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03/07/2014 | FRANCE | N°12/01765

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 03 juillet 2014, 12/01765


R.G : 12/01765









Décision du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse

Au fond du 24 novembre 2011



RG : 11/01197

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 03 Juillet 2014





APPELANTES :



SARL RESIDENCE REGINA HAUTEVILLE

[Adresse 3]

[Localité 1]



représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SEL

AS PIERRE CUSSAC, avocat au barreau de PARIS





SARL DRMB

[Adresse 6]

[Localité 6]



représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELAS PIERRE CUSSAC, avocat au barreau de P...

R.G : 12/01765

Décision du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse

Au fond du 24 novembre 2011

RG : 11/01197

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 03 Juillet 2014

APPELANTES :

SARL RESIDENCE REGINA HAUTEVILLE

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELAS PIERRE CUSSAC, avocat au barreau de PARIS

SARL DRMB

[Adresse 6]

[Localité 6]

représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELAS PIERRE CUSSAC, avocat au barreau de PARIS

SARL GESTOREL

[Adresse 6]

[Localité 6]

représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELAS PIERRE CUSSAC, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

Maître [C] [O] [T], mandataire judiciaire, pris en qualité de mandataire liquidateur de la SARL LES VALERIANNES, nommé auxdites fonctions selon jugement du tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse en date du 4 juillet 2008

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par la SELARL MONOD-TALLENT, avocat au barreau de LYON

SELARL MJ SYNERGIE représentée par Maître [B] [F] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SCI VILLA REGINA, désignée à ces fonctions par jugement du tribunal de grande instance de Lyon en date du 07 février 2012 en lieu et place de Maître [B] [F] nommé à cette fonction par jugement du tribunal de de commerce de Lyon en date du 9 septembre 2008

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

assistée de la SCP BES SAUVAIGO ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, substituée par Maître Cécile FLANDROIS, avocat au barreau de LYON

SARL GDP VENDOME

[Adresse 5]

[Localité 5]

représentée par Maître Ingrid BOTELLA, avocat au barreau de LYON

assistée de Maître Florian LOUARD, avocat au barreau de MÂCON

SAS GDP VENDOME PROMOTION

[Adresse 7]

[Localité 5]

représentée par Maître Ingrid BOTELLA, avocat au barreau de LYON

assistée de Maître Florian LOUARD, avocat au barreau de MÂCON

Association ASSTRA (Association Tutélaire Rhone-Alpes - Antenne de Rillieux)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par la SELARL MONOD-TALLENT, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 15 Novembre 2013

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 Avril 2014

Date de mise à disposition : 12 juin 2014, prorogée au 19 juin 2014, au 26 juin 2014, puis au 03 juillet 2014, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Michel GAGET, président

- François MARTIN, conseiller

- Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par François MARTIN, conseiller, faisant fonction de président, en remplacement du président légitimement empêché, et par Joëlle POITOUX , greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL GDP Vendôme et la SA GDP Vendôme Promotion (les sociétés Vendôme) ont assigné la société Villa Regina, la société Les Valériannes, la société Résidence Regina Hauteville, la société Gestorel, la société DRMB et l'Association tutélaire Rhône-Alpes (ASSTRA), représentant M. [I], aux fins d'obtenir la nullité, subsidiairement l'inopposabilité à leur égard, et plus subsidiairement encore, la résolution, d'une vente immobilière passée entre la société Villa Regina et la société DRMB, ainsi que la nullité, subsidiairement l'inopposabilité à leur égard, d'une cession de fonds de commerce conclue entre les sociétés Les Valériannes et Résidence Regina Hauteville, et l'indemnisation des préjudices résultant pour elle de ces diverses opérations.

Les sociétés Les Valériannes et Villa Regina ont été mises en liquidation judiciaire en cours d'instance ; leur liquidateur respectif a été appel en cause.

L'assignation a été délivrée, en son temps, devant le tribunal de grande instance de Belley ; cette juridiction étant supprimée par la réforme de la carte judiciaire, l'instance a été attribuée au tribunal de grande instance de Bourg en Bresse, qui a rendu le jugement entrepris.

