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19/02/2010 | FRANCE | N°08/08916

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 19 février 2010, 08/08916


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 08/08916





[R]

C/

SAS ABB FRANCE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes de BOURG-EN-BRESSE

du 01 décembre 2008

RG : 07/00325











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 19 FÉVRIER 2010













APPELANTE :



[D] [R]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 5]

[Adresse

2]

[Localité 3]



représentée par Maître Véronique MASSOT-PELLET, avocat au barreau de LYON









INTIMÉE :



SAS ABB FRANCE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]



représentée par Maître Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON




































...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 08/08916

[R]

C/

SAS ABB FRANCE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes de BOURG-EN-BRESSE

du 01 décembre 2008

RG : 07/00325

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 19 FÉVRIER 2010

APPELANTE :

[D] [R]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Maître Véronique MASSOT-PELLET, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SAS ABB FRANCE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représentée par Maître Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 janvier 2010

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Louis GAYAT DE WECKER, Président

Dominique DEFRASNE, Conseiller

Catherine ZAGALA, Conseiller

Assistés pendant les débats de Anita RATION, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 19 février 2010, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Louis GAYAT DE WECKER, Président, et par Chantal RIVOIRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Madame [D] [R] a été embauchée le 29 novembre 1994 par la Société ABB France.

Au dernier état de la collaboration, elle était Responsable Ressources Humaines statut cadre et percevait un salaire mensuel brut de base de 4.642,79 € outre primes d'un montant annuel de 6.706 € pour l'année 2007.

En arrêt de travail à compter du 26 mars 2007, elle a été licenciée le 24 septembre 2007.

Elle a contesté cette décision devant le Conseil des Prud'hommes de BOURG EN BRESSE saisi en outre d'une demande au titre du harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime.

' ' ' ' ' ' ' '

Vu la décision rendue le 1er décembre 2008 par le Conseil de Prud'hommes de BOURG EN BRESSE ayant :

- jugé que Madame [R] n'avait pas été victime de faits de harcèlement moral et que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Madame [R] de ses demandes,

- débouté la Société ABB France de sa demande reconventionnelle.

Vu l'appel formé le 30 décembre 2008 par Madame [R],

Vu les conclusions de Madame [R] déposées le 16 octobre 2009 et reprises et soutenues oralement à l'audience,

Vu les conclusions de la Société ABB France déposées le 24 décembre 2009 et reprises et soutenues oralement à l'audience.

' ' ' ' ' ' ' '

Madame [R] demande à la Cour :

' de dire qu'elle a été victime de harcèlement moral à l'origine de son absence pour maladie, et qu'en conséquence son licenciement est nul et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse en l'absence de remplacement effectif,

' de condamner la Société ABB France à lui payer les sommes suivantes :

- 61.903,00 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 77.385,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La Société ABB France demande à la Cour, confirmant le jugement entrepris :

' de débouter Madame [R] de l'intégralité de ses demandes,

' de la condamner au paiement de la somme de 1.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande au titre du harcèlement moral :

L'article L1152-1 du code du travail dispose :

' Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

Il résulte de ce texte que les actes de harcèlement sont prohibés, qu'ils soient ou non intentionnels, et qu'ainsi la mauvaise foi ou l'intention de nuire ne sont pas des éléments constitutifs du harcèlement moral.

Il suffit en outre que les agissements dont le salarié a été victime soient de nature à porter atteinte à ses droits et à sa dignité sans que ces conséquences soient nécessairement établies.

Par ailleurs, si la seule altération de l'état de santé n'est pas de nature à établir l'existence du harcèlement moral, elle n'est pas indispensable pour qu'il soit reconnu.

L'interdiction susvisée vise non seulement l'employeur ou son représentant et toute personne ayant une fonction d'autorité mais aussi tout salarié à l'égard d'un collègue qu'il soit ou non de même niveau hiérarchique.

L'article L1154-1 du Code du Travail dispose :

' Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152 1 à L. 1152 3 et L. 1153 1 à L. 1153 4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

Il en résulte qu'il convient de prendre en compte l'ensemble des éléments de faits apportés par le salarié, d'en vérifier la matérialité, de rechercher s'ils permettent ou non de présumer l'existence d'un harcèlement moral et le cas échéant de vérifier si l'employeur apporte la preuve que les faits en cause sont étrangers à tout harcèlement moral.

