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07/07/2020 | FRANCE | N°19/05774

France | France, Cour d'appel de Versailles, 4e ch. expropriations, 07 juillet 2020, 19/05774


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 70H



4ème chambre expropriations



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 7 JUILLET 2020



N° RG 19/05774 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TML5



AFFAIRE :



SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE DEPARTEMENTALE POUR L'AME- NAGEMENT DU VAL D'OISE SEMAVO





C/

Société DESROUSSEAUX WATINE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Avril 2019 rectifié le 5 juin 2019 par le juge de l'expropri

ation de PONTOISE



RG n° : 19/12 - 19/27



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Miguel BARATA



Me Martine DUPUIS



M. [O] [J] Commissaire du Gouvernement



+



Parties


...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 70H

4ème chambre expropriations

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 7 JUILLET 2020

N° RG 19/05774 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TML5

AFFAIRE :

SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE DEPARTEMENTALE POUR L'AME- NAGEMENT DU VAL D'OISE SEMAVO

C/

Société DESROUSSEAUX WATINE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Avril 2019 rectifié le 5 juin 2019 par le juge de l'expropriation de PONTOISE

RG n° : 19/12 - 19/27

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Miguel BARATA

Me Martine DUPUIS

M. [O] [J] Commissaire du Gouvernement

+

Parties

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT JUILLET DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE DEPARTEMENTALE POUR

L'AMENAGEMENT DU VAL D'OISE SEMAVO

Ayant son siège [Adresse 7]

[Adresse 4]

[Adresse 6]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Miguel BARATA de l'AARPI BARATA CHARBONNEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2608

APPELANTE

****************

Société DESROUSSEAUX WATINE

Ayant son siège [Adresse 1]

[Localité 10]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 1962388 - vestiaire : 625

Représentant : Maître Isabelle ENARD-BAZIRE, de la SELARL EBC Avocats, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE

****************

Les fonctions du COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT étant exercées par Monsieur [O] [J], direction départementale des finances publiques.

Composition de la cour :

L'affaire était fixée à l'audience publique du 10 juin 2020 pour être débattue devant la cour, composée de :

Madame Laurence ABGRALL, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseillère,

Madame Marie-Pierre BAGNERIS, Conseillère.

En application de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020, portant, notamment, adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, il a été décidé par le président que la procédure susvisée se déroulerait sans audience.

Les parties en ont été avisées par le greffe le 17 avril 2020 et ces dernières ne s'y sont pas opposées dans le délai de quinze jours.

Ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi.

Greffier : Madame Françoise DUCAMIN

FAITS ET PROCEDURE,

Par arrêté du 13 novembre 2015, le préfet du Val d'Oise a déclaré d'utilité publique au profit de la société d'économie mixte départementale pour l'aménagement du Val d'Oise (ci-après "la SEMAVO"), l'acquisition de parcelles sur le territoire de la commune de [Localité 10] aux fins d'aménagement de la ZAC Sud Roissy, destinée au développement d'un programme dédié au tourisme d'affaires, à proximité de l'aéroport [9].

Par ordonnance du 21 octobre 2016, le juge de l'expropriation du Val d'Oise a prononcé, au profit de la SEMAVO, le transfert de propriété des parcelles nécessaires à la réalisation de ce projet, dont celle cadastrée section AL n° [Cadastre 3] située [Adresse 2] appartenant aux consorts [N] et exploitée par la société Desrousseaux Watine.

En l'absence d'accord entre les parties sur le montant de l'indemnité d'éviction devant revenir à l'exploitant, la SEMAVO a saisi le juge en fixation de cette indemnité.

Par jugement du 18 avril 2019, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise a :

-Pris acte du désistement de la société Desrousseaux Watine de sa demande tendant à voir déclarer irrégulière la saisine du juge de l'expropriation par la SEMAVO,

-Fixé à 582 698 euros (cinq cent quatre-vingt deux mille six cent quatre vingt dix huit euros), l'indemnité due à la société Desrousseaux Watine par la SEMAVO, au titre de l'éviction du fonds de commerce qu'elle exploite à [Localité 10], [Adresse 2] se décomposant comme suit :

*indemnité principale : 429 408 euros,

*indemnité pour frais de remploi : 41 790 euros,

*indemnité pour frais de déménagement : 105 000 euros,

*indemnité pour frais de cessation d'activité : 6 500 euros,

-Sursis à statuer sur les indemnités de licenciement,

-Débouté la société Desrousseaux Watine du surplus de ses demandes,

-Condamné la SEMAVO à payer à la société Desrousseaux Watine la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamné la SEMAVO aux dépens.

