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07/03/2017 | FRANCE | N°15/00409

France | France, Cour d'appel de chambéry, Chambre sociale, 07 mars 2017, 15/00409


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 07 MARS 2017

RG : 15/ 00409
Olivier X...-NH/ VA
C/ SARL JEN

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire-d'ALBERTVILLE en date du 29 Janvier 2015, RG : F 14/ 00133
(arrêt de la chambre sociale du 06. 10. 2015 ordonnant une expertise graphologique)

APPELANT :
Monsieur Olivier X...
...
Comparant, assisté de Me Fabien PERRIER (SELURL COCHET FRANCOIS, avocats au barreau de CHAMBERY)

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENT :
SARL JEN
Rue des Verdons-Lieud

it Les Grangettes-73120 COURCHEVEL 1850
Représentée à l'audience par Madame Z...Jacqueline, gérante, assistée ...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 07 MARS 2017

RG : 15/ 00409
Olivier X...-NH/ VA
C/ SARL JEN

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire-d'ALBERTVILLE en date du 29 Janvier 2015, RG : F 14/ 00133
(arrêt de la chambre sociale du 06. 10. 2015 ordonnant une expertise graphologique)

APPELANT :
Monsieur Olivier X...
...
Comparant, assisté de Me Fabien PERRIER (SELURL COCHET FRANCOIS, avocats au barreau de CHAMBERY)

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENT :
SARL JEN
Rue des Verdons-Lieudit Les Grangettes-73120 COURCHEVEL 1850
Représentée à l'audience par Madame Z...Jacqueline, gérante, assistée de Me François SIMON (SELARL COLBERT ALPES, avocats au barreau de CHAMBERY)

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 26 Janvier 2017, devant Mme Nathalie HACQUARD, Conseiller désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président, qui s'est chargée du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Mme Viviane ALESSANDRINI, Greffier, et lors du délibéré :
Madame Claudine FOURCADE, Présidente,
Madame Nathalie HACQUARD, Conseiller qui a rendu compte des plaidoiries,
Madame Anne De REGO, Conseiller

********
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL JEN qui exploite un fonds de commerce de restauration à COURCHEVEL, sous l'enseigne " Le Refuge " a embauché Olivier X...dans le cadre d'un contrat saisonnier du 18 novembre 2013 au 30 avril 2014, en qualité de chef de cuisine, pour un temps de travail hebdomadaire de 42 heures ;
A l'issue de la relation contractuelle, monsieur X...a sollicité vainement de la SARL JEN le paiement d'heures supplémentaires ;
Le 20 mai 2014, il a saisi le conseil de prud'hommes d'ALBERTVILLE de la demande de paiements de ces heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé ;
Par jugement en date du 29 janvier 2015, le conseil de prud'hommes a :
- débouté Olivier X...de l'ensemble de ses demandes,
- condamné Olivier X...à payer à la SARL JEN la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

La décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec demande d'accusé de réception le 30 janvier 2015 ;
Par déclaration reçue au greffe le 23 février 2015 par la voie du RPVA, monsieur X...a interjeté appel de la décision en sa globalité ;
Il demandait à la cour de :
- réformer la décision déférée,
- dire et juger que les fiches horaires sont des faux et les écarter des débats,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 9 630, 57 euros bruts au titre des heures supplémentaires de décembre 2013 à avril 2014, outre 963, 06 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 2 574, 67 euros au titre de l'absence de contrepartie obligatoire en repos, outre 257, 47 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximale du travail journalier et hebdomadaire,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 29 107, 58 euros au titre du travail dissimulé,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche,
- ordonner à la société JEN de lui remettre les bulletins de paie rectifiés de novembre 2013 à avril 2014, un certificat de travail, reçu pour solde de tout compte et l'attestation Pôle Emploi rectifiés,
- condamner la société JEN à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société JEN aux entiers dépens et au remboursement de la somme de 540 euros correspondant au coût de l'expertise de monsieur B...;

Il faisait valoir :
- que compte tenu de l'ouverture du restaurant 7 jours sur 7 entre 12 heures et minuit et de l'affluence de clients, puis du départ du serveur en janvier 2014 et du plongeur dès le 23 mars 2014, il a effectué 449, 25 heures supplémentaires ainsi que lui permettent de l'affirmer les décomptes d'heures qu'il a établi chaque jour ;
- qu'il n'est pas le signataire des fiches horaires produites par la société ainsi qu'en atteste l'expert qu'il a été contraint de solliciter ce qui démontre la duplicité de la société JEN qui a sciemment manipulé les fiches horaires et commis le délit de travail dissimulé ;
- que le nombre d'heures réalisé excède notablement le contingent applicable et que de même ce nombre d'heures a souvent dépassé la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail ;
- que la société JEN ne justifie d'aucune démarche visant à l'organisation de la visite médicale d'embauche ;

La société JEN demandait à la cour de :
- ordonner avant dire droit une expertise judiciaire en écriture des fiches individuelles de décomptes des horaires de travail de monsieur X...,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter monsieur X...de toutes ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens ;

Elle contestait la valeur probante de l'expertise privée qu'a fait réaliser monsieur X..., de manière non contradictoire et sur la base de photocopies et non de documents originaux et soutenait que le salarié était bien le signataire des fiches horaires qu'elle produit et dont elle demande dès lors l'expertise judiciaire ;
Elle faisait valoir que les éléments produits par le salarié n'étaient pas de nature à étayer l'existence des heures supplémentaires dont il se prévaut et dont elle conteste qu'il les ait effectuées ;
Par arrêt avant dire droit en date du 6 octobre 2015, la cour a :
- ordonné une expertise aux fins de vérification d'écriture et désigné à cette fin monsieur Jean-Michel C..., avec pour mission de :
- prendre connaissance du dossier et de tous éléments utiles,
- se faire remettre par les parties l'original de l'intégralité des fiches horaires produites par la SARL JEN, l'expertise amiable réalisée à la demande de monsieur X..., tout document en original comportant la signature de monsieur X...auquel, s'il l'estime nécessaire, il fera réaliser des échantillons d'écriture et de signature,
- procéder à tous examens comparatifs à l'effet de déterminer si les signatures manuscrites figurant sur les fiches horaires des mois de décembre 2013 à avril 2014 sont, ou non, de la main de monsieur X...,
- adresser aux parties et à leur conseil un pré-rapport de ses investigations et les inviter à lui transmettre dans un délai qu'il fixera, leurs observations et dires éventuels auxquels il devra répondre ;
- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes y-compris les dépens ;

L'expert commis a déposé son rapport le 1er juillet 2016 et conclu qu'" aucune des signatures de question n'est de la main de M. Olivier X..." ;

Monsieur X...a conclu le 18 juillet 2016 et demande à la cour de :
- réformer en son intégralité le jugement déféré,
- dire et juger que les fiches individuelles d'horaires sont des faux,
- écarter des débats les fiches individuelles d'horaires,
- condamner la société JEN à lui payer :
- la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral consécutif,
- la somme de 9 630, 57 euros bruts outre 963, 06 euros bruts au titre des rappels de salaire pour heures supplémentaires de la période décembre 2013- avril 2014,
- la somme de 2 574, 67 euros outre 257, 47 euros au titre de l'absence de contrepartie obligatoire en repos,
- la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du dépassement de la durée maximale de travail journalier et hebdomadaire,
- la somme de 29 107, 58 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
- la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la fraude et du préjudice moral subi via notamment la production de faux,
- la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche,
- ordonner à la société JEN de lui remettre les bulletins de salaire rectifiés de novembre 2013 à avril 2014, un certificat de travail, le reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi rectifiés,
- ordonner à la société JEN de publier à ses frais exclusifs dans un journal local (Le Dauphiné Libéré ou La Savoie) l'arrêt à intervenir en biffant le nom du salarié, dans un délai de 15 jours à compter de son prononcé sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
- condamner la société JEN, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction constatée, à afficher l'arrêt sur la porte d'entrée de son établissement entre le 1er décembre 2017 et le 30 avril 2018,
- condamner la société JEN à rembourser la somme de 540 euros TTC correspondant au coût de l'expertise de monsieur B...,
- condamner la même à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société JEN aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Il fait valoir :
- que compte tenu de l'ouverture du restaurant 7 jours sur 7 de 12 heures à minuit qui requiert sa présence en amont de l'ouverture, de l'affluence de clients, puis du départ du serveur en janvier 2014 et du plongeur dès le 23 mars 2014, il a effectué 449, 25 heures supplémentaires ainsi que lui permettent de l'affirmer les décomptes d'heures qu'il a établis chaque jour ;
- que la société JEN qui est en capacité d'indiquer qu'elle a servi 69 couverts par jour pendant la saison d'hiver 2013-2014, devrait produire les tickets de caisse qui démontreraient la présence des chefs cuisiniers au delà des heures contractuellement prévues, ce qu'elle se refuse à faire ;
- que plusieurs des salariés n'ont pas travaillé pendant toute la saison, seuls 4 ayant travaillé sur l'ensemble de la haute saison ;
- que de même elle ne produit pas le registre spécial de contrôle du repos hebdomadaire pourtant obligatoire au regard des dispositions de l'article R3172-2 du code du travail ;

- que la production de faux relevés d'heure et l'affirmation fausse selon laquelle il en serait signataire, lui a causé un préjudice qui doit être réparé ; qu'elle étaye en outre le délit de travail dissimulé et qu'il doit être fait droit à sa demande au titre de l'indemnité due pour travail dissimulé ;
- que le nombre d'heures réalisé excède notablement le contingent applicable et que de même ce nombre d'heures a souvent dépassé la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail ;
- que la société JEN ne justifie d'aucune démarche visant à l'organisation de la visite médicale d'embauche ;
- que le comportement de la société doit être sanctionné publiquement par les affichages et publications sollicités ;

La SARL JEN demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- débouter monsieur X...de ses nouvelles demandes en cause d'appel visant à :
* dire et juger que les fiches individuelles d'horaires sont des faux,
* la condamner à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral subi notamment du fait de la production de faux,
* lui ordonner de publier l'arrêt à intervenir dans un journal local sous astreinte,
* la condamner sous astreinte de 1 000 euros à afficher l'arrêt sur la porte d'entrée de son établissement,
* la condamner à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter monsieur X...de l'intégralité de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux dépens dont frais d'expertise ;

Elle fait valoir :
- que si elle ne remet pas en cause la qualité du travail de l'expert, il est possible que monsieur X...ait trompé l'homme de l'art dès lors d'une part que le salarié a curieusement émis des signatures abrégées à la différence de ce qu'il pratiquait antérieurement, signatures qui ne pouvaient être connues de l'employeur qui ne les a découvertes qu'à l'audience de la cour du 24 septembre 2015, d'autre part que monsieur X...a eu le temps de se préparer à l'expertise et de modifier sa signature émise à la demande de l'expert ;
- qu'en tout état de cause monsieur X...a signé ces fiches devant la gérante de la société quand bien même il a pu modifier sa signature ;

Elle soutient :
- que le salarié n'apporte pas aux débats des éléments suffisants pour étayer sa demande au titre des heures supplémentaires, laquelle a d'ailleurs curieusement évolué ce qui traduit son absence de fondement ; que le décompte prétendument original qu'il produit ne correspond pas au décompte qu'il en aurait extrait et n'est donc pas pertinent ;
- qu'elle même produit les fiches individuelles de décompte des heures qui sont signées par monsieur X...comme par tous les salariés ce que confirme le fait que l'appelant ait une parfaite connaissance de l'appellation de ce document et produit lui-même les fiches d'avril 2015, seules qu'il n'a pas signées mais qui démontrent l'existence de telles fiches ;
- que les estimations fondées sur le chiffre d'affaire ne sont pas réalistes étant précisé qu'au cours de la saison 2012/ 2013, elle n'exploitait déjà plus le restaurant l'Arbe, cédé en novembre 2012 et que cette même saison connaît d'ailleurs un résultat exceptionnel qui permet de rester bénéficiaire et qui correspond au prix de vente du restaurant l'Arbe ; qu'en réalité elle a réalisé en 2013-2014, une moyenne de 69 couverts par jour alors qu'elle employait deux chefs de cuisine et un aide alors que pour le même nombre de couverts, l'année précédente, elle ne disposait que d'un chef de cuisine et un aide ;
- que monsieur X...a pris régulièrement ses deux jours de repos hebdomadaire ;
- que ni l'élément matériel, ni l'élément intentionnel de l'infraction de travail dissimulé ne sont constitués ;

Elle indique encore :
- que monsieur X...ne lui a pas fait part de problèmes cardiaques et que les formalités nécessaires à la réalisation de la visite d'embauche ont été menées, sans qu'elle puisse être déclarée responsable des retards de la médecine du travail ;
- que la demande de dommages intérêts pour faux prétendu ne repose sur aucun préjudice particulier et que la demande de publication et affichage ne repose sur aucun texte et est infondée ;

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats ;

SUR QUOI
Il résulte des dispositions de l'article L 3121-1 du code du travail que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ;
Dès lors que la durée légale du travail effectif déterminée dans les conditions définies par le texte précité est fixée à 35 heures par semaine civile, la 36ème heure est considérée comme le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré, conformément aux dispositions de l'article L 3121-22 du code du travail, lesquelles heures supplémentaires doivent se décompter par semaine civile ;
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les dispositions de l'article L 3171-4 du même code organisent un régime de preuve spécifique dans les termes suivants : l'employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, le juge formant sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande ;
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient aussi à ce dernier de fournir préalablement des éléments suffisamment précis de nature à étayer sa demande et à permettre également à l'employeur d'y répondre ;

En l'espèce, monsieur X...verse aux débats outre un relevé des chiffres clés de la société JEN LE REFUGE qui ne permet aucune conclusion quant à l'activité de l'établissement :
- le contrat de travail qui prévoit un temps de travail hebdomadaire de 42 heures, soit 35 heures et 7 heures supplémentaires contractuelles régulièrement rémunérées et qui précise qu'il s'agit d'un minimum horaire de sorte que des dépassements sont envisagés dès la conclusion du contrat de travail ;

- un décompte manuscrit établi avec plusieurs outils différents et qui indique au jour le jour les horaires effectués qui ne sont pas constants ; ce document comporte des annotations sans lien avec les horaires de travail, du type de celles que l'on porte sur un brouillon (numéros de téléphone, additions, adresse internet ou encore essai de fonctionnement de stylo) et qui permettent de considérer que le décompte a été renseigné au fur et à mesure des semaines sinon des jours de travail ; ce décompte fait apparaître des heures supplémentaires au delà de 42 heures ;
Ces pièces et notamment le décompte, peuvent être discutées par l'employeur et sont de nature à étayer la demande du salarié ;
La société JEN LE REFUGE produit pour sa part :
- D'abord, des relevés d'heures dont elle indique qu'ils ont été signés par monsieur X...qui ne reconnaît sa signature que sur les relevés de novembre 2013 à l'exclusion de tous les autres ; sur ce point et alors qu'il appartient à l'employeur de tenir un décompte des horaires réellement effectués en application de la convention collective nationale des Hôtels-Cafés-Restaurants, deux experts près les tribunaux et dont l'un a été désigné judiciairement, ont procédé à l'analyse des signatures litigieuses et tous deux ont retenu qu'elles n'étaient pas de la main de monsieur X...;

La société JEN conteste les conclusions des experts dont celles de l'expert judiciaire sans apporter aux débats un quelconque élément objectif de nature à permettre la remise en cause des conclusions convergentes des deux techniciens ; la cour constate en effet :
* que la société qui argue de la consultation d'une experte en écriture, madame D..., n'a jamais produit un avis de cette professionnelle, que ce soit dans le cadre de l'expertise judiciaire ou devant la cour,
* que la société JEN n'a émis aucun dire lors du dépôt du pré-rapport de monsieur C...et ne justifie pas de l'empêchement médical dans lequel elle se trouvait alors d'émettre un tel dire,
* qu'elle ne justifie d'aucun élément permettant de retenir l'autoforgerie qu'elle invoque alors même que les experts consultés sont sensibilisés à cette possibilité et utilisent les méthodes appropriées pour l'éviter,
* que contrairement aux affirmations de l'employeur, les signatures litigieuses sont de même type que celles apposées par le salarié pour le mois de novembre et dont il ne conteste pas être l'auteur, et la SARL JEN avait donc connaissance de cette signature,
* que les relevés litigieux font systématiquement mention de semaines de 42 heures, sans aucun dépassement, alors qu'il ne peut être contesté que la charge de travail était soumise à des variations entre les périodes de vacances scolaires donnant lieu à la fréquentation importante de la station, et les périodes hors vacances scolaires,
* que dès lors d'une part qu'il a signé le relevé de novembre 2013, d'autre part qu'il a lui-même dirigé des établissements de restauration, soumis à la même convention collective, il n'est aucunement étonnant que monsieur X...connaisse l'appellation précises des relevés d'heures et il ne peut en être tiré argument contre lui ;

Aucun élément technique ou de fait ne permet dès lors de remettre en cause les conclusions expertales excluant que monsieur X...soit l'auteur des signatures figurant sur les relevés d'heures produits par l'employeur à compter de décembre 2013 qui sont donc inopérants à rapporter la preuve des heures réellement effectuées ;
Il ne relève cependant pas de la compétence de la cour, saisie en matière prud'homale, de dire qu'il s'agit de faux dont en tout état de cause l'auteur ne peut être déterminé ;

- Ensuite, des contrats de travail d'autres salariés mais pas le registre du personnel de sorte que la date de départ effectif de l'entreprise ne correspond pas à la date de fin de contrat initialement prévue ; pour autant, de la combinaison des contrats de travail et des écritures de la société JEN elle-même, il résulte que contrairement à ses affirmations, à aucun moment l'effectif n'a atteint 6 à 8 salariés mais qu'au contraire :
* à partir du 18 novembre (date d'embauche de monsieur X...) et jusqu'au 30 novembre 2013, étaient présents en plus de l'appelant, 3 salariés dont un assistant de direction dont rien ne permet de constater qu'il aurait effectué des missions en cuisine ou en service, un serveur barman et un aide de cuisine-plongeur dont le contrat a pris fin le 24 novembre, date à laquelle monsieur X...se retrouve seul en cuisine et service jusqu'au 28 ;
* à compter du 1er décembre et jusqu'au 16 décembre, étaient présents en plus de l'appelant, 3 salariés dont l'assistant de direction et le barman, un autre cuisinier monsieur E...ayant pris ses fonctions au 28 novembre ;
* du 17 décembre au 24 janvier 2014, étaient présents en plus de l'appelant, 4 salariés : l'assistant de direction et le barman, le deuxième cuisinier et un plongeur-serveur (jusqu'au 3 janvier) puis un aide de cuisine-plongeur à compter du 7 janvier, les deux cuisiniers n'ayant donc eu aucun aide cuisinier pendant la période des fêtes de fin d'année ;
* du 25 janvier au 31 mars 2014, étaient présents en plus de l'appelant, 3 salariés soit le second cuisinier, l'assistant de direction devenu barman et l'aide de cuisine-plongeur ;
* en avril 2014, monsieur X...est le seul salarié avec l'assistant de direction devenu barman ;