*

Il a retenu, en substance, que les sociétés Vendôme, en tentant de négocier un nouveau prix de vente du bien après la signature du compromis de vente pour des motifs non justifiés par éléments probants, sont revenues sur leurs engagements initiaux, ont renoncé à acheter les biens et fonds de commerce, ont modifié de manière substantielle l'économie du contrat et qu'elles doivent en conséquence être déclarées seules responsables de la non-réalisation des opérations.

Les sociétés DRMB, Regina Hauteville et Gestorel poursuivant, quant à elles, l'annulation des actes ultérieurs de vente et de cession, la restitution des fonds versés à la société Villa Regina pour l'acquisition de l'ensemble immobilier et la restitution de ceux versés à la société Les Valériannes pour l'achat des deux fonds de commerce, en soutenant que les sociétés Vendôme les avaient empêchées de mener à termes leurs opérations, le tribunal a relevé que les transactions avaient une cause et que M. [F], en sa qualité de liquidateur de la société Villa Regina n'était pas responsable du blocage de la situation après l'ouverture de la procédure collective.

En conséquence, le jugement entrepris :

- dit qu'aucune faute ne saurait être mise à la charge de la société Villa Regina,

- déboute les sociétés Vendôme de l'intégralité de leurs demandes comme non fondées,

- dit que la société Villa Regina, représentée par son liquidateur judiciaire, doit à ce jour conserver les 300 000 euros versés à titre de clause pénale,

- déboute les sociétés DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel, filiales du groupe Auvence, de leurs demandes :

- en annulation pour défaut de cause de la cession du fonds de commerce des Valériannes du 1er octobre 2007 et de la vente immobilière conclue le 17 octobre 2007 entre le société Villa Regina et la société DRMB,

- en restitution par M. [T], liquidateur de la société Les Valériannes, de la somme de 430 000 euros, montant du prix de cession du fonds de commerce à la société Résidence Regina Hauteville, sous astreinte,

- en restitution de la somme de 2 840 000 euros, prix de cession des biens de la société Villa Regina, par M. [F], liquidateur de cette société, sous astreinte à la société DRMB,

- en levée du séquestre des fonds et en restitution des fonds détenus par le bâtonnier de l'Ordre des avocats,

- en paiement de la somme de 935 592 euros représentant le montant de la perte sur investissement de la société DRMB, au 31 mars 2009,

- en paiement de la somme de 932 592 euros, représentant le manque à gagner de la société Résidence Regina Hauteville au 31 mars 2009, né de sa perte d'exploitation d'une maison de retraite, de 61 lits médicalisés, conformément aux autorisations du Conseil général de l'Ain,

- constate que les sociétés Vendôme ont été déboutées de leurs demandes et qu'elles n'ont en conséquence pas de créance à inscrire au passif des sociétés Villa Regina et Les Valériannes,

- constate en tout état de cause que les sociétés DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel n'ont pas déclaré leur créance au passif des sociétés Villa Regina et Les Valériannes, ni sollicité de relevé de forclusion, de sorte qu'elles ne peuvent voir fixer de créance dans le cadre de leurs procédures collectives,

- déboute M. [T] ès qualités de sa demande en dommages-intérêts,

- condamne solidairement, d'une part, les sociétés Vendôme et d'autre part, les sociétés DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel à payer M. [T], en qualité de liquidateur de la société Les Valériannes la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code procédure civile,

- dit que dans leurs rapports entre elles, elles supporteront chacune par moitié cette condamnation,

- condamne solidairement, d'une part, les sociétés Vendôme et d'autre part, les sociétés DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel à payer à M. [F], en qualité de liquidateur de la société Villa Regina, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que dans leurs rapports entre elles, elles supporteront chacune par moitié cette condamnation,

- déboute les sociétés Vendôme de leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute les sociétés DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel de leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonne l'exécution provisoire du jugement,

- condamne solidairement les sociétés Vendôme, DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel aux dépens et en ordonne la distraction,

- dit que dans leurs rapports entre elles, elles supporteront chacune par moitié cette condamnation.

*

Les sociétés Résidence Regina Hauteville, DRMB et Gestorel ont relevé appel principal.

Par arrêt rendu sur déféré, les conclusions des sociétés Vendôme, notifiées et déposées le 4 octobre 2012, ont été déclarées irrecevables.

