République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 18/12/2013
***
N° de MINUTE :
N° RG : 12/07538
Jugement (N° 11/03147)
rendu le 12 Novembre 2012
par le Tribunal d'Instance de LILLE
REF : MZ/VC
APPELANTE
AG2R PRÉVOYANCE, Institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe JANNEAU, avocat au barreau de DOUAI
Assistée de Me Camille DEFOORT, membre de la SELAS Jacques BARTHELEMY ET ASSOCIES, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ
Monsieur [I] [L]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 4] ([Localité 2])
Demeurant
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Isabelle CARLIER, avocat au barreau de DOUAI
Assisté de Me Frédéric UROZ, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Martine ZENATI, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Dominique DUPERRIER, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
DÉBATS à l'audience publique du 21 Octobre 2013, après rapport oral de l'affaire par Martine ZENATI.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 Décembre 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Martine ZENATI, Président, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 2 octobre 2013
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Vu le jugement rendu le 12 novembre 2012 par le tribunal d'instance de Lille qui a :
- ordonné à M. [I] [L] de régulariser son adhésion au régime complémentaire santé de l'institution AG2R Prévoyance dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision,
- dit qu'au delà de ce délai, et à défaut d'exécution, cette obligation sera assortie d'une astreinte provisoire de 30 euros par jour de retard à courir sur une période de soixante jours,
- dit que le tribunal d'instance sera compétent pour liquider cette astreinte,
- débouté l'institution AG2R Prévoyance de sa demande tendant à voir condamner M. [I] [L] à lui payer 6.273,60 €,
- débouté l'institution AG2R Prévoyance de sa demande de dommages et intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné M. [I] [L] au dépens,
Vu l'appel régulièrement interjeté par l'institution de prévoyance AG2R Prévoyance le 17 décembre 2012,
Vu l'appel régulièrement interjeté par M. [I] [L] le 30 janvier 2013,
Vu la jonction des instances ordonnée par le conseiller de la mise en état le 25 septembre 2013,
Vu les conclusions récapitulatives remises et signifiées le 25 septembre 2013 par l'institution de prévoyance AG2R Prévoyance, qui, se fondant sur les articles 13 et 14 de l'avenant à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales de la boulangerie-pâtisserie n° 83 du 24 avril2006, révisé par son avenant n°1 du 6 septembre 2006, pris en application des articles L. 911-1 et L. 912-1 du code de la sécurité sociale, et dont la validité aurait été reconnue par la jurisprudence administrative et judiciaire mais aussi de la CJUE, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné sous astreinte à M. [I] [L] de régulariser son adhésion, et s'est réservé le droit de liquider l'astreinte,
- l'infirmer pour le surplus, et dire et juger que son adhésion est obligatoire depuis le 1er janvier 2007,
- condamner en conséquence M. [I] [L], sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à verser la totalité des cotisations dues depuis cette date, à savoir la somme de 6.273,60 €, sauf à parfaire,
- le condamner au paiement de la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, outre celle de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les conclusions récapitulatives remises et signifiées le 27 septembre 2013 par M. [I] [L], qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté l'organisme AG2R de ses demandes de paiement de l'arriéré de cotisations et, de manière générale, au titre du paiement de quelconques cotisations,
- l'infirmer pour le surplus et dire :
/ au niveau du droit interne, que l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale n'avait pas vocation à s'appliquer et à emporter migration dès lors qu'en 2007 le niveau de garantie offert par AG2R était inférieur à celui souscrit auprès des autres organismes, et que sont illégales et non conformes à la constitution la clause de migration et la clause de désignation visées dans l'avenant n° 83 à la convention collective des entreprises artisanales de boulangerie et boulangerie- pâtisserie,
/ au niveau du droit communautaire, que les dispositions dudit avenant sont soumises au Traité de fonctionnement de l'Union européenne, et que la clause de désignation est contraire aux articles 9, 102 et 106 combinés du traité en ce qu'aucune concurrence n'a été faite dans le choix de l'organisme gestionnaire du régime en cause, qui exploite abusivement sa position dominante sur le marché national des frais de santé des salariés de la boulangerie-pâtisserie et que le contrôle de l'état dans la gestion de ce régime est inexistant,
