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04/05/2016 | FRANCE | N°15/04170

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 04 mai 2016, 15/04170


COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 04 MAI 2016

ARRET No 392
R.G : 15/04170

Association ADAPEI 79
C/
X...

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/04170
Décisions déférées à la Cour : - Jugement au fond du 02 octobre 2015 rendu par le Conseil de prud'hommes de THOUARS - Jugement rectificatif du 05 octobre 2015 rendu par le Conseil de prud'hommes de THOUARS

APPELANTE :
Association ADAPEI 79 14 bis rue d'Inkerman BP 39124 79061 NIORT CEDEX 9
Représentée par Me François-Xavier CHEDANEAU de la SCP D'AVOCA

TS TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS

INTIME :
Monsieur Mathieu X... né le 19 Décembre 1975 à VIRE ...

COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 04 MAI 2016

ARRET No 392
R.G : 15/04170

Association ADAPEI 79
C/
X...

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/04170
Décisions déférées à la Cour : - Jugement au fond du 02 octobre 2015 rendu par le Conseil de prud'hommes de THOUARS - Jugement rectificatif du 05 octobre 2015 rendu par le Conseil de prud'hommes de THOUARS

APPELANTE :
Association ADAPEI 79 14 bis rue d'Inkerman BP 39124 79061 NIORT CEDEX 9
Représentée par Me François-Xavier CHEDANEAU de la SCP D'AVOCATS TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS

INTIME :
Monsieur Mathieu X... né le 19 Décembre 1975 à VIRE (14500) de nationalité Française... 79200 VIENNAY
Représenté par Me Ludovic PAIRAUD, avocat au barreau de DEUX-SEVRES

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Eric VEYSSIERE, Président Monsieur Jean-Paul FUNCK-BRENTANO, Conseiller Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Christine PERNEY

ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Eric VEYSSIERE, Président, et par Madame Christine PERNEY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. Mathieu X... a été engagé par l'association Adapei 79 le 8 février 1999 par contrat de travail à durée déterminée jusqu'au 15 février 1999. Un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu par les parties le 4 mars 1999 pour l'exercice des fonctions d'aide médico-psychologique à compter du 8 mars 1999 sur le site du Cat A. Rousseau à Bressuire. Le 7 juin 2007 un nouveau contrat a été régularisé par les parties pour l'exercice des fonctions de moniteur-éducateur 2ème catégorie. Le 12 août 2013, M. Mathieu X... a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire. Le 23 août 2013, il a été licencié pour faute grave pour avoir tenu des propos présentant un caractère humiliant lors d'une conversation sur Facebook avec un résident souffrant d'un handicap mental dont il avait la charge en tant qu'éducateur professionnel.
Contestant ce licenciement, il a saisi le 25 avril 2014 le conseil de prud'hommes de Thouars de demandes en paiement de rappel de salaires et d'indemnités de rupture.
Par jugement rendu le 2 octobre 2015, le conseil de prud'hommes de Thouars statuant en formation de départage a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et a condamné l'association Adapei 79 à payer à M. Mathieu X... : • 1.012,55 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied outre les congés payés afférents, • 40.000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, • 4.289,04 euros nets au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, • 12.488,34 euros à titre d'indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement, • 1.500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes a condamné l'association Adapei 79 à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à M. Mathieu X... dans la limite de 1 mois maximum et il a ordonné l'exécution provisoire de l'intégralité de sa décision.

Par jugement rendu le 5 octobre 2015, le conseil de prud'hommes de Thouars, rectifiant une erreur matérielle affectant le jugement rendu entre les parties le 2 octobre 2015 a dit que la somme de 12.488,34 euros était due au titre de l'indemnité légale de licenciement et non à titre de dommages intérêts pour non-respect de la procédure.
L'association Adapei 79 a régulièrement relevé appel de ces jugements.
Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 4 novembre 2015.
Par conclusions déposées le 11 février 2016, développées oralement à l'audience de plaidoiries, l'association Adapei 79 demande à la cour de réformer le jugement déféré, de débouter M. Mathieu X... de ses demandes en le condamnant à lui payer 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 22 février 2016, développées oralement à l'audience de plaidoiries, M. Mathieu X... demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement déféré en jugeant son licenciement sans cause réelle et sérieuse et en condamnant l'association Adapei 79 à lui payer 40.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions, il y a lieu de se référer au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

MOTIFS DE L'ARRÊT

La lettre de licenciement pour faute grave qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée : " Vous avez tenu à Mr Z..., personne souffrant d'un handicap mental, accueillie au foyer d'hébergement du Complexe André Rousseau à Bressuire et dont vous êtes l'un des éducateurs, à l'occasion d'une conversation sur Facebook des propos : 1) visant à faire croire à ce dernier, que s'il faisait voir à votre collègue les photos que vous aviez prises et mises sur Facebook, vous lui feriez manger des haricots verts pendant 6 mois : «Si tu lui fais voir les photos, je te fais manger durant 6 mois que des haricots verts», 2) consistant en des menaces : «j'en parlerais à ton médecin qui t'a mis au régime. On t'enverra en centre pour te mettre un anneau gastrique. Tu finiras comme Christiane P. ... Sous oxygène et à l'hôpital.» 3) affirmant que vous aviez, comme les autres éducateurs, le dossier médical de Monsieur Z..., ce qui est complétement faux: «Nous avons tous un dossier médical des personnes accueillies.»(...) «Rien n'est personnel à l'ESAT».
Le contenu de l'échange entre vous et Mr Z... a eu pour effet de créer un réel mal être chez Mr Z..., puisque celui-ci a déclaré au directeur de l'établissement Mr A... «ces propos m'ont fait un noeud au ventre (...) j'étais inquiet que tout le monde voit mon dossier médical». Et même un sentiment de peur, Mr Z... déclarant à Mr A... « je n'ai plus envie d'être en face de lui. J'ai peur de ce qu'il peut me dire» ; «je suis inquiet, parce que je ne veux pas qu'il m'arrive quelque chose comme Christiane».
Lors de cet échange sur Facebook, vous décidez de fixer des objectifs à Mr Z... : «Objectif pour septembre : Te laver 3 fois par jour, te raser tous les jours... Changer de vêtements tous les jours et surtout ton slip... Arrêter de fumer... Te laver les dents 3 fois par jour... Mettre du parfum... Et me présenter ton esthéticienne pour que je l'invite au restaurant.», procédé que celui-ci a ressenti et qualifié de chantage de votre part, à son égard.
L'ensemble de vos propos présente en outre, tant dans la forme que sur le fond, un caractère particulièrement humiliant que nous ne pouvons pas accepter.
Lors de cet entretien du 20/08/2013, Mme B... a recueilli vos explications : vous avez un humour noir et ne pensiez pas à mal ; vous n'aviez pas l'intention de nuire ; vous avez pris conscience que vous aviez vexé et blessé Mr Z... et vous vous en excusez ; .....
Mais ces explications ne sont pas de nature à modifier notre appréciation des faits et sur le caractère fautif de vos comportements et propos à l'égard de Mr Z..., alors que vous êtes un professionnel diplômé.
Tenir ces propos et avoir ce comportement en tant qu'éducateur diplômé, vis-à-vis d'une personne accueillie, dont vous avez la charge, personne vulnérable qui est nécessairement dans une position d'infériorité et de dépendance vis-à-vis de vous, constitue pour le moins une violence morale et donc un acte de maltraitance, ce qui est inacceptable.
Nous vous rappelons par ailleurs que si ces faits ne se sont pas produits pendant le temps de travail et sur le lieu de travail, o ils relèvent juridiquement de la vie professionnelle, puisqu' il s'adresse à une personne accueillie dont vous avez la charge en tant que personnel de l'ADAPEI79 ; o ils constituent un manquement grave à vos obligations professionnelles en tant qu'éducateur, obligations professionnelles interdisant tout acte de maltraitance physique ou morale à l'égard d'une personne accueillie ; de plus alors que la Charte des Droits et Libertés de la Personne Accueillie impose le respect de la dignité de la personne accueillie (en l'occurrence Mr Z...) vos échanges et propos avec lui ont un caractère particulièrement humiliant, qui ne peut pas être accepté ; o ils sont de nature à mettre en cause la responsabilité de l'ADAPEI79, puisque nous sommes notamment en présence d'un acte de maltraitance à l'égard d'un usager de l'ADAPEI79, de la part d'un personnel de l'ADAPEI79 exerçant au sein de l'entreprise une fonction éducative, ce qui a justifié un signalement auprès des autorités, comme vous l'a dit Mme B... ; o ils ont des répercussions sur le fonctionnement de l'établissement A. Rousseau, compte tenu de votre fonction et de la finalité de l'établissement.
Aussi au terme de cet entretien du 20/08/2013 et du délai de réflexion que nous avons pris, nous vous notifions par la présente, la rupture de votre contrat de travail pour faute grave pour les différentes raisons mentionnées plus haut ; celles-ci mettent en cause la bonne marche de l'établissement A. Rousseau et plus largement le bon fonctionnement de l'entreprise, les explications que vous avez fournies lors de l'entretien préalable du 20/08/2013 ne permettant pas de modifier notre appréciation sur l'ensemble de vos propos et comportement à l'égard de Mr Z... et sur leur gravité.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise, même pendant la durée réduite du préavis, s'avère impossible..."
M. Mathieu X... fait d'abord valoir le caractère illicite du mode de preuve utilisé par l'employeur pour établir la réalité des propos incriminés qui fondent son licenciement.
En l'espèce, il ressort des captures d'écran produits aux débats que les propos reprochés à M. Mathieu X... ont été recueillis sur le réseau social Facebook et que seuls MM. Z... et X... avaient accès à ces messages via leurs profils dont l'accès est sécurisé par un mot de passe, ainsi que l'employeur le reconnaît lui-même dans ses écritures (page 12 de ses conclusions). Il s'agissait donc d'une conversation privée échangée entre deux utilisateurs du réseau Facebook, qui n'était pas accessible à des tiers. Même si par son contenu, cette conversation pouvait se rattacher à la sphère professionnelle, sa divulgation, quelqu'en soit l'auteur, était de nature à porter atteinte à la vie privée et à violer le secret des correspondances.
Le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée et au secret des correspondances qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
En l'espèce, l'atteinte était proportionnée au but poursuivi qui est, pour un employeur, dont la fonction est la prise en charge de personnes handicapées afin de leur permettre d'exercer une activité dans un milieu protégé, d'assurer la protection d'un résident souffrant d'une déficience mentale et physique et bénéficiant d'un statut de majeur protégé contre les agissements d'un moniteur-éducateur salarié susceptibles de constituer des actes de maltraitance.
M. Mathieu X... conteste ensuite avoir eu un comportement fautif vis à vis de M. Z... ainsi que la gravité de la faute qui fonde son licenciement.
La cour retient que les propos incriminés visés dans la lettre de licenciement, qui présentent un caractère humiliant, ainsi que l'a ressenti celui qui en était l'objet, par ailleurs exclusif de la part de leur auteur d'une volonté de maltraitance mais aussi d'une volonté d'entrer dans une dynamique de dérision prétendument éducative, caractérise, de la part d'un moniteur-éducateur investi d'une mission éducative auprès de personnes vulnérables, un comportement fautif justifiant un licenciement.
Cependant l'employeur a pu avoir une entière connaissance des faits qui ont fondé le licenciement de M. Mathieu X... le 11 juillet 2013 alors que celui-ci n'a pas été empêché d'effectuer l'accompagnement éducatif mensuel de M. Z... le week end du 13 et 14 juillet 2013. De plus la lettre de convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement assortie d'une mise à pied conservatoire ne lui a été remise que le 12 août 2013 soit plus de 30 jours après que l'employeur ait eu connaissance des faits ce qui démontre que la poursuite de l'exécution du contrat de travail pendant la durée du préavis qui caractérise une faute grave n'était pas impossible d'autant que M. Mathieu X... a démontré par le comportement qu'il a adopté à la suite de la révélation des faits qu'il n'était pas susceptible de réitérer un comportement similaire.

