Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre- Section A
ARRET DU 12 JUIN 2007
(no, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 06 / 05550
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Octobre 2005- Tribunal de Grande Instance de PARIS. (4ème chambre, 1ère section)
RG no 00 / 05514
APPELANTS
Monsieur Thadée X...
...
75014 PARIS
Monsieur Stanislas X...
......
90265 CALIFORNIA (USA)
Madame Harumi X...
...
1658 ROSSINIERE (SUISSE)
Madame Setsuko X...
...
1658 ROSSINIERE (SUISSE)
représentés par Me Louis- Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assistés de Me Olivier Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1395
INTIMES
- FONDATION ALBERTO ET ANNETTE AAA...
...
75003 PARIS
représentée par la SCP BOURDAIS- VIRENQUE- OUDINOT, avoués à la Cour
assistée de Me Alain Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : A 373
- Monsieur Michel A...
...
1207 GENEVE (SUISSE)
représenté par la SCP BOLLING- DURAND- LALLEMENT, avoué à la Cour
assisté de Me Jérôme B..., avocat au barreau de ROUEN
- Association ALBERTO ET ANNETTE AAA...
...
75006 PARIS
représentée par la SCP BERNABE- CHARDIN- CHEVILLER, avoué à la Cour
assistée de Me Muriel C..., avocat au barreau de PARIS, toque : P 110
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 9 mai 2007, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du nouveau code de procédure civile devant la Cour composée de :
M. GRELLIER, président
M. DEBÛ, président
Mme HORBETTE, conseiller
qui ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme RIGNAULT
Ministère public :
représenté lors des débats par M. PION, substitut général, qui a fait connaître son avis
ARRET
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par M. GRELLIER, président et par Mme RIGNAULT, greffier
******
Le peintre Balthazar D... de ROLA, dit E..., ami du sculpteur Alberto F..., a peint une nature morte intitulée " la cafetière aux trois fruits " portant la mention " pour Henri " qu'il lui avait remise.
Il en a demandé la restitution à sa succession en 1998 en soutenant qu'il ne l'avait remise que pour qu'elle soit donnée à " Henri ", garçon de café dans l'établissement qu'ils avaient l'habitude de fréquenter après la seconde guerre mondiale et qu'Alberto F... n'avait pas exécuté ce mandat.
Un mandataire ad hoc, Mme G... CAMARA, désigné pour rechercher tous les héritiers et obtenir leur accord à la restitution, a obtenu celui de M. Roland H..., exécuteur testamentaire, mais s'est heurté au refus de l'Association Alberto et Annette AAA....
Le magistrat des référés ayant jugé que l'obligation de restituer le tableau était sérieusement contestable, Balthazar D... de ROLA a assigné dans ce but l'Association Alberto et Annette AAA..., M. Michel A... et Mme I... veuve A..., tous deux héritiers de la veuve d'Alberto F... et Mme G... CAMARA, administrateur judiciaire de cette succession.
Au décès de E..., ses héritiers, Mmes Setsuko et Harumi D... de ROLA et MM. Stanislas et Thadée D... de ROLA ont repris l'instance et assigné en intervention forcée Mme J..., administrateur au redressement judiciaire de l'Association Alberto et Annette AAA..., la Fondation Alberto et Annette AAA... intervenant volontairement.
Par jugement du 25 octobre 2005, le tribunal de grande instance de Paris a :
- mis hors de cause Mme I... veuve A... qui a renoncé à la succession,
- dit que Mmes K... et Harumi et MM. Stanislas et Thadée D... de ROLA, ont qualité pour agir en restitution puisqu'ils arguent d'une remise précaire de leur auteur,
- déclaré irrecevable l'action en revendication comme prescrite, la remise du tableau ayant eu lieu à la fin des années 50, l'oeuvre étant toujours entre les mains d'Alberto F... à son décès le 11 janvier 1966 et la première sommation de restituer datant du 25 juin 1996 et, ce dernier possédant l'oeuvre a domino, le revendiquant ne justifiant pas de la précarité de la possession ni de la certitude du destinataire du tableau,
- condamné Mmes K... et Harumi et MM. Stanislas et Thadée D... de ROLA au paiement d'indemnités procédurales de 1 500 € respectivement à Mme G... CAMARA ès qualités, la Fondation Alberto et Annette AAA... et l'Association Alberto et Annette AAA....
CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Vu l'appel de Mmes K... et Harumi et MM. Stanislas et Thadée D... de ROLA, ci- après les consorts D... de ROLA, à l'encontre de ce jugement le 23 mars 2006,
Vu leurs conclusions déposées le 16 avril 2007 selon lesquelles, poursuivant l'infirmation du jugement, ils demandent qu'il soit donné acte de ce que M. A... s'en remet à justice, que soit déclarée irrecevable pour défaut de pouvoir et d'intérêt à agir l'Association Alberto et Annette AAA..., déboutée la Fondation Alberto et Annette AAA..., restitué le tableau par ses soins et l'ensemble des intimés condamnés solidairement à leur payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Vu les conclusions déposées le 14 décembre 2006 dans lesquelles M. A..., qui explique être le frère d'Annette F..., sollicite la confirmation du jugement et la condamnation des appelants au payement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et rappelle que sa position a été constante et qu'il a toujours affirmé à l'exécuteur testamentaire ne pas pouvoir se prononcer sur les mérites de la revendication mais attirer son attention sur l'éventuelle prescription,
Vu les conclusions déposées le 29 mars 2007 par lesquelles la Fondation Alberto et Annette AAA..., se déclarant légataire universelle d'Annette F..., poursuivant la confirmation du jugement, demande la condamnation des consorts D... de ROLA à lui payer 30 000 € pour procédure abusive et 7 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées le 3 avril 2007 aux termes desquelles l'Association Alberto et Annette AAA... poursuivant la confirmation du jugement sur l'irrecevabilité et son infirmation sur le rejet de sa demande reconventionnelle, réclament la condamnation des consorts D... de ROLA à leur payer 76 000 € de dommages et intérêts et 9 000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
SUR QUOI,
Considérant que par écriture en date du 24 juillet 2006 les appelants indiquent se désister de leur appel à l'encontre de Maître Carole J..., Maître Hélène G... CAMARA et Madame Claude I... veuve A... ; qu'il convient de leur en donner acte ;
Sur la prescription de l'action :
Considérant qu'aux termes de l'article 2262 du code civil " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans " ; que pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action des consorts D... de ROLA, le jugement retient que la revendication de son oeuvre par E... a été faite pour la première fois le 25 juin 1996 alors que l'entrée en possession de celle- ci par Alberto F... remonte nécessairement au plus tard à son décès le 11 janvier 1966, date à laquelle elle a été transmise par succession à son épouse ;
Considérant que les consorts D... de ROLA font valoir que le délai de prescription a été suspendu du fait de l'ignorance qu'avait leur auteur de la présence de ce tableau entre les mains de l'artiste F... ou de son épouse ou de la succession de cette dernière jusqu'à la parution du catalogue raisonné de son oeuvre ; qu'ils en déduisent que le délai de trente ans n'a commencé à courir qu'à ce moment ; qu'ils ajoutent que, du fait du litige existant au sujet de la succession F..., il n'était pas possible d'agir dans l'ignorance de ceux qui avaient la qualité d'héritiers ;
Considérant que si, la prescription ne court que contre ceux qui sont en mesure d'agir, il résulte surtout de la lettre adressée par M. Roland H... à Mme Mary Lisa L..., assistante d'Annette F... et chargée par elle de la rédaction du catalogue, datée du 18 octobre 1994, que " cette oeuvre de E... est revendiquée par E... lui même avec l'appui de Bruno F.... ", ce qui fait suggérer par son auteur qu'il lui " paraît préférable d'indiquer ‘ collection privée'" ; qu'il s'en déduit que dès 1994, l'oeuvre était revendiquée, soit un an après le décès d'Annette F... et 28 ans après celui de son mari ; qu'à tout le moins ce courrier a eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription ; que l'action n'est donc pas prescrite ;
Sur la propriété du bien revendiqué :
