ARRET N°
DU 09 DECEMBRE 2022
N° RG 21/01642 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZRZ
LA COUR D'APPEL DE NANCY, troisième chambre civile section 1, a rendu l'arrêt suivant :
Saisie d'un appel d'une décision rendue le 18 mai 2021 par le tribunal judiciaire de VERDUN (19/00511)
APPELANTS :
Madame [S] [G] [V] épouse [T]
née le 04 Novembre 1964 à [Localité 10]
[Adresse 1]
Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP JOUBERT, DEMAREST & MERLINGE, avocat au barreau de NANCY et Me Laurent POUGUET, avocat au barreau de l'AUBE
Monsieur [L] [U] [V]
né le 12 Janvier 1957 à [Localité 10]
[Adresse 4]
Représenté par Me Hervé MERLINGE de la SCP JOUBERT, DEMAREST & MERLINGE, avocat au barreau de NANCY et Me Laurent POUGUET, avocat au barreau de l'AUBE
INTIMEES :
Madame [E] [A] épouse [D]
née le 15 Avril 1996 à [Localité 12]
[Adresse 3]
Représentée par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY
Madame [Z] [A] veuve [V]
née le 16 Mars 1959 à [Localité 9]
[Adresse 6]
Représentée par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY
INTERVENANTE VOLONTAIRE :
Madame [C] [F] épouse [W]
née le 06 Août 1968 à [Localité 11]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Cécile GEORGEON-ROOS, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des conseils des parties, en application de l'article 805 du Code de Procédure Civile,
Madame LEFEBVRE, conseiller à la cour d'appel de Nancy, siégeant en rapporteur,
Madame FOURNIER, greffière,
Lors du délibéré :
Présidente de Chambre : Madame BOUC,
Conseillères : Madame LEFEBVRE, qui a rendu compte à la Cour conformément à l'article 805 du Code de Procédure Civile,
Madame [B]
DEBATS :
Hors la présence du public à l'audience du 07 Octobre 2022 ;
La procédure ayant été préalablement communiquée au Ministère Public pour avis ;
Conformément à l'article 804 du Code de Procédure Civile, un rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience de ce jour ;
L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être mis publiquement à disposition au greffe le 25 Novembre 2022 ; à cette date, le délibéré a été prorogé au 09 décembre 2022 ;
Le 09 décembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Copie exécutoire le
Copie le
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Monsieur [H] [V] et Madame [K] [O] se sont mariés le 29 juin 1954 à [Localité 10], sans avoir fait précéder leur union d'un contrat de mariage.
De cette union sont issus deux enfants :
- Monsieur [L] [V], né le 12 janvier 1957 à [Localité 10].
- Madame [S] [V], née le 4 novembre 1964 à [Localité 10].
Le 15 avril 1996 Madame [E] [A] est née à [Localité 12] de Madame [Z] [A].
Madame [K] [O] est décédée le 04 novembre 2008 à [Localité 12].
Par testament authentique du 02 septembre 2009, Monsieur [H] [V] a reconnu être le père de Madame [E] [A].
Monsieur [H] [V] et Madame [Z] [A] se sont mariés le 02 juin 2018 à [I] devant un officier de l'état civil de [Localité 7], sans avoir fait précéder leur union d'un contrat de mariage.
Le même jour, Monsieur [H] [V] a procédé à [I] à la reconnaissance de Madame [E] [A].
Le 26 juin 2018, Monsieur [H] [V] et Madame [Z] [A] ont signé une donation entre époux devant Maître [M] [R], notaire à [Localité 12].
Monsieur [H] [V] est décédé le 23 septembre 2018 à [I].
Par ordonnance de référé du 10 octobre 2019, le président du tribunal de grande instance de VERDUN a :
- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la production des notes personnelles du docteur [J],
- ordonné la production par le docteur [J] des consultations médicales des 11 mai 2018 et 6 juillet 2018 lui enjoignant de les communiquer dans un délai d'un mois à Monsieur [L] [V] et à Madame [S] [V] épouse [T],
- rejeté la demande d'astreinte,
- débouté les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires,
- invité les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles aviseront.
