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28/01/2014 | FRANCE | N°12/05641

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 2, 28 janvier 2014, 12/05641


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 2



ARRÊT DU 28/01/2014



***



N° de MINUTE :

N° RG : 12/05641



Jugement (N° 04/09293)

rendu le 30 Mars 2012

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE



REF : FB/AMD





APPELANTE



SA ALLIANZ IARD venant aux droits de la SA GAN EUROCOURTAGE

ayant son siège social [Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par ses dirigeants

légaux



Représentée par Maître François DELEFORGE de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Evelyne NABA, avocat au barreau de PARIS, substituée à l'audience par Maître CAZAUX ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 2

ARRÊT DU 28/01/2014

***

N° de MINUTE :

N° RG : 12/05641

Jugement (N° 04/09293)

rendu le 30 Mars 2012

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE

REF : FB/AMD

APPELANTE

SA ALLIANZ IARD venant aux droits de la SA GAN EUROCOURTAGE

ayant son siège social [Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par ses dirigeants légaux

Représentée par Maître François DELEFORGE de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Evelyne NABA, avocat au barreau de PARIS, substituée à l'audience par Maître CAZAUX du cabinet NABA, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉS

SARL [I] ARCHITECTURE

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 3]

représentée par ses dirigeants légaux

Monsieur [N] [I] ès qualités de liquidateur amiable de la Société [I] ARCHITECTURE,

- intervenant volontaire -

demeurant [Adresse 4]

[Localité 3]

LA MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS

ayant son siège social [Adresse 8]

[Localité 8]

représentée par ses dirigeants légaux

Représentés par Maître Véronique DUCLOY, avocat au barreau de LILLE, substituée à l'audience par Maître DEGAIE, avocat au barreau de LILLE

LA CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DU NORD EST (CRAMA DU NORD EST)

ayant son siège social [Adresse 2]

B P 1028

[Localité 2]

représentée par ses dirigeants légaux

Société MARCHE DE PHALEMPIN

ayant son siège social [Adresse 10]

[Localité 4]

représentée par son représentant légal

Représentées par Maître Isabelle CARLIER, avocat au barreau de DOUAI

Assistées de Maître Christian DELEVACQUE, avocat au barreau d'ARRAS

SA DEKRA INDUSTRIAL aux droits de la société NORISKO

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 9]

représentée par ses dirigeants légaux

Représentée par Maître Alain BILLEMONT, avocat au barreau de LILLE, substitué par Maître RICAUD, avocat

SASU THERMAL CERAMICS FRANCE

ayant son siège social [Adresse 9]

[Localité 1]

représentée par ses dirigeants légaux

Représentée par Maître Eric LAFORCE de la SELARL ERIC LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Maître François CHARPIN, avocat au barreau de LYON

SAS COEXIA ENVELOPPE

ayant son siège social [Adresse 5]

[Localité 5]

représentée par ses dirigeants légaux

Représentée par Maître Roger CONGOS, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Vincent DEBLIQUIS, avocat au barreau d'ARRAS

SOCIÉTÉ LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD S DE LONDRES représentés par son mandataire général en FRANCE la SAS LLOYD'S FRANCE

ayant son siège social [Adresse 6]

[Localité 7]

Représentée par Maître Dominique LEVASSEUR de la SCP LEVASSEUR LEVASSEUR, avocats au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Jean-Louis POISSONNIER, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Gisèle GOSSELIN, Président de chambre

Fabienne BONNEMAISON, Conseiller

Dominique DUPERRIER, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK

DÉBATS à l'audience publique du 04 Novembre 2013 après rapport oral de l'affaire par Fabienne BONNEMAISON

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2014 après prorogation du délibéré en date du 17 Décembre 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Fabienne BONNEMAISON, Conseiller en remplacement de Gisèle GOSSELIN, Président empêchée et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 29 octobre 2013

***

Par jugement du 30 Mars 2012 assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de Grande Instance de LILLE, rejetant la fin de non recevoir soulevée et donnant acte à la CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DU NORD EST (CRAMA) de son intervention volontaire, a :

- condamné in solidum les société [I] ARCHITECTURE, COEXIA ENVELOPPE et l'association des SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S de LONDRES à verser à la CRAMA une somme de 60 000€ et à la société MARCHE DE PHALEMPIN une somme de 25 337.47€ outre une indemnité de procédure de 7000€,