*

Les sociétés Résidence Regina Hauteville, DRMB et Gestorel exposent que les sociétés DRMB et Résidence Regina Hauteville ont acquis un ensemble immobilier et un fonds de commerce de maison de retraite en octobre 2007, dans l'intention de procéder à des opérations de rénovation et de médicalisation, puis de revente par lots, ce qui devait générer une marge de promotion immobilière, avant d'y transférer le fonds de commerce, mais que ces projets se sont heurtés à l'obstruction des sociétés Vendôme, concurrentes du groupe dont elles font partie, qui ont soutenu que ces acquisitions violaient les promesses antérieures dont elles étaient bénéficiaires.

Elle soutiennent que ces objections ne procédaient que d'une intention de nuire, qu'elles sont fautives et que c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu, en se fondant sur un protocole d'accord du mois de janvier 2009, soumis à une condition suspensive qui ne s'est pas réalisée, que la poursuite du projet était possible et qu'ils les ont déboutées de leurs demandes indemnitaires.

Le dispositif de leurs conclusions est ainsi conçu :

Vu l'article 1382 du code civil,

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes indemnitaires des sociétés DRMB et Résidence Regina Hauteville, ainsi qu'en ses dispositions sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens,

- constater les fautes des sociétés Vendôme ayant consisté :

- à poursuivre la nullité des ventes des 1er et 17 octobre, alors qu'elles ne poursuivaient pas l'exécution des promesses du 8 mars 2007, mais l'indemnisation des conséquences de la prétendue violation de leurs engagements par les promettants, ce qui établit qu'elles n'avaient aucun intérêt à cette demande et ne poursuivaient que l'intention de nuire à leur concurrent,

- à donner la plus large publicité à leur action dans le but de dissuader les notaires de prêter leur concours à l'opération immobilière envisagée, les banquiers de la financer et les investisseurs d'y souscrire,

- en conséquence, les condamner in solidum à verser :

- à la société DRMB :

- 2 542 207 euros à titre d'indemnité de la perte de marge immobilière,

- 2 568 520 euros à titre d'indemnité de la moins value sur l'ensemble immobilier,

- 139 508 euros à titre d'indemnisation des taxes foncières 2009, 2010 et 2011, exposées en pure perte,

- 22 724 euros à titre d'indemnisation des frais de mise en sécurité de l'ensemble immobilier,

- à la société Résidence Regina Hauteville :

- 1 122 910 au titre des pertes d'exploitation cumulées depuis octobre 2007,

- 1 250 000 euros à titre d'indemnisation du gain manqué de l'exploitation de la maison de retraite,

- 379 496 euros à titre d'indemnité de la perte de marge mobilière,

- si la Cour l'estime nécessaire, nommer tel expert à l'effet d'évaluer la pertinence de ces demandes et plus particulièrement la valeur de l'ensemble immobilier acquis les 1er et 17 octobre 2007 par la société DRMB,

- leur donner acte qu'elles s'en rapportent à justice quant à la participation des autres parties à ces opérations d'expertise et qu'elles offrent de faire l'avance des frais,

- condamner le société Vendôme à payer à chacune d'entre elles une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel.

*

En sa qualité de mandataire liquidateur de la société Les Valériannes, Me [T] constate qu'aucune demande n'est formulée à son encontre ; il demande sa mise hors de cause, et la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté sa réclamation reconventionnelle à l'encontre des sociétés Vendôme et réclame à ce titre une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de leurs agissements ; il demande la condamnation des sociétés Vendôme, ainsi que des sociétés DRMB, Résidence Regina Hauteville et Gestorel au paiement d'une somme de 4 000 euros pour ses frais irrépétibles.

*

La SELARL MJ Synergie, mandataires judiciaires, représentée par Me [F], liquidateur judiciaire de la société Villa Regina, constate, de même, qu'aucune demande n'est formée à l'encontre de son administrée ; elle demande donc sa mise hors de cause.

Pour le surplus, elle conclut à la confirmation du jugement, au débouté de la demande tendant à l'organisation d'une expertise judiciaire, dans la mesure, d'une part, où elle ne saurait être concernée, eu égard aux règles des procédures collectives et où, d'autre part, une telle mesure ne saurait suppléer la carence dans l'administration de la preuve.

Elle réclame, contre tout succombant, le paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

*

L'ASSTRA rappelle qu'elle n'a été mise en cause que parce qu'elle représentait, à l'époque, M. [I], majeur en tutelle, en son temps gérant des sociétés Les Valériannes et Villa Regina, décédé depuis ; elle demande de constater qu'aucune demande n'est formée à son encontre, ni ne peut l'être, qu'en toute hypothèse, elle a perdu toute mission et qualité ensuite de ce décès, et de condamner les sociétés Regina Hauteville, Gestorel et DRMB au paiement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

' Les conclusions d'appel des sociétés Vendôme sont irrecevables ; la juridiction d'appel n'est saisie d'aucun moyen d'infirmation du jugement, en tant qu'il les déboute de leurs demandes.

' Les sociétés DRMB et Résidence Regina Hauteville font en conséquence valoir, en se référant à l'article 954 du code de procédure civile que, puisque les sociétés Vendôme n'ont plus aucune prétention, notamment quant à la nullité de la vente, il en résulte, eu égard à l'effet dévolutif de l'appel, qu'elles n'en ont jamais eu.

Mais l'irrecevabilité de leurs conclusions, constatée par application des articles 909 et 910 du code de procédure civile, c'est-à-dire pour défaut de respect des délais prévus au décret de procédure, n'équivaut pas à l'absence de reprise d'un chef de demande dans des conclusions recevables.

D'autre part, le texte qu'elles citent indique seulement que les prétentions qui ne sont pas reprises dans les dernières conclusions sont réputées abandonnées ; cela n'implique pas qu'elles n'ont jamais été formulées.

Ces critiques ne sont pas pertinentes.

' Par actes des 22 et 23 novembre 2007, les sociétés Vendôme ont assigné, notamment, les sociétés DRMB et Résidence Regina Hauteville en demandant, au visa de l'adage fraus omnia corrumpit et des articles 1382 et 1184 du code civil, de prononcer la nullité de la vente intervenue le 2 octobre 2007 entre la société Villa Regina et la société DRMB, voire d'en constater l'inopposabilité à leur égard.

Si elles demandaient, à titre subsidiaire, la résolution aux torts exclusifs de la société Villa Regina, du compromis de vente du 8 mars 2007 et par conséquent, la restitution de l'acompte, il n'en demeure pas moins qu'elles se prévalaient des droits issus ce contrat pour s'opposer à la vente des biens à leur concurrente.

Contrairement à ce que soutiennent les sociétés DRMB et Résidence Regina, cette demande n'était pas incohérente : elle tendait, d'abord, à préserver les droits prétendus, et seulement, en cas d'échec de cette prétention, à obtenir le remboursement des sommes versées.

Certes, c'était bien 'en tout état de cause' - c'est-à-dire que leur demande principale, soit accueillie, ou seulement leurs demandes subsidiaires - qu'elles réclamaient l'indemnisation d'une perte de chance de réaliser l'opération projetée.

C'est, en effet, contradictoire, puisque cette réclamation aurait dû elle-même n'être présentée qu'à titre subsidiaire.

Mais cette erreur ne justifie pas d'en déduire une intention de nuire : si le tribunal avait accueilli la demande principale, il aurait été amené à constater que cette perte de chance n'existait pas, ou à considérer que l'opération n'était plus réalisable, par exemple en raison du retard infligé par la passation des conventions prétendument frauduleuses.

Tout cela impliquait un débat et la rédaction de l'assignation ne révèle ainsi qu'une maladresse dont ne se déduit aucune intention maligne certaine.

' Les sociétés Vendôme ont réitéré cette assignation le 13 décembre 2007.

Elles lui ont, cette fois, donné une publicité, en la communiquant au notaire chargé de recevoir les actes de vente, au Crédit agricole et au Crédit mutuel, banquiers de l'opération, ainsi qu'au notaire ayant instrumenté dans la vente faite à la société DRMB.

Ce dernier, Me [K], qui avait ensuite été chargé des ventes aux investisseurs, atteste qu'à réception de cette dénonciation par acte d'huissier, il a été contacté par téléphone par l'avocat des sociétés Vendôme, qu'il l'a donc rappelé et que ce dernier lui a précisé que, 'dans ces conditions, il ne fallait pas régulariser les ventes envisagées par la société DRMB des lots de la résidence et qu'il avait prévenu [les banques précitées] de cette assignation, de manière à ce qu'elles ne procèdent pas aux versements en mon étude du montant des emprunts contractés par les acquéreurs de DRMB'.

