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13/07/2017 | FRANCE | N°17/05113

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 13 juillet 2017, 17/05113


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 13 JUILLET 2017



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/05113



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Janvier 2017 -Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 2016F212





APPELANTE



SA CERAM HYD, prise en la personne de Maître [O] [Q] ès qualité d'Administrateur judiciaire

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[Adresse 2]

[Localité 1]

N° SIRET : 484 573 761



Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Représentée par Me Charl...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRET DU 13 JUILLET 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/05113

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Janvier 2017 -Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 2016F212

APPELANTE

SA CERAM HYD, prise en la personne de Maître [O] [Q] ès qualité d'Administrateur judiciaire

[Adresse 1]

[Adresse 2]

[Localité 1]

N° SIRET : 484 573 761

Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Représentée par Me Charlotte BELLET de la SCP BOURGEON MERESSE GUILLIN BELLET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166

INTIMEE

Société ARCELIK AS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]

[Localité 2]

TURQUIE

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Représentée par Me Audrey KUKULSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substituant Me Jean-Gabriel FLANDROIS, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

PARTIE INTERVENANTE :

SCP [W]-[V], représentée par Me [N] [W], es qualité de liquidateur judiciaire de la société CERAM HYD

Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Représentée par Me Charlotte BELLET de la SCP BOURGEON MERESSE GUILLIN BELLET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juin 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Patrick BIROLLEAU, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre,

Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre,

M. François THOMAS, Conseiller, désigné par Ordonnance du Premier Président pour compléter la Cour

Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Patrick BIROLLEAU, président et par Mme Patricia DARDAS, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

La société Ceram Hyd, start up créée en 2005, a été soutenue financièrement par deux de ses actionnaires, les sociétés Innogy et Kentara. Ceram Hyd a réalisé des études approfondies dans les domaines de la céramique, des réactions d'électrochimie, des catalyseurs, des matériaux plastiques et de la simulation hydraulique pour optimisation des écoulements de fluides. Aux termes de dix ans de recherche, elle est parvenue à mettre au point une membrane de céramique, puis de cellules de désinfection appelées 'Mini-Stack', puis 'MiniCell' équipées de cette membrane, cette nouvelle technologique permettant des lavages plus écologiques. Cette invention a fait l'objet de dépôt de plusieurs brevets.

Sur la période de 2009 à 2014, les actionnaires ont investi près de 10 millions d'euros pour permettre à la société Ceram Hyd de mener à bien ses recherches. Fin 2013, un produit abouti et performant a été mis au point.

Au cours de l'année 2014, la société américaine Jabil versait la somme d'un million d'euros à Ceram Hyd en contrepartie de l'exclusivité de fabrication de la cellule MiniCell.

La société de droit turc Arçelik, qui a pour activité la fabrication et la commercialisation d'appareils électroménagers, de composants et d'articles d'électronique grand public durables, a manifesté son intérêt pour le MiniCell et s'est rapprochée de Ceram Hyd ; les parties s'étant rencontrées notamment du 14 au 16 mai 2014, la société Arçelik a rédigé une lettre d'intention, confirmant l'intérêt d'Arçelik pour l'intégration de la technologie développée par Ceram Hyd dans ses équipements électroménagers. Plusieurs rencontres ont ensuite eu lieu, au sujet du développement et de l'ajustement de la technologie développée par Ceram Hyd. Des démonstrations ont été effectuées, la société Arçelik a réalisé un test de validation sur les MiniCell. Les tests se sont révélés concluants.

Au mois de novembre 2014, un premier « MiniStack Term Sheet Agreement » a été rédigé par Ceram Hyd, décrivant les termes principaux d'un accord entre Ceram Hyd et Arçelik. Ce projet devait se réaliser en cinq étapes : négociations relatives à l'accord-cadre/production du prototype, pré-intégration, intégration des lave-vaisselles, outillage pour l'organisation de la fabrication, cycle d'approvisionnement/achats.

A l'issue d'une septième réunion, Arçelik a commandé à Ceram Hyd 30 MiniCell et 30 MediCell, avec une durée de vie garantie de 3.000 heures, ce qui nécessitait, pour Ceram Hyd, de réaliser d'importants travaux de développement complémentaires. Un document intitulé 'Proposition Technique', résumant les attentes techniques d'Arçelik sur les deux cellules, a ensuite été rédigé. En février 2015, la version finale de ces propositions techniques est adressée à la société Arçelik.

