AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 11/07843
SA STRAND COSMETICS EUROPE
C/
[R]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 25 Octobre 2011
RG : F 09/04736
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 14 FEVRIER 2013
APPELANTE :
SA STRAND COSMETICS EUROPE
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par la SCP FROMONT BRIENS (Me Marie-laurence BOULANGER), avocats au barreau de LYON
substituée par Me Maud PERILLI, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[H] [K] épouse [R]
née le [Date naissance 1] 1957 à
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Denis ROUANET, avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 16 Mars 2012
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 29 Novembre 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Christian RISS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Février 2013, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS
Le 11 février 1983, la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE embauchait [H] [K] en tant que secrétaire commerciale, laquelle devenait plus tard secrétaire de direction ;
Au cours du contrat de travail la salariée se mariait et devenait [H] [K] épouse [R] ;
Le 27 janvier 2009, elle était victime d'un accident du travail en chutant sur le parking de l'entreprise et se blessant à une cheville ;
Elle se trouvait en arrêt de travail jusqu'au 8 février 2009 ;
Aucune visite de reprise chez le médecin du travail n'avait lieu ;
Par lettre recommandée avec avis de réception datée du 20 juin 2009 et reçue le 23 suivant, [H] [K] épouse [R] demandait à la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE le bénéfice d'une rupture conventionnelle du contrat de travail ;
Après plusieurs entretiens entre l'employeur et la salariée dûment assistée, une convention de rupture se signait le 7 juillet 2009 ;
[H] [K] épouse [R] n'exerçait pas son droit de rétractation dans le délai de 15 jours ;
Le 10 août 2009, l'Inspection du Travail homologuait la convention de rupture à l'effet du surlendemain ;
[H] [K] épouse [R] quittait la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE le 30 septembre 2009 ;
En novembre 2009, elle contestait la rupture auprès de son ex-employeur par la voie de son avocat ; elle l'arguait de nullité en faisant valoir qu'elle était survenue au cours d'une suspension du contrat de travail, la reprise après une absence d'une durée supérieure à huit jours pour cause d'accident du travail n'ayant pas été accompagnée de la visite obligatoire chez le médecin du travail, d'où la suspension persistante du contrat ;
La S.A. STRAND COSMETICS EUROPE lui proposait alors une réintégration, qu'elle refusait ;
PROCÉDURE
Le 1er décembre 2009, [H] [K] épouse [R] saisissait le conseil de prud'hommes de Lyon en nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail et condamnation de la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE à lui payer les sommes suivantes :
- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail,
- 1.500 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Comparaissant, la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE concluait au débouté total de [H] [K] épouse [R] et à sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :
- 2.500 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- 1.500 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par jugement contradictoire du 25 octobre 2011, le conseil de prud'hommes de Lyon, section de l'industrie, présidé par un juge départiteur, disait nulle la rupture conventionnelle du contrat de travail, disait qu'elle produisait les effets d'un licenciement nul, et condamnait la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE à payer à [H] [K] épouse [R] la somme de 14.062,80 € à titre de dommages-intérêts ;
Il rejetait les autres demandes ;
La S.A. STRAND COSMETICS EUROPE interjetait appel du jugement le 21 novembre 2011 ;
En faisant valoir que la rupture conventionnelle du contrat de travail peut s'appliquer en cas de suspension de celui-ci, elle conclut à l'infirmation du jugement, au débouté total de [H] [K] épouse [R] et à sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :
- 2.500 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- 1.500 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Interjetant appel incident, [H] [K] épouse [R] conclut à la condamnation de la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE à lui payer les sommes suivantes :
- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail,
- 2.500 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail
Attendu que selon l'article L. 1226-9 du code du travail au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ;
Attendu que selon l'article L. 1226-13 du même code la rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance de cette disposition est nulle ;
Attendu que la rupture conventionnelle du contrat de travail instituée par la loi 2008-596 du 25 juin 2008, qui relève de la volonté des deux parties, n'entre pas dans le champ de ces dispositions ; qu'en effet le législateur n'a pas expressément exclu son application dans le cas d'une suspension prévu à l'article L. 1226-9 précité, qui prohibe seulement la rupture unilatérale du contrat par l'employeur ;