Par jugement rectificatif du 5 juin 2019, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise a :

-Rectifié le jugement rendu le 18 avril 2019 (RG 19/12) par le juge de l'expropriation près tribunal de grande instance de Pontoise en disant qu'il convenait de remplacer les paragraphes en page 10 et 12 et également le dispositif rédigé initialement de la manière suivante :

Page 10 (valeur du droit au bail) :

Au lieu de :

"En conclusion, la valeur du droit au bail afférent au fonds concerné est de :

72 euros x 994 m² x 6 = 429 408 euros",

Lire :

"En conclusion, la valeur du droit au bail afférent au fonds concerné est de :

61,41 euros x 994 m² x 6 = 366 249,24 euros",

Page 12 (indemnité principale allouée) :

Au lieu de :

"Il résulte des développements qui précèdent que la valeur du droit au bail est de 429 408 euros et celle de l'indemnité d'éviction est de 145 069 euros.

Compte tenu de la jurisprudence constante, selon laquelle la valeur du droit au bail doit être la valeur minimale de l'indemnité d'éviction, il échet d'allouer à la société Desrousseaux Watine une indemnité principale de 429 408 euros."

Lire :

"Il résulte des développements qui précèdent que la valeur du droit au bail est de 366 249,24 euros et celle de l'indemnité d'éviction est de 145 069 euros.

Compte tenu de la jurisprudence constante, selon laquelle la valeur du droit au bail doit être la valeur minimale de l'indemnité d'éviction, il échet d'allouer à la société Desrousseaux Watine une indemnité principale de 366 249,24 euros."

Page 12 (indemnité de remploi) :

Au lieu de :

"5 % jusqu'à 23 000 euros = 1 150 euros

10 % sur le surplus (406 408 euros) = 40 640,80 euros

soit 41 790 euros au total"

Lire :

"5 % jusqu'à 23 000 euros = 1 150 euros

10 % sur le surplus (343 249,24 euros) = 34 324,92 euros

soit 35 474,92 euros au total"

Dispositif :

Au lieu de :

"Fixe à 582 698 euros (cinq cent quatre-vingt deux mille six cent quatre vingt dix huit euros), l'indemnité due à la société Desrousseaux Watine par la SEMAVO, au titre de l'éviction du fonds de commerce qu'elle exploite à [Localité 10], [Adresse 2] se décomposant comme suit :

*indemnité principale : 429 408 euros

*indemnité pour frais de remploi : 41 790 euros

*indemnité pour frais de déménagement : 105 000 euros

*indemnité pour frais de cessation d'activité : 6 500 euros"

Lire :

"Fixe à 513 224,16 euros (cinq cent treize mille deux cent vingt-quatre euros et seize centimes), l'indemnité due à la société Desrousseaux Watine par la SEMAVO, au titre de l'éviction du fonds de commerce qu'elle exploite à [Localité 10], [Adresse 2] se décomposant comme suit :

*indemnité principale : 366 249,24 euros

*indemnité pour frais de remploi : 35 474,92 euros

*indemnité pour frais de déménagement : 105 000 euros

*indemnité pour frais de cessation d'activité : 6 500 euros"

-Ordonné qu'il soit fait mention de ce rectificatif en marge de la minute du jugement en cause et des expéditions qui en seront délivrées.

Par déclaration du 1er août 2019, la SEMAVO a interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la société Desrousseaux Watine.

