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04/05/1999 | FRANCE | N°1996-7919

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre criminelle, 04 mai 1999, 1996-7919


FAITS ET PROCEDURE

Société de service en matière informatique, la société DIIOR s'est engagée le 18 juin 1982 par contrat qualifié de "clé en main" à équiper dans les sept mois à venir Monsieur Jean-Michel X... (exerçant sous l'enseigne de "Cabinet X...") de matériels et d'un programme permettant la gestion de son cabinet de courtier d'assurances, le tout pour un prix de 486.735 francs toutes taxes comprises. Des retards ont eu lieu dans la mise en place du programme, que la société DIIOR a imputé à une société TECNA, chargée de lui fournir le progiciel à adapter p

ar ses propres soins aux besoins particuliers du "Cabinet X..." et qui n'a...

FAITS ET PROCEDURE

Société de service en matière informatique, la société DIIOR s'est engagée le 18 juin 1982 par contrat qualifié de "clé en main" à équiper dans les sept mois à venir Monsieur Jean-Michel X... (exerçant sous l'enseigne de "Cabinet X...") de matériels et d'un programme permettant la gestion de son cabinet de courtier d'assurances, le tout pour un prix de 486.735 francs toutes taxes comprises. Des retards ont eu lieu dans la mise en place du programme, que la société DIIOR a imputé à une société TECNA, chargée de lui fournir le progiciel à adapter par ses propres soins aux besoins particuliers du "Cabinet X..." et qui n'a pas accompli sa prestation. La société DIIOR a dû, en conséquence, louer à compter du 1er novembre 1982 un matériel dont elle a équipé le "Cabinet X..." et procéder elle-même à l'élaboration du programme de base. Se plaignant des retards dont souffrait l'exécution du contrat par suite des défauts du logiciel, Monsieur Jean-Michel X... a obtenu, le 31 octobre, du juge des référés, la désignation d'un expert qui a déposé son rapport le 28 mai 1985. Le tribunal de commerce de PARIS a, par jugement en date du 23 novembre 1987, retenu que la société DIIOR n'avait pas exécuté ses obligations, qu'en conséquence, le logiciel n'avait pu être utilisé à temps et qu'ainsi réparation était due à Monsieur Jean-Michel X.... Pour l'indemnisation du préjudice, il a écarté la clause de limitation de responsabilité figurant au contrat du 18 juin 1982 et a condamné la société DIIOR à payer à Monsieur X... la somme de 535.280 francs.

La société DIIOR a poursuivi devant la cour d'appel de PARIS l'infirmation du jugement, le débouté de Monsieur Y...- Michel X... et la condamnation du même à lui payer une somme de 132.892,21 francs. Elle concluait subsidiairement à voir limiter le montant des

dommages et intérêts mis à sa charge à une somme de 35.280 francs. Elle priait la cour de prononcer la compensation des créances respectives et la restitution du matériel informatique. Elle sollicitait une somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle faisait valoir qu'elle était tenue dans les termes d'une simple obligation de moyens, que le "Cabinet X..." s'était révélé mal organisé et son personnel rebelle à l'outil informatique.

Sa propre responsabilité avait fait contractuellement l'objet d'une limitation à la valeur des programmes, et Monsieur Jean-Michel X... utilisait en fait le matériel et une partie du logiciel. Faute par lui de payer aux échéances le prix de la maintenance, le matériel informatique tombait en panne n'avait pas été réparé à temps. Le préjudice invoqué n'était, selon elle, pas démontré et en toute hypothèse, il n'est pas indemnisable.

Monsieur Jean-Michel X... demandait à la cour de réformer le jugement en portant les dommages et intérêts qui lui avaient été accordés à une somme de 3.250.00 francs pour la perte de clientèle, et à 3.261.000 francs pour la désorganisation de son cabinet.

Il réclamait une indemnité complémentaire de 15.000 francs en raison de l'attitude dilatoire qu'il prêtait à la partie adverse. Il exposait que le total des primes d'assurances qu'il a encaissées avait sensiblement diminué en 1983 et 1984.

Par arrêt en date du 25 octobre 1990, la cour d'appel de PARIS a estimé que la société DIIOR avait fourni à Monsieur X... un logiciel incomplet, ce dont il était résulté, pour celui-ci, un préjudice qu'elle était, compte tenu des conventions, tenue de réparer, la clause limitative de responsabilité n'étant pas applicable.

Relevant que cependant Monsieur X... ne fournissait, sur son

préjudice, aucune autre indication que celle d'une sensible diminution du montant des primes brutes d'assurance encaissées entre 1983 et 1984 par rapport à leur total de 1982, elle a réduit à 64.000 francs le montant de la réparation due par la société DIIOR.

Réformant le jugement déféré, elle a alors "condamn(é) la société DIFFUSION INTERNATIONALE D'INFORMATIQUE et D'ORDINATEURS PAR RÉSEAU à payer à Monsieur Jean-Michel X... une somme de 64.000 francs" et a "confirm(é) pour le surplus".

Sur pourvoi de Monsieur X..., la Cour de cassation, chambre commerciale, a, le 08 décembre 1992, cassé cet arrêt, mais seulement en ce qu'il a fixé à 64.000 francs le montant des dommages et intérêts alloués à Monsieur X....