- condamné in solidum les sociétés THERMAL CERAMICS DE FRANCE et GAN à verser à la société MARCHE DE PHALEMPIN une somme de 441 200€ indexée,

- condamné les souscripteurs du LLOYD'S de LONDRES et la société GAN à garantir respectivement la société COEXIA ENVELOPPE et la société THERMAL CERAMICS de FRANCE des condamnations mises à leur charge,

- condamné les sociétés MARCHE DE PHALEMPIN et CRAMA à verser aux sociétés NORTEC et SMABTP une indemnité de procédure de 2000€ et à la société DEKRA INDUSTRIAL une indemnité de procédure de 2000€,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné les sociétés [I] ARCHITECTURE, COEXIA ENVELOPPE, THERMAL CERAMICS et GAN aux dépens.

La société GAN EUROCOURTAGE a relevé appel de ce jugement :

- le 31 Juillet 2012 à l'encontre des sociétés MARCHE DE PHALEMPIN, THERMAL CERAMICS FRANCE, COEXIA ENVELOPPE, SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S de LONDRES , [I] ARCHITECTURE et MAF

- le 10 Août 2012 contre la société DEKRA INDUSTRIAL

Jonction de ces deux instances était ordonnée le 14 Août 2012.

La société LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S de LONDRES représentée par la société LLOYD FRANCE a assigné en appel provoqué la CRAMA le 2 Janvier 2013.

Les conclusions de la compagnie ALLIANZ IARD venant aux droits de GAN EUROCOURTAGE sont du 27 Septembre 2013

Les conclusions de la SCA MARCHE DE PHALEMPIN et de la CRAMA sont du 11 Octobre 2013.

Les conclusions des sociétés [I] ARCHITECTURE (ci-après désignée [I]), MAF et de Mr [I] intervenant ès qualités de liquidateur amiable de la société [I] ARCHITECTURE sont du 4 Septembre 2013.

Les conclusions de la société LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S de LONDRES (ci-après désignés le LLOYD'S) sont du 18 Juillet 2013.

Les conclusions de la société DEKRA INDUSTRIAL (ci-après désignée DEKRA ) sont du 14 Mars 2013.

Les conclusions de la société COEXIA ENVELOPPE (ci-après désignée COEXIA) sont du 28 Décembre 2012.

Une ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 Avril 2013 a déclaré irrecevable comme étant tardif l'appel de la société GAN EUROCOURTAGE ( ALLIANZ IARD) à l'encontre les sociétés [I] ARCHITECTURE et MAF mais a jugé recevables les appels incidents des sociétés MARCHE DE PHALEMPIN, COEXIA ENVELOPPE et THERMAL CERAMICS ainsi que l'appel provoqué du LLOYD'S à l'encontre de la CRAMA .

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 Octobre 2013.

SUR CE

Il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties au jugement entrepris duquel il résulte essentiellement que :

* l''Union de Coopératives URAME aux droits de laquelle se trouve la société coopérative agricole MARCHE DE PHALEMPIN (ci-après désignée le maître de l'ouvrage), assurée auprès de la CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DU NORD EST ( l'assureur dommages-ouvrage), a fait édifier sous la maîtrise d'oeuvre de la société [I] ARCHITECTURE (l'architecte) assurée auprès de la MAF un bâtiment à usage industriel et de bureaux sis à PHALEMPIN réceptionné sans réserves en lien avec le présent litige le 17 Octobre 1994.

* Sont intervenus dans cette opération de construction :

- le groupement formé par les sociétés APPLICAMAT devenue COEXIA ENVELOPPE(ci-après le couvreur), assurée auprès du LLOYD'S, et STEREC, assurée auprès de SMABTP, pour les travaux de couverture, étanchéité, bardage,

- la société NORTEC, assurée auprès de SMABTP, ès qualités de sous-traitant de l'architecte et du groupement sus visé pour l'établissement du CCTP (pour l'architecte) les études, documents d'exécution, synthèses et plans de réservation, coordination et assistance technique (pour le groupement),

- la société NORISKO (sous l'enseigne AIF SERVICES) devenue DEKRA INDUSTRIAL en tant que bureau de contrôle(ci-après le contrôleur technique).

La société THERMAL CERAMICS (ci-après désignée le 'fournisseur'), assurée auprès de GAN EUROCOURTAGE (ALLIANZ) a fourni les panneaux d'isolation de la couverture de la partie entrepôt de l'édifice.

