2ème Chambre
ARRÊT N°244
R.G : 15/01816
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE CORAY
C/
Mme [H] [T] épouse [D]
M. [W] [D]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Alain COROLLER- BEQUET
Me Dominique LE COULS- BOUVET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 AVRIL 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN,
Assesseur : Madame Isabelle LE POTIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Pascale DOTTE-CHARVY, Conseiller, rédacteur,
GREFFIER :
Monsieur Régis ZIEGLER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 janvier 2018, devant Madame Pascale DOTTE- CHARVY, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 avril 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré
****
APPELANTE :
La CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE CORAY
dont le siège est [Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Alain COROLLER-BEQUET de la SELARL ALEMA AVOCATS, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉS :
Monsieur [W] [D]
né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Madame [H] [D] née [T]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentés par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentés par Me Christophe LOMBARD de la SCP A.KALIFA- C.LOMBARD- E.LECARPENTIER, Plaidant, avocat au barreau de LORIENT
FAITS et PROCÉDURE :
Suivant offre acceptée le 21 décembre 2011, la Caisse de Crédit Mutuel de Coray (le Crédit Mutuel) a consenti à M. [W] [D] et Mme [H] [T] son épouse (les époux [D]) un prêt personnel de consolidation de 30 000 euros au taux fixe de 7,50 %, remboursable en 60 mensualités de 615,84 euros avec assurance.
Des mensualités étant impayées, les emprunteurs ont obtenu le 28 août 2013 une 'facilité de paiement' de septembre à décembre 2013 ; ils n'ont pas repris les paiements, la banque leur a adressé des mises en demeure le 18 février 2014 demeurées vaines, puis les a fait assigner en paiement le 18 avril 2014.
Par jugement en date du 30 janvier 2015 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal d'instance de Quimper a :
- condamné solidairement les époux [D] à payer au Crédit Mutuel la somme de 23 967,79 euros,
- dit que la banque a engagé sa responsabilité contractuelle, l'a condamnée à payer la même somme aux emprunteurs et a ordonné la compensation,
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions et dit que chacune conservera la charge de ses propres dépens.
Le Crédit Mutuel a relevé appel de cette décision et demande à la cour de :
- annuler le jugement, et vu l'effet dévolutif de l'appel : dire que la banque n'a pas violé ses obligations légales lors de l'octroi du prêt, en conséquence débouter les époux [D] de leur demande de déchéance du droit aux intérêts, et les condamner solidairement à lui payer la somme de 25 689,73 euros en principal, outre intérêts au taux de 7,50 % à compter du 19 février 2014, et la somme de 2 055,18 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement ; subsidiairement dire que la déchéance du droit aux intérêts ne sera pas totale et débouter les époux [D] de leur demande de dommages et intérêts,
- à titre subsidiaire, réformer le jugement et statuant à nouveau: dire que la banque n'a pas violé ses obligations légales lors de l'octroi du prêt, en conséquence débouter les époux [D] de leur demande de déchéance du droit aux intérêts, dire que la banque n'a pas engagé sa responsabilité et en conséquence les débouter de leur demande de dommages et intérêts, et les condamner solidairement à lui payer la somme de 25 689,73 euros en principal, outre intérêts au taux de 7,50 % à compter du 19 février 2014, et la somme de 2 055,18 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement ; subsidiairement dire que la déchéance du droit aux intérêts ne sera pas totale,
- en tout état de cause : condamner solidairement les époux [D] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens recouvrables conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les intimés demandent à la cour de :
- débouter le Crédit Mutuel de ses demandes et confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- subsidiairement, condamner l'appelant au paiement de la somme de 25 689,73 euros en principal, outre intérêts au taux de 7,50 % à compter du 19 février 2014, et la somme de 2 055,18 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamner le Crédit Mutuel à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour le Crédit Mutuel le 20 novembre 2017, et pour les époux [D] le 07 novembre 2017.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2017.
SUR CE :
Sur la nullité du jugement :
Le Crédit Mutuel fait grief au tribunal d'instance d'avoir procédé d'office à la déchéance du droit aux intérêts sans inviter les parties à présenter leurs observations, et sollicite en conséquence la nullité du jugement pour violation des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, et subsidiairement sa réformation ; la violation invoquée du principe de la contradiction prévu par l'article 16 du code de procédure civile ne caractérise pas un excès de pouvoir et ce jugement est susceptible d'appel, étant observé qu'en l'espèce il y est mentionné que le tribunal a invité les parties à s'expliquer sur le moyen, soulevé d'office, tiré du défaut d'information et de sa sanction (articles L311-16 et L.311-48 du code de la consommation) ; par conséquent la décision encourt la réformation devant la cour, saisie en tout état de cause de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel.