Par acte d'huissier des 29 et 30 août 2019, Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] ont fait assigner Madame [E] [A] et Madame [Z] [A] veuve [V] devant le tribunal de grande instance de VERDUN, aux fins de contester la paternité de Monsieur [H] [V] s'agissant de Madame [E] [A] née le 15 avril 1996 à VERDUN.
Par jugement contradictoire du 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de VERDUN a :
- déclaré les demandeurs recevables en leur action en contestation de la filiation,
- rejeté la demande d'expertise,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,
- dit que la présente décision doit être notifiée à Monsieur le procureur de la République.
Par déclaration au greffe en date du 29 juin 2021, Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] ont interjeté appel de ce jugement dans ses dispositions relatives à la recevabilité de l'action en contestation de paternité, à l'action en contestation de paternité, à la demande de débouté de l'ensemble des demandes de Madame [Z] [A] veuve [V], à l'expertise biologique, à la demande de condamnation de Madame [E] [A] à se soumettre à une expertise biologique, à la demande de nullité des actes de reconnaissance des 02 septembre 2009 et 02 juin 2018, aux mesures de publicité légale, aux articles 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
* * * *
Par conclusions reçues au greffe de la cour le 20 septembre 2022, Madame [P] [F] épouse [W] est intervenue volontairement à l'instance.
Aux termes de ses conclusions, Madame [P] [F] épouse [W] demande à la cour de :
- faire droit à l'intervention volontaire de Madame [P] [F] épouse [W],
- juger l'intervention volontaire de Madame [P] [F] épouse [W] recevable,
- prendre acte que Madame [P] [F] épouse [W] consent à se soumettre à une expertise biologique,
- lui en donner acte.
Au soutien de son intervention volontaire, elle fait valoir les moyens suivants :
° L'article 330 du code de procédure civile prévoit que l'intervention est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions d'une partie.
° Madame [P] [F] épouse [W] est la nièce de Monsieur [H] [V]. Elle n'était pas présente lors des débats devant les premiers juges mais consent à se soumettre à une expertise biologique.
* * * *
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 05 juillet 2022, Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevables Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] en leur qualité d'héritiers réservataires à agir en contestation de la paternité de Monsieur [H] [V] à l'égard de Madame [E] [A],
- débouter Madame [Z] [A] veuve [V] de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions.
En conséquence,
- ordonner une expertise biologique selon les modalités qu'il plaira à la juridiction visant à établir le lien de filiation paternelle de Madame [E] [A],
- désigner tel expert judiciaire qu'il plaira à la juridiction avec pour mission de notamment :
- s'assurer de l'identité des personnes soumises à l'expertise biologique et recueillir leurs consentement,
- préciser en pourcentage, la probabilité de paternité de Monsieur [H] [V] à l'égard de Madame [E] [A],
- répondre de manière générale aux dires et observations des parties auxquelles il communiquera le résultat de ses investigations,
- débouter Madame [Z] [A] veuve [V] de sa demande de voir ordonnée une expertise biologique avec Madame [C] [F] épouse [W], fille de Madame [X] [V] veuve [F], s'ur aînée du défunt,
- condamner Madame [E] [A] à se soumettre à une expertise biologique visant à établir son lien de filiation paternelle.
En tout état de cause :
- Débouter Madame [Z] [A] de ses demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens ;
- Condamner solidairement Madame [Z] [A] veuve [V] et Madame [E] [A] à payer la somme de 3.000 € à Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- Condamner solidairement Madame [Z] [A] veuve [V] et Madame [E] [A] aux entiers dépens.
Au soutien de leur appel, ils font valoir les moyens suivants :
° Le lien de filiation établi entre Monsieur [H] [V] et Madame [E] [A] n'est pas conforme à la réalité.
° Le fait que Monsieur [H] [V] ait réitéré une reconnaissance de paternité qu'il avait déjà effectuée alors qu'il possédait de bonnes connaissances du droit étaye l'hypothèse d'une altération de ses facultés mentales au moment de l'établissement de l'acte du 02 juin 2018.
° La ferme opposition de Madame [Z] [A] veuve [V] à une expertise renforce les doutes sur la paternité réelle de Madame [E] [A].
° Les doutes entourant la validité du mariage in extremis de Monsieur [H] [V] avec Madame [Z] [A] veuve [V], concernant l'absence de témoin et en méconnaissance de la compétence de l'officier d'état civil, questionnent a fortiori sur la validité de la reconnaissance de paternité établie concomitamment. De surcroît, le péril imminent de mort conditionnant la célébration d'un mariage in extremis ne semble pas être caractérisé puisque Monsieur [H] [V] s'est rendu chez le notaire pour effectuer une donation quelques jours plus tard.
° Le lien de filiation entre Monsieur [H] [V] et Madame [E] [A] n'a fait l'objet d'aucune publicité. Monsieur [H] [V] ne s'est jamais comporté comme le père de Madame [E] [A], même après la reconnaissance de paternité, et il ne s'est jamais occupé d'elle.
° Les éléments apportés par Madame [Z] [A] veuve [V] aux débats démontrent bien l'existence d'un lien affectif entre Madame [E] [A] et Monsieur [H] [V] mais ne sont pas suffisants à prouver un lien de filiation.
° Aucun élément communiqué par Madame [Z] [A] veuve [V] ne démontre qu'elle a entretenu une relation intime avec Monsieur [H] [V] au moment de la conception de l'enfant. En tout état de cause, cette relation amoureuse n'a jamais fait l'objet d'une publicité.
° Aucun motif légitime ne s'oppose au prononcé d'une expertise biologique qui est de droit en matière de filiation. En effet, il n'existe aucun autre élément de preuve suffisant pour prouver la filiation, la mesure n'est pas impossible et aucun faisceau d'indices constitutifs d'une possession d'état n'est établi.
° Une expertise biologique de fraternité présente une meilleure fiabilité qu'une expertise réalisée avec la nièce du défunt, Monsieur [H] [V]. Le choix du procédé de l'expertise biologique relève du pouvoir d'appréciation souverain du juge saisi.
* * * *
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 15 juin 2022, Madame [Z] [A] veuve [V] et Madame [E] [A] demandent à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de VERDUN en date du 18 mai 2021 en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de VERDUN en date du 18 mai 2021 en ce qu'il a débouté Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] de leurs demandes plus amples ou contraires.
A titre subsidiaire :
Statuant à nouveau,
- ordonner une expertise biologique avec Madame [C] [F] épouse [W], fille de Madame [X] [V] veuve [F], s'ur aînée du défunt.
En tout état de cause :
- condamner solidairement Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] à payer à Madame [Z] [A] veuve [V] et Madame [E] [A] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] aux entiers dépens.
Au soutien de leurs demandes, elles font valoir les moyens suivants :
° Les allégations des appelants relatives à la validité du mariage in extremis entre Madame [Z] [A] veuve [V] et Monsieur [H] [V] n'ont aucune incidence sur la solution du présent litige.
° Les appelants ne pouvaient avoir connaissance de la relation amoureuse entre Madame [Z] [A] veuve [V] et Monsieur [H] [V] puisqu'ils n'avaient plus de contact avec leur père depuis plusieurs années. En tout état de cause, la méconnaissance de cette relation n'a pas d'incidence sur la réalité de la filiation contestée.
° Monsieur [H] [V] a souhaité établir un second acte de reconnaissance puisque le premier effectué par testament n'avait pas permis la transcription de la filiation sur l'acte de naissance de Madame [E] [A]. Cette seconde reconnaissance confirme la volonté de Monsieur [H] [V] d'établir sa paternité.
° Les intimées produisent de nombreux éléments permettant d'établir que Monsieur [H] [V] a considéré Madame [E] [A] comme son enfant. Elles produisent différents dessins d'enfants, des cartes de fête des père, des photos de réunions familiales et des témoignages de membres de la famille.
° En tout état de cause, il appartient à Monsieur [L] [V] et à Madame [S] [V] épouse [T] d'apporter la preuve de leurs prétentions et de démontrer en quoi cette filiation doit être remise en cause, ce qu'ils ne font pas en l'espèce.
° Il existe un motif légitime de ne pas faire droit à la demande d'expertise biologique eu égard à la paternité évidente de Monsieur [H] [V] compte tenu des éléments de preuve suffisants pour établir le lien de filiation.
° Subsidiairement, si une expertise biologique devait être ordonnée, elle ne pourrait pas intervenir sur le défunt. De plus, les résultats probatoires d'une expertise de fraternité seraient moindre puisque personne ne peut avoir la certitude que les appelants sont bien les enfants de Monsieur [H] [V]. C'est pourquoi il conviendrait d'effectuer cette expertise biologique avec un proche du défunt issu de sa fratrie. Madame [C] [F] épouse [W], fille de Madame [X] [V] épouse [F], elle-même s'ur de Monsieur [H] [V], se propose de réaliser cette expertise biologique en intervenant dans cette instance.
Par un avis du 23 septembre 2022, le ministère public a dit s'en remettre à l'appréciation de la cour.
L'ordonnance de clôture est en date du 1er septembre 2022.
L'affaire a été fixée à l'audience du 07 octobre 2022. A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 25 novembre 2022, prorogé au 09 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I ' Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Madame [P] [F] épouse [W] :
L'article 544 du Code de procédure civile dispose que : « Peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité ».
Par ailleurs, aux termes de l'article 325 du Code de procédure civile, « l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant ».
Aux termes de l'article 330 du Code civil, l'intervention volontaire « est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie.
Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
L'intervenant à titre accessoire peut se désister unilatéralement de son intervention ».
En l'espèce, Madame [P] [F] épouse [W], nièce de Monsieur [H] [V], n'a aucun intérêt à la présente procédure, n'ayant aucun droit à préserver en l'absence de qualité d'ayant-droit à la succession de son oncle. Elle est également totalement étrangère au présent litige, lequel porte sur la filiation de Madame [E] [A], et soutient uniquement Mesdames [Z] et [E] [A] en indiquant consentir à se soumettre à une expertise biologique si celle-ci était ordonnée.
En conséquence, son intervention volontaire sera déclarée irrecevable.
II ' Sur la demande d'expertise :
A titre liminaire il convient de relever que le jugement entrepris n'est pas contesté par les parties en ce qu'il a déclaré Madame [S] [V] épouse [T] et Monsieur [L] [V] en leur qualité d'héritiers réservataires recevables à agir en contestation de la paternité de Monsieur [H] [V] à l'égard de Madame [E] [A].
L'article 310-3 du Code civil dispose que : « La filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état.
Si une action est engagée (...) la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l'action ».
En application de l'article 1353 du Code civil et des principes généraux du droit de la preuve, la reconnaissance d'un enfant naturel est présumée être l'expression de la vérité et la charge de la preuve incombe à celui qui la conteste. En l'espèce, c'est donc aux consorts [V] de démontrer que Monsieur [H] [V] ne serait pas le père biologique de Madame [E] [A], ainsi qu'il a reconnu l'être.
En application de l'article 310-3 alinéa 2 du Code civil, le demandeur à l'action peut rapporter la preuve par tous moyens, et notamment par expertise biologique.
Toutefois, en vertu de l'article 16-11 du Code civil, dispose notamment que l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans certains cas et qu' « en matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort ».
En l'espèce, il est constant que Monsieur [H] [V], qui a reconnu Madame [E] [A] comme étant sa fille, est mort en 2018 et n'a jamais manifesté son accord pour qu'il soit procédé à une recherche de paternité par expertise génétique après son décès. Dès lors, la demande d'expertise génétique formée par les consorts [V] ne peut être ordonnée.
Au surplus :
Aucun élément ne permet de remettre en question la filiation de Madame [E] [A], telle qu'elle est légalement établie.
En effet, Monsieur [H] [V] a reconnu Madame [E] [A] comme étant sa fille par testament authentique le 02 septembre 2009 et a réitéré cette reconnaissance de paternité 11 ans plus tard par devant un officier d'Etat Civil le 02 juin 2018.
Les consorts [V] font valoir que cette double reconnaissance est suspecte car Monsieur [V] ayant exercé des fonctions à responsabilité et assumé un mandat de conseiller prud'homal, il avait nécessairement de bonnes connaissances juridiques et ne pouvait ignorer qu'une seule reconnaissance de paternité suffisait à établir un lien de filiation. Toutefois, on relèvera que le droit de la filiation est sans rapport avec le contentieux prud'homal ou les fonctions de directeur des ressources humaines exercées par Monsieur [V]. D'autre part et surtout, il ne saurait être déduit du fait que Monsieur [V] a reconnu par deux fois, à 11 années d'intervalle, sa paternité à l'égard de Madame [E] [A] que cette reconnaissance est mensongère. Au contraire, et ainsi que l'a relevé le premier juge, Monsieur [H] [V] a ainsi manifesté de façon ferme, constante et non équivoque sa volonté de reconnaître sa paternité à l'égard de Madame [E] [A].
En outre, il résulte des conclusions et pièces versées aux débats les éléments suivants :
- Les époux [H] et [K] [V] ont vécu à [Adresse 6] (55) avec leurs enfants puis à [Localité 8] (88) sans leurs enfants, ceux-ci étant laissés en pension à [I] la semaine ; Le couple [V] revenait à [I] du vendredi soir au dimanche soir afin de voir leurs enfants ;
- Madame [Z] [A] a été employée au domicile de [I] des époux [V] à partir du mois de septembre 1978 afin de s'occuper des chevaux du couple, alors qu'elle était adolescente ; Madame [Z] [A] a vécu au domicile des époux [V] sis à [Adresse 6] jusqu'au retour des époux [V] dans cette résidence, à la retraite de Monsieur [V] en 1994 ; Madame [Z] [A] est alors allée vivre à [Localité 7] dans un logement acquis par elle en 1991 ;
- Monsieur [H] [V] et Madame [Z] [A] ont entretenu une relation sentimentale à partir des années 80. Madame [A] produit plusieurs lettres de Monsieur [H] [V] datées de 1988 et de 1991 dont les termes démontrent qu'une relation amoureuse s'était installée entre eux (« Mon petit lapin », « Gros gros bisous » ; « Ma petite chérie » « Je t'embrasse mille fois pour cela où tu veux » « Je t'aime mon petit canard » « Je te caresse derrière les genoux et je t'embrasse tout doucement. [H] »; Elle produit également une carte adressée par Madame [E] [A] à Monsieur [V] à l'occasion de la fête des pères 1998 sur laquelle elle a elle-même écrit « C'est vrai c'est bien long sans toi, Amour chéri. Je t'aime. [Z] ».
Les consorts [V] font valoir que l'organisation familiale ne permettait pas à Monsieur [H] [V] d'entretenir une relation adultère sur le long terme puisque les époux [V] ne résidaient à [I] que les week-ends et s'y trouvaient le plus souvent en présence de leurs enfants. Cet élément de fait n'empêche en aucune manière l'existence d'une relation adultère entre Monsieur [V] et Madame [Z] [A], celle-ci ayant pu tout aussi bien s'épanouir au domicile conjugal ou à l'extérieur de celui-ci, les enfants et l'épouse n'étant pas toujours en présence de leur père.
Par ailleurs, outre que la conception d'un enfant ne nécessite pas nécessairement beaucoup de temps, il convient de relever que Monsieur [V] a pris sa retraite à la fin de l'année 1994 et qu'[E] [A] est présumée avoir été conçue entre le 21 juin et le 19 octobre 1995, conformément aux dispositions de l'article 311 du Code civil, soit à une période où Monsieur [V] n'était plus accaparé par ses obligations professionnelles.
Les consorts [V] font encore valoir que cette paternité est suspecte pour être tardive (64 ans). Toutefois, ils ne remettent pas en cause leur propre filiation paternelle, ni ne produisent d'élément de nature à remettre en question la fertilité de leur père. Ils ne produisent pas non plus d'élément objectif à l'appui de leurs suspicions concernant une liaison que Madame [Z] [A] aurait pu entretenir au moment de la conception d'[E] [A] à l'été 1995.
Le fait que Monsieur [H] [V] et Madame [Z] [A] ne résidaient pas ensemble est sans incidence sur l'existence d'une relation adultère, laquelle a pu se poursuivre pendant plusieurs années et être plus ou moins suivie selon les périodes. De la même manière, le fait que Monsieur [V] n'ai pas épousé Madame [A] immédiatement après le décès de sa première épouse est sans emport sur l'existence de la relation amoureuse entre les intéressés.
Enfin, Madame [Z] [A] produit des cartes postales datées d'août 1995 adressées à Monsieur [H] [V] dans laquelle elle évoque sa grossesse et dont les termes sont à nouveau explicites quant à la nature de leur relation (« [H] chéri », « Je pense tout affectueusement à toi et t'embrasse bien tendrement, Je t'aime. [Z] » ; « Mon amour » « Je t'embrasse avec tout mon amour. Encore joyeux anniversaire. [Z] » « tendres caresses »). A cette occasion, elle explique qu'elle écrivait à son amant à son adresse à elle, celui-ci disposant des clés. Elle démontre dans le même temps le caractère secret de leur relation et les stratagèmes utilisés pour préserver leur intimité.
Il résulte de ces éléments que Madame [Z] [A] a entretenu une relation amoureuse suivie avec Monsieur [H] [V] et notamment pendant la période de conception présumée de l'enfant, soit entre le 300 ème et le 180 ème jour précédent la naissance de Madame [E] [A] le 15 avril 1996, c'est à dire courant 1995. Cette relation sentimentale a vraisemblablement débuté dans les années 80, s'est poursuivie et a perduré après la naissance d'[E] [A] puisque le couple s'est marié en juin 2018.
S'agissant de la méconnaissance des consorts [V] de la relation adultère entre leur père et Madame [Z] [A], il convient notamment de relever qu'en 1995 (année de conception d'[E] [A]), [L] et [S] [V] alors âgés respectivement de 38 et 31 ans, ne vivaient plus au domicile parental et n'avaient plus de relations suivies avec leurs parents. Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que leur père leur a caché, ainsi qu'à leur mère cette relation adultère. Dans ce sens, il convient de relever que Monsieur [H] [V] a reconnu [E] [A] comme étant sa fille en septembre 2009, soit 10 mois après le décès de son épouse en novembre 2008. Enfin, l'attestation de Monsieur [L] [T], qui rapporte avoir assisté à une scène de dispute entre les époux [V] suite à la découverte d'un mot d'amour semble indiquer que Madame [K] [V] avait à tout le moins des doutes quant à la fidélité de son mari.
En tout état de cause, le fait que les enfants légitimes de Monsieur [H] [V] n'aient jamais eu connaissance de cette paternité, est sans conséquence sur la filiation de Madame [E] [A].
De la même manière, les critiques soulevées par les consorts [V] concernant le mariage in extremis de leur père avec Madame [Z] [A] sont sans incidence sur le présent litige car sans effet sur la filiation de Madame [E] [A].
Enfin, la filiation de Madame [E] [A], légalement établie, est confirmée par la possession d'état d'enfant. En effet, il résulte pièces suivantes que Monsieur [H] [V] s'est comporté comme un père à son égard, contribuant à son entretien et son éducation et nouant avec elle des liens affectifs :
- photographies montrant Monsieur [H] [V] donnant le biberon et jouant avec Madame [E] [A] à des âges différents ;
- carte d'anniversaire adressée par Monsieur [V] à Madame [E] [A] à l'occasion de son anniversaire 2009,
- carte adressée par Madame [E] [A] à Monsieur [V] à l'occasion de la fête des pères 1998 ;
- dessins d'enfant adressés par Madame [E] [A] à Monsieur [V] ;
- autorisation de prise en charge accordée à Monsieur [H] [V] à l'égard de Madame [E] [A] pour l'année scolaire 2003-2004 ;
- fiches de renseignement scolaire pour les années 2011-2012 et 2012-2013 faisant apparaître Monsieur [V] comme une personne à prévenir en cas d'urgence ;
- financement du permis de conduire de Madame [E] [A] en 2015,
- caution de Monsieur [H] [V] pour le logement de Madame [E] [A] en 2014.
