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25/04/2019 | FRANCE | N°17/03394

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 25 avril 2019, 17/03394


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre







ARRÊT N° 144



CONTRADICTOIRE



DU 25 AVRIL 2019



N° RG 17/03394



N° Portalis : DBV3-V-B7B-RVRT







AFFAIRE :



SA SOCIÉTÉ D'ÉDITION DE CANAL +



C/



[I] [E]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Juin 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne- Billan

court

N° Section : Encadrement

N° RG : F16/02481







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 26 Avril 2019 à :

- Me Eric MANCA

- Me Joyce KTORZA



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE DIX NEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N° 144

CONTRADICTOIRE

DU 25 AVRIL 2019

N° RG 17/03394

N° Portalis : DBV3-V-B7B-RVRT

AFFAIRE :

SA SOCIÉTÉ D'ÉDITION DE CANAL +

C/

[I] [E]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Juin 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne- Billancourt

N° Section : Encadrement

N° RG : F16/02481

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 26 Avril 2019 à :

- Me Eric MANCA

- Me Joyce KTORZA

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 18 avril 2019 puis prorogé au 25 avril 2019, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

La SA SOCIÉTÉ D'ÉDITION DE CANAL +

N° SIRET : 329 211 734

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438

APPELANTE

****************

Monsieur [I] [E]

né le [Date naissance 1] 1965 à

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Cloé PROVOST, avocate au barreau de PARIS, substituant Me Joyce KTORZA de la SELARL CABINET KTORZA, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0053

INTIMÉ

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Février 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS,

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Rappel des faits constants

La SA Société d'Édition de Canal Plus (SECP) est une société du domaine de l'audiovisuel qui a pour activité principale, la constitution, la réalisation, la production et l'exploitation de programmes de télévision. Elle est implantée à Issy-Les-Moulineaux dans les Hauts-de-Seine. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective d'entreprise Canal+.

M. [I] [E], né le [Date naissance 1] 1965, a travaillé pour cette entreprise à compter du 21 août 2007 dans le cadre d'une succession de contrats à durée déterminée (CDD) d'usage. Il a occupé les fonctions de « graphiste vidéo » sur la période d'août 2007 à décembre 2009 et celles de « réalisateur » sur la période de janvier 2010 à mai 2015.

Le 14 décembre 2016, M. [E] a saisi directement le bureau de jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt, conformément aux dispositions de l'article L. 1245-2 du code du travail, pour obtenir à la suite de l'arrêt de la relation contractuelle le 30 mai 2015, sa requalification en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) avec toutes conséquences financières.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 15 juin 2017, la section encadrement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt a dit que le licenciement de M. [E] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SA SECP à lui verser les sommes suivantes :

' 7 725 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 772 euros au titre des congés payés afférents,

' 5 535 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

' 7 725 euros au titre du rappel de la prime de treizième mois,

' 5 150 euros sur le fondement de l'article L. 1245-2 du code du travail,

' 32 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil des prud'hommes a également ordonné d'office le remboursement par la SA SECP, aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à M. [E], dans la limite de six mois d'indemnités.

Le conseil des prud'hommes a considéré que la relation contractuelle devait être requalifiée en CDI depuis le mois de février 2011.

La procédure d'appel

La SA SECP a interjeté appel du jugement par déclaration n° 17/03394 du 6 juillet 2017.

Prétentions de la SA SECP, appelante

Par conclusions adressées par voie électronique le 13 avril 2018, la SA SECP demande à la cour d'appel ce qui suit :

À titre principal,

- constater que M. [E] se dispense de toute production de ses engagements, dire et juger, au visa des articles 9 du code de procédure civile et 1315 ancien du code civil que l'abstention volontaire de M. [E] dans la communication de ses engagements, s'inscrit en violation du principe de loyauté des débats qui gouverne toute action, et interdit de facto au juge de faire son office sur sa demande de requalification, en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il lui a fait supporter l'abstention volontaire de M. [E],

- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a fait supporter à SECP l'abstention volontaire de M. [E] dans la production des lettres d'engagements, pour procéder à la requalification de la relation de travail en CDI,

- y ajoutant, dire et juger régulier, au regard de l'usage constant propre au secteur de l'audiovisuel autorisé par les articles L.1242-2 et D.1242-1 du code du travail, le recours à l'emploi intermittent pour l'emploi occupé par M. [E],

- débouter en conséquence M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de la requalification,

À titre subsidiaire,

- fixer à 1 448,33 euros (moyenne des douze derniers mois de salaire) le salaire de référence de M. [E],

- fixer à 1 448,33 euros le montant de l'indemnité de requalification,

- fixer à 4 344,99 euros le montant de l'indemnité de préavis, augmentée de 434,49 euros au titre des congés payés y afférents,

- fixer l'indemnité de licenciement à 3 113,90 euros,

- fixer le rappel sur 13e mois à 4 344,99 euros,

- fixer l'indemnisation de M. [E] au titre de l'article L.1235-3 du code du travail dans la limite de six mois de salaire,

En tout état de cause,

- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé le salaire de référence de M. [E] à 2 575,00 euros,

et le fixer à 1 448,33 euros (moyenne des douze derniers mois de salaire).

Prétentions de M. [E], intimé

Par conclusions adressées par voie électronique le 30 juillet 2018, M. [E] demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié la succession des CDD conclus avec la SECP en un CDI, jugé la rupture de la relation de travail par la la SECP constitutive d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SECP à régler à M. [E] :

' 5 150 euros au titre de l'indemnité de requalification,

' 7 725 euros au titre de l'indemnité de préavis,

' 772 euros au titre des congés payés afférents,

' 7 725 euros au titre du rappel de treizième mois,

' 5 535 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

' 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, requalifier sa relation de travail avec la SA SECP en un CDI depuis le 1er août 2007,

- condamner la SA SECP à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sollicite enfin les intérêts de retard au taux légal à compter de la réception par la SA SECP de sa convocation devant le bureau de jugement et une somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions respectives, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 novembre 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la production des engagements par le salarié

La SA SECP demande à la cour d'appel de dire que « l'abstention volontaire de M. [E] dans la communication de ses engagements, s'inscrit en violation du principe de loyauté des débats qui gouverne toute action et interdit de facto au juge de faire son office sur sa demande de requalification. ». À l'appui de cette demande, elle explique qu'alors qu'il les détient manifestement, M. [E] a pris le parti de ne communiquer aucune de ses lettres d'engagement, se bornant à ne communiquer que ses fiches de paie, cela en marge du principe de la loyauté des débats. Elle estime que le salarié cherche à renverser la charge de la preuve de manière à tenter de l'emporter par défaut en faisant obstacle à l'office du juge.

M. [E] s'oppose à cette demande. Il soutient que la SA SECP tente de se décharger de sa responsabilité quant à la production des CDD alors que cette société est condamnée depuis près de trente ans pour recours abusif aux CDD et notamment parce qu'elle ne produit pas de CDD écrits aux débats judiciaires. Il ajoute que l'employeur ose soutenir que c'est à lui, salarié ayant huit ans d'ancienneté, de produire les CDD dont il disposerait nécessairement, puisqu'il en parle dans ses écritures, alors que le fait qu'il soit en CDD résulte de ses fiches de paie. Il considère que la SA SECP n'est pas crédible à soutenir qu'elle n'a pas conservé les CDD alors qu'elle a été condamnée pour ce motif bien avant son embauche.

L'article 9 du code de procédure civile dispose : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

L'article L. 1242-12 du code du travail dispose : « Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. À défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. »

Par application des dispositions de l'article 1353 du code civil, c'est à l'employeur, débiteur des obligations légales, qu'il incombe de produire les CDD dont la requalification est demandée. La charge de la preuve du contenu du CDD pèse sur l'employeur qui a choisi de recourir à ce type de contrat, Il est donc tenu de le conserver pour pouvoir en justifier en justice.

En l'espèce, chacune des parties étant supposée détenir un exemplaire de chaque CDD, la SA SECP n'est pas dans la situation d'une partie dans l'impossibilité de produire une pièce.

M. [E], qui produit ses bulletins de paie, rapporte la preuve de l'existence d'un contrat de travail le liant à la SA SECP de sorte qu'il ne lui est pas utile, au sens des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, de produire les CDD.