Saisi par assignation du 29 Septembre 2004, au visa des articles 1792 et suivants, 1641 et suivants, 1134 et 1382 du code civil, par le maître de l'ouvrage d'une action en responsabilité à l'encontre des intervenants dans cette opération de construction, de leurs assureurs, du fournisseur de panneaux et de son assureur, le Tribunal de Grande Instance de LILLE a, ensuite d'une expertise judiciaire confiée le 23 Juin 2006 à Mr [C] et d'un rapport déposé le 12 Octobre 2009, rendu le jugement dont appel qui a notamment consacré la responsabilité décennale de l'architecte et du couvreur pour les désordres affectant la toiture au dessus des bureaux (le bâtiment administratif) , la responsabilité quasi-délictuelle de THERMAL CERAMICS (le fournisseur) pour les désordres dans la zone entrepôt , admis la garantie du LLOYD'S (pour APPLICAMAT/ COEXIA ENVELOPPE ) et du GAN/ALLIANZ (pour THERMAL CERAMICS) et condamné les intéressés à diverses indemnités.

Ne sont pas critiqués en cause d'appel :

- le rejet par le Tribunal de la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société MARCHE DE PHALEMPIN.

- la mise hors de cause des sociétés NORTEC et SMABTP.

Sont, par contre, contestées les responsabilités encourues.

Sur la recevabilité des appels incidents

La société [I] ARCHITECTURE et la MAF plaident l'irrecevabilité à son encontre des appels incidents des sociétés MARCHE DE PHALEMPIN, CRAMA, du LLOYD'S et de THERMAL CERAMICS à raison de leur tardiveté.

Il est rappelé que ces appels incidents et provoqué ont été déclarés recevables par ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 Avril 2013.

En tant que de besoin, la Cour fait siens les motifs de cette ordonnance.

Le moyen sera rejeté.

La nature des désordres :

Le Tribunal a distingué les désordres affectant le bâtiment administratif dont il a estimé qu'ils revêtaient dès 2003 le caractère de désordres de nature décennale ('les infiltrations existaient dans leurs formes et conséquences...')de ceux touchant l'entrepôt qui, lors de l'expertise judiciaire, ne rendaient pas encore l'immeuble impropre à sa destination.

Ce jugement est critiqué par le maître de l'ouvrage et son assureur qui estiment que, dès 2003, l'entrepôt souffrait des mêmes désordres que le bâtiment administratif, incompatibles avec une utilisation normale du bâtiment.

Il est aussi contesté par les constructeurs qui soutiennent qu'en l'état de rapports amiables et judiciaires excluant toute infiltration dans l'immeuble avant 2006 voire 2007 les désordres constatés n'ont pas atteint le caractère de gravité requis par l'article 1792 du code civil avant l'expiration du délai de garantie décennale.

La Cour rappelle qu'il est question ici de désordres affectant une construction réceptionnée en Octobre 1994, dénoncés par une assignation de Septembre 2004, soit quelques semaines avant l'expiration du délai de garantie décennale, et examinés pour la première fois par l'expert judiciaire en Septembre 2006.

L'édifice est composé :

- d'un bâtiment principal ( l'entrepôt) recouvert d'une toiture-terrasse dont une partie a été réalisée par COEXIA, composée d'une isolation par panneaux en mousse Resol Ultra Gard de 90 mm d'épaisseur, fournis par THERMAL CERAMICS, et d'une étanchéité bicouche,

- d'un bâtiment administratif, à usage de bureaux, recouvert d'une dalle en béton, d'un isolant en polyuréthane de 70 mm d'épaisseur fourni par une société NESTAAN (qui n'existe plus) et d'une étanchéité similaire.

Deux experts amiables ont examiné le site avant l'expert judiciaire :

* Mr [F] en Février 2002 constatait des infiltrations dans l'entrepôt : au droit du joint de dilatation (traces d'écoulement d'eau pluviale sur les murs en parpaings) et au droit d'une chute d'eau pluviale dont il n'est pas prétendu ni établi qu'ils ont un lien avec les désordres en cause dans cette instance et qui n'apparaissent plus lors de l'expertise judiciaire.

Ses investigations révélaient surtout une déformation générale de la surface du revêtement en toiture de l'entrepôt se traduisant par des ondulations, des irrégularités de surface en zone nord avec des saillies de plusieurs cm de hauteur correspondant aux empreintes des panneaux isolants et un défaut du recouvrement de la couvertine expliquant les dégradations et les infiltrations dans le hall (ce dernier dommage n'a plus été invoqué par la suite).