Compte tenu de la relation particulière entre Madame [Z] [A] et Monsieur [H] [V] et notamment du secret l'entourant et de l'absence de vie commune, il n'est pas surprenant qu'[E] [A] ait appelé son père « Momo », étant précisé que le terme « papa » apparaît toutefois sur certains dessins ou cartes.
Les reproches formulées par les consorts [V] à l'égard de leurs parents et notamment de leur père quant à son manque d'intérêt et d'affection est sans incidence sur les relations que Monsieur [H] [V] a pu nouer avec Madame [E] [A] en d'autres circonstances et à un âge bien plus avancé.
Ainsi, les consorts [V] échouent à rapporter la preuve que les reconnaissances effectuées par Monsieur [H] [V] concernant sa paternité à l'égard de Madame [E] [A] seraient mensongères. Sur ce point, et comme précédemment rappelé, si les consorts [V] déplorent le peu d'éléments produits par les intimées concernant la relation entre Madame [Z] [A] et Monsieur [H] [V] et l'absence de preuve irréfutable concernant la paternité de ce dernier, c'est à eux qu'incombent la charge de la preuve et non l'inverse. La filiation d'[E] [A] est, jusqu'à preuve du contraire ' et celle-ci n'est pas rapportée ' , prouvée par les reconnaissances de paternité.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'expertise biologique des consorts [V], celle-ci étant inutile, les éléments produits aux débats n'étant pas suffisants pour remettre en question la filiation légalement établie par reconnaissance de paternité et d'autre part impossible compte tenu du décès de Monsieur [H] [V].
Si l'article 16-11 du Code civil précité ne fait pas obstacle à ce que soit ordonnée, à l'occasion d'une action en contestation de paternité une expertise biologique visant à comparer les empreintes génétiques de l'enfant avec celles de membres de la famille du père supposé lorsque ce dernier est décédé, il n'y a pas lieu en l'espèce d'ordonner une expertise biologique de fratrie sur Madame [C] [F] épouse [W], fille de Madame [X] [V] épouse [F], soeur de Monsieur [H] [V], cette mesure d'instruction n'étant pas sollicitée par les appelants mais uniquement à titre subsidiaire par les intimés.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé.
II ' Sur les dépens et frais irrépétibles de la procédure d'appel :
Monsieur [L] [V] et Madame [S] [V] épouse [T], qui succombent au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, seront condamnés solidairement aux entiers dépens.
Monsieur [L] [V] et Madame [S] [V] épouse [T], qui succombent verront leur demande relative aux frais irrépétibles rejeée et seront condamnés solidairement à payer à Mesdames [Z] [A] et [E] [A] la somme de 4.000 €.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement après débats en chambre du conseil et par mise à disposition au greffe,
DECLARE irrecevable l'intervention volontaire de Madame [P] [F] épouse [W] ;
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de VERDUN en date du 18 mai 2021 en ce qui concerne le rejet de la demande d'expertise ;
Y ajoutant
CONDAMNE solidairement Monsieur [L] [V] et Madame [S] [V] épouse [T] aux entiers dépens de la procédure d'appel ;
DEBOUTE Monsieur [L] [V] et Madame [S] [V] épouse [T] de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE solidairement Monsieur [L] [V] et Madame [S] [V] épouse [T] à payer à Madame [Z] [A] veuve [V] et Madame [E] [A] la somme de 4.000 € (quatre mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition publique au Greffe de la Cour le neuf décembre deux mille vingt deux, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Et Madame la Présidente a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.
Signé : I. FOURNIER.- Signé : C. BOUC.-
Minute en seize pages.