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12/12/2011 | FRANCE | N°09/05349

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 12 décembre 2011, 09/05349


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 12/12/2011



***



N° de MINUTE :

N° RG : 09/05349Renvoi de cassation



Jugement rendu le 14 janvier 2004 par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX TOURCOING

Arrêt (N° 04/01011) rendu le 21 Décembre 2006 par le Cour d'Appel de DOUAI

Arrêt rendu le 4 juin 2009 par la Cour de Cassation



REF : SVB/CL





APPELANTE



S.A. SAGENA prise en

la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour

Assistée de Me Pierre VERLEY, avocat au barreau...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 12/12/2011

***

N° de MINUTE :

N° RG : 09/05349Renvoi de cassation

Jugement rendu le 14 janvier 2004 par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX TOURCOING

Arrêt (N° 04/01011) rendu le 21 Décembre 2006 par le Cour d'Appel de DOUAI

Arrêt rendu le 4 juin 2009 par la Cour de Cassation

REF : SVB/CL

APPELANTE

S.A. SAGENA prise en la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour

Assistée de Me Pierre VERLEY, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS

S.A. D'HLM VILOGIA, anciennement dénommée LOGICIL prise en la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social [Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me CARLIER substituant Me Ghislain HANICOTTE, avocat au barreau de LILLE

S.A.S B & R INGENIERIE NORD

anciennement dénommée B & R INGENIERIE SA ,

prise en la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par la SCP DELEFORGE ET FRANCHI, avoués à la Cour

Assistée de Me Chantal LAHAYE, avocat au barreau de LILLE

S.A.R.L. VITSE prise en la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social [Adresse 7]

[Adresse 7]

Maître [H] [V]

es qualité d'administrateur judiciaire de la SARL VITSE

demeurant [Adresse 4]

[Localité 5]

SELARL AJJIS

es qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la Société VITSE

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentés par Me Philippe Georges QUIGNON, avoué à la Cour

Assistés de Me Arnaud DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Patrick BIROLLEAU, Président de chambre

Véronique NEVE DE MEVERGNIES, Conseiller

Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT

DÉBATS à l'audience publique du 13 Octobre 2011 après rapport oral de l'affaire par Sophie VALAY-BRIERE

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Patrick BIROLLEAU, Président, et Marguerite-Marie HAINAUT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 SEPTEMBRE 2011

***

Saisi par la SA d'HLM LOGICIL, le Tribunal de Commerce de Roubaix-Tourcoing a, par jugement contradictoire en date du 14 janvier 2004, notamment :

- condamné in solidum, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, les sociétés VITSE, B&R INGENIERIE et SAGEBAT à régler à la société LOGICIL les sommes de 177 257,74 € TTC correspondant au surcoût de l'opération, 25 821 € HT correspondant au coût d'évacuation du VAREM, 10 000 € au titre du préjudice de jouissance subi, outre 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- donné acte à la société LOGICIL de ce qu'elle se réserve le droit de solliciter ultérieurement le complément du préjudice subi in fine,

- débouté l'ensemble des parties de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société LOGICIL,

- dit à la société B&R INGENIERIE que la garantie de la SAGEBAT lui était acquise.

Les sociétés SAGENA et VITSE ayant interjeté appel de cette décision, la Cour d'Appel de Douai a, par arrêt du 21 décembre 2006, réformé le jugement dans les limites de l'appel, condamné solidairement les sociétés VITSE et B&R INGENIERIE AMENAGEMENT ET INFRASTRUCTURE (B&R) à payer à la société LOGICIL la somme de 24 990 € au titre de l'évacuation du VAREM avec intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 2002 ainsi que 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur les pourvois principal de la société HLM LOGICIL et incident de la société B&R INGENIERIE, la Cour de Cassation a, par arrêt du 4 juin 2009, cassé et annulé l'arrêt susvisé mais 'seulement en ce qu'il a fixé le montant du préjudice subi par la société LOGICIL à la somme de 24 990 € et rejeté les demandes formées à l'encontre de la société SAGENA par la société LOGICIL et la société B et R'. Elle a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Douai autrement composée aux motifs, sur le premier point, qu'en statuant par des motifs impropres à justifier le refus d'indemniser les préjudices invoqués relatifs au surcoût engendré par l'enlèvement des plates-formes, l'actualisation des marchés et le retard apporté à l'achèvement, la Cour d'Appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile, et, sur le second point, qu'en statuant par des motifs impropres à démontrer que la mission acceptée par la société B&R, même normalement exécutée, devait inévitablement entraîner les dommages et, d'autre part, sans rechercher comme il le lui était demandé, si les réserves émises par le contrôleur technique n'avaient pas été prises en compte dès leur notification, elle n'a pas donné de base légale à sa décision.

Le 21 juillet 2009, la SA SAGENA a saisi la présente Cour.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 novembre 2010, elle demande à la Cour de réformer le jugement en ce qu'il est entré en voie de condamnation à son encontre, de dire que la responsabilité de la société B&R INGENIERIE n'est pas susceptible d'être retenue et par conséquent, de débouter les sociétés LOGICIL, VITSE et B&R de leurs demandes dirigées contre elle, à titre subsidiaire, de constater que sa garantie n'est pas susceptible d'être retenue, plus subsidiairement encore, de débouter la société LOGICIL de ses demandes au titre du surcoût de l'opération et du trouble de jouissance, à titre infiniment subsidiaire, de condamner la société VITSE sur le fondement de l'article 1382 du code civil à la garantir et à la relever indemne des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre tant en principal qu'en intérêts et frais, en tout état de cause de préciser la part de responsabilité susceptible d'être retenue à l'encontre de la société B&R INGENIERIE, de condamner in solidum, ou l'une à défaut de l'autre, la société HLM LOGICIL et la société VITSE à lui rembourser les sommes qu'elle a pu verser en exécution de la décision de première instance, de dire que sa garantie ne saurait être due que dans les limites du contrat souscrit et après application des franchises contractuelles opposables, de condamner in solidum les sociétés LOGICIL, VITSE et B&R INGENIERIE à lui payer 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient pour l'essentiel que la société B&R ayant rempli sa mission, sa responsabilité ne saurait être retenue, et, par ailleurs, oppose à cette dernière deux exclusions de garantie tirées de l'article 3.2.2 paragraphes A et F de la convention spéciale responsabilité professionnelle de l'ingénierie bâtiment. Elle ajoute, en outre, que le préjudice allégué pose difficulté.

Dans ses conclusions déposées le 4 août 2011, la SAS B&R INGENIERIE NORD demande à la Cour de débouter les sociétés VILOGIA, SAGENA et VITSE de leurs demandes, de condamner la société VILOGIA à lui rembourser la somme de 21 307,87 € correspondant à la franchise d'assurance supportée, de dire que la compagnie SAGENA sera tenue de la garantir de toutes condamnations prononcées contre elle et de condamner celle-ci à lui payer 5 000 € sur le fondement de l'article 1134 du code civil, de constater et dire justifiée sa créance au redressement judiciaire de la société VITSE à concurrence de la somme déclarée (52 260,63 €), très subsidiairement d'écarter toute solidarité entre les sociétés VITSE et B&R, de condamner solidairement les sociétés SAGENA et VILOGIA au paiement d'une indemnité de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de dire que la société VITSE devra participer à cette condamnation solidaire dans le cadre de la déclaration de créance faite.

Considérant que sa responsabilité n'a pas fait l'objet d'une décision ayant autorité de chose jugée, elle explique qu'elle n'a pas commis de faute à l'origine du sinistre invoqué puisqu'il est démontré qu'elle n'a pas disposé de toutes les informations nécessaires sur le produit VAREM, qu'en outre, il n'est pas établi que la mission qu'elle a acceptée, même normalement exécutée, devait inévitablement entraîner des dommages et qu'elle a pris en compte les réserves émises par le contrôleur technique dès leur notification. Elle prétend que par lettre du 31 janvier 2002, la société SAGENA lui a confirmé accorder sa garantie à l'entreprise VITSE et au produit VAREM sur le chantier litigieux, qu'elle ne peut lui opposer des exclusions de garantie et qu'en suite du refus de la garantir, elle a une attitude fautive à l'égard de son assurée qui justifie sa demande de dommages et intérêts. Elle ajoute que la société VITSE qui ne l'a pas informée correctement sur la qualité du produit VAREM doit la garantir également, toute solidarité entre elles devant être écartée, et que sa créance déclarée à la procédure collective contient une demande de dommages et intérêts au regard de la faute commise par cette dernière qui lui a sciemment caché les problèmes rencontrés avec son produit sur d'autres chantiers. Elle expose que le préjudice invoqué par la société VILOGIA, autre que la somme de 24 990 € correspondant au coût de l'évacuation du surplus du VAREM, n'est pas démontré.

Dans ses conclusions en date du 18 février 2011, la SA D'HLM VILOGIA, anciennement dénommée LOGICIL, demande à la Cour de déclarer irrecevables les demandes tendant à voir consacrer l'absence de responsabilité des sociétés B&R et VITSE et, par voie de conséquence, les demandes accessoires en découlant telles que sa condamnation à rembourser à la société B&R la somme de 21 307,87 €, à voir écarter toute solidarité entre les sociétés VITSE et B&R ainsi que celle formulée par la société SAGENA de voir opposer le plafond de garantie et la franchise applicable ; au regard de la cassation partielle, de débouter les sociétés SAGENA, B&R et VITSE et toutes autres parties de leurs demandes à son encontre, de fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la société VITSE à hauteur de 215 078,74 €, de confirmer le jugement en ce qu'il a consacré la responsabilité de la société VITSE et de la société B&R et les a condamnées in solidum avec la société SAGENA à lui payer les sommes reprises ci-dessus, de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de solliciter ultérieurement le complément du préjudice subi in fine, de condamner in solidum les sociétés VITSE, SAGENA et B&R à lui payer 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle prétend, au préalable, que les demandes relatives aux responsabilités encourues sont irrecevables au regard de l'autorité et de la force de chose jugée attachées à l'arrêt confirmatif de la présente Cour sur ces points et non remis en cause par la Cour suprême. Elle considère ensuite que la garantie de l'assureur lui est due car le manquement contractuel du maître d'oeuvre dans son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage entre dans le champ de la police d'assurance souscrite, sans que les exclusions ne puissent être opposées valablement, et que les demandes de limitation de garanties au regard du plafond et de la franchise son irrecevables, en application de l'article 564 du Code de procédure civile, car nouvelles. Elle tend, enfin, à justifier les préjudices réclamés.

Par conclusions déposées le 6 janvier 2011, Maître [V], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société VITSE, désigné à ces fonctions par jugement du 23 mars 2010, est intervenu à l'instance.

Par conclusions signifiées le 22 juin 2011, la SARL VITSE, la SELARL AJJIS représentée par Maître [Z], ès qualités d'administrateur judiciaire, et Maître [V], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, sollicitent de la Cour qu'elle donne acte à Maître [V], ès qualités de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan, qu'aucune demande n'est formulée à son encontre, qu'elle confirme l'arrêt de la Cour de céans sauf sur les chefs cassés, qu'elle dise éteinte la créance de la société LOGICIL sur la société VITSE et subsidiairement inopposable à la société VITSE pendant l'exécution du plan et après cette exécution si les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal de la procédure collective sont tenus, de dire que les demandes des sociétés B&R et SAGENA qui se heurtent à l'autorité de la chose jugée sont irrecevables et, en tant que de besoin, les en débouter, subsidiairement, de dire que la créance indemnitaire de la société B&R ne peut être supérieure à la somme déclarée au passif de la société VITSE soit 29 888,04 €, de débouter la société SAGENA, qui ne justifie pas d'une déclaration de créance, de ses demandes à l'encontre de la société VITSE, en tout état de cause de débouter la société LOGICIL de ses demandes, de lui donner acte qu'elle s'en rapporte à justice sur la garantie due par la société SAGENA à la société B&R, enfin, de condamner les sociétés LOGICIL, B&R et SAGENA à lui payer 15 000 € à titre d'indemnité procédurale.

Elle rappelle que la société SAGENA, qui ne justifie pas avoir déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la SARL VITSE, ne peut solliciter la condamnation de la société VITSE à la garantir et à la relever indemne des condamnations prononcées à son encontre mais uniquement la constatation de sa créance et sa fixation au passif ; que la créance indemnitaire de la société B&R ne peut être supérieure à la créance qu'elle a déclarée ; que la procédure de relevé de forclusion relative à la créance de la société VILOGIA est en cours de sorte que l'admission de sa créance n'est pas établie. Elle expose également que la société B&R ayant failli à sa mission et cette faute ayant concouru à la réalisation de l'entier dommage, c'est à bon droit que leur solidarité a été retenue. Elle prétend, enfin, que la preuve de la réalité du préjudice invoqué par la société VILOGIA n'est pas rapportée.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 septembre 2011.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens, selon ce qu'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE 

La société LOGICIL, devenue VILOGIA, était maître d'ouvrage d'un projet

d'aménagement d'un terrain sis à [Adresse 8], visant à la construction de 98 logements en trois lots. Le chantier du troisième lot nécessitant la réalisation de plates-formes en remblai devant accueillir les fondations des immeubles, la société d'études FONDASOL a été consultée et a préconisé le 11 octobre 2000, un remblai de substitution non évolutif compte tenu de la présence de nappes phréatiques.

Par contrat en date du 10 janvier 2001, la société LOGICIL a confié la maîtrise d'oeuvre de ce chantier à la société B&R.

Selon devis du 19 février 2001, la SARL VITSE a proposé deux solutions de remblaiement, soit utilisation de GAURAIN, soit utilisation du produit de sa fabrication dénommé VAREM. Par contrat en date du 18 avril 2001, le maître d'ouvrage a confié à la société VITSE la réalisation de ce remblai à l'aide du produit le moins coûteux, le VAREM.

Par lettre du 24 octobre 2001, le contrôleur technique PREVENTEC a relevé que le VAREM ne répondait pas aux exigences identifiées dans le rapport FONDASOL.

Le 28 novembre 2001, la société LOGICIL a invité la société VITSE à justifier de son assurance professionnelle pour son produit et l'a mise en demeure de reprendre les ouvrages déjà exécutés pour lesquels le contrôleur technique avait émis un avis défavorable, l'informant qu'à défaut, ses prestations seraient mises en régie.

A la demande de la société VITSE, une expertise judiciaire a eu lieu qui a confirmé l'inadaptation du produit incriminé dans un rapport du 30 juillet 2002.

La société LOGICIL a fait appel à la société SYLVAGREG pour la reprise des travaux et a assigné le 8 novembre 2002 la société VITSE en vue de la faire condamner à lui payer la somme de 212 000 € à parfaire. La société VITSE a alors appelé la société B&R en garantie, laquelle a mis en cause son assureur la société SAGEBAT, devenue SAGENA.

Au cours de la procédure, soit le 2 octobre 2008, la chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance d'Hazebrouck a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL VITSE et désigné Maître [V], ès qualités de mandataire judiciaire, et la société AJJIS comme administrateur judiciaire. Par décision du 23 mars 2010, le tribunal a adopté un plan de redressement judiciaire et désigné Maître [V], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan.

La société VILOGIA a déposé une requête aux fins d'être relevée de la forclusion et a déclaré sa créance. Par arrêt du 14 septembre 2011 de la présente Cour, le jugement du tribunal de commerce de Dunkerque, en date du 5 juillet 2010, qui a rejeté la demande faite par la société VITSE, visant à la réformation de l'ordonnance du juge-commissaire aux opérations de redressement judiciaire de cette société en date du 18 novembre 2009 ayant relevé la société VILOGIA de la forclusion, a été confirmé.

Les manquements des sociétés B&R et VITSE à leur obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage ayant été reconnus par l'arrêt de la Cour d'Appel du 21 décembre 2006, devenu définitif sur ces points, les seules questions posées à la Cour de renvoi, par application des articles 631 et 638 du Code de procédure civile, sont celles relatives à l'indemnisation de la société VILOGIA et à la garantie éventuelle de l'assureur à l'exclusion de celles relatives à la responsabilité, éventuellement partagée, et à la solidarité.

1- Sur l'indemnisation des préjudices

Les préjudices invoqués par la société VILOGIA sont de trois ordres :

* le surcoût engendré par l'enlèvement des plate formes

La société VILOGIA expose que la reprise des travaux réalisés avec un matériau impropre a provoqué un coût de 141 584,67 € HT au titre de l'enlèvement des plates-formes de fondations et 25 821 € HT pour l'évacuation du surplus du produit VAREM.

Les articles 8.3.1 et 8.3.2 du CCAP stipulent 'Qu'il s'agisse d'intervention pendant le délai de déroulement du chantier, ou du délai de parfait achèvement, lorsque l'entrepreneur ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, le Maître de l'Ouvrage le met en demeure d'y satisfaire dans un délai qui ne peut être inférieur à 8 jours, sauf urgence motivée, par une notification par courrier recommandé. Si l'entrepreneur n'a pas déféré à la mise en demeure, une mise en régie à ses frais et risques peut-être ordonnée' et 'Pour établir la régie, laquelle peut n'être que partielle, il est procédé, l'entrepreneur étant présent ou ayant été dûment appelé, à la constatation des travaux exécutés et des approvisionnements existants...'.

Il est établi que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 28 novembre 2001, la société VITSE a été mise en demeure de produire une attestation d'assurance spécifique au chantier dans les 48 heures et à défaut de reprendre ses ouvrages par une des solutions proposées par le bureau d'études FONDASOL, étant avisée que sans réaction de sa part dans un délai de huit jours, il serait fait application de l'article 8.3 susvisé.

Il n'est pas contesté que la société VITSE n'a pas produit l'attestation d'assurance sollicitée et a quitté le chantier avant de solliciter en référé la désignation d'un expert, lequel a confirmé l'inadéquation du matériau utilisé.

Par suite, la société VILOGIA a été contrainte d'engager des travaux de reprise des plates-formes dont le coût est justifié par l'avenant du marché de la société SYLVAGREG à hauteur de 141 584,67 € HT.

La preuve du surcoût relatif à l'évacuation du produit VAREM non utilisé, est rapportée par la facture de la société LAMBLIN en date du 29 février 2004, d'un montant de 24 990 € HT, à laquelle sont joints le devis du 12 février 2004 et le bon de commande y afférent.

* l'actualisation des marchés

La société VILOGIA prétend que du fait du retard pris par le chantier, le marché de gros oeuvre dévolu à la société SYLVAGREG a été réactualisé à hauteur de

35 673,07 €€ HT.

Cependant la comparaison entre sa pièce n°11, intitulée 'Rectification offre de prix', datée du 6 septembre 2002, et le contrat signé le même jour entre l'architecte, la société SYLVAGREG et le maître d'ouvrage LOGICIL montre que l'accord a repris l'offre initiale (1 143 367,63 € HT) à laquelle s'est ajoutée un avenant pour les fondations (141 584,67 € HT) mais à l'exception du coût d'actualisation (35 673,07 € HT), étant précisé qu'il s'agit d'un 'prix ferme, définitif, global et forfaitaire'.

La demande sera donc rejetée.

* le retard apporté à l'achèvement

La société VILOGIA soutient qu'au regard des risques encourus, elle a été dans l'obligation de faire arrêter les travaux de construction ce qui a entraîné des retards dans la réalisation des ouvrages de l'ordre de onze mois et réclame à ce titre une somme de

10 000 €.

Il est établi par les pièces produites d'une part, que le 12 octobre 2001, la société LOGICIL a délivré à la société SYLVAGREG, titulaire du lot gros oeuvre, un ordre de service pour démarrer ses travaux à compter du 22 octobre 2001 avant de décider de les suspendre car les plates- formes exécutées par la société VITSE avaient été refusées lors de leur livraison par le bureau de contrôle PREVENTEC le 24 octobre suivant et, d'autre part, que le chantier a repris le 11 septembre 2002.

Cependant, elle ne produit aucun élément à l'appui de sa demande justifiant d'un préjudice en lien avec le trouble de jouissance invoqué.

Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés VITSE et B&R en paiement sauf à modifier les sommes retenues à hauteur de celles susvisées, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 8 novembre 2002, et compte tenu de la procédure collective intervenue de fixer celles-ci au passif chirographaire de la société VITSE, la créance n'étant ni éteinte ni inopposable à la société VITSE contrairement à ce qui est vainement soutenu par cette dernière et les organes de la procédure.

2- Sur l'appel en garantie de la société SAGENA

Aux termes de l'article L113-1 du codes des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

La société SAGENA fait valoir tout d'abord que le paragraphe F de l'article 3.2.2 du contrat d'assurance exclut expressément 'les dommages non aléatoires, c'est à dire découlant inévitablement de la nature même de votre mission et de ses modalités normales de réalisation, telle que cette mission vous a été prescrite et que vous avez acceptée'.

Au terme de l'étude de sols et de fondations qui lui a été confiée par la société LOGICIL, la société FONDASOL a indiqué dans son rapport, en date du 11 octobre 2000 qu'elle avait constaté la présence d'eau 'entre 1,20 m et 1,80 m de profondeur sous le niveau du terrain naturel actuel'(p 5/30), que 'ces niveaux de nappe phréatique sont sujets à des battements en fonction de la période de l'année' (p 6/30) et a préconisé en conséquence ' la mise en oeuvre d'un matériau sablo-graveleux, sain, non évolutif, correctement gradué et soigneusement compacté par couches minces. Ce matériau pourra être un tout-venant de granulométrie 0/120mm avec un pourcentage de sédiments fins (passant (p7/30).

Il est constant que ce rapport a été communiqué à la société B&R puisque celle-ci a apposé son tampon et sa signature sur celui-ci.

L'arrêt du 21 décembre 2006 a retenu que la société B&R avait omis de vérifier la conformité du matériau utilisé aux spécifications et contraintes locales identifiées dans le rapport FONDASOL et ainsi manqué à son obligation de conseil.

Il ne peut donc plus lui être reproché, comme tente de le faire la société SAGENA, d'avoir utilisé du VAREM en connaissant les limites de ce produit et son inadaptation au chantier litigieux.

Le dommage résulte de la mission confiée à B&R. Si celle-ci avait exécuté sa mission normalement, c'est à dire en se renseignant sur les qualités du VAREM, le dommage aurait pu être évité. Il n'est donc pas, en l'espèce, la conséquence inévitable de la mission et de ses modalités normales de réalisation.

En présence d'un aléa, cette clause d'exclusion ne peut être invoquée par l'assureur.

La société SAGENA oppose ensuite le paragraphe A du même article qui exclut 'les dommages affectant des ouvrages pour lesquels vous n'auriez pas tenu compte de réserves techniques qui vous auraient été notifiées, avant réception des travaux, par un bureau de contrôle si le sinistre a son origine dans l'objet même de ces réserves'.

Il n'est pas contesté que le bureau de contrôle PREVENTEC a émis des réserves le 24 octobre 2001 soit après la réalisation des travaux mais avant leur réception.

La société B&R n'a pas été destinataire de cette lettre adressée en original à la société LOGICIL avec copie à l'architecte. Il est toutefois démontré qu'elle en a eu connaissance rapidement puisque dès le 30 octobre suivant, elle écrivait à la société VITSE pour lui réclamer des éléments permettant de prouver que le VAREM est un matériau inerte et non évolutif ainsi qu'un document d'assurance.

Il est justifié par les pièces produites (notamment lettres du 12, 14, 23 novembre 2001, du 12, 13, 17 et 21 décembre 2001, compte rendus de réunions du 13, 20, 23 novembre 2001) que la société B&R a tenu compte des réserves émises par PREVENTEC dès qu'elle en a eu connaissance et a tenté de mettre en place une solution de substitution avec l'accord du bureau de contrôle.

Par suite, cette clause d'exclusion ne peut pas plus lui être opposée.

La société SAGENA sera donc tenue à garantir son assurée dans les limites du contrat les liant, la demande tendant à voir consacrer l'application des plafonds de garantie et de la franchise constituant non une demande nouvelle mais une prétention visant à faire écarter les demandes adverses conformément à l'article 564 du Code de procédure civile.

Sa demande de remboursement des sommes payées en suite du jugement comme celle de la société B&R en remboursement de la somme de 21 307,87 € correspondant à la franchise laissée à sa charge seront donc rejetées.

3- Sur les demandes des sociétés B&R et VITSE relatives à la créance déclarée dans le cadre de la procédure collective ouverte

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 19 novembre 2008, la société B&R a déclaré auprès du mandataire judiciaire une créance chirographaire de 52 260,63 €, dont 29 888,04 € TTC à titre principal, en vertu de l'arrêt du 21 décembre 2006.

Selon ordonnance du 25 mai 2010, le juge-commissaire, désigné dans la procédure de redressement judiciaire de la société VITSE, a constaté l'existence d'une instance en cours et son dessaisissement, invitant les parties à produire la décision à venir au greffe pour inscription sur l'état des créances.

En suite de la présente décision, la créance déclarée est justifiée. Elle doit donc être fixée au passif de la procédure collective ouverte à l'égard de la société VITSE sans pouvoir être supérieure au montant déclaré en principal, intérêts et frais.

4- Sur les autres demandes

La société B&R sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts, formée à l'encontre de son assureur, pour une résistance dont le caractère abusif n'est pas établi.

Les sociétés B&R, VTSE et SAGENA qui succombent pour l'essentiel seront condamnées aux dépens et déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SA VILOGIA les frais exposés par elle en cause d'appel et non compris dans les dépens ; il lui sera alloué par les sociétés B&R, VITSE et SAGENA la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au

greffe, dans les limites de l'arrêt de renvoi,

Donne acte à Maître [V], ès qualités de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la SARL VITSE, qu'aucune demande n'est formulée à son encontre ;

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés

VITSE et B&R en paiement au profit de la société VILOGIA sauf à modifier les sommes retenues à hauteur de 141 584,67 € HT et 24 990 € HT, avec intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 2002 ;

Dit que ces sommes seront fixées au passif chirographaire de la procédure collective de la société VITSE ;

Dit que la SA SAGENA doit sa garantie à la société B&R dans les limites du contrat les liant ;

Y ajoutant,

Fixe au passif chirographaire de la procédure collective de la SARL VITSE la créance déclarée par la société B&R à hauteur de 52 260,63 € ;

Déboute la société B&R de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive et en remboursement formées à l'encontre des sociétés SAGENA et VILOGIA ;

Déboute la société SAGENA de sa demande de remboursement ;

Déboute les sociétés B&R, VITSE et SAGENA de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement les sociétés B&R, VITSE et SAGENA à payer à la SA VILOGIA la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement les sociétés B&R, VITSE et SAGENA aux dépens qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

Marguerite-Marie HAINAUTPatrick BIROLLEAU


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 09/05349
Date de la décision : 12/12/2011

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°09/05349 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-12-12;09.05349 ?
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