Considérant que pour s'opposer à la revendication du tableau, tant la fondation que l'association Alberto et Annette F... font valoir que les consorts D... de ROLA ne démontrent l'existence d'aucun contrat de mandat ou de dépôt qui aurait pu exister entre les deux artistes et rendraient crédibles leur existence ; qu'ils soutiennent que l'oeuvre est arrivée entre les mains d'Annette F... par succession et que la fondation étant sa légataire universelle en est devenue la légitime propriétaire ; qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article 2279 du code civil jouent en leur faveur ;
Mais considérant qu'elles ne produisent, au delà du testament d'Annette F... en date du 5 janvier 1990 qui institue la fondation " une fois reconnue " d'utilité publique, légataire universelle de " tous les écrits et les oeuvres d'Albert " qu'elle détenait, " tous les éléments et documents divers ", " toutes les oeuvres de Giovanni F... ainsi que celles provenant d'autres artistes ", sous réserve de legs particuliers précis, aucun inventaire qui permettrait de connaître avec certitude la consistance du dit legs universel et partant de savoir si l'oeuvre en question en a fait partie ; qu'il apparaît d'ailleurs de leurs propres écritures que la dévolution successorale, très contentieuse, est toujours en cours, ce qu'accréditent les réponses faites aux sommations délivrées par les consorts D... de ROLA en vue de la revendication ; qu'elle n'a donc, en l'état que vocation à devenir légataire universelle ; qu'en outre et au surplus, le courrier de M. Bruno F..., frère d'Alberto, en date du 15 novembre 1999, affirme de la manière la plus nette que " ce tableau ne figurait pas dans l'inventaire de la succession d'Alberto F... et nous, les héritiers (Annette F... inclus) n'en sommes pas propriétaires : il doit donc revenir à M. E... " ; que M. A..., frère d'Annette F..., se garde d'affirmer le contraire ; qu'il en résulte qu'elles n'apportent pas la preuve que la fondation est devenue, comme elle le prétend, la légitime propriétaire du tableau litigieux ;
Considérant qu'elles mettent en avant le fait que la fondation serait le possesseur actuel de l'oeuvre et, sa possession s'ajoutant à celle d'Annette F..., l'aurait possédé depuis le décès d'Alberto F... ;
Considérant cependant que, pour pouvoir prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 2279 du code civil, encore faut- il que la possession soit exempte de vice ; qu'à cet égard, le fait que l'un des héritiers ne se considère pas comme propriétaire, que l'exécuteur testamentaire, M. Roland H..., ait, dans un premier temps du moins, dans un courrier du 27 février 1998, acquiescé à la revendication de E... en le considérant comme le légitime propriétaire du tableau, qu'aucun inventaire n'est produit faisant apparaître une transmission publique et non équivoque du tableau litigieux, sont autant d'éléments de nature à considérer que cette possession ne s'est pas exercée de bonne foi et à titre de propriétaire ;
Considérant que, tout au contraire, la signature de E... sur le tableau, jointe à sa dédicace " pour Henri " et aux énonciations précédentes attestent de ce que, non seulement il en était l'auteur mais aussi qu'il l'avait peint pour un certain " Henri " et n'en n'avait donc pas transféré la propriété à son ami Alberto F... ;
Considérant que les consorts D... de ROLA produisent aux débats des courriers de Mme M..., qui se présente comme la fille du " Henri " auquel la toile est dédicacée, qui, joints aux autres pièces ci- avant évoquées, accréditent la thèse des consorts D... de ROLA selon laquelle l'oeuvre était destinée à " Henri " garçon de café ; que les courriers en question, adressés à E... de son vivant, mentionnent l'existence d'un frère de Mme M... à qui sont prêtés des propos quant à la destination de la toile ; que cependant M. N..., fils d'Henri, n'apparaît nullement dans la procédure et qu'il apparaît nécessaire de la mettre en cause pour recueillir ses observations ;
Considérant en conséquence, que le jugement querellé sera partiellement infirmé et que les consorts D... de ROLA invités à mettre en cause le frère de Mme M... et fils d'Henri N... ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme partiellement le jugement et statuant à nouveau,
Déclare l'association et la fondation sans droit ni titre sur le tableau,
Avant dire droit sur sa restitution, invite les consorts D... de ROLA à mettre en cause M. DAUMIN,
Renvoi à la mise en état,
Réserve les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT