuite que le second requérant était devenu nerveux et qu’il avait commencé à hausser la voix pour se plaindre qu’il ne recevait pas d’allocations pour tous ses enfants. Informé de la durée du suivi de sa famille, qui allait s’étendre sur quelques mois, le second requérant se serait énervé et aurait informé les employés de la mairie qu’ils ne devaient pas revenir chez lui. Dans son rapport, le comité proposait que le suivi de la famille des requérants fût maintenu.

17. Les 22 décembre 2010 et 18 janvier 2011, le SPAS se déplaça au domicile des requérants afin d’évaluer la situation des enfants et de conseiller les requérants quant aux mesures à prendre pour satisfaire aux recommandations de la DGASPC (paragraphe 13 ci-dessus). Selon le SPAS, le second requérant se montra très récalcitrant, il injuria les employés du service social, ne leur permit pas de voir les enfants et refusa de leur fournir des renseignements concernant ces derniers. Dans les rapports établis à la suite de ces deux visites, le SPAS mentionnait que la maison était toujours mal entretenue, que les fenêtres étaient couvertes de bâches en plastique et que la porte était endommagée. Il indiquait que la situation des enfants ne paraissait pas s’être améliorée depuis le début du suivi de la famille et soulignait le refus des requérants de coopérer avec les services sociaux et le manquement de ces derniers à leurs obligations parentales. Eu égard à ces constatations, il proposait qu’une mesure de protection fût prise à l’égard des enfants.

18. Le 28 janvier 2011, un plan de mesures fut élaboré dans le cadre du suivi des enfants des requérants, « en raison du manque d’investissement des parents dans leur rôle consistant à assurer les conditions minimales nécessaires pour élever [leurs enfants], les soigner, assurer leur bon développement, les éduquer et suivre leur état de santé ». Le SPAS continua à surveiller la situation des enfants et s’assura du versement des allocations aux requérants.

19. Un nouveau rapport établi le 25 février 2011 indiqua que la famille des requérants vivait en retrait, que ces derniers ne collaboraient pas avec les services sociaux concernant le suivi de leurs enfants, que leurs voisins leur reprochaient un comportement agressif et que leurs enfants étaient toujours délaissés. Ce rapport recommandait l’application d’une mesure de protection à l’égard des enfants.

C. Le placement temporaire des enfants des requérants

1. Le placement en urgence des enfants

20. Les 16 et 17 mars 2011, la DGASPC dressa deux rapports concernant les enfants des requérants. Elle constatait dans ces rapports l’insalubrité de la maison, la grande précarité des conditions d’hygiène et la négligence des requérants à l’égard de leurs enfants. Concernant ce dernier aspect, elle relevait que les requérants étaient peu soucieux de l’état de santé de leurs enfants et qu’ils refusaient de les scolariser, de leur permettre d’avoir des activités sociales et d’entrer en contact avec les autres. Selon elle, les requérants refusaient de coopérer avec les autorités en vue d’améliorer la situation des enfants. Les rapports concluaient que, étant donné la gravité de la situation de délaissement dans laquelle se trouvaient les enfants et l’absence d’accord des parents pour instaurer des mesures de protection, le placement en urgence des mineurs était recommandé.

21. Le 21 mars 2011, la DGASPC élabora des plans individuels de protection pour les enfants des requérants en précisant leurs besoins, les personnes responsables d’eux et le soutien à fournir à la famille.

22. À la demande de la DGASPC, par deux jugements distincts du 6 avril 2011, le tribunal départemental de Călăraşi (le « tribunal départemental ») ordonna le placement en urgence des enfants et attribua les droits parentaux concernant les intéressés au président du conseil départemental de Călăraşi.

23. Faute de recours, ces jugements devinrent définitifs.

24. Le 4 août 2011, malgré l’opposition des requérants, des agents de la DGASPC, assistés d’un huissier de justice, de la police et d’un psychologue, exécutèrent les jugements du 6 avril 2011 (paragraphe 22
ci-dessus). L’enfant le plus jeune, I., fut ainsi placé chez une assistante maternelle à Călăraşi, une ville située à environ 38 km du village où résidaient les requérants ; les enfants les plus âgés furent placés ensemble dans un centre d’accueil situé à environ 88 km du domicile des requérants.

2. Le placement temporaire des enfants

25. Après leur prise en charge par les autorités, les enfants furent soumis à des examens psychologiques et médicaux. Le rapport dressé à cette occasion indiquait que des carences graves avaient été constatées chez les enfants, « conséquences de la négligence des parents ». Ainsi, selon ce rapport, I. souffrait de « manifestations paroxystiques cérébrales récentes, d’anémie hypochrome microcytaire et d’hypotrophie pondérale », ce qui avait conduit à son hospitalisation en urgence. Quant au développement intellectuel des enfants, le rapport faisait état « de faibles retards (...) chez tous les enfants : des défauts de prononciation, un vocabulaire pauvre, une socialisation minime, une tendance à s’isoler ».

26. Le 5 août 2011, la DGASPC établit un rapport concernant les six enfants les plus âgés, dans lequel elle notait ce qui suit :

« (...) Les conclusions de l’enquête sociale ont relevé des défaillances dans le lieu d’habitation (la maison est la propriété de C.G., (...), l’espace habitable est insuffisant, il est équipé au minimum et l’hygiène y est précaire, il y a des carences significatives [quant au ménage et au maintien de] la propreté de la maison ainsi qu’à l’hygiène personnelle, vestimentaire et alimentaire) ; [des défaillances] financières – [les revenus de la famille] se composent d’une pension pour une personne ayant un handicap de deuxième degré, [en raison d’une] affection psychique, d’un montant de 234 [RON] et de l’allocation d’État pour les enfants, d’un montant de 540 [RON]. Il faut mentionner que bien que les deux parents habitent le village de Mănăstirea, [le second requérant] n’a pas effectué de démarches pour établir son domicile dans cette localité (...). [La première requérante] n’a pas été scolarisée et elle n’exerce aucune activité lucrative.

(...) des négligences ont été constatées dans le comportement des parents (...) [ : ces derniers] n’assurent pas de suivi ni de surveillance élémentaire de l’état de santé [de leurs enfants] (aucun enfant n’est inscrit auprès d’un médecin traitant), n’offrent aucune stimulation à leurs enfants pour les éduquer, ne les ont pas inscrits à l’école maternelle et ont limité leur droit [de participer à des activités de] socialisation. Dans ce contexte, [l’enquête sociale a permis de constater] des troubles du langage chez six des enfants et l’existence chez eux de comportements anxieux (avoir peur, rester en retrait, s’isoler face à des étrangers, manquer de confiance) en raison de [leur peur] d’être enlevés pour trafic d’organes.

(...) [Les requérants] sont connus dans la communauté comme des personnes qui génèrent des conflits, des tensions, qui adressent souvent des accusations, des reproches et des insultes aux autorités locales et au voisinage, pour des raisons financières (ils sollicitent des allocations supplémentaires, (...)) etc. (...).

La même tension existe dans les relations entre les intéressés et les membres de leur famille élargie (...). Il ressort des déclarations de ces derniers qu’ils ne veulent pas et ne peuvent pas prendre soin des enfants [des requérants], avec lesquels ils n’ont aucun contact. Bien que [les requérants aient] bénéficié d’une aide psychologique et éducationnelle pour remplir leur rôle et leurs obligations parentales et afin d’assurer consciemment les besoins [nécessaires] pour élever [leurs enfants], assurer leur bon développement et les éduquer, leur cas a continué d’être suivi par les représentants du SPAS [mais] l’accès de ces derniers au domicile des intéressés a été impossible, la communication étant toujours difficile et accompagnée d’accusations et de menaces.