Il est ainsi avéré :

- que les sociétés Vendôme ont donné une publicité à l'assignation, avant que toute décision soit intervenue et sans, de surcroît, mentionner les éléments pouvant éclairer les destinataires quant à l'issue du débat judiciaire,

- que cette publicité a été ciblée sur les partenaires nécessaires à la réalisation de l'opération envisagée par ses concurrents,

- qu'elles ont accompagné cette communication auprès de Me [K] de commentaires destinés à préciser et amplifier son effet dissuasif,

- que, par sa rédaction même, cette assignation, qui se fonde sur une 'collusion frauduleuse', était de nature à jeter le discrédit sur les parties défenderesses.

Cette communication est fautive, pour toutes ces raisons, et même pour chacune d'entre elles, prise isolément.

Elle manifeste, cette fois de façon certaine, l'intention de créer aux concurrents de très sérieuses difficultés avec leurs partenaires, qu'ils soient banquiers ou, au travers des notaires intermédiaires, investisseurs potentiels.

' Les conséquences de cette faute ont été immédiates et sévères :

- par courrier du 27 décembre 2007, 'au vu des derniers événements intervenus sur ce dossier', (les dénonciation de l'assignation sont de ce même jour), la Caisse régionale du Littoral du Sud-Ouest demandait la restitution 'du virement de 554 237 euros effectué hier à votre profit' dans un dossier [D],

- l'Office notarial remboursait, le 2 janvier 2008, une somme identique au Crédit Foncier, dans le dossier 'vente DRMB / Bertier', au motif 'que par suite d'un obstacle juridique de dernière minute, cette vente ne peut être régularisée maintenant',

- il avait, en effet, été destinataire d'un courrier de ses confrères Me [U] et Me [P] qui, le 28 décembre 2007, indiquaient 'que vous ne pouvez ignorer que le groupe GDP Vendôme a intenté une procédure en nullité de la vente des murs de la maison de retraite vendue par votre intermédiaire le 17 octobre dernier' et lui précisant que 'je ne saurais vous recommander d'agir avec prudence dans ce dossier vis-à-vis des reventes que vous devez réaliser aux investisseurs pour le compte de la société DRMB, compte tenu de cette procédure en nullité de ladite vente ; à titre d'information, j'adresse copie de cette lettre au président de votre Chambre'.

Il est ainsi avéré que par la publicité donnée à cette assignation et par les commentaires et conseils qui l'ont accompagnée, les sociétés Vendôme ont porté une atteinte grave et fautive aux intérêts des sociétés DRMB, Regina Hauteville et Gestorel en compliquant considérablement, et même en différant, la réalisation de l'opération, déjà bien entamée, puisque des ventes étaient conclues.

' Quant aux conséquences de cette faute, le tribunal a retenu que les sociétés DRMB, Regina Hauteville et Gestorel, filiales du groupe Auvence, auraient pu continuer de mener leurs opérations, après 2007, malgré la perte de leurs avantages fiscaux de 2007, notamment après la signature du protocole transactionnel du 3 décembre 2008 avec les sociétés Vendôme, aux termes duquel ces dernières reconnaissaient la validité de la vente conclue les 1er et 17 octobre 2007 entre la société Villa Regina et la société DRMB, celle du fonds de commerce conclue le 1er octobre 2007 entre la société Les Valériannes et la société Regina Hauteville et abandonnaient leurs prétentions de nullité et d'inopposabilité qu'elles avaient formulées devant le tribunal de grande instance de Belley.

Le seul protocole produit est du 27 janvier 2009 et aucun élément du dossier n'établit qu'il en existerait un autre, du 3 décembre 2008 ; lors même, l'accord ultérieur doit être tenu pour reflétant l'intention commune définitive des parties.

