MD/NL
Numéro 5230/09
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRET DU 15/12/09
Dossier : 08/01737
Nature affaire :
Demandes relatives à un bail rural
Affaire :
[W] [T]
C/
[P] [E]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 décembre 2009, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 19 Octobre 2009, devant :
Monsieur NEGRE, Président
Monsieur CASTAGNE, Conseiller
Monsieur DEFIX, Conseiller, Magistrat chargé du rapport conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile.
assistés de Madame PEYRON, Greffier, présent à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [W] [T]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par la SCP LONGIN, LONGIN-DUPEYRON, MARIOL, avoués à la Cour
assisté de Me BORDENAVE, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
Madame [P] [E] prise tant en son nom personnel qu'es qualités d'administratrice légale de ses enfants mineurs [J] [T] et [N] [T]
[Adresse 4]
[Localité 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2008/003451 du 27/06/2008 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)
représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour
assistée de Me MOUNIER, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 05 MARS 2008
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU
FAITS-PROC'DURE-PR'TENTIONS
Par acte d'huissier du 21 juillet 2005, Monsieur [W] [T] a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de PAU Madame [P] [E] veuve [T], sa belle fille, cette dernière tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice de ses enfants mineurs [J] et [N], à l'effet de la voir condamner à lui verser la somme de 42.685,72 euros au titre d'une facture correspondant à la cession de divers matériels et du cheptel vif.
La défenderesse ayant notamment contesté la valeur probaboire de la copie de la facture produite au soutien des prétentions de Monsieur [T], une expertise en comparaison d'écritures a été confiée à Madame [Z].
Dans son rapport déposé le 12 mai 2007, l'expert a considéré que l'ensemble des écrits figurant sur la « facture de reprise de capital d'exploitation » datée du 31 mars 1996 était très certainement de la main de Monsieur [B] [T], l'absence de l'original l'empêchant d'être formelle et la copie de médiocre qualité ne lui permettant pas de déterminer la provenance de traînées d'encre au niveau d'une lettre de la signature.
Suivant jugement du 05 mars 2008, le Tribunal de grande instance de PAU a débouté Monsieur [T] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à Madame veuve [T] es qualités d'administratrice légale de ses enfants mineurs la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts et celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le Tribunal a jugé que le document produit ne portait pas reconnaissance par [B] [T] du montant de l'actif cédé et que le demandeur ne justifiait d'aucune impossibilité morale ou matérielle pour n'avoir pas établi ou conservé de pièce justifiant la cession de son exploitation à son fils, un doute demeurant en outre sur le caractère parfait du reflet par la copie de l'original.
Saisi reconventionnellement d'une demande d'expertise aux fins d'évaluation de l'indemnité due au preneur sortant, le Tribunal a rappelé que par son jugement du 25 octobre 2006, il avait déterminé qu'une telle demande relevait de la compétence du Tribunal paritaire des baux ruraux, renvoyant les parties devant cette juridiction pour faire trancher cette demande et a sursis à statuer dans l'attente de la décision de celle-ci.
Le Tribunal a enfin fondé la condamnation aux dommages intérêts par l'existence d'un préjudice moral des enfants en raison d'un chantage aux droits de visite et à une renonciation par ces enfants à leurs droits dans la succession de leurs grands parents.
Monsieur [W] [T] a formé appel contre cette décision suivant déclaration du 07 mai 2008.
''''''
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 mars 2009, Monsieur [W] [T] a demandé in limine litis à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que les demandes de Madame [E] étaient irrecevables et relevaient de la juridiction du Tribunal paritaire des baux ruraux. Il a rappelé l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 25 octobre 2006 ayant déjà tranché la question de l'irrecevabilité des demandes de Madame [E] veuve [T].
Il a pour le surplus sollicité la réformation du jugement. Il s'est fondé sur les travaux de l'expert pour retenir que le texte manuscrit du document litigieux a bien été écrit et signé par [B] [T] laissant présumer son consentement et la défenderesse n'apportant aucun autre élément pour attester du contraire.
Il a aussi insisté sur la force probatoire d'une copie qui a valeur d'écrit au sens de l'article 1341 du Code Civil et sur les déclarations de l'intimée ayant reconnu dans ses écritures que Monsieur [B] [T] avait apporté son matériel et son cheptel à un GAEC créé avec l'oncle de ce dernier concomitament à la date d'établissement de la facture.
Il a soutenu le moyen selon lequel l'existence d'une éventuelle créance de succession dont il conteste le principe pour défaut de preuve ne pouvait lui être opposée en précisant que contrairement aux allégations d'une prétendue aide du fils à éponger les dettes du père, ce dernier s'était porté caution du fils pour le financement de son installation.
Il a enfin expliqué que les grands parents paternels avaient dû introduire une action en reconnaissance de leur droit de visite sur leurs petits enfants suite à la rupture des relations imposée par leur belle fille à la suite de l'accident mortel de leur fils.
Monsieur [W] [T] a demandé la condamnation de Madame [E] es nom et qualités à lui payer la somme de « 41.635,72 euros » outre intérêt légaux à dater du 21 juillet 2005 et celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ains qu'aux entiers dépens d'appel et de première instance en ceux compris de l'incident et de l'expertise formés en première instance, avec bénéfice de distraction.
Suivant ses dernières conclusions déposées le 27 janvier 2009, Madame [P] [E] veuve [T] a précisé avoir accepté, après autorisation du juge des tutelles, la succession de son mari sans connaître l'existence de la dette dont le paiement a été ultérieurement recherché par Monsieur [W] [T] et qu'un litige est né entre elle-même et l'oncle de son mari pour le remboursement des parts sociales détenues dans le GAEC et du compte courant faisant actuellement l'objet d'une procédure pendante devant la Cour de Cassation.
Elle a ajouté que dans ce contexte ses beaux parents lui ont adressé le 31 mars 2005 un courrier la menaçant de la poursuivre en justice pour obtenir un droit de visite sur leurs petits-enfants si elle ne renonçait pas devant notaire à tout droit dans le partage de leur succession future.
Se fondant aujoud'hui sur l'absence de production de l'original de la facture litigieuse, constatée par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance, Madame [T] a demandé à la Cour d'en tirer toute conséquence en appliquant les dispositions des articles 1341 et 1325 du Code Civil supposant à tout le moins l'existence d'une reproduction fidèle et durable du titre original.
Elle a considéré que le document produit ne peut en tout état de cause servir de fondement à une reconnaissance de dette mais était tout au plus une simple estimation pour justifier auprès de divers organismes les demandes d'aides à l'installation d'un jeune agriculteur ne portant aucune intention de cession à titre onéreux. Elle a opposé la notion de don manuel.
Elle a demandé en conséquence la confirmation du jugement entrepris et la condamnation supplémentaire de Monsieur [W] [T] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts et celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens avec bénéfice de distraction.
SUR CE, LA COUR :
Attendu tout d'abord que l'authenticité de la pièce fondant l'action en paiement présentée par Monsieur [W] [T] ne saurait plus désormais faire débat, l'expert judiciaire ayant conclu que l'écriture figurant sur ce document entièrement manuscrit était « très certainement » de la main de [B] [T] et qu'il existait des similitudes importantes entre la signature figurant sous la mention « preneur » et la signature de Monsieur [B] [T] dans les pièces de comparaison ;
que les réserves exprimées par l'expert en raison de la nature du support livré à son analyse ne sauraient toutefois infirmer le sens général de ses conclusions en l'absence de tout autre élément de nature à faire douter de l'authenticité du document, Madame [T] soutenant en défense que celui-ci avait été établi pour l'octroi de certaines aides ou formalités administratives ;
Attendu que se pose ensuite la question de la valeur probatoire de ce document, déniée par l'appelante qui oppose les dispositions de l'article 1325 du Code Civil ; qu'il est constant en effet que la convention datée du 31 mars 1996 dont le défaut de production de l'original a été constaté par le juge de la mise en état du 25 avril 2006, a pour objet explicite la cession de matériel et de cheptel vif et constitue un acte synallagmatique pour une valeur de la transaction excédant la somme de 762.25 euros, montant au dessus duquel un écrit était exigé à la date de sa rédaction ;
Que ce document ne fait état d'aucune rédaction en double original et qu'il n'est établi aucune exécution déjà réalisée des obligations de Monsieur [W] [T] à la date de sa signature ;
Mais attendu que la preuve par écrit de la convention peut parfaitement résulter d'une copie ainsi que le soutient à bon droit Monsieur [T], partie à l'acte, dès lors qu'elle présente comme en l'espèce les caractéristiques d'une reproduction fidèle et durable de l'original au sens de l'article 1348 alinéa 2 du Code Civil s'agissant d'une photocopie parfaitement lisible sans que son détenteur soit tenu de démontrer les circonstances qui l'auraient empêché de conserver un double original ;
Attendu enfin que s'agissant du sens de l'obligation souscrite par [B] [T] aux termes de ce document, il convient de relever que l'intitulé « facture de cession de reprise capital d'exploitation » d'un écrit daté, portant l'identité, le nombre ainsi que la valeur des biens cédés et signé par Monsieur [B] [T] avec la qualité explicite de « preneur » doit être mis en relation avec un bail à ferme signé entre les mêmes parties 6 jours plus tôt avec effet au 1er avril 1996 à titre onéreux et concernant l'exploitation en terres et bâtiments appartenant à Monsieur [T] dont il n'est pas contesté qu'il était admis à faire valoir ses droits à la retraite ;
qu'il est constant que [B] [T] a disposé en propriétaire de ce bétail et de cet outillage pour l'apporter quelques mois plus tard au GAEC TROISEL dans lequel il est entré ; que le caractère gratuit d'un acte ne se présume pas et qu'en l'absence de stipulation de terme pour le paiement du prix total de la cession mentionné à l'acte, le cédant est en droit d'en réclamer le paiement dans le délai de prescription de la dette ; que Madame [E] n'établit aucune intention libérale ni aucun paiement libératoire ; que spécialement sur ce dernier point, l'intimée n'apporte strictement aucun élément sur l'identité des dettes d'exploitation de Monsieur [W] [T] et les modalités de leur apurement par son fils, autant d'élements qui devraient figurer dans la comptabilité de l'entreprise agricole de [B] [T] qu'elle seule est en mesure de produire ; que la copie d'un contrat de prêt non daté pour une stabulation au nom de [W] [T] ne peut y pallier et contribue à tout le moins à justifier l'intérêt d'une cession à titre onéreux du capital d'exploitation ;
qu'en outre les circonstances de la revendication du prix de cession qui seront évoquées ci-après lors de l'examen de la demande en paiement de dommages intérêts et qui sont présentées comme réactives à la volonté de l'héritière à disposer du patrimoine du défunt en demandant le remboursement des parts détenues dans le GAEC familial sont indifférentes à la qualification juridique du contrat et au bien fondé de la demande en paiement ;
qu'en conséquence, il convient de réformer le jugement de première instance qui avait débouté Monsieur [W] [T] de ses demandes et qu'il y a lieu de condamner Madame [P] [E] veuve [T] tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale des enfants minieurs [J] et [N] [T], la somme de 42.685,72 euros qui est bien visée dans les motifs des conclusions de Monsieur [T] nonobstant l'erreur matérielle affectant cette somme dans le dispositif de ces mêmes conclusions ; que cette condamnation sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2005 conformément à la demande étant précisé que la lettre valant mise en demeure conditionnelle du paiement de l'intégralité de la dette est datée du 21 juin 2005 et signifiée par voie d'huissier le 22 juin 2005 ;
Attendu que préalablement à ce courrier et à l'action introduite par [W] [T], ce dernier avait écrit à sa belle-fille le 31 mars 2005 pour proposer une solution transactionnelle en invitant cette dernière à abandonner tout droit ainsi que ceux de ses enfants dans le partage successoral en contrepartie de l'engagement des grands parents à cesser la procédure engagée pour exercer leur droit de visite sur leurs petits-enfants ;
que si la menace d'exercer un droit et de le faire reconnaître en justice n'est pas en soi un abus, les circonstances de son expression peuvent dégénérer en faute comme en l'espèce, en cherchant à soutirer de la veuve de leur fils un abandon de patrimoine contre la promesse de ne pas faire exercer sous la contrainte un droit de visite sur des petits enfants pour lesquels ils n'avaient pas témoigné une particulière proximité à en lire les écritures échangées devant le juge aux affaires familiales ;
que si cette considération morale n'était pas susceptible d'effacer la dette reconnue à l'occasion de cette procédure d'appel, elle caractérise pour le moins une attitude agressive dont le premier juge a retenu à bon droit le principe et propre à causer un préjudice moral qu'il convient toutefois d'évaluer de manière proportionnée au litige en fixant le montant de sa réparation à la somme raisonnable de 2.000 euros ; que le jugement sera donc réformé en ce sens ;
Attendu que Madame [E] avait demandé reconventionnellement en première instance la désignation d'un expert afin d'évaluer les améliorations apportées sur les biens donnés à bail rural ainsi que l'indemnité due au preneur sortant et rechercher le montant de l'aide apportée par Monsieur [B] [T] à son père pour le paiement des charges incombant à ce dernier ;
que le Tribunal de grande instance de PAU avait dans son jugement du 25 octobre 2006 ordonnant avant dire droit la mesure d'expertise en écriture relativement à l'action principale, répondu de manière définitive en indiquant dans son dispositif : « constate que la détermination de l'indemnité dues au preneur sortant relève de la compétence du Tribunal paritaire des baux ruraux, renvoie les parties devant cette juridiction pour faire trancher cette demande et surseoit à statuer dans l'attente de la décision de cette juridiction » ; qu'il s'en suit que Madame [E] était irrecevable à voir rejuger cette question par le Tribunal de grande instance et qu'il sera constaté qu'elle ne reprend pas ce chef de demande dans ses conclusions déposées en phase d'appel visant à la confirmation du jugement du 05 mars 2008 ;
que cette décision sera donc confirmée sur ce point ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens ; que les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Attendu que les dépens, principalement constitués d'une expertise ordonnée au bénéfice d'un moyen s'étant révélé infondé, seront laissés à la charge de Madame [T] ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de PAU du 05 mars 2008 en ce qu'il a débouté Monsieur [W] [T] de sa demande principale en paiement du prix de cession d'actifs d'exploitation.
Condamne Madame [P] [E] veuve [T] tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice de ses enfants mineurs [J] et [N] à payer à Monsieur [W] [T] la somme de quarante deux mille six cent quatre vingt cinq euros et soixante douze centimes (42.685,72 €) outre les intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2005.
Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de PAU du 05 mars 2008 en ce qu'il a déclaré Monsieur [W] [T] responsable du dommage moral causé à ses petits enfants et, l'émandant sur le quantum, condamne Monsieur [W] [T] à payer à Madame [P] [E] veuve [T] en sa qualité d'administratrice de ses enfants mineurs [J] et [N] la somme de deux mille euros (2.000 €) à titre de dommages intérêts.
Déboute Monsieur [W] [T] et Madame [E] en personne ou es qualités de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.
Condamne Madame [P] [E] veuve [T] tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice de ses enfants mineurs [J] et [N] aux entiers dépens.
Accorde à la SCP Patrick LONGIN ' Claude LONGIN ' Patricia LONGIN DUPEYRON- Olivia MARIOL, avoués, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roger NEGRE, Président, et par Madame Mireille PEYRON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT,
Mireille PEYRON Roger NÈGRE