Par ses conclusions adressées au greffe le 25 octobre 2019, notifiées à la société Desrousseaux Watine et au commissaire du gouvernement (avis de réception signés le 29 octobre 2019), la SEMAVO demande à la cour, au visa des articles L 322-1 et suivants du code de l'expropriation et de l'article R 322-5 du même code, de :

-Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

*rejeté les demandes indemnitaires formées par la société Desrousseaux Watine au titre des frais de résiliation de contrats,

*évalué la valeur du fonds de commerce de la société Desrousseaux Watine à la somme de 145 068,82 euros,

*alloué une indemnité de 6 500 euros au titre des frais divers,

*sursis à statuer du chef des indemnités de licenciement,

-Infirmer le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

-Fixer l'indemnité à revenir à la société Desrousseaux Watine, consécutivement à l'éviction de la parcelle cadastrée section AL n° [Cadastre 3], sise [Adresse 2], d'une superficie de 3 049 m², comme suit :

1°) Indemnité principale : (perte de fonds de commerce)

moyenne des 3 derniers CA TTC : 557 957 euros

pourcentage du CA TTC retenu : 26%

Soit : 557 957 euros x 25 % = 145 068,82 euros,

-Dire et juger que la société Desrousseaux Watine ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité de remploi,

-Dire et juger que la société Desrousseaux Watine ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité de déménagement, sauf à justifier au moyen d'une facture et du justificatif de paiement du coût réel assumé de ce chef de préjudice,

A titre subsidiaire,

-Fixer l'indemnité à revenir à la société Desrousseaux Watine, consécutivement à l'éviction de la parcelle cadastrée section AL n° [Cadastre 3], sise [Adresse 2], d'une superficie de 3 049 m², comme suit :

1°) Indemnité principale : (perte du droit au bail)

*loyer annuel acquitté : 10 527 euros

*valeur locative : 60 euros/m²

*surface utile totale : 994 m²

*coefficient de situation retenu : 5

Soit : [(60 euros x 994 m²) ' 10 527 euros] x 5 = 245 565 euros

-Dire et juger que la société Desrousseaux Watine ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité de remploi,

-Dire et juger que la société Desrousseaux Watine ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité de déménagement, sauf à justifier au moyen d'une facture et du justificatif de paiement du coût réel assumé de ce chef de préjudice,

-Condamner la société Desrousseaux Watine à lui payer une indemnité d'un montant de

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-Laisser les dépens à la charge de l'autorité expropriante.

Par ses conclusions adressées au greffe le 23 décembre 2019, notifiées à la SEMAVO et à la société Desrousseaux Watine (avis de réception signés le 10 janvier 2020 pour la société SEMAVO), le commissaire du gouvernement propose à la cour de :

-Confirmer intégralement le jugement de première instance :

*indemnité principale : valeur du droit au bail : 366 249,24 euros

*indemnité de remploi : 35 474,92 euros

*indemnité pour frais de déménagement : 105 000 euros

*indemnité pour frais de cessation d'activité : 6 500 euros

*sursis à statuer sur les frais de licenciement.

Par ses conclusions reçues au greffe le 21 janvier 2020, notifiées à la SEMAVO et au commissaire du gouvernement (avis de réception signés le 23 janvier 2020), la société Desrousseaux Watine demande à la cour de :

-Confirmer le jugement en tant :

*qu'il fixe l'indemnité principale au regard de la valeur du droit au bail,

*qu'il fixe l'indemnité de déménagement à 105 000 euros,

*qu'il fixe à 6 500 euros les frais de cessation d'activité,

*qu'il a prononcé un sursis à statuer s'agissant des indemnités de licenciement,

-Infirmer le jugement en fixant les indemnités dues à la société Desrousseaux Watine ainsi qu'il suit :

*702 373,68 euros (88 569 ' 10 527,48 x 9) au titre de l'indemnité principale,

*70 237 euros au titre de l'indemnité de remploi,

*26 624,18 euros au titre des frais de résiliation des contrats en cours,

-Rejeter les demandes présentées par la SEMAVO en appel,

-Condamner la SEMAVO au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamner la SEMAVO au paiement des entiers frais et dépens de l'instance.

Par des conclusions complémentaires adressées au greffe le 18 février 2020, le commissaire du gouvernement répond aux conclusions de l'intimée et réitère l'ensemble de sa proposition.