[Les requérants] ont été informés des effets de la négligence sur le développement des enfants et sur la possibilité [ouverte aux autorités] de limiter leurs droits parentaux lorsque des cas d’abus par négligence sont constatés. Les mesures de protection dont ils pouvaient bénéficier leur ont été présentées, y compris le maintien de relations normales avec les enfants pendant toute la période de séparation de la famille. Les parents ont rejeté avec véhémence les mesures de protection adéquates et ont refusé l’intervention des autorités spécialisées. »

27. Toujours le 5 août 2011, I. fut examiné par un psychologue de la DGASPC. Il fut établi à cette occasion que l’enfant présentait, entre autres, des retards de développement de la motricité et du langage ainsi qu’une carence affective. Le psychologue recommandait une stimulation cognitive, notamment du langage. Eu égard aux constats de ce rapport, à la situation matérielle précaire de la famille et à l’absence de coopération des parents malgré des conseils sur la psychologie et l’éducation apportés par les services sociaux, la DGASPC estima que le remplacement de la mesure de placement en urgence de I. par une mesure de placement temporaire s’imposait.

28. La DGASPC saisit le tribunal départemental de deux demandes afin de demander le remplacement de la mesure de placement en urgence des enfants par un placement temporaire. Elle présenta la situation des enfants telle qu’elle était décrite dans les rapports établis le 5 août 2011 (paragraphes 26 et 27 ci-dessus) et indiqua qu’aucune alternative de garde par un membre de la famille n’avait été identifiée.

29. Les requérants, présents à l’audience et représentés gratuitement par un avocat, demandèrent le rejet de l’action engagée par la DGASPC. Ils soutenaient que, malgré leur absence de ressources, ils s’occupaient bien de l’éducation de leurs enfants et que ceux-ci n’étaient pas malades.

30. Par deux jugements du 7 septembre 2011, le tribunal départemental, se fondant notamment sur l’article 66 de la loi no 272/2004, ordonna le placement temporaire des enfants : par un premier jugement, I. fut placé chez une assistante maternelle ; par un deuxième jugement, les six autres enfants furent placés dans une résidence spéciale. Les droits parentaux concernant tous les enfants furent attribués au président du conseil départemental de Călăraşi.

31. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal départemental constata dans ses deux jugements qu’il ressortait des pièces du dossier que la maison des requérants n’était pas adaptée pour élever des enfants, l’espace étant insuffisant et peu aménagé et la propreté y étant incertaine. Il nota également que des carences graves avaient été constatées pour ce qui était de l’hygiène personnelle et alimentaire des membres de la famille. Il releva la négligence des parents quant à l’état de santé des enfants ainsi que le refus des intéressés de les scolariser ou de leur permettre de participer à des activités sociales. Il constata également que, d’après les documents des dossiers, les enfants présentaient des retards de développement du langage et des comportements traduisant une anxiété qui leur aurait été transmise, selon le tribunal départemental, par leurs parents, et que I. souffrait d’un retard moteur.

32. Le tribunal départemental ajouta que, bien que les requérants aient bénéficié d’une aide psychologique et pédagogique pour accomplir leurs devoirs parentaux, ils avaient des difficultés à appréhender les besoins des enfants et, par leur comportement, ils faisaient toujours preuve de négligence à l’égard des mineurs. Il jugea que les requérants n’assuraient pas, pour le moment, les conditions nécessaires au bon développement de leurs enfants et qu’il était dans l’intérêt supérieur de ces derniers de faire l’objet d’une mesure de placement temporaire.

33. Les requérants formèrent des recours contre ces jugements. Ils demandèrent le rejet de l’action introduite par la DGASPC et versèrent des écrits au dossier.

34. Les 22 et 23 septembre 2011, les six enfants les plus âgés des requérants furent soumis à une évaluation psychologique individuelle. Celle-ci permit d’identifier chez tous les enfants un léger retard de développement en raison de carences socio-éducatives et d’établir qu’ils avaient besoin d’une stimulation cognitive et éducationnelle. Les enfants furent scolarisés.

35. Par un arrêt définitif du 7 novembre 2011, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») rejeta le recours des requérants contre le jugement du 7 septembre 2011 concernant leurs six enfants les plus âgés. Elle indiqua que la mesure de placement était justifiée par la précarité des conditions de vie des requérants et par leur attitude à l’égard de leurs enfants. Elle nota le caractère temporaire de la mesure, amenée à prendre fin lorsque les intéressés auraient présenté les garanties morales et matérielles nécessaires pour élever leurs enfants.

36. Par un arrêt définitif du 28 novembre 2011, la cour d’appel rejeta le recours des requérants contre le jugement du 7 septembre 2011 concernant le placement de I. Après avoir entériné les raisons sur lesquelles reposait le jugement rendu en première instance, la cour d’appel estima que le bien‑fondé de celui-ci était conforté par d’autres écrits versés au dossier, comme, par exemple, le rapport médical concernant cet enfant (paragraphe 22 ci-dessus).

D. La demande des requérants de réintégration des enfants dans la famille

1. Les enquêtes sociales réalisées au domicile des requérants

37. À la suite du placement temporaire de leurs enfants, les requérants entreprirent des travaux dans leur maison afin d’améliorer leurs conditions de vie.

38. À leur demande, le 10 janvier 2012, la DGASPC réalisa une enquête sociale à leur domicile. Dans le rapport dressé à cette occasion, elle indiquait que les requérants avaient amélioré leurs conditions de vie en installant un minimum de mobilier dans leur maison et qu’ils disposaient désormais de l’électricité et de l’eau potable. Elle constatait cependant que l’espace des toilettes n’était pas aménagé de manière à assurer l’intimité et que le toit et le plafond de la maison étaient, par endroits, visiblement endommagés par les intempéries. Après avoir rappelé les revenus de la famille, elle relevait que les requérants avaient fait des efforts pour garder le contact avec leurs enfants, à qui ils avaient rendu visite deux fois depuis leur placement, et que la première requérante, à son initiative, avait accompagné l’un des enfants à l’hôpital lorsqu’il était malade. Elle ajoutait que les requérants avaient déclaré qu’ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour se déplacer plus souvent afin de rendre visite aux enfants.

39. Le rapport susmentionné indiquait ensuite que la mairie, par l’intermédiaire de son représentant, avait approché les requérants pour leur proposer de l’aide, que le second requérant avait refusée. Toutefois, les intéressés auraient commencé à coopérer avec les autorités et à se montrer intéressés par le maintien des liens avec leurs enfants et par ce qu’ils devaient faire pour que les mesures de placement prennent fin. À ce sujet, les autorités locales auraient encouragé le second requérant à établir son domicile chez la première requérante afin de bénéficier d’une aide financière de la commune et lui auraient indiqué les formalités à accomplir. Une évaluation psychologique leur aurait été suggérée en vue de leur intégration, le cas échéant, dans un programme de conseil familial pour le développement et la consolidation des aptitudes parentales. Les requérants auraient refusé de se soumettre à cette évaluation.

40. Compte tenu de ces éléments, la DGASPC concluait que, pour le moment, les conditions pour assurer le retour en toute sécurité des enfants auprès des requérants n’étaient pas réunies : elle soulignait l’absence de combustible pour le chauffage de la maison et le manque de coopération du second requérant avec les autorités. Elle expliquait qu’il convenait de repousser le moment de la réintégration des enfants dans leur famille et qu’il était nécessaire que les parents réalisent certaines étapes, sous la supervision du SPAS, pour acquérir les connaissances utiles pour assurer la sécurité de leurs enfants et pour être informés des risques auxquels ceux-ci pouvaient être exposés. Elle ajoutait qu’il n’était pas exclu que les enfants réintègrent leur famille dans un futur proche ; toutefois, selon elle, étant donné la nécessité d’améliorer certaines conditions pour assurer leur sécurité, l’attitude fluctuante des requérants dans la communication avec les autorités et la difficulté des intéressés à appréhender et à répondre aux besoins des enfants, la mesure de placement devait être maintenue pour le moment.

41. Le 17 janvier 2012, la DGASPC demanda au SPAS de continuer à surveiller et à conseiller la famille des requérants et lui indiqua les aspects qu’elle considérait encore comme défaillants dans l’enquête réalisée le 10 janvier 2012 (paragraphes 38 à 40 ci-dessus). Elle pria également le SPAS de l’informer des mesures prises afin d’améliorer les conditions de vie des requérants.