Enfin et surtout M. Mathieu X..., qui exerçait son activité professionnelle au sein de l'Esat A. Rousseau depuis plus de 14 ans, n'avait jamais été sanctionné et il démontre au surplus par de nombreuses pièces (pièces 12 à 26, 51) qu'il était reconnu pour ses qualités professionnelles.
En l'absence d'existence d'une faute grave et de prononcé préalable d'une sanction disciplinaire exigée par l'article 33 de la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées qui régit le contrat de travail de M. Mathieu X..., les conditions prévues par cette convention pour licencier un salarié, qui constituent pour ceux-ci une garantie de fond, n'étaient pas remplies de telle sorte que le licenciement de M. Mathieu X... est abusif.
Compte tenu de l'ancienneté dans l'entreprise de M. Mathieu X... (14 ans), de son âge et de sa rémunération à la date du licenciement (2.145 euros) et au vu des pièces produites pour justifier du préjudice que lui a causé la perte de son emploi (pièces 45 à 50 et 58), il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 30.000 euros. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.
En raison du caractère abusif de la rupture par l'employeur de son contrat de travail, le salarié a droit au rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, à l'indemnité conventionnelle de licenciement, à l'indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'aux congés payés afférents qu'il réclame. Le jugement déféré sera confirmé sur ces dispositions.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. Mathieu X... la totalité de ses frais irrépétibles. Il lui sera alloué la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La charge des dépens incombe à la partie perdante, en l'espèce l'association Adapei 79.

PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré mais seulement sur le montant alloué à M. Mathieu X... au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau de ce chef :
Condamne l'association Adapei 79 à payer à M. Mathieu X... la somme de 30.000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Déboute pour le surplus,
Condamne l'association Adapei 79 à payer à M. Mathieu X... la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'association Adapei 79 aux dépens de première instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15/04170
Date de la décision : 04/05/2016
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.poitiers;arret;2016-05-04;15.04170 ?
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