Il peut encore être constaté que la société ne justifie ni de ses horaires d'ouverture, ni du nombre de couverts qu'elle invoque et qu'elle ne produit pas les éléments concernant l'effectif qu'elle annonce pour l'exercice 2012/ 2013 et pas davantage ses Z de caisse en dépit de la demande de monsieur X..., alors que ces documents seraient de nature, le cas échéant, à démontrer que les horaires allégués par l'employeur sont bien ceux réalisés ;
Enfin, il ne peut être contesté que les horaires de prise de poste du cuisinier ne pouvaient correspondre aux horaires d'ouverture du restaurant, la mise en route et la préparation de plats, même simples, impliquant sa présence en amont ;
Ainsi, compte tenu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour dispose des éléments suffisants pour considérer que monsieur X...a bien effectué les heures supplémentaires non rémunérées qui résultent de
son décompte soit 449, 25 heures supplémentaires non rémunérées ; la SARL JEN LE REFUGE sera condamnée à lui payer la somme de 9 630, 57 euros bruts au titre des rappels de salaire correspondants et la somme de 963, 06 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1o Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;/ 2o Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli (...) " ;
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 8223-1 du même code : " En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. " ;
En l'espèce, la société JEN a mentionné sur les bulletins de salaire un nombre d'heures inférieur au nombre d'heures réellement effectuées ; compte tenu d'une part du volume des heures concernées, d'autre part de l'élaboration de relevés d'heures ne correspondant pas aux horaires réels de travail mais aboutissant de manière surprenante à un temps de travail hebdomadaire constant de 42 heures peu compatible avec la variation de fréquentation du restaurant et avec les propres mentions du contrat de travail, il doit être retenu que l'employeur ne pouvait ignorer que monsieur X...avait exécuté plus d'heures que celles pour lesquelles il avait été rémunéré et qu'il a donc sciemment dissimulé partie de ces heures ;
Dès lors, la société JEN LE REFUGE versera au salarié l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions précitées, calculée sur la base d'un salaire mensuel intégrant les heures supplémentaires retenues par la cour (soit 4 851, 26 euros bruts) soit la somme de 29. 107, 58 euros ;
La convention collective nationale des Hôtels-Cafés-Restaurants fixe le contingent d'heures supplémentaires à 360 heures pour les établissements permanents et à 90 heures pour les établissements saisonniers ;
La société JEN qui soutient à l'audience avoir une activité permanente, a pourtant conclu avoir ouvert 231 jours en 2012/ 2013 et 251 jours pour l'exercice 2013/ 2014 ce qui contredit ses affirmations et permet au contraire de retenir qu'il s'agit d'un établissement saisonnier ; la cour relève en outre ainsi qu'il a déjà été dit plus haut, que la société ne produit pas de registre du personnel permettant de constater qu'elle aurait recours aux services d'un cuisinier ou d'un barman en dehors des saisons, et ce alors qu'elle ne justifie d'embauches que dans le cadre de contrats saisonniers, pas plus qu'elle ne verse la moindre pièce venant établir une ouverture à l'année ; il doit donc être retenu qu'elle est soumise à un contingent annuel d'heures supplémentaires limité à 90 heures qui a été dépassé en l'espèce de 359, 25 heures et justifie que l'employeur soit condamné au paiement de la somme de 2 574, 67 euros bruts outre 257, 47 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
Il résulte du décompte retenu par la cour qu'à plusieurs reprises, la durée maximale de travail journalière et hebdomadaire a été dépassée, de telle manière que le salarié n'a pu bénéficier d'un repos effectif et en a subi un préjudice qui justifie que lui soit allouée la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
S'il n'est pas contesté que la visite médicale d'embauche n'a pas eu lieu, monsieur X...ne justifie cependant d'aucune affection particulière et ne démontre pas avoir subi un préjudice du fait de ce manquement de l'employeur ; il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef ;
Il ne justifie pas davantage du préjudice moral qu'il allègue, que ce soit du fait de la réalisation d'heures supplémentaires ou du fait de la production des relevés d'heures présentant une signature qui ne lui est pas imputable, seul le préjudice tenant à la durée de la présente procédure et à l'exposition de frais d'expertise étant avéré et indemnisé par ailleurs ; il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts de ces chefs ;
Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de publication et d'affichage de la présente décision, qui présentent un caractère de sanction et ne reposent sur aucun fondement juridique ;
La société JEN LE REFUGE remettra à monsieur X...les bulletins de salaire de novembre 2013 à avril 2015 et les documents de fin de contrat, rectifiés pour tenir compte du présent arrêt ;
Elle versera en outre à monsieur X...la somme de 540 euros au titre du coût de l'expertise amiable qu'il a été contrainte de solliciter ;
Elle supportera la charge des dépens comprenant le coût de l'expertise judiciaire et versera à monsieur X...la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la SARL JEN LE REFUGE à payer à Olivier X...:
-9 630, 57 euros bruts au titre des rappels de salaire correspondants aux heures supplémentaires non payées,
-963, 06 euros bruts au titre des congés payés afférents,
-29. 107, 58 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
-2 574, 67 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
-257, 47 euros bruts au titre des congés payés afférents,
-1000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement des durées hebdomadaire et journalière de travail,

-540 euros au titre du coût de l'expertise amiable ;
Déboute Olivier X...de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et pour défaut de visite médicale d'embauche ;
Déboute Olivier X...de ses demandes de publication et affichage du présent arrêt ;
Ordonne à la SARL JEN LE REFUGE de remettre à Olivier X...les bulletins de salaire de novembre 2013 à avril 2014, le certificat de travail, le solde de tout compte et l'attestation Pôle Emploi, rectifiés pour tenir compte du présent arrêt ;
Condamne la SARL JEN LE REFUGE à payer à Olivier X...la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa propre demande à ce titre ;
Déboute Olivier X...de ses plus amples demandes ;
Condamne la SARL JEN LE REFUGE aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant notamment les frais de l'expertise judiciaire.
Ainsi prononcé le 07 Mars 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Claudine FOURCADE, Présidente, et Madame Viviane ALESSANDRINI, Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de chambéry
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15/00409
Date de la décision : 07/03/2017
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.chambery;arret;2017-03-07;15.00409 ?
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