La Cour de cassation a en effet relevé qu'en limitant à 64.000 francs le montant des dommages et intérêts consécutifs aux retards de la société DIIOR en retenant que Monsieur X... ne fournissait sur son préjudice aucune autre indication que celle de l'évolution de son chiffre d'affaires, sans répondre aux conclusions qui invoquaient les perturbations provoquées dans l'organisation de son cabinet d'agent d'assurances par les lenteurs et les imperfections de la mise au point du logiciel litigieux, la cour d'appel avait méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile.

La cour de ce siège a été saisie le 30 avril 1993.

La société DIIOR a alors conclu en faisant valoir que le contrat qui la liait à Monsieur X... comportait une simple obligation de conseil et de moyens.

En outre, il est très vite apparu que le "cabinet" X... n'était pas organisé sur un mode rationnel et que son personnel était peu enclin à l'utilisation de l'outil informatique.

Elle fait, en outre, observer que le "cabinet" X... utilise les programmes IARD depuis le 1er décembre 1982 sur une machine qu'il

détient toujours et qui lui a été remise en prêt par elle.

Significative de la situation est la panne dont Monsieur X... a fait état dans une lettre du 24 septembre 1984, puisqu'il s'agissait d'une panne de matériel, et non de logiciel.

Il résulte, par ailleurs, des lettres de Monsieur Z..., que le matériel tournait au moins en partie.

Enfin, lorsque le matériel informatique est tombé en panne le 06 septembre 1984, s'il n'était pas en état près de vingt jours plus tard, c'est en raison du non-paiement, par Monsieur X..., des échéances de maintenance.

Sur le préjudice allégué par Monsieur X..., la demande par lui formée sur le fondement d'une perte de clientèle est irrecevable : il appartenait à Monsieur X..., mis en face d'une défaillance générale du système, à ce qu'il allègue, de s'organiser autour de celle-ci.

Faute de l'avoir fait, son préjudice est indirect.

Sur la désorganisation, aucune pièce n'est communiquée.

Par ailleurs, sur les deux points, il échet de rappeler l'existence d'une limitation contractuelle de garantie.

Dès lors, la société DIIOR demande à la cour, infirmant le jugement déféré, de constater sa créance sur le "cabinet" X... pour un montant de 64.000 francs et de le condamner à lui payer la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur X... fait valoir, de son côté, que le contrat était qualifié par les parties de "clé en mains". Cependant, alors que le contrat avait été signé le 18 juin 1982 et que le délai de mise en place était de 7 mois avec réception définitive le 1er janvier 1983, le 06 septembre 1984, le système ne fonctionnait toujours pas. Le 24 septembre, il en était encore de même.

Les griefs retenus par l'expert n'ont jamais été contestés.

La cour de renvoi n'est saisie que du seul préjudice. Celui-ci résulte amplement des pièces versées aux débats.

S'agissant de la perte de clientèle, il convient de le fixer à 3.250.000 francs, s'agissant de la désorganisation à 3.261.000 francs.

Monsieur X... demande, en outre, la somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'affaire a fait l'objet d'une "radiation" à l'audience du 11 juin 1996 aux motifs que "l'avoué de l'appelant a indiqué qu'il resterait morosif (9 h 15), l'avoué de l'intimé ne s'est pas présenté malgré réquisition à lui faite (10 h 50), aucun avocat ne s'est présenté à 11 h 15, aucun dossier n'a été déposé".

Après remise au rôle par la société DIIOR, la SCP JUPIN et ALGRIN, avoué de Monsieur X... a écrit à la cour en ces termes :

"Par déférence pour votre cour, je vous précise à toutes fins utiles que j'ai dégagé ma responsabilité professionnelle vis à vis de Monsieur X..., mon client dans cette instance.

Je ne déposerai donc (sic) aucun dossier".

SUR CE LA COUR

Attendu qu'il est irrévocablement jugé, par l'effet de l'arrêt de la cour de cassation en date du 8 décembre 1992, qui ne casse que partiellement l'arrêt de la cour d'appel de PARIS en date du 25 octobre 1990, que la demande de dommages intérêts de Monsieur X... est fondée en son principe ; que dès lors les prétentions de la société DIIOR tendant à voir débouter Monsieur X... de toutes ses demandes sont irrecevables, seul le quantum du préjudice subi par Monsieur X... devant être déterminé par la cour de ce siège ;