La procédure sans audience physique prévue par l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 a été mise en oeuvre dans le présent litige ainsi qu'il est rappelé dans le chapeau de la présente décision, les parties ne s'y étant pas opposées.

SUR CE, LA COUR,

A titre liminaire, il sera relevé que le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a fixé l'indemnité pour frais de cessation d'activité à 6 500 € et en ce qu'il a sursis à statuer sur les indemnités de licenciement.

Ces chefs de dispositifs sont donc devenus irrévocables.

Sur la description du bien exproprié

Il est renvoyé, pour une description détaillée de la parcelle et des locaux objet de l'expropriation, au jugement entrepris.

Il sera seulement rappelé que la parcelle AL [Cadastre 3] se trouve sur le territoire de la commune de [Localité 10], située à 25 km au nord-est de [Localité 8], à proximité immédiate de l'aéroport de [9] et d'un réseau routier et autoroutier important (A1, A3, A86 et A104).

Elle présente une longue façade de 30 mètres sur la route départementale 902 A.

Cette parcelle de 3 049 m² supporte un bâtiment à usage d'entrepôt de 994 m² équipé de cinq quais de déchargement avec rideaux métalliques électriques. Elle est clôturée par un grillage qualifié de léger par le premier juge et de simple barrière de chantier par l'expropriante.

L'intérieur comporte un rez de chaussée qui accueille l'essentiel de la surface à usage d'entrepôt , ainsi que des bureaux et toilettes.

L'étage contient deux anciens bureaux à usage d'atelier, une remise, un débarras et une mezzanine.

La surface à usage d'entrepôts représente environ 900 m² équipée de racks de rangement et les bureaux représentent environ 100 m².

L'intérieur comme l'extérieur sont en état d'usage, à l'exception d'une partie du sol intérieur qui est en mauvais état.

Le premier juge a également relevé la non conformité de l'installation électrique.

La date de référence doit être fixée au 1er juin 2014, en application des dispositions de l'article L.322-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Sur le bail de la société Desrousseaux Watine

Il est désormais acquis aux débats que la société Desrousseaux Watine, qui exerce dans les lieux une activité de logistique, stockage, entreposage groupage et dégroupage de marchandises non frigorifiques pour le compte de tiers, est titulaire sur ces biens d'un bail commercial qui a été renouvelé par acte du 23 décembre 1998 pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 1998 et qui s'est poursuivi par tacite reconduction depuis.

Le loyer annuel s'élève à 10 527,48 € HT, soit 877,29 € par mois, auquel s'ajoute le remboursement au bailleur de la taxe foncière.

Sur l'indemnité d'éviction

Sur l'indemnité principale

Les parties s'opposent sur le mode de calcul de l'indemnité principale, l'appelante demandant comme en première instance, qu'elle soit calculée selon la valeur du fonds de commerce au motif que l'intimée a elle même déclaré vouloir cesser son activité, alors que la société Desrousseaux Watine et le commissaire du gouvernement sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a calculé l'indemnité d'après la valeur du droit au bail.

Il résulte du jugement et des écritures des parties que la société évincée a fait savoir en première instance que pour des motifs économiques et financiers elle se trouvait dans l'impossibilité de transférer son activité dans un autre entrepôt à proximité présentant les mêmes caractéristiques que celui objet du présent litige, qu'il s'agisse de le louer ou d'en faire elle même l'acquisition.

Il n'est d'ailleurs pas contesté qu'elle a cessé son activité au mois d'août 2019 et qu'elle ne s'est pas réinstallée ailleurs depuis.

Le premier juge doit être approuvé en ce qu'il a retenu que si dans cette hypothèse, l'indemnité principale de la société évincée doit correspondre à la valeur de son fonds de commerce, il en va différemment si cette valeur se révèle inférieure à celle du droit au bail, alors que ce droit ne constitue qu'un élément du fonds de commerce.

Dans ce cas, l'indemnité doit correspondre à la valeur du droit au bail, ce qui a conduit le juge à rechercher et à comparer ces deux valeurs.

C'est par d'exacts motifs, adoptés par la cour, et qui ne sont pas contestés en cause d'appel, que le tribunal a estimé la valeur du fonds de commerce de la société Desrousseaux Watine à la somme de 145 068,82 €.

En ce qui concerne la valeur du droit au bail de l'intimée, le premier juge a retenu la méthode de calcul du différentiel de loyer et en l'espèce, une différence de loyer d'un montant de 61,41 € ainsi qu' un coefficient de situation de 6, soit une indemnité de

366 249,24 €.

Il a donc fixé l'indemnité d'éviction à la valeur du droit au bail.

La SEMAVO soutient que ce calcul est erroné car, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la valeur du droit au bail est en l'espèce nulle en application des dispositions de l'article L.145-34 alinéa 3 du code de commerce.

Elle expose que dans la mesure où le bail a fait l'objet d'une reconduction tacite depuis plus de douze ans, il échappe à la règle du plafonnement des loyers, de sorte que le bailleur peut à tout moment fixer le prix du bail à la valeur du marché et qu'il n'existe donc plus de différence entre le loyer de renouvellement et la valeur locative du marché, ce qui rend nulle la valeur du droit au bail.

L'article L.145-34 du code de commerce prévoit en effet dans ses deux premiers alinéas, le mécanisme du plafonnement des loyers commerciaux lors des renouvellements des baux :

La variation du loyer ne peut excéder celle de l'indice trimestriel des loyers commerciaux (ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L.112-2 du code monétaire et financier) intervenue depuis la fixation initiale du loyer.

L'alinéa trois prévoit toutefois que cette règle du plafonnement ne s'applique plus, "lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans."

Cependant, c'est à bon droit que le premier juge a écarté ces dispositions en retenant que le bail était résilié depuis le 21 octobre 2016, date de l'ordonnance d'expropriation et que les bailleurs n'avaient à cette date pas fait usage des prérogatives que leur offrait ce texte.

En effet, s'il n'est pas contestable qu'en application de l'article précité le loyer du bail pouvait à tout moment, depuis février 2010, être déplafonné, il n'en demeure pas moins, ainsi que le fait valoir la société Desrousseaux Watine, que les consorts [N], bailleurs, n'ont jamais demandé sa revalorisation jusqu'à la résiliation du bail résultant de l'ordonnance d'expropriation et aucun élément ne laisse penser qu'ils avaient l'intention d'en solliciter une.

En conséquence, l'indemnité d'éviction correspondant à la valeur du droit au bail, doit être calculée à partir du montant effectif du loyer payé par la société Desrousseaux Watine au jour de la résiliation du bail, qui est le seul à constituer un préjudice certain, et non en fonction d'un loyer déplafonné hypothétique que les bailleurs auraient pu exiger si le bail avait perduré, mais sans que l'on puisse en avoir la certitude (étant précisé qu'aucune autre méthode que celle du différentiel de loyer n'est proposée par les parties pour déterminer la valeur du bail - le commissaire du gouvernement en ayant évoqué d'autres mais sans les mettre en oeuvre dans la présente espèce).

Le dernier alinéa de l'article L.145-34, également invoqué par l'intimée, qui prévoit qu'en cas de bail d'une durée supérieure à douze ans , l'augmentation du loyer ne peut être supérieure à 10 % par an, n'est en revanche d'aucun secours en l'espèce, dans la mesure où il ne prévoit qu'un étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité principale selon la valeur du droit au bail, par la méthode du différentiel de loyer et en fonction du loyer en cours au jour de la résiliation.

En ce qui concerne le montant du différentiel de loyer, le premier juge a retenu une valeur locative de la parcelle en cause de 72 €/m² qui tient compte de l'état d'entretien moyen du bien , après s'être fondé sur la côte Callon 2019 faisant ressortir une valeur de 70 €/m² pour les entrepôts loués à Roissy et sur l'expertise amiable réalisée à la demande de la société évincée faisant ressortir une valeur moyenne de 90 €/m², tout en relevant que l'expert ne joignait aucun acte de cession à son rapport.

Cette valeur conduit à retenir un différentiel de 61,41 € (72- 10,59).