Attendu que selon l'article L. 1237-11 du code du travail l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie ; que la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. ; qu'elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat ;
Attendu que selon l'article L. 1237-13 alinéa 3 du même code chaque partie bénéficie à compter de la date de la signature de la convention d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation ;
Attendu que ce droit s'exerce par écrit ; que l'auteur de la rétractation n'est pas tenu de motiver sa décision ;
Attendu que la convention est ensuite soumise à l'homologation de l'Inspection du Travail ;
Attendu que l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a conçu la rupture conventionnelle du contrat de travail comme un dispositif destiné à minimiser les sources de contentieux ; qu'il s'agissait en effet de sécuriser les conditions dans lesquelles l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie en inscrivant ce mode de rupture dans un cadre collectif garantissant la liberté de consentement des parties et l'accès aux indemnités de rupture et aux allocations du régime d'assurance chômage ; qu'aux cours des travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi n°2008-596 du 25 juin 2008, le rapporteur de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale a souligné l'utilité d'options négociées, non prédéterminées, permettant d'échapper à l'alternative entre la démission et le licenciement ; que l'inscription dans la loi de la procédure prévue par l'accord national interprofessionnel, rapide, peu onéreuse et entourée de garanties, devait permettre au plus grand nombre de salariés de recourir à un type d'accord réservé auparavant 'à une minorité de cadres supérieurs acceptant de se risquer (avec le soutien d'un conseil juridique) dans des procédures au cas par cas' ; qu'il n'a jamais été question, au cours des débats parlementaires, de subordonner la mise en oeuvre d'une rupture conventionnelle à l'absence de litige antérieur ou concomitant entre les parties, exigence à l'évidence incompatible avec l'objectif que le législateur a assigné à ce mode de rupture ; qu'éviter que les différends nés de la rupture soient portés en justice, cristallisant ainsi les antagonismes, n'est en effet pas la même chose que subordonner la rupture conventionnelle à l'absence de différend entre employeur et salarié ; qu'en insérant les dispositions relatives à la rupture conventionnelle du contrat de travail dans le chapitre VII ('Autres cas de rupture') du titre III ('Rupture du contrat de travail à durée indéterminée') du livre II du code du travail, le législateur a fait de celle-ci un mode autonome de rupture du contrat de travail, distinct de la rupture à l'initiative du salarié et du licenciement, auquel il emprunte seulement la référence faite par l'article L 1237-13 au montant de l'indemnité légale de licenciement, qui constitue le minimum de l'indemnité spécifique de rupture ; que le caractère spécifique de celle-ci ressort de ce qu'elle emprunte à l'indemnité de licenciement l'intangibilité de son minimum et à l'indemnité transactionnelle la libre fixation de son montant par les parties au-delà du seuil fixé par le législateur ;
Attendu, ensuite, que le juge prud'homal, saisi d'un litige concernant la convention ou son homologation doit seulement vérifier le libre consentement des parties et la régularité de la procédure d'homologation destinée à le garantir ;
Attendu que [H] [K] épouse [R] n'exerçait pas son droit de rétractation avant le 23 juillet 2009
Attendu que l'Inspection du Travail homologuait la convention de rupture le 10 août 2009 à l'effet du surlendemain ; qu'elle ne constatait aucun vice la rendant irrégulière ;
Attendu que [H] [K] épouse [R] quittait la S.A. STRAND COSMETICS EUROPE le 30 septembre 2009, soit un mois et demi plus tard, sans émettre entre-temps ou au moment de son départ la moindre contestation ;
Attendu qu'elle ne subissait pas de lésion dans ses droits ;
Attendu qu'elle n'invoque présentement dans ses conclusions ni un vice du consentement ni une irrégularité de la procédure d'homologation ;
Attendu que la rupture conventionnelle du contrat de travail est ainsi parfaite et exempte de nullité, ce qui rend [H] [K] épouse [R] mal fondée en ses demandes ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être infirmée ;
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive
Attendu que le mal-fondé de la demande de [H] [K] épouse [R] ne relevait pas de l'évidence au regard du droit en vigueur ;
Attendu que son action ne revêt dès lors pas un caractère abusif ;
Attendu que la décision des premiers juges, qui ont rejeté la demande, doit être confirmée ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme partiellement le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Dit que la rupture conventionnelle du contrat de travail n'est pas nulle,
Déboute [H] [K] épouse [R] de sa demande de dommages-intérêts,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Y ajoutant,
Rejette les demandes d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formulées en cause d'appel,
Condamne [H] [K] épouse [R] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIER Jean-Charles GOUILHERS