En mars 2015, Ceram Hyd était également en discussion avec Culligan, une société américaine. En même temps, d'autres réunions étaient organisées avec la société Arçelik.

En juillet 2015, Arçelik formulait le souhait d'obtenir une exclusivité sur tous les appareils électroménagers pour une période de 18 mois durant laquelle Ceram Hyd achèverait le développement du MiniCell aux fins d'intégration à ses produits. actions de la société Ceram Hyd. A cet effet, Arçelik annonçait qu'elle était prête à payer la somme de 2 millions d'euros pour la phase d'exclusivité et 12 millions d'euros pour l'achat des parts sociales de Ceram Hyd.

Par courriel du 29 septembre 2015, Arçelik est revenue sur les bases de cet accord.

Suite à cette annonce, les actionnaires de Ceram Hyd effectuaient un apport en trésorerie de 500.000 euros.

En octobre 2015, plusieurs réunions se sont tenues qui reprenaient les termes de l'accord prévu entre la société Ceram Hyd et la société Arçelik.

Au regard de l'évolution positive et constructive de leurs échanges, Ceram Hyd décidait de respecter l'exclusivité à compter du 16 octobre 2015. Ceram Hyd mettait un terme à toutes les relations qu'elle entretenait avec des concurrents de Arçelik.

En novembre 2015, Arçelik adresse à Ceram Hyd un premier projet de Term Sheet, qui constitue une base pour les accords.

Le 16 novembre 2015, la question du périmètre de l'exclusivité était définitivement tranchée, le périmètre se limitant aux lave-vaisselle et aux lave-linge. A cette date, les parties ont fixé les montants des deux options d'achat du capital de Ceram Hyd : 17,5 millions d'euros pour 100 % des actions (option 1) ou une augmentation de capital d'un montant de 3 millions d'euros donnant accès à Arçelik à une quote part de 10 % du capital (option 2).

Le 27 novembre 2015, une réunion a été organisée afin de régler un problème de fuite constaté au cours d'essais à 40/45°. S'en suivaient des propositions émanant de la société Ceram Hyd à ce sujet.

En décembre 2015, une version modifiée du Term Sheet a été échangée entre les parties. Dans un courriel du 4 décembre 2015, les parties se mettaient d'accord pour l'ouverture d'une Data Room.

Par courriel du 10 décembre 2015, Innogy (actionnaire de Ceram Hyd) a proposé de structurer la phase finale et d'optimiser l'efficacité de la réunion. Le même jour, Arçelik a adressé un courriel de transmission du projet d'accord d'exclusivité et du projet du contrat d'achat d'actions pour le lendemain, tout en confirmant les réunions prévues les 14 et 15 décembre 2016 à [Localité 3] pour finaliser les deux accords.

Parallèlement, Arçelik a informé Ceram Hyd d'un problème de fuite lors d'une expérience où la température de l'eau était supérieure à 50°. Ceram Hyd lui répondait que ce problème pourrait être réglé facilement et qu'il ne s'agissait pas d'un enjeu technique ; elle précisait qu'une nouvelle phase de test ne pourrait être effectuée qu'après signature de l'accord d'exclusivité et du contrat d'achat des actions.

De nouveaux tests sont effectués par Ceram Hyd, les résultats sont partagés avec Arçelik. Par courriel du 23 décembre 2015, Innogy adresse un courriel à cette dernière précisant le calendrier fixé.

Le 31 décembre 2015, Ceram Hyd a adressé les nouvelles versions de l'accord d'exclusivité et du contrat d'achat d'actions corrigés. A cette date, Ceram Hyd a réalisé une augmentation de capital à hauteur de 1.827.000 euros par conversion en actions de prêts octroyés par les actionnaires ; un apport de 500.000 euros a, en outre, été réalisé à Ceram Hyd par ses deux actionnaires. S'en sont suivis des échanges entre les actionnaires de Ceram Hyd et de Arçelik (Koç Holding, maison mère) sur la finalisation de l'accord.

Par courriel du 16 janvier 2016, Arçelik a informé Ceram Hyd d'un problème relevé par l'équipe R&D, qui pourrait repousser la décision à octobre 2016.

Le décès, le 21 janvier 2016, du président directeur général du Groupe Koç, maison mère d'Arçelik, a eu pour effet de retarder la dernière phase de signature. La signature des contrats ayant été repoussée au 8 février 2016, la société Arçelik a annulé la réunion, justifiant cette annulation par le fait que le directeur général était occupé pour « des raisons personnelles ».