En l'espèce, Madame [R] a été nommée aux fonctions de Responsable Ressources Humaines à compter du mois d'avril 1999 sous l'autorité du Directeur des Ressources Humaines Monsieur [H] [I].

Nommée à ce poste au sein de la Société ABB Diffusion en décembre 2001, ses fonctions ont été étendues notamment aux termes d'un avenant du 1er février 2002 aux sociétés Entrelec Commercial France et Entrelec Services.

Madame [R] s'est vue confier en février 2006 la responsabilité des Ressources Humaines de l'activité MMD pour laquelle Monsieur [P] exerçait les fonctions de Directeur Marketing et Développement stratégique.

Or il résulte des courriels produits aux débats que Monsieur [P] était opposé à cette nomination, qu'il avait fait part de ses objections à Monsieur [I] indiquant qu'il ne souhaitait pas travailler avec Madame [R] en qui il n'avait pas confiance.

Malgré les objections exprimées par Monsieur [P] à l'encontre de Madame [R], Monsieur [I] a régulièrement manifesté sa confiance en Madame [R] en lui confiant des tâches supplémentaires et en lui demandant d'assurer l'intérim d'autres RRH ou le sien en cas d'absence et ce notamment en mars 2006.

Par courriel du 12 octobre 2006, Madame [R] informait Monsieur [I] que la situation avec Monsieur [P] était selon elle 'inacceptable'.

Elle rappelait la réaction violente de ce dernier à sa nomination au poste de RRH de sa division, estimant que malgré l'explication verbale qu'ils avaient eue à l'époque, Monsieur [P] manifestait toujours de l'animosité à son égard.

Elle dénonçait en outre le fonctionnement de Monsieur [P] indiquant qu'il ne lui communiquait directement aucune information sur l'activité de sa division, qu'elle ne pouvait participer à aucune réunion avec ses équipes ce qui rendait sa mission de RRH très difficile à exécuter, qu'il s'immisçait dans sa propre gestion en passant ses consignes directement à sa collaboratrice obligée de la tenir informée.

Madame [R] produit des courriels établissant les difficultés de collaboration dont elle fait état, et notamment un message qui lui a été adressé personnellement par Monsieur [P] le 12 octobre 2006 aux termes duquel, il confirmait en termes non équivoques ne pas souhaiter travailler avec elle, rappelant son désaccord sur sa nomination au poste de RRH.

Alerté par Madame [R], Monsieur [I] n'a contesté ni la matérialité des faits dénoncés par Madame [R] ni leur caractère inacceptable.

Il a au contraire informé Monsieur [P] de la nécessité de rencontrer Madame [R] dans le cadre de l 'harmonisation du système d'attribution des primes des vendeurs, exprimant le souhait d'une rencontre très proche 'pour rétablir des relations normales.'

Par lettre du 8 décembre 2006, Monsieur [I] qui n'ignorait rien de l'origine et de la manifestation du conflit entre Madame [R] et Monsieur [P], a adressé à ce dernier 'une mise en garde' pour que la situation dénoncée par Madame [R] dans sa lettre du 12 octobre 2006 cesse et qu'il prenne ' toute mesure et résolution visant à modifier le mode et les moyens de (sa) relation avec [D] [R].'

S'il utilise le conditionnel pour rapporter les griefs adressés par Madame [R], les termes de son courrier ne comportent aucune équivoque quant à la réalité des faits dénoncés, leur imputabilité à Monsieur [P], leur gravité et la nécessité de prendre des mesures immédiates pour protéger Madame [R].

Alors qu'il fait état de faits de harcèlement dénoncés par Madame [R], il notifie à Monsieur [P] une interdiction d'entrer en contact avec elle et exprime le souhait que cette lettre l'amène ' à une réflexion indispensable face à une situation que la loi a très nettement prise en compte'.

Monsieur [P] a immédiatement protesté contre cette mise en garde, rappelant qu'il avait exprimé les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas travailler avec Madame [R] et demandant à Monsieur [P] d'inviter Madame [R] à suivre la procédure interne en vigueur en cas de harcèlement.

La Société ABB France ne justifie pas avoir remis en cause l'analyse de la situation telle qu'elle ressort du courrier non équivoque adressé par Monsieur [I] à Monsieur [P] qui, en ce qui le concerne, n'estimait nullement devoir modifier son attitude, rappelant au contraire que Madame [R] avait été nommée RRH de sa division ' contre (sa) volonté' son employeur ' étant informé de cette situation' .

Alors qu'il n'est pas établi, ni même soutenu, que Madame [R] a été avisée de cette mise en garde adressée à Monsieur [P] et qu'aucun élément ne permet d'établir qu'il ait changé d'attitude à l'égard de la salariée, la sévérité excessive avec la quelle la Société ABB France a sanctionné le 5 avril 2007 le défaut d'affichage reproché à Madame [R] dans le cadre des élections du personnel a aggravé de manière incontestable la situation vécue par cette dernière.

La Société ABB France, qui n'ignorait rien des difficultés générées par l'opposition de Monsieur [P] aux fonctions confiées à Madame [R], a en outre dès le 22 mars 2007, adressé un message destiné aux trois représentants du personnel avec une large diffusion pour les informer que la gestion et le suivi des élections professionnelles du site de [Localité 4] et des établissements rattachés étaient désormais confié à un autre collaborateur.

Le fait que, lors de son dernier entretien d'évaluation du 12 janvier 2007 conduit par Monsieur [I], Madame [R] n'ait pas fait état des faits qu'elle venait de dénoncer auprès de ce dernier en respectant en cela le code de bonne conduite mis en place au sein de la Société, n'est pas de nature à remettre en cause ni la réalité ni la gravité du comportement de Monsieur [P] à son égard auquel Monsieur [I] a estimé qu'il devait être mis fin immédiatement.

La Société ABB France en sanctionnant de manière disproportionnée Madame [R] fragilisée par la remise en cause de ses attributions et de sa légitimité exprimée de manière répétée par Monsieur [P] a aggravé les conséquences des faits de harcèlement subi par la salariée.

Depuis l'entretien du 24 mars 2007 ayant pour objet l'erreur d'affichage précitée, Madame [R] a été placée en arrêt maladie pour un 'syndrome anxio-dépressif' , à la suite de cette nouvelle remise en cause de ses compétences.

Il convient en conséquence, réformant le jugement entrepris, de conclure que Madame [R] a été victime de faits de harcèlement moral prohibés par l'article L1152-1 du code du travail qui ont eu pour conséquence son placement en arrêt maladie jusqu'à son licenciement.

Il y a donc lieu de faire droit à sa demande d'indemnisation et de lui accorder la somme de 8.000,00 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande au titre du licenciement :

L'article L1152-3 du Code du Travail dispose :

' Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152- 2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.'

Il en résulte qu'un employeur ne peut se prévaloir de l'absence prolongée et de la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié en arrêt maladie si cette absence est la conséquence du harcèlement moral dont le salarié avait été l'objet.

Dans cette hypothèse, le salarié licencié peut prétendre, s'il ne demande pas sa réintégration, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue à l'article L1235-11 du Code du Travail.

En l'espèce, Madame [R] a été licenciée par lettre du 24 septembre 2007 en raison de la désorganisation générée par son absence depuis plus de 5 mois rendant nécessaire son remplacement définitif.

L'absence prolongée pour arrêt maladie de Madame [R] étant la conséquence des faits de harcèlement moral subi et dénoncés par cette dernière, le licenciement qui lui a été notifié après 13 années d'ancienneté est illicite et il y a lieu de lui accorder à titre de dommages et intérêts la somme de 45.000,00 € en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait de cette rupture.

Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile :

Il y a lieu de débouter la Société ABB France et de la condamner à payer la somme de 2.500,00 € à Madame [R].

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

' Déclare Madame [D] [R] recevable en son appel,

' Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la Société ABB France de sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau :

' Condamne la Société ABB France à payer à Madame [D] [R] les sommes suivantes:

8.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,

45.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement illicite

2.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

' Condamne la Société ABB France aux dépens de première instance et d'appel,

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 08/08916
Date de la décision : 19/02/2010

Références :

Cour d'appel de Lyon SB, arrêt n°08/08916 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-02-19;08.08916 ?
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