Chambre des Baux Ruraux
ARRÊT N°
R.G : 15/09031
Mme [U] [K] épouse [H]
C/
Mme [S] [K] épouse [J]
M. [G] [J]
M. [K] [J]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 JANVIER 2017
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Maurice LACHAL, Président,
Assesseur : Madame Véronique JEANNESSON, Conseiller,
Assesseur : Madame Geneviève SOCHACKI, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise FOUVILLE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 Novembre 2016
devant Monsieur Maurice LACHAL, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 05 Janvier 2017 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
DEMANDERESSE SUR RENVOI APRES CASSATION :
Madame [U] [K] épouse [H]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Laurent FRENEHARD de la SELARL ACTAVOCA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
DEFENDEURS SUR RENVOI APRES CASSATION :
Madame [S] [K] épouse [J]
née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 1]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Eric LEMONNIER de la SELARL CABINET ERIC LEMONNIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [G] [J]
né le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Eric LEMONNIER de la SELARL CABINET ERIC LEMONNIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [K] [J]
né le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représenté par Me Eric LEMONNIER de la SELARL CABINET ERIC LEMONNIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
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Faits et procédure :
Un jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Vitré en date du 10 janvier 1994, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Rennes en date du 14 décembre 1994, a dit que M. [K] [J] et Mme [S] [K] épouse [J] étaient titulaires depuis le 1er novembre 1986 d'un bail rural sur des parcelles appartenant à Mme [U] [K] épouse [H] situées à [Localité 2] cadastrées section ZK [Cadastre 1] et [Cadastre 2] pour une surface de 9 ha 57 a 88 ca.
Le 24 juillet 2002, les biens loués ont été mis à disposition du GAEC de la Meulsonnais constitué par M. [K] [J] et M. [G] [J], son fils.
En 2006, M. [K] [J] a pris sa retraite pour cause de maladie et a cédé, le 30 novembre 2006, ses parts dans le GAEC à son épouse, qui a été nommée cogérante.
Le 31 janvier 2011, Mme [S] [K] épouse [J] a sollicité de Mme [U] [K] épouse [H] l'autorisation de céder son bail à M. [G] [J]. La demande, réitérée le 7 mars suivant, est restée sans réponse.
Le 20 avril 2011, Mme [S] [K] épouse [J] et M. [G] [J] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Rennes afin de se voir autoriser à céder le bail.
Par jugement en date du 19 juin 2012, le tribunal paritaire des baux ruraux de Rennes a autorisé, avec exécution provisoire, Mme [S] [K] épouse [J] à céder à son fils M. [G] [J] son bail à ferme sur les parcelles appartenant à Mme [U] [K] épouse [H] et a condamné cette dernière à lui payer la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt en date du 3 avril 2014, la cour d'appel de Rennes a confirmé le jugement.
Par arrêt en date du 22 octobre 2015, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 avril 2014 par la cour d'appel de Rennes et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.
Par déclaration en date du 19 novembre 2015, Mme [U] [K] épouse [H] a saisi la cour d'appel de renvoi.
Moyens et prétentions des parties :
Mme [U] [K] épouse [H], demanderesse au renvoi de cassation et appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter les consorts [J] de leur demande de cession de bail et de les condamner à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Elle fait valoir que la cession de bail rural est une faveur qui ne peut être accordée qu'au preneur qui a parfaitement respecté toutes les obligations découlant de son bail et du statut du fermage. Elle relate que M. [K] [J] prétend à tort qu'il a été libéré de ses obligations de preneur par l'effet d'un congé qu'il aurait notifié pour le 30 novembre 2006. Elle ajoute que la mise à disposition d'un bail n'est possible qu'à la condition que le preneur, ou en cas de co-titularité, les preneurs, soient associés au sein de la structure agricole bénéficiaire de la mise à disposition du bail. Elle souligne que le bail dont Mme [J] est expressément titulaire a été mis à disposition du GAEC de la Meulsonnais sans qu'elle y soit associée de 2002 au 30 septembre 2006, ce qui constitue un manquement qui s'oppose à ce qu'il soit fait droit à la demande de cession de bail. Elle ajoute qu'un manquement a de nouveau été perpétré à compter du 30 novembre 2006 lorsque M. [J] s'est retiré de la société.
Mme [S] [K] épouse [J], M. [G] [J] et M. [K] [J], défendeurs au renvoi de cassation et intimés, demandent à la cour de confirmer le jugement déféré et d'autoriser Mme [S] [K] épouse [J] à céder à son fils M. [G] [J] le bail rural portant sur les parcelles cadastrées commune de [Localité 2], section ZK n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] d'une contenance de 9 ha 57 a 88 ca, propriété de Mme [U] [K] épouse [H]. Ils sollicitent en outre la condamnation de celle-ci à leur payer la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent qu'au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, la cessation d'activité d'un des deux preneurs ne met pas fin au bail qui se poursuit au bénéfice de l'autre. Ils en déduisent que Mme [J], titulaire du bail, est habilitée au visa de l'article L. 411 ' 35 du code rural à demander l'autorisation de céder le bail. Ils précisent que par maladresse ou omission ou pour des raisons fiscales au sociales, Mme [J] n'a pas été associée formellement au GAEC dans un premier temps mais qu'il ne faut pas confondre une participation sociétaire et l'effectivité du travail. Ils considèrent que le fait de ne pas être juridiquement associé constitue une présomption de défaut d'exploitation qui en l'espèce ne résiste pas à la preuve contraire. Ils soulignent que l'effectivité du travail de Mme [J] n'est pas contestée et qu'elle est alors recevable à solliciter l'autorisation de céder le bail. Ils mentionnent que le défaut d'association de Mme [J] à la mise à disposition du bail au GAEC ne peut être considéré comme un manquement aux obligations nées du bail. Ils rappellent qu'en application des dispositions de l'article L. 411 ' 31 du code rural, la résiliation du bail peut être demandée par le preneur en cas d'incapacité au travail, grave et permanente, du preneur ou de l'un des membres de sa famille indispensable au travail de la ferme. Ils estiment alors que le départ en retraite d'un copreneur pour maladie grave ne peut pas constituer un manquement aux obligations nées du bail. Ils considèrent qu'en retenant comme motif pour refuser la cession du bail le défaut de qualité de coassociée de Mme [J] de 2002 à 2006, la Cour de cassation fait preuve d'une interprétation trop stricte de la loi en contradiction avec la réalité des faits bien appréciés par les juges du fond.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience.
Sur quoi, la cour
Mme [U] [K] épouse [H] reproche au premier juge d'avoir autorisé la cession du bail alors que les preneurs ont commis des manquements à leurs obligations tant en ce qui concerne M. [K] [J] que Mme [S] [K] épouse [J], le premier ayant cessé sa participation à l'exploitation du fonds agricole le 30 novembre 2006 et la seconde n'ayant pas été, de 2002 à 2006, associée du GAEC auquel les terres louées avaient été mises à disposition.
Mme [S] [K] épouse [J], M. [G] [J] et M. [K] [J] répondent que ce dernier a résilié le bail en ce qui le concerne suite à ses problèmes de santé, comme le permet le code rural, qu'un preneur a toujours été associé du GAEC de la Meulsonnais pendant toute la durée du bail et que Mme [S] [K] a toujours exploité les terres louées.
En vertu de l'article L. 411- 35 du code rural et de la pêche maritime, à défaut d'agrément du bailleur, la cession de bail peut être autorisée, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou à un descendant du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipé, par le tribunal paritaire qui apprécie la demande au regard de la bonne foi du cédant, à savoir s'il s'est constamment acquitté des obligations de son bail, et de la capacité du cessionnaire à respecter les obligations nées du contrat.
D'abord, aux termes de l'article L. 411 ' 33 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable, la résiliation d'un bail rural peut être demandée par le preneur dans le cas où il se trouve en incapacité au travail de manière grave et permanente.
M. [K] [J] justifie de la pathologie lourde dont il souffre et qui ne lui permet plus de participer au travail de la ferme. Par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 7 et 18 novembre 2006, Mme [U] [K] épouse [H] a été avertie par les deux copreneurs que M. [K] [J] cessait son activité en raison de "problème de santé grave et de son incapacité de travailler" au 30 novembre 2006 et que son épouse le remplaçait au sein du GAEC de la Meulsonnais. Dans ces conditions, le bail a pu se poursuivre au profit de Mme [S] [K] épouse [J].
Ensuite, en application des dispositions de l'article L. 323 ' 14 du code rural et de la pêche maritime, si le preneur d'un bail à ferme qui adhère à un groupement agricole d'exploitation en commun peut faire exploiter par ce groupement tout ou partie des biens dont il est locataire, il n'en demeure pas moins que seul le preneur reste titulaire du bail même si le groupement est tenu solidairement avec le preneur de l'exécution des clauses du bail, notamment du paiement du fermage. En conséquence, un groupement agricole d'exploitation en commun peut exploiter les terres mises à disposition seulement lorsqu'au moins un preneur des terres, associé de ce groupement, est en activité et n'a pas quitté le groupement.
Par ailleurs, conformément à l'article L. 411 ' 37 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction alors applicable, le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l'attribution de parts. Cependant, le preneur qui reste seul titulaire du bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation. Enfin, les coassociés du preneur, ainsi que la société si elle est dotée de la personnalité morale, sont tenus indéfiniment et solidairement avec le preneur de l'exécution des clauses du bail. Il s'en déduit qu'en cas de pluralité de preneurs, il est nécessaire qu'au moins un preneur soit associé de la société à objet principalement agricole et que tous les preneurs continuent à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition de la société, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.
Les statuts du GAEC de la Meulsonnais démontrent que de 2002 au 30 novembre 2006 M. [K] [J], l'un des copreneurs, a été associé de ce groupement et qu'à compter du 1er décembre 2006, Mme [S] [K] épouse [J], l'autre copreneur, est devenue associée du groupement. Ainsi, un des preneurs a toujours été associé du GAEC.
Il ressort du règlement intérieur du GAEC de la Meulsonnais établi le 25 juillet 2002 que la répartition des tâches et des responsabilités était ainsi opérée : "travaux de culture : [G] ; entretien du matériel : [K] et [G] ; suivi du troupeau allaitant : [K] et [S] ; alimentation des bovins : [G] et [K] ; alimentation des petits veaux : [S] ; comptabilité : [S]". La réalité de ces éléments n'est pas contestée. Dans ces conditions, d'une part, M. [K] [J] a participé sur les lieux loués aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, de 2002 au 30 novembre 2006, date à laquelle il a cessé son activité et, d'autre part, Mme [S] [K] épouse [J] s'est toujours consacrée à l'exploitation du bien loué, y compris depuis qu'il a été mis à disposition du GAEC.
Aucun manquement ne peut être reproché aux preneurs. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a autorisé la cession du bail à M. [G] [J].
Par application des articles 696 et 639 du code de procédure civile, Mme [U] [K] épouse [H] sera condamnée à tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris à ceux afférents à la décision cassée.
Il serait inéquitable de laisser à Mme [S] [K] épouse [J], M. [G] [J] et M. [K] [J] la charge des frais exposés par eux non compris dans les dépens. Il y a lieu de condamner Mme [U] [K] épouse [H] à leur verser une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré ;
Condamne Mme [U] [K] épouse [H] à tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris à ceux afférents à la décision cassée ;
Condamne Mme [U] [K] épouse [H] à verser à Mme [S] [K] épouse [J], M. [G] [J] et M. [K] [J] une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,