Le 10 février 2016, Arçelik a informé Ceram Hyd d'un problème de corrosion sur les parties métalliques des lave-vaisselles. De nouvelles remarques ont été formulées par Arçelik au sujet de microgouttes de fuite constatées sur les cellules.

Le 16 février 2016, Arçelik a informé Ceram Hyd que les contrats ne seraient signés qu'une fois la phase de test terminée.

Par courriel et lettre recommandée avec accusé de réception des 14 et 15 mars 2016, Ceram Hyd a mis en demeure Arçelik de s'engager à signer l'accord d'exclusivité et le contrat de cession d'actions sous 8 jours maximum et de payer, le jour de cette signature, la somme de 3 millions d'euros.

Par acte d'huissier de justice en date du 18 mai 2016, la société Ceram Hyd, la société Innogy et la société Kentara ont fait assigner la société Arçelik devant le tribunal de commerce de Melun.

Par jugement rendu le 9 janvier 2017, le tribunal de commerce de Melun a :

- rejeté l'ensemble des prétentions de la société Arçelik ;

- débouté la société Ceram Hyd de sa demande principale ainsi que de ses demandes indemnitaires liées à la perte de chance, à l'atteinte de la réputation commerciale ainsi qu'au remboursement des sommes avancées par les actionnaires ;

- condamné la société Arçelik à payer à la société Ceram Hyd la somme de 1.350.000 euros ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la société Arçelik à payer à la société Ceram Hyd la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Prétentions des parties

La société Ceram Hyd, par conclusions déposées le 16 mars 2017, demande à la Cour de :

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande principale ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Arçelik à réparer le préjudice subi par la société Ceram Hyd ;

- l'infirmer sur le quantum ;

- constater que les sociétés Ceram Hyd et Arçelik AS étaient en pourparlers du mois de janvier 2014 au mois de novembre 2015 ;

- constater que les sociétés Ceram Hyd et Arçelik AS avaient manifesté leur volonté de s'engager et avaient exprimé leur accord ferme et irrévocable sur les éléments essentiels des contrats le 4 décembre 2015, et au plus tard le 5 février 2016 ;

A titre principal,

- dire que l'accord d'exclusivité et du contrat d'achat d'actions, sur les éléments essentiels, étaient réputés formés au 4 décembre 2015, et au plus tard le 5 février 2016 ;

- dire que la société Ceram Hyd a respecté l'exclusivité à compter du 16 octobre 2015, en accord avec la société Arçelik AS ;

- constater que la société Ceram Hyd avait en outre exécuté une part essentielle des engagements de l'accord d'exclusivité en communiquant à la société Arçelik AS, à sa demande, des informations techniques nombreuses et confidentielles liées à son savoir-faire, en lui adressant 30 MiniCell et de 30 MediCell, en organisant de nombreux échanges avec l'équipe de recherche de la société Arçelik AS et en mettant au point le prototype du MediCell ;

A titre subsidiaire,

- dire que la société Arçelik AS a rompu sans raison légitime, brutalement et unilatéralement, des pourparlers très avancés ;

- dire que la société Arçelik AS a maintenu volontairement Ceram Hyd dans une incertitude prolongée en lui laissant croire que les deux contrats seraient conclus à son profit et à celui de ses actionnaires ;

- dire que la société Arçelik AS a engagé sa responsabilité au regard de son comportement blâmable et son manquement aux règles de bonne foi dans les relations commerciales ;

En tout état de cause,

- dire que le motif avancé par la société Arçelik AS pour refuser de signer en février 2016 l'accord d'exclusivité et du contrat d'achat d'actions n'était pas légitime ;

- dire que la société Arçelik AS a agi avec une totale déloyauté après avoir capté l'entier savoir-faire de la société Ceram Hyd ;

En conséquence,

- condamner la société Arçelik AS à payer à la société Ceram Hyd la somme de 6.000.000 euros euros à titre de dommages-intérêts ;

En tout état de cause,

- condamner la société Arçelik AS à payer à la société Ceram Hyd la somme de 45.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur la formation des contrats au cours des pourparlers, elle fait en premier lieu valoir que l'accord d'exclusivité a fait naître, à la charge d'Arcelik, une obligation de payer une somme d'argent en contrepartie de l'exclusivité consentie par Ceram Hyd ; elle soutientles obligations de somme d'argent sont toujours susceptibles d'exécution forcée et que l'exécution en nature est d'ailleurs la seule issue.