42. Le 14 février 2012, à la suite de la demande de la DGASPC (paragraphe 41 ci-dessus), une nouvelle enquête sociale fut réalisée par le SPAS au domicile des requérants. Il fut noté à cette occasion que ces derniers gardaient le contact avec leurs enfants par téléphone, étant donné que, en raison des conditions météorologiques hivernales, il leur était difficile de se rendre au centre d’accueil. L’enquête établit que les conditions matérielles des requérants s’étaient améliorées et qu’ils avaient fait des travaux pour nettoyer la maison. Les requérants se seraient engagés à inscrire les enfants à l’école et auprès d’un médecin traitant et à coopérer avec les autorités. Le SPAS conclut que les conditions de vie des requérants s’étaient améliorées par rapport à celles existant au moment du placement de leurs enfants et que la réintégration de tous les enfants dans leur famille était envisageable.

2. La procédure devant les juridictions internes

43. Entre-temps, le 11 janvier 2012, les requérants avaient saisi le tribunal départemental d’une action contre la DGASPC. Ils demandaient la fin de la mesure de placement d’urgence de leurs sept enfants et leur réintégration au domicile familial. Ils soutenaient qu’ils bénéficiaient de conditions de vie correctes pour élever leurs enfants et versaient au dossier une copie du registre agricole attestant qu’ils disposaient d’un logement gratuit, une facture d’électricité, des preuves de leurs revenus et des écrits selon lesquels trois de leurs sept enfants étaient inscrits à l’école. Ils ajoutaient que les enfants étaient mal soignés dans le centre d’accueil.

44. La DGASPC ne suivit pas l’avis du SPAS (paragraphe 42 ci-dessus) et demanda le rejet de l’action au motif que, bien que les conditions matérielles de vie au domicile des requérants se soient améliorées, cet aspect n’était pas suffisant pour assurer la sécurité des enfants. Cela étant, l’enquête sociale réalisée par le SPAS le 14 février 2012 (paragraphe 42 ci‑dessus) fut versée au dossier de l’affaire.

45. Par un jugement du 15 février 2012, le tribunal départemental rejeta l’action des requérants au motif que, malgré l’amélioration de leurs conditions de vie, ils ne bénéficiaient pas de ressources autres que les allocations pour leurs enfants et qu’il n’y avait aucune garantie que celles-ci fussent utilisées dans l’intérêt exclusif des enfants. Le tribunal déclara que ces allocations devaient subvenir aux besoins de toute la famille.

46. Les requérants formèrent un recours. Ils soutenaient qu’ils bénéficiaient des conditions de vie nécessaires pour assurer le développement physique, intellectuel et moral de leurs enfants. Ils arguaient que le tribunal départemental avait retenu à tort que leur seule source de revenu était constituée des allocations pour les enfants, alors que, selon eux, le second requérant était le bénéficiaire de deux pensions et qu’il percevait des revenus pour son travail journalier chez différents habitants du village. Ils ajoutaient que leur conviction était que les revenus de la famille devaient bénéficier aux parents mais surtout aux enfants.

47. La DGASPC demanda le maintien de la mesure de placement temporaire.

48. Aucune preuve nouvelle ne fut versée au dossier.

49. Par un arrêt du 20 mars 2012, la cour d’appel rejeta le recours des requérants. S’appuyant sur les articles 2, 66 et 68 § 2 de la loi no 272/2004, elle considéra que les conditions qui avaient conduit au placement temporaire des enfants n’avaient changé qu’en partie et jugea que la mesure en cause devait être maintenue.

50. Dans son arrêt, la cour d’appel rappela d’abord les raisons qui avaient justifié la mesure de placement temporaire (paragraphes 31 et 32 ci‑dessus) et indiqua que, depuis le placement des enfants, les requérants avaient rendu visite deux fois à leurs six enfants placés au centre d’accueil et une seule fois à I.

51. Elle nota ensuite que, depuis qu’ils avaient été placés, les enfants avaient été examinés et soignés par un médecin et qu’ils avaient intégré l’école maternelle ou l’école primaire, selon leur âge. Elle releva que les enfants bénéficiaient tous, à l’école, de l’assistance d’un formateur spécialisé qui suivait la situation de chacun et les faisait participer à des activités spécialement prévues pour eux afin de rattraper les retards constatés au moment de leur placement. Elle indiqua que, selon les documents versés au dossier, les enfants avaient fait des progrès au niveau de l’autonomie et de l’hygiène personnelle et alimentaire depuis leur placement, et que leur évolution était positive.

52. La cour d’appel décrivit ensuite la première rencontre qui avait eu lieu au mois de novembre entre les requérants et les six enfants se trouvant au centre d’accueil et, après avoir présenté les réactions des enfants, elle conclut que celle-ci s’était déroulée normalement, les intéressés ayant pris un repas et joué avec les enfants. Elle nota que les requérants n’avaient fait part d’aucun mécontentement au personnel soignant quant à l’état de leurs enfants. Elle exposa ensuite que, depuis, les requérants avaient contacté les enfants par téléphone et qu’ils manifestaient toujours leur inquiétude de voir leurs enfants enlevés pour trafic d’organes. Elle constata toutefois que le second requérant avait refusé de donner son numéro de téléphone personnel aux assistantes maternelles pour qu’il pût être informé de tout ce qui concernait les enfants et que la communication n’était possible que lorsqu’il appelait lui-même le centre d’accueil.

53. La cour d’appel compara ensuite les conditions jugées nécessaires par la DGASPC pour que les enfants fussent réintégrés dans leur famille (paragraphes 38 et 39 ci-dessus) avec les constats faits par le SPAS lors de l’enquête sociale réalisée le 14 février 2012 (paragraphe 42 ci-dessus). Elle nota que, si les intéressés avaient satisfait à certaines conditions imposées par la DGASPC, il restait encore des choses à améliorer. Elle s’exprima en ces termes :

« Les conditions pour la réintégration des enfants ne sont pas réunies, étant donné que les autres conditions requises par la DGASPC pour assurer la sécurité des enfants ne sont pas remplies : l’implication et la coopération des parents (...), la réparation du toit, l’établissement du domicile du requérant à Mănăstirea pour pouvoir recevoir une aide sociale, le maintien des liens avec les enfants par l’intensification des visites, le fait d’assumer leurs responsabilités parentales (l’inscription des enfants auprès d’un médecin traitant et à l’école primaire et maternelle), le fait de trouver un travail, l’amélioration des relations avec les autres membres de la communauté, la réalisation d’une évaluation psychologique par les spécialistes de la DGASPC afin d’établir leur niveau de compétences parentales pour pouvoir les inclure, le cas échéant, dans un programme de conseil parental pour le développement et la consolidation de leurs capacités parentales, la prévention des risques majeurs pour les mineurs par l’acceptation d’un suivi de la part du SPAS de Mănăstirea.

(...).

En même temps, la cour d’appel note qu’il n’a pas été prouvé de manière certaine que les requérants bénéficient des ressources financières suffisantes pour entretenir tous leurs enfants et pour demander la réintégration [de ceux-ci] dans leur famille. Les deux pensions (...) perçues par le [second] requérant, d’un montant total de 646 RON par mois, ne représentent pas une source de revenus suffisante pour élever et éduquer sept enfants, ces derniers vivant à présent dans des meilleures conditions que celles que leurs parents pourraient leur offrir. En outre, aucune preuve n’a été fournie pour prouver que les requérants percevaient des revenus supplémentaires en raison du travail journalier que le requérant effectuerait dans la commune (...). »

54. La cour d’appel conclut que, en tout état de cause, l’amélioration des conditions de vie matérielles des requérants qu’avait constatée le rapport d’enquête sociale versé au dossier (paragraphe 42 ci-dessus) n’était pas la seule condition à laquelle les intéressés devaient satisfaire afin de pouvoir demander le retour de leurs enfants. Selon la cour d’appel, les intéressés devaient encore remplir les autres conditions prévues par la DGASPC qui visaient à assurer le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

E. Les développements ultérieurs de l’affaire et la réintégration des enfants dans leur famille

55. Un rapport d’enquête sociale établi le 2 avril 2012 notait que les conditions matérielles de la famille s’étaient améliorées, que les requérants maintenaient le contact avec leurs enfants par téléphone et qu’ils leur rendaient visite une fois par mois, la mairie leur ayant fourni une aide en gasoil pour assurer ces déplacements. Le rapport indiquait que les revenus mensuels de la famille consistaient en deux pensions perçues par le second requérant, d’un montant total de 646 RON. Il fut proposé que la mairie accordât aux requérants une aide d’urgence de 1 800 RON pour réparer le toit de la maison et construire des toilettes.

