1ère Chambre
ARRÊT N°42/2019
N° RG 17/07665 - N° Portalis DBVL-V-B7B-OLNQ
SA COFIBRA
C/
SELARL [H] [P] [U]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 29 JANVIER 2019
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,
Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,
Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère, entendue en son rapport
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Novembre 2018
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 29 Janvier 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
SA COFIBRA, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Bruno DENIS de la SCP CADORET TOUSSAINT DENIS & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
INTIMÉS :
SELARL [H] [P] [U]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES
La société Cofibra a confié la réalisation de travaux immobiliers de construction à Monsieur [N], exerçant sous l'enseigne «Travaux publics du port ». Dans ce cadre, elle a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la société Albingia à date d'effet au 21 juillet 1999. En cours de chantier, la société de Monsieur [N] a été placée en liquidation judiciaire, par décision du 29 août 2000.
Se plaignant de divers désordres, la société Cofibra a fait assigner le liquidateur devant le juge des référés et a obtenu une expertise, étendue à la société Albingia. Le rapport d'expertise a été déposé le 30 août 2002. Le 28 août 2003, les représentants de la société Cofibra, alors placée en redressement judiciaire, ont fait assigner la compagnie d'assurances devant le tribunal de grande instance de Brest aux fins de la voir condamner au paiement du montant chiffré par l'expert. Par ordonnance du 4 janvier 2005, le juge de la mise en état a ordonné la radiation de l'instance. Le conseil de la société Cofibra, la SCP [H]-[X] aux droits de laquelle vient la SELARL [F] [P] [U], n'a pas déposé de conclusions de reprise d'instance avant l'expiration du délai de péremption.
Reprochant à son conseil d'avoir perdu la chance de percevoir la somme réclamée à sa compagnie d'assurances, la société Cofibra a fait assigner Maître [F] et la SELARL [F] [P] [U] devant le tribunal de grande instance de Quimper, par acte du 7 juillet 2016.
Par jugement du 19 septembre 2017, le tribunal a débouté la société Cofibra de ses demandes et l'a condamnée à payer 1000 € au titre des frais irrépétibles d'une part à Maître [F], d'autre part à la SELARL [F] [P] [U].
Monsieur [K] [F] est décédé le [Date décès 1] 2017.
La société Cofibra a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 3 novembre 2017.
Vu les conclusions du 9 novembre 2018, auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et arguments de la société Cofibra qui demande à la cour de :
-déclarer la SELARL [F] [X] [U] et Me [F] responsable de son préjudice dans le cadre de l'action engagée à l'encontre de la société Albingia;
-condamner solidairement la SELARL [F] [X] [U] et Me [F] à lui payer la somme de 185 248,66 €, outre intérêts légaux à compter du 2 mai 2013 ;
-condamner les mêmes et sous la même solidarité à lui verser la somme de 8000 € au titre de ses frais irrépétibles outre les dépens de première instance et d'appel ;
-débouter la SELARL [F] [X] [U] de toutes ses demandes.
Vu les conclusions du 23 avril 2018 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et arguments de la SELARL [F] [X] [U] qui demande à la cour de:
-confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
-condamner la société Cofibra à lui payer la somme de 4000 € au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens ;
A titre subsidiaire,
-réduire les prétentions de la société Cofibra à de plus justes proportions.
L'ordonnance de clôture était rendue le 20 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION:
Au préalable, Monsieur [F] est décédé avant l'instance d'appel. La société Cofibra, invitée par le conseiller de la mise en état dès le 29 décembre 2017 à régulariser l'instance auprès des héritiers, n'a pas obtempéré. L'appel dirigé à l'encontre de Monsieur [F] est irrecevable.
Sur la responsabilité de la SELARL [F], [P], [U]:
Le manquement de diligence de Me [F] ne peut donner lieu à réparation d'une perte de chance que s'il a eu pour conséquence la disparition certaine d'une éventualité favorable, en l'espèce le succès de l'action de la société Cofibra à l'encontre de la compagnie d'assurances.