Mr [F] constatait le même phénomène en toiture du bâtiment administratif mais avec une amplitude accrue se traduisant par de véritables 'vagues' susceptibles, selon lui, de provoquer la rupture du revêtement par vents forts et de produire des inondations des pièces sous-jacentes.

* le cabinet ARECAS, dans le cadre d'une expertise contradictoire diligentée d'Avril à Décembre 2003, confirmait le phénomène d'ondulation généralisée affectant les toitures de la zone entrepôt et de du bâtiment administratif, observait la décomposition des panneaux isolants, dépourvus selon lui de tout pouvoir d'isolation thermique, les arrachements de l'étanchéité sur la toiture de la partie administrative et les rétentions d'eau apparues sous les panneaux isolants.

En Avril, il évoquait un désordre de nature 'intermédiaire' en l'absence d'infiltrations et d'absence d'atteinte au clos et au couvert.

En Juillet, il estimait que ces désordres étaient de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination du fait de la perte d'isolation thermique et de l'absence de toute résistance mécanique des panneaux isolants aux éléments climatiques et aux effets du vent.

En Décembre 2003, il observait cependant qu'aucune infiltration n'était observée à l'intérieur des bâtiments ni dénoncée par le propriétaire.

Mr [C], dans son rapport établi le 12 Octobre 2009, est venu confirmer les dommages constatés par ses prédécesseurs mais concluait seulement à une réduction des performances de l'isolation lorsqu'ARECAS dénonçait la perte totale d'isolation, soulignant leur aggravation progressive ayant imposé, au cours de l'expertise, des mesures conservatoires dans le bâtiment des bureaux.

Il excluait, au jour de son rapport, toute impropriété de l'entrepôt à sa destination dans la mesure où la déformation des panneaux de sa couverture restait 'minimale' et l'étanchéité préservée quoique 'fatiguée' anormalement.

Il estimait, par contre, le bâtiment administratif devenu impropre à sa destination au regard de l'importance des désordres affectant l'étanchéité et des infiltrations à l'intérieur des locaux.

La Cour : rappelle qu'il ne suffit pas, en l'espèce, que les désordres rendent l'isolation thermique et le complexe d'étanchéité de la toiture impropres à leur destination. Encore faut-il, pour que soit engagée la responsabilité décennale des constructeurs, que la destination de l'immeuble soit elle-même compromise.

En l'espèce :

- il est acquis qu'à la veille de l'expiration du délai de garantie décennale (le 17 Octobre 2004), l'isolation thermique et la solidité de l'étanchéité de la couverture des deux bâtiments étaient fortement altérées du fait des déformations des panneaux isolants,

- ces désordres étaient évolutifs et rendaient inéluctable, à terme, une impropriété des deux bâtiments à leur destination, à raison des infiltrations prévisibles,

- néanmoins, au 23 Décembre 2003, date du rapport complémentaire du cabinet ARECAS, le maître de l'ouvrage affirmait n'avoir constaté aucune infiltration dans l'édifice,

- dans son assignation du 29 Septembre 2004, la société MARCHE DE PHALEMPIN ne dénonçait toujours pas (ni ne justifiait) de dommages à l'intérieur des bâtiments ni n'invoquait une altération des conditions d'utilisation des bâtiments : elle se référait seulement aux conclusions du Cabinet ARECAS selon lequel les désordres étaient de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination au regard de la perte de toute isolation thermique et de toute résistance mécanique des panneaux isolants aux effets climatiques. Or, d'une part cet expert amiable ne constatait aucune incidence des désordres sur l'utilisation des bâtiments et Mr [C] est venu nuancer ces conclusions en concluant seulement à une réduction des performances thermiques des panneaux, l'impropriété du bâtiment administratif admise au terme de son rapport faisant suite aux infiltrations apparues en 2007 au cours de l'expertise.

La Cour en déduit que la couverture de deux bâtiments souffre de désordres qui ne revêtaient pas, au jour de l'expiration du délai de garantie décennale, le caractère de gravité requis à l'article 1792 du code civil.

Le jugement sera donc réformé en ce qu'il a estimé que les désordres affectant la toiture du bâtiment administratif étaient de nature décennale.

Sur les responsabilités :

La responsabilité décennale :

Pour les motifs ci-dessus exposés, l'action initiée sur ce fondement par le maître de l'ouvrage ne peut prospérer.

Le jugement sera, par suite, réformé en ce qu'il consacre la responsabilité décennale de l'architecte et du couvreur pour les désordres affectant le bâtiment administratif.

Cette absence de responsabilité décennale implique la mise hors de cause des assureurs en responsabilité décennale de l'architecte (MAF) et du couvreur COEXIA (le LLOYD'S).

La responsabilité contractuelle :

La Cour rappelle que le principe du non cumul des responsabilités ne fait pas obstacle à l'invocation subsidiaire par le maître de l'ouvrage, dans l'hypothèse où les dommages ne relèveraient pas d'une garantie légale, de la responsabilité contractuelle de droit commun des 'constructeurs' et du fabricant de matériaux mis en cause.

S'agissant des intervenants à l'opération de construction :

La société MARCHE DE PHALEMPIN et son assureur plaident subsidiairement la responsabilité contractuelle de ces intervenants au titre des dommages intermédiaires, à raison des fautes mises en évidence par l'expertise judiciaire qui a révélé que les panneaux isolants n'avaient pas été posés correctement, ce dont ils déduisent la faute d'une part du couvreur COEXIA, d'autre part de l'architecte et du contrôleur technique qui, dans le cadre de leur mission, n'ont formulé aucune réserve sur la pose des panneaux.

La Cour rappelle que l'expert judiciaire distingue les désordres affectant l'entrepôt de ceux du bâtiment administratif.

* S'agissant de l'entrepôt :

L'expertise judiciaire a mis en évidence un défaut de fixation des panneaux isolants à l'origine des déformations observées.

Il s'est avéré que les études et pièces du marché concernant l'isolation avaient été menées et la commande en Décembre 1993 de panneaux isolants auprès de THERMAL CERAMICS effectuée sur la base d'un avis technique en vigueur jusqu'au 25 Janvier 1994, date à laquelle un nouvel avis technique était intervenu prescrivant une nouvelle méthode de pose des panneaux isolants dont la fabrication avait été modifiée.

Mr [C] relève qu'ont été livrés courant Janvier et Février 1994 à COEXIA des panneaux 'nouvelle génération' sans que le fabricant ne soit en mesure d'établir avoir informé le couvreur de ce changement de fabrication, des règles de pose en découlant comme du nouvel avis technique applicable.

Il relève que le couvreur a scrupuleusement respecté les conditions de mise en oeuvre qui lui avaient été fournies par le fabricant et l' avis technique antérieur.

La Cour en déduit l'absence de toute faute imputable tant au couvreur qu'à l'architecte et au contrôleur technique qui n'avaient pas été avisés de ces changements.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

* S'agissant du bâtiment administratif :

Mr [C] conclut que les dommages sont dûs à une déformation structurelle des mousses de polyuréthane composant les panneaux d'isolation fournis par la société STENAAN, aujourd'hui disparue.

Il explique qu'il s'agit là d'un sinistre 'redondant', parfaitement connu de la profession, qui s'explique par la modification des conditions de fabrication des panneaux d'isolation notamment du fait de la suppression de l'amiante en tant que stabilisateur.

La Cour estime, par suite, caractérisées les fautes du couvreur comme de l'architecte, l'un pour avoir acquis et mis en oeuvre un matériau dont la fragilité était notoire, l'autre pour avoir accepté ce choix de matériau.

En ce qui concerne le contrôleur technique, la Cour rappelle que la société NORISKO (devenue DEKRA) était notamment investie d'une mission L: 'solidité des ouvrages et des éléments indissociables', sa contribution portant sur la prévention des aléas techniques découlant d'un défaut de solidité des ouvrages, notamment les défaut de stabilité ou de résistance mécanique des ouvrages sous l'effet de charges permanentes ou variables (d'utilisation ou climatiques) ainsi que le défaut d'étanchéité des ouvrages.

Dans ce cadre, elle était tenue d'examiner, au stade de la conception du projet, les dispositions techniques des devis descriptifs, plans et autres documents se rapportant aux ouvrages soumis à son contrôle et, au stade de l'exécution, de prendre connaissance des documents établis par les constructeurs et les tiers, des certificats de qualification et des documents associés.

La Cour estime, dès lors, que le contrôleur technique a failli à sa mission en n'alertant pas le maître de l'ouvrage sur ce choix de panneaux isolants dont la fragilité et les risques de déformation étaient notoires et pouvaient compromettre la solidité de l'isolation .