56. Par une décision du 4 avril 2012, la mairie octroya à la première requérante l’aide d’urgence de 1 800 RON susmentionnée.

57. Le 10 avril 2012, les requérants eurent un entretien confidentiel avec le psychologue de la DGASPC. Après avoir été informés du but de l’entretien, à savoir l’évaluation de leurs compétences parentales en vue de la réintégration des enfants dans la famille, les intéressés répondirent à des questions. Le rapport dressé à la suite de cet entretien indiquait que les requérants avaient des compétences parentales faibles, qu’ils satisfaisaient uniquement aux besoins de base de leurs enfants et qu’ils ignoraient les effets que leur comportement pouvait avoir sur le développement de ceux‑ci. Il proposait que les requérants fussent intégrés dans un programme de conseil psychologique afin de développer et consolider leurs compétences parentales, d’être informés sur l’usage de leurs droits, de mettre en œuvre leurs responsabilités parentales et de développer leur aptitude à entrer en relation avec la communauté.

58. Le 17 avril 2012, le second requérant établit son domicile chez la première requérante.

59. Une enquête réalisée le 26 avril 2012 chez les requérants permit de constater que leurs conditions de vie s’étaient améliorées, que les intéressés avaient coopéré avec les autorités et qu’ils avaient commencé à prendre les mesures qui leur avaient été indiquées pour le bien-être des enfants. La DGASPC proposa que les six enfants placés en centre d’accueil soient réintégrés dans leur famille.

60. En mai 2012, les enfants furent soumis à des évaluations psychologiques, lesquelles permirent de constater une amélioration de leur état général depuis leur placement.

1. La réintégration de I. dans la famille

61. Par un rapport du 5 mai 2012, la DGASPC nota que la situation de la famille s’était améliorée, que les requérants avaient régulièrement rendu visite à leur fils, qu’ils s’étaient intéressés à son état de santé et qu’ils avaient manifesté de l’affection à son égard. Elle indiqua également que des rencontres avaient été organisées non seulement entre I. et ses parents mais également avec ses frères et sœurs. Soulignant l’intérêt manifesté par les requérants pour leur enfant, la DGASPC proposa la cessation de la mesure de placement.

62. Le 7 mai 2012, la DGASPC saisit le tribunal départemental d’une action contre les requérants en demandant la réintégration de I. au domicile parental.

63. Par un jugement du 23 mai 2012, le tribunal départemental décida qu’il était dans l’intérêt supérieur de I. de revenir auprès de sa famille, d’autant plus que les conditions pour assurer son développement étaient réunies et que ses relations avec sa famille étaient très bonnes.

64. Le 21 juin 2012, I. revint au domicile des requérants.

2. La réintégration des six autres enfants dans la famille

65. Le 7 mai 2012, la DGASPC et les requérants saisirent le tribunal départemental d’une action visant à mettre fin à la mesure de placement temporaire des six autres enfants.

66. Par un jugement du 23 mai 2012, le tribunal départemental rejeta l’action. Les requérants et la DGASPC formèrent un recours contre ce jugement.

67. Alors que ce recours était pendant devant la cour d’appel, les six enfants passèrent les vacances d’été au domicile des requérants, à la demande de ces derniers. Le 10 juillet 2012, une enquête sociale fut réalisée au domicile des requérants, en présence des enfants. Selon cette enquête, ces derniers bénéficiaient de bonnes conditions pour y vivre et pour se développer. Le rapport d’enquête fut versé au dossier de l’affaire devant la cour d’appel.

68. Par un arrêt définitif du 22 août 2012, la cour d’appel cassa le jugement rendu en première instance et ordonna la réintégration des enfants dans leur famille. Elle rappela que la loi no 272/2004 visait à protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et que les autorités publiques étaient tenues d’aider au développement et à l’éducation de l’enfant au sein de sa famille et expliqua que :

« (...) bien que le fait d’assurer un certain niveau de conditions matérielles soit un élément essentiel pour le développement des mineurs, [il n’en reste pas moins que] le manque de ressources à lui seul ne peut constituer un obstacle insurmontable pour la réintégration des enfants dans leur famille, pour autant qu’il y a un intérêt réel manifesté par les parents à élever eux-mêmes les enfants (...) ».

69. La cour d’appel jugea que, étant donné l’amélioration des conditions de vie des requérants, avec l’aide des autorités publiques, ainsi que le changement de leur comportement à l’égard de leurs enfants, il était dans l’intérêt de ces derniers de réintégrer leur famille.

II. LE DROIT INTERNE ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit interne

70. La loi no 272/2004 relative à la protection et à la promotion des droits de l’enfant (« la loi no 272/2004 ») régissait les autorités compétentes au niveau local assurant la protection des droits de l’enfant. Selon cette loi, la DGASPC était une institution publique jouissant de la personnalité juridique, créée auprès des conseils départementaux, qui remplissait les attributions qui lui avaient été accordées par la même loi (article 105 (2) de la loi no 272/2004). Ainsi, par exemple, dans le cas d’un enfant maltraité ou délaissé, la DGASPC pouvait ordonner une mesure de placement en urgence si les personnes qui s’occupaient de l’enfant ne s’y opposaient pas (article 94 (2) de la loi no 272/2004). Si ces dernières ne donnaient pas leur accord, la DGASPC devait saisir le tribunal qui était exclusivement compétent pour décider du bien-fondé des raisons qui justifiaient la mesure de placement par ordonnance en référé (article 94 (3) de la loi no 272/2004).

71. Selon la même loi, le SPAS était organisé auprès des municipalités et villes et comptait parmi ses attributions : la surveillance et l’analyse de la situation et du respect des droits des enfants se trouvant dans son ressort administratif et territorial, le conseil aux familles, les visites régulières aux familles bénéficiant de services d’assistance, la communication de propositions aux maires afin que des mesures de protection spéciale soient prises et la coopération avec la DGASPC en lui fournissant toutes les renseignements qu’elle sollicitait (article 106 de la loi no 272/2004).

72. Les autres dispositions pertinentes de la loi no 272/2004 en vigueur à l’époque des faits se lisent comme suit dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

Article 2

« (1) La présente loi, tout autre document adopté dans le domaine du respect et de la promotion des droits de l’enfant, ainsi que tout acte juridique émis ou, le cas échéant, conclu dans ce domaine, sont subordonnés en priorité au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

(2) Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant s’impose même à l’égard des droits et obligations qui reviennent aux parents des enfants, (...).

(3) Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant prévaut dans toutes les démarches et décisions concernant l’enfant, prises par les autorités publiques et par les organismes privés autorisés, ainsi que dans les affaires solutionnées par les juridictions. (...) »

Article 32

« L’enfant a le droit d’être élevé dans des conditions qui permettent son développement physique, mental, spirituel, moral et social. Dans ce but, les parents sont tenus de :

a) surveiller l’enfant ;

b) coopérer avec l’enfant et respecter sa vie intime, privée et sa dignité ;

(...o)

d) prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les droits de leur enfant ;

e) coopérer avec les personnes physiques et avec les personnes morales qui exercent des attributions dans le domaine du soin, de l’éducation et de la formation professionnelle de l’enfant. »

Article 33

« L’enfant ne peut pas être séparé de ses parents ou de l’un d’entre eux contre la volonté de ces derniers, à l’exception des situations expressément et limitativement prévues par la loi, sous réserve d’une révision judiciaire et uniquement si [cette mesure est imposée] par le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

Article 36

« (1) S’il y a des raisons fondées de suspecter que la vie et la sécurité de l’enfant sont en danger dans la famille, les représentants du service public d’assistance sociale (...) ont le droit de visiter les enfants à leur domicile et se renseigner sur la manière dont ils sont soignés, sur leur santé et leur développement physique, [sur leur] éducation, enseignement et formation professionnelle, en fournissant, si besoin, les conseils nécessaires.

(2) Si, à la suite des visites effectuées conformément au alinéa (1), il est constaté que le développement physique, mental, spirituel, moral ou social de l’enfant est menacé, le service public d’assistance sociale est obligé de saisir immédiatement la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant afin de prendre les mesures prévues par la loi. (...) »

Article 55

« Les mesures de protection spéciale de l’enfant sont :

a) le placement ;

b) le placement en urgence ;

c) la surveillance spécialisée. »

Article 56

« Les mesures de protection spéciale, instituées par la présente loi, bénéficient à :

(...)

c) l’enfant maltraité ou délaissé ;

(...) »

Article 58

« (1) Le placement de l’enfant constitue une mesure de protection spéciale, à caractère temporaire, qui peut être ordonnée, dans les conditions de la présente loi, selon le cas, auprès : (...)

b) d’un assistant maternel ;

c) d’un service de type résidentiel (...). »

Article 60

« (1) Le placement de l’enfant qui n’a pas atteint l’âge de deux ans ne peut être ordonné que dans la famille élargie ou de substitution, son placement dans un service de type résidentiel étant interdit. (...)

(3) Lors de la prise de la mesure de placement, [les aspects suivants] seront recherchés :

a) le placement de l’enfant, en priorité, dans la famille élargie ou la famille de substitution ;

b) la non-séparation des frères et sœurs ;

c) la nécessité de faciliter l’exercice par les parents de leur droit de visite de l’enfant et du maintien des liens entre eux. »

Article 65 (2)

« La mesure de placement en urgence est ordonnée par le tribunal dans les conditions prévues par l’article 94 troisième alinéa [lorsque les parents ou le représentant légal n’ont pas donné leur accord]. »

Article 66 (2)

« Le tribunal examine les motifs qui ont fondé la mesure adoptée par la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant et se prononcera, selon le cas, sur le maintien de la mesure de placement en urgence ou [sur] son remplacement par la mesure de placement (...). »

Article 68

« (1) Les circonstances qui ont entouré la prise de la mesure de protection spéciale ordonnée par (...) le tribunal doivent être vérifiées tous les trimestres par la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant.

(2) Lorsque les circonstances prévues à alinéa (1) ont changé, la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant est tenue de saisir immédiatement (...) le tribunal, afin de modifier ou, selon le cas, mettre fin à ladite mesure. (...) »

Article 89 (2)

« Par le délaissement de l’enfant on comprend l’omission, volontaire ou involontaire, par une personne qui a la responsabilité de élever, de prendre soin [de lui] ou d’éduquer l’enfant, de prendre toute mesure découlant de cette responsabilité, ce qui met en danger la vie, le développement physique, mental, spirituel, moral ou social, l’intégrité corporelle, la santé physique ou psychique de l’enfant. »

Article 92

« Afin d’assurer la protection spéciale de l’enfant (...) délaissé, la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant est tenue :

a) de vérifier et solutionner toutes les saisies concernant des cas d’abus et de délaissement (...) ; »

Article 94 (3)

« Lorsque les personnes mentionnées à l’alinéa (1) [les représentants légaux de l’enfant] refusent ou empêchent par tout moyen la réalisation des vérifications par les représentants de la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant, et [lorsque] ces derniers établissent qu’il existe des raisons fondées de croire à l’existence d’une situation de danger imminent pour l’enfant, due à la maltraitance ou au délaissement, la direction générale d’assistance sociale et de protection de l’enfant saisit le tribunal, en demandant qu’une ordonnance en référé soit rendue pour le placement de l’enfant en urgence (...). »

B. Les documents internationaux pertinents

1. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant

73. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 novembre 1989, prévoit notamment ce qui suit :

Article 27

« 1. Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social.

2. C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant.

3. Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement.

(...) »

2. Autres documents

74. L’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le 24 février 2010, une résolution intitulée « Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants » dont les dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

« 14. Le retrait de l’enfant à sa famille doit être considéré comme une mesure de dernier recours qui devrait être, dans la mesure du possible, temporaire et de la durée la plus courte possible. Les décisions de retrait devraient être régulièrement réexaminées et le retour de l’enfant auprès de ses parents, une fois que les problèmes à l’origine de la décision de retrait ont été résolus ou ont disparu, devrait se faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’évaluation évoquée au paragraphe 49 ci-après.

15. La pauvreté financière ou matérielle, ou des conditions uniquement et exclusivement imputables à cet état de pauvreté, ne devraient jamais servir de justification pour retirer un enfant à la garde de ses parents, pour placer un enfant sous protection de remplacement ou pour empêcher sa réintégration. Elles devraient plutôt être interprétées comme un signe qu’il convient d’apporter une assistance appropriée à la famille. (...)

33. Les États devraient élaborer et appliquer des politiques cohérentes et complémentaires, axées sur la famille, pour promouvoir et renforcer l’aptitude des parents à s’occuper de leurs enfants.

(...) »

75. La Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, le 26 janvier 2015, la Résolution 2049 (2015) intitulée « Services sociaux en Europe : législation et pratiques de retrait d’enfants de leurs familles dans les États membres du Conseil de l’Europe », dont la partie pertinente en l’espèce se lit ainsi :

« 5. La pauvreté financière et matérielle ne devrait jamais servir d’unique motif pour retirer la garde d’un enfant à ses parents : elle devrait plutôt être interprétée comme le signe qu’il faudrait apporter une assistance appropriée à la famille. De plus, il ne suffit pas de démontrer qu’un enfant pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique à son éducation pour pouvoir le retirer à ses parents, et encore moins pour pouvoir rompre complètement les liens familiaux. »

76. Conformément à l’article 44 de la Convention internationale des droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a examiné les troisième et quatrième rapports périodiques de la Roumanie, soumis en un seul document (CRC/C/ROM/4), lors de ses 1415e et 1416e séances, tenues le 5 juin 2009, et a adopté lors de sa 1425e séance, le 12 juin 2009, les observations finales sur ces rapports, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

« (...) 30. Le Comité, tout en relevant que certains progrès ont été enregistrés, demeure préoccupé par le fait que l’État partie continue de figurer parmi les pays ayant les plus hauts taux de mortalité infanto-juvénile en Europe, en raison des taux élevés de mortalité des nourrissons et des enfants de moins de 5 ans, notamment dans les zones rurales. Le Comité est préoccupé en outre de la faiblesse du poids des nouveau-nés à la naissance en comparaison avec d’autres pays d’Europe, ce qui est signe de malnutrition et d’anémie chez les enfants. Le Comité relève que la mortalité et la morbidité infantiles et postinfantiles ont été attribuées à des carences dans l’alimentation de la mère et de l’enfant, à un sevrage prématuré, à une négligence parentale et à la faible qualité des services médicaux.

31. Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts pour traiter les causes profondes de la mortalité et de la malnutrition infantiles et postinfantiles, notamment celles associées aux mauvaises conditions d’accès aux services de santé, à la pauvreté et au faible niveau d’instruction des familles roms et des familles vivant dans les zones rurales. Le Comité encourage en particulier l’État partie à mettre davantage l’accent sur les services prénatals et postnatals en accordant une attention spéciale aux communautés défavorisées, et à mettre au point des programmes d’apprentissage du rôle de parent, mettant l’accent sur les effets positifs de l’allaitement maternel, d’un régime alimentaire nutritif pour la mère et l’enfant, et d’une hygiène appropriée sur le développement et la survie du jeune enfant.

(...)

74. Le Comité se félicite du « Programme de mise en œuvre du Plan national de lutte contre la pauvreté et pour la promotion de l’insertion sociale (PNAinc) pour 2006-2008 » adopté par l’État partie. Il relève également que, au titre de l’article 44 de la loi no 272/2004, les enfants ont droit à un niveau de vie décent comme prévu au premier paragraphe de l’article 47 de la Constitution. Toutefois, le Comité est préoccupé par le fait que, selon les statistiques, les enfants sont particulièrement vulnérables face à la pauvreté. Il se dit également inquiet du fait que, malgré la baisse de la pauvreté chez les Roms enregistrée entre 2003 et 2006, le risque de pauvreté dans la population rom demeure quatre fois plus élevé que pour la population majoritaire.

75. Le Comité tient à souligner qu’un niveau de vie suffisant est indispensable au développement physique, mental, spirituel, moral et social de l’enfant. Conformément à l’article 27 de la Convention, le Comité recommande à l’État partie :

a) d’intensifier les programmes de soutien aux enfants dans le besoin, notamment en ce qui concerne la nutrition, l’habillement, la scolarité et le logement ;

b) d’élaborer les principes directeurs d’une politique globale de fourniture des services sociaux viables requis pour résoudre la situation complexe des enfants roms et de leur famille. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

77. Les requérants se plaignent, d’une part, que leurs enfants ont été placés de manière injustifiée et, d’autre part, par une lettre du 12 avril 2012, qu’il leur a été impossible d’obtenir leur réintégration au sein de leur famille, étant donné le rejet de leur action par l’arrêt définitif du 20 mars 2012 de la cour d’appel de Bucarest. Ils invoquent en substance l’article 8 de la Convention, qui se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

78. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de la partie du grief concernant le placement en urgence des enfants pour non-épuisement des voies de recours internes : il indique à cet égard que les requérants n’ont pas formé de recours contre les jugements rendus le 6 avril 2011.

79. Les requérants n’ont pas présenté d’observations sur ce point.

80. La Cour rappelle que, selon l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées avant que celles-ci ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, par exemple, Gherghina c. Roumanie (déc.) [GC], no 42219/07, §§ 83-84, 9 juillet 2015, et Soares de Melo c. Portugal, no 72850/14, § 68, 16 février 2016).

81. En l’espèce, la Cour constate que les requérants, en omettant de former un recours contre les jugements du 6 avril 2011 ordonnant le placement en urgence de leurs enfants, n’ont pas fait usage de la voie ordinaire de recours. Dès lors, la partie du grief concernant le placement en urgence des enfants des requérants doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

82. Pour ce qui est de la partie du grief concernant le remplacement de la mesure de placement en urgence par la mesure de placement temporaire et le maintien de celle-ci par l’arrêt du 20 mars 2012 de la cour d’appel, la Cour constate qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, elle la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les observations des parties

a) Les requérants

83. Les requérants soutiennent que leurs enfants ont été placés de manière abusive alors qu’ils disposaient des conditions nécessaires pour les élever. Ils se plaignent que, malgré l’amélioration de leur situation, les autorités internes ont rejeté leur demande de réintégration des enfants au domicile familial. Ils renvoient à cet égard aux décisions rendues par les juridictions nationales dans le cadre de leur demande de réintégration des enfants dans la famille (paragraphes 41 à 54 ci-dessus).

b) Le Gouvernement

84. Le Gouvernement admet que le placement des enfants constitue une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de la vie familiale. Cela étant, il estime que cette ingérence était justifiée.

85. À cet égard, il relève d’abord que la décision de placement en urgence des enfants a été prise par les autorités internes à la suite d’une plainte de la requérante elle-même (paragraphe 9 ci-dessus). Il indique que, par la suite, les autorités compétentes ont examiné la situation de la famille des requérants et ont décidé de la surveiller régulièrement, par le biais d’enquêtes sociales, dont les conclusions étaient selon lui inquiétantes (paragraphes 12 à 19 ci-dessus). Il indique ensuite que, avant que la mesure de placement ne soit prise, les requérants ont bénéficié de conseils sur la psychologie et l’éducation en vue de faciliter l’accomplissement des obligations parentales et que ces derniers ont été informés des conséquences de la négligence sur le développement des enfants et de la possibilité de voir leurs droits parentaux restreints en cas de constat d’abus ou de négligence. Il déclare que, malgré ces mesures, aucune amélioration de la situation des enfants n’a été constatée et que les juridictions internes ont alors ordonné le placement des enfants.

86. Pour ce qui est du rejet de l’action des requérants tendant à la réintégration des enfants dans la famille, le Gouvernement expose que les juridictions internes ont dû examiner les défaillances qui avaient justifié le placement des enfants et la manière dont les requérants y ont remédié. Il indique que, pour rejeter la demande des requérants, les juridictions internes se sont fondées non seulement sur la situation matérielle des intéressés, mais également sur d’autres éléments, comme leurs capacités psychiques et éducatives et les progrès de développement réalisés par les enfants pendant leur placement. Il considère qu’il ressort du libellé des décisions rendues que les juridictions internes ont été guidées, dans leurs décisions, par l’intérêt supérieur des enfants.

87. Le Gouvernement insiste sur le caractère temporaire de la mesure de placement et indique que, dès la mise en place de celle-ci, les requérants ont été encouragés à maintenir des relations avec leurs enfants et informés des démarches à faire afin d’obtenir la réintégration des enfants dans la famille. Il soutient que la réunification de la famille a toujours été une priorité pour les autorités et que, au moment où celles-ci ont constaté que les conditions familiales étaient propices au développement des enfants, elles ont elles‑mêmes demandé le retour des enfants auprès de leurs parents.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

88. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 58, CEDH 2002-I) : des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001-VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 précité sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre (Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000-IX). La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).

89. Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », il convient donc d’analyser, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués à l’appui de la mesure en cause étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention (Soares de Melo, précité, § 88). À cette fin, la Cour tiendra compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave dans le droit au respect de la vie familiale ; une mesure menant à pareille situation doit donc reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et d’un poids et d’une solidité suffisants (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII). L’éloignement de l’enfant du contexte familial est une mesure extrême à laquelle on ne devrait avoir recours qu’en tout dernier ressort (Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 136, CEDH 2010).

90. Cela étant, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de la prise en charge des enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Wallová et Walla c. République tchèque, no 23848/04, § 70, 26 octobre 2006, et Couillard Maugery, précité, § 242).

91. Dans ce contexte, la Cour rappelle que le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (K. et T. c. Finlande, précité, § 173, et Kutzner, précité, § 69). De surcroît, l’article 8 de la Convention met à la charge de l’État des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (Kutzner, précité, § 61).

92. La Cour rappelle aussi que, si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, le point décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, CEDH 2007-XIII), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (voir, dans ce sens, Gnahoré, précité, § 59) pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003-VIII). Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect de ces obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention et à la Cour de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, les autorités internes ont respecté les garanties de l’article 8, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (Soares de Melo, précité, § 92).

b) Application de ces principes en l’espèce

93. En l’espèce, il ne prête pas à controverse devant la Cour que la mesure de placement temporaire des sept enfants des requérants, le maintien de cette mesure et le fait d’avoir retiré aux intéressés l’autorité parentale sur tous leurs enfants ont constitué une « ingérence » dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie familiale. Fondées sur les articles 66 et 68 de la loi no 272/2004, les mesures litigieuses étaient « prévues par la loi ».

94. Il ressort également des motifs retenus par les juridictions internes que les décisions dénoncées par les requérants avaient pour objectif la sauvegarde des intérêts des enfants. L’ingérence litigieuse poursuivait donc un but légitime prévu par l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir « la protection des droits et libertés d’autrui ».

95. Il reste à déterminer si les mesures étaient « nécessaires dans une société démocratique » pour atteindre le but légitime poursuivi dans les circonstances particulières de l’affaire.

96. En l’espèce, la Cour examinera dans un premier temps les motifs qui justifiaient, selon les juridictions nationales, le placement temporaire des enfants des requérants et le maintien de cette mesure avant de se pencher sur les actions des autorités tendant à réunir les parents et leurs enfants.

i. Sur la mesure de placement des enfants des requérants et son maintien

97. La Cour estime qu’elle doit examiner la mesure litigieuse dans le contexte plus général de l’affaire, en tenant compte tant des faits qui l’ont précédée que de ceux qui l’ont suivie et qui ont abouti à la réintégration des enfants dans leur famille.

98. À cet égard, elle observe que la famille des requérants a fait l’objet d’un premier signalement à la DGASPC en septembre 2010 (paragraphe 11 ci-dessus) à la suite d’une plainte adressée par la requérante au président de la Roumanie, plainte qui s’était avérée sans fondement (paragraphes 9 et 10 ci-dessus). Elle constate que, par la suite, la DGASPC, avec le soutien du SPAS, a évalué la situation de la famille et a formulé des recommandations à suivre par les requérants afin d’éviter le délaissement de leurs enfants (paragraphe 13 ci-dessus). Elle ajoute que, au même moment, la DGASPC a informé les requérants des éventuelles mesures légales qui pouvaient être ordonnées conformément à la loi afin de protéger les intérêts des enfants (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour accorde de l’importance au fait que, dès qu’ils ont commencé à surveiller les requérants, les services sociaux ont identifié et distingué les carences matérielles de la famille des défaillances parentales des intéressés (paragraphe 13 et 26 ci-dessus ; voir, a contrario, Saviny c. Ukraine, no 39948/06, § 58, 18 décembre 2008).

99. La Cour note ensuite qu’un suivi périodique de la famille des requérants a été mis en place afin d’observer la manière dont les intéressés entendaient satisfaire aux recommandations de la DGASPC et afin de leur fournir des conseils quant à leurs responsabilités parentales. Elle remarque que le SPAS a étendu son enquête à l’entourage de la famille des requérants et n’a pas fondé ses rapports exclusivement sur les constats des services sociaux et sur les interactions de ces derniers avec les intéressés (paragraphe 19 ci-dessus ; voir, pour une situation différente, Saviny précité, § 56, où la Cour a mis en évidence le fait que les conclusions concernant l’état des enfants étaient fondées exclusivement sur les constats des autorités locales sans que ceux-ci ne soient corroborés par d’autres preuves). Faute d’action concrète de la part des requérants et de collaboration de leur part avec les autorités, sur demande de la DGASPC, par deux jugements du 6 avril 2011, le tribunal a ordonné le placement en urgence des enfants (paragraphe 22 ci-dessus), et que les enfants ont effectivement été enlevés à leurs parents le 4 août 2011 (paragraphe 24 ci-dessus).

100. La Cour relève que le placement en urgence des enfants a été remplacé par une mesure de placement temporaire par deux jugements du tribunal départemental du 7 septembre 2011 (paragraphe 30 ci-dessus), cette dernière mesure étant maintenue par l’arrêt définitif de la cour d’appel du 20 mars 2012 (paragraphe 49 ci-dessus).

α) Sur les raisons ayant justifié le placement temporaire des enfants

101. La Cour note que, dans le cadre de la procédure qui a abouti au placement temporaire des enfants (paragraphes 30 à 32 ci-dessus), les juridictions internes avaient reproché aux intéressés de ne pas offrir des conditions matérielles adéquates à leurs enfants. Elle relève que les tribunaux internes avaient également noté que les intéressés étaient négligents quant à l’état de santé et au développement éducationnel et social des enfants et, enfin, qu’ils avaient reproché aux requérants un manque de coopération avec les services sociaux.

102. Pour ce qui était de l’état d’indigence des requérants, motif retenu avec constance tant par la DGASPC que par les juridictions nationales pour justifier la nécessité de placer temporairement les enfants, la Cour rappelle que telle raison ne peut pas constituer le seul motif servant de base à la décision des tribunaux nationaux (R.M.S. c. Espagne, no 28775/12, § 84, 18 juin 2013).

103. La Cour observe ensuite que, en l’espèce, les capacités éducatives et pédagogiques des requérants et la manière dont ils satisfaisaient à leur devoir d’assurer la sécurité de leurs enfants ont été mises en cause. En effet, les services sociaux, qui suivaient la famille régulièrement, ont mis en évidence dans leurs rapports de faibles retards de développement et des troubles du langage chez tous les enfants. Ces retards et ces troubles auraient été causés par l’absence de stimulation cognitive et par des contacts réduits avec les autres (paragraphes 26 et 34 ci-dessus). Les rapports en question faisaient également état de comportements anxieux de la part des enfants (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) ; cette anxiété leur a été transmise, d’après le tribunal départemental, par leurs parents (paragraphe 31 ci‑dessus). De même, l’état de santé du plus jeune enfant était inquiétant lors de sa prise en charge par les autorités (paragraphe 25 ci-dessus). Compte tenu de ces constats établis par des spécialistes à la suite d’un examen direct des enfants, la Cour reconnaît que, en l’occurrence, les autorités ont légitimement pu avoir des craintes quant aux retards de développement et dans l’apprentissage constatés chez les enfants par les services sociaux.

104. Elle note également que, avant de proposer le placement des enfants, les services sociaux ont suivi la famille des requérants et ont essayé de conseiller ces derniers quant aux mesures à prendre pour améliorer leur situation et celle des enfants. Toutefois, d’après les rapports établis, les intéressés faisaient preuve d’une certaine hostilité à l’égard des travailleurs sociaux, laquelle avait mis à mal la coopération entre eux et les services sociaux (paragraphe 26 ci-dessus ; voir, pour une situation contraire, Saviny précité, §§ 14-16, où les requérants ont sollicité eux-mêmes, sans succès, l’aide des autorités). La Cour souligne que certes, afin de protéger les enfants, il est toujours souhaitable d’envisager des mesures moins radicales que leur séparation d’avec leurs parents. Cela étant, elle considère que, dans la présente affaire, compte tenu du manque de coopération des parents, il était difficile pour les autorités de suivre la situation des enfants et de leur apporter le soutien nécessaire.

105. La Cour constate donc que, en l’espèce, les juridictions nationales n’avaient pas fondé leurs décisions ordonnant le placement temporaire des enfants uniquement sur les constatations de carences matérielles des requérants. Dans ces conditions et au vu de l’intérêt évidemment primordial des enfants, la Cour estime que la mesure de placement temporaire ne saurait être remise en cause sur le fondement de l’article 8 de la Convention.

β) Sur le maintien de la mesure de placement temporaire

106. Après le placement temporaire des enfants, un contrôle par les juridictions compétentes de la nécessité du maintien de la mesure en question a eu lieu six mois après sa mise en place, à la demande des requérants (paragraphe 43 ci-dessus). La DGASPC a insisté sur la nécessité du maintien de cette mesure, tout en prenant en compte les améliorations constatées dans la situation des intéressés, en expliquant pour quelles raisons la mesure était, selon elle, justifiée (paragraphes 40 à 44 ci-dessus). Par un arrêt du 20 mars 2012, la cour d’appel a maintenu le placement temporaire, toujours dans l’intérêt des enfants, alors que les requérants présentaient des signes d’amélioration de leurs conditions de vie matérielles et avaient commencé à coopérer avec les autorités (paragraphes 38 et 39 ci‑dessus).

107. La Cour note d’emblée que les requérants ne dénoncent pas devant elle une éventuelle méconnaissance des garanties procédurales dans le cadre de la procédure ayant abouti au maintien de la mesure de placement.

108. Dans le cadre de cette procédure, de nouveaux rapports attestant de la situation actualisée des requérants, qui avaient cherché à améliorer leur situation après s’être vu retirer leurs enfants, ont été versés au dossier (paragraphes 38 et 42 ci-dessus).

109. Il est vrai que, selon le libellé du jugement rendu par le tribunal départemental, cette juridiction a principalement fondé sa décision sur les carences matérielles des requérants et sur leur absence de ressources (paragraphe 45 ci-dessus). Toutefois, ce jugement a été complété par l’arrêt de la cour d’appel qui a amplement motivé la nécessité du maintien de la mesure de placement (paragraphes 49 à 54 ci-dessus). Pour rendre son arrêt, la cour d’appel s’est penchée sur l’ensemble des faits qui lui ont été soumis et elle a comparé la situation de la famille lors du placement des enfants avec celle des requérants lors de l’examen de l’affaire, tant pour ce qui était des conditions matérielles de vie des intéressés que de l’évolution des relations entre les requérants et leurs enfants et de la collaboration des intéressés avec les services sociaux (voir paragraphes 50 et suivants ci‑dessus, et, a contrario, Soares de Melo, précité, § 115).

110. En effet, la cour d’appel a pris en compte l’évolution positive de l’état de tous les enfants depuis leur placement (paragraphe 51 ci-dessus), le maintien du contact entre les requérants et leurs enfants et les efforts des intéressés pour rendre visite à leurs enfants (paragraphe 52 ci-dessus). Après avoir noté que les requérants avaient amélioré leur situation matérielle, la cour d’appel a déclaré que celle-ci devait l’être encore davantage (paragraphe 53 ci-dessus). Toutefois, comme pour la mesure de placement temporaire des enfants, dans la présente procédure, les carences matérielles des requérants n’étaient pas le seul aspect pris en compte par la cour d’appel pour décider de la nécessité de maintenir cette mesure. Elle a également examiné l’évolution de la collaboration entre les requérants et les services sociaux quant à leur responsabilité parentale (paragraphe 53 ci-dessus).