A supposer que la salarié soit en possession de tous les contrats, cette stratégie judiciaire n'apparaît pas exclusive de la loyauté nécessaire à tout débat judiciaire.

Au demeurant, la SA SECP se contente de soulever une difficulté sans en tirer les conséquences puisqu'elle ne demande pas la communication forcée de pièces.

La prétention sera rejetée.

Sur la requalification en contrat à durée indéterminée

La SA SECP s'oppose à toute requalification. Elle soutient qu'il existe un usage constant, établi au plus haut niveau, autorisant le recours au CDD d'usage pour les fonctions de M. [E]. Elle fait valoir que le recours au CDD d'usage a été expressément autorisé par le législateur et qu'une jurisprudence a validé ce recours au CDD d'usage par Canal+. Elle souligne que M. [E] n'a à aucun moment émis la moindre observation sur les conditions de sa collaboration. Elle ajoute qu'il existe un usage incontestable du recours à l'emploi intermittent tant au niveau du secteur d'activité que des accords collectifs applicables.

M. [E] prétend à la requalification des CDD. Il indique qu'il occupait un emploi permanent de l'entreprise car son emploi de réalisateur est pourvu quotidiennement par Canal+ et qu'il n'était pas affecté à une production ponctuelle ou occasionnelle mais à une production pérenne que sont les bandes-annonces, au cours de ses huit ans de collaboration, ce qui exclut le caractère temporaire de l'emploi. Il fait valoir qu'il n'y a aucun aléa quant à la réalisation des bandes-annonces des programmes sur les antennes de Canal+. Il souligne que la coexistence dans le secteur de l'audiovisuel d'emplois pourvus en CDI et en CDD pour le même métier montre que la couverture contractuelle est arbitraire et que d'autres entreprises ayant le même objet, comme France Télévisions, ont reconnu que l'emploi de réalisateur, indispensable à leur objet social, devait faire l'objet d'un CDI. Il soutient que les dispositions d'accords collectifs ne peuvent constituer des raisons objectives validant la succession de CDD.

Les dispositions des articles L. 1221-2 et L. 1242-1 et suivants du code du travail prévoient que le contrat de travail est, par principe, conclu à durée indéterminée, le recours au contrat à durée déterminée n'étant autorisé que dans des conditions strictes et à titre subsidiaire.

L'article L. 1242-1 du code du travail dispose : « Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ».

Ce dispositif est complété par l'article L. 1242-2 du même code qui prévoit que : « Sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3 [contrats spéciaux favorisant l'embauche ou la formation], un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :

1. Remplacement d'un salarié (...)

2. Accroissement temporaire de l'activité

3. Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».

Il ressort de la lecture de ces textes que si les dispositions de l'article L. 1242-2 du code du travail permettent de recourir à des contrats à durée déterminée dans certains secteurs d'activité fixés par décret, dont l'audiovisuel, c'est à la condition qu'il s'agisse d'un emploi « par nature temporaire » et qu'il ne s'agisse pas de pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'Entreprise.

Le recours au CDD, quel que soit son motif, ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

La succession de CDD doit être justifiée non pas uniquement par l'identification d'un métier relevant de la liste autorisant le recours au CDD mais aussi par des éléments concrets tenant à l'activité du salarié, la nature de son emploi, et aux conditions de son exercice.

Il est établi que tout au long de sa collaboration, M. [E] a occupé l'emploi de graphiste vidéo puis de réalisateur au sein du programme de réalisation des bandes-annonces des programmes sur les antennes de Canal+. L'entreprise n'apporte aucune démonstration quant aux spécificités de l'emploi qui justifierait le recours à de nombreux CDD successifs pendant huit ans. Il est constant que l'emploi exercé par M. [E] ne consistait pas à collaborer à des productions ou des émissions occasionnelles mais à participer à la réalisation de bandes-annonces promotionnelles permanentes et diffusées en continu.

Cet emploi, indispensable tout au long de l'année, relevait donc de l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Il ressort des décomptes produits que M. [E] a travaillé 97 jours sur l'année 2010, 83 jours sur l'année 2011, 89 jours sur l'année 2012, 80 jours sur l'année 2013, 65 jours sur l'année 2014 et 22 jours jusqu'au 31 mai 2015.

M. [E] verse aux débats ses déclarations de revenus desquelles il résulte qu'il n'avait pas d'autre emploi et affirme, sans être contredit, que c'était la SA SECP qui fixait unilatéralement ses jours de travail.

Pour avoir recouru à des CDD pour pourvoir un emploi relevant de l'activité normale et permanente de l'entreprise, la SA SECP encourt la requalification de la relation contractuelle en CDI.

Au demeurant, M. [E] invoque surabondamment le fait que la SA SECP n'a pas respecté le formalisme légal puisqu'elle n'est pas en mesure de produire certains contrats écrits comportant la définition précise de son motif. En effet, à défaut d'écrit, la requalification en CDI est encourue en application de l'article L. 1242-12 du code du travail.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la rupture de la relation contractuelle

La rupture de la relation contractuelle est intervenue à l'initiative de l'employeur qui a rompu la collaboration de M. [E] en ne lui fournissant plus de travail après le 30 mai 2015.

Or, compte tenu de la requalification en CDI, la rupture ne pouvait intervenir que dans les cas limités (rupture conventionnelle, prise d'acte de la rupture par le salarié, démission claire et non équivoque du salarié et licenciement à l'initiative de l'employeur.)

Suite à la requalification en CDI de la relation de travail, l'arrêt définitif de fourniture de travail et de paiement corrélatif de salaire, rend la rupture imputable à l'employeur, et est constitutif, en l'absence de motif et de lettre de licenciement, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La SA SECP n'ayant pas adressé à M. [E] une lettre de rupture énonçant le motif du licenciement, celui-ci est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnisation du salarié

Pour évaluer l'indemnisation due au salarié, il convient au préalable de déterminer le point de départ de la requalification et de fixer le salaire de référence du salarié.

- Point de départ de la requalification

Le caractère rétroactif des effets de la requalification de l'ensemble contractuel entraîne le fait que le contrat est réputé à durée indéterminée depuis l'origine.

M. [E] établit avoir été embauché pour la première fois le 21 août 2007 et avoir poursuivi sa collaboration par une succession de CDD jusqu'au jour de son départ le 30 mai 2015.

Le jugement qui a retenu comme point de départ le mois de février 2011 sera infirmé sur ce point, la date du 21 août 2007 devant être retenue.

- Salaire de référence

Le salarié demande que le salarie de référence soit fixé au montant de 2 575 euros en faisant valoir que toutefois que, s'il avait été en CDI, la SA SECP n'aurait pu diminuer ni son temps de travail, ni sa rémunération, sauf à procéder à une modification substantielle de la relation de travail sans l'accord du salarié, ce qui est prohibé.

L'examen des bulletins de paie de M. [E] sur l'ensemble de la période couvrant la relation contractuelle montre qu'à compter du mois de janvier 2013, l'employeur a baissé le nombre de ses jours de travail et cela jusqu'au 31 mai 2015.

Il y a lieu de retenir la moyenne des douze derniers mois effectivement travaillés avant la baisse imposée par l'entreprise, soit un montant de 2 161 euros, et de tenir compte des congés payés réglés par l'employeur via la caisse des congés spectacles à hauteur de 10 % et du prorata dû au titre du treizième mois, ce qui conduit à retenir une rémunération mensuelle de référence de 2 575 euros.

Conséquence de la requalification, M. [E] peut prétendre à différentes indemnités.

- Indemnité de requalification

Prévue par l'article L. 1245-2 du code du travail, elle ne peut être inférieure à un mois de salaire.

La couverture de la relation de travail par CDD successifs a placé M. [E] à la merci de son employeur pendant huit ans. Pendant ces années, il a été exclu des droits et avantages réservés au personnel en CDI du Groupe Canal+, en termes d'accessoires de salaire, de formation, de participation, et d'intéressement. En outre, il va supporter un préjudice de retraite, dès lors que son assiette de cotisations a été amoindrie dans la mesure où Canal+ faisait varier son salaire d'un mois sur l'autre et ne l'a pas rémunéré pour sa disponibilité.

L'indemnité, qui a pour objet de sanctionner l'employeur qui recourt abusivement au CDD afin de pourvoir un emploi permanent et de compenser le préjudice de précarité subi par le salarié, doit être fixée en l'espèce à la somme de 5 150 euros conformément à ce qu'ont décidé les premiers juges, qui ont fait une juste appréciation du préjudice.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

- Rappel de treizième mois

En conséquence de la requalification en CDI, le salarié concerné a droit à la reconstitution de sa carrière et au paiement des créances salariales dont il a été privé en raison de son statut précaire, dans la limite de la prescription triennale.

M. [E] n'a jamais perçu le treizième mois versé aux salariés en CDI de l'entreprise et prévu par l'article II.1. du chapitre III de la convention collective d'entreprise Canal+.

M. [E] est donc fondé à solliciter le versement de cette indemnité dans la limite de la prescription, sur la base du salaire qui aurait dû lui être versé, soit la somme de 7 725 euros.

Il y a lieu à confirmation du jugement de ce chef.

- Indemnité compensatrice de préavis

L'article VIII du chapitre V de la convention collective d'entreprise Canal+ prévoit une durée du préavis fixée à trois mois pour les cadres, soit en ce qui concerne M. [E] la somme de 7 725 euros, outre les congés payés afférents à hauteur de 772 euros.

Il y a lieu à confirmation du jugement de ce chef.

- Indemnité conventionnelle de licenciement

L'article VI de la convention collective de Canal+ prévoit une indemnité conventionnelle de licenciement. Le préavis du salarié aurait dû expirer le 31 août 2015, soit après huit ans et un mois de présence dans l'entreprise.

En conséquence, M. [E] est fondé à réclamer sur ce fondement une somme de 5 535 euros.

Il y a lieu à confirmation du jugement de ce chef.

- Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [E] était âgé de 50 ans au moment de son éviction. Il a subi un préjudice moral, un préjudice financier et un préjudice de carrière.

En ce qui concerne le préjudice moral, M. [E] a donné toute satisfaction à son employeur, lequel a reconduit ses contrats pendant huit ans et l'a écarté sans ménagement.

En ce qui concerne le préjudice financier, son éviction a provoqué une perte financière, la SA SECP étant son employeur exclusif. Il n'a pu effectuer le contingent d'heures lui permettant de bénéficier des allocations chômage. Il a été déclaré en fin de droits dès le mois d'août 2015, ainsi que cela résulte de son dossier Pôle emploi. Il explique n'avoir pu subvenir à ses besoins que grâce à l'aide de sa compagne.

En ce qui concerne le préjudice de carrière, M. [E] a subi une perte de chance de retrouver un emploi et de faire évoluer sa carrière au sein d'un groupe aussi important que le groupe Canal+. Il a conclu le 21 octobre 2016 avec le Club Olympique Vincennois un emploi d'agent administratif au sein d'une association sportive. Il s'agit d'un CDD d'un an à temps partiel de 26 heures par semaine, payées 1 089 euros par mois.

Ces considérations conduisent à fixer à 25 000 euros les dommages-intérêts dus à M. [E] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts moratoires

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur.

Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de jugement suivant demande pour les créances salariales, soit le 16 décembre 2016, et à compter du jugement pour la créance indemnitaire.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

L'article L 1235-4 du code du travail prévoit que : « Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées ».

Il y a lieu en l'espèce d'ordonner à la SA SECP de rembourser à Pôle emploi la totalité des indemnités de chômage versées à M. [E] dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La SA SECP supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [E] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME partiellement le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 15 juin 2017, en ce qu'il a fixé le point de départ de la requalification au mois de février 2011 et qu'il a condamné la SA SECP à payer à M. [I] [E] la somme de 32 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

FIXE au 21 août 2007 le point de départ de la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée ;

CONDAMNE la SA SECP à payer à M. [I] [E] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement de cause réelle et sérieuse ;

LE CONFIRME pour le surplus ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SA SECP à payer à M. [I] [E] les intérêts de retard au taux légal à compter du 16 décembre 2016 sur les créances salariales et à compter du jugement pour la créance indemnitaire ;

CONDAMNE la SA SECP à payer à M. [I] [E] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SA SECP au paiement des dépens ;

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller, en remplacement de Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, légitimement empêché, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,P /Le PRÉSIDENT empêché,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 17/03394
Date de la décision : 25/04/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°17/03394 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-25;17.03394 ?
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