La société Desrousseaux Watine demande de retenir une valeur locative de 90 €, soit un différentiel de 79,41 € (90 - 10,59).

La SEMAVO demande à titre subsidiaire, de retenir une valeur locative de 60 €, soit un différentiel de 49,41 €.

Il convient de relever que l'expropriante ne produit aucun terme de comparaison au soutien de sa prétention subsidiaire et ne développe même aucune motivation au soutien de cette prétention.

La société évincée produit en cause d'appel un bail commercial datant de 2013 portant sur des locaux de 732 m² à usage d'entrepôt et bureaux d'accompagnement situés à proximité immédiate (3 km) sur le territoire de la commune de [Localité 11], faisant ressortir une valeur de 87 € HT /m².

Ce terme de comparaison corrobore la moyenne de 90 €/m² à [Localité 10] résultant de l'expertise amiable.

Il est en outre plus fiable que la côte Callon qui est par définition un outil d'analyse moins fin puisqu'il établit des moyennes générales par commune et part types de biens, ceux-ci étant toutefois définis de façon assez large. Cet ouvrage ne permet pas de connaître précisément les locaux qui ont servi à établir les valeurs moyennes retenues.

Le bien objet de ce bail correspond comme le local objet du présent litige, à une surface principale d'entrepôt et des surfaces accessoires de bureaux. Il est situé dans la même zone géographique, à proximité immédiate.

Toutefois, afin de tenir compte de l'état d'entretien très moyen des locaux évincés (étant observé que l'intimée conteste notamment l'absence de mise aux normes de son installation électrique relevée par le premier juge mais ne fournit aucun élément de preuve de nature à étayer sa contestation), ainsi que de la sécurisation relative de la parcelle (qui est équipée d'un grillage fixé sur piquets et plots en béton et non d'une véritable clôture), la valeur locative du bien sera fixée à 77 €/m².

En conséquence, le différentiel de loyer s'élève à 66,41 €/m² (77 - 10,59), soit un loyer de : 66,41 x 994 m² = 66 011,54 €

Pour ce qui concerne le coefficient de situation, c'est à juste titre que le premier juge l'a fixé à 6, en tenant suffisamment compte, d'un côté, de la très bonne localisation de la parcelle, située à proximité des aéroports de Roissy et du Bourget, de centres industriels comme Garonor ou Roissy Fret et des réseaux autoroutiers, et de l'autre, de son implantation en entrée de ville et non au coeur du centre ville et de sa zone d'activité principale.

La valeur du droit au bail et l'indemnité principale d'éviction s'établit donc ainsi qu'il suit :

66,41 x 994 x 6 = 396 069,24 €

Le jugement sera infirmé de ce chef et l'indemnité fixée à cette valeur.

Sur les indemnités accessoires

Sur l'indemnité de remploi

La SEMAVO demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a accordé une indemnité de remploi, en faisant valoir que la société Desrousseaux Watine ayant cessé son activité et ne s'étant pas réinstallée, elle n'a aucun droit à une telle indemnité.

Elle fonde cette prétention sur l'article L.145-14 du code de commerce qui prévoit les indemnités dues par le bailleur en cas d'éviction du preneur et notamment des droits de mutation , mais qui précise : "sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre".

Elle fait valoir que c'est bien le cas en l'espèce puisque l'intimée n'a fait l'acquisition d'aucun nouveau droit au bail ni d'aucun fonds de commerce.

Cependant, c'est à bon droit que le commissaire du gouvernement rappelle qu'aux termes du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (article R.322-5), l'indemnité de remploi n'est exclue qu'en cas de bien notoirement destiné à la vente ou mis en vente dans les six mois précédant la déclaration d'utilité publique, et que le versement de l'indemnité n'est pas subordonné à l'utilisation effective du remploi.

On peut ajouter qu'il est de jurisprudence constante que la cessation d'activité ne fait pas obstacle au versement d'une indemnité de remploi (3e Civ, 30 mars 1989, Bull n° 79).

Le principe du droit de la société évincée à percevoir cette indemnité est donc confirmé.