Concernant les obligations de faire accessoires afférentes aux opérations de R&D sur le produit MiniCell, l'appelante énonce que l'exécution forcée en nature ne fait pas davantage de doute, l'exécution forcée étant le principe, sauf si elle reviendrait à pratiquer une contrainte physique.

Elle explique en second lieu que le contrat d'achat d'actions fait naître, à la charge de la société Arçelik, une obligation d'achat des actions de la société Ceram Hyd moyennant le prix de 17,5 millions d'euros pour le rachat de 100 % des parts sociales et de 3 millions d'euros pour le rachat de 10 % des parts sociales. Cet engagement se décompose alors en une obligation de payer une somme d'argent et en une obligation d'effectuer les formalités nécessaires ; cette seconde obligation s'analyse en une obligation de faire. Ces deux obligations sont, selon l'appelant, susceptibles d'exécution forcée.

L'appelante argue que ces contrats ont été valablement formés, étant donné que Ceram Hyd et Arçelik avaient exprimé leur accord sur les éléments objectivement essentiels de ces conventions. Ceram Hyd estime que ces conventions se sont formées soit le 4 décembre 2015, moment où les parties s'étaient accordées sur la dernière Term Sheet, soit le 5 février 2016, date à laquelle les parties ont fixé le rendez-vous de signature au 8 février 2016.

Un travail important a été réalisé par Ceram Hyd pour la mise au point des technologies au profit d'Arçelik, ce qui souligne le fait que les parties en étaient au stade d'un accord ferme sur les éléments objectivement essentiels.

Sur la responsabilité de la partie réfractaire

Les règles, lorsqu'une partie refuse d'exécuter son engagement né d'un contrat formé sur la base d'un accord des parties, sont gouvernées par la responsabilité contractuelle et l'octroi de dommages-intérêts.

Sur la rupture abusive des pourparlers par la société Arçelik et sur la faute commise dans la rupture des pourparlers

L'appelante soutient que, si une partie engagée dans des discussions en vue de la conclusion d'un contrat peut en principe décider d'y mettre fin unilatéralement au moment où elle le souhaite, la rupture des pourparlers ne peut intervenir dans n'importe quelles conditions. Ainsi, la partie qui rompt les discussions ne doit pas faire preuve de mauvaise foi. Dans un tel cas, sa responsabilité peut être engagée sur un fondement délictuel.

La victime d'une telle rupture peut alors obtenir des dommages-intérêts et sont alors indemnisables les pertes subies, le préjudice constitué par la déconvenue de ne pouvoir acquérir le bien convoité et la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers.

En l'espèce, l'appelant soutient que si la Cour venait à déclarer les contrats non encore formés et que les parties étaient toujours en phase de pourparlers, Arçelik a abusé de sa faculté de ne pas signer l'accord, a agi avec légèreté ou mauvaise foi, a rompu sans raison légitime, brutalement et unilatéralement des pourparlers très avancés. Arçelik aurait aussi maintenu volontairement Ceram Hyd dans une incertitude prolongée en leur laissant croire que les contrats seraient conclus. En conséquence, l'appelante prétend qu'Arçelik a engagé sa responsabilité à ce titre. Elle souligne qu'Arçelik n'avait, dès le départ, aucune intention sérieuse de respecter ses engagements contractuels, mais uniquement le souhait de capter le savoir-faire de l'appelante.

Au titre des contrats n'ayant pas été conclus, l'appelante estime que la société Arçelik lui doit 6 millions d'euros, qui se décomposent en une indemnité de 3 millions d'euros au titre de l'accord d'exclusivité, puis à une réinjection en capital de 3 millions d'euros.

Sur l'évaluation des préjudices, la société Ceram Hyd soutient que, du fait du retrait d'Arçelik, elle se trouve dans une situation financière catastrophique.

La SCP [W]-[V], représentée par Maître [N] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Ceram Hyd, est intervenue volontairement à l'instance. Par conclusions signifiées le 21 avril 2017, elle reprend les demandes et moyens de la société Ceram Hyd.

