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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère Chambre C
ARRET DU 02 MAI 2018
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/09430
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 SEPTEMBRE 2015
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
N° RG 13/04426
APPELANT :
Monsieur [I] [Q]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Emilie MURCIA-VILA de la SCP GIPULO-DUPETIT-MURCIA, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
APPELANTS INCIDENTS :
Madame [V] [J]
née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 2]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emilie MURCIA-VILA de la SCP GIPULO-DUPETIT-MURCIA, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
Monsieur [Y] [J]
né le [Date naissance 3] 1990 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Emilie MURCIA-VILA de la SCP GIPULO-DUPETIT-MURCIA, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
Mademoiselle [S] [J] mineure représentée par son représentant légal Madame [J] [V],
née le [Date naissance 4] 2004 à [Localité 5] (ESPAGNE) demeurant ensemble
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emilie MURCIA-VILA de la SCP GIPULO-DUPETIT-MURCIA, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
INTIME :
MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en qualité d'assureur
[Adresse 4]
[Localité 6]
assignée le 19 février 2016 à personne habilitée
n'a pas constitué avocat
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 21 Février 2018
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 MARS 2018, en audience publique, madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de procédure civile, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre
Madame Nathalie AZOUARD, Conseillère
Madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée auprès du Premier président de la cour d'appel de Montpellier par ordonnance n°2017-247 vpp du 11 décembre 2017
qui en ont délibéré.
Greffière, lors des débats : Madame Marie-Lys MAUNIER
ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, et par Madame Marie-Lys MAUNIER, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 5 novembre 2009 Monsieur [M] [Q] a été victime d'un homicide involontaire commis par [U] [R] [O] majeur, et [K] [W], mineur. Il est décédé des suites d'une overdose provoquée par la prise de médicaments à base de morphine.
Ses parents, Monsieur [Q] et Madame [J], ainsi que ses frères et s'urs se sont constituées partie civiles.
Par jugement du 19 octobre 2012, le tribunal correctionnel de Perpignan a déclaré Monsieur [O] coupable d'homicide involontaire, de corruption de mineur, de recel de cadavre et de modification de l'état d'un délit et l'a condamné à payer à Monsieur [Q] et Madame [J] la somme de
15 000 € chacun, à Mademoiselle [S] [J] la somme de 9000 € et à [Y] [J] la somme de 6000 €.
Par jugement en date du 19 octobre 2012, le tribunal pour enfants de Perpignan a déclaré Monsieur [K] [W] coupable des faits d'homicide involontaire, de recel de cadavre et de modification de l'état d'un délit et de cession de stupéfiants et l'a condamné à 3 ans d'emprisonnement délictuel assorti de deux ans de sursis.
Ce même jugement a condamné solidairement, Monsieur [K] [W], et sa mère Madame [W] en qualité de civilement responsable, à payer la somme de 65 000 € de dommages et intérêts ainsi :
'Monsieur [Q] [I] la somme de 25 000 €
'Madame [J] [V] la somme de 25 000 €
'Monsieur [Y] [J] la somme de 6000 €
'Madame [J] [V] es qualité de représentant légal de sa fille mineure, [S] [J] la somme de 9000 €
'outre à Monsieur [Q] et Madame [J] la somme de 1500 € en application de l'article 375-1 du CPP
Aucun de ces deux jugements ne comporte la mention selon laquelle les auteurs sont condamnés solidairement.
Le 28 novembre 2012, le conseil des consorts [Q]/[J] a sollicité de la MAE, assureur de Madame [W] au titre de la responsabilité civile de son fils mineur, le paiement des sommes dues par son assurée.
Il s'en est suivi des demandes d'informations et un échange de courriers, et quatre mois après, la MAE leur a adressé un chèque de 32 500 € correspondant à la moitié des dommages et intérêts alloués par le tribunal pour enfants.
La MAE a expliqué ce paiement partiel en indiquant :
« Dans la mesure où notre contrat comporte une limitation de garantie de la part virile de l'assuré et que le majeur est déclaré coupable des mêmes faits, nous vous adressons par pli séparé un chèque CARPA de la moitié des condamnations.
Nous n'incluons pas l'article 475-1 du CPP qui est à la charge du mineur et non de sa civilement responsable au titre de laquelle nous intervenons s'agissant de faits volontaires que l'assureur ne couvre pas en tant que tel »
Le 5 novembre 2013, les consorts [Q]/[J] ont saisi le tribunal de grande instance de Perpignan aux fins de voir condamner la MAE à leur payer la somme de 32 500 € outre 1000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive et 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, de dire et juger que la part de responsabilité de Monsieur [W] doit être évaluée à 80 %.
Le dispositif du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Perpignan le 18 septembre 2015 énonce :
'Déboute Monsieur [I] [Q], Madame [J], Mademoiselle [J] [S] et Monsieur [J] [Y] de leurs demandes,
'les condamne solidairement à payer à la MAE la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
'condamne solidairement les demandeurs aux entiers dépens.