- subsidiairement ordonner un renvoi préjudiciel à la CJUE concernant la validité de la clause de désignation,
- en conséquence rejeter les demandes d'adhésion et de paiement formées par AG2R à son encontre,
- en tout état de cause, condamner l'organisme AG2R à lui verser les sommes de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance outre celle de 5.000 euros au titre de ceux exposés en appel, ainsi qu'aux entiers dépens des deux instances,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 2 octobre 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu le 24 avril 2006 un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d'application de ce secteur ;
Attendu que l'institution AG2R Prévoyance a été désignée aux termes de l'article 13 de l'avenant pour gérer ce régime ; que l'article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de l'avenant n° 83 de souscrire les garanties qu'il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l'accord a été étendu au plan national par arrêté ministériel du 16 octobre 2006 à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ;
Attendu que M. [I] [L], faisant valoir qu'il avait contracté en 2006 auprès du cabinet Abela une complémentaire santé offrant des garanties supérieures à celles proposées par AG2R Prévoyance, a refusé de s'affilier au régime géré par cette dernière, qui, soutenant que l'adhésion était obligatoire, l'a assigné en régularisation forcée de son adhésion à compter du 1er janvier 2007 et en paiement des cotisations arriérées échues au 31 décembre 2011 ; que les parties s'opposent sur la licéité au regard du droit interne et du droit communautaire des articles 13 et 14 de l'avenant n° 83 ;
Attendu qu'en raison de la primauté du droit communautaire sur le droit interne, il convient d'analyser la validité des dites clauses au regard des articles 101, 102 et 106 du Traité de fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ;
Attendu que l'article 13 de l'avenant - dit clause de désignation - a désigné AG2R Prévoyance comme organisme assureur du régime remboursements complémentaires des frais de soins de santé ; que l'article 14 - dit clause de migration- a rendu obligatoire l'adhésion de toutes les entreprises relevant du champ d'application de la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie à ce régime, y compris pour les entreprises ayant un contrat complémentaire santé auprès d'un autre organisme assureur avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies par l'avenant ;
Attendu que l'article l'article 101 du TFUE dispose que sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;
Que l'article 102 dispose qu'est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ;
Que l'article 106 paragraphe 1 dispose que les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité et paragraphe 2 que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur est impartie ;
Attendu que par arrêt du 3 mars 2011, la CJUE, saisie d'une demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal de grande instance de Périgueux dans le cadre d'un litige opposant la sarl Beaudout Père et Fils à AG2R Prévoyance dans les mêmes circonstances, a dit pour droit que l'article 101 du TFUE lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3 du TUE, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d'un secteur d'activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l'affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pour l'ensemble des entreprises du secteur concerné, sans possibilité de dispense ; que cette décision est motivée par le fait que l'avenant litigieux résulte d'une négociation collective et contribue à l'amélioration des conditions de travail des salariés en leur garantissant les moyens nécessaires pour faire face à des frais liés à une maladie, un accident du travail, à une maladie professionnelle ou encore à une maternité, mais également en réduisant les dépenses qui, à défaut d'un tel accord, auraient dû être supportés par les salariés ; qu'un tel accord ne relève donc pas, en raison de sa nature et de son objet, de l'article 101 du TFUE ;
Attendu que ce même arrêt a dit pour droit que, pour autant que l'activité consistant dans la gestion d'un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause doit être qualifiée d'économique, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 et 106 du TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d'activité concerné d'être dispensées de s'affilier audit régime ;