111. La Cour constate que, dans son rapport du 14 février 2012 (paragraphe 42 ci-dessus), le SPAS a proposé à la DGASPC de réintégrer les enfants dans la famille et que cette dernière n’a pas suivi cet avis. Cela étant, il convient de noter que le rapport du 14 février 2012 a été versé au dossier devant les juridictions internes, qui ont pu prendre leur décision à la lumière de l’ensemble des pièces du dossier : la cour d’appel a clairement constaté une amélioration des conditions de vie matérielles des requérants, mais elle a toutefois jugé, sur la base des preuves et des rapports actualisés, que les intéressés n’avaient pas encore satisfait à toutes les recommandations de la DGASPC et que leur comportement ne permettait pas d’établir qu’ils assumaient la responsabilité d’élever leurs enfants en toute sécurité. Ainsi, la cour d’appel a expliqué les raisons qui la faisait suivre la position de la DGASPC plutôt que celle du SPAS (paragraphe 53 ci-dessus).

112. Dès lors, la Cour considère qu’il ressort clairement des faits de l’affaire que tant la DGASPC que les juridictions internes étaient soucieuses non seulement de l’amélioration des conditions matérielles de la famille mais aussi de la prise de conscience des requérants de leur rôle de parents. Partant, la Cour estime que le maintien de la mesure de placement a été justifié par des motifs « pertinents et suffisants ».

ii. Sur les mesures propres à réunir la famille

113. La Cour rappelle tout d’abord que la décision de prise en charge doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent biologique et l’enfant. L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais elle doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (K. et T. c. Finlande, précité, § 178).

114. La Cour observe à titre liminaire que la mesure ordonnée en l’espèce visait une prise en charge temporaire des enfants des requérants. De surcroît, les six enfants les plus âgés ont été placés ensemble dans le même centre d’accueil afin de maintenir les liens fraternels (voir, pour une situation différente, Saviny, précité, § 59, où les enfants ont été séparés et placés dans des centres de placements différents). En raison de son âge, le plus jeune des enfants a été placé, conformément aux normes légales applicables, chez une assistante maternelle (paragraphes 24 et 72 ci-dessus).

115. La Cour souligne ensuite qu’il ressort du dossier que le développement et la santé des enfants se sont améliorés pendant la durée de leur placement (paragraphes 51 et 60 ci-dessus) et que leur situation a été suivie de près et à intervalles rapprochés par les services sociaux.

α) Les contacts entre les requérants et leurs enfants

116. La Cour note que, en l’espèce, d’après les pièces du dossier, aucune interdiction de rendre visite à leurs enfants n’a été imposée aux requérants pendant la durée de la mesure de placement. Elle relève que, d’ailleurs, la nécessité de maintenir le contact entre les requérants et leurs enfants a été une préoccupation constante des autorités et que l’évolution de leur relation était un élément à prendre en considération par les juridictions nationales (paragraphes 52, 63 et 69 ci-dessus) et les services sociaux (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) dans leur décision d’ordonner et de maintenir la mesure de placement temporaire.

117. La Cour observe ensuite que les autorités internes ont pris les mesures nécessaires pour s’assurer que les visites entre les requérants et leurs enfants se déroulaient dans une atmosphère propice au développement des liens familiaux (paragraphe 52 ci-dessus). Pour ce qui est de la régularité de ces visites, la Cour remarque que, lors de l’enquête réalisée en janvier 2012, les intéressés ont informé la DGASPC qu’ils ne bénéficiaient pas de ressources suffisantes pour rendre visite plus souvent à leurs enfants (paragraphe 38 ci-dessus). Par la suite, ils ont invoqué de mauvaises conditions météorologiques pour expliquer leur impossibilité de rendre visite à leurs enfants (paragraphe 42 ci-dessus). En tout état de cause, la Cour note que, après avoir été chargé de continuer à suivre la situation des intéressés, la mairie a, dès le mois d’avril 2012, fourni aux requérants le combustible nécessaire pour leurs déplacements afin de rendre visite à leurs enfants tous les mois (paragraphe 55 ci-dessus).

118. La Cour note que les contacts téléphoniques ont été maintenus et que ceux avaient lieu à l’initiative des requérants (paragraphes 52 et 55 ci‑dessus).

119. La Cour constate enfin que les services sociaux ont veillé à préparer le retour des enfants auprès de leurs parents en organisant une rencontre entre le plus jeune enfant, ses frères et sœurs et ses parents (paragraphe 61 ci-dessus). De même, ils ont permis aux enfants les plus âgés de passer leurs vacances d’été dans la famille (paragraphe 67 ci‑dessus).

120. Dès lors, la Cour estime que les autorités ont toujours fait de réels efforts pour maintenir les liens entre les enfants et leurs parents.

β) Les mesures visant à l’amélioration de la situation des requérants

121. La Cour observe que les services sociaux ont essayé de suivre la situation des requérants et de les conseiller sur les démarches à accomplir afin d’améliorer leur situation financière et leurs compétences parentales.

122. Elle relève que, pour ce qui est du soutien financier, les services sociaux relevant de la mairie ont recommandé au requérant de faire les démarches nécessaires pour établir son domicile à Mănăstirea afin de permettre aux autorités locales compétentes d’évaluer sa situation et de lui proposer des aides. Ils ont également accordé une aide financière à la requérante afin de réparer le toit de la maison et construire des toilettes (paragraphes 55 et 56 ci-dessus), aspects jugés encore comme étant défaillants par la cour d’appel dans son arrêt du 20 mars 2012 (paragraphe 53 ci-dessus) et dangereux pour la sécurité des enfants à la maison. De même, comme il a déjà été indiqué plus haut, ils ont fourni aux requérants le carburant nécessaire pour rendre visite régulièrement à leurs enfants (paragraphe 55 ci-dessus).

123. Pour ce qui était de l’amélioration des capacités parentales des requérants, la Cour note que les services sociaux ont essayé régulièrement de conseiller les intéressés sur leurs obligations visant à assurer le développement et l’éducation de leurs enfants. Ils ont insisté sur la réalisation d’une évaluation des besoins des requérants afin de comprendre et d’assurer les besoins de leurs enfants et ont proposé aux intéressés des conseils adéquats (paragraphes 39 et 57 ci-dessus).

124. La Cour constate donc que les autorités nationales ont fait des efforts pour faciliter la réunion des enfants avec leurs parents : elles ont suivi régulièrement la situation de la famille et des enfants et, dès que les requérants se sont montrés prêts à coopérer avec elles, des mesures concrètes ont été prises, dans un bref délai, pour répondre aux conditions imposées par la DGASPC pour obtenir le retour des enfants. Les autorités internes ont fait preuve d’une attitude constructive dès que des signes d’amélioration de la situation des intéressés se sont fait sentir et ont proposé la réintégration des enfants dans la famille.

125. Dans ces circonstances, la Cour ne peut que conclure que les autorités ont pris, pour faciliter le retour des enfants auprès des requérants, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles.

c) Conclusion

126. En l’espèce, la Cour est satisfaite que le placement temporaire des enfants des requérants était inspiré par des motifs non seulement pertinents mais encore suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. De même, il ressort de l’ensemble de l’affaire que, dès sa mise en place, la mesure de placement était destinée à avoir un caractère temporaire. La Cour estime que, en suivant de près la situation des enfants et des requérants, les autorités compétentes ont toujours visé à garantir l’intérêt des enfants, tout en s’efforçant de ménager un juste équilibre entre les droits des requérants et ceux des mineurs.

127. Partant, la Cour conclut que l’ingérence dans le droit des requérants était « nécessaire dans une société démocratique » et qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable le grief concernant le remplacement de la mesure de placement en urgence par la mesure de placement temporaire et le maintien de celle-ci par l’arrêt du 20 mars 2012 de la cour d’appel et irrecevable le restant de la requête ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliGanna Yudkivska
GreffièrePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-177940
Date de la décision : 24/10/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes;Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Parties
Demandeurs : ACHIM
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ACHIM A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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