Cet accord procède d'abord à quelques rappels :

- 8 mars 2007 : signature d'un compromis de vente immobilière, sous condition suspensive entre la société Villa Regina et la société GDP Vendôme Promotion,

- même jour, signature entre la société Les Valériannes et la société GDP Vendôme d'une promesse synallagmatique de cession de fonds de commerce, avec versement d'une indemnité d'immobilisation de 300 000 euros,

- puis, 'discussions animées', le tout 'rendu difficile par l'accident vasculaire cérébral dont a été victime le dirigeant et animateur des sociétés Villa Regina et Les Valériannes' (M. [I]),

- conclusion, les 1er et 17 octobre 2007, des ventes des sociétés Les Valériannes et Villa Regina aux sociétés filiales du groupe Auvence,

- ensuite, 'séquestre des fonds', devant 'l'imbroglio juridique',

- puis cette constatation : 'aujourd'hui, c'est la société Auvence [sociétés DRMB, Regina Hauteville] qui dispose de l'autorisation d'exploiter la maison de retraite Villa Regina, et le Conseil général a demandé que le litige soit terminé au plus vite.

Et donc, 'il a été convenu ce qui suit':

- la société GDP Vendôme reconnaît la validité de la vente immobilière entre la société Villa Regina et DRMB,

- la société Vendôme Promotion reconnaît la validité de la cession de fonds de commerce entre la société Les Valériannes et la société Résidence Regina Hauteville

- les sociétés Vendôme abandonnent purement et simplement les prétentions de nullité, d'inopposabilité ou autres, qu'elles ont formulées devant le tribunal de Belley

- la société 'Auvence' accepte de verser 400 000 euros à la société GDP Vendôme, 'indemnité globale, forfaitaire et définitive',

- les parties se désistent de leurs actions réciproques.

Pour autant, les sociétés DRMB, Regina Hauteville et Gestorel soulignent que, selon l'article 6 : 'le présent protocole transactionnel est conclu sous la condition suspensive du transfert des 2 679 464,45 euros actuellement sur le compte CARPA séquestre de l'Ordre des avocats au Barreau de Belley à Me [K], toujours en qualité de séquestre, et à la réception effective des fonds par celui-ci ; dès lors, les créanciers hypothécaires pourront être payés (la société GDP Vendôme sera alors remboursée des 300 000 euros d'indemnité d'immobilisation) et la revente immobilière sera ainsi possible pour les sociétés Auvence et Coff'.

Elles en déduisent que, puisque Me [F] s'est toujours opposé à cette restitution en considérant que cette somme était entrée dans le patrimoine de la société Villa Regina, que la condition suspensive n'a pas été réalisée et que la reconnaissance de la validité des ventes n'est donc jamais entrée en vigueur.

Me [F], aujourd'hui la Selarl Synergie, expose dans ses conclusions d'appel que, conformément aux dispositions de l'article R. 622-19 du code de commerce, il a sollicité le versement du prix entre ses mains, qui est entré dans les actifs de la liquidation judiciaire.

Le fait même dont elles se prévalent est donc avéré.

Mais, les sociétés Vendôme ne sont pas impliquées dans la décision de Me [F] de ne pas transmettre les fonds.

Et, de façon générale, il ne résulte pas des faits exposés par les sociétés DRMB et Résidence Regina Hauteville que leur opération a été rendue définitivement impossible, par le seul fait qu'il avait existé, en 2007, une action intempestive des sociétés Vendôme.

Si donc, le motif des premiers juges portant sur la possibilité de reprendre les opérations, du seul fait que ce protocole est intervenu, ne peut être adopté, puisque la condition suspensive qui y était stipulée a défailli, il reste que cette situation ne peut être imputée aux sociétés Vendôme.

Par ailleurs, le maintien de leur action (après qu'elles se sont désistées de l'instance introduite par la première assignation, qui contenait des erreurs cadastrales, d'après ce qu'indique la procédure), ne peut être tenu en lui-même pour fautif, puisque les droits potentiels issus des ventes premières n'étaient pas manifestement inexistants.

Dans la mesure où il a déjà été retenu que, même si leurs demandes n'étaient ni claires ni cohérentes, il ne peut s'en déduire une intention de nuire, la faute résultant de la présentation, puis du maintien de l'action, n'est pas caractérisée.

Dans ces conditions, il ne peut être retenu que les sociétés Vendôme ont empêché fautivement la réalisation de l'opération et il faut souligner que les sociétés DRMB, Regina Hauteville et Gestorel ne contestent pas que, malgré cet obstacle, elles ont pu tenter de poursuivre le projet.