S'agissant du fabricant THERMAL CERAMICS

Le Tribunal a consacré la responsabilité, sur le fondement de l'article 1382 du code civil de THERMAL CERAMICS pour n'avoir pas alerté le couvreur des modalités de fixation de ses panneaux 'nouvelle génération'.

En appel, la société MARCHE DE PHALEMPIN et son assureur CRAMA se prévalent désormais de la responsabilité de THERMAL CERAMICS sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, sinon sur celui de l'article 1134 du code civil à raison de ses manquements à son obligation de délivrance et son devoir de conseil, subsidiairement sur celui des articles 1641 et suivants et, encore plus subsidiairement sur celui de l'article 1382 du code civil.

THERMAL CERAMICS et le LLOYD'S objectent à raison que l'action exercée par le maître de l'ouvrage est nécessairement contractuelle et qu'elle ne peut prospérer en tant qu'elle est fondée sur les articles 1792-4 et 1641 du code civil dont les conditions d'application ne sont pas réunies en l'espèce dès lors que les panneaux litigieux, indifférenciés et produits en grande quantité et non fabriqués spécifiquement pour ce chantier, n'ont pas la qualité d'EPERS, que les désordres sont la conséquence d'un défaut de pose et non d'un vice caché des matériaux, l'action n'ayant de surcroît pas été exercée dans le bref délai de l'article 1648 du code civil puisque les désordres étaient connus du maître de l'ouvrage depuis le rapport de Mr [F] en Février 2002 et son action en responsabilité engagée en Septembre 2004.

ALLIANZ IARD ajoute, légitimement, que le fabricant est en droit d'opposer à la société MARCHE DE PHALEMPIN exerçant, sur le fondement des articles 1134 et suivants du code civil, une action en responsabilité à l'encontre du fabricant auquel est reproché un manquement à son devoir d'information et de conseil envers l'acheteur, toutes les exceptions procédant du caractère contractuel de l'action, particulièrement la prescription de l'article L 110.4 du Code de Commerce qui soumet les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants à une prescription décennale qui, en l'espèce, a couru à compter de la livraison des matériaux par THERMAL CERAMICS, intervenue selon l'expert judiciaire en Janvier et Février 1994, soit plus de dix ans avant l'assignation délivrée le 29 Septembre 2004 au fournisseur.

L'action exercée par la société MARCHE DE PHALEMPIN à l'encontre de THERMAL CERAMICS et de son assureur doit être en conséquence déclarée prescrite, le jugement étant réformé de ce chef.

Sur les réparations :

Mr [C] chiffre à 57 832€ HT soit 69 167.07€ TTC le coût des travaux de réfection de la toiture du bâtiment administratif.

S'y ajoutent, selon l'expert judiciaire, des frais indispensables de maîtrise d'oeuvre et de bureau de contrôle qui seront fixés à 5800€ et 1500€.

Le maître de l'ouvrage est également fondé à obtenir l'indemnisation du coût des mesures conservatoires prises en cours d'expertise pour stopper les infiltrations dans le bâtiment qui se sont élevées à 25 337.47€ TTC

L'architecte, le couvreur et le contrôleur technique seront donc condamnés in solidum au versement de ces sommes, étant observé :

- qu'une somme de 60 000€ doit être versée à la CRAMA subrogée dans les droits de la société MARCHE DE PHALEMPIN qu'elle a indemnisée de ce chef,

- qu'aucune garantie n'est due par la MAF (pour l'architecte) et par le LLOYD'S (pour COEXIA) puisqu'il n'est pas contesté qu'ils garantissent exclusivement la responsabilité décennale de leurs assurés.

Sur les appels en garantie

La société [I] sollicite, dans l'hypothèse d'une condamnation du contrôleur technique et du fabricant au titre des désordres affectant le bâtiment administratif, leur contribution au règlement des indemnités versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement, 'à proportion des responsabilités encourues'.

Cette demande autorise la Cour à se prononcer sur la répartition des responsabilités sur laquelle le couvreur COEXIA et le contrôleur technique DEKRA ne se prononcent pas, ne formulant d'ailleurs aucune demande de garantie à ce titre, si ce n'est à l'encontre de THERMAL CERAMICS pour COEXIA, cette demande ne pouvant toutefois prospérer puisque les matériaux fournis par ce dernier ne concernent pas le bâtiment administratif.

La Cour estime devoir répartir par parts égales la responsabilité encourue par l'architecte, le couvreur et le contrôleur technique pour ne s'être à aucun moment alarmé de l'utilisation en toiture de panneaux en mousse de polyuréthane dont les fragilités et défaillances techniques étaient, selon l'expert judiciaire, connues des professionnels.

L'appel en garantie de la société [I] sera donc accueillie contre ses co-responsables dans la limite de leur responsabilité ainsi fixée par la Cour.

Sur les demandes accessoires :

* Dans la mesure où l'action de la société MARCHE DE PHALEMPIN est déclarée irrecevable à l'encontre de la société THERMAL CERAMICS et la société ALLIANZ IARD mise hors de cause, le jugement doit être réformé en ce qu'il condamne ces dernières in solidum avec l'architecte et le couvreur à leur verser une indemnité de procédure.

* Les mêmes motifs commandent de réformer le jugement en ce qu'il condamne THERMAL CERAMICS et ALLIANZ IARD in solidum aux dépens avec l'architecte et le couvreur.

* L'équité commande de faire application en appel de l'article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés MARCHE DE PHALEMPIN et CRAMA exclusivement, suivant modalités prévues au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Réforme le jugement entrepris excepté en ce qu'il :

- rejette la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société MARCHE DE PHALEMPIN

- alloue une indemnité de procédure aux sociétés NORTEC et SMABTP

Statuant des chefs réformés et y ajoutant :

Dit que les dommages affectant les bâtiments de la société MARCHE DE PHALEMPIN au jour de son assignation ne les rendaient impropres à leur destination et n'ont pas atteint ce caractère de gravité dans le délai de la garantie décennale.

Déboute par suite la société MARCHE DE PHALEMPIN de son action en responsabilité décennale à l'encontre des intervenants à l'opération de construction et prononce la mise hors de cause des sociétés MAF et LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S, assureurs en responsabilité décennale respectivement de l'architecte et du couvreur .

Dit que les désordres en cause constituent des dommages intermédiaires susceptibles d'engager la responsabilité contractuelle des constructeurs.

Consacre la responsabilité de l'architecte, du couvreur et du contrôleur technique dans les désordres affectant le bâtiment administratif.

Condamne par suite in solidum la société [I] ARCHITECTURE prise en la personne de son liquidateur amiable Mr [N] [I] , la société COEXIA ENVELOPPE et la société DEKRA INDUSTIAL à verser :

- à la CRAMA subrogée dans les droits de la société MARCHE DE PHALEMPIN une somme de 60 000€

- à la société MARCHE DE PHALEMPIN les sommes de 9167.07€, 5800€ et 1500€ indexées sur la variation de l'indice BT 01 du coût de la construction à compter du 12 Octobre 2009 au titre des travaux de réparation jusqu'au présent arrêt

- la somme de 25 337.47€ avec intérêts au taux légal à compter du jugement au titre des mesures conservatoires

- une indemnité de procédure de 9 000€.

Opère un partage de responsabilité par tiers entre l'architecte, le couvreur et le contrôleur technique au titre de ces désordres.

Condamne, par suite, les sociétés COEXIA ENVELOPPE et DEKRA INDUSTRIAL à garantir, dans la limite de leur responsabilité, la société [I] ARCHITECTURE des condamnations mises à sa charge.

Dit que les panneaux d'isolation fournis par la société THERMAL CERAMICS ne relèvent pas des dispositions de l'article 1792-4 du code civil .

Déboute, par suite, les sociétés MARCHE DE PHALEMPIN et CRAMA de leur action exercée sur ce fondement à l'encontre de la société THERMAL CERAMICS et son assureur ALLIANZ IARD

Déclare prescrite l'action exercée par la société MARCHE DE PHALEMPIN et la CRAMA à l'encontre de la société THERMAL CERAMICS et d'ALLIANZ IARD tant au visa des dispositions des articles 1641 et 1648 du code civil que sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes

Condamne in solidum les société [I] ARCHITECTURE, COEXIA ENVELOPPE et DEKRA INDUSTRIAL aux dépens en ce compris les frais d'expertise avec faculté de recouvrement au profit des avocats constitués conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier,P./Le Président,

Claudine POPEK.Fabienne BONNEMAISON.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 2
Numéro d'arrêt : 12/05641
Date de la décision : 28/01/2014

Références :

Cour d'appel de Douai 1B, arrêt n°12/05641 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-28;12.05641 ?
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