La société Arçelik AS, par conclusions signifiées par RPVA le 12 mai 2017, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a jugé qu'Arçelik avait engagé sa responsabilité au préjudice de Ceram Hyd et a condamné Arçelik à verser à Ceram Hyd la somme de 1.350.000 euros ;

- débouter Ceram Hyd de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

Subsidiairement, si la Cour confirme le jugement ce qu'il a jugé qu'Arçelik avait engagé sa responsabilité au préjudice de Ceram Hyd :

- dire que le préjudice subi par Ceram Hyd ne saurait être évalué à la somme de 1.350.000 euros mais tout au plus à la somme de 604.000 euros ;

En tout état de cause,

- condamner solidairement Ceram Hyd, Innogy Renewables Technology Fund I GmbH & Co. KG et Kentara Cleantech à verser à Arçelik la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient qu'il n'y a pas eu de contrat définitif entre les parties, que l'accord de principe intervenu avant la conclusion d'un éventuel contrat avait pour but non d'obliger à conclure le contrat définitif, mais d'inviter les parties à poursuivre les négociations ; elle prétend qu'aucun de ces documents échangés ne peut être considéré comme ayant valeur de contrat définitif juridiquement contraignant.

Le Term Sheet du 3 décembre 2015 n'emportait aucune obligation autre que celle de négocier avec la société Ceram Hyd ; cette obligation a été respectée et l'échec des négociations ne peut entraîner une quelconque responsabilité de la société intimée, ce qui était d'ailleurs précisé dans ledit document.

S'agissant de l'accord d'exclusivité, la société Arçelik fait valoir qu'il n'était qu'un accord partiel ; elle produit à cet égard des échanges entre le président-directeur-général et Arçelik pour démontrer que les parties n'avaient pas encore trouvé d'accord. L'accord d'exclusivité n'avait, selon Arçelik, aucune valeur juridique contraignante ; si Ceram Hyd s'est estimée liée par une obligation d'exclusivité à l'égard de l'intimé, ce n'est que de son fait, Arçelik ne lui ayant à aucun moment imposé de se comporter de la sorte ; elle ajoute que des désaccords importants demeuraient, ce qui est de nature à écarter l'existence d'un contrat définitif.

La société Arçelik conteste avoir commis la moindre faute et rappelle que le principe de liberté contractuelle impose que les pourparlers puissent être rompus à tout moment. Elle soutient qu'en l'espèce, les produits proposés par Ceram Hyd n'étaient pas aboutis et performants, ce qui rendait Arçelik réticente à la conclusion de tout accord définitif. Cette affirmation est vérifiée, selon l'intimée, par les nombreux échanges de courriels qui soulignent les interrogations de la société sur les produits proposés par Ceram Hyd. Elle fait par ailleurs valoir qu'elle n'a pas pris l'initiative de rompre les discussions mais seulement de résoudre les difficultés rencontrées et a permis à Ceram Hyd de travailler avec des concurrents.

Elle souligne enfin le caractère infondé des demandes indemnitaires de Ceram Hyd et rappelle qu'en vertu d'une jurisprudence constante, en cas de rupture de pourparlers, le préjudice ne peut en aucun cas être apprécié sur la base du contrat projeté puisque par hypothèse, les pourparlers peuvent toujours être librement rompus en vertu du principe de la liberté contractuelle ; le seul préjudice réparable correspond aux frais supportés par la victime, occasionnés par la négociation et les études préalables. La société Arçelik estime que le préjudice de la société Ceram Hyd s'élève à une somme comprise entre 483.200 euros et 604.000 euros, correspondant aux efforts d'investissement sur le plan financier, industriel et humain. Il est soutenu que la société Arçelik a aussi dû exposer des frais pour le développement de ces négociations.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Sur la demande principale de la société Ceram Hyd

Considérant que la société Ceram Hyd invoque la formation d'un contrat définitif entre elle et la société Arçelik AS, tant pour l'accord d'exclusivité que pour le contrat d'achat d'actions ;

Considérant que, le 3 décembre 2015, les parties ont signé un protocole d'accord 'Termes et conditions', qui a fait naître à leur charge une obligation de négocier en vue d'aboutir à la conclusion d'un contrat dont, au moment où les parties l'envisagent, ni les clauses essentielles, ni les clauses accessoires ne sont encore précisées ; qu'il s'agit dès lors d'entreprendre et de poursuivre la discussion, et de la conduire de bonne foi ; que ce protocole d'accord mentionnait notamment que 'ce Term Sheet est un document sans force juridique contraignante et ne peut pas être utilisé pour tout autre objectif qu'être un résumé des points de discussions majeurs à inclure dans l'Accord d'Exclusivité et dans le Contrat de Cession d'Actions. ['] Ce Term Sheet n'a pas vocation à être un document ayant force juridique contraignante et n'est préparé que pour une finalité de discussion' ;

Qu'il ne peut dès lors être soutenu qu'un accord a été conclu à la date de la dernière version de ce document, soit le 4 décembre 2015, le Term Sheet mentionnant expressément que celui-ci n'avait aucune valeur juridique contraignante et n'était préparé qu'en vue de constituer une base de discussion pour aboutir à un éventuel accord ;

Sur l'accord d'exclusivité

Considérant que l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise' ; que la formation d'un contrat suppose la réunion d'une offre et d'une acceptation sur les éléments essentiels de l'opération projetée ;

Considérant qu'il était prévu par les parties que l'exclusivité serait respectée par la société Ceram Hyd dès le 16 octobre 2015 ; que cet accord avait pour objet 'd'organiser la relation entre Ceram Hyd et Arçelik dans le cadre du projet, et, notamment, de : - organiser la gouvernance du Projet ; - identifier la structure de gestion et l'examen des résultats ; - établir les règles d'utilisation des résultats et de la PI de base destinées au domaine d'application' ; qu'en contrepartie de l'exclusivité accordée par la société Ceram Hyd, il était prévu que la société Arçelik s'acquitte d'une somme de trois millions d'euros ;

Considérant que, par courriel en date du 2 février 2016, Ceram Hyd a indiqué à Arçelik : 'Comme convenu cet après-midi, veuillez trouver en pièces jointes les deux contrats pré-finaux, prenant en compte notre conversation. Vous vouliez vérifier quelques points avec [C] (BSPCE, supprimer l'emprunt OSEO), ensuite nous devrions vérifier la concordance des renvois et compléter les derniers alinéas. Nous devrions alors être en possession des documents finaux. Par le présent acte, je demande à chacune des parties, y compris Ceram Hyd et Kentara, de fournir les informations manquantes respectives. J'enverrai des courriels spécifiques à chacun en surlignant les informations.' (pièce Ceram Hyd n° 64) ; que, par courriel en date du 3 février 2016, Arçelik a confirmé le rendez-vous de signature des accords pour le 5 février 2016, Ceram Hyd et ses actionnaires ont fait part de leur accord pour que la signature ait lieu à [Localité 4] ; que les échanges intervenus entre les parties n'ont porté que sur le lieu et la date de signature des contrats ; qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier qu'Arçelik ait, postérieurement au 5 février 2016, contesté tout ou partie du projet d'accord d'exclusivité ;

Que la société Ceram Hyd a respecté l'exclusivité prévue par l'accord non encore formellement signé, ce qui n'est pas contesté par la société Arçelik qui énonce que, si « Ceram Hyd s'est estimée liée par une obligation d'exclusivité à compter du 16 octobre 2015, ce n'est que de son fait' ; qu'Arçelik s'inscrivait dans le respect, par Ceram Hyd, de l'exclusivité, dès lors que ce n'est que par un courriel en date du 12 février 2016 que Monsieur [S], directeur financier d'Arçelik,a entendu libérer Ceram Hyd de cette obligation ('sans interdire cette dernière de travailler avec des concurrents') ; que, de même, la société Ceram Hyd a respecté les stipulations de l'accord sur la mise au point du produit en ce qu'elle a continué d'effectuer des tests postérieurement au 16 octobre 2015, conformément aux stipulations de l'accord d'exclusivité ;

Que si un problème de corrosion a été soulevé par Arçelik le 11 février 2016, cette question, dont l'intimée ne démontre pas qu'elle présente un caractère essentiel - Ceram Hyd en contestant la réalité et Monsieur [S] la minimisant (il indiquait lui-même, dans son courriel du 16 février 2016 (pièce Ceram n° 74), que 'l'équipe en Turquie est assez confiante dans le fait de pouvoir résoudre ces problèmes lors de prochaines phases') - renvoyait à la poursuite de la mise au point technique du produit, mise au point expressément convenue dans le cadre de l'accord d'exclusivité ('Ceram Hyd (...) continue de travailler exclusivement pour Arçelik dans le cadre du projet et de tous les travaux de R&D et de développement de produits spécifiquement liés à l'ensemble des produits dans le domaine d'application devant être produits et/ou vendus à travers le monde pendant la période d'exclusivité') ; qu'Arçelik ne saurait donc se prévaloir de cet élément pour contester la formation de l'accord d'exclusivité ;