D'ailleurs, la société Résidence Regina Hauteville, quand elle a élaboré son projet de licenciement pour motif économique au mois de juin 2009, donc bien après la passation du protocole du mois de janvier, n'y a fait aucune référence au litige avec les sociétés Vendôme, mais à 'la situation de crise généralisée' et de 'pertes récurrentes' ; il n'y est pas question d'imputer ces difficultés à un blocage résultant des difficultés juridiques dont il est question ici.

En revanche, elles en ont considérablement perturbé le déroulement, en donnant à leur demande une publicité indue, qui a convaincu les partenaires des sociétés DRMB, Regina Hauteville et Gestorel de leur retirer leur soutien et a ainsi conduit à des retards extrêmement préjudiciables et à une atteinte importante à la confiance des investisseurs.

Ce préjudice est lourd, dans une activité qui suppose précisément que les opérations soient menées avec célérité, compte tenu des attentes de ces investisseurs.

En persuadant ces partenaires de suspendre leur concours, les sociétés Vendôme ont ainsi infligé un dommage qui doit être mesuré à l'importance des intérêts financiers en jeu.

' De ce point de vue, les justificatifs produits au soutien des demandes indemnitaires sont pleinement convaincants et retracent de façon précise les pertes résultant de l'échec de l'opération.

D'après ce qu'indique le jugement entrepris dans l'exposé des demandes des parties, ce chiffrage des réclamations a évolué en cause d'appel.

Il n'en résulte pas qu'il s'agit de demandes nouvelles, puisque, toujours selon le jugement, elles étaient arrêtées, en première instance, au 31 mars 2009, de sorte qu'elles ne résultent que d'une actualisation ; il n'y a pas lieu de les déclarer irrecevables, ni même de faire usage de cette faculté dans la mesure où elles seraient effectivement tenues pour nouvelles.

Dans cet échec, les sociétés Vendôme ont une part de responsabilité que l'ensemble des éléments du dossier conduit à évaluer à 20 %, environ.

Il en résulte que, pour la société DRMB, et sur la base de ces évaluations, le dommage causé par les fautes des sociétés Vendôme est arrêté à 1 000 000 d'euros.

Et pour la société Regina Hauteville à 500 000 euros.

' Me [T] ès qualités demande paiement de dommages et intérêts en indiquant que, nonobstant le fait que puisse être acquise la clause pénale convenue dans les compromis, il est fondé à réclamer le paiement d'une indemnité à titre de réparation des préjudices subis, que le tribunal a cru devoir écarter cette demande pourtant fondée, tant en principe qu'en sa juste appréciation raisonnable et qu'il convient de condamner les sociétés Vendôme à procéder au règlement de la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de leurs agissements.

Cette demande ne repose sur aucun moyen d'infirmation ni ne décrit le principe et le mode de calcul d'un préjudice, qui n'est pas démontré.

Elle ne peut être accueillie et le jugement de débouté doit être confirmé.

' Les sociétés Vendôme succombent essentiellement ; les dépens sont à leur charge.

Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a intégralement débouté la société DRMB de sa demande en indemnisation de sa perte sur investissement, et la société Résidence Regina Hauteville de celle concernant sa perte d'exploitation d'une maison de retraite, et en ce qu'il déboute ces sociétés de leur demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, en tant que dirigées contre la SARL GDP Vendôme et la SA GDP Vendôme,

- Statuant à nouveau de ces chefs,

- Dit que la SARL GDP Vendôme et la SA GDP Vendôme Promotion ont fautivement causé une partie de ces préjudices,

- Condamne in solidum la SARL GDP Vendôme et la SA GDP Vendôme Promotion à payer à la société DRMB la somme d'un million d'euros et à la société Résidence Regina Hauteville, la somme de 500 000 euros,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SARL GDP Vendôme et la SA GDP Vendôme Promotion in solidum à payer :

- aux sociétés Résidence Regina Hauteville, DRMB et Gestorel la somme globale de 40 000 euros au titre de la procédure de première instance et d'appel;

- à Me [T] ès qualités la somme de 3 000 euros,

- à l'Association tutélaire Rhône-Alpes (ASSTRA) une somme de 1 500 euros.

- Condamne la SARL GDP Vendôme et la SA GDP Vendôme Promotion aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.

LE GREFFIERPour LE PRESIDENT empêché

Joëlle POITOUX François MARTIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 12/01765
Date de la décision : 03/07/2014

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°12/01765 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-07-03;12.01765 ?
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