Sur la demande en paiement de la banque :
Les articles du code de la consommation cités ci-dessous sont ceux du code dans sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 2010, applicable au contrat de l'espèce dont l'offre a été émise le 21 décembre 2011, et selon la numérotation en vigueur jusqu'au 30 juin 2016.
Le tribunal d'instance a prononcé la déchéance du droit aux intérêts aux motifs que le Crédit Mutuel ne justifiait pas avoir remis aux emprunteurs la fiche d'informations pré-contractuelles prévue aux articles L. 311-6 et R. 311-3 du code de la consommation, ni leur avoir fourni les explications exigées par l'article L. 311-8 du même code, ni avoir vérifié leur solvabilité avant la conclusion du contrat conformément aux dispositions de l'article L. 311-9 du code précité, notamment en consultant le fichier prévu à l'article L. 333-4.
Le tribunal a limité la déchéance du droit aux intérêts en application des dispositions de l'article L. 311-48 du code de la consommation en considérant comme étant dû le capital restant dû au 18 février 2014 (19 802,68 euros) auquel a été ajouté le capital impayé des échéances prorogées (4 165,11 euros), soit une somme totale de 23 967,79 euros ; le tribunal a débouté la banque de sa demande au titre de l'indemnité contractuelle en application de l'alinéa 3 de l'article L. 311-48 précité.
Le Crédit Mutuel contestait en première instance avoir été tenu aux obligations d'information et de conseil.
La banque justifie en appel avoir consulté le 17 décembre 2011 le fichier avec pour résultat 'emprunteur absent au FICP' pour chacun des époux [D].
Elle fait valoir qu'elle a remis la fiche d'information pré-contractuelle en décembre 2011 aux emprunteurs, preuve en étant rapportée selon elle par la mention du contrat qu'ils ont paraphée et signée et la production d' un exemplaire vierge de la fiche ; cependant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), amenée à interpréter les dispositions de l'article L. 311-6 du code de la consommation issues d'une transposition de la directive n° 2008/48/CE du Parlement et du Conseil de l'Union européenne en date du 23 avril 2008, a, par arrêt du 18 décembre 2014, dit pour droit que ce texte s'oppose à ce qu'en raison d'une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur alors que reconnaître le plein effet d'une telle clause entraînerait un renversement de la charge de la preuve de l'exécution des obligations du prêteur de nature à compromettre l'effectivité du droit européen du crédit à la consommation ; il s'ensuit qu'à défaut pour le Crédit Mutuel de rapporter la preuve de la remise aux emprunteurs de la fiche d'informations précontractuelles visée à l'article L. 311-6, il doit être déchu du droit aux intérêts contractuels en application des dispositions de l'article L. 311-48.
Enfin et pour justifier avoir vérifié la solvabilité des emprunteurs avant la conclusion du contrat, l'appelante produit deux fiches de renseignements individuelles signées par chacun des époux en date du 28 juin 2011, dont la case cochée est 'caution' et non pas 'emprunteur' concernant la qualité des déclarants ; ceux-ci font valoir que ces fiches ont été remplies à l'occasion de leurs engagements en qualité de caution d'une Sarl [R] le 28 juin 2011 à hauteur de 38 400 euros pour un prêt de 32 000 euros et à concurrence de 18 000 euros pour un crédit de trésorerie de 15 000 euros, ce dont ils justifient.
Compte tenu du délai écoulé entre le 28 juin 2011 et le prêt de la cause souscrit six mois plus tard, ces fiches de renseignement étaient devenues obsolètes, ne serait-ce qu'au titre du montant des engagements des époux [D] ; de plus la banque n'a manifestement demandé aucune pièce aux futurs emprunteurs, alors que l'article L. 311-9 du code de la consommation lui fait également obligation, avant de conclure le contrat, de vérifier la solvabilité de l'emprunteur à partir d'un nombre suffisant d'informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur.
L'appelant encourt également pour ce motif la déchéance du droit aux intérêts par application de l'article L. 311-48 du code de la consommation.
Sur la responsabilité de la banque :
Il ressort de ce qui précède que le Crédit Mutuel n'a pas vérifié la solvabilité des futurs emprunteurs.
Il ressort des pièces versées que les époux [D] ont déclaré des revenus imposables de 85 715 euros pour l'année 2011, soit une moyenne mensuelle de 7 142,91 euros ; ils remboursaient par ailleurs d'autres prêts souscrits antérieurement pour l'acquisition et travaux de leur résidence principale, et d'un bâtiment industriel, un prêt professionnel de l'épouse et des loyers dans le cadre de la location d'un véhicule avec option d'achat pour un total mensuel de 3 123,39 euros.