Qu'il s'en déduit que l'accord d'exclusivité était formé entre les parties à la date du 5 février 2016 ; que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur ce point ;

Considérant que l'accord d'exclusivité était conclu pour une durée d'une année, du 16 octobre 2015 au 15 octobre 2016 ; qu'il n'est pas discuté qu'en informant Ceram Hyd, le 16 février 2016, que les contrats ne seraient signés qu'une fois la phase de test terminée, et ne donnant aucune suite à cette information, Arçelik a manifesté son intention de mettre un terme de façon anticipée à la relation nouée avec Ceram Hyd ; que la rupture anticipée de l'accord en vigueur entre les parties est imputable à Arçelik ;

Considérant que l'accord d'exclusivité prévoit, en son article 'Contrepartie' : 'Compte tenu des engagements d'exclusivité et des services fournis par Ceram Hyd à Arçelik a accepté de payer dans les 5 jours ouvrés suivant la date d'entrée en vigueur (désigne la date à laquelle la société a fourni à Arçelik des copies des accords de Régularisation de la propriété intellectuelle dûment signés) à Ceram Hyd un montant brut fixe (paiement forfaitaire) de 3 millions d'euros.'; que la somme de 3 millions d'euros, fixée par les parties, est la contrepartie de l'exclusivité accordée par Ceram Hyd à Arçelik ainsi que de la mise à la disposition de cette dernière d'informations techniques liées à son savoir-faire, de 30 MiniCell et de 30 MediCell ; que ce montant est de nature à indemniser Ceram Hyd du préjudice occasionné par la rupture de l'accord imputable à Arçelik ; qu'en conséquence, la Cour condamnera Arçelik au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Sur le contrat d'achat d'actions

Considérant qu'aux termes du projet de contrat d'achat d'actions, la société Arçelik AS se voyait proposer deux options par la société Ceram Hyd : au terme de la période d'exclusivité, Arçelik avait ainsi le choix entre une prise de participation dans le capital de Ceram Hyd à hauteur de 10 %, pour une somme de 3 millions d'euros, et l'achat de 100 % des parts composant le capital de la société Ceram Hyd pour une somme de 17,5 millions d'euros ;

Considérant que, par courriel du 10 décembre 2015, Monsieur [D] [B] a indiqué que des difficultés persistaient dans la conclusion d'un accord ; que le 4 février 2016, la société Arçelik et la société Ceram Hyd exprimaient des points de vue différents sur la version finale du contrat d'achat d'actions, ce qui est de nature à écarter l'hypothèse de la levée de l'une des deux options proposées par la société Ceram Hyd ; que la société Arçelik n'avait levé aucune des deux options proposées par la société Ceram Hyd ni à la date du 4 décembre 2015, ni à celle du 5 février 2016 ; qu'il ne peut dès lors être soutenu que le contrat d'achat d'actions s'est formé entre les parties ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé que le contrat d'achat d'actions n'était pas valablement conclu à ces dates et a débouté la société Ceram Hyd de sa demande de ce chef ;

Considérant que, la Cour faisant partiellement droit à la demande principale de Ceram Hyd, il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande subsidiaire fondée sur la rupture abusive des pourparlers ;

Considérant que l'équité commande de condamner Arçelik à payer à Ceram Hyd la somme de 25.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Arçelik AS de sa demande au titre de l'accord d'exclusivité et en ce qu'il a condamné la société Arçelik AS à payer à la SA Ceram Hyd la somme de 1.350.000 euros ;

STATUANT A NOUVEAU ;

DIT que le contrat dit 'Accord d'exclusivité' a été valablement formé entre la société Arçelik AS et la SA Ceram Hyd ;

CONDAMNE la société Arçelik AS à payer à la SA Ceram Hyd, représentée par la SCP [W]-[V] ès qualités, la somme de 3.000.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande subsidiaire de la SA Ceram Hyd ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;

CONDAMNE la société Arçelik AS à payer à la SA Ceram Hyd représentée par la SCP [W]-[V] ès qualités la somme de 25.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

CONDAMNE la société Arçelik AS aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 17/05113
Date de la décision : 13/07/2017

Références :

Cour d'appel de Paris J2, arrêt n°17/05113 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-07-13;17.05113 ?
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