Attendu que l'interprétation de l'article 102 TFUE nécessite préalablement que soit reconnue à AG2R la qualification d'entreprise qui comprend, dans le contexte du droit de la concurrence de l'Union, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, laquelle se définit comme une activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné ; qu'en l'occurrence, il résulte de l'article L. 931-1 du code de la sécurité sociale qu'AG2R, en tant qu'institution de prévoyance relevant de ce code, est une personne de droit privé ayant un but non lucratif et dont l'objet est la couverture des dommages corporels liés aux accidents et à la maladie ; que la finalité sociale du régime de protection sociale complémentaire obligatoire pour tous les salariés d'un secteur économique n'est néanmoins pas suffisante pour exclure la qualification d'activité économique, exclusion possible seulement si le régime concerné met en oeuvre le principe de solidarité et s'il est soumis au contrôle de l'Etat qui l'a instauré ;
Attendu qu'AG2R met en oeuvre un principe de solidarité dès lors que la nature des prestations servies ainsi que l'étendue de la couverture accordée ne sont pas proportionnelles au montant des cotisations et sont servies, dans certains cas, indépendamment du paiement des cotisations dues ; que si les circonstances dans lesquelles AG2R a pu bénéficier ou non d'une marge de négociation quant aux modalités de son engagement ne sont pas renseignées, il convient néanmoins de prendre en considération le fait que l'avenant n° 83 reconnaît un rôle prépondérant aux partenaires sociaux dans la détermination et le réexamen des garanties collectives dont bénéficient les salariés, de sorte que le contrôle de l'Etat n'est pas établi ; qu'il s'ensuit que le caractère économique de l'activité d'AG2R étant reconnu, la clause de migration stipulée à l'avenant n° 83 est conforme aux articles 102 et 106 TFUE qui lui sont applicables ;
Attendu néanmoins que les circonstances dans lesquelles AG2R a été désignée par cet avenant ne sont pas connues, alors que l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale et l'article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 telle que modifiée par la loi n° 94-678 du 8 août 1994, prévoient que les garanties collectives complémentaires dont bénéficient les salariés peuvent être instaurées de différentes manières et que les activités de prévoyance peuvent être confiées non seulement à des institutions de prévoyance et de mutualisation, mais également à des entreprises d'assurance, et alors que M. [Y] [L] rappelle qu'aucune autre entreprise qu'AG2R ne peut avoir accès au marché en raison de son appartenance au groupe AG2R Mondiale, qui comprend ISICA, caisse de retraite qui gère depuis longtemps la retraite complémentaire des boulangers, ce que AG2R ne nie pas, considérant au contraire que cette appartenance serait avantageuse pour les salariés concernés ;
Attendu que le principe de solidarité qui caractérise le fonctionnement du régime complémentaire géré par AG2R, mais également la nature économique de son activité, permettent de retenir qu'elle est investie d'une mission d'intérêt économique général au sens de l'article 106 paragraphe 2 TFUE qui prévoit que les entreprises chargées de la gestion de ces services sont soumises aux règles de la concurrence, alors qu'il n'est pas démontré qu'AG2R puisse invoquer la limitation prévue par cet article pour le cas où l'application de ces règles feraient échec en droit ou en fait à l'accomplissement de la mission particulière qui lui a été impartie ;
Or, attendu que AG2R, entreprise exerçant une activité économique, se devait d'être choisie par les partenaires sociaux sur la base de considérations financières et économiques, parmi d'autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services et de prévoyance qu'elle propose ; que faute de justifier de cette mise en concurrence, sa désignation ne respecte pas les prescriptions de l'article du TFUE sus visé ; que AG2R n'est dès lors pas fondée à demander l'adhésion forcée de M. [I] [L] ni sa condamnation à paiement d'arriérés de cotisations ;
Attendu que le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions et AG2R Prévoyance déboutée de l'ensemble de ses demandes ; que la non conformité de la clause de désignation au regard du droit communautaire étant retenue, il devient inopérant de statuer sur le moyen tiré de l'illicéité des clauses de migration et de désignation au regard du droit interne :
Attendu que l'équité commande de faire bénéficier M. [I] [L] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déboute l'institution de prévoyance AG2R Prévoyance de l'ensemble de ses demandes,
Condamne AG2R Prévoyance à verser à M. [I] [L] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
Condamne AG2R Prévoyance aux dépens de première instance et d'appel, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le GreffierLe Président,
C. POPEKM. ZENATI