Selon les fiches d'information du 28 juin 2011, leur actif net immobilier s'élevait alors à plus de 286 500 euros et l'épargne de l'épouse à plus de 20 000 euros ; ils étaient engagés en qualité de cautions de la Sarl [R] pour un montant total de 171 400 euros, et c'est à tort que le tribunal comme les intimés ajoutent au remboursement de leurs prêts personnels ceux de la société qu'ils ont cautionnés pour parvenir à un taux d'endettement de 71 % au 21 décembre 2011 ; leur taux d'endettement était de 43,72 % avant le prêt de 30 000 euros litigieux, et de 52,35 % après souscription du prêt ; ce taux certes élevé reste néanmoins supportable compte tenu des revenus des emprunteurs qui remboursaient notamment l'acquisition de leur résidence principale ; enfin ils ont remboursé les échéances du prêt jusqu'à l'échéance de mars 2013 incluse.
Par conséquent le prêt n'était pas abusif au regard des revenus, charges et patrimoine des emprunteurs.
Le tribunal a estimé que le prêt, dénommé 'consolidation de créance', était en réalité destiné à la Sarl [R] ; en effet les fonds ont été virés sur le compte de la société dès le lendemain de leur mise à disposition, ramenant le solde débiteur de la société à - 400 euros environ.
Cependant, et alors que l'époux était le gérant de la Sarl [R] et l'épouse associée, il n'est produit aucune pièce concernant un refus de la banque d'accorder une augmentation du crédit de trésorerie ou un nouveau prêt à la société, ni aucune pièce comptable hormis les relevés de compte de la société des mois de mai, juin, septembre à décembre 2011 ; la Sarl [R] n'a plus régulièrement payé les échéances de ses prêts à compter de septembre 2012, le Crédit Mutuel a constaté la déchéance des termes à effet au 05 février 2013, la société ayant été placée en liquidation judiciaire le 25 janvier 2013, alors que le compte courant présentait un solde débiteur de 16 764,42 euros soit à peine supérieur au crédit de trésorerie.
Rien ne permet non plus de penser que la banque aurait incité les époux [D] à souscrire ce prêt aux lieu et place de la société pour obtenir des garanties sur leur patrimoine privé, alors qu'ils s'étaient toujours engagés par le passé en qualité de cautions de ses engagements et pouvaient encore le faire au vu de leur situation financière ; enfin il n'est pas plus justifié que le Crédit Mutuel avait connaissance de sa destination réelle, hormis la dénomination du prêt.
Par conséquent la décision dont appel sera infirmée en ce qu'une faute de la banque a été retenue pour accorder aux époux [D] une somme équivalente à celle dont ils seraient redevables, se compensant intégralement à celle-ci.
Le premier juge a de fait appliqué une déchéance du droit aux intérêts proportionnelle, alors que le Crédit Mutuel encourt une déchéance totale en application de l'alinéa 1 de l'article L. 311-48 du code de la consommation, compte tenu de l'absence d'informations précontractuelles prévues par l'article L. 311-6.
Les intimés concluent à titre principal à la confirmation du jugement, et au débouté des demandes de la banque, et subsidiairement à la condamnation du Crédit Mutuel au paiement d'une somme de 25 689,73 euros outre 2 055,18 euros avec intérêts à compter du 19 février 2014, dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait aucune déchéance du droit aux intérêts et ferait droit aux demandes en paiement de la banque à hauteur de ces sommes avec intérêts à compter du 19 février 2014.
Par conséquent la cour, appliquant une déchéance totale du droit aux intérêts et infirmant toute condamnation du Crédit Mutuel à des dommages et intérêts avec compensation, condamnera les époux [D], après déduction des intérêts versés depuis l'origine jusqu'à l'échéance de mars 2013 (2 433,07 euros), à payer la somme de (23 967,79 - 2 433,07) = 21 534,72 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 février 2014, date de la mise en demeure.
Le débouté de la banque concernant l'indemnité contractuelle sera confirmé.
Sur les dépens et frais :
Les époux [D] étant en définitive condamnés en paiement, ils seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, et déboutés de toute demande de frais irrépétibles ; il n'y a pas lieu d'accorder quelque indemnité au Crédit Mutuel sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS :
La cour ;
Infirme le jugement dont appel, sauf en ce que la Caisse de Crédit Mutuel de Coray a été déboutée de sa demande au titre de l'indemnité contractuelle et les parties de leurs frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés ;
Condamne solidairement M. [W] [D] et Mme [H] [T] épouse [D] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Coray la somme de 21 534,72 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 février 2014 ;
Condamne solidairement les mêmes aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Condamne les mêmes aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes autres demandes.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,