Il ressort des pièces versées au dossier que dans ses conclusions récapitulatives du 21 septembre 2004, la société Albingia faisait valoir à titre principal pour dénier sa garantie que :
-les dispositions spéciales de la police prévoyaient qu'à défaut pour l'assuré de remettre dans un délai de 12 mois à compter de la date d'émission de la police « un questionnaire-proposition » complété et signé et un dossier technique et administratif complet lui permettant d'apprécier le risque, la garantie se trouvera suspendue de plein droit, sauf accord préalable de la compagnie; le 3 mai 2001, elle avait rappelé à la SA Cofibra sa position de non garantie, à défaut de cette communication; en l'absence de tout acte interruptif de prescription de la part de la société Cofibra, visant à obtenir la levée des suspensions des garanties, la société Cofibra est prescrite en sa contestation de refus des garanties;
-la déclaration de sinistre du 6 mars 2001 fait état des 8 désordres visés dans le rapport d'expertise judiciaire; pour les autres désordres dont elle entend demander la réparation et qui n'ont jamais été déclarés à la compagnie d'assurances, la prescription biennale de l'article L114-1 du code des assurances est acquise.
La compagnie d'assurances faisait valoir à titre subsidiaire que:
-le rapport d'expertise judiciaire établit que le maître de l'ouvrage a pris le risque d'accepter et de régler des situations de travaux affectés de désordres, dès lors que les vices étaient apparents, ils ne ressortissent plus de la garantie de la police dommages- ouvrage.
-la demande de 157 818,11 € présentée par la société Cofibra a pour objet de faire financer par la compagnie d'assurances l'ensemble des travaux de reprise des malfaçons et la poursuite des travaux alors que la garantie dommages-ouvrage n'a pas vocation à garantir avant réception, l'achèvement de travaux inexécutés ou abandonnés.
-sur les huit points que l'expert judiciaire a examiné, il n'a retenu de gravité décennale que pour trois désordres; qui sont en réalité des non conformités contractuelles ne constituant pas un dommage au sens des article 1792 et suivants du code civil.
La société Cofibra soutient que:
-elle avait remis les documents demandés à peine de souscription de la garantie;
-la société Albingia n'a jamais informé la société Cofibra de ce qu'elle suspendait sa garantie, et elle a mobilisé cette garantie;
-la société Albingia ne pouvait opposer une suspension de garantie dès lors que la police avait pris effet;
-à supposer que la cour retienne que les documents n'avaient pas été transmis et que la garantie avait été suspendue, la prescription résultant de l'absence de contestation de la position de non garantie a été interrompue l'assignation en référé et l'ordonnance du 3 septembre 2001;
-rien ne démontre l'absence d'aléa invoqué au moment des faits.
Sur la suspension de garantie:
La police prévoit en page 6 de ses conditions particulières que « La présente garantie est accordée sous la condition suspensive de la remise à la compagnie, dans un délai de 12 mois, à compter de la date d'émission de la police, d'un « questionnaire-proposition » complété et signé et d'un dossier tecnhique et administratif complet, lui permettant d'apprécier le risque.
A défaut, et sauf accord préalable de la compagnie, la garantie se trouvera suspendue de plein droit à l'issue des 12 mois. »
Si le contrat d'assurances est formé lorsque l'assuré a accepté les offres émises par l'assureur, celui-ci peut opposer à son assuré une condition suspensive destinée à apprécier le risque.
Le 13 octobre 1999, la société Albingia a transmis au mandataire de l'assuré l'attestation d'assurances et la liste des documents à fournir, dont le questionnaire-proposition. La société Cofibra soutient que la compagnie d'assurances ne lui a jamais communiqué ce questionnaire.Toutefois, force est de constater qu'elle n'a opposé aucune contestation aux nombreuses réclamations de son assureur à ce sujet. Bien plus, dans une lettre du 24 juillet 2003, elle a écrit à la société Albingia qu'elle pensait être en mesure de lui transmettre ce questionnaire courant septembre 2003.