Le jugement retient que la clause limitative de responsabilité est opposable aux demandeurs dans la mesure où cette clause a bien été acceptée par l'assurée Madame [W].
Le premier juge estime ensuite que l'assureur peut justement opposer la clause limitative de responsabilité en faisant application d'une part virile de responsabilité.
Il relève ainsi que [W] [O] et [K] [W] ont été jugé l'un par le tribunal correctionnel et l'autre par le tribunal pour enfants, qu'il s'en suit que les intérêts civils ont été statués par chacune de ces juridictions. Il précise qu'en matière pénale s'applique l'article 480'1 du code de procédure pénale qui dispose que les personnes condamnées pour un même délit sont tenues solidairement des restitutions et des dommages intérêts, de sorte que la solidarité existe de plein droit même si les coauteurs sont poursuivis devant des tribunaux différents.
Le premier juge relève également que les deux auteurs ont été déclarés coupables d'homicide involontaire, dissimulation de cadavre et destruction de preuve, infractions identiques sur lesquelles portent les constitutions de partie civile.
Il considère dès lors que la clause contractuelle qui prévoit qu'en cas de responsabilité solidaire ou in solidum, la garantie est limitée à la seule part de « responsabilité de l'assuré vis-à-vis de ses coobligés quand elle est déterminée ou à sa part virile si sa quote-part de responsabilité n'est pas déterminée» trouve application.
Il précise à cet effet, que de manière définitive il a été jugé que chacun des coauteurs a contribué au décès involontaire de [M] [Q], les tribunaux retenant une qualification pénale identique qui recouvre une co-action, sans qu'il soit déterminé une quote-part de responsabilité. Ainsi, l'assureur pouvait en opposant la clause limitative de responsabilité, faire application d'une part virile de responsabilité.
Monsieur [Q] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 15 décembre 2015.
Madame [J], à titre personnel mais également en sa qualité de représentant légal de sa fille [S] et Monsieur [J], ont formé appel incident par conclusions du
1er mars 2016.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du
21 février 2018.
L'affaire a été fixée pour les débats devant la cour d'appel de Montpellier à l'audience du 14 mars 2018.
Les dernières écritures prises par les consorts [Q] / [J] ont été déposées le 1er mars 2016.
La MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION (MAE) assignée à personne morale n'a pas constitué avocat.
Le dispositif des écritures des consorts [Q] [J] énonce :
'Vu les articles L.124-3 du code des assurances et 1384 du code civil,
'Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de PERPIGNAN le 18 septembre 2015.
'Condamner la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer à :
- Monsieur [Q] la somme de 12 500 € en principal
- Madame [V] [J] la somme de 12 500 € en principal
- Madame [V] [J] ès qualité de représentant légal de son enfant [S] [J] la somme de 4500 € en principal
- Monsieur [Y] [J] la somme de 3000 € en principal
'Condamner la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer à :
- Monsieur [Q] la somme de 1000 € de dommages et intérêts
- Madame [V] [J] la somme de 1000 € de dommages et intérêts
- Madame [V] [J] ès qualité de représentant légal de son enfant [S] [J] la somme de 1000 € de dommages et intérêts
- Monsieur [Y] [J] la somme de 1000 € de dommages et intérêts
'A titre subsidiaire :
'Dire et Juger que la part de responsabilité de Monsieur [W] doit être évaluée à 80 %
'Condamner la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer à :
- Monsieur [Q] la somme de 9500 € en principal
- Madame [V] [J] la somme de 9500 € en principal
- Madame [V] [J] es qualité de représentant légal de son enfant [S] [J] la somme de 2700 € en principal
- Monsieur [Y] [J] la somme de 1800 € en principal
'Condamner la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer à Monsieur [Q] la somme de 1500 € en application de l'article 700 du CPC
'Condamner la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer à Madame [J] la somme de 3000 € en application de l'article 700 du CPC
'La condamner aux dépens
Dans leurs écritures, auxquelles la cour invite les parties à se référer pour un exposé complet, les consorts [Q] / [J] font valoir qu'ils disposent d'un droit d'action directe contre la MAE en application de l'article L. 124-3 du code des assurances et qu'en l'espèce celle-ci n'apporte pas la preuve que la clause limitative de responsabilité ait été portée à la connaissance de son assurée, la seule mention dactylographiée en petits caractères selon laquelle Madame [W] reconnaît avoir pris connaissance des conditions générales étant insuffisante.
Si par extraordinaire la cour devait déclarer que la clause limitative leur est opposable, les appelants estiment que les conditions de son application ne sont pas réunies.
En effet, selon eux la clause limitative dont se prévaut la MAE ne s'applique que lorsque qu'est intervenue une « condamnation solidaire » des auteurs de l'infraction, les conditions générales de garantie ne visant nullement le cas d'une solidarité légale et le tribunal faisant état à tort d'une « responsabilité solidaire » que ne mentionne pas la clause.
Les appelants ajoutent qu'en tout état de cause, si une ambiguïté devait exister, la clause devrait s'interpréter en faveur de l'assuré.
Ils font valoir ensuite que si la cour devait considérer que la clause limitative s'applique même en l'absence d'une condamnation solidaire, les conditions de la solidarité légale ne sont pas réunies en l'espèce, dans la mesure où Monsieur [O] et Monsieur [W] ont été condamnés pour des infractions qui ne sont pas toutes identiques, contrairement aux termes de l'article 480'1 du code de procédure pénale, le premier juge ayant déclaré coupable de corruption de mineurs et le second de cession de stupéfiants, cette dernière infraction étant beaucoup plus grave et à l'origine du décès de Monsieur [M] [Q].
À titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse où la cour ferait application de la clause de limitation de garantie, selon les appelants la part de responsabilité de Monsieur [W] ne saurait être inférieure à 80 % en raison de son implication beaucoup plus importante, étant rappelé que la victime est décédée des suites d'une overdose provoquée par la prise de médicaments à base de morphine, médicaments cédés à la victime par Monsieur [W] seul.
Les appelants indiquent enfin que la solidarité ne peut jouer qu'à hauteur des condamnations prononcées contre Monsieur [O], soit 15 000 € pour chacun des parents, celui-ci ne pouvant être solidairement tenu de payer la somme de 25 000 € à chacun des parents avec Monsieur [W] condamné par le tribunal pour enfants à ces sommes. Cela reviendrait selon eux à porter atteinte à l'autorité de la chose jugée par le tribunal correctionnel et la limitation ne pourra donc se calculer que sur la base de cette somme de 15 000 € à laquelle il conviendra à titre subsidiaire d'appliquer le taux de responsabilité que la cour estime imputable à Monsieur [O].
MOTIFS
Le principe de la garantie n'est pas discuté en l'espèce par l'assureur.
Le litige porte essentiellement sur la clause de limitation de garantie invoquée par la MAE.
En application de l'article 1315 alinéa 2 du code civil, il appartient à l'assureur qui invoque à l'encontre du tiers victime d'un dommage et de son assuré une clause de limitation de garantie figurant aux conditions générales du contrat de rapporter la preuve que ces dernières ont été portées à la connaissance du souscripteur lors de son adhésion.
Il n'est certes pas contesté que Madame [E] [E] épouse [W] a signé le bulletin d'adhésion de la MAE Famille 2006/2007 le 5 septembre 2006 à côté de la mention de prise de connaissance des conditions générales en vigueur au
15 avril 2006.
Il appartient cependant à l'assureur de démontrer que ces conditions générales contenaient la clause litigieuse, ce qu'il ne fait pas en l'espèce.
En effet, il n'est produit à l'instance que la notice d'information 2009'2010 en vigueur à compter du 1er juin 2009 qui comporte effectivement la clause en question mais dont il n'est pas démontré qu'elle ait été portée à la connaissance de Madame [E] épouse [W] et acceptée par elle.
Cette démonstration ne saurait résulter de la seule tacite reconduction du contrat et le premier juge ne pouvait par ailleurs déduire la connaissance des conditions générales 2009/2010 par Madame [E] de la production du document par les demandeurs, lesquels l'avaient en réalité eux-mêmes obtenue de l'assureur.
Dès lors, en l'absence de preuve par l'assureur de ce que la clause limitative de garantie a été portée à la connaissance de l'assurée, elle doit être déclarée inopposable aux appelants.
Le jugement de premier ressort doit donc être infirmé en ce qu'il a considéré que la clause s'appliquait et leur était opposable.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande des consorts [Q]/[J] et de condamner la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à verser les sommes de 12 500 € à Monsieur [Q], 12 500 € à Madame [V] [J], 4500 € à Madame [V] [J] ès qualités de représentante légale de [S] [J] et 3000 € à Monsieur [Y] [J].
La résistance abusive de l'assureur n'est pas démontrée, les appelants seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts à ce titre.
Le premier jugement sera également infirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION.
L'équité justifie d'accorder à Monsieur [Q] et à Madame [J] chacun, la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire et mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Perpignan du 18 septembre 2015 en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
DIT que la clause limitative de garantie est inopposable aux appelants,
CONDAMNE la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer :
- la somme de 12 500 € à Monsieur [I] [Q],
- la somme de 12 500 € à Madame [V] [J],
- la somme de 4500 € à Madame [V] [J] ès
qualités de représentante légale de sa fille [S] [J],
- la somme de 3000 € à Monsieur [Y] [J],
REJETTE le surplus des demandes,
CONDAMNE la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION à payer à Monsieur [I] [Q] et Madame [V] [J] chacun la somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la MUTUELLE ASSURANCE DE L'EDUCATION aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT
MM/LR