Attendu qu'aucune pièce n'est versée aux débats par Monsieur X... ; Attendu qu'il apparait des motifs et énonciations du jugement du

tribunal de commerce de PARIS en date du 23 novembre 1987 et de l'arrêt censuré que, devant les premiers juges, tout comme devant la cour de PARIS, Monsieur X... avait produit des pièces ; qu'en outre, les écritures déposées par Monsieur X... devant la cour de ce siège font état de différentes pièces (contrat du 18 juin 1982 -p.3 par 2 des conclusions-, lettre du 21 septembre 1983 -p.4 par 3 des conclusions-, lettre du 27 octobre 1983 -p.4 par 6 des conclusions, lettre recommandée avec accusé de réception du 6 septembre 1984 -p.4 par 8 des conclusions-, lettre recommandée avec accusé de réception du 24 septembre 1984 -p.5 par 1 des conclusions-, rapport d'expertise de Monsieur A... -p. 5 par 9 des conclusions-, "nombreuses pièces versées aux débats" -p.7 par 4 des conclusions-) ; Attendu que la SCP JUPIN ALGRIN, avoué de Monsieur X... a écrit à la cour dans les termes qu'il convient de rappeler: "je vous précise à toutes fins utiles que j'ai dégagé ma responsabilité professionnelle vis à vis de Monsieur X..., mon client dans cette instance. Je ne déposerai donc aucun dossier" ;

Attendu que selon l'article 411 du nouveau code de procédure civile le mandat de représentation en justice emporte devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de procédure ;

Attendu qu'il résulte de ce courrier que la SCP JUPIN-ALGRIN se constitue aux lieu et place de Maître JUPIN pour Monsieur X..., "son" client ; qu'en toute hypothèse, la succession de la SCP JUPIN-ALGRIN à Maître JUPIN résulte de plein droit de l'arrêté du Garde des Sceaux en date du 15 octobre 1997 qui, en son article 1er, accepte la démission de Maître JUPIN et décide, en son article 2 que la SCP JUPIN-ALGRIN est nommée avoué "en remplacement" de Maître JUPIN.

Attendu que l'avoué aurait-il "dégagé sa responsabilité

professionnelle" qu'il n'en demeure pas moins tenu du devoir prescrit par l'article 411 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu, en effet, qu'en premier lieu l'expression "j'ai dégagé ma responsabilité professionnelle", si elle est fréquemment employée pour indiquer que l'avoué n'a pas reçu de son client les sommes qu'il lui a demandées à titre de provision n'en est pas moins vide de sens juridique, nul ne pouvant, de son propre chef, se "dégager" de sa propre responsabilité ;

Attendu, par ailleurs, que la responsabilité des professionnels mandataires représentant les parties en justice devant une juridiction devant laquelle la représentation est obligatoire reste pleinement engagée par leurs actes ou leurs abstentions fautives, nonobstant le défaut de paiement des différentes sommes qui pourraient leur être dues ; qu'à cet égard il convient d'observer que les dispositions combinées des articles 699 du nouveau code de procédure civile et 1999 du code civil permettent à ces professionnels d'être, en toute hypothèse, payés des sommes qui leur sont dues ;

Attendu que, compte tenu de l'ambigu'té du courrier adressé par la SCP JUPIN-ALGRIN à la cour ("j'ai dégagé ma responsabilité... je ne déposerai donc aucun dossier"), il échet d'inviter ce mandataire à préciser s'il détient ou non des pièces qui lui auraient été remises par son mandant ; que dans l'affirmative il lui incombe d'accomplir les actes de procédure -communication de pièces et remise du dossier- qui lui sont imposés par l'article 411 du nouveau code de procédure civile sous la sanction de mise en jeu de sa responsabilité ;

Attendu, par ailleurs, que la société DIIOR, dans ses conclusions, demande à la cour de "constater sa créance sur le cabinet X..." ; que cette expression donne à penser qu'il existerait une procédure collective ; qu'aucune pièce régulièrement versée aux débats ne

permet de savoir si tel est ou non effectivement le cas ;

Attendu que, pour les motifs ci-dessus exprimés il échet de réouvrir les débats ; * PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

- RÉOUVRE les débats et invite la SCP JUPIN-ALGRIN à expliciter, par application de l'article 411 du nouveau code de procédure civile, les termes de son courrier en date du 25 septembre 1998 en précisant si elle détient ou si elle ne détient pas de pièces qui lui auraient été remises directement ou indirectement par son mandant,

- INVITE la SARL DIIOR à préciser si Monsieur Jean-Michel X... fait l'objet d'une procédure collective,

- RÉSERVE les dépens. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR MARON, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

LE PRESIDENT C. DAULTIER

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 1996-7919
Date de la décision : 04/05/1999
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Avoué - Représentation des parties - Effets

Dès lors qu'aux termes de l'article 411 du nouveau Code de procédure civile "le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de procédure", l' avoué qui informe la Cour qu'il a "dégagé sa responsabilité professionnelle" dans un dossier, n'en demeure pas moins juridiquement tenu, nul ne pouvant de son propre chef se " dégager" de sa propre responsabilité, et ce, quand bien même les provisions sollicitées du client n'auraient pas été versées, les dispositions combinées des articles 699 du Code précité et 1999 du Code civil permettant en toute hypothèse à un professionnel d'être payé des sommes dues. Il échet d'inviter le mandataire ayant employé une formulation ambiguù à préciser s'il détient ou non des pièces qui lui auraient été remises par son mandant et dans l'affirmative il devra, conformément aux prescriptions de l'article 411 précité et à peine de mise en jeu de sa responsabilité, accomplir les actes de procédure lui incombant, à savoir communication des pièces et remise du dossier


Références :

Code de procédure civile (Nouveau), article 411

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-04;1996.7919 ?
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