Sur son quantum, compte tenu du montant de l'indemnité principale retenu dans la présente décision, l'indemnité de remploi s'établit comme suit :

5 % jusqu'à 23 000 € : 1 150 €

10 % sur le surplus (373 069,24) : 37 306,92, arrondi à 37 307 €

Total : 38 457 €

Le mode de calcul réclamé par l'intimée (taux unique de 10% ), qui ne correspond à aucune pratique (puisque comme le rappelle le commissaire du gouvernement, cette indemnité varie en fonction des tranches d'imposition aux droits d'enregistrement), sera rejeté.

Sur l'indemnité pour frais de résiliation des contrats en cours

C'est à juste titre que le premier juge a rejeté la demande formée au titre des frais de résiliation du matériel téléphonique, faute de production du contrat d'installation afin de vérifier qu'une indemnité est due en cas de résiliation et plus précisément en cas de force majeure à laquelle l'expropriation peut être assimilée .

En outre, il résulte de la pièce n° 52 produite en cause d'appel, que le contrat a été conclu en avril 2017, c'est à dire postérieurement à l'ordonnance d'expropriation, de sorte que la société évincée qui a ainsi modifié la consistance du bien postérieurement à cette date, ne saurait obtenir le remboursement de ces frais.

En ce qui concerne en deuxième lieu, les frais de location de chariot élévateur qui s'élèvent à 14 400 € HT, c'est également à bon droit, par des motifs adoptés par la cour, dont la pertinence n'a pas été altérée par les débats en appel, que le tribunal a rejeté cette demande.

Pour ce qui concerne enfin les frais de résiliation du contrat d'alarme chiffrés à

2 920,49 € HT, qui n'avaient pas été réclamés en première instance, la cour constate que le contrat initial n'est pas produit , la pièce n° 51 étant seulement constituée d'un échéancier à compter du 18 juin 2019.

Il n'est donc pas possible de savoir si une indemnité de résiliation est effectivement due et la demande sera rejetée.

Sur les frais de déménagement

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué la somme de 105 000 € HT à ce titre à la société évincée, celle-ci établissant par la facture acquittée qu'elle verse aux débats, que c'est bien la somme qu'elle a versée pour le déménagement effectué le 31 août 2019.

L'indemnité totale d'éviction s'élève donc à la somme de 546 026,24 € se décomposant ainsi qu'il suit :

Indemnité principale : 396 069,24 €

Indemnité de remploi : 38 457 €

Indemnité de déménagement : 105 000 €

Indemnité pour frais de cessation d'activité : 6 500 €

(non contestée par l'expropriante)

Le jugement sera infirmé sur le quantum total.

Sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de condamner la SEMAVO à payer à ce titre la somme de 2 000 € à la société Desrousseaux Watine.

La demande formée sur le même fondement par l'expropriante sera rejetée.

Les dépens d'appel seront laissés à la charge de la SEMAVO.

PAR CES MOTIFS :

Statuant contradictoirement,

Dans les limites de la saisine,

Infirme le jugement sauf en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

Statuant à nouveau de chefs infirmés,

Fixe l'indemnité due à la société Desrousseaux Watine par la Société d'Economie Mixte départementale pour l'Aménagement du Val d'Oise, par suite de l'éviction du fonds de commerce qu'elle exploite à [Localité 10], [Adresse 2] à la somme de 546 026,24 euros , se décomposant comme suit :

-indemnité principale : 396 069,24 euros,

-indemnité pour frais de remploi : 38 457 euros,

-indemnité pour frais de déménagement : 105 000 euros,

-indemnité pour frais de cessation d'activité : 6 500 euros (pour mémoire)

Rejette toute autre demande,

Condamne la Société d'Economie Mixte départementale pour l'Aménagement du Val d'Oise à payer la somme de 2 000 euros à la société Desrousseaux Watine au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens d'appel à la charge de la Société d'Economie Mixte départementale pour l'Aménagement du Val d'Oise.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence ABGRALL, Présidente et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,La PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 4e ch. expropriations
Numéro d'arrêt : 19/05774
Date de la décision : 07/07/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 4E, arrêt n°19/05774 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-07;19.05774 ?
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