Le 14 février 2001, la société Albingia a écrit au mandataire de la société Cofibra « Nous faisons suite à nos courriers du 04/08/1999, 16/05/2000, 16/11/2000, 04/12/2000, concernant l'affaire citée en référence, dont la date prévisionnelle de réception des travaux était fixée au 31/12/2000.
Nous nous permettons de vous adresser à nouveau en annexe la « liste des documents à fournir » sur ce dossier, se trouvent en annexe et surlignés : le questionnaire-proposition, les attestations d'assurances de responsabilité civile décennale des constructeurs intervenant sur le chantier.
Pour démontrer que l'écoulement du délai de péremption a fait perdre à la société Cofibra une chance sérieuse de voir son action prospérer, elle doit justifier de ce que la compagnie d'assurances lui a opposé à tort la suspension des garanties.
Il ressort des pièces produites aux débats que:
Par deux courriers des 7 mars et 30 juillet 2001, la société Cofibra a transmis à son propre mandataire quatre attestations d'assurances.
Le 24 juillet 2003, la société Cofibra a transmis à son assureur le procès-verbal de réception des travaux de ravalement du 29 avril 2003 (lot 01b entreprise Sorebat), l'état d'avancement des travaux de gros oeuvre au 29/08/2000 (date de la liquidation judiciaire de l'entreprise Begoc-Travaux Publics du Port); le rapport final du 16 juillet 2003 de la SOCOTEC. La société Cofibra ajoute dans sa lettre « L'architecte procède actuellement à l'établissement des comptes définitifs, je pense être en mesure de vous transmettre ces éléments ainsi que le questionnaire proposition courant septembre 2003 ».
Le 19 décembre 2003, la société Albingia a réclamé à son assuré le questionnaire-proposition complété et signé et l'arrêté définitif des comptes complet et détaillé par lot.
Le 9 mars 2004, la société Cofibra a transmis à la société Albingia l'arrêté définitif des comptes détaillés par lot.
Le 27 septembre 2005, la société Albingia a transmis à la société Brest Avenir Immobilier un règlement de travaux effectués par la société Soprema. Dans sa lettre de transmission, l'assureur précise : « Nous vous rappelons toutefois que ce règlement ne vaudra pas renonciation à invoquer les dispositions prévues aux articles L113-4; L113-8; L113-9 et L121-5 du code des assurances, compte tenu de la non communication des documents techniques dont vous trouverez la liste en annexe. Figure en annexe les documents à fournir par Cofibra : Le questionnaire-proposition complété et signé; l'arrêté définitif des comptes complet et détaillé par lot.
Il résulte de tout ceci que la société Cofibra était en possession du questionnaire-proposition et qu'elle ne justifie pas l'avoir transmis à son assureur à la date des conclusions récapitulatives du 21 septembre 2004. Ainsi, la garantie de l'assureur était suspendue depuis le 21 juillet 2000 (douze mois après la date d'émission de la police), et lors de la déclaration du sinistre le 6 mars 2001, sans que l'assuré justifie d'avoir rempli son obligation le 21 septembre 2004, ou même avant l'expiration du délai de péremption.
Les pièces produites par la société Cofibra, relatives à la mobilisation de la garantie pour un sinistre déclaré le 27 mai 2011 (rapport Eurisk, pièce 54 de Cofibra et versements consécutifs de la société d'assurances) sont inopérants au regard du litige relatif au sinistre déclaré le 6 mars 2001.
Dès lors, sans qu'il soit besoin de rechercher si les autres moyens invoqués par la société Cofibra pouvaient être utilement opposés, la compagnie d'assurances pouvait utilement opposer la suspension de sa garantie et la probablité d'un succès de l'action de la société Cofibra à l'encontre de son assureur n'est pas établie. Le jugement qui a débouté la société Cofibra de sa demande, à défaut de démontrer l'existence d'une perte de chance d'obtenir une décision favorable sera confirmé.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire;
Déclare les demandes en paiement à l'encontre de Monsieur [F] irrecevables
Confirme le jugement entrepris en toute ses dispositions;
Y ajoutant:
Condamne la société Cofibra à verser à la SELARL [F] [P] [U] la somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles;
Condamne la société Cofibra aux dépens en cause d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT