ARRET N.
RG N : 12/ 00175
AFFAIRE :
M. Thierry dit Y... X...
C/
MINISTERE PUBLIC
SB-iB
demande de changement de prénom
Grosse délivrée à
au Ministère Public
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 11 DECEMBRE 2012
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Le ONZE DECEMBRE DEUX MILLE DOUZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur Thierry dit Y... X...
de nationalité Française
Profession : Inconnue, demeurant ...-87000 LIMOGES
représenté par Me Elisabeth BONNAFOUS-BREGEON, avocat au barreau de LIMOGES substituée par Me GOLFIER, avocat.
APPELANT d'un jugement sur requête rendu le 20 JANVIER 2012 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES
ET :
MINISTERE PUBLIC, représenté par Madame Odile VALETTE, avocat général.
INTIME
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Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 23 Octobre 2012 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 4 Décembre 2012. L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 juillet 2012.
A l'audience de plaidoirie du 23 Octobre 2012, la Cour étant composée de Monsieur Serge BAZOT, Président de chambre, de Madame Nicole BALUZE-FRACHET et de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseillers, assistés de Mme Nathalie ROCHE, Greffier. A cette audience, en chambre du conseil, Monsieur le Président a été entendu en son rapport, Maître GOLFIER, avocat, a été entendue en sa plaidoirie, Madame VALETTE, avocat général en ses conclusions.
Puis Monsieur Serge BAZOT, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 11 Décembre 2012 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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Par jugement contradictoire du 20 janvier 2012 le tribunal de grande instance de Limoges a rejeté la demande de changement de prénom fondée sur l'article 60 du code civil de Monsieur Thierry X..., né le 12 janvier 1979 qui souhaite s'appeler " M. Y... X...".
Le jugement relève que si l'article 60 du code civil permet à " toute personne qui justifie d'un intérêt légitime de changer de prénom ", il apparaît qu'en l'espèce le demandeur est engagé dans un protocole de réassignation sexuelle qui, malgré certaines modifications physiques déjà irréversibles, n'a pas été mené à son terme, comme cela ressort d'un courrier établi par le GRETIS le 14 janvier 2011 et produit aux débats par l'intéressé.
Le tribunal a considéré que le fait pour Monsieur X...d'être connu par son entourage ainsi que divers services ou administrations sous le prénom de Y... est insuffisant pour répondre aux exigences de l'article 60 du code civil.
Que cet usage procède d'une simple convenance personnelle et ne saurait fonder un intérêt légitime ;
Qu'au surplus de manière pour le moins contradictoire le demandeur souhaite s'appeler " M. Y... X..." et accoler ainsi un prénom féminin à une civilité masculine ;
Qu'ainsi les difficultés d'insertion sociale alléguées par l'intéressé ne seraient en rien réglées et peut-être même aggravées ;
Que seule une modification de la mention du sexe sur les actes d'état civil rendra cohérent le changement de prénom sollicité ;
Qu'il appartiendra en conséquence à l'intéressé, s'il persiste dans sa démarche, d'engager une action sur le fondement de l'article 99 du code civil ;
Le 16 février 2012, Maître Alain CHARTIER-PREVOST, avocat au barreau de Limoges a interjeté appel de cette décision au greffe de la cour d'appel.
Dans ses conclusions d'appel, auxquelles il sera référé, Maître Elisabeth BONNAFOUS-BREGEON, avocat au barreau de Limoges, fait valoir au soutien de l'appel que Thierry X...présente aujourd'hui un sexe apparent féminin ;
Que le traitement hormonal qu'il suit a aujourd'hui atteint un stade irréversible, précision apportée à l'audience qu'il doit prochainement subir une intervention sur les cordes vocales et la pomme d'Adam ;
Qu'une attestation de notoriété a été établie le 30 novembre 2010 par Maître Frédéric A..., notaire à Limoges.
Qu'il est précisé " que M. Thierry X...dit Mademoiselle Y... X...est connu sous l'identité de Y... X...depuis l'été 2010 ;
Que depuis cette époque, de nombreuses personnes ignorant sa véritable identité ne le connaissent que sous ce nom et sous son aspect féminin ;
Que M. Thierry X...dit Mademoiselle Y... X...a un comportement en rapport avec son aspect féminin ;
Que lui-même a pris l'habitude de se faire connaître et de se faire appeler ainsi ", ce qui est démontré par les nombreuses pièces versées aux débats ;
Qu'il est connu sous le prénom d'Y... par tous les services et administrations ayant à connaître de sa situation (Pôle emploi, CPAM, employeur, Banque) ;
Que telle est la raison pour laquelle il sollicite le changement de son prénom, dans l'attente d'une procédure de changement de sexe ;
Que le désir de porter un prénom correspondant à son genre apparent est parfaitement légitime, même si le processus de réassignation sexuelle n'a pas été mené à son terme ;
Que, d'ores et déjà, la transition est irréversible ;
Que le sexe apparent du concluant est, et demeurera, féminin ;
Qu'il est absurde de conditionner le changement de prénom à une opération qui, de toute manière, ne changera rien au sexe apparent et social du concluant ;
Que si le requérant formule aujourd'hui une demande de changement de prénom et non une demande de changement de sexe, c'est pour la simple et bonne raison qu'un processus de réassignation sexuelle est un processus long, et qui doit être appréhendé par étapes, avec délicatesse, et beaucoup de respect de soi-même et des autres ;
Qu'une réassignation sexuelle ne se réalise pas en un claquement de doigts ;
Que l'on voit mal pour quelles raisons, il devrait être interdit au concluant de voir modifier son prénom, et ce durant sa transition, au simple motif qu'il possède toujours des organes génitaux masculins ;
Que le prénom a une vocation sociale, distanciée du sexe biologique, et que le fait, pour celui qui le porte, de se reconnaître comme appartenant à un genre, permet également aux autres de lui reconnaître cette appartenance ;
Qu'au delà de son sexe biologique et du genre auquel il appartient selon l'Etat-civil, Thierry X...est aujourd'hui une femme, au sens psychologique, social et apparent ;
Que " les caractères de la personnalité juridique jouent un rôle important dans la constitution du sentiment d'identité " (Gutman, Le sentiment d'identité. Etude de droit des personnes et de la famille, LGDJ, 2000, p. 12) ;
Que lui dénier le droit de porter un prénom conforme à cette réalité est attentatoire à la dignité humaine, et tout le moins, à son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention Européenne des Droit de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Qu'il est aujourd'hui admis par un certain nombre de Cours d'Appel qu'une personne " présente un intérêt légitime à changer de prénom, au sens de l'article 60 du code civil, dès lors qu'il a le sentiment d'être une femme, et la volonté de transformer son sexe, que son apparence physique est conforme à ce sentiment et à cette volonté, que le public et son entourage immédiat le perçoivent non comme un homme mais comme une femme " (Cour d'Appel de Reims 4 octobre 2001, substitution du prénom Lauren à celui de Gérald, tout en ayant un état civil masculin) ;
Que le requérant démontre, par les pièces versées aux débats, mais surtout par le fait qu'il s'est engagé dans un processus long et douloureux de réassignation sexuelle, qu'il se considère et est considéré par les autres comme une femme ;
Que cela ne relève pas de la simple convenance personnelle ;
Qu'aucun texte n'exige la corrélation entre le prénom et le sexe. (Pour un exemple jurisprudentiel, Cour d'Appel de Paris 30 janvier 1997) ;
Qu'ainsi la substitution du prénom Y... au prénom Thierry pour une personne de sexe biologique masculin n'étant contraire à aucun texte, et relevant d'un intérêt légitime, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions ;
Qu'il sera donc jugé qu'au prénom de Thierry sera substitué le prénom Y... ;
Le Ministère Public dans ses conclusions écrites développées oralement à l'audience conclut à la confirmation du jugement.
Sur quoi, la Cour :
1) Sur la recevabilité de l'appel :
Le jugement entrepris a fait l'objet d'une notification par le greffe en vertu de l'article 950 du code de procédure civile propre à la matière gracieuse. Toutefois, le Ministère Public s'étant par conclusions détaillées opposé à la demande, il doit être considéré que la procédure avait pris un caractère contentieux et qu'ainsi l'appel interjeté par déclaration au greffe de la cour d'appel est recevable.
2) Au fond :
Thierry X..., né à Aurillac le 12 janvier 1979, de nationalité française et domicilié à Limoges, a saisi le tribunal de grande instance de Limoges en exposant être engagé dans un protocole de soins en raison de troubles de l'identité sexuelle, protocole comportant un traitement hormonal déjà entrepris, une prise en charge psychothérapique et un traitement chirurgical à intervenir ultérieurement, souhaiter dans l'intervalle mettre son prénom en concordance avec son aspect féminin et a demandé à pouvoir être appelé " M. Y... X...".
Thierry X...fait valoir qu'il est une femme au sens psychologique social apparent et que lui refuser de porter un prénom conforme à cette réalité serait attentatoire à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et demande qu'il soit substitué le prénom d'Y... à celui de Thierry.
Relativement aux textes supranationaux, en particulier l'article 8 de la Convention, il convient d'observer que la Cour Européenne des Droits de l'Homme n'a pas eu à se prononcer sur le changement de prénom lié à une demande de changement de sexe ; que d'une façon générale elle a déclaré que des considérations reconnues d'intérêt public, telles que la nécessité d'un enregistrement exact de la population et la sauvegarde des moyens d'identification personnelle, peuvent justifier de la part des Etats des restrictions pesant sur le choix et le changement d'un nom et d'un prénom. Dans un arrêt Guillot/ France, elle a même considéré que les désagréments éventuels inhérents à l'usage d'un prénom différent dans les actes officiels et dans la vie sociale n'étaient pas suffisants pour poser une question de manquement au respect de la vie privée et familiale sous l'angle de l'article 8 de la Convention.
En droit français, les textes ne subordonnent pas la satisfaction de la demande de changement de prénom à une opération de réassignation sexuelle.
La seule exigence de l'article 60 du code civil est celle d'un intérêt légitime (et non majeur), lequel s'apprécie à la date de la demande, in concreto et non par des motifs d'ordre général. La Cour de Cassation qui paraît ne pas avoir déjà été saisie de la question de la modification du prénom dans le cadre du syndrome de dysphorie de genre, n'exerce qu'un contrôle minimal de cet intérêt légitime.
Des décisions divergentes ont donc été rendues ; ainsi, dans le même sens que la jurisprudence citée par l'appelant, la Cour d'Appel de Lyon le 14 février 2011 a autorisé un changement de prénom (pièce 1 arrêt du 14 février 2011), mais, en sens inverse, la cour de céans a, par arrêt du 20 mars 2012, rejeté une demande de substitution d'un prénom féminin à un prénom masculin (pièce 2 extrait d'arrêt anonymisé Jean-Pierre M. c/ Ministère Public).
S'agissant de Thierry X..., il justifie présenter un transsexualisme vrai (certificat du GRETIS de l'hôpital Henry Gabrielle dépendant des hôpitaux de Lyon), être inscrit dans un protocole de soins validé par la caisse primaire d'assurance maladie, suivre une substitution hormonale depuis avril 2011 et, selon acte de notoriété dressé par maître A..., notaire associé à Limoges, alors qu'il a entamé depuis août 2010 des démarches en vue d'un changement d'aspect physique, rencontrer des difficultés pratiques dans sa vie quotidienne eu égard à la différence entre son aspect physique et ses documents administratifs.
Il sera relevé, au vu des pièces produites, que tant les démarches en vue d'une féminisation que l'engagement effectif du processus de soins sont récents, remontant à avril 2011, au mieux à l'été 2010, simultanément d'ailleurs à l'engagement de Thierry X...dans les liens d'un mariage contracté le 10 juillet 2010 (pièce 3 acte de naissance) et qu'est pareillement très récent l'usage du prénom Y... revendiqué sous lequel, selon l'acte de notoriété, il serait maintenant connu.
Si elle a été modifiée en appel au profit de " Y... ", la demande initiale de changement de prénom était en outre au moins ambigüe puisque portant sur " M. Y... ".
Enfin et surtout, les documents produits par l'appelant, loin de justifier de difficultés dans la vie sociale et professionnelle qui pourraient être constitutives d'un intérêt légitime, établissent au contraire que tant les particuliers que les autorités publiques, nonobstant la loi du 6 fructidor an II, reconnaissent Thierry X...comme Y... X...puisqu'il a pu, sous ce nom et sous la civilité de mademoiselle, conclure un contrat de travail à durée indéterminée le 24 mars 2011, était antérieurement connu de Pôle emploi sous ce nom et cette civilité, est titulaire dans les mêmes conditions d'une attestation de droits de l'assurance maladie et a pu obtenir le 1er décembre 2010 une carte nationale d'identité au nom de " Thierry X..., pseudonyme Y... X...".
C'est donc à raison que les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas justifié d'un intérêt légitime.
Il y a donc lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement déféré.
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, après débats en chambre du conseil et en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Déclare l'appel régulier et recevable,
Au fond, confirme le jugement sur requête rendu le 20 janvier 2012 par le tribunal de grande instance de LIMOGES,
Condamne Monsieur Thierry dit Y... X...aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Nathalie ROCHE. Serge BAZOT.